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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Pensée scientifique et vie quotidienne : si on posait la question à l'enseignement de l'histoire ?

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(1)

PENSEE SCIENTIFIQUE

ET VIE QUOTIDIENNE :

SION POSAIT LA QUESTION A L'ENSEIGNEMENT

DE L'HISTOIRE?

Henri MONIOT

UER de didactique

des disciplines

Université Paris VII

Résumé :

L'enseignement de l'histoire a des fonctions hétéroclites.

Il cultive le sens commun et la mythologie autant que la "rupture".

L'histoire ne soigne même pas son propre portrait savant, et

c'est une science difficile, investie par la réalité sociale

elle même. Le discours sur l'enseignement de l'histoire

fait

l'impasse sur la mise en oeuvre des savoirs qu'il dispense.

Il peut pourtant prétendre former

à

une pensée historienne,

par laquelle chacun puisse mieux lire son actualité. Il le fait

déjà de façon empirique. Une didactique de l'histoire doit

(2)

En intervenant indiscrètement dans ces Journées sur l' Educat ion Sc ientifique, j'ai bien conscience, historien, de représenter une discipline très douce. Et je

vous accorde d'avance tout ce que vous voulez - ou presque - sur la faible scienti-ficité de l'histoire, si vous m'accordez que l'histoire savante se donne une certain

nombre de procédures contraigantes de critique et de validation, 'lui la distinguent

des mémoires et des pensées sociales courantes. si vous constatez en outre avec moi

que l'histoire enseignée bénéficie de la bénédiction de l'histoire savante, et de la présomption d'utilité qui s'attache à toute matière scolaire, alors nous pouvons bien

lui poser la question qui inspire ces Journées: "Pensée scientifique et vie

quoti-dienne". On peut présumer que nous rencontrerons des divergences et des convergences, de ce point de vue, entre l'enseignement de l'histoire et celui des disciplines qui méritent le beau nom de scientifiques.

J'ouvrirai mon propos par une note de d;vergence, comme je le cloturerai bien-tôt par quelques notes de convergence. La divergence tient au discours justificatif. Les défenses les plus courantes et les plus diverses de l'enseignement de l'his-toire disent, dans la même foulée, deux choses: 1) par ses vertus critiques, i l aide à former des personnes et des citoyens qui ~achent choisir et mieux agir, il est

an-tidote aux pressions idéologiques, 2) i.l donne l('s r.1cinps C't lcf; sentiments

d'appar-tenance, il rend compte des bonnes causes, il félit en somme d' avance l(>~ bons choix,

il protèRe de l'amnésie et des pressions culturelles extérieures. Varient la dose, le simplisme, l'agencement et l'inspiration de ces deux inRrédients. mais la dupli-cité reste commune.

Vous n'avez pas cela, vous, scientifiques, me semble-t-il. J'imagine bien que vos discours justificatifs brassent à foison des contradictions, de l'idéoloRie, des complaisances. Hàis dans ce cadre vous semblez ne cultiver qu'une référence majeure - la science et les bienfaits de l'esprit critique - le reste étant,

pré-cisément, discret; vous ne passez pas votre temps à jouer sur deux tableaux.

Cette duplicité ne me trouble pas, parce que ce n'est pas une "rnur malheureuse de l'institution, mais le signe que la vie sociale et la science sociale fonctionnent ainsi. Hais elle donne déjà, d'entrée, une originalité à l'histoire dans la question

ici pos~e : s'il y a discordances entre la difflJsion par l'~colpd'une pens~e l'scien-tifique" et la réalité des pratiques quotidiennes, n'est-ce-pas, pour nous historiens, tout simplement le fait de notre inconsistance foncière? Je voudrais, dans un pre-mier mouvement, montrer quelques facettes de ce problème et, dans un second, en suggérer quelques "sorties" didactiques.

