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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Un exemple d'utilisation de la transposition didactique dans une étude de vulgarisation scientifique

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UN EXEMPLE D'UTILISATION DE LA

TRANSPOSITION DIDACTIQUE DANS UNE ÉTUDE DE

VULGARISA TION SCIENTIFIQUE

Christian REYNAUD, Bernard DARLEY I.F.M., Université de Grenoble

MOTSCLÉS : TRANSPOSITION DIDACTIQUE VULGARISATION SCIENTIFIQUE -CONTRAINTES - ÉCARTS - ANALYSE LINGUISTIQUE

RÉSUMÉ: La didactique ayant pour objet d'analyser les processus d'apprentissage et de transfert des connaissances dans le cadre de l'enseignement, il paraît légitime de tenter de réinvestir et de valider, dans le domaine social, des propositions didactiques visant l'explicitation des transformations des savoirs, de leur production àleur transmission. Nous avons voulu faire une analyse de la vulgarisation scientifique(V.S.) au travers d'une grille adaptée de la transposition didactique (T.D.) définie par Yves Chevallard. C'est donc la méthodologie d'analyse d'un exemple de vulgarisation scientifique que nous développerons ci-dessous.

SUMMARY: Didactics have to analyse learning processes in case of teaching situations; wetryto introduce and adapt to a social point of view, didactic propositions which design transfonnations of knowledge from production to transmission. We approach scientific popularization throught the "didactic transposition" analysis proposed by Yves Chevallard. Then this is the methodology we have elaborated that we will develop below.

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1. INTRODUCTION

Introduit par Yves Chevallard dans la didactique des mathématiques (Chevallard, 1991) et repris, entre autres, par G. Arsac, A. Tiberghien et M. Develay, le terme detransposition didactique

(T.D.)désigne l'ensemble des transformations que subit un savoir aux fins d'être enseigné. C'est en partant du travail de théorisation de Chevallard que nous avons tenté d'élaborer une grille d'analyse des transformations subies par un savoir scientifique au cours de sa vulgarisation par les médias.

2. SUPPORT DE L'ÉTUDE

Un quotidien(LeParisien) a mis en cause la gestion de la décharge de Saint-Aubin ayant servi de site de stockage de déchets radioactifs, suggérant sa contamination. L'article a donné lieu a des analyses contradictoires de plusieurs laboratoires (C.E.A., CRU-RAD, université de Brême), dont les résultats ont été publiés dans le journal. Si une contamination radioactive apparaît effectivement a des niveaux très comparables dans les tableaux de mesures brutes, les laboratoires concernés en donnent des interprétations divergentes quant aux retombées éventuelles sur l'environnement. L'information qui en découle auprès du grand public est de nature polémique, et, de ce fait, révélatrice des manipulations du savoir opérées par les différents scripteurs et des processus de transposition mis en jeu dans cet exemple de vulgarisation scientifique (V.s.).

3. LE CONCEPT DE TRANSPOSITION DIDACTIQUE

Pour Chevallard, un savoir est une entité relative aux champs d'émergences et/ou à l'usage qui en est fait. Il distingue un«savoir savantl dont les scientifiques professionnels, universitaires ou chercheurs purs, sont les détenteurs et les fabricants permanents» (Arsac, 1989, pA) et un savoir enseigné dérivé du premier, dont l'écart aux références qui le légitiment dépend d'un certain nombre decontraintes. Si l'on affecte au savoir un habitat propre à l'utilisation qui en est faite dans la société, tout transfert de savoir d'une institution 1 vers une institutionJse fait par l'intermédiaire d'une <<institution qui se fait oublier dès qu'elle a produit ses effets» et que Chevallard appelle la "noosphère" (Chevallard, 1989, p. 211-235). On peut alors distinguer:

- les contraintes internes inhérentes au système didactique lui-même, et celles attribuables à l'institution dans laquelleils'inscrit (conditions de la constitution viable des systèmes didactiques),

- les contraintes externes, traductions des exigences des savants et de la société toute entière. Lanoosphère apparaît alors à la périphérie de l'institution comme un «véritable sas par où s'opère l'interaction entre ce système et l'environnement sociétal» (Chevallard, 1991, p. 24). Au-delà de ces manipulations du savoir dans une intention didactique, la nécessité de communiquer pour le

lCe tenne proposé par l'auteur est toujours l'objet de controverses (cf Chevallard, 1991, p.I99).l1 ne s'agit pas ici que des savoirs théoriques, mais de tout ce qui sert de référence et de justificationàl'objet de savoiràenseigner.

