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Projet Ecotic. Rapport final. Technologies numériques et crise environnementale : peut-on croire aux TIC vertes ?

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Academic year: 2021

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Projet Ecotic. Rapport final. Technologies numériques

et crise environnementale : peut-on croire aux TIC

vertes ?

Fabrice Flipo, François Deltour, Cédric Gossart, Michelle Dobré, Marion

Michot, Laurent Berthet

To cite this version:

Fabrice Flipo, François Deltour, Cédric Gossart, Michelle Dobré, Marion Michot, et al.. Projet Ecotic.

Rapport final. Technologies numériques et crise environnementale : peut-on croire aux TIC vertes ?.

[Rapport de recherche] Fondation Télécom. 2009, 213 p. �hal-00957836�

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Projet Ecotic

Rapport final

novembre 2009

Technologies numériques et

crise environnementale :

peut-on croire aux TIC vertes ?

Responsable du projet : Fabrice Flipo (Telecom Ecole de Management) Contributeurs :

Cédric Gossart (Telecom Ecole de Management)

François Deltour et Bernard Gourvennec (Telecom Bretagne) Michelle Dobré (Université de Caen)

Marion Michot et Laurent Berthet.

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SOMMAIRE

SOMMAIRE ... 2

RÉSUMÉ EXÉCUTIF ... 5

INTRODUCTION ... 6

1.OBJECTIF ET AMBITION DE CETTE ÉTUDE ... 6

2.MÉTHODOLOGIE ... 7

2.1. Délimitation de l’étude ... 7

2.2. Dispositifs et corpus d’investigation ... 7

2.3. Enjeux épistémologiques ... 7

2.3.1. Interdisciplinarité ... 7

2.3.2. Fil conducteur et hypothèses de travail ... 7

2.3.3. Constructivisme ou naturalisme ? ... 9

3.CONTEXTE GÉNÉRAL DE L’ÉTUDE ... 10

CHAPITRE I. CONTEXTE D’ÉMERGENCE DES « TNIC VERTES » ... 12

1.1.LA SOCIÉTÉ DE L’INFORMATION ET CRISE ÉCOLOGIQUE : HISTOIRE, ENJEUX ... 12

1.1.1. Les grands enjeux de société liés à l’environnement ... 12

1.1.1.1. La fin d’une période euphorique ... 12

1.1.1.2. La « crise environnementale » ... 13

1.1.1.3. Des mesures dont le sens et l’effet restent ambigus ... 15

1.1.1.4. Emergence et évolution de la notion « d’environnement ». ... 16

1.1.2. Les grands enjeux de société liés à la numérisation ... 16

1.1.2.1. Informer et communiquer ... 16

1.1.2.2. L’émergence de la « société de l’information » ... 17

1.1.2.3. L’enjeu de la régulation de la « société de l’information » ... 18

1.1.2.4. De nouveaux besoins de régulation ... 19

1.1.2.5. La question écologique et la société de l’information ... 19

1.1.3. Les transformations des modes de vie ... 21

1.1.3.1. Tendances générales ... 21

1.1.3.2. Les remises en question du modèle de consommation actuel ... 24

1.1.3.3. La consommation des TIC ... 25

1.1.4. Approches théoriques et méthodologiques... 29

1.1.4.1. Philosophie ... 29

1.1.4.2. Sociologie ... 31

1.1.4.3. Sciences de l’ingénieur ... 34

1.1.4.4. Sciences économiques ... 39

1.1.4.5 Sciences de gestion ... 40

1.2.UN BILAN ÉCOLOGIQUE DES TIC, RÉSULTAT DE PRESSIONS CONTRADICTOIRES ... 42

1.2.1. Les effets de premier ordre ... 42

1.2.1.1. Energie ... 43

1.2.2.2. Matières ... 46

1.2.2.3. Toxiques ... 47

1.2.2. Cas du téléphone mobile ... 48

1.2.2.1. Energie ... 48

1.2.2.2. Déchets ... 48

1.2.2.3. Empreinte écologique ... 49

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1.2.2.5. Analyses de cycle de vie (ACV) ... 49

1.2.3. Cas de l’ordinateur ... 52

1.2.3.1. La consommation d’énergie ... 52

1.2.3.2. Analyses de cycle de vie ... 54

1.2.4. Regard critique sur les méthodes ... 61

1.2.5. Les effets de deuxième et de troisième ordre ... 63

1.2.5.1. Un manque de données fiables sur la substitution ... 65

1.2.5.2. Des effets sociaux laissés dans l’ombre ... 67

1.2.5.3. Un cas emblématique : le télétravail ... 67

1.2.5.4. Les scénarios agrégés ... 69

1.2.5.5. Conclusions ... 71

1.2.6. Normes et régulation des TIC ... 72

1.2.6.1. Le contexte normatif... 73

1.2.6.2. Les normes juridiques ... 74

1.2.6.3. Les normes techniques ... 79

1.2.7. Conclusions ... 84

CHAPITRE II. DÉFINIR LES TNIC VERTES : DES ACTEURS EN QUÊTE DE

POSITIONNEMENT ... 86

2.1.EQUIPEMENTIERS ET FABRICANTS ... 87

2.1.1. Les équipementiers : identification des acteurs ... 87

2.1.2 Investiguer les priorités des équipementiers ... 87

2.1.3. Les TNIC vertes, une approche par les produits fabriqués par les équipementiers ... 88

2.1.3.1. Les centres de données ... 88

2.1.3.2. Les ordinateurs personnels ... 90

2.1.3.3. Les téléphones portables ... 91

2.1.3.4. Les télévisions ... 92

2.1.3.5. Les logiciels ... 93

2.1.3.6. Le cas spécifique des infrastructures réseau télécom ... 94

2.1.4. Les TIC vertes, une approche par les priorités des équipementiers ... 95

2.1.4.1. Le respect de la réglementation comme premier horizon ... 95

2.1.4.2. L’efficacité énergétique, levier d’action « évident », et source d’intérêts partagés ... 96

2.1.4.3. L’eco-conception en objectif plus ambitieux ... 97

2.1.4.4. Du discours à la pratique (et son contrôle) ... 98

2.1.4.5. Réponse collective, préoccupation moindre ? ... 98

2.1.4.6. Voir les TIC comme solutions aux problématiques environnementales ? ... 99

2.1.5. Les équipementiers et l’éco-conception : théorie et pratique ... 99

2.1.5.1. Eco-conception et écologie industrielle ... 99

2.1.5.2. Pratique de l’éco-conception : le cas du logiciel EIME ... 101

2.2.DISTRIBUTEURS ... 104

2.2.1. Structure du marché actuel ... 104

2.2.1.1. Qui distribue les terminaux ? ... 104

2.2.1.2. Quels sont les principaux services ? ... 104

2.2.2. Comprendre l’extraordinaire mutation du monde des distributeurs ... 105

2.2.2.1. Comprendre les évolutions en profondeur : l’économie des réseaux... 105

2.2.2.2. Le bouleversement des autres métiers liés aux médias ... 106

2.2.2.3. Des discours prophétiques... 107

2.2.2.4. Comment les opérateurs voient leurs clients ... 108

2.2.4. La « vertitude » chez les opérateurs ... 109

2.2.4.1. L’attitude des distributeurs en général ... 109

2.2.4.2. Quelles pressions de la part des fournisseurs ? ... 110

2.2.4.3. Les engagements volontaires du secteur de la distribution ... 111

2.2.4.4. Les opérateurs : des initiatives disparates qui tendent à s’homogénéiser ... 111

2.2.4.5. Pourquoi le consommateur n’achète-t-il pas « vert » ? ... 112

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2.3.1. Rôle du consommateur dans la dégradation/réparation de l’environnement ... 113

