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La révolution commerciale. La grande mutation des maisons de négoce languedociennes (1900-1970)

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La révolution commerciale

La grande mutation des maisons de négoce en vins languedociennes (1900-1970)

Stéphane Le Bras

UPPA-Pau/ CRISES-Montpellier III

Mots-clés : négoce, mutations, Languedoc, vins, commerce

Résumé : Entre 1900 et 1970, les négociants en vin sont des acteurs centraux du monde viti-vinicole

languedocien. Rouages essentiel de la filière, assurant le lien entre des viticulteurs dont ils connaissent et maîtrisent les stocks et des consommateurs qu’ils approvisionnent et dont ils estiment les besoins, les négociants languedociens sont à la tête de maisons de commerce qui, au rythme des périodes de crise et de prospérité, connaissent une profonde mutation. Si le travail de la terre enregistre des mutations techniques d’envergure, la fonction de négociant, la nature des maisons de commerce et les activités qui y sont liées sont également profondément transformées au long du siècle. Les maisons de négoce du début du siècle, aux contours artisanaux et parfois dépassés, sont, petit à petit, remplacées par des entreprises plus ou moins performantes et innovantes, mais aux stratégies de développement affirmées et aux techniques commerciales adaptées au contexte fluctuant de l’économie viti-vinicole. Pourtant, à partir des années 1930, la grande majorité des maisons disparaît, emportée par la concurrence et les exigences d’une filière en pleine mutation. Seules survivent alors les maisons qui arrivent à assurer une gestion de crise permanente.

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Les méthodes commerciales se sont transformées. Jadis un grand nombre de commerçants achetaient en espérant revendre plus cher ou vendaient à découvert. Aujourd’hui le nombre de commerçants en vins a diminué de plus de 50 %. Ces commerçants qui ont disparu ont été remplacés par de très grandes maisons d’embouteillage qui se sont installées dans les grands centres de consommation. La vente des vins en bouteilles a totalement modifié le commerce des vins car elle nécessite des investissements importants pour racheter le matériel nécessaire à cette mise en bouteilles.

Le commerce, en un mot, est devenu une industrie.1

C’est par ces lignes que Jean Valéry, alors à la tête du Midi Vinicole, expose quelques-unes des grandes évolutions qui ont frappé le négoce méridional depuis le début du siècle. Proche des milieux commerciaux et directeur du bihebdomadaire depuis les années 1930, Jean Valéry2 exprime ici le sentiment ressenti par l’ensemble de la profession : le commerce a connu, en quelques années, une profonde mutation.

Celle-ci est multiple. Elle concerne à la fois le domaine technique du métier de négociant (infrastructures, manipulations, conservation), la dimension commerciale (réseaux d’approvisionnement et de distribution, types de concurrences, pratiques), mais également la visibilité du négoce méridional dans le paysage viti-vinicole languedocien.

Or, depuis l’époque moderne, le négociant est un personnage incontournable de la filière viti-vinicole languedocienne3 : par son inscription dans des réseaux de distribution plus ou moins vastes, c’est lui qui permet l’écoulement de la production méridionale au-delà des frontières de la région. À la fin du XIXe siècle, son intercession et ses réseaux sont rendus d’autant plus nécessaires pour la filière que cette dernière connaît une mutation sans précédent. En effet, la reconstitution post-phylloxérique a engagé la région dans une course aux rendements qui fait basculer le Midi (Aude, Gard, Hérault, Pyrénées-Orientales) dans une profonde dépendance vis-à-vis de l’activité viti-vinicole. C’est la naissance de ce « vignoble de masse », décrit et analysé par Gaston Galtier4. Dès lors, on entre dans une nouvelle ère, celle de la viticulture industrielle, produisant décennies après décennies toujours plus, à la fois pour amortir les investissements massifs de la période post-phylloxérique5 et pour répondre à une demande elle aussi en augmentation, notamment dans les centres urbains du Lyonnais, du Nord, de l’Est et de la Région parisienne.

Pour écouler cette production massive dont les fluctuations font vivre les populations locales au gré des périodes de crise et de prospérité6, il est vital de disposer d’un outil de commercialisation puissant et efficace, d’une interface capable de lier production et consommation, d’un intermédiaire assez solide pour faire fructifier cet or rouge qui s’écoule avec abondance des sols languedociens. Dans ce nouveau contexte, les maisons de commerce, aux caractères largement artisanaux, sont forcées de trouver de nouvelles stratégies pour conserver ou conquérir de nouveaux marchés.

1 Midi Vinicole [MV dorénavant], éditorial, 16 janvier 1965.

2 Né à Sète en 1899 (ou 98), J. Valéry est le neveu de Paul Valéry. Deux fois par semaine, il propose dans

l’éditorial du MV, « La Situation vinicole », une chronique où il détaille l’état du marché des vins languedociens. Il en ressort une analyse souvent fine mais influencée par une idéologie libérale dont la proximité avec le discours tenu dans les milieux commerciaux est notable.

3 GERAUD-PARRACHA G., Le commerce des vins et des eaux-de-vie en Languedoc sous l’Ancien Régime,

Montpellier, Déhan, 1957.

4 GALTIER G., Le vignoble du Languedoc méditerranée et du Roussillon : étude comparative d’un vignoble de

masse, Montpellier, Causse, Graille et Castelnau éd., 1953.