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transmettre implique sa mise en texte (Ibid, p.58), opération qui doit obéir à un certain nombre de règles, fonction du type d'énoncé mis en oeuvre: on n'emploie pas le mêmetypede fonnulation pour résoudre des problèmes de génétique moléculaire ou pour gérer un cheptel bovin, pourtant cela renvoie au concept d'hérédité.

Une décontextulllisation du savoir se réalise à travers «sa désinsertion du réseau des probléma-tiques et des problèmes qui lui donnent son sens complet»(Ibid, p.60). Une recherche apparaît alors comme un problème résolu laissant de côté les motivations initiales, les présupposés idéologiques, les impasses et les échecs. C'est ce processus qui est à la base de la manipulation des savoirs: repris par l'institution utilisatrice, ils sont recontextualisés en fonction des objectifs visés. On constate aussi une dépersonnalisation mise en oeuvre dès la formulation discursive du savoir qui, par souci d'objectivation, est dissociée du sujet producteur. Pour faire disparaître toute idée de subjectivité de la pensée, on expulse le personnage de son activité de découverte, donnant au savoir un caractère public, opposé au caractère "privé" des savoirs personnels (Ibid, pp.60-62). Ces effets vont être largement amplifiés lorsque les partenaires de la noosphère vont sélectionner "ce qu'il est utile de savoir" en faisant un choix des notions et méthodes, présentes dans le savoir savant, et qu'ils jugent nécessaire d'être exposées. L'objet d'enseignement peut alors devenir une technique extraite du champ des problèmes auxquels elle était associée. Une notion jugée indispensable par les chercheurs peut être rendue implicite ou être simplement évacuée du fait de sa trop grande complexité, vidant ainsi le savoir d'une part de son contenu. En ce sens, on peut déceler une certaine perte d'information inhérente au travail de la T.D. De plus, une dialectique ancien-nouveau fait apparaître un objet d'enseignement comme «opérant une ouverture dans les frontièresdel'univers de connaissancedéjà exploré»(Ibid, p.66) : l'objet nouveau est introduit puis on démontre qu'il dérive logiquement de l'ancien, jusqu'à ce qu'il soit à son tour intégré à l'univers connu, afin d'assurer son identification par l'apprenant. Mais cela sans prendre en compte le temps nécessaire à l'appropriation par l'élève.

La monstration s'impose à terme puisqu'on ne peut utiliser tous les termes de la démonstration, certains outils ayant été évacués lors de la transposition. L'objet est désigné dans «un état qui échappe au questionnement» (Ibid, p.91), engendrant un effet de dogmatisation, de recours à la "reconnaissance" de l'objet plutôt qu'à sa connaissance.

4. TRANSPOSITION DIDACTIQUE ET VULGARISATION SCIENTIFIQUE Les contenus d'enseignement se constituent autour d'un objet de savoir, ils résultent d'influences complexes en interactions agissant sur cet objet. De même, dans la V.S., l'objet de savoir est repris et conditionné afin d'améliorer la relation éducative. On doit donc pouvoir détecter, dans cette opération, un certain nombre de constantes se présentant avec un maximum de régularité_

Pour André Giordan (1981, p.19), les formes de diffusion du savoir actuellement employées ont pour conséquence de favoriser une idéologie de l'expert, c'est-à-dire une représentation du scientifique porteur d'une vérité objective, démontrée rigoureusement, idéologiquement neutre, donc pouvant servir de référence en matière de connaissance. Nous avons donc placé les commentaires des

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experts (documents de référence des articles) à la source de la transposition étudiée dans le cadre de cene vulgarisation2.Remarquons que nous disposions de deux sources de référence, constituées dans deux milieux scientifiquement voisins, mais sociologiquement et idéologiquement distincts : un organisme d'état (lec.E.A.)et un laboratoire indépendant (la CRU-RAD).