2.3.2. La « sensibilité écologique » : toujours à la hausse ... 116

2.3.3. L’analyse des enseignements des groupes de discussion « téléphone portable » et « ordinateur » ... 118

2.3.3.1. La dimension écologique des NTIC est encore (largement) méconnue ... 120

2.3.3.2. Les NTIC sont-elles bonnes ou néfastes pour l’environnement? ... 124

2.3.3.3. A quoi servent les TNIC ? Représentations ordinaires des outils de communication téléphone portable et ordinateur ... 130

2.3.3.4. Portrait robot de l’ordinateur/téléphone portable écologique ... 134

2.3.3.5. Qui peut/doit agir pour verdir les TNIC ? La question de l’agency : visions croisées des capacités d’action du consommateur et des autres acteurs ... 138

2.4.ASSOCIATIONS ÉCOLOGISTES ... 144

2.4.1. Les associations écologistes et « la société civile » ... 144

2.4.2. L’action de Greenpeace ... 144

2.4.3. L’action du WWF ... 150

2.4.4. Greenpeace, WWF : des convergences fortes ... 153

2.5AUTORITÉS PUBLIQUES ... 155

2.5.1. Au niveau européen ... 155

2.5.2. Au niveau français ... 157

CONCLUSION. QUEL AVENIR POUR LES TIC VERTES ? ... 159

BIBLIOGRAPHIE ... 178

ANNEXES ... 190

ANNEXE 1 : LA DIRECTIVE EUP ... 190

ANNEXE 2 : PÉRIMÈTRE DES ÉTUDES ADEME ET NOKIA ... 195

ANNEXE 3 : ÉTUDE DE NORMALISATION ADEME ... 197

ANNEXE 4 : RÉSULTATS DES ÉTUDES ADEME ET NOKIA ... 198

ANNEXE 5 : RÉSULTATS DE L’ÉTUDE DE SENSIBILITÉ DE L’ADEME ... 199

ANNEXE 6 : COMPOSITION DU FOCUS-GROUP ORDINATEURS ... 200

ANNEXE 7 : COMPOSITION DU FOCUS-GROUP TÉLÉPHONE PORTABLE .... 201

ANNEXE 8 : GUIDE D’ENTRETIEN ... 202

ANNEXE 9 : ACHATS PUBLICS RESPONSABLES ET TNIC ... 206

ANNEXE 10 : PRESENTATION EIME ... 211

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RESUME EXECUTIF

La prise de conscience d’une crise environnementale majeure ainsi que la numérisation croissante de nos modes de vie constituent deux éléments saillants des transformations actuelles de notre société. Notre étude a pour objectif de mieux comprendre la nature du lien entre ces deux facettes de notre société et questionne les enjeux écologiques des technologies numériques de l’information et de la communication (TNIC).

Le terme de « Green IT » ou « TIC vertes » commence à se diffuser, afin d’affirmer le potentiel écologique de ces technologies ou, au contraire, d’en souligner le caractère usurpateur. La production et l’usage des TIC participent-ils à rendre notre société plus écologique ou bien génèrent-il des pollutions et des « effets rebonds » qui pourraient bien faire plus qu’annuler les bénéfices escomptés ? Notre étude vise à dresser un tableau de la réalité des TIC vertes et pose la question : peut-on croire aux « TIC vertes » ?

Pour répondre à cette interrogation, notre étude s’appuie sur une approche interdisciplinaire relevant à la fois des sciences sociales (philosophie, sociologie, sciences politiques, gestion, marketing) et des sciences de l’ingénieur. La méthode de recherche mobilise conjointement une large revue de la littérature académique et professionnelle, des entretiens avec des acteurs clés ainsi que des techniques de focus group auprès d’utilisateurs des TNIC.

Dans la première partie de l’étude, un bilan des connaissances sur le domaine est réalisé. Suite à un panorama des grands enjeux, un état des lieux est apporté sur la question environnementale en lien avec le développement des technologies numériques. Les chiffres clés sont présentés, montrant l’urgence de la question. Les méthodes d’analyse actuelles permettant d’évaluer le caractère environnemental des technologies numériques sont étudiées d’un point de vue critique : centrées sur les effets directs « de premier ordre » et sur le cycle de vie des technologies, ces méthodes d’analyse ne soulèvent généralement pas ou peu les questions sociales et sociétales qui s’imposent.

La seconde partie de notre étude, plus empirique, vise à approfondir les représentations et les engagements des acteurs socioéconomiques vis-à-vis des technologies numériques vertes. Ces investigations se penchent aussi bien sur les points de vue des producteurs, des distributeurs, des pouvoirs publics que ceux du mouvement associatif ou des consommateurs. Nous abordons aussi les éléments quantitatifs qui sont mis en avant. Comment leurs rapports entre écologie et technologies numériques diffèrent, se complètent ou s’opposent-t-ils ? C’est là que réside toute la difficulté de compréhension de la notion de technologie numérique « verte ».

La conclusion de l’étude apporte plusieurs réponses en soulignant les différentes priorités qui existent et le jeu de report de responsabilités qui s’opère entre acteurs. Ces résultats nous amènent à élargir le débat autour de la notion de consommation verte (consommer sa juste part de nature) et d’acception de la notion de modernité. Où la modernité ne se réduit pas à un tout numérique.

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INTRODUCTION

1.

Objectif et ambition de cette étude

Nul ne peut aujourd’hui ignorer la question écologique. Depuis le Grenelle de l’environnement, cet enjeu est devenu consensuel : tout le monde veut sauver la planète et chacun cherche des manières d’agir pour y parvenir – mais chacun identifie des obstacles entravant son action.

Les technologies numériques de l’information et de la communication (TNIC) ne font pas exception. A ainsi émergé dans le débat la « TIC verte », selon la dénomination employée majoritairement par les acteurs. Il est d’ailleurs amusant de constater que la Commission de Terminologie du secteur des télécoms a adopté le terme « EcoTIC » et non le vocabulaire populaire, confortant sans le savoir le choix que fait par les membres de cette étude lorsque nous avions déposé ce projet de recherche en 2007, bien avant que les débats de la Commission ne commencent. Comme nous l’expliquerons dans la section suivante, nous avons adopté dans ce travail une autre terminologie plus générique, les « TNIC vertes ».

L’objectif de cette étude n’est pas de définir les conditions techniques de ce que serait une « TIC verte », contrairement aux ouvrages (Corne & al., 2009), aux rapports (par exemple Cigref, 2009 sur les politiques éco-responsables des DSI) ou aux manifestes (le Mobile’s Green Manifesto du GSMA, 2009) publiés sur le sujet depuis le début de notre enquête. Certains rédacteurs de ces ouvrages nous ont d’ailleurs fréquemment sollicités puisque nous étions parmi les rares à travailler sur cette question, avec un groupe du CNRS animé par Françoise Berthoud, ingénieure informatique. Compte tenu de ses objectifs de compréhension in extenso de pratiques sociales, le travail des sciences humaines est plus long que celui des sciences de l’ingénieur. Ce qui explique que, avec des objectifs plus restreints, les ouvrages techniques ayant entamé leur rédaction après le début de notre enquête ont été publiés avant que nous ayons achevé notre rapport de recherche. Il en va ainsi des différences de rythme entre les sciences.

Contrairement aux ouvrages essentiellement techniques, l’hypothèse de base de ce travail est que ce qui est vert en matière de TNIC ne se laisse pas si facilement identifier et que cette notion implique de fortes contradictions. En conséquence nous chercherons dans ce projet de recherche à comprendre ce que les différentes parties prenantes entendent par « TIC vertes ». Pour cela, l’équipe de recherche pluridisciplinaire constituée s’est livrée dans un premier temps à un état de l’art sur les multiples questions posées par l’émergence sociale de la notion de « TIC vertes ». Afin de préciser les premiers éléments de réponse apportés, des investigations empiriques ont été réalisées, visant à interroger directement les différents acteurs impliqués.