5 Pech R., Entreprise viticole et capitalisme en Languedoc Roussillon du phylloxéra aux crises de mévente,

Presses du Mirail, Toulouse, 1975.

6 GAVIGNAUD-FONTAINE G., Le Languedoc viticole, la Méditerranée et l’Europe au siècle dernier (XXe, Montpellier, Publications Universitaires de la Méditerranée, 2e éd., 2006.

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Cette communication se propose donc de mettre en lumière l’évolution multidirectionnelle des maisons de commerce languedociennes et leur capacité d’adaptation aux nouvelles exigences du marché des vins. Il s’agira ainsi de montrer comment, depuis les premières crises de mévente jusqu’à l’instauration du Marché commun pour les vins, les négociants appréhendent ce nouveau contexte en proposant des mutations qui touchent à la fois leurs pratiques mais également la nature de leur maison.

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Le négoce rayonnant (1900-1930)

Entre 1900 et 1930, le négoce languedocien connaît une période qui lui est très nettement favorable et qui se matérialise par la progression des effectifs : par exemple, entre 1900 et 1925, on passe de 141 à 261 maisons de commerce à Béziers ; 180 à 196 à Montpellier ; 30 à 81 à Frontignan7. Il domine un marché des vins irrégulier8 mais dont il est l’un des intermédiaires indispensables. Dans le même temps, les maisons de commerce enregistrent une modernisation profonde.

Un intermédiaire indispensable

À plusieurs titres, le négoce languedocien est indispensable à la filière viti-vinicole régionale.

Tout d’abord car, nous l’avons évoqué plus tôt, c’est lui qui permet l’écoulement de la production locale. Dans un article sur le fonctionnement du marché des vins en Languedoc-Roussillon, Rémy Pech indique que les négociants locaux portent le nom de « chargeurs » car « installés dans les villes du Languedoc, ils regroupent les vins régionaux et les expédient vers les places de consommation »9. C’est effectivement la fonction principale des négociants méridionaux : expédier les vins du Midi vers ce qu’on appelle l’ « Extérieur10 », c'est-à-dire les grands centres de consommation nationaux. Concrètement, le cœur de la clientèle des négociants méridionaux sont les grands centres urbains (Lyon, Paris, Nord) qui connaissent depuis la seconde moitié du XIXe siècle une croissance démographique marquée ainsi que les régions du Centre de la France (depuis le Massif Central jusqu’au sud du Bassin Parisien) et l’Est de la France.

Le négociant assure ainsi, à travers des réseaux de distribution multiples, l’expédition des vins languedociens. Pour ce faire, en amont, il est en contact permanent avec le monde de la viticulture auprès duquel il se fournit. Ce contact est assuré par le biais de courtiers qu’il reçoit tous les jours dans ses chais ou à son domicile. Ces derniers apportent au négociant les échantillons de marchandises que des propriétaires cherchent à vendre. Une fois le vin goûté, une discussion s’instaure entre le propriétaire et le négociant au sujet du prix. Cette étape est généralement assurée par le courtier qui connaît les exigences des uns et des autres. Après l’accord oral et l’analyse du vin par le négociant, celui-ci confirme par écrit son achat au

7 Annuaire de l’Hérault, 1900-1925.

8 Crises de méventes en 1905-1907, en 1921, en 1926 ; perturbations pendant la Première Guerre mondiale et

dans l’immédiat après-guerre.

9 PECH R., « L’organisation du marché du vin en Languedoc-Roussillon aux XIXe et XXe s. », Études Rurales,

avr.-déc. 1980, 78-80, p. 105.

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propriétaire, en indiquant les modalités de retiraison et de paiement. Il verse alors un acompte au propriétaire puis des traites mensuelles ou au moment des retiraisons.

De fait, par cet apport financier dans les circuits viticoles, le négociant est un agent économique indispensable. Il fait souvent office jusqu’aux années 1930 de « banquier de la viticulture » et si Gilles Postel-Vinay souligne que des « circuits fournissent [aux propriétaires] un crédit à court terme »11, ils sont principalement assurés au début du siècle par les négociants. En effet, les propriétaires dans le Languedoc ne disposent pas – jusqu’aux années 1930, avec l’extension du mouvement coopératif dans la région et les effets du Statut vinicole – de suffisamment de vaisselle vinaire ou de moyens financiers pour pouvoir conserver leurs vins. Il leur faut donc les écouler au plus vite afin de faire rentrer de l’argent frais pour assurer le bon fonctionnement de leur propriété (fonds de roulement, investissements à rembourser, fournitures, etc.).

Par ailleurs, face à une production éclatée et atomistique12, les négociants profitent de cette position de force pour adopter sur le marché des vins des attitudes spéculatives qui s’adaptent aux évolutions de celui-ci. Il y a tout d’abord les acheteurs à la hausse. Ces derniers achètent des vins qu’ils stockent en prévoyant (ou en espérant) que le marché va connaître dans les semaines ou les mois à venir une hausse, leur permettant de vendre leur marchandise avec de substantiels bénéfices. C’est là une stratégie risquée mais qui peut être particulièrement profitable. En 1904, le rapport d’inspection de la Banque de France (BDF) indique que la maison biterroise « A. Diot » a réalisé un bénéfice de 500.000 F en raison de la montée de cours lors de la campagne 1902-190313. Cet exemple n’est pas un cas isolé et dans les années 1900, d’autres maisons réalisent de « beaux coups » (ce que sur le marché on appelle des « coups de fusil »). En revanche, certaines maisons connaissent des pertes importantes car elles sont trop « ardentes » ou « joueuses », selon le vocable utilisé par les inspecteurs de la BDF : Castelbon perd 30.000 F en 190514 par exemple.