S. MÉTHODOLOGIE

La grille que nous avons utilisée pour analyser les articles du Parisien a été construite en reprenant, et en adaptant, point par point les caractéristiques de la T.D ; l'objectif était de voir dans quelle mesure les étapes définies par Chevallard étaient transférables et utilisables danslecadre d'une analyse de textes de V.S. Il est clair que le contexte est très différent, même s'il présente certaines analogies. Les acquis des apprenants ne sont ici pas évaluables, c'est donc à la forme du discours plus qu'à la relation entre partenaires que nous nous intéresserons.

Ainsi «l'une des caractéristiques les plus marquantes des produits de la VS. est qu'ils se pré-sentent presque toujours comme des documents scripto-visuels» (Jacobi, 1984, p. 58 et 209-215), associant textes et images en proportions variables. C'est pourquoi notre travail s'est appuyé sur l'analyse des mécanismes textuels mis en oeuvre dans les différents documents, mais aussi sur la considération du choix des illustrations et leurs articulations avec le discours. Différents points énumérés dans les paragraphes précédents nous ont pennis de définir un certain nombre d'indicateurs propre à tester la pertinence de ces caractéristiques et leur confonnité à la définition qui en est donnée.

5.1. Contraintes du savoir de référence et existence d'écarts

«L'analyse de la T D. part nécessairementdel'analyse du savoir savant, sans quoi rien ne serait possible. L'écart n'apparaissant qu'à la confrontation des termes qu'il sépare»(Chevallard, 1991, p. 126). Cette nécessité a été prise en considération lorsque nous avons étudié les rapports des laboratoires, avec pour principal indicateur la comparaison des choix épistémologiques dans l'argumentation des experts. Il apparaît clairement que le savoir mis en jeu (ici les sciences de l'environnement) se voit contraint de s'inscrire en référence d'une science dure, la physique nucléaire, ce qui entraîne un déplacement de l'objet d'étude. Les débats se sont centrés très rapidement sur les taux de radioactivité, dont la charge émotionnelle est forte, et non sur leurs conséquences sur l'environnement qui restent encore mal connues.

Ce sont également les différences entre le discours spécialisé et celui du vulgarisateur qui nous ont intéressés. Le vulgarisateur s'interpose entre le scientifique etlepublic, postulant l'idée d'une "traductibilité" du jargon du spécialiste, c'est-à-dire l'existence d'une équivalence "commune" pour chaque terme "savant". On reproche souvent à cette traduction de duper les lecteurs: la vulgarisation ne présenterait pas les signes réels de la science mais des rudiments incomplets, inapplicables; on exhibe le discours scientifique plus qu'on ne le remplace (effet de vitrine). Nous avons recherché ces

2Nolons que les documents d'experts sont déjà les produits d'une adaptation de connaissances et de méthodes qui demanderait à être elle même analysée.

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écarts en indiquant la marge d'autonomie du vulgarisateur par rapport aux traditions et aux règles en usage dans le discours scientifique légitime. AinsiilpeUl simplifier les illustrations, voire les amputer (suppression des unités sur les graphes, ., .), insister sur des points particuliers en utilisant des mots "choc" parfois tirés du registre scientifique mais souvent vidés de leur sens premier (isotope, rayonnement radioactif, ... ), schématiser les positions épistémologiques des autorités de référence, ou encore utiliser des formulations ou des paraphrases arbitraires éloignées du registre spécialisé (analogies, formules empruntées au savoir populaire, ...).

Les indicateurs sont le type d'illustration proposé, leur nombre, leur origine, la nature etle mode d'utilisation des arguments d'autorité, la validité des analogies et métaphores, ainsi que la substitution des problématiques (exemple: problème d'environnement qui devient un problème de physique nucléaire pour se transformer enfin en problème politique).

