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Transitivité du verbe et enseignement du français

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Academic year: 2021

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Transitivité du verbe et enseignement du français

Mémoire

Sarah CHAMBERLAND

Maîtrise en linguistique

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

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Transitivité du verbe et enseignement du français

Mémoire

Sarah CHAMBERLAND

Sous la direction de :

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Résumé

Cette recherche a pour objectif de faire un bilan de la pédagogie de la nouvelle grammaire, analyse en usage au sein du système scolaire québécois, en ce qui concerne la transitivité du verbe et son enseignement au secondaire. La qualité des explications au sujet de la transitivité proposées par les ouvrages fondés sur la nouvelle grammaire sera donc évaluée. La recherche vise aussi à évaluer si les explications fournies par la sémantique grammaticale peuvent servir à la pédagogie et à montrer en quoi elle pourrait être une option intéressante à exploiter dans un cadre pédagogique, en raison de la de rigueur, de la cohérence et de la systématicité des principes qui régissent cette analyse. La description du système de la transitivité fondée sur les principes de la sémantique grammaticale sera donc utilisée dans le cadre de cette recherche, dans le but de vérifier si les explications fournies en sémantique grammaticale sont adaptables pour le cadre scolaire. Une démarche d’exploitation pédagogique de la sémantique grammaticale sera proposée.

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Table des matières

RÉSUMÉ ... III TABLE DES MATIÈRES ... IV REMERCIEMENTS ... VIII

INTRODUCTION ... 1

PROBLÉMATIQUE ... 4

1.1.INTRODUCTION ... 5

1.2.LA GRAMMAIRE ET LA LANGUE SCOLAIRES ... 5

1.3.LA SITUATION ACTUELLE ... 9

1.4.OBJECTIFS ET LIMITES DE LA RECHERCHE ... 14

ÉTAT DE LA QUESTION ... 16

2.1.INTRODUCTION ... 17

2.2.ORIGINE DE LA « NOUVELLE GRAMMAIRE » ... 18

2.3.EXAMEN CRITIQUE DES THÉORIES ET DES EXPLICATIONS PROPOSÉES EN « NOUVELLE GRAMMAIRE » ... 26

2.3.1.ÉTUDE DE LA PHRASE ET DE SES COMPOSANTES ... 27

2.3.1.1LA PHRASE DE BASE OU LE MODÈLE P ... 28

2.3.1.2.LES PHRASES À CONSTRUCTION PARTICULIÈRE ... 30

2.3.1.3.LA PHRASE GRAPHIQUE ET LA PHRASE SYNTAXIQUE ... 34

2.3.2.ANALYSE DU SYSTÈME VERBAL ... 42

2.3.2.1.LE VERBE ... 43

2.3.2.1.1.LA PERSONNE ET LE NOMBRE ... 43

2.3.2.1.2.LE TEMPS ... 43

2.3.2.1.3.LE MODE ... 45

2.3.2.1.4.L’ASPECT ... 46

2.3.2.2. « AUXILIAIRE », « PARTICIPE PASSÉ » ET « TEMPS COMPOSÉS » ... 47

2.3.3.DÉFINITIONS DES FONCTIONS SYNTAXIQUES ... 49

2.3.3.1.LES COMPLÉMENTS DIRECTS ET INDIRECTS ... 52

2.3.3.2.LES VERBES « PRONOMINAUX » ... 54

2.3.3.3.LA PHRASE DE FORME PASSIVE ... 56

2.4.CONCLUSION ... 60

CADRE THÉORIQUE ... 62

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3.2.LES COMPOSANTES D’UN CONCEPT ... 63

3.2.1LA COMPOSANTE LEXICALE ... 64

3.2.2.LA COMPOSANTE GRAMMATICALE ... 67

3.2.3LA PARADIGMATIQUE ... 68

3.2.3.1ADJECTIF ET SUBSTANTIF NOMINAL ... 68

3.2.4LA SYNTAGMATIQUE ET LA SYNTAXE ... 72 3.2.4.1SYNTAGMATIQUE ... 72 3.2.4.1.1LA DÉSIGNATION SYNTAGMATIQUE ... 72 3.2.4.1.2LA PRÉDICATION SYNTAGMATIQUE ... 73 3.2.4.1.3LA MODALISATION SYNTAGMATIQUE ... 74 3.2.4.2SYNTAXE ... 75 3.2.4.2.1LA DÉSIGNATION SYNTAXIQUE... 75 3.2.4.2.2LA PRÉDICATION SYNTAXIQUE ... 77 3.2.4.2.3LA MODALISATION SYNTAXIQUE ... 78 3.3.VERBE ET PARTICIPE ... 79 3.3.1LE VERBE PERSONNEL ... 79 3.3.1.1LE SUPPORT ACTIF ... 79 3.3.1.2LE MORPHÈME D’ASPECT ... 80 3.3.1.3LE TEMPS ... 83

3.3.1.4L’AMALGAME TRADITIONNEL DU TEMPS ET DE L’ASPECT ... 84

3.3.1.5LA PERSONNE ... 85

3.3.1.6LE MODE ... 87

3.3.2LE VERBE INFINITIF ... 88

3.3.3LE PARTICIPE... 89

3.3.4LE PARADIGME DE L’INTENSION ET LA REPRÉSENTATION DE L’ÉVÉNEMENT ... 93

3.4.LA VALENCE SYNTAXIQUE DES PARTIES DU DISCOURS ... 94

3.5.SYNTAGME ET PHRASE ... 95

3.5.1LE SYNTAGME ... 95

3.5.2LA PHRASE ... 98

3.6.LA LOGIQUE EN SYNTAXE ... 99

3.7.CONCLUSION ... 100

LA TRANSITIVITÉ ET LA SYNTAXE VERBALE ... 102

4.1.INTRODUCTION ... 103

4.2.LE SUPPORT PASSIF ET LA TRANSITIVITÉ ... 103

4.3.OBJET GRAMMATICAL ET OBJET LOGIQUE ... 105

4.4.ATTRIBUT DU SUPPORT ACTIF ET ATTRIBUT DU SUPPORT PASSIF ... 108

4.5.LES APPORTS MODAUX ... 111

4.6.LES RELATIONS SYNTAXIQUES DE DÉTERMINATION ENTRE VERBE ET PARTICIPE ... 113

4.6.1.LA VALEUR LEXICALE DES VERBES ÊTRE ET AVOIR ... 113

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4.6.3.L’ATTRIBUT DU SUPPORT PASSIF ... 117

4.7.ANALYSE COMPARATIVE DES FONCTIONS ... 118

4.8.CONCLUSION ... 120

EXPLOITATION PÉDAGOGIQUE DE LA SÉMANTIQUE GRAMMATICALE 122 5.1.INTRODUCTION ... 123

5.2.LES TRAVAUX DE GRÉGOIRE SUR L’ENSEIGNEMENT DU SYNTAGME NOMINAL ... 123

5.3.LES TRAVAUX DE HAMEL SUR LE TEMPS, L’ASPECT ET LA VOIX ... 130

5.4.LES TRAVAUX DE PAQUET SUR LE SYSTÈME VERBAL ... 132

5.5.ÉBAUCHE D’UNE DÉMARCHE PÉDAGOGIQUE POUR L’ENSEIGNEMENT DE LA TRANSITIVITÉ ... 134

5.5.1.PREMIÈRE ÉTAPE : LES PARTIES DU DISCOURS ... 135

5.5.2.DEUXIÈME ÉTAPE : LES TYPES DE VERBES, L’OBJET GRAMMATICAL ET L’OBJET LOGIQUE ... 139

5.5.3.TROISIÈME ÉTAPE : L’ATTRIBUT ... 143

5.5.4.QUATRIÈME ÉTAPE : LA FONCTION DU PARTICIPE PAR RAPPORT AU VERBE ... 144

5.5.5.CINQUIÈME ÉTAPE : LES APPORTS MODAUX ... 148

5.5.6.SIXIÈME ÉTAPE : RÉCAPITULATION ... 151

5.6.CONCLUSION ... 156

CONCLUSION ... 157

BIBLIOGRAPHIE ... 161

ANNEXES ... 166

ANNEXE 1 :SOLUTIONNAIRE DE L’EXERCICE D’IDENTIFICATION DES NOTIONS GRAMMATICALES ... 167

ANNEXE 2 :SOLUTIONNAIRE DE L’EXERCICE SUR LES VERBES ÊTRE ET AVOIR ... 172

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À la mémoire de mon grand-père Hervé, qui m’a transmis son amour des mots, et qui aurait été fier de lire ce mémoire

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Remerciements

Mes plus sincères remerciements vont à mon directeur de recherche, Jacques Ouellet, pour son soutien indéfectible, ses encouragements, sa patience, sa rigueur, ses commentaires toujours éclairants et le temps qu’il a consacré à mon travail. La passion qui l’anime et qu’il m’a transmise a été l’étincelle qui m’a encouragée à poursuivre la rédaction de ce mémoire. J’espère réussir à enseigner avec la même rigueur et la même cohérence que lui.