Cette étude a une ambition forte, sur deux plans.

Elle entend d’une part produire une étude exemplaire capable de dépasser le cadre spécifique des TNIC. La question des produits, services, conduites, actes etc. « verts » est devenue un souci quotidien pour beaucoup d’entre nous. Et il n’existait pas d’étude détaillée et pluridisciplinaire sur la question. Notre étude a été menée de manière à être assez largement transposable à d’autres activités : « voiture verte », « avion vert » etc. Les exemples ne manquent pas.

Notre étude entend aussi renouveler les questions qui se posent dans les champs de recherche attenants à cette question – écologie, économie, développement durable etc. L’éclairage fourni par le cas des TIC permet de rendre compte d’enjeux sociétaux qui dépassent les enjeux sectoriels et posent des questions nouvelles à la recherche. Aussi cette étude ambitionne-t-elle de renouveler le champ de recherche sur le sujet, voire d’en ouvrir un nouveau : un domaine interdisciplinaire en sciences sociales ayant pour objectif l’étude des implications de la modernité contemporaine.

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2.

Méthodologie

2.1. Délimitation de l’étude

Nous avons restreint notre étude aux TIC numériques ce qui écarte toutes les autres technologies de l’information. Pour mémoire celles-ci incluent l’analogique mais aussi le papier journal, le déplacement physique (train, automobile, marche à pied etc.) et toutes les autres formes de propagation de l’information et de la communication. Ce choix justifie que nous utilisions l’acronyme « TNIC » pour « technologies numériques de l’information et de la communication », ceci afin de distinguer clairement notre objet des TIC en général. De nombreuses études omettent cette précision et provoquent des confusions notamment sur le plan quantitatif.

La catégorie des TNIC comprend une gamme de produits très étendue. Ce n’est pas un problème quand on manie des chiffres de consommation très agrégés mais une étude détaillée de ce qu’est une TNIC verte implique d’une part de descendre jusqu’au produit lui-même et d’autre part de reconstruire des agrégats statistiques car ceux qui sont disponibles correspondent aux besoins de régulation de la production et non aux besoins de régulation de la consommation. Nous avons notamment choisi de porter notre attention sur le cas de l’ordinateur et du téléphone portable, ainsi que certains de leurs usages qui sont fréquemment invoqués dans le contexte de la dématérialisation tels que le télétravail ou la vidéoconférence. En effet, ces usages renvoient aussi à l’argumentation verte. Ces deux objets étaient à la fois pertinents car d’un usage répandu et compatible avec les moyens de cette étude. Le domaine géographique et administratif couvert est celui de la France. Si nous nous référerons à des études plus larges c’est uniquement à des fins de comparaisons et de contextualisation.

2.2. Dispositifs et corpus d’investigation

− Bibliographie dans les domaines disciplinaires correspondant aux spécialités de chacun des membres de l’équipe ;

− Etude de la réglementation et des grandes politiques publiques ;

− Webographie ;

− Deux focus-group, l’un autour de l’ordinateur et l’autre autour du téléphone portable (voir Annexes 6 et 7 pour les caractéristiques des deux groupes) ;

− Dix-sept entretiens, réalisés auprès de cinq acteurs identifiés comme des acteurs-clé dans la définition de ce que sont les « TNIC vertes » : distributeurs, consommateurs, équipementiers, associations écologistes et autorités publiques.

2.3. Enjeux épistémologiques

2.3.1. Interdisciplinarité

L’ouvrage repose sur un travail collectif réalisé de manière interdisciplinaire, au sens où chaque compétence a été mobilisée pour éclairer la problématique à sa manière, complémentaire les unes des autres. Nous pensons que cette manière de faire permet d’éviter au maximum les biais propres à chacune des disciplines, nous aurons l’occasion de le démontrer au cours de ce rapport.

L’équipe est très informée sur les débats qui ont lieu au sujet du statut de « la nature » et de « l’environnement » en sciences sociales. Elle est aussi très au fait des débats qui ont lieu au sujet du statut des dimensions économiques qui nourrissent les débats sur nature/culture. Les non-spécialistes ne sont pas toujours informés des présupposés qui animent telle ou telle discipline et de sa manière d’appréhender tel ou tel sujet. Pour plus de clarté, notamment à l’endroit du lectorat non-spécialiste, nous avons souhaité faire apparaître des parties qui explicitent ces présupposés.

2.3.2. Fil conducteur et hypothèses de travail

Notre fil conducteur est le signifiant « TNIC verte ». C’est un signifiant qui est à la fois répandu et compris par les acteurs. Nous l’avons considéré comme une chose dont les contours ne sont pas définis a priori par les chercheurs. Nous avons cherché à identifier quels sont les sujets qui en parlent,

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ce qu’ils en disent, comment ils définissent cette chose, à quelles parties du monde ils se réfèrent, ce qu’ils entendent par « nature », à quelles autres définitions, objets ou pratiques ils s’opposent, etc. Le modèle dont notre analyse se rapproche le plus est peut-être celui de Michel Foucault dans « Les mots et les choses », c’est-à-dire ce qui a pu parfois être nommé une « anthropologie philosophique ». Mots et choses sont codéfinis dans un processus d’interaction continue qui implique l’évolution des institutions qui les font exister et durer, et dans lesquelles ils sont situés.

Du point de vue empirique, les guides de l’action mobilisés sont les suivants :

dans le domaine microsociologique, interroger tout autant les actes qualifiés d’ « écologiques » ou de « verts » par les acteurs que la manière selon laquelle ils définissent les raisons pour lesquelles ces actes leur paraissent permettre d’atteindre un équilibre avec la nature et ses habitants ; quantifier ces actes quand cela est possible, situer les définitions dans un réseau de significations ; pointer les tensions, les contradictions entre les différentes pratiques et affirmations – et ce qu’elles peuvent signifier sur le plan des pratiques courantes ;

dans le domaine macrosociologique, saisir les régularités, les présupposés ontologiques, les conceptions de la nature à partir desquels les publics structurent les institutions qui leur permettent d’atteindre les résultats recherchés ; saisir les contradictions entre les différentes régulations publiques, institutions, organisations parties prenantes du problème étudié.

D’inspiration ethnométhodologique, ce programme s’en différencie toutefois en incluant l’analyse des référents macrosociologiques tels que les ontologies (« la nature »), dans l’esprit de l’anthropologie philosophique, et les facteurs de domination et de discipline à la suite de Foucault.

A ce fil conducteur nous avons ajouté plusieurs hypothèses de travail.

La première implique de débarrasser notre cadre conceptuel de ce que Beck appelle « le nationalisme méthodologique ». Bien que notre cadre géographique soit la France, les TNIC sont rarement fabriquées en France, les émissions de gaz à effet de serre qu’elles génèrent ont un effet global et leurs déchets finissent souvent dans le Tiers-monde. Le « nationalisme méthodologique » implique l’hypothèse que les mots comme les choses sont principalement définis dans l’espace national. Ici, en suivant, Beck nous pratiquons le « transnationalisme » méthodologique qui s’appuie au contraire sur l’hypothèse que la transnationalité se manifeste partout dans l’objet d’étude.