L'importance des écarts mis en évidence permettent de s'interroger sur leurs éventuelles réper-cussions sur la compréhension par le lecteur du texte qui lui est soumis.

5.2. Décontextualisation, recontextualisation

Dès son émergence, un savoir est soumis à une première décontextualisation. La formulation discursive, privilégiant une approche linéaire, avec des suites logiques d'informations, a pour consé-quence d'imposer la vision d'un savoir réduit à une pure rationalité, dépourvue des présupposés et des errements de son producteur. Cette formulation est destinée à une lecture par des pairs, donc des lecteurs à même de reformuler les implicites; elle prend une toute autre dimension lorsqu'elle sort de ce circuit: le texte scientifique ne reste accessible qu'à ceux qui peuvent comprendre ses défauts et donc le critiquer; pour le profane,ilse dérobe aux dangers de la complète transparence, préservant l'intimité nécessaire à un certain mode de fonctionnement de la science (Latour, 1989). La décontextualisation, transparente pour le scientifique, devient opaque et échappe complètement au lecteur. Si les problématiques de recherche sont nécessairement soumises à l'influence des idéologies dominantes dans leur milieu d'émergence, la recherche des présupposés implicites, des motivations sous-jacentes aux activités des spécialistes est indicatrice de cette décontextualisation.

Les experts sollicités dans notre exemple opèrent un choix dans les savoirs dont ils disposent afin d'argumenter leur exposé. Ce faisant, ils décontextualisent ces objets pour mieux les recontextualiser, cette fois vers un contexte différent de celui d'origine. Cest donc dans les rapports d'experts issus des deux sources(C.E.A. et CRU-RAD) que nous avons recherché les arguments scientifiques avancés, avant de nous attacher à en considérer les différents contextes d'utilisation pouvant en changer la signification. Les indicateurs ont été les fragments de rapport d'expertise reproduits dans les médias tendant à donner l'impression que tout se passe comme si c'était l'échantillon lui même qui avait inscrit là sa propre signature. Ainsi repris, les rapports d'experts parlent «d'activité totale» ou de «débit de dose», ou encore évoquent la présence de radioéléments, sans autre précision sur la signification de ces termes ni sur ce qui est réellement mesuré (rayonnementslX,~ou

y, ...)

et sans évoquer la question précise à l'origine de la mesure.

La recontextualisation s'est manifestée, dans les articles étudiés, par un rappel de l'origine de la polémique (protection de l'environnement et santé publique) et par la mise en exemple de cas

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analogues ayant déjà fait l'objet d'une information. Autant d'éléments visantàintégrer les résultats présentés dans un ensemble cohérent pour le lecteur tout en renforçant leur valeur argurnentative.

5.3. Dépersonnalisation, repersonnalisation

C'est une conséquence de la «publicité» des savoirs que de pouvoir en disposer sans références aux contextes ou aux personnes qui leur ont donné vie; ces savoirs ainsi réifiés participent à la constitution du corpus des savoirs scientifiques sur lequel va s'appuyer l'argumentation. Mais un savoir dépersonnalisé peut, lors de sa transmission, se voir à nouveau affecté d'une paternité,le personnage référencé étant présent dans le rôle de détenteur légitime du savoir (le rédacteur de l'article s'efface devantMr X, homme de science). Ainsi le scripteur, d'une part, se décharge de la responsabilité de l'argumentation et donne, d'autre part, du poidsà son énoncé. Ce recours à l'argument d'autorité (scientifique) pour justifier un discours a été analysé pour mettre en évidence cette repersonnalisation3des savoirs. Il est intéressant de s'interroger sur l'impact que peut avoir la citation d'un scientifique reconnu socialement et l'attribution d'un énoncé à cette autorité.

Il peut aussi arriver que l'auteur émette un jugement dévalorisant pour une instance particulière prise en référence. En incluant une modalité négative4dans sa citation, l'auteur joue sur le jugement de valeur du lecteur. En mettant en doute le prestige du personnage référencé, le rédacteur réduit la validité de l'énoncé qui lui est attribué.