À l’inverse, d’autres maisons achètent à la baisse. Elles vendent alors un produit qu’elles ne possèdent pas, d’où le nom de « vente à découvert ». Après avoir passé le contrat avec un acheteur, elles espèrent que le marché va baisser pour pouvoir réaliser un profit. Ici aussi, les risques sont nombreux. Ainsi, en 1912, dans le cadre d’une transaction portant sur 90.000 hl, deux vendeurs à découvert préfèrent payer 1 franc par hectolitre de dommages et intérêts à leur client plutôt que livrer une marchandise qui, en raison de la hausse subite et brusque des cours, leur aurait fait perdre 2 M de francs15.

À cette diversité des pratiques d’achat se joint une diversité des types de transactions aval. En effet, dans leurs relations avec la clientèle, les maisons de commerce peuvent vendre les marchandises de deux manières : au forfait ou à la commission. Dans le premier cas, le négociant stocke une partie des marchandises, les traite, les coupe et assure la vinification avant expédition. C’est lui qui est le véritable artisan de vins qu’il confectionne selon les attentes de la clientèle. Dans le cas d’une clientèle de grossistes ou de demi-grossistes, ces vins sont envoyés en grosses quantités, le plus souvent par train, dans de la futaille de grande capacité (demi-muids soit environ 600 l environ) ou dans des wagons-foudres (130-180 hl) puis des wagons-réservoirs (160-200 hl). Pour la clientèle dite « bourgeoise » (particuliers,

11 POSTEL-VINAY M., La Terre et l’argent. L’agriculture et le Crédit en France du XVIIIe siècle au début du XXe siècle, Albin Michel, Paris, 1998, p. 334 et 435.

12 Selon l’expression de l’économiste Jules Milhau.

13 Archives de la Banque de France [ABDF désormais] : Rapport d’inspection de la succursale de Béziers

[Béziers désormais], 1904.

14 ABDF : Béziers, 1905.

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cafetiers, restaurateurs), les vins sont expédiés dans de plus petites quantités : Bordelaises (220 l), fûts (110 l) ou sixains (60 l). Toutefois, bien qu’il existe une certaine spécialisation, les maisons de négoce pratiquent toutes à la fois les expéditions en gros et en barricaille.

La grande nouveauté durant cette période est l’accroissement des ventes à la commission. Dans ce cas, les maisons de négoce ne stockent pas les marchandises, elles ne font qu’assurer la transaction entre un commettant (le client) et un fournisseur (le propriétaire). Elles ne sont donc jamais propriétaires des vins qu’elles achètent pour un tiers. S’il s’agit d’une activité peu risquée et demandant très peu de mobilisation financière (au contraire du forfait qui immobilise les vins pendant 2 à 3 mois), elle rapporte peu car le négociant est payé à la commission. Cette dernière est fixe, quelle que soit l’évolution des cours : à la fin des années 1910, elle avoisine 5 francs par hectolitre environ. En raison des avantages qu’elle procure, notamment sur marché particulièrement soumis aux soubresauts, les maisons de commission se multiplient entre 1900 et 1930 à tel point qu’elles deviennent majoritaires dans les années 1920 à Béziers. Mais ici aussi, il faut noter que toutes les maisons vendent à la commission, même les plus grandes maisons au forfait (« Les fils de Louis Huc » à Béziers par exemple). Néanmoins, cette recrudescence des maisons de commission pure, se spécialisant dans ce type de pratiques, révèle à la fois la recherche par les négociants des structures les plus souples ou les moins coûteuses16 et l’accroissement de la dépendance vis-à-vis de l’extérieur.

Cette évolution dans les pratiques et dans les relations à la clientèle se double d’une modernisation des maisons de commerce elles-mêmes.

Un processus de modernisation majeur

Alors que le marché des vins attire de plus en plus d’acteurs alléchés par les potentiels et rapides bénéfices que celui-ci-procure en période de prospérité (début des années 1900 ; tournant des années 1910 ; Première Guerre mondiale ; années 1922-23), les maisons languedociennes se lancent dans un vaste processus de modernisation. Il leur permet à la fois d’assurer avec efficacité l’écoulement des vins méridionaux mais également de contrer une concurrence extérieure de plus en plus pressante (grandes maisons de négoce lyonnaises, lorraines, parisiennes17 ou étrangères18 qui ouvrent des bureaux d’achat dans la région ; magasins à succursales multiples19).

La première grande mutation est celle qui concerne les infrastructures. C’est, en ce premier tiers du XXe siècle, la transformation la plus importante qui touche le négoce languedocien. Elle est primordiale car elle conditionne à la fois le domaine technique des maisons de commerce mais aussi le domaine commercial. Métier singulièrement artisanal au début du siècle, le négoce des vins se professionnalise pour laisser peu à peu place à des entreprises modernes et efficaces. Fort logiquement, ces progrès ne touchent pas toutes les maisons avec la même intensité et la même force, mais c’est un mouvement général à l’ensemble de la région.