(3)

1. L'enseignement de l'histoire, c'est bizarre.

1) L'enseignement de l'histoire a des fonctions bien diverses. Il reflète et diffuse les acquis du savoir savant - résultats et procédures. Il peut contribuer au développement cognitif et affectif des élèves, à ses manières - même si ces ma-nières ne lui sont pas tellememt spécifiques. Il donne une culture, d'abord dans un

premier sens: un code sémantique, un mode d'emploi des mots, des catégories, des

schèmes de perceptions de la réalité sociale. Il donne une culture en un autre sens des récits mémorables partagés, des données susceptibles de faire signe, aliments d'identité et de socialisation. Il fournit encore des thèmes de légitimation et des mots de passe idéologiques. Voire des éléments disparates de philosophie. A cette troisième fonction multiforme,globalement culturelle, on peut ajouter une fonction plus pratique, quand ce bagage culturel peut être employé pour paraître, pour agir

ou pour réussir, dans des occurences mondaines, civiques, militantes ... et surtout scolaires.

Fonctions hétéroclites. Hétéroclite, la matière scolaire, elle, ne l'est pas pour autant, heureusement. Hais cet hétéroclite des références pèse sur la didacti-que de l'histoire : tout ne se raisonne pas dans cet enseignement, tout ne se raisonne

pas au même degré et sur le même mode, tout ne peut pas s'y raisonner la fois en même temps. Nécessairement diverse, éclatée, ondoyante, la didactique de l'histoire est peu présentable, ce qui gêne aussi bien ceux qui sont déjà réticents à l'égard de toute élaboration didactique, ceux qui souhaiteraient au contraire pouvoir plaider un dossier hélas aussi mal ficelé, et ceux qui rêvent de la position d'expert, laquelle

a besoin de plus de majesté fonctionnelle que l'histoire n'en permet.

2) L'histoire enseignée a-t-elle quelque chose à voir avec l'histoire savante, sur un mode qui ressemble à celui qui vaut entre les disciplines scientifiques et leurs sciences-mères? On serait tenté de dire qu'un professeur d'histoire vit sur trois régimes

- dans le premier, partant des hauteurs glorieuses de la science, féru d'é-pistémologie, à l'enseigne de la rupture et muni de bonnes citations bachelardesques, il descend la piste de la transposition didactique, vers les élèves qui, tout en bas, pataugent dans le sens commun. Ca, c'est le pain quotidien du professeur de sciences -si je lis bien.

- dans le deuxième régime, partant des hauteurs d'en face, celles des mytho-logies de référence, il glisse sur une autre transposition didactique, à l'inten-tion des élèves qui, toujours en bas, se vautrent dans les sentiments vulgaires et

dis-cordants, ou sont encore natures sauvages àcultiver. Je dis flmythologie" sans rien de péjoratif, dans un sens positif -j'en vis moi-même comme tout le monde-. et j'y

accepte impartialement toutes celles qui, selon le lieu et le moment, sont, ont été et seront mobilisables: mythologies nationale,p~triotique,républicaine,

(4)

proléta-rienne, chrétienne, occidentale, tiers-mondiste, humanitariste ••• mythologie de la raison universelle •.• etc.

- dans le troisième registre, le plus fréquent sans doute, le professeur d 'his-toire gère tout bêtement le sens commun, intelligemment.

Je n'aurais pas inventé tout seul ces trois régimes si la réflexion didactique générale installée ne m'avait pas tendu la perche. Et je n'y crois, bien sûr, que

modérement et provisoirement, juste le temps de soupeser abstraitement les positions que nous prenons dans l'exercice enseignant, avec les avantages évanescents d'une

rêverie typologique.

Mais au fait, la science historique couvre-t-elle le premier régime seulement? Ou les trois

3) y a-t-il une épistémologie de l'histoire? C'est-à-dire: les historiens sa-vent-ils ce qu'ils font quand ils font de l'histoire? Et le disent-ils?

Les historiens pourraient certainement cultiver davantage l'épistémologie, ils. n'ont pas trop la tête à ça. Mais certains d'entre eux au moins en font - et quel-ques philosophes, sociologues, ou autres collègues, les aident parfois à en faire. Ce n'est pas le lieu de vous infliger un exposé sur ce qu'on pourrait dire à leurs

lumières. Je préfère ici noter deux traits.