5.4. Contraintes de la noosphère Nous avons considéré trois niveaux.

1) Un besoin de légitimation scientifique sous peine de se discréditer tant auprès des scientifiques que des lecteurs visés par l'information. Ce besoin s'exprime dans une référence au savoir savant, révélée par l'emploi du lexique particulier des spécialistes (termes scientifiques et techniques).

2) Une incontournable négociation entre les partenaires de la vulgarisation que nous avons abordée en repérant les différents groupes apparaissant dans les textes. La recherche des enjeux de cette communication pour chacun nous a permis d'observer comment ces différents intérêts s'exprimaient dans la présentation du savoir de chaque scripteur et de relever les formulations utilisées par le vulgarisateur dans le cadre d'une négociation sur le savoir avec cette noosphère.

Nous avons ainsi retenu un besoin de reconnaissance sociale pour la CRII-RAD, opposé à une tendance du C.E.A. à masquer tout ce qui pouvait déstabiliser son image de marque. On peut aussi noter un consensus sur la nécessité de ne pas heurter l'opinion publique à propos du nucléaire. Nous avons surtout relevé l'influence d'une logique journalistique plaçant la polémique de Saint-Aubin dans le cadre d'une campagne de presse sur les décharges.

3) Les lignes stratégiques des partenaires, explicites ou non, induisent des contraintes écono-miques (préoccupation de rentabilité pour le C.E.A., de survie pour la CRll-RAD, de ventes pour le quotidien, etc.) et idéologique (être dans la ligne gouvernementale pour le C.E.A., militantisme

3Nous utilisons ce terme dans une acception différente de Chevallard, la repersonnalisation par l'argument d'autorité semble être une caractéristique propreàla VS.

4La qualification de "modalité" désigne tout énoncé qui a traitàun autre énoncé et peut en modifier la valeur, en augmenlant sa portée (modalité positive), ou en la diminuant (modalité négative). Voir Latour, 1989, pp,47à68.

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écologique de la CRU-RAD, politique du quotidien, etc.), et se sont traduits par des témoignages de riverains, des prises de position d'hommes politiques, des références à des textes législatifs, etc.

5.5. Dialectique ancien/nouveau

Pour notre exemple, la logique journalistique implique que chaque article se présente comme une «nouvelle» par rapport au précédent, les informations apponées antérieurement étant considérées comme acquises. Mais exceptées deux référencesà un article antérieur, nous n'avons pas trouvé d'indicateur qui rende cet aspect de la T.D. significatif de cetypede V.S.

5.6. Perte d'information

Un concept nouveau est généralement proposé comme issu d'une expérimentation, admettant un certain nombre d'hypothèses nécessaires àson interprétation. Cet aspect expérimental et méthodologique disparaît généralement de la version vulgarisée dans laquelle il apparaît comme un fait plutôt qu'un produit, sans trace des hypothèses admises ipso facto (cf. décontextualisation). En ce sens on peut avancer ici l'idée d'une perte d'information.

Du point de vue linguistique, l'analyse lexicale5nous a permis de considérer une certaine perte d'informations dans la terminologie employée. On note un glissement du vocabulaire «ésotérique» du scientifique vers un registre plus commun, plus imagé ; la considération des écarts résultants nous permettrait de discuter des conséquences sur le savoir, et de la validité de telles manipulations.

D'autre part, l'analyse lexicale se révèle être un outil très utile pour mettre en évidence le passage de tel élément du savoir savant à l'élément qui lui répond dans le savoir enseigné (ou vulgarisé). Ce passage correspond à deux étapes:

- il y a d'abord un invariant se révélant par l'utilisation d'un signifiant particulier (et de ses reformulations), c'est-à-dire que l'on peut identifier une terminologie appartenant au langage scientifique et utilisée aussi bien par le scientifique que par le vulgarisateur,

- ily a ensuite une variation, un écart qui fait toute la différence, que l'examen des problématiques d'usage du terme ne manque pas de faire surgir. Si l'on considère l'usage du terme identifié, les auteurs peuvent l'employer dans des contextes très différents et leur comparaison ne manque pas de révéler un changement de sens. En identifiant cette décontextualisation des signifiants (suivie d'une recontextualisation dans un discours plus commun) on met en évidence une caractéristique essentielle dela T.D. : un glissement dans la signification et la fonction du terme (Chevallard, 1991, p.21).

