SENSIBILISER LES ENSEIGNANTS AU FAIT
QU'ILS PEUVENT TRANSMETTRE LEURS PROPRES REPRESENTATIONS (l)
GérardDeVecchi
Université Paris VII L.D.E.S.
Université de Genève
MOTS CLEFS:
RESUME:
FORMATION - REPRESENTATIONS.
Il semble important de sensibiliser les enseignants au fait qu'ils peuvent transmettre,
souvent inconsciemment , certaines
de leurs "représentations-valeurs" . Nous présentons ici un exemple relatif au concept écologique
de "territoire" • à travers lequel nous avons amené
un groupe de maîtres à prendre conscience de
ce problème ?
Si la ?rise deconscience par un ~a!tre qu'il possède lui-mIne des représentations est essentielle, le fait qu'il puisse les induire corresuond à un aspect encore plus i~portant. D'ailleurs un enseignant tente de faire pa3ser ce qu'il dit, ~ais ne f~it-il pas aussi passer une part de ce qu'il est? Et ~3ns ce C3S, n'est-il nas fonda~ental de lui en f~ire
nren-dre conscisnce ?
Le cas le plus simple pourrait Itre celui d'un maître qui diffuse une connaissance fausse (situation très fréquente)
i l y a quelques chances pour que cela "contamine" certains en-fants ; nous n'allons pas ici relever les maladresses de ce
ty~e et tenter d'en déduire ou'elles 8euvent Itre né?ast~s. JI Ai.lleurs celq nI est ·~,qS très gr,ve 'Juj_sou.e ce oui ~'st tr'1.ns-~is de cette ~onière ne relève souvent aue de l'élé~ent u~nc
tuel et non d'u~ savoir construit (1).
Mais il n'y a pas que les connaissances au sens strict qui omissent être transmises. N'exis"Ce-t-il pas des "représentatLlns-valeurs" pouvant être induites ou renforcées à l'occasion de thèmes s'y yrêtant, le plus souvent sans que l'enseibnant en
soit conscient?
Décrivons par exe~pleune recherche réalisée dans le cadre d'un travail fait en écologie avec des instituteurs en recyclase.
A?1ALYSE D'UN TEXTE ECRIT PAR CdA~UE STA-GlAIRE AUTOUR DU T:-IENE "LE TEX'IITOIRE D'û;, AJI11AL".
QURstion-~3uxquell,es l~s ~81trns se sont e~forcâs de réuondre
(1) : Nous pouvons ~alGré tJut siGnaler ~ue SOUV8nL ce ~e
s,Jnt .):18 des "~8n:laisS3nces f:;u33e3 ë:1 soi" qui sont dO~1nées
aux enf:C:lts, :nais :)Jutât des cO!l:1aissal1ces qui ne son.t exaCt8s que dans un champ de vulidité restreint et qui sont géné-ralisées abusivement par le martre. Cela améne l'enfant â cons-truire une somme de stéréotypes qui correspondront à des "con-naissances passe-partout", non utilisables dans la réalité puisqu'elles débouchent sur des impasses.
. définition de ce qu'est un tarritoire pour l'animal
pourquoi un territoire?
rJpports entre les différents terri-toires des animaux
• l'ho~me posséde-t-il un territoire com-par3.ble il. ceLli de l'ani:1al ?"
_ 1 - Représentations concernant le territoire
chez l'animal
Elles ont été regroupées sous la forme d'un tableau
HEPRESEN"rA.TIOrfS CQNCERNAliT
LE TEH:.<ITOIRE CHEZ L'ANIMAL
Clest un espace délimité
pouvant être continu ou discontinu (ex. migrations)
quelquefOis momentané (ex. épinoche)
défini par rapport à tains besoins vitaux
alimentation reproduction protection pouvant être : individuel ~ur un couple et 6a descendance • pour un groupe phénomène inné lntraspéci tique limites définies par les besoins de l'animal adaptéà la morphologie de l'an11l1al d:JnB lequel l'animal pré-sente un conportement de dé fense de domination dans lequel l'animal veut
Dln"EHENTS IN5TITlJ':'EiJRS
~ 10 11 12 1} l~ 15 16
1
i
Nous constatons que le concept de territoire chez l'animal est assez bien cerné par le grou}e,'Ilê,nesi, par exemple, personne ne mentionne le repos dans les besoins vitaux ou ne présente le territoire comme pouvant être constitué de différents espaces spécialisés (habitation, voies de déplacement, endroits régulièrement fréquentés). Une erreur est relativement fréquente
7
'~2itres sur 16 pensent que l'espace est occupé par l'espèce:ex. "c'est le lieu où tous les animaux de la même race (espèce) se regroupent car les conditions sont favorables : ex. ét~ng
pour les grenouilles, savane pour les tibres (qui sont plutôè considérés cO!n:ne de." ani'naux so12.LÜres!)" ; on note dOClC qu'il y a souvent confusion entre territoire et milieu.