La très inégale accentuation de la réflexion épistèmologique historienne d'a-bord. Les historiens savent assez vigoureusement scruter et dire ce qu'ils font si l'on parle fait historique, statut du document et critique des sources, construc-tion de problèmes au fondement même de l'oeuvre historienne, fabricaconstruc-tions diverses du "temps historique" •.•. ils sont plus timorés et pudiques sur leur pratique de la conceptualisation ou de la causalité •••

Mais il y a plus curieux que cette inégalité de la réflexion savante sur soi c'est la légèreté tranquille et presque satisfaite avec laquelle la corporation donne à voir sa science comme beaucoup plus étriquée qu'elle ne la fait en pratique. Le pli professionnel des historiens les pousse à exhiber la rigueur documentaire qui les honore, assurément, mais ne suffit pas à les bien signaler. Et dans les débats publics sur l'enseignement de l'histoire, on voit de bons historiens bénir

l'idée sotte que l'histoire se définit, principiellement, par la chronologie, mot-totem sous lequel on télescope d'ailleurs des pratiques temporelles multiples et diverses, dont on cache qu'elles fonctionnent en compagnie d'autres soucis qui

leur donnent sens.

4) L'histoire, cOlllllle toute toute la science sociale, est une "science" diffi-cile.

Les acteurs sociaux ont deux sortes de propriétés(l), les unes qu'on peut dire (largement> matérielles, les autres qu'on peut appeler "symboliques". Leurs actes,

(5)

leurs comportements et même leurs discours peuvent être étudiés à distance,

d'en-semble et sur longtemps, agrégés ou comparativement rapportés les uns aux autres; mais on peut aussi les entendre dans ce qu'ils f'xpriment, pt les rapporter <lUX si-gnifications mêmes que leurs auteurs y mettent. On a alorR deux sortes de lectures possibles: une lecture objectiviste, qui d~c~le dans les distributions de propri~tés

matérielles qu'elle sait mesurer, dans les actes et les comportements qu'elle sait

réunir et comparer, des régularités, des répartitions, des rapports ... significatifs

bien plus profondément que les pawres sentiments des acteurs, limités dans leur

conscience; une lecture compréhensive, qui reprend ou interprète les compte-rendus

de la réalité sociale que celle-ci porte déjà, qui trouve du sens au monde social

à partir du sens que lui ont apporté les acteurs, qui élabore leurs connaissances et leurs cognitions,qui prend au mot toute 1::1 mise en scène et toute la science d'elle mpme que comporte la vie sociale. En fait, c'est une troî!;iè.me lecture qui

serait plus sav~nte : celle qui sache rapporter les représentations que les acteurs

donnent et se donnent aux ressorts profondg dégagés par la première lecture,

éprou-ver la dépendance des premières aux secondR, mais aussi leur part d'autonomie et

d'efficacité propre.

Et puisque toute représentation du social est ainsi, dans le ~ccond registre (le "symbolique")~un facteur et un enjeu, la réprésentation savante, elle même

logée à cette enseigne, trouve à son effort d'objectivation des conditions

redou-tables. Si l'histoire est explicative, ou si elle L très révisée par

la critique, elle reste un enjeu dans sa distanciatioT

Qu'on décide de l'enseigner à l'école, avec des fins qui se parent des

presti-ges de la science savante et de ceux de la science pratique que le milieu social a de lui même, n'est évidemment pas fait pour en atténuer l'ambiguïté constituante.

5) On cannait les quatre logiques dont Daniel Hameline propose la prise en compte dang toute formation (2): logique d'exposition, logique de constitution des savoirs,

logique d'apprentissage, logique de mise en oeuvre des savoirs. Cette quatrième lo-gique est véritablement le point muet de la réflexion sur l'enseignement de l'his-toire. Comment et dans quelles circonstances autres que les interrogations scolaires, ge fait l'usage d'un savoir historien? La question n'est pas l'objet d'un examen qui soit à la fois prosaique et attentif. L'enseignement de l'higtoire a des finalités générales, il donne des capacités générales. Les grandes déclarations gratifiantes -intentions ou rationalisatiom- parient hardiment sur la force intrinsèque de cet enseignement; ce n'est même pas un pari, c'est la proclamation d'une assurance. Par un effet direct, simple, évident, le récit de l'histoire de France donne ou redonne leurs racines aux petits Français, la promenade historique de l'Antiquité à nos jours