Tout d’abord, les chais des maisons travaillant à forfait connaissent de notables améliorations. En premier lieu, leur superficie s’agrandit. Avec l’accroissement de la

16 Bien souvent, dans les années 1900 et 1910, les propriétaires des maisons de commerce à la commission sont

décrits par les rapports de commerce de la BDF comme n’ayant peu voire aucune surface financière.

17 Citons par exemple la « Société Vinicole de l’Est et du Nord » qui dispose à Sète d’un bureau d’achat des vins

algériens et espagnols dans les années 1920.

18 Comme la maison suisse « Schenk et Cie » qui ouvre un bureau d’achat à Sète pendant la guerre. 19 « Félix Potin » ou « Nicolas » par exemple.

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production et de la demande, il faut disposer de bâtiments plus grands, pouvant stocker plus de marchandise. À Sète, la maison « Cazalis & Prats », spécialisée dans les vins spéciaux et les apéritifs, voit ses capacités de stockage passer de 25.000 hl au début du siècle à 125.000 hl en 192820. Dans une plus petite mesure, la maison « Jeanjean » à Saint-Félix-de-Lodez se porte acquéreur d’un terrain en 1911 sur lequel elle fait bâtir des chais. Ces derniers renferment des foudres permettant de stocker les vins qu’elle expédie par la suite dans le Massif Central ou en région parisienne21. Jusque-là, les Jeanjean se contentaient de gerber de la futaille où ils venaient puiser au gré des demandes. Pour répondre à une demande de plus en plus forte et à un désir de rationalisation des activités de la maison, la famille investit donc dans un entrepôt qui permet de passer du stade de barricailleur à celui de grossiste.

L’intérieur des chais connaît également des modifications notables. Le vin qui était transvasé de futaille en futaille par des pompes à main l’est dorénavant par des motopompes qui se généralisent. Grâce à l’électricité, les plus grandes maisons investissent dans du matériel précieux pour gagner du temps et éviter les pertes : la maison montpelliéraine « Parlier et Krüger » achète dans les années 1920 des pompes mobiles électriques permettant à deux ouvriers seulement de gérer le remplissage de dizaines de fûts22. Les filtres eux-aussi deviennent de plus en plus performants. Jusque-là, ils étaient utilisés par gravité et étaient régulièrement nettoyés en raison du colmatage qu’ils subissaient. Dorénavant, certaines caves sont équipées de pompes-filtrantes23 qui peuvent filtrer de manière continue et sans risque de colmatage. En une journée, jusqu’à 800 hl peuvent être filtrés par une seule pompe. Enfin, les maisons les plus puissantes se dotent de tableaux permettant de gérer les pompages, filtrages et transvasements. À Sète, les chais « Dubonnet » construits quai des Moulins dans les années 1920 disposent de tableaux « Daubron » qui centralisent les commandes et sécurisent le travail des manipulations dans les magasins.

L’ensemble est parachevé par l’apparition puis la généralisation des cuves en ciment. Celles-ci permettent de contenir de manière plus sécurisée et plus hygiénique les vins. Le plus généralement elles sont verrées, c'est-à-dire carrelées de verre, pour maintenir une température de fermentation constante et assurer une bonne tenue qualitative du vin en évitant son altération par les parois24. Par ailleurs d’une contenance supérieure, les cuves en ciment permettent d’accroître les capacités de stockage. Ainsi, à Magalas, les cuves en ciment font leur apparition chez « C. Granier ». Leur contenance moyenne est de 370 hl contre 210 hl pour les foudres en bois25.

Pour faciliter les contacts, accélérer les prises de décisions et assurer le bon déroulement des expéditions, les maisons de commerce se dotent également d’outils performants.

Dans cette optique, le téléphone devient peu à peu un instrument indispensable. Il s’agit là d’un outil primordial dans le commerce des vins car la circulation des informations y est un élément fondamental à sa bonne marche. D’ailleurs, les cafés qui jouxtent les marchés

20 Annuaire de l’Hérault, 1905-1920 et publicités diverses.

21 JEANJEAN M., Vigne et vin en Languedoc-Roussillon. L’histoire de la famille Jeanjean, 1850-2006, Toulouse,

Privat, 2007, p. 62.

22 SIGURET E., « La manutention mécanique des vins dans les grands chais modernes », La science et la vie,

n°57, juin 1921, p. 43. Ces pompes disposent d’un régulateur automatique qui s’arrête quand les fûts sont pleins et qui permet d’éviter les pertes.

23 Dont l’inventeur est M. Daubron.

24 « La fermentation en cuves verrées », Bulletin Mensuel du Syndicat régional des vins du Midi, mars-avril

1914, p. 98-99. Voir également Annuaire de l’Hérault, 1925 - Publicités pour l’entreprise « Fernand Lucher et cie » spécialisée dans les cuves verrées et non verrées à Montpellier ou l’entreprise « Ch. Lingeri » à Béziers dont la renommée dépasse les limites de la région biterroise.