Merci également à Monsieur Patrick Duffley et à Madame Suzie Beaulieu, évaluateurs de ce mémoire, pour leurs suggestions et le temps qu’ils ont accordé à ce travail.

Finalement, j’aimerais remercier ma famille, et plus particulièrement mes parents, François Chamberland et Louise Gagnon, et mon conjoint, Pierre-Luc Gauthier, qui m’ont encouragée et soutenue aux jours de doute. Leur présence m’a permis de mener à bien ce travail.

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Tous les enseignants de français sont un jour confrontés aux difficultés que comporte l’enseignement de la grammaire. Listes interminables d’exceptions à faire apprendre aux élèves, manuels offrant des explications peu claires et résultats décevants des élèves lors des évaluations font partie des écueils auxquels les enseignants doivent faire face. Dans ce contexte, il est pertinent de se demander si on bénéficie à l’heure actuelle des meilleurs outils possibles pour enseigner et apprendre la grammaire, et, le cas échéant, ce qu’on peut faire pour que le monde de l’éducation puisse profiter des récents éclairages qu’offre la linguistique dans le domaine.

Dans le cadre de ce travail, nous chercherons donc à recenser les problèmes qui se manifestent à l’heure actuelle dans l’enseignement de la grammaire, et à comprendre en quoi ils nuisent à un apprentissage efficace des élèves. Par la suite, nous proposerons l’éclairage de la sémantique grammaticale, une analyse linguistique qui fait clairement voir la systématique de la langue qui conditionne la cohérence de l’expression. Nous tenterons de démontrer en quoi cette analyse serait utile aux élèves du secondaire dans leur apprentissage de la grammaire et de la rédaction.

Dans le premier chapitre, on dresse un portrait de l’enseignement et de l’apprentissage du français pratiqué au cours des dernières décennies. Il est d’abord question des travaux d’évaluation réalisés dans les années 1970 et 1980 au sujet des difficultés que les élèves francophones éprouvaient en lecture et en écriture. Des auteurs y faisaient déjà état de leur faible compétence et s’interrogeaient sur les raisons pour lesquelles ils ne maîtrisaient pas davantage leur langue malgré les efforts de leurs enseignants pour leur en inculquer les rudiments. Par la suite, on passe en revue les études publiées au cours des quinze dernières années sur les résultats des élèves aux épreuves de français. Certaines portent sur les compétences en lecture et en écriture des enfants, mais aussi sur celles des adultes, et notamment des enseignants.

Le deuxième chapitre est consacré à l’analyse et à la critique de la « nouvelle grammaire », qui est l’analyse grammaticale dont l’exploitation est imposée dans les écoles du Québec. Aux fins de ce mémoire, notre étude porte plus particulièrement sur l’analyse que la « nouvelle grammaire » fait de la phrase, de la morphologie et de la syntaxe verbale. Nous tentons de mettre en relief les contradictions et les exceptions générées par les

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postulats mis de l’avant dans les manuels, entre autres, celui stipulant que toute phrase doit respecter une structure obligatoire constituée d’un sujet et d’un prédicat, structure appelée le « Modèle P ».

Le troisième chapitre porte sur l’élaboration de notre cadre théorique, celui de la sémantique grammaticale. Dans ce chapitre, nous proposons le recours d’une analyse cohérente qui prenne en considération tous les faits pertinents afin d’offrir une description de la langue qui puisse convenir dans tous les cas, c’est-à-dire à tous les faits d’observation ou d’usage, et pas seulement dans un petit nombre de situations dites régulières, reléguant tous les autres modes d’expression au rang d’exceptions. Cette conception fait voir la langue comme un système, ce qui est le point de vue adopté dans le cadre de ce travail parce qu’il présente un grand avantage pour la pédagogie. Nous nous intéressons à l’analyse de la formation des concepts et des phrases proposée en sémantique grammaticale, ainsi qu’aux différentes parties du discours et aux fonctions syntaxiques qu’elles sont aptes à remplir.

Le quatrième chapitre porte sur la transitivité et la syntaxe verbale – auxquelles nous avons choisi de nous limiter dans le cadre de ce mémoire de maîtrise – telles qu’elles sont analysées en sémantique grammaticale. Il y est question des différents types de verbe — intransitif, transitif et réflexif — ainsi que des fonctions que sont aptes à remplir les différentes unités qui entrent en relation avec le verbe.

Le cinquième chapitre évalue la possibilité d’utiliser l’analyse proposée en sémantique grammaticale pour l’enseignement du français au secondaire. Dans un premier temps, nous faisons état des études antérieures qui ont déjà envisagé la question. Dans un deuxième temps, nous proposons une ébauche d’exploitation pédagogique portant sur la syntaxe verbale. Des exemples d’exercices adaptables aux besoins des enseignants qui souhaiteraient en faire usage sont également proposés.

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5 1.1. Introduction

L’enseignement du français au primaire et au secondaire est, depuis de nombreuses années et dans différents pays de la francophonie, source de questionnements et d’inquiétude. La population, les médias et les acteurs du milieu de l’éducation se demandent pourquoi l’enseignement est si peu efficace et pourquoi les élèves ont tant de mal à écrire. La question n’est d’ailleurs pas nouvelle : en 1974, Marquet écrivait : « Depuis plus de cinquante années, on parle en France d’une crise du français » (p. 9). Au même moment, au Québec, La Presse publiait une série d’articles intitulés « Le drame de l’enseignement du français » (Gagnon, 1975), où on faisait état des piètres compétences scripturales des élèves et de la mauvaise qualité des cours de français dans les écoles du Québec. À ce jour, les questionnements sur la qualité de l’enseignement du français demeurent, et la « crise du français » continue de faire régulièrement la une des journaux. Dans ce premier chapitre, il est d’abord question des interrogations qui ont surgi dans les années 1970 et 1980 au sujet de la grammaire française et de son enseignement. Ensuite, il est question des compétences actuelles des élèves et des étudiants québécois en lecture et en écriture, à la lumière des dernières recherches sur le sujet. Ce bref état des lieux vise à situer notre recherche par rapport à ces résultats et à en établir les objectifs et les limites.

1.2. La grammaire et la langue scolaires

Plusieurs auteurs ont fait état des problèmes causés par la grammaire scolaire traditionnelle. En effet, il n’existe pas une seule et unique façon de concevoir et de décrire une langue, et qui serait la grammaire de cette langue, mais bien plusieurs descriptions, qui évoluent au gré de l’avancement des connaissances scientifiques. La grammaire scolaire, une analyse grammaticale élaborée pour les besoins de la pédagogie, « se présente comme un courant spécifique, aux lignes propres, dont les contours didactiques vont déterminer peu à peu des articulations particulières, des excroissances insoupçonnées, et bientôt même une théorie syntaxique originale » (Chervel, 1977 : 26). Elle a vu le jour au XVIIIe siècle,

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rapidementent pris de l’ampleur, « jusqu’à étouffer les autres courants de la tradition grammaticale, jusqu’à occuper la quasi-totalité du champ de la production grammaticale française » (Ibid. : 27). Il ne s’agit donc pas fondamentalement de la grammaire du français, mais d’un cadre pédagogique conçu pour justifier l’orthographe du français.

