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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Art et sciences : la médiations de l'artiste et du scientifique

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ART ET SCIENCE

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:

LES MÉDIATIONS DE L’ARTISTE ET DU SCIENTIFIQUE

Marie-Christine BORDEAUX,

GRESEC et Université Stendhal Grenoble 3

MOTS-CLÉS : ART – SCIENCE – COMMUNICATION – MÉDIATION –

INNOVATION – HYBRIDATION

RÉSUMÉ : Issue d’un travail d’observation d’un festival dédié aux rencontres entre arts, sciences

et technologies, notre communication portera sur les principaux résultats de cette recherche, notamment sur les enjeux des acteurs engagés dans une coopération présentée comme inédite et porteuse d’innovation et sur les figures de la convergence entre arts, sciences et technologies.

ABSTRACT : Following an research about a festival dedicated to meetings between arts, sciences

and technologies, our communication will address the main findings of this research, including issues of actors engaged in cooperation presented as original and inovative and figures of the convergence between art, science and technology.

1 Cette communication s’appuie sur un chantier de recherche mené en 2006-2007 dans le cadre du Cluster 14 « Enjeux et représentations de la science, de la technique et de leurs usages », financé par la Région Rhône-Alpes.

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On assiste, depuis quelques années, à une multiplication des œuvres et des lieux consacrés à la rencontre entre arts et science. Parallèlement, des espaces se constituent pour rendre compte de ces expériences et les analyser, dont font partie les présentes Journées de Chamonix. Si le phénomène est récent, il s’appuie sur une tradition pourtant ancienne, où domine la figure du savant universel, collectionneur de mirabilia, d’origine naturelle ou humaine, et du savant accompli dans tous les domaines des œuvres de l’esprit (Léonard de Vinci, artiste, savant et ingénieur ; Blaise Pascal, mathématicien et philosophe, etc.). L’épistémologie des sciences s’est régulièrement appuyée sur l’analyse d’œuvres d’art, le plus souvent picturales et littéraires, dans une visée à la fois métaphorique et herméneutique, pour déterminer différentes logiques de (re) présentation et construire une histoire de la production des connaissances (Foucault, 1966). Plus près de nous, des artistes contemporains expriment à travers leur art des visions du monde qui sont en relation directe avec les grandes découvertes scientifiques qui construisent un système d’interprétation de l’univers ou de la matière. La dénonciation du « grand partage » (Latour, 1985), après une longue période de séparation considérée comme ontologique entre la science et les autres manières de signifier le monde, fait place, chez certains auteurs, à une vision transversale fondée sur le postulat que cette distinction radicale entre l’activité scientifique et les autres activités de connaissance doit être revisitée, et qu’il s’agit de manières différentes de construire des visions du monde. C’est aussi l’époque où apparaît la notion de culture scientifique et technique, ainsi que le réseau d’acteurs qui la mettent en œuvre. Ces acteurs, pour mettre la science « en culture », c'est-à-dire en public, utilisent les ressources et les outils de la communication culturelle : événementiel festif, expositions de point(s) de vue (Davallon, 1999), conférences-débats, ainsi que les savoir-faire de l’éducation populaire : activités ludiques, pratiques concrètes, primauté à l’expérience sur les savoirs de type scolaire. Les CCSTI utilisent les langages de l’art pour accomplir leur mission, généralement dans leurs expositions (langages visuels, scénographie). Certains d’entre eux ont aussi recours à des artistes du spectacle vivant : spectacles scientifiques, mais aussi créations artistiques inspirées plus ou moins directement d’un thème traité dans une exposition ou dans un événement. Ainsi, l’exposition du CCSTI de Grenoble sur les nanotechnologies, en 2006, a été inaugurée avec une création chorégraphique.

C’est dans ce contexte que prennent place de nouvelles initiatives, qui ne sont pas adossées à un projet de culture scientifique et qui associent des acteurs que l’organisation habituelle de leurs champs professionnels tient éloignés. En quelque sorte, ils se passent des médiations traditionnelles des réseaux spécialisés dans la culture scientifique pour construire des situations de production commune, qui mettent en prise de manière directe artistes, scientifiques et ingénieurs. L’observation