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aux vins dans l’Hérault disposent tous de cabines téléphoniques pour permettre aux courtiers, aux représentants ou aux négociants de faire passer des informations à leurs commettants, à leurs clients ou à leurs employeurs. Ainsi, si l’on considère la ville de Montpellier en 191426, sur 154 maisons de commerce répertoriées dans l’annuaire, 21 disposent d’un service téléphonique, soit 14 %. Il s’agit bien entendu des maisons les plus puissantes et les plus connues de la région : « J. Bonnafous », « Frères Miard », « D. Galtier », « E. et F. Leenhardt », « Frères Roux », « Parlier et Krüger », « Cazalis & Delord » par exemple. Preuve de la diffusion d’un outil indispensable, en 1930, toutes les maisons disposent d’un téléphone. Il figure en bonne place sur les publicités et les lettres à entête, même dans les plus petites maisons comme celle d’un petit négociant de Cessenon-sur-Orb, Jules Augé27.

Dans le même ordre d’idées, le négoce se dote de ce que Casanova et Marre considèrent comme « indispensable » et que les auteurs présentent comme « une annexe nécessaire des chais, un laboratoire d’analyse chimique et bactériologique, dont la direction serait confiée à un spécialiste qualifié »28. C’est un outil lui aussi essentiel dans un contexte où les récriminations – et les poursuites – se multiplient contre le négoce méridional car le laboratoire permet de mieux contrôler les vins (en passe d’être achetés ou stockés). C’est un investissement certain29 mais il aide à se conformer à la loi et aux attentes des clients. Désormais, les maisons de commerce n’ont plus besoin de faire appel à des laboratoires extérieurs et peuvent plus rapidement répondre à une offre de vente de la part d’un producteur, en analysant les vins sur place.

En outre, les maisons de commerce investissent pour certaines dans des moyens de transport de plus en plus efficaces. Peu à peu les charrettes dont disposent de nombreuses maisons pour aller chercher les vins chez les propriétaires ou les expédier à la gare la plus proche sont remplacées par des camions. Ces derniers sont dans un premier temps à plate-forme. On y stocke les fûts ou les demi-muids à l’arrière du camion où ils sont hissés à l’aide d’un treuil mécanique. Dans les années 1920, ils sont rejoints par des camions-réservoir qui permettent de transvaser plus rapidement et plus surement les vins grâce à des pompes ou des compresseurs qui remplissent les réservoirs (50 à 100 hl) sans effort. Pour limiter les frais de location ou l’appel à des sociétés de camionnage, les maisons de commerce méridionales investissent dans ce type de matériel. Quelle que soit leur taille, toutes les maisons travaillant au forfait disposent généralement au moins d’un camion pour transporter une partie de leur marchandise.

Enfin, la dernière grande mutation de la période concerne la nature juridique des maisons de commerce languedociennes. Traditionnellement, les maisons de négoce dans la région sont des sociétés en nom collectif, regroupant plusieurs négociants-associés, souvent les membres d’une même famille, donnant ainsi des raisons sociales du type : « Paul Crozals Frères et fils » à Béziers ; « Leenhardt Eugène et Fernand » à Montpellier ; « Les héritiers de D. Chauvain » à Sète. Mais les associations entre négociants sans liens familiaux sont également nombreuses : « Clarac et Chauvain » à Sète par exemple. Par ailleurs, il existe également des maisons qui sont régies par le régime de la commandite (simple dans la grande

26 Annuaire de l’Hérault, 1914.

27 ADH : 6 U 2 749, Tribunal de commerce de Béziers, Faillite Augé, Correspondance, 1929.

28 CASANOVA P. et MARRE F., Le code du négociant en Vins et Spiritueux, Paris, Editions scientifiques de

France, 1926, p. 371.

29 Casanova et Marre l’évaluent en 1926 à 20.000 F de mise de fond auxquels s’ajoutent le salaire du personnel

et des frais généraux soit au total environ 35.000 F par an. Il nécessite un alcoomètre mais également des pipettes, des tubes, des récipients, un microscope, des outils pour la distillation afin d’isoler l’alcool si nécessaire, etc. Tout cela est acheté à des fournisseurs comme le « Comptoir méridional de la verrerie et des chais » ou la maison « J .Garcia » de Montpellier, spécialisée dans les « Fournitures générales pour les chais ».

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majorité des cas). Dans ce cadre, un investisseur délègue les pouvoirs commerciaux à un tiers comme dans la maison « Pascal et Cie » à Montpellier. Félix Michel, ancien négociant, y finance, à partir de 1919, la nouvelle maison gérée exclusivement par F. Pascal30. Parfois, les commanditaires ne sont pas originaires du monde commercial. C’est le cas avec la maison biterroise « Ferrali et Cie » qui associe deux négociants « sans ressources » à un propriétaire qui apporte la totalité des fonds, soit 70.000 F31.