Non seulement enseigne-t-on (ou enseignait-on, puisque la grammaire traditionnelle a été remplacée par la « nouvelle grammaire », comme nous le verrons au chapitre suivant) aux élèves une grammaire dont la « théorie des fonctions et la refonte du système des parties du discours n’ont aucun fondement scientifique » (Ibid. : 28), mais on exige aussi d’eux qu’ils emploient ce que Duneton (1984) appelle la langue scolaire. Celui-ci, relatant les résultats de la recherche d’Annie Dupart, qui a fait l’analyse des formes linguistiques employées dans les manuels destinés à l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, remarque que tous les verbes sont conjugués au présent (Duneton, 1984 : 84). En plus de créer une confusion en ce qui concerne la chronologie des événements — Duneton donne en exemple la phrase « Une pie est posée sur le pré. Elle vole vers son nid dans la forêt », tirée du manuel Daniel et Valérie1; on se demande bien comment la pie peut à la fois être

posée dans le pré et voler vers son nid — on propose aux enfants des phrases d’une complexité inférieure à ce dont ils sont capables lorsqu’ils parlent : à cinq ou six ans, ils sont déjà en mesure d’utiliser une grande variété de formes verbales et une syntaxe beaucoup plus complexe que la forme canonique (sujet-verbe-objet) que l’on tente de leur imposer tout au long de leur scolarité.

Il cite à ce sujet l’enregistrement du discours d’une fillette de cinq ans et demi bilingue français-espagnol qui raconte un rêve :

il y a le tigre qu’arrive / le tigre / et puis les enfants ils se cachent sous les lits / sous les bassines / dans les petits creux / partout – et le tigre / ils s’étaient enfermés les enfants avec leur père et leur mère // le tigre il avait réussi à s’aplatir / passer la main en dessous la porte /// alors les enfants s’étaient vite mis sous le lit / - il y avait un gros monstre qui était venu aussi / et je m’étais donnée amie avec lui / je lui avais dit qu’il craignait rien / qu’il pouvait manger Alexandra Marc et Cyril / le petit lapin à Formentera / des trucs comme ça et il m’avait pas crue // alors il avait voulu me manger // et après on était toi maman / et on avait couru / couru sur les collines / et après le lendemain il était toujours monstre / et on lui disait des choses bien et après il

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redevenait homme / et après on s’est dit pendant la nuit « on ferait mieux de s’échapper » // et on s’est échappé et le monstre il nous courait derrière / et puis nous aussi on courait / on courait devant on allait à toute vitesse / et on trouve un / - machin / un truc pour monter / - là comme ça / - pour monter les montagnes / ça s’accroche à la neige // des trucs ronds qu’on met dans la neige quand on marche / - ils ont mis ces trucs et après on a couru couru /// le monstre en fait c’était une vieille sorcière qui l’avait transformé / … (Ibid. : 86-87)

En quelques phrases, elle emploie « six formes verbales qui se décomposent comme suit : 6 présents, avec deux valeurs différentes (3 d’usage et 3 dits « de narration »), 4 passés composés, 12 imparfaits, 10 plus-que-parfaits, 1 conditionnel et 7 infinitifs – tous à très bon escient » (Ibid. : 87). En ce qui concerne la syntaxe, la fillette utilise la forme canonique seulement deux fois, « et c’est dans une situation de recherche d’un mot (qu’elle ne trouve pas : ‘raquette’), où elle ralentit, où elle simplifie sa grammaire parce que son esprit s’absorbe entièrement dans la quête du mot, c’est : ‘et on trouve un… machin’ et ‘ ils ont mis ces trucs’ » (Ibid. : 88). Dans les autres circonstances, elle utilise des structures syntaxiques plus complexes, comme : « Le monstre, en fait, c’était une vieille sorcière qui l’avait transformé » (Loc. cit.). C’est donc dire que cette enfant emploie spontanément des structures bien plus complexes que celles qui sont enseignées au début du parcours scolaire. Il est curieux qu’on cherche à tout prix à s’en tenir à des formes très simples, alors que la compétence linguistique des enfants de cet âge dépasse largement ce stade.

Par ailleurs, Duneton souligne que non seulement on n’enseigne qu’une structure syntaxique – supposément la plus simple et la plus claire – mais on corrige aussi les enfants lorsqu’ils produisent des structures plus complexes, et ce, même si elles sont correctes. Il en a pour preuve le cas suivant, où une enseignante demande à ses élèves de proposer des phrases à inscrire au tableau, mais avant de les écrire, elle les modifie afin qu’elles correspondent au modèle voulu :

Maîtresse : Bon alors on va l’écrire tout ça maintenant y a beaucoup de choses.

Notre texte aujourd’hui va être plus long que d’habitude, tu veux commencer Nadia, tu nous dis d’abord la phrase que tu proposes.

Nadia : Le papa de Bernard avec sa hache sur le dos s’en va couper du bois

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Maîtresse : Tu as vu tu arrivais pas à reprendre ton souffle tellement elle est

logue cette phrase alors on va essayer de prendre des phrases plus courtes hein? tu veux? On va d’abord parler du papa de Bernard, ensuite on est… on prend une autre phrase pour le chat et une autre phrase peut-être pour Pipo hein, alors on va essayer de faire ça plus court. Bénédicte de qui veux-tu parler?

Bénédicte : De Bernard.

Maîtresse : Heu il n’y est pas Bernard, son papa. Bénédicte : Du chat.

Élève X : Son papa.

Maîtresse : Son papa, allez, dis-nous la phrase.

Bénédicte : Le papa de Bernard de Bernard va couper du bois dans la forêt.

Plus loin, sur un deuxième énoncé, la maîtresse va procéder au remplacement de la construction en ya… qui.

Maîtresse : Alors Bénédicte tu vas nous parler du chat.

Bénédicte : Ya le chat qui veut en profiter pour rentrer dans la niche et il est

monté.

Maîtresse : Bon alors on a dit le chat, tu vois, tu as dit ya le chat, il y a, une

phrase aussi longue c’est pas utile de le mettre on pourra dire tout de suite le chat.

La phrase finale sera : « Le chat profite [sic] pour rentrer dans la niche de Pipo. »

On obtient des phrases désincarnées, « une série d’énumérations abstraites, privée de mouvement, de vie, privée de toute communication directe » (Duneton, 1984 : 91), tout cela au nom de la simplicité que requiert la langue scolaire. Ces observations demeurent valables et pertinentes aujourd’hui : dans les écoles du Québec, il faut maintenant respecter la structure obligatoire du Modèle P : sujet-prédicat-« complément de phrase ». Le Modèle P fait l’objet de notre analyse au chapitre suivant, mais on peut d’ores et déjà préciser que le dogme dont fait état Duneton n’a pas beaucoup changé, puisqu’on persiste à dire aux élèves que certains constituants de la phrase sont obligatoires en français. On continue donc de favoriser un type de phrase, supposément plus simple, au détriment de tous les autres, qui font figure d’exceptions non autorisées.

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9 1.3. La situation actuelle

Aujourd’hui, la question de l’apprentissage de la langue écrite est cruciale. En effet, l’essor des nouvelles technologies – qui passent le plus souvent par l’écrit – fait en sorte qu’il est impératif d’avoir de bonnes compétences en lecture et en écriture afin de participer pleinement à la vie en société. L’enquête réalisée par le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) en 2012 — un programme qui « analyse dans quelle mesure les élèves qui approchent du terme de leur scolarité obligatoire possèdent certaines des connaissances et compétences essentielles pour participer pleinement à la vie de nos sociétés modernes, en particulier en mathématiques, en compréhension de l’écrit et en sciences » (p.25) — révèle que les résultats des élèves canadiens de quinze ans en ce qui a trait à la compréhension de l’écrit se sont détériorés entre 2000 et 2012. D’une part, il y a eu une diminution de 3,9% des élèves atteignant ou dépassant le niveau 5 — les élèves étant répartis sur 7 niveaux, où les élèves qui se situent au niveau 6 sont les plus compétents, et ceuxqui se situent au niveau 1b, les moins compétents — passant de 16,8% en 2000 à 12,9% en 2012 (OCDE 2012 : 396). D’autre part, le score moyen des élèves a diminué, passant de 534 points en 2000 à 523 point en 2012 (OCDE 2012 : 194). Le Québec suit la même pente descendante, passant de 536 points en 2000 à 520 points en 2012 (Brochu et coll., 2013 : 91). Par ailleurs, 10,9% des élèves canadiens se situent sous la barre du niveau 2, une donnée qui n’a pas changé significativement depuis 2000. Le niveau 2 est considéré comme le « seuil de compétence à partir duquel les élèves commencent à faire preuve de compétences en compréhension de l’écrit qui leur permettront de participer de manière efficace et productive à la vie de la société. » (p. 206) Bien que les résultats des élèves canadiens soient supérieurs à ceux de la moyenne de l’OCDE, il y a tout de même lieu de demeurer vigilants : ces données nous indiquent que le nombre d’élèves très compétents diminue, alors que le nombre d’élève peu compétents demeure stable, avec pour résultat de classer le Canada parmi les pays dont « la variation annualisée est négative » (OCDE, 2012 : 193). Il y a donc lieu de se demander si des moyens peuvent être pris pour inverser cette tendance et améliorer les performances de notre système scolaire.