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qui a été conduite en 2006 et 2007 dans le cadre des Rencontres-i - Festival des imaginaires2 a permis d’analyser ce qui est en jeu dans ces nouvelles formes de coopération. Les Rencontres-i sont une biennale arts-science-technologie de l’agglomération grenobloise, qui réunit des partenaires en marge des alliances traditionnelle : l’Hexagone - Scène nationale de Meylan, le CEA3, et dans une moindre mesure le CCSTI de Grenoble. Ce festival propose une programmation éclectique, des formes participatives pour les publics telles que des ateliers, et des productions hybrides issues de collaborations entre des artistes, des scientifiques ou des ingénieurs. Il s’appuie sur un projet d’action culturelle qui combine une certaine tradition issue de l’éducation populaire, héritage d’une scène nationale qui occupe une place particulière dans le paysage régional du spectacle vivant, et une dimension que l’on pourrait qualifier de moderniste, prenant en compte une réalité socioéconomique locale : un technopôle de niveau international, qui représente la majeure partie du bassin d’emploi qualifié à Grenoble. Centré en 2007, de manière explicite, sur le thème de l’imaginaire, le festival poursuit de manière plus implicite un objectif d’innovation, particulièrement dans une organisation satellite qui associe l’Hexagone et le CEA : l’atelier arts-sciences, dont il sera question plus loin. Le projet d’innovation est au service d’un projet qui ambitionne de renouveler la question des publics. Il s’agit en effet de renouveler les formes artistiques, de programmer autrement, et dans le même mouvement de renouveler les pratiques de recherche et développement d’une grande entreprise publique, en s’adressant à un public-modèle qui est à la fois curieux de la culture et usager des innovations technologiques. Alors que le CCSTI est membre fondateur de ce festival, il est assez peu fait recours à son savoir-faire en matière de médiation scientifique, car les enjeux de cette alliance hors normes sont essentiellement d’ordre stratégique. Notre recherche s’est attachée à l’étude des représentations de la science et de la technologie dans un événement qui est avant tout artistique et culturel ; du rôle de l’art dans le questionnement sur la science et la technique ; de la place des publics4 dans les différents dispositifs proposés par le festival. Ce terrain d’observation participante nous a permis d’analyser les objectifs (explicites et implicites) des partenaires, leurs stratégies de communication dans une forme de coopération qui est à la fois originale et dans l’air du temps, ainsi que les figures de la convergence

2 Avec l’aide de la Région Rhône-Alpes (Cluster 14 « Enjeux et représentations de la science, de la technique et de leurs usages »)

3 Le CEA-Léti est un des cinq grands centres d’études civils du CEA. Il consacre l'essentiel de ses recherches au

développement des nouvelles technologies, dans les domaines de l'énergie, de la santé, de l'information et de la communication, et participe au transfert de ces connaissances vers l'industrie. Il développe des recherches sur les micro et nanotechnologies, notamment pour les télécommunications et les objets communicants, les microsystèmes (capteurs, condensateurs, commutateurs, systèmes embarqués et interactifs), dont les applications principales se trouvent dans le domaine nucléaire, médical (biopuces, génomiques fonctionnelle et structurale, ingénierie des biomolécules, nouvelles méthodologies d’imagerie, neuro-imagerie cérébrale, etc.) et dans les objets de la vie la vie quotidienne.

4 Nous prenons ce terme dans son double sens : public d’un événement culturel, et population potentiellement concernée par une offre culturelle.

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arts- sciences qui sont à l’œuvre dans des propositions artistiques considérées comme emblématiques de ces Rencontres par leurs organisateurs.

La structure générale des Rencontres-i s’organise à trois niveaux. Le premier est celui du centre de décision, qui associe les trois partenaires précédemment cités. Il s’appuie sur un groupe de conception, qui fournit à la fois des idées nouvelles et des lieux pour accueillir les propositions du festival : le CAUE de l’Isère, le Musée de Grenoble, le réseau de comités d’entreprise Trans’Tourisme Isère, le service culturel de Grenoble Universités, le CNRS et une unité de production artistique, le Laboratoire Sculpture Urbaine. Enfin, un troisième cercle est chargé de la mise en œuvre des projets et comprend de nombreux partenaires de tous types : compagnies artistiques, lieux culturels, entreprises, universitaires, associations, établissements scolaires, membres de la société civile, etc. L’atelier arts-sciences est une structure satellite récente, issue de l’expérience du festival, qui existe lui-même depuis une dizaine d’années : il accueille en résidence longue des artistes afin d’expérimenter des démarches qui s’appuient sur les technologies développées par le CEA. Le produit de ces résidences est programmé dans le cadre du festival. L’année 2007 est une année pilote pour cet atelier qui accueille la chorégraphe Annabelle Bonnery. L’analyse des stratégies d’acteurs fait apparaître un contexte général de mutation pour les trois partenaires concepteurs des Rencontres-i. L’Hexagone, deuxième scène nationale de l’agglomération grenobloise5, est confronté à l’évolution de son principal concurrent, la Maison de la culture, qui