(6)

donne une culture et des repères, la rencontre respectueuse d'autres histoires COns-truit la tolérances, apprendre l'histoire établie critiquement par d'autres donne l'esprit critique, les manuels nationalistes ont été hier des fourriers de

chauvi-nisme, l'enseignement de l'histoire des civilisntions lointaines dissoudra demain le racisme que nous constatons impuissants chez les adultes d'aujourd'hui, le

ci-visme se cultive et se tarit par décision ministérielle, l'histoire des faits de longue durée et des périodes de paixsociale est faite pour entretenir l'idéologie dominante, et l'histoire des luttes donne (dans le rêve des uns, dans la hantise des autres) l'espdt militant ... J'arrête ici cette pauvre litanie. Autrement dit, l'exorcisme verbal, la croyance (même des plus matérialistes) en la toute puissance des idées, l'obsession, la contagion des sentiments, l'argument d'autorité (même et surtout au service des propositions les plus critiquement construites} ... voilà la panoplie qui arme le discours sur l'enseignement de l'histoire. Je dis bien: le discours. La pratique empirique, elle, est à peu près préservée de ces rationalisa-tions, dont la fonction s'exerce partout ailleurs que dans la salle de classe et dans la préparation solitaire d'un cours. Hais la réflexion didactique, elle, s'en trouve ainsi trop souvent congédiée.

Que la "pensée scientifique" ait alors quelque misère à déboucher couramment dans la "vie quotidienne", s'agissant des fruits de l'enseignement de l'histoire,

c'est le contraire qui serait miraculeux.

Et pourtant .•.•

II. L'enseignement de l'histoire, c'est jouable.

Est-il si désespéré que quelques chose de la "pensée scientifique" de l'histoire passe dans l'enseignement, et donne aux élèves des éléments utilisables de quelque façon dans la vie courante

1) Si l'histoire et toute science sociale sont à ce point investies par la vie

sociale dont elles prétendent rendre compte, si toute évocation du passé, savante ou non savante, contient, mêl~s, des enjeux de connaissance, d'identité et de légi-timation, si un principe de vérité et de lucidité habite cependant l'histoire dont nous nous réclamons, n'y-a-t-il pas lieu d'abord de reconnaitr~et d'accepter ces

données constitutives au lieu de les taire, et de fonder nos réflexions et nos pra-tiques sur cette reconnaissance? La référence générale d'une didactique ne peut être une duplicité roublarde qui cumule les avantages gratifiants de deux boniments désaccordés. Préférons-lui une finalité positive qui propose à l'enseignement de

l'histoire d'entrainer très progressivement les élèves à reconnaître pour ce qu'elles

sont la curiosité historienne critique et les curiosités historiques affectives et électives, à en pratiquer consciemment les deux jeux, à les tenir tous les deux pour légitimes.

(7)

Ce retournement d'accent, tout en amont de la réflexion, ne touchera qu'à des clichés complaisants. Il laisse intact programmes, instructions, multiplicité des

fonctions de l'histoire. Il est en outre conforme avec l'épistémologie de l'histoire,

qui refuse précisément les leurres. Il n'a rien de boulevl?rsant : un adolescent (et

un adulte) peut rtvantngeusem~ntprendre con~ciencpqtl0 l~ vie individuelle et la vie

sociale réclament tour à tour du sens chaleurpux et donné vite et du sen~ conquis par

enquête exigeante, un réalisme demandeur d'information pt une mémoire oublieuse et

sé-lective, du travail de deuil 6ti son report, des horizons univprsels et des récits

singularisants .... etc. Il introduit aussi plus aisément à l'examen des emplois

pos-sibles de l'histoire dans la vie courante.