En ce qui concerne plus particulièrement la situation du Québec, un portrait des compétences en français des élèves a été dressé en 2001. Larose et coll. (2001), de la

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Commission des États généraux sur la situation et l’avenir de la langue française au Québec, ont été chargés, entre autres, « d’identifier et d’analyser les principaux facteurs qui influencent la situation et l’avenir de la langue française au Québec » (p. i). Ils expliquent, à la lumière des résultats qui leur ont été présentés dans le cadre de la commission, que les élèves qui sont faibles en français le sont parce qu’ils ne sont pas capables d’utiliser adéquatement le code linguistique (Ibid. : 39). Ils font remarquer que « Ces déficiences se maintiennent d’une épreuve à l’autre chez les mêmes élèves et d’une cohorte d’élèves à l’autre au fil des années » (Loc. cit.), ce qui remet sérieusement en question les contenus et les méthodes employés en classe, d’une part, et les moyens utilisés pour venir en aide aux élèves qui sont en difficulté, d’autre part. Il y a également lieu d’observer qu’en 2001, la « nouvelle grammaire » était, théoriquement du moins, implantée dans toutes les écoles du Québec depuis cinq ans. C’est le temps nécessaire pour qu’une cohorte complète ses études secondaires. On est en droit de se demander si la nouvelle méthode n’aurait pas dû commencer à faire ses preuves entre temps. Il peut bien sûr y avoir d’autres facteurs entrant en ligne de compte, tels que la formation des enseignants qui n’était vraisemblablement pas encore ajustée aux nouveaux contenus et à la nouvelle méthode, mais cela indique tout de même que les résultats demeuraient les mêmes bien que le contenu des cours ait été modifié. Cette étude datant d’une quinzaine d’années, il y aurait bien entendu lieu de voir si la situation a évolué, mais les questionnements engendrés par les travaux de Larose et coll. demeurent pertinents.

Les statistiques qu’ils présentent sont extrêmement préoccupantes : ils affirment qu’à la fin du primaire, on considère que 52,5% des élèves sont « fragiles ou incompétents en écriture »; en troisième secondaire, la situation se détériore : 59,8% ont une compétence minimale ou insuffisante » en écriture; finalement, en cinquième secondaire, au terme de la scolarité obligatoire durant laquelle les élèves ont reçu des centaines d’heures de cours de français, 42% des élèves échouent « au critère du fonctionnement de la langue ». Ces résultats sont troublants, dans la mesure où ils démontrent qu’en dépit des efforts conjugués des enseignants pour apprendre aux élèves à écrire, près de la moitié d’entre eux n’y arrivent pas.

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Pourtant, ce n’est pas faute de faire de la grammaire en classe. Chartrand et Lord (2013 : 87) ont mené une enquête qui leur a révélé qu’en 2008, 94,1% des enseignants de français affirmaient faire des exercices de grammaire au moins une fois par semaine. Ce n’est donc pas la quantité d’exercices qui pose problème. Il y a donc lieu de se demander si ces exercices sont pertinents et bien conçus, et s’ils permettent aux élèves d’effectuer une réflexion appropriée sur l’usage de la langue. Il faut également se demander si les explications fournies par les enseignants font en sorte que les élèves comprennent mieux le fonctionnement du système de la langue et leur permettent d’en appliquer plus facilement les mécanismes d’expression.

Puisque les élèves de cinquième secondaire présentent de telles lacunes, il n’est pas surprenant de constater que les étudiants du collégial font face aux mêmes difficultés. Toujours selon Larose et coll. (2001 : 40), un étudiant sur quatre échoue son premier cours de littérature. Selon la Commission d’évaluation de l’enseignement collégial, les étudiants échouent en raison d’une « maîtrise insuffisante de la langue et du code linguistique » et d’une « difficulté de bien ordonner [leur] pensée, de l’exprimer correctement, de bien analyser les situations et d’en faire une synthèse cohérente » (Loc. cit.). Bien entendu, ces difficultés risquent de constituer un handicap majeur pour ces étudiants, non seulement pour la réussite de leurs études collégiales, et éventuellement de leurs études universitaires, mais aussi pour leur vie en tant que citoyens, car il est difficile de porter un jugement éclairé sur différentes situations lorsqu’on peine à exprimer ses pensées ou à analyser les situations auxquelles on doit faire face.

C’est d’ailleurs dans cette optique que l’OCDE mène l’enquête PEICA (2012). Cette enquête porte sur les compétences des adultes en littératie, en numératie et en résolution de problèmes dans des environnements technologiques. Différentes définitions de la littératie existent, mais « Aux fins du PEICA, la littératie est définie comme la capacité "de comprendre, d’évaluer, d’utiliser et de s’approprier des textes écrits pour participer à la société, réaliser ses objectifs et développer ses connaissances et son plein potentiel" » (Statistique Canada, 2012 : 13). On classe les participants sur cinq niveaux, 1 étant le niveau le plus bas, et 5, le niveau le plus élevé. On considère que pour être fonctionnel au sein de la société, il faut atteindre le niveau 3. Or, au Québec, en 2012,

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seulement 36% de la population se situait au niveau 3, et 11% se situait aux niveaux 4 ou 5. 34% se situait au niveau 2, 15% se situait au niveau 1, et 4% n’avait pas les compétences minimales pour atteindre le niveau 1 (p.17). C’est donc dire qu’en 2012, 53% de la population active québécoise (de 16 à 65 ans) n’atteignait pas le seuil de compétence requis pour participer activement et efficacement à la vie en société. Par ailleurs, l’analyse préliminaire des résultats pour l’ensemble du Canada laisse à penser que la situation s’est détériorée entre 2003 (date de l’enquête précédente) et 2012 : 42% de la population canadienne n’atteignait pas le niveau 3 en 2003, alors qu’en 2012, c’est 49% de la population qui se trouve au niveau 2 ou à un niveau inférieur. Ces données sont extrêmement préoccupantes parce que bon nombre d’emplois et de tâches quotidiennes nécessitent aujourd’hui des compétences (parfois élevées) en lecture et en écriture (cf. Statistique Canada, 2012 : 6). Elles motivent également un questionnement majeur au sujet de notre système d’éducation, puisque seule la moitié de la population en sort avec les compétences minimales requises pour la vie moderne.

Parmi ces personnes dont les compétences en lecture et en écriture sont limitées, on compte des étudiants en voie de devenir enseignants au primaire ou au secondaire. Larose et coll. (2001 : 41) présentent les résultats d’une étude menée auprès des étudiants inscrits en sciences de l’éducation à l’Université de Montréal : 15% de ces étudiants sont très bons en français, 30% sont bons, 15% sont moyens et 40% sont médiocres. Larose et coll. citent également Bibeau, qui affirme que « plus de la moitié des futurs enseignants ont une connaissance nettement insuffisante de la langue française » (Loc. cit.) Lorsqu’on pense que ce sont eux qui joueront le rôle de modèle linguistique auprès des élèves à la fin de leurs études, ces résultats n’ont rien de rassurant. En effet, il est évident que les enseignants ne peuvent pas transmettre aux élèves des connaissances qu’ils n’ont pas eux-mêmes. S’ils n’ont pas les connaissances requises, il serait vain d’espérer qu’ils réusssissent à les faire acquérir à leurs élèves.