La seconde est relative au « développement durable ». Le discours dominant veut que le développement durable soit le résultat de l’harmonisation de trois ou quatre « piliers », qui sont les suivants : écologie, économie et social, auxquels on ajoute parfois gouvernance et culture. On présente aussi parfois le développement durable comme l’articulation de trois types d’inégalités, intergénérationnelle, intra-nationale et internationale. L’hypothèse que nous faisons ici est qu’il n’y a pas de convergence nécessaire entre les trois dimensions principales du développement durable – économique, social et environnement -. Autrement dit, pour obtenir un même résultat écologique il y a plusieurs possibilités qui ne sont pas équivalentes sur le plan économique et social ; pour un même résultat économique il y a plusieurs possibilités qui ne sont pas équivalents sur le plan écologique et social etc.

La troisième hypothèse est que la définition et la construction d’une « TNIC verte » est un enjeu technique et économique mais aussi politique. Ce qui est en jeu est certes un ensemble de spécifications et de volumes de vente, comme le laissent penser au premier abord les argumentaires des vendeurs ou des journaux spécialisés qui abordent ce sujet. Mais c’est aussi le positionnement d’un pays dans la course aux parts de marché. Les régulations mises en place ne sont pas indemnes d’arrière-pensées nationales. Elles ne sont pas non plus indemnes de pari sur l’avenir : le développement des TNIC est aussi évoqué pour des raisons de « protection de l’environnement », avec l’idée que l’avancée de la technologie ne peut pas être mauvaise en soi puisque c’est justement elle qui nous a permis jusqu’ici de dominer la nature – ceci alors qu’aucun argument évident ne permet de nous assurer d’un tel résultat. Le flou sémantique est aussi un flou stratégique de l’utilisation des TNIC dans les débats sur le développement économique.

Une quatrième hypothèse de travail est que la « vertitude » n’est pas seulement une question technique, ni même seulement politique. Pour étayer cette hypothèse nous nous référons à plus de trente années de débats autour de l’écologie politique. Nous pensons, et c’est l’objet de l’étude de le démontrer, que ce qui se joue autour de la « vertitude » est aussi une évolution d’ordre ontologique, anthropologique. « Ontologique » renvoie à ce qui fait l’identité d’une chose ou d’être être, individuel

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ou collectif. Ce qui témoigne de cette dimension, rarement prise au sérieux, c’est l’argument, maintes fois répété, que vivre « vert » ce n’est pas « revenir à l’âge de pierre », ce n’est pas « refuser la science et la technique ». Refuser la science, c’est refuser la vérité, c’est refuser les faits tels qu’ils sont, dans leur évidente identité. De tels arguments sont trop récurrents pour être le fruit du hasard ou de l’irrationalité des acteurs. Et ce qui attire la curiosité est qu’aucun critique des TNIC, même le plus radical et extrémiste, ne propose de « revenir à l’âge de pierre ». Pourquoi chacun s’empresse-t-il très spontanément de préciser qu’il ne fait pas partie du clan de ceux qui portent cet argument, alors que ce clan n’existe pas ? Cette étude doit rendre raison de ce fait. L’hypothèse est ici que ce qui est mis en cause c’est le progrès entendu comme la marche universelle des sociétés sur un axe linéaire appelé « développement » entendu comme avenir et destin de l’humanité. Le développement c’est la marche vers l’abondance et l’émancipation de la nature. L’appel à la vertitude est la mise en cause discrète mais insistante de ce schéma, et le risque corrélatif que l’avenir promis ne se réalise pas. Dans ce cas, faute de « monter » (émancipation) nous serions contraints de « redescendre » brutalement de l’échelle si patiemment construite. En tout cas ce qui indique que nous sommes dans le domaine de l’ontologie est le fait que les acteurs inscrivent spontanément leurs arguments dans l’ordre scientifique et technique c’est-à-dire l’ordre objectif. Il ne s’agit pas d’opinions, de jugements, mais d’affirmation ayant prétention à la vérité et à l’efficacité.

La dernière hypothèse de travail est que cette étude et son caractère novateur va apporter une évolution dans nos disciplines respectives – au sens de l’élargissement de leurs questionnements et des enjeux épistémologiques.

2.3.3. Constructivisme ou naturalisme ?

Les études portant sur le lien entre l’être humain et la nature doivent généralement se situer par rapport au constructivisme et au naturalisme. Balisons grossièrement le débat. Le constructivisme affirme qu’il n’existe rien de tel que « la réalité » antérieurement à son appréhension pratique et symbolique par le sujet humain. Ainsi, si « l’écologie » est une discipline récente, c’est donc que son objet n’a pas existé de toute éternité. A l’opposé le « naturalisme » affirme généralement que le réel est doté de lois régulières et permanentes, sans être totalement déterministe pour autant – « on ne peut dominer la nature qu’en lui obéissant » disait Bacon. Ces lois sont diversement interprétées par les sociétés mais elles restent les mêmes. Elles sont universelles et indépendantes du jugement. La meilleure preuve est que si la réalité est une construction sociale, elle n’a pas tout pouvoir et ce qu’elle construit s’appuie sur des régularités qui échappent à l’arbitraire. Ce qui détermine la validité scientifique d’une assertion, pour le naturalisme, c’est sa coïncidence avec des faits qui sont donnés et non construits.

Chacune des deux positions tire sa force des faiblesses de l’autre, comme le notaient Michel de Fornel & Cyril Lemieux (2007). Cette étude essaiera donc de retenir les leçons de chacune des deux positions, mais son objet est ailleurs : elle se base sur l’hypothèse, mentionnée plus haut, que ce qui est en jeu n’est pas tant cette opposition entre naturalisme et constructivisme qu’un renouvellement de l’idée de nature, ce qui provoque un déplacement de la ligne de fracture entre naturalisme et constructivisme.

Pour anticiper un peu sur notre conclusion, ce qui est « nature » change, passant de la mécanique newtonienne à l’écologie, du développement de la division du travail et des techniques à un lien avec la nature telle que définie par l’écologie. Et ce qui est construit change aussi, passant d’une déconstruction des rapports économiques à une déconstruction des rapports avec le milieu, dont la définition a changé. L’efficacité des pratiques, jusqu’ici guidée par la division croissante du travail et l’extraction de matériaux, est peu à peu guidée par en rapport une nature appréhendée par l’écologie, ce qui en retour met en cause la division du travail sans qu’une alternative soit clairement visible à ce jour. Ce qui est mis en cause, c’est une certaine forme de déconstruction et une certaine forme de représentation et de pratique de « la nature », ce qui explique par exemple l’émergence et la montée en puissance de quelque chose comme une « sociologie des sciences ». La science comme domaine des vérités objectives est critiquée comme étant tissée de politique et donc d’opinion ; mais dans le même temps une autre conception de la nature est construite comme objective. Les deux types de

praxis sont en partie exclusives l’une de l’autre, d’où ce fait que chacune accuse l’autre d’ignorance

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3.

Contexte général de l’étude

Cette étude a été conduite dans le cadre d’un projet « Futur & Ruptures » financé par la Fondation Télécom et la Caisse des Dépôts et consignations.

Elle a impliqué les équipes de Télécom Bretagne (Département LUSSI), Télécom & Management SudParis (laboratoire CEMANTIC) ainsi que l’Université de Caen. Elle a reçu un appui important de Marion Michot, ingénieure télécom.

Présentation rapide de l’équipe de recherche :

− Fabrice Flipo, maître de conférences en philosophie à TELECOM & management SudParis, a publié plusieurs ouvrages sur la crise écologique (« Justice, nature et liberté » chez Parangon, « Le développement durable » chez Bréal) et sur l’impact écologique des infrastructures numériques (« Ecologie des infrastructures numériques » chez Hermès). Il a écrit de nombreux articles sur le sujet et prépare à La Découverte un ouvrage sur la décroissance.