Dans les années 1920, le régime des maisons de commerce, dans un souci de professionnalisation et de rationalisation ici aussi, mute. Elles changent de statut juridique pour passer pour les plus puissantes et les plus ambitieuses sous le régime des sociétés anonymes tandis qu’une grande part d’entre elles optent pour le statut de sociétés à responsabilité limitée qui est autorisé par la loi en 192532. L’Action Méridionale, l’organe syndical du Commerce local, recommande à ses lecteurs « ces sociétés dont la forme présente […] des commodités très appréciables »33, notamment l’assurance qu’en cas de dissolution (faillite ou non), on ne pourra pas réclamer aux associés plus que les fonds engagés. Par ailleurs, ces nouveaux statuts permettent une gestion plus efficace grâce notamment à une meilleure utilisation des capitaux (actions, réinjections, divisions, augmentations) et à la possibilité de nommer un gérant, qui, chaque année, doit rendre des comptes à une assemblée générale. Cette limitation des risques et cette souplesse gestionnaire tout comme la sécurité inhérente à ce type de statuts poussent les plus grandes maisons à se tourner vers cette solution.

L’ensemble de ces mutations qui touchent à la fois les pratiques et les structures des maisons de commerce entre 1900 et 1930 sont primordiales pendant la période mais également rétrospectivement car elles permettent de faire face à une nouvelle période de difficultés.

Le temps des difficultés : le négoce dans la tourmente (1930-1970)

À partir des années 1930 s’ouvre une nouvelle période pour le négoce languedocien. La conjoncture s’inverse et la tendance sur la longue durée se retourne. Désormais, les périodes de crise sont, de loin en loin, entrecoupées de courtes et rapides périodes de prospérité. De plus, les maisons de commerce doivent faire face à de nombreux éléments contraires à leurs intérêts. En définitive, seules quelques maisons en adoptant des pratiques entrepreneuriales ambitieuses résistent au mouvement d’effacement du négoce local.

L’inexorable effacement du négoce languedocien

Les années 1930 marquent le début de l’érosion commerciale dans le Midi. Elle se manifeste de plusieurs manières.

Tout d’abord, alors que, dans les rapports d’inspection des succursales de la BDF, les inspecteurs évoquent l’irruption de la crise dès 193034, les effectifs des maisons de commerce chutent considérablement. À Béziers, autoproclamée « capitale du vin », on passe de près de 260 maisons de commerce répertoriées dans l’Annuaire de l’Hérault au milieu des années 1920 à 110 à la fin des années 1930. En une quinzaine d’années, le pôle principal de la filière

30 ADH : 131 J 5-2, Fonds Doumergue, notaire à Montpellier, Statuts, « Pascal et Cie », 1918. 31 ABDF : Béziers, 1905.

32 Loi du 7 mars 1925, JORF, 8/03/1925. 33 L’Action Méridionale, 15/04/1925

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viti-vinicole languedocienne enregistre une perte de près de 60 % de son armature commerciale. À Montpellier, la baisse dépasse les 50 %. Les villages sont eux aussi touchés. À Poussan ou à Cazouls-les-Béziers, dans la plaine viticole héraultaise, il n’y a plus que 2 négociants en 1939 contre 4 dans la décennie précédente. En définitive, seuls les centres d’expédition spécialisés arrivent à résister à la crise : dans l’Hérault, Sète et son commerce de vins spéciaux, d’apéritifs et d’importation progresse de 15 % ; Frontignan (VDN, Muscat) de 10 % ; les bourgs ayant fait le choix de la qualité (Saint-Chinian ou Clermont-l’Hérault) connaissent une remarquable stabilité35. Après-guerre, ce déclin se poursuit et touche cette fois-ci l’ensemble des centres d’expédition : il n’y a plus qu’une quarantaine de maisons de commerce à Béziers ou à Frontignan dans les années 1960 ; 37 à Montpellier à la fin de la décennie ; Poussan ou Olonzac voient disparaître les dernières maisons de commerce à la même époque ; Sète compte en 1970 pratiquement deux fois moins de maison de commerce que vingt ans plus tôt (58 contre 99)36. Le constat statistique est accablant. Il est encore plus inquiétant lorsqu’on sait qu’une grande partie de ces maisons de commerce ont une activité très limitée voire sont en sommeil comme le relève l’inspecteur de la BDF dans un rapport très complet en 196137.

Cette atonie commerciale s’explique de plusieurs manières. Tout d’abord, les maisons de la région doivent faire face à une concurrence redoutable. Les clients de l’Extérieur se sont organisés et disposent maintenant de réseaux qui contournent ou mettent sous leur tutelle les maisons de commerce locales. Ainsi, l’une des plus grandes maisons de la région à compter des années 1930 est la CGVMA (Compagnie générale des vins du Midi et d’Algérie). Fondée dans les années 1920, c’est une société anonyme au capital imposant (5 M de F dans les années 1930) et qui réalise des bénéfices conséquents (1,2 M de F en 1931 ; 800.000 F en 1932)38. Or cette société est aux mains d’investisseurs extra-méridionaux : Félix Potin, Dock du Nord, Docks rémois, Soc. nancéienne d’alimentation. Ceux-ci cherchent ainsi à se libérer de l’entremise des négociants locaux pour expédier directement les vins depuis la région languedocienne jusqu’aux centres de consommation où les vins sont coupés et transformés. À cette même époque, quelques sociétés émergent lentement pour s’imposer dans les années 1950 et 1960 : Vins du Postillon, Gévéor, Préfontaines. Ces compagnies commercialisent des vins de marque, vendus en bouteille39, qu’ils fabriquent eux-mêmes à base de vins algériens et languedociens principalement. Les maisons de commerce de la région sont ainsi dépossédées de leur fonction la plus rémunératrice : la confection des vins. Celle-ci est désormais accaparée par des compagnies proches des centres de consommation et qui sont mieux à même de répondre à l’évolution des attentes gustatives des consommateurs. Le coup fatal est porté dans les années 1960 avec l’irruption dans la filière commerciale de la grande distribution. « Casino » ou « Leclerc » s’installent alors sur le marché des vins en même temps qu’ils se lancent à la conquête du pays. Ils se fournissent par le biais de puissantes centrales d’achat afin d’offrir une gamme de vins qui réponde aux souhaits de leur clientèle. D’ailleurs, la presse spécialisée ne s’y trompe pas, soulignant « le rayon vin où toute la gamme des vins du Casino, depuis les vins rouges de consommation courante jusqu’aux plus grandes appellations, est présentée au public d’une façon tout à fait pratique »40.