Ces résultats sont corroborés par l’étude menée par Carpentier-Bujold (2014). Quarante-quatre nouvelles enseignantes au préscolaire et au primaire ont répondu à un questionnaire portant sur leur maîtrise de la compétence scripturale, et onze d’entre elles (qui mentionnaient dans leur questionnaire qu’elles éprouvaient des difficultés en écriture)

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ont participé à une entrevue semi-dirigée. Parmi les personnes qui ont répondu au questionnaire – ce sont des enseignantes qualifiées – 52% affirment éprouver « des difficultés considérables en orthographe lexicale et grammaticale » (Carpentier-Bujold, 2014 : 128). Dans certains cas, la situation est tellement problématique qu’elles ne sont pas en mesure de corriger par elles-mêmes les textes de leurs élèves : certaines copient partiellement ou intégralement des textes pour les corriger à l’aide d’un logiciel de correction (Ibid. : 101); « deux nouvelles enseignantes ont mentionné qu’elles demandent parfois à leur mère de relire des textes d’élèves à corriger lorsqu’elles ne sont pas certaines de leurs corrections » (Ibid. : 118). Même si l’échantillon d’enseignantes qui ont participé à l’entrevue est petit, ces résultats sont extrêmement inquiétants, car ces enseignantes ne seront vraisemblablement pas en mesure d’aider les élèves à acquérir de solides connaissances grammaticales. Il y a également lieu de se questionner sur la sanction des études menant à l’obtention d’un baccalauréat en enseignement et d’un brevet d’enseignement. Comment se fait-il que des candidats qui maitrisent aussi peu la langue soient autorisés à l’enseigner? Permettrait-on à un enseignant de chimie, de mathématiques ou d’histoire qui ne maîtriserait pas les fondements de sa discipline de l’enseigner? Les enseignants titulaires au primaire et les enseignants de français au secondaire sont ceux qui transmettent aux élèves les connaissances de base en lecture et en écriture. Il est primordial qu’ils soient qualifiés pour le faire. Il est donc important que le test de certification en français écrit pour l’enseignement (TECFÉE), que doivent réussir les nouveaux enseignants, permette réellement de déterminer si les candidats sont compétents. Carpentier-Bujold (Ibid. : 150) doute que ce test soit efficace pour déterminer quels candidats ont des compétences suffisantes pour devenir enseignants. L’auteure cite d’ailleurs une enseignante qui affirme avoir appris des règles par cœur pour le test, et les avoir oubliées par la suite. Elle ne connaît donc que des « bouts de règles », sans toutefois en avoir une maîtrise adéquate (Ibid. : 62). Elle a pourtant réussi le test. Il y a donc lieu de se questionner sérieusement sur la sélection des futurs enseignants, et sur les méthodes à adopter pour évaluer leur compétence; il en va de la possibilité pour les élèves du primaire et du secondaire d’apprendre à écrire correctement.

On se retrouve devant un constat d’échec : comment se fait-il que les élèves finissent leur scolarité obligatoire sans maîtriser leur langue? Comment se fait-il que les

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futurs enseignants n’aient pas les connaissances nécessaires en français pour être capables d’enseigner à leurs élèves à écrire? C’est un cercle vicieux, les enseignants transmettant des connaissances partielles aux enfants, parmi lesquels se trouvent de futurs enseignants, qui à leur tour n’auront que des connaissances partielles à transmettre aux enfants de la génération suivante… Dans le cadre de ce travail, nous émettons l’hypothèse qu’une partie du problème provient de la façon dont on enseigne la langue, et que des modifications à cet enseignement pourraient faciliter l’apprentissage de l’écriture.

1.4. Objectifs et limites de la recherche

Dans ce travail, il est question de voir, dans un premier temps, en quoi consistent les analyses proposées par la « nouvelle grammaire », sur laquelle se fonde la progression des apprentissages proposée par le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport — il s’agit de l’outil qui guide les enseignants dans leurs choix pédagogiques (MELS, 2013) — et en quoi ces analyses posent problème. Nous nous concentrons sur l’analyse de la phrase, du verbe et de la transitivité, qui font l’objet de notre étude. Nous avons choisi de nous intéresser à la transitivité en raison de son incidence sur toute la syntaxe verbale : son étude permet de comprendre de nombreux phénomènes linguistiques qui s’expliquent mal lorsqu’on en fait abstraction dans l’analyse (c’est le cas, par exemple, des verbes « pronominaux ») ou lorsqu’on en fait une analyse comportant des inexactitudes (par exemples dans le cas des « compléments directs et indirects »). Dans un deuxième temps, il est question de voir en quoi les solutions proposées par la sémantique grammaticale résoudraient certains des problèmes qui se posent actuellement dans le domaine de l’enseignement du français.

Bien entendu, ce travail n’a pas la prétention – ni l’ambition – de fournir des explications ou des solutions à toute la problématique de la maîtrise du français chez les jeunes. Il faudrait pour cela considérer des aspects aussi divers et complexes que la formation des enseignants, la progression des apprentissages dans le curriculum de l’enseignement primaire et secondaire, la pratique de la lecture et la valorisation de l’éducation et de la langue française au sein de la société québécoise. Nous souhaitons apporter notre humble contribution à cette question en proposant des éléments qui

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permettraient de faciliter le cheminement des élèves en ce qui concerne la compréhension de la grammaire et la systématique de la langue. Il ne s’agit pas non plus de transformer les élèves en linguistes, mais bien de leur donner des outils appropriés pour améliorer leur usage la langue. C’est dans cette optique que nous souhaitons apporter notre contribution à cette question, en visant à ce que ce travail s’avère utile aux élèves et aux enseignants.

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17 2.1. Introduction

L’adaptation d’un mode d’analyse grammaticale plus approprié à la pédagogie du français exige d’abord qu’on évalue les problèmes que pose à cette pédagogie la « nouvelle grammaire » qui a été imposée aux enseignants du système scolaire par le Ministère de l’éducation depuis 1995. Il y a lieu de considérer d’abord les origines et les fondements de cette « nouvelle grammaire » pour faire ensuite un examen approfondi de ce qui est proposé dans un ouvrage qui est largement exploité pour la formation des enseignants et pour l’enseignement au secondaire, la Grammaire pédagogique du français d’aujourd’hui (GPFA), de Chartrand et coll. (2011), ainsi que dans la Nouvelle grammaire pratique (Laporte et Rochon, 2007) et L’express grammatical pour le secondaire (Lecavalier, Lachance et Bonneville, 2011) lorsqu’on retrouve dans ces ouvrages des propositions différentes ou complémentaires à ce qui est proposé dans la GPFA en ce qui concerne la phrase et le système verbal, et plus précisément en ce qui a trait à la transitivité qui fait l’objet de notre étude.

La GPFA, dont la première édition date de 1999, est un manuel fondateur dans le domaine, et il est largement exploité pour la formation des enseignants de français au Québec. De plus, le premier auteur de ce manuel, Suzanne-G. Chartrand, a également collaboré à l’élaboration du programme ministériel, et était donc bien au fait de la méthode en cause et des contenus à enseigner lors de la rédaction de la GPFA. Les autres ouvrages qui seront, dans une moindre mesure, exploités dans le cadre de ce travail, vont généralement dans le même sens que la GPFA, mais présentent parfois quelques divergences intéressantes, ou des façons différentes d’expliquer les notions à l’étude. C’est pour cette raison que nous y ferons référence, leur absence au sein de nos considérations signifiant qu’ils ne présentent rien de différent de ce qui est exposé dans la GPFA.

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18 2.2. Origine de la « nouvelle grammaire »

Les premiers travaux liés à la « nouvelle grammaire » ont été produits dans les années 1960 et 1970, en France et en Suisse. L’objectif de ces travaux était de mettre en évidence les grandes régularités de la langue, et on s’y intéressait tout particulièrement aux structures syntaxiques. Les bases théoriques de ces travaux proviennent d’abord du structuralisme, puis du générativisme (Simard et coll., 2010 : 62). En 1967 paraît en France le Plan de

rénovation pour l’enseignement du français, qui servira de base à l’instauration de la

« nouvelle grammaire » en France. En 1979, Émile Genouvrier, un des acteurs de ce Plan, publie le manuel Grammaire nouvelle (Loc. cit..). En Suisse, Besson et coll. (1979) publient Maîtrise du français, un ouvrage à l’intention des enseignants qui traite de l’enseignement rénové. On précise dans cet ouvrage qu’afin « de donner à la pédagogie de la langue maternelle cette efficacité qui lui fait défaut, de résoudre les difficultés nombreuses qu’elle doit affronter, [on l’envisage] désormais sous ses divers aspects : sociologique, psychologique, linguistique » (Besson et coll., 1979 : 1). Il ne s’agit donc pas uniquement de rénover l’enseignement de la grammaire, mais bien toute la didactique du français langue maternelle. Dans les années suivantes, à Genève, on a effectué « un recyclage systématique du corps enseignant » (Kilchner et coll., 1985 : 29) afin que tous utilisent la « nouvelle grammaire » en classe.