Mais l'analyse devient plus intéressante lorsque l'on se penche sur ce qui se rap,lorte à l'Rom:ne.
- 2 - Définition du territoire chez l'Romme - ~lle est quelquefois :
• un peu utopique
"G' est I·e lieu .ninimum muis suffisant qui 1.11 permet d'évoluer dans une sécurité satisfaisante"
"G1est le choix du :nili eu où i l aime vivre (:nont "'6ne, campa"ne,
bord de "1er) l'honrne ai:1e eien chanGer de ;nili8u" asaez si2pliste :
"G'est pareil que pD ur l'animal"
"G'est sa ::>atrie" (assi:'lilation au territoire national) le plus souvent nuancée :
"L'110.:),;'3 a un territoire au :nê:ne titre que l'ani~nal, terri'Coire
~u'il ?eut 9ar~a;er, qu'il est n6cess3ire de 9art36er. Est-ce encore un territoire ?"
"L'hO~jLe a-t-il un. territoire? oui et non:
Oui car il a des lieux où il est seul (et avec sa f~mille) ~ais
ce n'est 93S 13 ~ême canceotion Je recnercne de nourriture (c]rovisiJl1s f;ites en :aer par les OiS8'.\UX viv'lnt en bandes), de reproductiJn (h3Lit3tion
=
nid pour protectiJn).Non car il en sort souvent s~~s se faire rejeter p3r 183 ~~tres
inài viclus d·:=; l'es'pèce"
"L'animal a un territoire physique, l'honme a un territoire :nor:Ü délimité aussi mais par ses opinions politiques, morales,
relid:ieuses"6
quelque peu illoGique : "L' homne sort sans cesse de son t erl'i toire"
"Il lui est impossible d'avoir un territoire car il ne peut en fixer les frontières" ••. et la même personne quelques lisnes plus loin: " ••• on peut dire que tout le déveloJ.Jcment techni-que conçu par l'intelligence humaine n'a pour seul but techni-que de consolider ou d'élargir les frontières de son territoire" (un peu contradictoire mais intéressant).
- 3 - Co~~ent ~ontror ~ue, à ryartir de
l'interryré-- l'interryré-- l'interryré--- - - -- ~..._.
tation du conc~nt de territoire chez l'animal, on induit une idéolohie adantée à l'homme?
al ~ous avons relevé quelques remarques liées à l'animal: - "Les animaux pOèsèdent (et non utilisent!) un territoire pour (finalis,ne) évoluer"
"L'ani"lal veut disposer de privilèe;es"
- "L'a'Ü,nal a besoin de se :nontrer le plus fort, ·~'être le seul à pouvoir faire un certain no~bre de choses par souci de ne pas partager"
- "Il n'accepte pas qu'on piétine ses plates-bandes"
- "L'anLnal possède une exclusivité du droit de chasse ou de cueil13tte"
"L'a-Ü:nal f'Ü1; subir cert:Ünes lois"
- "Le territoire c'est l'espace à l'in~éri8ur duqu:Ü l'alli.nal veut être le? cl1ef, le )3."tron"
- -
-- IJL'a~1i:nal a un t~~rritoire po:)r se :)rCnnr2r 30. force".
A travers ce flot de remar'F,es, SJUV8'11:
a.11:11ropo':1or-phiques, nou~ voyons netteJent se dessiner certaines ·;aleurs ;
et si :;~ ajQJte à cela Clue be:;{ucou) ont 'lentio!1:1é que la
ter-ritoire est inn~ (ce q~li est bien sOr exact), il nt; ~ clu'un
?as (Clue 12~~ l3!':f,~l'CS i'r3nc;liro:1t aist3nent) ?O'J.r ada)t:::.:r cela
b) Transfert à l'espèce hu~aine :
?artant de l'idée que le territDire est une zone
né-cessaire et que cela correspond à un besoin inné, on risque de
cautionner sans nuance :
• la propriété privée co~~e élé~ent naturel d~ns
tous les cas
. la compétition/donc la domination la hiérarchie
la conquête guerrière
et plus indirecte~entle racisne etc ...
Prenons un s2ul exemnle : l'idée de possession - On co,uence par justi fier le terri toire de l'animal : "Trop d' animaux sur le mê.ne territoire nuir·Ü t à la survi e
de l'espèce. ex. les le~mings d'Australie (plutôt d'Amérique du
Nord!) vont se noyer car t~nt d'individus ne peuvent plus
sur-vi vre, ni :'!lê.ne sur-vi vrel!