− Michelle Dobré, maître de conférences en sociologie à l’Université de Caen et responsable de la section « Sociologie de l’environnement » (RT38) à l’Association Française de Sociologie a publié plusieurs ouvrages sur la consommation écologique, notamment « De la résistance ordinaire » (L’Harmattan 2002), et en octobre 2009 (collectif), Consommer

autrement. La réforme écologique des modes de vie.

− Cédric Gossart, maître de conférences à l’Institut TELECOM, économiste et politiste, qui a publié plusieurs articles dans le domaine de l’économie écologique et est expert auprès des Nations-Unies sur la question des déchets électroniques.

− François Deltour, maître de conférences en gestion à l’Institut TELECOM, travaille sur le management des systèmes d’information et à participé à la publication de l’ouvrage collectif « Ecologie des infrastructures numériques ».

− Bernard Gourvennec, chargé d’enseignement et de recherche en marketing à l’Institut TELECOM, possède une importante expérience en entreprise.

− Laurent Berthet, chargé de recherches en sciences politiques.

− Marion Michot, ingénieure télécom, est formée aux analyses de cycle de vie.

Cette action est rattachée au projet structurant ETOS.

Le responsable de l’action était Fabrice Flipo, fabrice.flipo@it-sudparis.eu

Objectifs du projet

Les initiatives environnementales dans le secteur IT sont aujourd’hui multiples. Elles répondent pour les équipementiers TNIC aux nouvelles contraintes réglementaires, mais également au souhait de se positionner comme « entreprise verte » auprès des consommateurs. Pourtant, l’émergence d’une véritable consommation d’équipements TNIC verts peine à émerger auprès des consommateurs. L’hypothèse de travail est que ce qui est « vert » ne se laisse pas si facilement identifier et que cette notion implique de fortes contradictions. En conséquence nous chercherons dans ce projet de recherche à comprendre ce que les différentes parties prenantes entendent par « TNIC vertes ». Pour cela, l’équipe de recherche pluridisciplinaire constituée souhaite dans un premier temps réaliser un état de l’art sur les multiples questions posées par l’émergence sociale de la notion de « TIC vertes ». Afin de préciser les premiers éléments de réponses apportés, une investigation de terrain est prévue, visant à interroger directement les différents acteurs impliqués.

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Budget

Dépenses T&MSP ENST Br CMH TOTAL

Fonctionnement

(Missions, déplacement, petit matériel, transcription des entretiens)

5,2 k€ 3 k€ 6,8 k€ 15 k€

Investissement

(Matériel informatique, logiciel….)

0 k€ 1k€ 1 k€

Personnel CDD 12

homme/mois

20 k€ 70 k€

Total 88 k€

Recettes Institut TELECOM CDC Temps valorisé CMH Total

Total 40 k€ 26 k€ 20 k€ 88 k€

Mise en œuvre du projet

12 mois de post-doc 2 focus-group

17 entretiens qualitatifs

Retombées du projet

Rédaction d’un livre et de plusieurs articles (en cours) Budget demandé Institut TELECOM : 60 k€ - obtenu : 40 k€

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CHAPITRE I. CONTEXTE D’EMERGENCE DES « TNIC

VERTES »

1.1.

La société de l’information et crise écologique : histoire, enjeux

1.1.1. Les grands enjeux de société liés à l’environnement

1.1.1.1. La fin d’une période euphorique

Dans l’après secondaire guerre mondiale, la capacité humaine à domestiquer la nature et la réordonner semble ne pas devoir connaître de limites. La marche vers le progrès s’accompagne d’innombrables bulletins de victoire : « nous avons marché sur la Lune ! » ; « nous avons passé le mur du son ! » etc. La production a laissé la place à la consommation : généralisation du confort, des télévisions, puis des DVD, des consoles de jeu, etc. La science-fiction sonde un avenir conçu comme la projection des tendances dominantes de l’époque – conquête de la matière, nouvelles frontières, progrès de l’automatisation et de la mécanisation etc. Le mécanisme est triomphant, Paul Krugman, le prix Nobel d’économie 2008, affirme que « demain » il n’y aura nulle activité humaine qui ne pourra être assurée par une machine (2000 :194). Il reprend là peut-être sans le savoir la thèse des socialismes utopiques du 19ème siècle; ainsi pour Saint Simon « le régime industriel sera

l’organisation définitive de l’espèce humaine » (Mattelard, 1999 : 104).

La technique devient synonyme de produit de la rationalité. Selon M. Weber, « on peut construire

l’histoire de la technique sous l’aspect d’une objectivation progressive de l’activité rationnelle par rapport à une fin » (Prades, 1992 : 12-14). La technique, c’est la raison faite matière, et la matière

remise en ordre par la raison. Dans ce contexte, on pouvait sans doute critiquer l’usage qui était fait de la technique, mais pas la technique elle-même. De fait, les socialismes réels ont mis en place des systèmes techniques très similaires aux systèmes capitalistes. Les mouvements marxistes ont théorisé la prise de contrôle des forces productives issues de l’activité de la bourgeoisie, ils ne l’ont pas mise en cause en tant que telle. Très tôt les mouvements ouvriers ont considéré que s’en prendre à l’instrument de production était une erreur car c’étaient les « rapports de production » qui étaient responsables de la misère (Bourdeau & al., 2006).

Pourtant, des doutes sérieux sont nés au moment de la seconde guerre mondiale. La bombe atomique, les camps de concentrations et l’élimination des êtres humains « à échelle industrielle » ouvrent de sérieuses questions sur le « progrès » technique. Hannah Arendt (1951, 1961) sera l’une des théoriciennes, avec Günther Anders (1956), de ce mouvement.

Mais la reconstruction débouche sur un tel emballement de l’économie, une telle croissance, une telle pluie de « progrès » que la remise en cause ne touche plus guère le régime industriel. Le questionnement se déplace vers la nature de la démocratie et la question des droits de l’homme, et, dans le domaine international, le droit d’ingérence. Car les relations internationales changent à grande vitesse. La décolonisation est en marche, le nombre de pays reconnus au sein de l’ONU augmente rapidement. Le pétrole coule à flots, à un prix au litre inférieur à celui du litre d’eau en bouteilles (Cochet, 2005). Le monde occidental bascule de la « société de production », fordiste et paternaliste, à la « société de consommation », aux marchés régulés par le marketing (Cochoy, 1999) et l’Etat-providence (Ewald, 1996). Le marché semble domestiqué, la crise de 29 oubliée. Jean Fourastié résume ainsi les changements qui se sont produits en Occident depuis les environs de 1700 : « le

progrès technique, augmentant le rendement du travail dans des secteurs importants de l’activité économique, a permis d’accroître la production, et donc la consommation. Mais la consommation croissante ne s’est pas laissé imposer la structure de la production croissante […] elle a peu à peu imposé sa loi à la production » (1963 : 125).

Cette euphorie marque un pas avec le premier choc pétrolier et l’augmentation du chômage dans les pays industrialisés. Mais la croissance reste là, bien qu’à un taux affaibli, et le niveau de vie de la plus grande partie de la population mondiale continue d’augmenter. Le développement a réussi à devenir

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l’horizon, l’espoir de la plus grande partie des Terriens : tous et toutes aspirent à « se développer ». Cette aspiration a même été inscrite dans le droit international, avec la Déclaration sur le droit au

développement, adoptée par l’Assemblée générale dans sa résolution 41/128 du 4 décembre 1986.

Toutefois, plusieurs éléments viennent remettre en cause cette perspective. Celui qui fait l’actualité depuis 2008 est le dérèglement du système financier international, précédé il est vrai de quelques crises retentissantes (bulle Internet, « crise asiatique », etc.). Le second est la montée des intégrismes religieux de toute provenance, y compris l’activisme des protestantismes évangéliques. Le troisième, qui nous intéresse ici, est la « crise environnementale ».