Au Québec, la « nouvelle grammaire » a fait son entrée dans les écoles en 1995. Chartrand et Paret (2010) précisent, dans le bilan qu’elles dressent de l’implantation de la « nouvelle grammaire » dans les écoles de la province, que le gouvernement du Québec, en 1995, leur a demandé de proposer un nouveau programme en trois semaines. Il y a eu suspension du nouveau programme après son implantation en novembre 1995, le temps d’en débattre, mais il a été décidé par les principaux responsables de maintenir le programme intégralement et de l’intégrer pour l’année 1997-98.

Bref, ce changement radical de la culture enseignante et dans l’enseignement du français imposé par le Ministère n’a pas bénéficié du soutien ministériel et institutionnel nécessaire à son succès et aucune supervision pédagogique n’a permis d’évaluer sa mise en application dans les classes de 1997 à 2004. Pourtant, ses orientations et contenus ont été reconduits dans le programme du premier cycle du secondaire en 2004 (p. 92) et, implicitement, dans les programmes ultérieurs. (Chartrand et Paret, 2010 : 63)

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Selon Contant (2011 : 36), aucune recherche n’a testé les bénéfices de la « nouvelle grammaire » sur les compétences scripturales des élèves ou sur leur capacité à analyser les phrases. Il n’a donc pas été démontré, à ce jour, dans quelle mesure cette analyse grammaticale permet aux élèves d’améliorer leur compétence en écriture, ce qui semble assez problématique étant donné que toutes les écoles du Québec sont tenues de l’utiliser sans qu’on ait évalué l’efficacité de cette nouvelle pédagogie.

La « nouvelle grammaire » a été proposée dans le but de résoudre un certain nombre de problèmes qui se posaient en grammaire traditionnelle, par exemple dans Le Bon Usage (cf. Grevisse, 1993a, par exemple) et les outils pédagogiques fondés sur cette grammaire normative. Chartrand (1996) et Lord (2012) en ont fait une critique dont il y a lieu de mettre en relief certains aspects. D’abord, les auteurs précisent que la pédagogie traditionnelle a surtout pour objectif de justifier des règles orthographiques. En conséquence, en marge des explications qu’elle propose, la grammaire est constituée de longues listes d’exceptions qui ne permettent pas de faire voir la langue comme un système cohérent. Lord (p. 52) donne pour exemple le traitement qui est fait de l’adjectif qualificatif dans le Précis (Grevisse,1993b) : « Une demi-page est consacrée à l’explication de ses ‘règles générales’, alors que les cinq pages suivantes traites des exceptions ou des règles particulières ». Elle affirme que cette présentation des éléments à l’étude empêche d’apprécier la systématique de la langue, et qu’un enseignement fondé sur les irrégularités, comme c’est le cas dans ces ouvrages, conviendrait à des apprenants qui maîtrisent déjà très bien les régularités de la langue, ce qui n’est pas le cas des élèves du secondaire auxquels sont destinés ces ouvrages (ce qui consacre l’existence de ces irrégularités comme un phénomène naturel et normal en grammaire du français). Lord n’explique pas pourquoi les auteurs de ces ouvrages grammaticaux fondés sur la pédagogie traditionnelle proposent de si longues listes d’exceptions. Pourtant, dans le cas des adjectifs, ces règles d’exception tiennent du fait qu’on a classé dans cette catégorie des concepts qui ne sont pas des adjectifs et qui, pour cette raison, ne se plient pas aux règles d’accord qui caractérisent ce type de concepts. C’est l’analyse des faits qui est déficiente et qui engendre ces exceptions. Par exemple, on formule à la page 91 du Précis la règle d’exception des « adjectifs de couleur composés » : « Si l’adjectif désignant la couleur est composé (c’est-à-dire qualifié

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par un autre adjectif ou complété de façon quelconque), l’ensemble reste invariable : Des

cheveux brun clair (= d’un brun clair) ». Or, dans cet exemple, si brun ne s’accorde pas

avec cheveux, c’est que c’est un substantif et non un adjectif, malgré ce qu’on en dit en grammaire traditionnelle et en « nouvelle grammaire » (où on maintient cette analyse inconséquente) (cf. Chartrand et coll., 2011 : 173). Mais les substantifs peuvent avoir pour complément un adjectif (ex. : une mère généreuse) ou un autre substantif (ex. : une mère

poule), et dans ce cas, le deuxième substantif ne devient pas un adjectif, mais demeure un

substantif ayant son genre et son nombre propres, même s’il détermine le premier substantif. Toutefois, un adjectif n’est apte à servir de support ni à un adjectif épithète (ex. : *une maternelle généreuse) ni à un substantif (ex. : *une maternelle poule). Dans l’exemple proposé par le Précis, brun n’est donc pas un adjectif, mais bien un substantif ayant son genre et son nombre propres, et c’est la raison pour laquelle il ne s’accorde pas avec cheveux. Clair, par contre, est bel et bien un adjectif, et il est masculin singulier par accord avec brun. La critique de Lord, qui propose de réserver l’enseignement des exceptions aux apprenants qui ont une bonne maîtrise de la langue, perd donc de sa pertinence si l’on considère que ces exceptions résultent d’un classement erroné des mots en cause et qu’elles ne se manifestent pas lorsqu’on procède à une analyse adéquate de leur nature, une analyse qui élimine ces exceptions et maintient la validité de la règle d’accord des adjectifs. On élimine ainsi un obstacle à l’appréciation de la systématique de la langue.

Une autre critique adressée à la grammaire traditionnelle par les auteurs est la maigre place réservée à la syntaxe, en comparaison de celle qui est accordée à la morphologie. En effet, l’analyse traditionnelle est d’abord axée sur le mot et sur sa morphologie — bien qu’elle n’ignore pas la syntaxe — alors que la nouvelle analyse proposée est axée essentiellement sur la syntaxe, laquelle y a préséance sur la morphologie. Chartrand (p. 34) reprend les observations de Roulet (1972), qui signale que, dans le Précis, « une quarantaine de pages sont consacrées à la morphologie verbale alors qu’aucune ne donne d’informations syntaxiques sur le régime des verbes », ce qui implique, selon les auteurs, une analyse incomplète du système verbal. S’il est vrai de dire que le chapitre consacré au verbe dans le Précis est principalement centré sur la morphologie, on y trouve

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quand même des explications sur le régime des verbes transitifs et intransitifs, c’est-à-dire sur les verbes qui admettent un objet et ceux qui n’en admettent pas, ainsi qu’une étude des fonctions syntaxiques par rapport au verbe. Par ailleurs, autant chez Roulet que chez Chartrand, la critique porte principalement sur le nombre de pages en cause, mais il s’agit là d’une considération superficielle, puisque la section sur la morphologie comprend des tableaux de conjugaison, ce qui occupe un espace considérable dans cet ouvrage. L’essentiel n’est pas le nombre de pages consacrées au traitement d’un sujet, mais bien le traitement du sujet lui-même, à savoir la présence de toute l’information nécessaire à propos des types de verbes ainsi que des différentes fonctions que peuvent remplir les unités qui peuvent entrer dans la composition des syntagmes verbaux (par exemple les fonctions sujet, objet, attribut…). Finalement, la critique de ces auteurs n’est faite que sur la base du Précis – qui, par définition, est un résumé, un exposé de dimension très limitée. On n’y trouve donc qu’un certain nombre d’informations, et il est nécessaire de se référer à un ouvrage plus complet (comme Le Bon Usage) si l’on souhaite obtenir plus de détails ou d’explications sur une question en particulier. Il aurait été pertinent pour les auteurs de baser leur étude de la grammaire traditionnelle sur l’analyse proposée par plus d’un ouvrage afin d’en dresser un portrait plus réaliste et plus complet. Cela ne signifie pas que l’analyse proposée en grammaire traditionnelle soit adéquate, mais que la critique mise de l’avant par les tenants de la « nouvelle grammaire » ne pas démontre en quoi elle ne le serait pas.

Les auteurs signalent également que la grammaire traditionnelle n’offre pas de critères de reconnaissance précis et mutuellement exclusifs pour que les élèves soient en mesure de distinguer les différents types de concepts en cause. Lord donne pour exemple le cas du verbe qui, selon la grammaire traditionnelle, « est un mot qui exprime une action ou un état » (Ibid. : 54). Elle se demande « [q]ue faire alors des verbes penser, considérer et

rougir» (Ibid. : 54) qui, selon la « nouvelle grammaire », ne sont ni des actions ni des états.