2) Si une formation historienne peut servir tout un chacun dans la vie sociale,

comment diable cela peut-il advenir? Est-ce en enseignant pendant l'enfance et

l'a-dolescence un stock de connaissances et leur mode d'emploi (qu'il soit du type du

rai-sonnement, du type de l'argumentation idéologitple, du type de la consommation

cultu-relle, du type de l'aliment identitaire ... ) ? Par quel miracle nos progrannnes et nos

menus pourraient-il prévoir et orchestrer les besoins et les curiosités que nos élèves

rencontreront dAns la vie7 au gré de leur acturl:lité et de leurs évolutions

indivi-duelles 7 Et par quelle 3tltre miracle quelque chose de tout cuit pourrait alors

conve-nir, s'il s'agit de penser? On peut préférer voir dans l'en~eignpmentde l'histoire

l'exercice d'un commerce intp.llect'le19 0Ù les rpprésrntations du passé et les usages

qtJ€ l~ pr~sent leur aSStlre sont personnellement apprivois~s,de sorte que chacun

sa-che mieux les mobiliser dans ses propres situations. Il ne s'agit pas seulement

d'ap-prendre (le l'histoire, mais de fRire quelque chose en historien, de penser selon la

raison llistorienne.

Voilà une perspective qui n'est certes pas nouvelle .. D'abord, la pratique de

l'enseignernf.'nt de l'histoire en France sait être, depuis longtemps, le 1 ieu et

l'oc-casion d'une activit~ i,ntellectltel1e multiforme: elle familiariR€ avec des actetlIS

snciaux", des institutions, des situations sociales, par une 'expérience-substitut", sur un mode assez comparable à celui dont les disciplines littéraires le font aussi,

~ leur façon; elle entt-aine à analyser, distinguer, comparer, imaginer .... elle

don-ne u.don-ne idée du travail de l'historien, elle peut préparer à quelque habitude de la

recherclte et de la critique des lectures et des informations .•.. C'est la

manifesta-tion, en classe d'histoire, de la formation méthodique et culturelle générale qui signale n0tre système d'enseignement, quand certaines conditions propices se

trou-vent. réul11cso Ce que nOlis cherchons est certainement moins empirique et plus

ferme-ment historien, mais trouverait à coup sOr ses fondements déjà là dans une vieille

pratique.

Le didactique de l'histoire a d'ailleurs dépassé cette fréquentation emplrlque intelligente des récits et des tableaux d'histoire, dans deux lignes (du point de vue

(8)

qui nous retient ici). Certaines méthodes actives, la démarche inductive,

l'entrai-nement à la résolution de problèmes .•• ont visé délibérément la construction, par

l'élève, de questions précises à poser au passé, la formulation d'hypothèses pour y répondre, la recherche de matériaux pour exploiter les hypothèses ..• etc, lui faisant esquisser une démarche qu'il est sans doute approximatif et expéditif de décrire

com-mp relIe de l'historien. dans la mesure où plIe eRt en fait plus gpnarale, mais

dont on peut noter l'heureuse inspiration : l'hi~toirp y devipnt un terrain

d'expr-cice intellectuel, et pas seulement un domaine 1 ivré tout aménagé. Par ailleurs, la présentation de fragments de sources et de certaines procédures de leur critique,

avec déjà une assez vieille "pédagogie du document", et, dans une autre ligne, la

pratique multiforme l'd'enquêtes", ont pu, l'une et l'autre, "faire jOUP[ l'élève à

l'historien". Quand ces démarches sont maîtrisées, on ne saurait vraiment leur con-tester que l 'imprudence verbale d'une telle devise. Le recherche historique est une chose trop complexe et trop sophistiquée pour qu'on s'imagine sérieusement l'appro-cher ainsi, fut-ce en réduction.

Peu d'adultes peuvent "faire de l'histoire" hors des conditions professionnelles.

en revanche tout le monde pense en histoire, même si c'est

'pnr

défaut", les discours

publics sont tissés d'une pensée histotique implicite, et tout le monde peut, s'il est entrainé, raisonner et régler jusqu'à un certain point cette pensée historique

disponible, réagir avec un ressort plus ou moins historien à l'actualité, à une

noU-veauté, à une surprise, à une question ••. Certains, qui admettront à la rigueur que

des profanes bricolent leurs enquêtes historiques, réserveront l'interprétation de

l'histoire aux spécialistes (historiens, ou gourous politiques). Je dirai au contraire: à tous le droit à l'interprétation de l'histoire! Les technicités érudites sont inac-cessibles à beaucoup, et, après tout, les spécialistes sont justement là pour ça! Mais les propositions historiennes qui se fondent, entre autres choses, sur leur apport,