Ces grands groupes (sociétés à succursales multiples, grand négoce, centrales d’achat) ont désormais besoin d’une matière première peu transformée et pour se la fournir, ils peuvent

35 Annuaire de l’Hérault, 1925-1939 36 Bottin Didot du Commerce, 1945-1970 37 ABDF : Montpellier, 1961.

38 ABDF : Béziers, 1933. Elle brasse environ 500.000 hl par an. 39 La fameuse bouteille consignée appelée « 6 étoiles ». 40 MV, 27/10/1962.

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alors compter sur un nouvel intermédiaire qui, peu à peu, remplace les maisons de commerce : les caves coopératives. À de très rares exceptions, ces dernières, entre leur apparition au début du siècle et les années 1930, ne s’occupent pas de commercialiser leurs vins. Ils sont, encore jusqu’aux années 1950, vendus majoritairement aux négociants. Mais à partir des années 1950, les coopératives de vinification deviennent également des coopératives de commercialisation qui court-circuitent massivement le commerce languedocien. D’ailleurs, significativement, dans le Bottin Didot, à la rubrique « Négoce », les caves coopératives font massivement leur apparition dans cette décennie.

Dans ce contexte, les maisons de négoce réduisent leur activité. Celle-ci diminue en quantité. Ainsi, la maison « C. Granier » qui commercialisait encore jusqu’à 100.000 hl par an dans les années 1920 n’en expédie plus que 10 à 12.000 dans les années 1950-196041. Hormis les maisons consacrées aux vins spéciaux, la grande majorité des maisons de commerce de la région ne pratique plus que la « commission forfaitée » qui a supplanté la commission traditionnelle avec l’instauration de la taxe unique sur les vins et la fin des avantages fiscaux qui y étaient associés (1930). Dans les faits, la pratique la plus courante est donc après-guerre celle de la « commission forfaitée ». Elle reprend les usages de la commission en rajoutant une part aléatoire qui correspond à l’écart des cours entre l’achat et la facturation ainsi qu’une rémunération pour le stockage sur place. Pour qualifier ce nouveau type de négoce, la BDF emploie le terme de « négoce évolué »42, indiquant par la même à la fois la nouvelle nature de ce type de pratique et son adaptation à la conjoncture. Il n’est ainsi pas surprenant de relever que dans le département de l’Hérault, la maison de négoce qui brasse le plus de marchandises et réalise les plus gros bénéfices dans les années 1960 est une maison de commission : il s’agit de la maison « P. Guibal et Cie » à Clermont-l’Hérault43.

Dans ce contexte, les maisons qui perdurent sont souvent celles qui adoptent de nouvelles stratégies entrepreneuriales.

Une perpétuelle gestion de crise

L’effort généralisé de modernisation des années 1900 aux années 1930 n’a été qu’inégalement prolongé dans les décennies suivantes. La permanence de la crise et sa gestion quotidienne ainsi que les restrictions de crédit qui se généralisent à partir de la fin des années 1940 n’encouragent pas les maisons de négoce à poursuivre la nécessaire modernisation pour faire face à la concurrence et aux irrégularités des cours. Ainsi, au début des années 1960, de nombreuses maisons de commerce continuent à adopter des pratiques – notamment administratives – de l’entre-deux-guerres, ce dont se plaint l’inspecteur de la BDF en 1961. En effet, il ne peut accéder aux bilans financiers de certaines maisons qui refusent de les communiquer. Lorsqu’elles le font, ces derniers sont incomplets ou peu rigoureux44. Cela fait dire à Raymond Dugrand en 1963 que le Commerce languedocien est « la juxtaposition de sociétés modernes et puissantes et de petites firmes rétrogrades »45. Mais comme le fait remarquer Dugrand, certaines maisons ont poursuivi leur effort de modernisation.

Ce dernier concerne tout d’abord les moyens d’expéditions. Au même rythme que les innovations techniques, les maisons de commerce se dotent de camions de plus en plus puissants, robustes et fiables. Dès les années 1950, il est alors plus rentable – jusqu’à 600 km

41 ADH : 106 J 202-203 : Fonds Granier, Régie des vins, 1949-1978.

42 ABDF : 1370199402, Fascicule de documentation, « Le négoce des vins », 1962. p. 6. 43 ABDF : Montpellier, 1961.

44 Idem.

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– de faire expédier ses vins par camions que par train46. Par ailleurs, ce mode de transport évite les ruptures de charge et permet de livrer la clientèle plus rapidement. Les wagons-réservoirs se modernisent également. Les maisons qui le peuvent investissent dans des wagons à trois essieux, capable de soutenir un réservoir de 375 hl. À Sète, avec l’apparition des tankers dans les années 1930, les maisons se dotent de pompes et de systèmes d’écoulement souterrains. À la fin des années 1950, 90 % des chais sétois sont reliés par des pipelines, qui peuvent écouler jusqu’à 1.000 hl par heure pour la maison « Dubonnet »47.