En effet, les auteurs ont établi un plus grand nombre de sous-catégories pour classer les verbes. Ainsi, penser et considérer seront des verbes d’« opinion » ou de « sentiment », et

rougir, un verbe de « transformation » (Chartrand et coll., 2011 : 180). On compte aussi les

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venir), d’« existence » (être, dormir, vivre) et les verbes « météorologiques » (pleuvoir, neiger), pour ne nommer que ceux-là. À ce sujet, notons que les verbes d’état ne font pas

partie de la liste. Par ailleurs, les auteurs ne précisent pas ce qu’il faut faire lorsqu’un verbe est utilisé au sens figuré (Il pleut des confettis). Il semble donc que pour les auteurs, tous les verbes ne soient pas ou bien une action, ou bien un état, et qu’il faille créer des catégories plus particulières. Cependant, ce classement ne tient que de la valeur lexicale de ces verbes. En effet, les auteurs n’ont pas considéré la représentation grammaticale de l’événement, qui manifeste un phénomène dynamique (une action) — Pierre va à l’école aujourd’hui — ou statique (un état) — Pierre va bien aujourd’hui. Le verbe est fondé sur un morphème grammatical d’aspect, qui fait que tout verbe représente un événement, ce qui n’est pas le cas du nom – lexicalement, le nom peut aussi représenter une action (la course, la danse), mais dans ce cas, l’événement ne relève pas d’une morphologie grammaticale commune à tous les noms, comme c’est le cas dans le cadre du verbe. La composante lexicale d’un mot (qu’elle représente une action, un état ou autre chose) n’a pas d’incidence sur son appartenance à une catégorie grammaticale, ni sur son comportement en syntaxe; c’est la composante grammaticale qui détermine cette appartenance (dont l’aspect dans le cas du verbe) et qui conditionne ce comportement. Ainsi, tous les concepts qui se conjuguent, et uniquement ces concepts, sont des verbes personnels et se prêtent à des fonctions comme celle de prédicat qui sont propres au verbe. Le verbe penser, considéré par Lord, varie

en aspect :

(1) Il pensait / il pensa en personne :

(2) Je pense / Il pense en temps :

(3) Tu penses / Tu pensas / Tu penseras ou en mode :

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(5) On sait que tu fais ton travail / On veut que tu fasses ton travail

ce qui en fait bel et bien un verbe, et qui, dans tous ces exemples remplit une fonction de prédicat à l’égard d’un sujet. Par contre, dans « La danse est mon activité favorite », danse ne varie pas en personne, en temps ou en mode, mais a un genre (féminin) et un nombre (singulier), ce qui en fait un nom et non un verbe, un mot qui ne peut remplir la fonction de prédicat. Le lexème « danse » n’y détermine pas un événement — action ou état — représenté par un aspect, mais une propriété spécifique de ce qui appartient à l’ensemble dont on parle, et qui s’oppose à d’autres lexèmes qui déterminent les propriétés spécifiques d’ensembles différents (course, natation, cyclisme…).

Par ces critiques, Chartrand et Lord ont cherché à démontrer (parfois de façon maladroite, incomplète ou inexacte, comme il a été possible de le faire remarquer) que la grammaire traditionnelle présentait certains problèmes auxquels les didacticiens ont voulu remédier en se fondant sur un mode d’analyse différent pour améliorer l’enseignement du français. C’est dans ce contexte que le renouvellement de la grammaire a été mis en place, renouvellement qui, selon Paret (2010 : 54)

était nécessaire pour introduire davantage de rigueur, permettre un certain niveau de systématisation dans l’étude de la langue en classe, avoir en main un outil pour l’observer, pour réfléchir sur ses mécanismes, ce qui était beaucoup plus difficile avec la grammaire traditionnelle aux définitions et critères peu homogènes.

La « nouvelle grammaire » est une « étiquette à usage scolaire uniquement », selon l’expression de Paret (1996a : 113). Il ne s’agit donc pas de l’exploitation d’une théorie linguistique à proprement parler, mais plutôt d’un ensemble de « concepts et de procédures opératoires pour la classe de français » (Ibid. : 114) – les auteurs ont donc choisi les notions qui leur semblaient être les plus accessibles ou les plus compréhensibles pour les élèves parmi toutes celles offertes par les cadres théoriques exploités, ce qui semble exclure la valeur sémantique des mots et des fonctions, qui, selon les mots des Nadeau et Fisher, est « moins fiable » (2006 : 87) que la syntaxe ou la morphologie.2

2 Certains auteurs sont toutefois plus nuancés : dans Chartrand et coll. (2016 : 30), on indique qu’il est

« essentiel de tenir compte du sens quand on travaille sur la langue, car c’est par le sens que les humains appréhendent le langage et c’est du sens qu’ils créent au moyen de la langue. » On persiste toutefois à ne

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Or, ce n’est pas l’analyse en elle-même qui devrait être adaptée au niveau des élèves, mais bien la présentation qu’on en fait en classe. L’analyse grammaticale devrait rendre compte des faits observés dans le discours et être utilisable en dehors du réseau scolaire. Comment les enseignants et les élèves peuvent-ils avoir une bonne compréhension du système linguistique si l’analyse est, à la base, incomplète? Il est donc important que l’outil qui est offert aux enseignants soit complet et exact; ceux-ci pourront ensuite faire les choix pédagogiques qui s’imposent en fonction du niveau et de l’âge de leurs élèves.

Bien que la « nouvelle grammaire » découle fondamentalement de l’analyse de la grammaire générative, elle ne lui emprunte « qu’une partie très restreinte de ses résultats et de son appareillage théorique », celui qui correspond aux éléments que les didacticiens jugent « les plus susceptibles d’aider efficacement dans l’apprentissage de la langue » (Ibid. : 113), c’est-à-dire « un modèle de la phrase, le concept de syntagme ou de « groupe », des procédures de définition, les catégories ou classes grammaticales, le concept de grammaticalité, une conception hiérarchique des structures de la langue et les concepts de récursivité et de transformation » (Ibid. : 114) ainsi que « la notion de manipulations syntaxiques » et « l'étendue (sic) de la grammaire aux phénomènes textuels » qui provient du développement de la linguistique textuelle : « Apparaissant à un moment où la grammaire générative dominait sans partage, la grammaire textuelle en a tout naturellement adopté les postulats, à savoir qu’il existerait un ensemble de règles capables de rendre compte de la bonne formation de la totalité des textes. » (Reinhart, 1980, dans Vandendorpe, 1995 : 86) Or l’appellation de grammaire textuelle ne convient pas dans la mesure où les relations qui s’établissent, d’une part, entre les mots pour former des phrases et, d’autre part, entre les phrases pour former des textes ne sont pas de la même nature. À l’intérieur d’une phrase, tous les mots ont une fonction les uns par rapport aux autres – il s’agit de relations de détermination qui relèvent de la grammaire. Un mot qui n’aurait de relation de détermination avec aucun autre mot ferait phrase à lui seul (c’est le cas, par exemple, dans : Oui, il viendra demain, où oui fait phrase à lui seul). Cela n’empêche pas que des relations logiques puissent s’établir à l’intérieur d’une même phrase (par exemple

considérer que le sens lexical, ce qui fait dire que le sens « ne permet pas de distinguer les classes de façon univoque » (un verbe et un nom pouvant tous les deux représenter une action, par exemple), sans se fier au sens grammatical, qui permettrait clairement de distinguer nom et verbe (cf. chapitre 3).

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par renvois anaphoriques : Pierre a dit qu’il venait avec sa femme), mais dans ce cas, il ne s’agit pas de relations de détermination mais bien de relations logiques, ces dernières se superposant aux premières. Par contre, les phrases n’ont pas de fonction grammaticale les unes par rapport aux autres; les relations de cohésion et de cohérence qui s’établissent entre elles relèvent de la logique. De donner le nom de grammaire à deux phénomènes distincts risque d’engendrer des confusions.

Gobbe (1978) fait une description précise des notions qui sont empruntées à la grammaire générative. L’une des notions reprises de la grammaire générative transformationnelle est le postulat de base : « Il existe dans chaque langue un nombre restreint de phrases noyaux ou de phrases de base (‘kernel sentences’) et un nombre restreint de transformations qui permettent de passer des phrases de base aux phrases

dérivées. » (Ibid. : 61) La langue est donc conçue comme un ensemble de structures

profondes de phrase et de règles de transformation qui servent à dériver les structures de surface observées. Ce postulat est au cœur de la « nouvelle grammaire » : les didacticiens en ont fait l’outil principal de l’enseignement de l’analyse grammaticale. Il y a cependant lieu de noter qu’en « nouvelle grammaire », il n’y a qu’une seule « phrase de base », alors que Gobbe affirme qu’en grammaire générative, il y en aurait un nombre restreint. Par ailleurs, Gobbe ne précise pas quelles seraient les différentes structures caractéristiques de ces phrases.