1.1.1.2. La « crise environnementale »

Tout commence, dit-on, avec la parution aux Etats-Unis du livre de Rachel Carson (1962), qui met en cause l’usage des pesticides dans ses effets sur la faune et en particulier les oiseaux. L’émoi que le livre suscita dans l’opinion publique étasunienne obligea John F. Kennedy, le président en exercice, à mettre sur pied une commission publique d’enquête qui confirma quelques mois plus tard les conclusions de l’auteur – et le DDT fut interdit. Dans les années 70, la mort des forêts met l’Allemagne en émoi. Ce sont les automobiles qui sont mises en cause. Les gaz se déplacent et traversent les frontières : on passe de perturbations locales (DDT) à des perturbations régionales, impliquant des migrations transfrontières. Les mesures contre les pluies acides donnent naissance aux pots catalytiques. Dans les années 80, c’est au tour de la question de la couche d’ozone d’être médiatisée. Son appauvrissement devenait alarmant. Avec l’ozone, on passait alors d’un problème plutôt régional à un problème réellement global. Une négociation internationale a du être mise en place pour trouver une solution. Les produits mis en cause (CFC, etc.) ont été bannis.

Ce succès a pu laisser penser que la question environnementale est finalement un problème relativement facile à résoudre. Mais les perturbations des écosystèmes continuent à s’aggraver. L’enjeu des changements climatiques émerge sur l’agenda politique international dans les années 80 et ne va cesser de prendre du poids, au fur et à mesure des négociations et de la progression des émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Si l’intérêt de la couche d’ozone était facile à cerner (elle nous protège des rayons cosmiques cancérigènes), l’intérêt de la stabilité climatique et ses conditions sont moins faciles à appréhender, et la réduction des gaz à effet de serre est bien plus difficile à réaliser. Toutefois l’enjeu est de taille puisque certains rapports tels que le rapport Stern estiment que le coût des dégâts climatiques pourrait s’élever jusqu’à 20% du PIB mondial (Stern, 2006). Le GIEC estime quant à lui que dépasser +2°C c’est entrer dans une zone largement inconnue dans laquelle un emballement du système climatique est dans l’ordre du possible (GIEC, 2007). Or la température moyenne s’est déjà élevée de près d’un degré. Un écart de plusieurs degrés serait littéralement catastrophique, si l’on en croit le témoignage du passé, puisque moins de 8°C nous séparent d’une période glaciaire, quand la banquise s’étendait jusqu’à Brest.

A ceci s’ajoute l’effondrement dramatique de la diversité biologique, problème probablement encore moins bien connu que celui du climat mais aussi lourd de conséquences possibles. Le rapport du

Millenium Ecosystem Assessment, fruit du travail de 1360 scientifiques issus de 95 pays, estime que

60% des écosystèmes sont épuisés, surexploités ou utilisés de manière non durable (2005). Les espèces disparaissent aujourd’hui à un rythme 50 à 100 fois plus élevé que le rythme naturel. Une espèce disparaissait chaque année en 1600, 4 en 1900, 24 en 1975, 1000 en 1985, 15 000 en 2010. 24% des espèces de mammifères et 12% des oiseaux dans le monde sont considérés comme menacés – soit 34 000 espèces végétales et 5 200 espèces animales. 45% des forêts ont disparu. La pêche a tué 90% des espèces les plus rentables. 3% des stocks marins mondiaux sont sous-exploités, 23% sont modérément sous-exploités, 52% sont pleinement sous-exploités, 16% sont surexploités et 7% épuisés. Au rythme actuel les océans seront totalement vides en quelques décennies(FAO, 2005).

Millenium Ecosystem Assessment (2005) - Résumé des résultats

− Au cours des 50 dernières années, les humains ont changé les écosystèmes plus rapidement et de manière plus étendue qu’à aucune autre période de temps comparable dans l’histoire humaine, en grande partie pour satisfaire une demande rapidement croissance de nourriture, eau, bois, fibres et combustible ;

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− Les changements qui ont été faits aux écosystèmes ont contribué à des gains nets substantiels de bien-être humain et de développement économique, mais ces gains ont été atteints au prix de coûts croissants, sous forme de dégradation d’un grand nombre de services rendus par les écosystèmes, des risques croissants ou des changements non-linéaires, et l’exacerbation de la pauvreté pour certains groupes de personnes ;

− La dégradation des services rendus par les écosystèmes peut croître de manière significative au cours de la première moitié de ce siècle et est une barrière pour atteindre les Objectifs de Développement du Millénaire ;

− Le défi de renverser la dégradation des écosystèmes tout en répondant aux demandes croissantes pour leurs services peut être partiellement relevé sous certains scénarios mais cela implique des changements significatifs dans les politiques, institutions et pratiques.

Une autre tendance de la crise environnementale est la multiplication des accidents industriels. Au Japon, l’usine Chisso est mise en cause par les pêcheurs dans les années 50 car elle déverse du mercure dans la baie de Minamata depuis les années 30. Entre 1956 et 1973, Chisso fait 857 morts et 2 157 handicapés, la causalité ne sera reconnue que 20 ans plus tard. L’accident de Seveso en Italie en 1976 montre aux Européens que quelques kilogrammes d’un produit de synthèse répandu dans l’atmosphère peuvent avoir des conséquences sur toute une région. Seveso donne naissance à deux séries de directives réglementant étroitement les sites à risque. L’accident de Bhopal, en Inde, est peu médiatisé en Europe mais provoque la mort de plusieurs dizaines de milliers de personnes. Là encore, les victimes sont faiblement indemnisées, et ce après des décennies de procédure. Le paroxysme de l’accident industriel est atteint avec l’accident du réacteur Lénine, alors flambant neuf, à Tchernobyl, en 1986. Le bilan est compris entre 4000 et un million de morts, selon les sources (Fairlie & Nyagu, 2006). L’accident, qui fait suite à celui de Three Miles Island aux Etats-Unis et à d’innombrables autres problèmes (UK etc.), remet profondément en cause l’industrie nucléaire civile. L’explosion de la navette Challenger la même année fissure bon nombre d’espoirs dans le domaine de la conquête spatiale; l’accident de la navette Columbia en 2003 mettra fin au programme « navette » au profit d’un « retour » vers les bonnes vieilles fusées. Dans les années 90 les accidents industriels se font plus rares dans les pays industrialisés, les installations étant désormais surcontrôlées. Mais ils ne s’arrêtent pas pour autant : AZF, grave incident nucléaire en Suède, conduisant à l’arrêt de toutes les centrales, etc.