Mais c’est surtout dans les chais que les plus importantes innovations sont remarquables. L’électricité qui avait pénétré les chais dans l’entre-deux-guerres se généralise à l’ensemble des magasins et des entrepôts dans les années 1950. À la même période, les charriots et les charriots-élévateurs font leur apparition. Ils remplacent les élévateurs et les grues apparus dans les années 1920 et permettent le transport plus rapide de la futaille ou des caisses48. Les concentrateurs quant-à-eux permettent d’obtenir un degré d’alcool plus élevé tout en réduisant la quantité d’eau présente dans le vin. Investissement massif et risqué apparu dans les années 1930, il se répand dans la région dans les années 1950, assurant de fructueux bénéfices. Les cuves en ciment qui s’étaient, elles, généralisées dans les années 1930 deviennent en acier émaillé dans les années 1960 afin d’assurer une meilleur conservation. L’automatisation, enfin, se développe avec l’embouteillage. Certaines maisons, notamment celles spécialisées dans les vins doux ou les apéritifs se lancent dans l’embouteillage sur place des vins. C’est le cas pour la maison « Cazalis & Prats » qui est la seule à Sète à disposer d’une chaine d’embouteillage. Cela demande un investissement important, à la fois en main-d’œuvre et en machine, pour permettre de mettre les vins en bouteille, les boucher, coller les étiquettes et les capsules. Si au début des années 1950, ce travail est à la fois manuel et mécanique, il est grandement automatisé dans certains chais à la fin des années 1960. Certaines maisons peuvent alors embouteiller plus de 4.000 unités par heure49. Cette nouvelle activité est complétée par l’emballage (dans du carton moulé la plupart du temps ou dans du papier pour le Muscat de Frontignan) et la mise en casier (de 10 ou 12 bouteilles) pour l’expédition50.

D’un point de vue administratif enfin, les négociants les plus modernes adoptent des stratégies de rationalisation, notamment dans les maisons les plus importantes. À Frontignan, une lettre d’Eugène Orsetti, gérant de la maison « V. Anthérieu SARL », à l’administrateur des Contributions indirectes nous apprend que celle-ci emploie un personnel administratif chargé de gérer les documents de régie. C’est un travail considérable car au début des années 1950, la maison frontignanaise établit environ 7.000 acquits-à-caution par an51. Par ailleurs, pour accélérer la prise de décision, de nombreuses maisons investissent également dans les années 1960 dans un Télex afin de faciliter les transactions52.

OOooOO

46 ADH : 4 ETP 257, Fonds de la Chambre de commerce de Montpellier, « Rapport Tirat sur les transports »,

1954.

47 ADH : 4 ETP 261, Fonds de la Chambre de commerce de Montpellier, Stockage des vins, Enquête 1959. 48 « L’équipement moderne du Commerce des Vins », MV, 06/11/1954.

49 Voir les CR du salon de l’embouteillage qui se tient tous les ans à Paris paraissant dans le MV. 50 MV, op. cit.

51 Centre des archives économiques et financières : 2 FI 195, Lettres à en-tête, Lettre du 27/04/1954. 52 Maisons « Shenk SA » ou « Molinier et Cie » à Sète par exemple d’après leurs publicités.

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Au terme de ce rapide exposé, on se rend bien compte de la teneur de cette révolution commerciale. Si cette dernière s’est faite dans un premier temps dans un contexte positif, assurant la prospérité du négoce méridional, les années 1930 marquent une rupture nette avec la période précédente. C’est alors le lent déclin d’une profession qui n’aura pas su s’adapter aux nouvelles conditions du marché et dont les rescapés sont peu nombreux. Après une période de modernisation massive et marquée, c’est le moment des doutes et des inquiétudes. Contrairement à la période 1900-1930, la majorité des maisons rate le train de la modernité et s’enferme dans des pratiques qui les condamnent face à des concurrents de mieux en mieux armés.

Symboliquement, en 1970, la maison « P. Jeanjean Fils », dans le cadre d’un GIE53 (formé avec deux autres négociants régionaux) décide de fabriquer ses propres bouteilles en plastique grâce à une extrudeuse, de les remplir et les emballer dans des cartons, le long d’une chaîne dont la capacité atteint 3.600 bouteilles par heure54. C’est là une évolution particulièrement marquante car la maison « Jeanjean » est spécialisée dans les VCC. En investissant dans la confection et la commercialisation de vins de qualité qu’ils embouteillent eux-mêmes, ils inaugurent une mutation qui marque une rupture nette avec les pratiques antérieures et un négoce qui a, définitivement, disparu.

53 GIE : Groupement d’intérêts économiques. C’est un groupement qui permet la mise en commun de certaines

activités de sociétés, tout en conservant leur indépendance et individualité.

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