- Puis ilLe territoire a)partient à l'a!li::1al de pro?riété"
c'est l'instinct
- Puis "Pour l ' 11O:11"1e le territoire c'est l ' assouvisGement de son in3tinct de propriété"
- Puis "Chaque animal essaie de conquérir un te,~ritoireplus vas-te" (ce qui est fwx)
- Enfin une probre.J3iDYl qlli ~îOUS paraît intéressante: "Cilez
Ilho~~e l'instinct de propriét& est liâ à la vie: nécessit6
d'intervenir sur son entoura~e (=milieu) et sur les ~utres
(= 5trc3 vivants) pour survivra. D'o~ un ba~oin i:noératif je
G'aJ~r09rierce qui lui )srmet de survivre, de vivre et de
Aous voyons ce =lu'un "8eG,J2.~1 L::J;Jératiî d2 SI.=:'))TO-prier pO'J.T:":1ieuz vivre Il ;J2Ut SJ~ls-e:1,':211dre.
Co Joarons cela} quelques id6es d'ilenri Laborit (1)
CU :
LA:·ORIT '{. - La nouvelle ~rille. POclr d6coder le ~essa;e hU:J2in - ?aris, ~oberc Lafioot, 1974 9.175 i 194que l'on pourrait résu~er ainsi
Au dêoart exist3it le territoire de l'Ho"~e (~lut6t de la
tribu) qui corres)ondait â l'assouvissement de ses besoins
vi-taux)armi ceux-ci on troelve le besoin de sécurité; et ~our
être en sécurité on peut vouloir do~incr ; la ~ossession
per-met tant de docÜner, o'~ "Jasse d'un lit erri toire-bes8in" au "ter-ritoire-domination" qui n'est }lus directement lié aux besoins
vitaux. Donc, si l'instinct de propriété est un instinct, ce
n'GSL pas vrai pour n'i~porte quelle propriété.
c) An~lyse bénérale
Quelques ~aitres ont été, au moins partiellement,
c8n.scie~ts de cela en rédigeant leur texte. ex. "l'instinct de
propriété est particulièrement développé, voire ~ê~e exacerbé
chez l"18n:oe" 8U :?~core : "la volonté de puissance -C"Gst
dif-férant du besoin i~pératif de survivre- f3it que l'ho3~e
élar-git ses li:1ites t8!ljours au-delà"
La discussion qui a suivi ce travail a fait se poser
un cert~in no~br2 de questions sur le ~roblème des v~leurs
que le ~aitre véhicule (ce sont le plus souvent des v21eurs
so-ciales) et sur son "dr8it" à le faire.
A,rés un essai de clarification du concept de Lerritoire
chez l'ho~~e ~ontrant 1u'en f a i t :
• i l est plus diffus (zones }lus ou moins
?crson-nelles et zones collecéives que l'on partabe)
• i l n'y a ~u'~ne contr3dic~ion a9paren~e eD~re
cO~90r~e;TIent individual et besoin de vie 2n groupe
· i l nl9s~ plu3 3eul~ment intraspêci~ique ~3is ~U3 si intersp~cifiquepar ~li.ninatio;l de3 autres espèces
· i l te::1d:i a:-.18nSr l'_--io.'·,8 à ne plu.: .Je cJ:ll.2nt;~r de S-:;;1 t1territ:J2-re-oesointl ·D,is.i lo,~36der dussi un "territoi-re-luxe",
nou:~ nJU3 SO::: ..1es intere.-3sés Gurt'Jut à la prise de C·)lL3-ciG~ce de ce~~G i~ductian ,ossible C~ 3J!lVent inconsciente (tes
v31eurs de la ~~rt d83 insti~uteurs.
le fait qu'il ne fout pas transmettre de valeurs aux enfants
(ce t8rMe a8Daraît d'ailleurs dans les InstructiJ~sOfficielles
du C.~.). mai3 qu'il faut être con3cient de ce ~ue l'on foit.
On Dense, denuis cuelques années, que, peut-Itre, le ~lu3
iOloortant 'Jour les él'3ves c'est de découvrir ou'il existe
nlllsieur2. valeurs :îossibles et Due ces différences lJe1.1Vent
être source de richesse. Ce type d'ao8roche constitue un bon
~xe~Dle ryQur que ces idées nuissent Âtre véritablement
int~o-duites à l'école.
Enf~.n. l'j.n~uctiondes reuri'sentations des ",aîtres n'a pas seulement pour point de départ les connaissances de type livresque mais aussi les méthodes pédagogiques qu'ils choisis-sent. On n'induit pas les mêmes valeurs en optant pour une pédago-gie de la connaissance des faits ou pour un enseignement laissant
une large part aux objectifs d'attitudes et de méthodes: des
maîtres insistant sur les faits ponctuels ne formeront pas les
mêmes enfants que ceux qui tendent à développer la pensée
cri-tiaue. Et ce18 constitue un "ooint charnière" dans
l'ensei-gne~ent sciqntifioue. UnA ~nalyse ~u ~~~e tyne ~o'lrrait
rl'ail-1~11r8 ~tre faite e~ ce qui concerne les ouvr~C9s scol~irQs ou
de vql~~risation.