élargit progressivement sa posture traditionnelle (offrir une programmation de qualité) pour inclure un projet culturel qui entre en concurrence directe avec celui de l’Hexagone, jusque-là seul à tenir simultanément exigence artistique et engagement social. Le contexte global des politiques culturelles peut susciter des inquiétudes au sein du réseau des scènes nationales, car ce label national est remis en question, du fait d’un réseau hétéroclite et de qualité diverse. L’Hexagone est également au cœur des fausses évidences de la sociologie des publics : son aire de rayonnement est en apparence un public « facile », habitant une ville d’agglomération composée de foyers aisés et socioculturellement favorisés. C’est en réalité un public difficile à atteindre, peu attiré par une offre artistique dont le « public modèle », tel qu’il est construit par la programmation de ce lieu culturel, est éclectique, ouvert, et curieux des formes contemporaines. L’alliance avec le CEA, présentée comme étonnante, témoigne au contraire d’un certain réalisme sociologique : une partie de la population de Meylan appartient au secteur tertiaire qui vit directement ou indirectement du technopôle dont le CEA est le pivot. On peut ainsi affirmer que les Rencontres-i sont une traduction moderniste du projet d’éducation populaire qui est ancré dans l’histoire de l’Hexagone.

5 Il s’agit d’une situation exceptionnelle en France, aucune autre ville chef-lieu de département ne possède deux équipements de ce type.

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Du côté du CEA, la stratégie est principalement portée par son représentant, qui, lors de l’édition 2007, dirige un service de R & D6 où se mêlent démarche de créativité, création de prototypes et études sur les usages. C’est un lieu élaboré pour produire de l’innovation, des potentiels applicatifs jusqu’aux usages potentiels. Il revendique un « continuum de recherche » allant de la recherche scientifique à l’étude des usages et des représentations. Si le CEA accompagne les Rencontres-i en tant que membre fondateur, son investissement le plus important est dans l’atelier arts-sciences, qui se déroule avec ses équipes de chercheurs et d’ingénieurs. Si les accusations récurrentes, dans les milieux culturels et les réseaux militants, d’instrumentalisation de la culture par le CEA ne sont pas à prendre au pied de la lettre, il est cependant clair, malgré les affirmations répétées des membres du réseau sur le caractère atypique de l’implication de cet organisme dans les Rencontres, que l’alliance structurée7 du CEA avec un opérateur culturel grenoblois répond à des enjeux

scientifiques aussi bien que communicationnels. En termes de stratégies de communication, le CEA peut évidemment se passer de cette alliance (comparé à l’Hexagone, le CEA est un géant), mais l’originalité de l’événement, l’apparente discrétion des nanotechnologies dans les thèmes définis pour chaque édition du festival, servent un projet d’ouverture sur les habitants et d’image de l’institution au niveau territorial. Pour le CEA, l’alliance avec l’Hexagone constitue en quelque sorte le pendant culturel et artistique de sa stratégie vis-à-vis des sciences humaines à Grenoble. Il s’agit de ressourcer l’activité de R & D, devenue au fil des années de plus en plus normée, grâce à la présence d’artistes qui apportent un regard décalé, des usages originaux, des besoins technologiques qui sont autant de pistes de travail pour les ingénieurs. Il s’agit aussi, dans un contexte national et local de contestation des dangers potentiels des nanotechnologies et de la convergence NBIC, d’envisager autrement le corps social par une connaissance maîtrisée de la fabrication de l’opinion, des valeurs et des productions symboliques.

Bien qu’en retrait au cours de l’édition 2007 du festival, le CCSTI assume son rôle, qui est d’être un lieu d’interprétation et de médiation, d’échanges entre les milieux scientifiques et le corps social. Son approche privilégie la dimension sociétale dans les interactions sciences/société, et art/science. Son axe principal de travail n’est ni celui des publics (récepteurs d’une offre culturelle ou participant à des activités encadrées) ni celui des usagers (usage des objets communicants, par exemple), ni celui des citoyens impliqués (pour/contre les nanotechnologies) mais celui de l’expertise partagée et de la distance critique. Bien que le CCSTI de Grenoble appartienne à un réseau de structures généralement associatives ou municipales, inscrites dans une problématique d’éducation populaire, il est à la fois un acteur traditionnel et innovant. Premier CCSTI créé en France, il est un de ceux dont le professionnalisme est le plus reconnu ; il entretient un dialogue