L'étude des illustrations et de leurs emplois est révélatrice d'une autre réduction: les nombreux tableaux de mesures des rapports d'experts n'apparaissent plus dans les documents de vulgarisation, alors que ceux-ci sont abondamment illustrés de photographies souvent sans rapports étroits avec le sujet traité. Ici le vulgarisateur suppose que le degré d'abstraction de telles illustrations étant moins important,ilcorrespond plus sûrement aux compétences de son public.

5Il s'agit, en s'inspirant des méthodes des théories distributionnelles, d'identifier des procédures de synonymies, reformuIation et paraphrases de certains termes précis empruntés au registre spécifique. Le recueil de données se fait en deux temps: une analyse quantitative initiale du discours scientifique, permettant ensuite d'orienter une analyse qualitativede ce même discours et d'explorer le texte vulgarisé (Jacobi, 1987).

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5.7. Dogmatisation

Nous avons pris en compte deux indices du processus de dogmatisation.Le premier est la mo-dification ou l'élimination de références de publication dans les textes.Le deuxième est remploi sans justification du lexique spécialisé pour l'explicitation du phénomène mis en cause.

Plus généralement, l'auteur des articles ne présente pas les différentes "théories" sur la présence des radioéléments. Les avis des experts sont pourtant partagés entre une contamination d'origine ancienne (C.E.A.) et une contamination récente (CRU-RAD). Le scripteur préfère parler des "résultats" de la CRlI-RAD en se contentant de remarquer qu'ils contredisent ceux du C.E.A..Le lecteur n'a donc pas le recul nécessaire que lui aurait procuré la connaissance des deux argumentations; il doit finalement accepter le dogme développé parlescripteur ou le rejeter en bloc.

6. CONCLUSION

Nous avons constaté que la transformation du savoir lors de son utilisation en vue de sa transmission dans un texte de vulgarisation semble obéiràun certain nombre de contraintes produisant des effets caractérisables au moyen d'indicateurs, et que les caractéristiques mises en évidence pour le système didactique peuvent servir de baseàune analyse de leurs effets dans le cadre de la V.S. Ainsi le cadre d'analyse que nous fournit la T.D. pourrait donc constituer, avec l'aide des outils linguistiques pour une exploitation appropriée des corpus de documents écrits, un outil particulièrement intéressant pour l'étude du processus de V.S. Enfin, si notre étude semble confirmer que la V.S. implique une manipulation des savoirs comparable à celle de la T.D., cette hypothèse demande encoreàêtre élargie et complétée.

BIBLIOGRAPHIE

ARSAC (G.), TIBERGHIEN (A.), DEVELAY (M.),LaTransposition didactique en mathématique, en physique, en biologie, I.R.E.M./L.I.R.D.I.S. de Lyon,1989.

CHEVALLARD (Y.), Le concept de rapport au savoir - Rapport personnel, rapport institutionnel, rapport officiel, Actes du séminaire de didactique des mathématiques et de l'informatique 1988-89, LSD-IMAG et Institut Fourier, Grenoble, 1989.

CHEVALLARD (Y.),LaTransposition Didactique, Grenoble:Lapensée sauvage, 1991.

GIORDAN (A.), Diffusion et appropriation du savoir scientifique: enseignement et vulgarisation, Actes des IlIèmes Journées Internationales sur l'Éducation Scientifique, Chamonix, 1981.

JACOBI(D.),Le champ scientifique et la sémiotique du discours de vulgarisation, Actes des VIèmes Journées Internationales sur l'Éducation Scientifique, Chamonix, 1984.

JACOBI (D.), Quelques formes du savoir savant dans les discours de vulgarisation scientifique, Aster, 4, Paris: INRP, 1987

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