Une autre notion reprise de la grammaire générative transformationnelle est l’utilisation des règles de cette grammaire : les règles de réécriture, qui « conduisent du symbole le plus abstrait à des symboles terminaux, non susceptibles de réécriture » (Loc.

cit.) — il s’agit du processus de description hiérarchique des structures de phrase où ces

symboles abstraits correspondent à des termes du métalangage grammatical, alors que les symboles terminaux correspondent aux mots du langage qui y sont substitués — et les règles lexicales, qui permettent de classer les mots selon leur catégorie grammaticale (on ne sait pas pourquoi ces règles sont dites « lexicales » alors qu’il s’agit de catégories « grammaticales »), constituent la « structure profonde de la phrase, c’est-à-dire une phrase abstraite générée par l’application de ces règles » (Loc. cit.). Cette phrase peut être analysée

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à l’aide d’un arbre descriptif (qui met en cause des relations entre les éléments qui ne sont pas définies, sinon par leur position dans l’arbre). La phrase en structure profonde subit des transformations pour « générer » la structure de surface, « c’est-à-dire l’organisation syntaxique de la phrase telle qu’elle se présente » à l’observation (Ibid. : 62). On ne sait cependant pas sur quoi les grammairiens se fondent pour décrire la structure sous-jacente à laquelle ils appliquent des transformations, puisqu’elle n’est pas observable. Pour passer à la structure de surface, il faut appliquer les règles de transformation syntaxique, qui « entraînent, globalement, la suppression, la substitution, la permutation ou l’adjonction d’un ou de plusieurs symboles » (Loc. cit.), et les règles de transformation morphophonologique, qui comprennent les règles d’accord, de liaison et d’élision. C’est ce qui permet, selon la grammaire générative transformationnelle, d’obtenir les phrases qui sont réalisées dans le discours. En « nouvelle grammaire », la notion de transformations syntaxiques est reprise. Il s’agit même de l’un des éléments les plus importants, car on demande aux élèves de se servir de ces manipulations pour construire et analyser les phrases. Par contre, les règles de transformation morphophonologique ne jouent pas un rôle important dans les ouvrages consultés pour cette étude.

Ces éléments mettent en lumière qu’il y a, entre la grammaire traditionnelle et la « nouvelle grammaire », un changement important en ce qui concerne la conception de la langue : selon la grammaire traditionnelle, ce sont les mots qui permettent de construire les phrases où ils remplissent une fonction, alors que selon la « nouvelle grammaire », ce sont les transformations qui permettent d’obtenir les phrases de surface qu’on observe, à partir de la structure profonde abstraite d’ordre syntaxique qui constituerait la langue.

2.3. Examen critique des théories et des explications proposées en « nouvelle grammaire »

Bien que les concepteurs de la « nouvelle grammaire » visent à remédier à certaines incohérences de la grammaire traditionnelle, la solution de rechange qu’ils proposent engendre également un certain nombre de problèmes dont il y a lieu de faire état parce qu’ils ont une incidence importante sur la pédagogie. Il y a également lieu de voir si les

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concepteurs de la « nouvelle grammaire » respectent leurs propres critères d’analyse : Paret (1996a : 112-113) considère que la grammaire qui « offrirait les meilleures ressources pour un réel travail sur la langue qui puisse avoir des conséquences positives sur sa maîtrise » devrait proposer :

 des définitions des classes, des structures et des fonctions qui soient claires et opérationnelles, c’est-à-dire sur lesquelles l’élève puisse se fier […]. Pour cela, ces définitions devront s’appuyer sur des critères homogènes et mutuellement exclusifs;

 des règles explicites, non seulement à propos de l’orthographe grammaticale, mais aussi à propos de la construction des phrases;

 des procédures de découverte bien définies qu’on puisse utiliser comme des tests systématiques.

Un examen des analyses proposées en « nouvelle grammaire » permettra de déterminer si ces critères sont respectés, et dans quelle mesure ils le sont, le cas échéant.

Ce travail critique porte uniquement sur l’analyse grammaticale qui est proposée en « nouvelle grammaire », sans évaluer la démarche active de découverte proposée par Chartrand.3

2.3.1. Étude de la phrase et de ses composantes

Comme l’objet de notre étude est la transitivité, il y a lieu de voir dans quel cadre d’analyse le problème est posé par la « nouvelle grammaire » ». Il faut s’attarder d’abord au fait que l’analyse est axée dès le départ sur la syntaxe, d’où l’importance des explications données au sujet de la phrase. Les choix théoriques sur lesquels est fondée la méthode proposée ont une incidence fondamentale sur l’analyse des composantes de la phrase et des relations grammaticales établies entre ces composantes, et donc sur l’analyse de la transitivité.

3 Pour plus de détails à ce sujet, voir : Chartrand, S.-G. (1995). « Enseigner la grammaire autrement : animer

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28 2.3.1.1 La phrase de base ou le Modèle P4

Le premier outil offert aux élèves en « nouvelle grammaire » est une définition a priori d’une structure de phrase qu’on appelle le « Modèle P », une structure unique qui est proposée comme base de toute la syntaxe et de presque toute l’analyse grammaticale. On définit ainsi dès le départ une structure canonique comme un prototype auquel on se réfère pour l’analyse des phrases qui font l’objet du travail en classe (Paret, 1996a : 115). Ce prototype établit que le Modèle P — une structure qu’on postule sous-jacente à toute phrase produite et observable — est minimalement et obligatoirement constitué d’un groupe nominal sujet5 (GN) et d’un groupe verbal prédicat (GV). Il s’agit de ses constituants

obligatoires, ceux dont en principe aucune phrase ne pourrait se dispenser. Il s’agit toutefois d’une définition de principe qui ne correspond pas aux faits d’observation, comme permettent facilement de le constater les phrases de l’extrait suivant:

(6) La poussière si fine qu’elle s’infiltre partout. Les baraquements temporaires en bois des camps avancés. Les dortoirs construits dans des conteneurs de transport en métal, sans fenêtre, exigus. Les patrouilles dans les villages, les convois de véhicules blindés, les déplacements en hélicoptère… Et la peur. Omniprésente, même si tout le monde tente de la contrôler à sa façon là-bas. (A. Castonguay, « Jour du souvenir : pour ne pas oublier ceux qui souffrent en silence », L’actualité, 11 novembre 2014)

Les constituants en cause sont donc obligatoires uniquement parce qu’on postule, dès le départ, qu’ils le sont. Ce Modèle P peut aussi comporter des compléments de phrase (CdeP) qui sont dits facultatifs, car il s’agirait de ceux dont la phrase pourrait se dispenser selon cette grammaire. Cependant, les auteurs affirment par ailleurs que la phrase est autonome

4 La dénomination phrase de base était employée dans la GPFA (2011). Cependant, dans un ouvrage de 2016,

Chartrand et coll. précisent qu’ils préfèrent parler de Modèle P (p.36).

5 La terminologie varie selon les auteurs : Paret (1996a : 155) parle de groupe du nom comme constituant de

la forme sous-jacente, alors que Chartrand et coll.. (2011 : 68-69) préfèrent parler de constituant obligatoire ayant la fonction de sujet, et pouvant se réaliser sous la forme d’une groupe du nom (GN), d’un pronom, d’un groupe verbal infinitif ou d’une phrase subordonnée. Ils précisent à ce propos que le GN est la réalisation la plus fréquente de la fonction sujet, ce qui explique que celle-ci soit souvent notée GNs. Ils ajoutent, non sans raison, que « Ceci est dommageable, puisqu’on associe le GN à une seule des fonctions qu’il peut remplir et qu’on amalgame groupe et fonction syntaxique. » Il y a cependant lieu de se demander pourquoi certains auteurs maintiennent cet amalgame s’il est « dommageable » pour la pédagogie.

Figure

Figure 1 : illustration des relations grammaticales et logiques (tirée de Grégoire, 1993 : 211)
Figure 3 : apport de désignation à un substantif nominal (Ibid. : 212)
Figure 6 : apport de prédication (Ibid. : 214)
Tableau de référence pour l’identification des parties du discours :  verbe infinitif, verbe personnel et participe
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