sont dest inées finalement à une plus large audience, et leurs 1 inéament s intell ec tuel s

sont accessibles, dans leur exigence élémentaire (au sens fort) au moins. Comprendre les historiens, c'est savoir jusqu'à un certain point les faire rejouer, c'est donc

savoir jusqu"à un certain point jouer soi-même. Enseigner l 'histoire, ce peut être

enseigneer à penser en histoire, dans la consonnnation de ce que les professicl[HlC1s

ont établi, dans la mise en perspective des nouveautés qu'on affronte, dans Ir rr~­

sent; ce peut être enseigner à lire historiquement son actualité hors des

argumentai-res déjà livrés, à gérer ses représentations du passé et l'intel] igihilité qu'on a des situations présentes.

3) Cela suppose que l'enseignement de l'histoire donne la maîtrise minimale d'un certains nombres de schèmes, qui organisent une pensée historienne critique. Une des

t~ches de la didactique de l'histoire, dans les ann~esqui viennent, pourrait ~tr0 de

les reconnaître, de les formuler de plus en plus adéquatement, d'pn apprécier le

mo-ment d'apparition soùhaitable au long de la scolarité, du cours élémo-mentaire aux ter-minales.

(9)

J'en esquisse ici quelques contours(]) 1

- l'histoire est pleine de faits, qui sont "vrais" - c'elt l'histoire, non la fiction -, mais aussi toujours construits. Le public est sensible à la question de leur vérité, mais recolt avec révérance la constitution et lE' découpage des faits (par l'historien, p~r l'auteur de manuel, par la trndition, par le journnli8te), qui jouissent ainsi d'une valeur qu'on peut croire toute donnée par la réalité. Or c'est l'enquête sur le faux et le mensonge qui échappe souvent à nos prises directes, alors que la construction des fsits est bien plus accessihle à notre jugement. Est fsit his-torique tout ce que, dan8 l'immensité de ce qui 8 eu lieu et dont j' ni connaissance,

je prends la responsabilité d'isoler et de constituer comme significatif et mémorable. La taille du fait l'indique au mieux (mais d'autres traits le disent aussi) : sera

fait historique, selon mon c.hoix raisonné et mon propos, l'org.1nisat.ron d'un

enseigne-ment scolaire par matières dans nos sociétés contemporaines, ou le développeenseigne-ment de

la didactique des disciplines dans la seconde moitié de ce siècle, ou la série des

Journées de Chanmonix, ou cette session 1986, ou ltexposé de X pendant cette session,

ou le sourire d'une collègue pendant l'exposé de X. Les élèves peuvent jouer à dési-gner des faits, pour aujourd'hui et pour le passé, dans le réservoir de connaissances dont ils disposent; ayant à les justifier, les comparant il ceux de leurs camarades, du

manuel, du professeur, des media, éprouvant concrètement les implications d'un tel

dé-coupage constituant, le rapportant à des contextes et des configurations de pensée

différents des leurs ..•. ils apprivoisent un des élé~pntsdu commerce avec l'histoire, au lieu de la seule reprise révérentie11e des faits tout faits.

- dans le jugement d'importance et de signification qui constitue les faits, il y a des valeurs. Les valeurs sont plus généralement présentes dans tout discours his-torique.On dénonce parfois leur effet pernicieux ("l'idéologie" des manuels).

Pour-quoi ne pas poser quiil y a toujours des valeurs, explicitps ou non, et

conce-voir des exercices qui les font d~couvrir,.•. qui font r6-~crireun dciveloppement du

point de vue d'autres valeurs .. ? On peut se proposer de remplncer ainsi le consom-mateur - éventuellement - victime, par un acteur qui trouve normales la présence des

valeurs et leur pluralité possible, qui ait senti personnellement les implications

pratiques et intellectuelles des valeurs quand on pnssp à l'énoncé ou à ln rédaction,

qui rési~te à la tentation d'approuver ou de discriditer un texte en fonction de ses seules valeurs sous jacentes.