Le troisième enjeu est la question des ressources naturelles. Le rapport du MIT au Club de Rome intitulé Limits to growth (Meadows & al., 1972) fait d’autant plus de bruit, que le Club n’est pas un club d’écologistes : c’est une association rassemblant des capitaines d’industrie, créée à l’initiative d’Aurélio Peccei, alors patron de Fiat. Le rapport innove par l’utilisation de simulations numériques permettant d’évaluer la vitesse à laquelle les ressources vont s’épuiser en fonction de différentes variables telles que la population, la consommation etc. Décrié en son temps, le rapport est aujourd’hui salué de toutes parts comme un précurseur. La question des ressources a été neutralisée, des années 70 à 90, par l’argument de la substitution technique : quand une ressource vient à s’épuiser, une autre prend le relais, dès lors l’important est de savoir si le capital se conserve et à quel rythme la ressource va s’épuiser (Rotillon, 1998 ; Faucheux & Denoël, 1999). Les travaux de Hotelling (1931), de Nordhaus (1973) et de Robert Solow (1974) sont fondateurs sur ce point. L’épuisement des ressources est donc une question qui ne pose pas vraiment de problème à l’expansion économique; ils se fondent généralement pour cela sur l’expérience du passé proche (19ème siècle). Tout autre est l’approche d’économistes tels que Hermann Daly pour qui certaines ressources sont non-substituables (Daly, 1989) : l’épuisement des ressources implique ici que certains usages, certaines propriétés ne seront plus jamais disponibles. Ces discussions théoriques ont connu une formidable accélération au début des années 2000 avec la révélation d’une information jusque-là tenue secrète : l’état des réserves de pétrole. L’Agence Internationale de l’Energie, qui prévoyait en 2004 un baril à 30 dollars pour 2030 (IEA, 2004) annonce en 2008 l’existence d’une raréfaction drastique de l’or noir dès 2010 (IEA, 2008). Des dizaines de livres paraissent sur le sujet (Jancovici & Grandjean, 2006). La société Shell publie un scénario dans lequel elle envisage que l’hypothèse d’une raréfaction rapide du

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pétrole conduit à une prolifération des conflits dans le monde entier1... Le discours change complètement. Les autorités reconnaissent que le pétrole sera difficile à remplacer, que les réserves sont mal connues, à l’exemple du Energy Watch Group, groupe d’universitaire allemand qui a réévalué les réserves allemandes de charbon et les a réduit de... 99% (Energy Watch Group, 2007) et que les substituts posent divers problèmes (stockage, intermittence, risques, déchets dangereux). La question s’étend ensuite vers les matières premières, avec la flambée des métaux (cuivre, lithium etc.) et de certains produits alimentaires, du fait notamment de la montée en puissance des filières « agrocarburants » présentées initialement comme devant être des substituts... au pétrole. Les « limites » deviennent palpables.

Ces trois séries d’événements vont devenir trois aspects de ce qui va être nommé « la crise environnementale » : les pollutions et déstabilisations des écosystèmes, les accidents industriels et la question de l’épuisement des ressources.

1.1.1.3. Des mesures dont le sens et l’effet restent ambigus

Ces événements ont provoqué une intense activité normative et réglementaire.

Au niveau national ou régional, notamment européen, d’abord. La plupart des pays industrialisés mettent en place un « ministère de l’environnement » autour des années 70. Le droit « de l’environnement » croit avec une très grande rapidité. C’est un droit technique, fortement ancré dans les sciences dures, la chimie, la physique, l’écologie. En France, les grandes lois sont celles sur les déchets (1975), la protection de la nature (1976), la révision de la loi sur les installations classées (1976), la protection des milieux de montagne (1985), la loi sur la forêt (1985), sur le littoral (1986), sur les risques technologiques majeurs (1987), sur l’eau (1992), et sur l’air (1996) (Guillot, 1998). Les lois sur la réglementation des installations industrielles et la protection des milieux se succèdent les unes aux autres. Elles touchent aussi la protection du consommateur.

Au niveau international, ensuite. Le Sommet de Stockholm en 1972 fut le premier à aborder la question de « l’Environnement Humain ». La réaction des pays « en développement » fut immédiate : ils ont vu dans cette initiative du Nord une tentative pour limiter leur développement. La contradiction ainsi mise à jour suscita un intense dialogue aboutissant à la mise sur pied d’une commission mondiale sur l’environnement et le développement (CMED), en 1984, qui publia en 1987 un rapport qui devait faire date : Notre avenir à tous, ou Rapport Brundtland (Brundtland, 1987). Le rapport appelait entre autres à la tenue d’un nouveau sommet, liant cette fois environnement et développement. 20 ans après le sommet de Stockholm se tint à Rio de Janeiro ce qui devait être appelé « Sommet de la Terre », qui débouche sur la signature de deux conventions-cadres, l’une sur les changements climatiques et l’autre sur la diversité biologique.

Après ce sommet, le nombre et la fréquence des conférences s’accélèrent. La diplomatie environnementale devient une spécialité en soi. Mais l’environnement reste un souci marginal, connu surtout d’un petit monde d’initiés et de militants, jusqu’à la fin des années 80, et même au-delà. L’idée qui domine est que ces effets sont temporaires, maîtrisables et confinables. Ils touchent au limes de l’industrialisme, à son environnement, justement, mais pas à son cœur.

Toutefois Rio ne conduit pas non plus à une articulation satisfaisante entre environnement et développement. Le Sommet a ajouté les demandes des uns et des autres sans vraiment chercher à savoir si elles sont compatibles entre elles. En termes de priorités, le développement reste une promesse faite par les pays industrialisés au monde et un espoir pour le Sud. Mais en termes d’institutions, le développement est toujours à la charge des ministères de l’économie et de l’industrie, et des institutions de développement (Banque Mondiale, etc.), et l’environnement est toujours l’objet des ministères de l’environnement, et des agences de l’environnement (PNUE etc.). L’environnement reste un objet extérieur au développement, de même que la campagne, les champs, les mines et les paysages sont extérieurs à la ville. Le moyen terme qui se dessine alors est l’idée d’un développement « sous contraintes » (Passet, 1979), sous contraintes environnementales, ce qui a le double inconvénient de ne pas préciser qui subira les contraintes et de ne pas explicitement définir

1

Voir

http://www.shell.com/home/content/aboutshell/our_strategy/shell_global_scenarios/dir_global_scen arios_07112006.html

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d’autre théorie du développement que les conceptions habituelles. Rio aboutit aussi à la signature de l’Agenda 21, Agenda pour le 21ème siècle. Et les protagonistes se donnent rendez-vous dix ans plus tard pour vérifier les progrès accomplis.

La suite est plus connue. Le sommet qui se tient à Johannesburg en 2002 est un échec. Les progrès accomplis dans le domaine de l’environnement ne concernent que certains problèmes locaux. Les grands problèmes globaux ont connu une détérioration et non une amélioration, à l’exception peut-être de la couche d’ozone, même s’il est encore trop tôt pour en peut-être sûr. Le 9 octobre 2000, les autorités chiliennes ont averti les 120 000 habitants de Punta Arenas de se mettre à l’abri. La couche avait perdu 50% de son épaisseur, il y avait si peu de protection que si une personne restait sept minutes à découvert, elle pouvait attraper un coup de soleil. Aucun des problèmes évoqués plus haut n’a été entièrement réglé – Tchernobyl, ozone, climat etc. tous restent présents à l’agenda. Le Club de Rome édita à l’occasion de ce sommet une réactualisation du rapport de 1972, comme il l’avait fait dix ans auparavant (Meadows & al., 1992). La seule nouveauté était inscrite dans le titre de l’édition 2003 : contrairement à 1972, le rapport estimait que les signes d’un dépassement des capacités planétaires étaient désormais visibles (Meadows & al., 2004), ce que des rapports tels que celui du

Millenium Ecosystem Assesment viendraient rapidement confirmer.

1.1.1.4. Emergence et évolution de la notion « d’environnement ».

L’un des éléments à verser au dossier est que le terme « environnement » ne préexiste pas, avec la définition actuelle, à la crise dont il est le nom (Larrère, 1997). Sa signification originelle est banale : il vient « d’environs », « environner » et désigne l’ensemble des éléments qui entourent une chose, qui sont à proximité, dans un rayon suffisamment court pour percevoir et être perçu. Le Larousse reprend aussi cette définition : l’environnement c’est « ce qui entoure, qui constitue le voisinage » (Dauzat, 1938).