- les faits sont 'tirés" de sources. Jeux sur la trace et l'indice, jeu" sur le témoignage •.. sur leurs états, leur recherche, leur critique. Jeux sur les cadres

propres aux divers moyens d'expressionst sur les cadres mentaux différents. Jeux

sur le passé qui se découvret et sur ce que les documents ont de contraignant.

- jeux sur le passé qu'on découvre et sur ce que les documents ont de contraint.

(10)

témoignages et les indices; le document parle mieux si on l'interroge •.•• {L'his-toire, c'est le problème).

- jeux complémentaires sur l'emphatie (le passé comme si on y était) et sur

la distanciation.

- jeux sur les concepts. Tant de mots mal fixés du vocabulaire social qui font

craquer les manuels, et qu'un lexique terminal ne suffit pas à domestiquer, car c'est la pratique des notions qui en donne la maîtrise, non leur définition, laquelle a be-soin d'al1eurs d'un terrain d'accueil déjà propice. Le spectre de la généralisation paralyse les historiens, repliés sur leurs objets individuels, et pourtant consom-mateurs de mots et d'idées à valeur universelle ou très large, perdant sur les deux tableaux et laissant les élèves flotter après eux. Exercices de classement et de

re-groupement d'items, de reconnaissance de notions dan~ un lot de cas empiriques, jeux

sur les différences, analogies clairement assumée~avant d'être rejetées ..• Tout est

à mettre au point, ici, où l'histoire elle-même, et pas seulement sa didactique,

traine les pieds.

- jeux sur le temps - sur celui de l'élève, celui des siens, celui de l'actua-lité, celui d'hier et d'ailleurs - descendre le temps, le remonter, le mettre (dans un but) entre parenthèses - dater, mettre en perspective dans une ligne du temps,

pé-riodiser, mesurer ou estimer les durées différentielles dps faits, et les reythmes

d'é-volution différents de données iterreli~es..• deux divers pour les divers ~ges, o~

l'on fait quelque chose toujours avec le temps, des choses très diverses sous ce même nom global.

- jeux sur ce domaine mal maîtrisé où les idées de cause et d'effet renvoient

à des mobiles, des motivations, des conduites intentionnelles, donc aussi à des acteurs.

à la catégorie de personne ... ce que l'histoire politique est peut-être assez prùpre à

mettre d'abord en scène .•. Oll elles renvoient aussi à des champs de force, il des

pro-cessus, à des héritages, à des déterminations sous-jacentes aux volontés ... ce que

l'histoire économique et l'histoire mentale sont peut-être "usceptibles de mettre d'abord en valeur(4).

- jeux sur la puissance et la force du récit, et sur celle du tableau .... pte.

4) Faut-il souligner que de tels exercices - qui se nourrissent toujours, à la

fois, des sujets du passé, et du présent des élèves - n'ont rien d'un "prograrmnell de substitution, remplaçant ce qu'on a coutume d'appeler des tlprogrammes-contenus" paT

un programme "penser en histoire" On n'exerce la pensée historienne qu'à la

fa-veur d'études assignables à des sociétés réelles, et les ensembles découpés par

grandes périodes, auxquels nous sotrllles habitués, s'y prêtf'llt .11l~qi hipn qllf' d'autrps

cadres. Ils ont par ailleurs l'avantage d'un look familier, et Ront propres à

(11)

Faut-il aussi préciser que suggérer des types d'exercice au long de l'enseigne-ment de l'histoire ne veut pas dire qu'ils doivent y occuper toute la place 7 On pour-rait d'ailleurs difficilement les pratiquer seuls et d'emblpe.

Il vaut seulement qu'on les pratique assez résolument. c'est par eux qu'on a

chance de mettre les élèves en mesuœd'utiliser une pensée "scientifique" - ou, si le mot paraît gros, une pensée raisonnée - qui mohilise l'usage du passé dans les situa-tions de la vie sociale.

•••••

Ces remarques spécifiques à l'histoire s'inscrivent sur un fonds de considéra-tions dont j'ai cru remarquer, pendant ces trois jours, qu'elles nous étaient large-ment communes. Quelle que soit la matière enseignée, la formation scientifique qu'elle procure ne peut être rapportée trop directement aux attitudes que prennent les ensei-gnés dans la vie quotidienne, pour diverses raisons importantes :

- toute consommation culturelle et sociale - la consommation scolaire et ses pro-longements dans la vie en relèvent- recompose à sa manière les productions dont elle

se nourrit (productions savantes, littéraires, artistiques, politiques •.. ). Cette

ini-tiat ive de ceux à qui s' adressent auteurs, professeurs, créateurs .... n'est-elle pas, à tout prendre, plus rassurante que fâcheuse ?

que la pensée sociale ne soit pas rationnelle. quelle ait ses logiques autres,

c'est un fait, ce n'est pas une tricherie, et pourquoi serait-ce toujours une fai-blesse, même si c'en est clairement une à certains points de vue et dans maintes

si-tuations ?

_ être réellement muni de ce qui fait un esprit scientifique ne suffit pas, à un a-dulte élève d'hier, à un élève adulte de demain, pour qu'il en use effectivement dans la

vie. Il faut qu'intérêt, plaisir, passion, besoin ... l'y poussent, ou ne l'en dis-suadent pas. Pour prendre un exemple proche, des historiens capables d'analyser sub-tilement un état culturel et mental d'une société passée peuvent invoquer des clichés et des impressions pour juger de l'état de l'enseignement de l'histoire au-jourd'hui et ici.

_ la vie sociale utilise le savoir, entre autres choses, comme un enjeu. La

scien-ce contemporaine (qu'elle soit physique, biologique, historique •.• ) a le prestige et donne le prestige. Son effet de légitimité peut alors gêner, miner, empêcher son effet

de vérité. Nos enseignements butent certainement sur ce fait.

Et si le savoir apparaît lié à un pouvoir - ce qui peut lui arriver de diverses

fa-çons -, celui Qui se sait ou se sent dominé par ce pouvoir résistera àce savoir. au nom d'une identité qu'il a toute raison de trouver précieuse. De ce point de vue, le monde scolaire n'est pas toujours propice à la transmission du savoir, bien que

(12)

Les chances d'une pens~e scientifique dans le public ne sont donc pas si faci-lement programmables, et même la réflexion didactique n'y peut pas autant qu'on

l'ai-merait.

- au délà de ces remarques qui chargent sur la même galère le chimiste, le botaniste et l'historien, on peut noter enfin que ces Journées ont mêlé - intention-nellement, je n'en doute pas - une vraie question sérieuse et une grosse (fausse) naiveté toujours prégnante; il faut dire à la fois

- oui la raison, la raison savante, c'est beau, c'est bon, c'est efficace, c'est

cela qu'il nous faut cultiver, et pas seulement parce que c'est notre job,

- mais vivre scientifiquement la vie quotidienne tous les jours, du matin au soir

et plus encore du soir au matin, c'est contre nature.

*************

NOTES

(1) Dans ce passage, je m'inspire de la lecture de Pierre BOURDIEU, qui n'est cepen-dant pas responsable des libertés et des approximations avec lesquelles je suis cette inspiration. Je le cite par reconnaissance de dette. Qui voudrait lui rendre à coup sûr sa pensée et en profiter davantage, peut se reporter, par exemple, à son article "Clas-ses sociales et capital symbolique" dans l'Arc, numéro consacré à Georges Duby. (2) Cf. par ex. dans "Formuler des objectifs ...• " - Cahiers Pédagogiques, n' 198-9, novembre 1976.

(3) J'emprunte beaucoup d'idées à Christian LAVILLE et à André SEGAL, de l'Université Laval, qui ne sont pas engàgés, pour autant, par le tour que je leur donne ici. Cf. par exemple André SEGAL "Enseigner l'histoire par la différence", Cahiers de Clio (Bruxelles, Liège), 1984, p. 39-45.

Id. "Pour une didactique de la durée" dans Henri ~10NIOT (dir.), Enseigner l'histoire. Des manuels à la mémoire, Berne, Petre Lan~, Collection Exploration, 1984, p. 93-111. Christian LAVILLE, "Le manuel d'histoire. Pour en finir avec la version de l'équipe gagnante", ibid, p. 77-91.

(4) J'a' entendu proposer cette piste, de facon pertinente, par Antoine PROST, qui, à son tour, n'est pas tenu par la formulation que j'en donne.

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