Mais aujourd’hui parler de « crise environnementale », c’est entendre semble-t-il tout autre chose. Le Dictionnaire Larousse 1998 affirme que l’environnement, c’est « l’ensemble des éléments physiques,

chimiques ou biologiques naturels et artificiels, qui entourent un être humain, un animal ou un végétal, ou une espèce ». M. Jolivet et A. Paré, pionniers dans le domaine de la recherche sur

l’environnement, le définissaient en 1993 comme « un ensemble d’agents physiques, chimiques et

biologiques et des facteurs sociaux susceptibles d’avoir un effet direct ou indirect, immédiat ou à long terme sur les être vivants et les activités humaines » (1993 : 6-24). Plus prosaïquement, la norme ISO

14001 affirme qu’il s’agit du « milieu dans lequel un organisme fonctionne, incluant l’air, l’eau, la terre,

les ressources naturelles, la flore, la faune, les êtres humains et leurs interrelations » (1996).

Ce qui frappe, dans ces définitions, est qu’il s’agit d’évidences qui semblent avoir cours depuis des siècles. Les êtres et les espèces ont toujours baigné dans un milieu. Pourquoi cette définition a-t-elle émergé dans les années 60 et non avant ? Quel est le rapport entre cette définition et la « crise environnementale », dans laquelle nous sommes entrés ? La définition de l’environnement est si vaste qu’elle semble absorber toutes les autres sciences. Quel est le rapport entre « l’environnement » et « la nature » ? Et avec « l’écologie »?

Les problèmes d’environnement ont suscité une intense recherche, contrairement à ce que certaines thèses ont pu affirmer sur le « principe de précaution » (Kourilsky & Viney, 2000 ; Godard, 1997). L’ironie de la situation être peut-être symbolisée par le voyage sur la Lune de Neil Armstrong qui, parti pour explorer l’espace, revint avec les photos de la Terre et a probablement contribué à la prise de conscience du caractère fragile, fini et encore très mal connu de la planète bleue.

Le contenu de ce terme reste difficile à cerner, et comme nous l’avons précisé en introduction, la présente étude entend contribuer à son intelligibilité.

1.1.2. Les grands enjeux de société liés à la numérisation

1.1.2.1. Informer et communiquer

L’information et la communication sont bien sûr aussi vieilles que l’humanité, et même antérieures puisque le vivant tout entier peut être défini par sa capacité de « discernement » entre être (vie) et non-être (mort) (Jonas, 1979). Discerner, dans la masse d’information qui se présente spontanément

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aux sens, ce qui peut apporter du plaisir ou servir des intérêts au sens le plus général du terme est une activité qui précède donc de très loin toute forme d’information et de communication médiatisée par des automates tels que les machines numériques. La communication n’est pas en reste. L’écriture naît vers 3000 ans avant l’an zéro du calendrier chrétien. L’imprimerie à caractères mobiles apparaît vers le 9ème siècle, en Corée et en Chine (Breton & Proulx, 2002). Diverses techniques se succèdent pour écrire, copier, classer, calculer, compter, enregistrer, si l’on reprend les fonctions identifiées par Gardey (2008).

Les « télécommunications », si l’on désigne par ce terme la transmission d’informations à distance sans déplacement physique de l’émetteur et du récepteur, sont par contre beaucoup plus récentes. Le télégraphe aérien de Claude Chappe date de 1793. La première expérience de télégraphe électrique a lieu le 18 mai 1845. La guerre occasionne des efforts de recherche extrêmement intenses. La première guerre mondiale fait le triomphe de l’aviation (Gras, 1997) et de la radio, inventée en 1906, la seconde celui du radar. La demande de calcul, notamment dans le domaine de la balistique, conduit une équipe d’ingénieurs à construire l’ENIAC, machine considérée comme l’ancêtre du PC, à la fin de la guerre. Le transistor est inventé en 1947, il permet de réduire considérablement l’encombrement des machines à lampes et à cartes perforées.

La question du contrôle des réseaux est ancienne. Les messagers et éclaireurs étaient de précieux instruments permettant d’entretenir l’amitié et de connaître les mouvements des adversaires. Le réseau de Chappe fut à l’usage exclusif du pouvoir de l’Etat, jusqu’à ce qu’il soit ouvert aux bourses et aux chambres de commerce (Breton & Proulx, 2002 : 68). Les réseaux de communication sont essentiels à la connaissance du territoire, ils en sont une condition de possibilité.

1.1.2.2. L’émergence de la « société de l’information »

La « société de l’information » désigne simultanément un fait et une promesse.

Le fait est l’expansion des « TIC » numériques, en particulier l’électronique, l’informatique, les logiciels et les télécommunications. Alan Turing théorise le « programme » en 1936. Claude Shannon en 1949 formule la théorie mathématique de transmission de l’information. En 1951 l’Univac 1, premier ordinateur civil, est livré à l’US Bureau of Census. L’Arpanet, dont la structure servira de base à l’Internet, est mis en place dans les années 60. Le Minitel est mis sur le marché en 1982. « Internet » apparaît dans les années 80 et compte aujourd’hui plus de 1,5 milliards d’utilisateurs2. A partir des années 90, tous les pouvoirs politiques cherchent à mettre en place les « autoroutes de l’information ». Sous forme filaire ou aérienne, le réseau numérique devient un lien omniprésent dans les activités professionnelles, associatives, civiques et domestiques.

La promesse est celle d’une société globalisée, un « village mondial » (McLuhan, 1962, 1989), une société plus égalitaire, plus riche, et plus savante (UE, 2000 ; Breton & Proulx, 2002 : 251). Cette idée était présente dès l’invention du terme, en 1973, dans l’ouvrage du sociologue et économiste Daniel Bell intitulé Vers la société post-industrielle : une tentative de prévision sociale. Les TNIC vont vaincre les distances, unifier le genre humain, arrêter les guerres et permettre à l’humanité de contrôler sa propre évolution (Castells, 1998 : 87-90 ; Ayache, 2008 ; Levy, 2000). « L’idéologie de la communication » (Breton & Proulx, 2002 : 14) est apparue dans les années 40-50. Elle est basée sur le paradigme de la cybernétique, dont l’étymologie signifie « gouverner » (kubernesis). La cybernétique naît avec le travail de Wiener entre 1942 et 1948, qui a notamment travaillé sur l’automatisation des défenses antiaériennes – ce qu’on appellerait aujourd’hui des défenses « intelligentes ». Au fond, le paradigme de la cybernétique est de parvenir à construire des machines « intelligentes » au sens où elles pourraient remplacer l’Homme et ses imperfections, son manque de mémoire, son absence de logique etc. bref ce qui est désigné comme sa « faillibilité ». L’information devient un paradigme général permettant d’interpréter l’ensemble des phénomènes du monde : physique (l’information permet d’homogénéiser la dualité onde/corpuscule), vivant (ADN) – et activité humaine : Manuel Castells, dans une analyse classique, parle de mode de développement « postindustriel » (Touraine, 1969), ancré dans l’exploitation de la connaissance en tant que facteur de production principal (Castells, 1998 : 35). Le fait nouveau, souligne Castells, n’est pas le rôle majeur du savoir et de l’information mais l’application de ceux-ci aux procédés de création de connaissances et de traitement / diffusion de l’information. « Ce qui change, ce ne sont pas les activités dans

lesquelles l’humanité est engagée, mais sa capacité technologique à utiliser comme force productive

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Figure

Figure 1 : Changing household consumption patterns in EU-10 and EU-15. Source: EEA, 2007b in  EEA 2009
Figure  2  :  Equipement  des  ménages.  Source :  Eurobaromètre  p.  23 ;  Eurobaromètre  Spécial  293  /  Vague 68.2 – TNS opinion & social, p.19
Figure 7 : Les différentes étapes du cycle de vie (Source CIRAIG)
Figure 10 : Part de l’énergie utilisée à la production et à l’utilisation. Source : Gartner, Martin  Reynolds, 2008 35
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