6 Recherche et développement

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permanent avec son environnement scientifique, technologique et industriel. Dans un contexte général de crise de l’éducation populaire, il est néanmoins confronté sans cesse à de nouveaux défis stratégiques, d’autant plus qu’il est en quelque sorte victime du succès de l’entreprise de la culture scientifique et technique : peut-être plus qu’ailleurs, Grenoble voit se développer des formes variées de critique sociale de la science, d’intégration des sciences humaines et sociales dans le pôle des nouvelles technologies et de réflexion politique sur les espaces délibératifs. Le CCSTI n’est plus, loin de là, l’espace de débat privilégié sur la science à Grenoble. De nouveaux acteurs émergent, avec des stratégies et des démarches concurrentes : associations militantes, initiatives politiques, projets successifs du CEA pour créer en son sein et au sein du technopôle un espace de « médiation » ou d’« interprétation » scientifique. Les artistes qui s’inscrivent dans les nouveaux territoires de l’art, lieux de fabrique transdisciplinaires, entrent eux aussi directement en contact avec les entreprises productrices de savoirs et de technologies innovantes ; ils produisent par conséquent des formes assez différentes de celles qui sont visibles dans la programmation traditionnelle des lieux de culture scientifique. Dans le partenariat engagé pour les Rencontres-i, tout en adoptant une posture de distanciation et d’accompagnement critique des acteurs, le CCSTI accomplit une de ses fonctions : placer l’activité cognitive dans un continuum entre science et art, entre savoir et expérience : faire se croiser les « amateurs de sciences » et les « amateurs d’arts »8.

Il se joue donc, dans le partenariat des Rencontres-i, des stratégies relativement convergentes. Chacun des partenaires est poussé à innover sans cesse pour maintenir sa position dans un environnement rendu plus concurrentiel par l’effacement de certaines frontières traditionnelles entre les mondes. D’où le recours à l’altérité de partenaires présentés dans les supports de communication comme particulièrement éloignés, la transgression des cadres établis, la prise de risque dans la coopération avec des organisations qui peuvent être jugées peu légitimes dans le système de valeurs qui caractérise chacun de ces mondes (l’Hexagone est ainsi présenté par certains réseaux militants comme le « sous-marin » du CEA dans la société civile). D’autre part, le discours sur la distance qui sépare les membres fondateurs des Rencontres-i ne doit pas faire oublier que producteurs et diffuseurs de spectacles, producteurs d’expositions et d’outils de médiation culturelle, laboratoires de R & D ont en commun une activité fondamentale : ce sont des industries du prototype. Ils participent à des systèmes distincts, mais où le renouvellement des formes et des paradigmes de la création ou de la créativité est une question de survie.

Quelles convergences sont attendues des productions, nombreuses et diverses, qui forment la programmation des Rencontres-i ? Nous nous sommes attachés aux œuvres programmées pour deux raisons. Nous avions de bonnes raisons de penser que ces productions symboliques mettaient en

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œuvre quelque chose du projet commun des acteurs, et que par là même elles signifiaient, en tant que système de signes, le projet de convergence qui justifie leur collaboration, et qu’elles mettaient en œuvre, à leur manière, cette utopie commune. D’abord parce qu’elles étaient sélectionnées dans ce sens par la structure principalement chargée de la programmation, l’Hexagone. Ensuite parce qu’une partie d’entre elles prenait naissance au sein même du dispositif des Rencontres-i ou de l’atelier arts-sciences, donc dans un espace dessiné par la convergence des acteurs. Nous avons ainsi pu distinguer au cours de cette recherche quatre figures9 de la convergence à l’œuvre dans les Rencontres-i, en prenant appui sur des œuvres considérées comme emblématiques de l’esprit du festival, et qui ont marqué cette édition comme autant de temps forts.

La première est la correspondance métaphorique. Le grand partage est toujours là entre la science et les autres manières de représenter le monde, mais l’œuvre d’art établit une relation de renvoi poétique à des discours et des réalités qui peuvent être de nature scientifique. Le public qui visite l’installation Les Invisibles10 dans l’ancienne station service Ponsard à Grenoble, conçue par le groupe Local Contemporain, fait spontanément le lien entre le thème des invisibles et celui de l’univers des nanoparticules, hors de tout visionnement physique possible. Le festival 2007 suit de près, en effet, l’exposition du CCSTI sur les nanotechnologies que de nombreux membres du public des Rencontres-i ont visitée. L’installation renvoie à d’autres invisibles, notamment les individus exclus dans nos sociétés. C’est une méditation sur les correspondances entre les univers de l’imperceptible, qui établit une relation indirecte de renvoi aux réalités signifiées qui se construisent dans l’acte de perception des visiteurs.

La deuxième est celle de la confrontation, fondée sur les interactions possibles entre des éléments considérés comme irréductiblement différents. La commande d’écriture faite à Serge Valletti, écrivain et auteur dramatique, qui traite dans ses écrits des sujets de société, entre dans cette catégorie11. Cette commande a conduit Valetti sur le terrain du CEA, où il a rencontré des chercheurs, des ingénieurs, ces rencontres ayant pour but de nourrir la matière d’une pièce qui sera le spectacle inaugural des Rencontres-i. Le commanditaire, de même que le public venu nombreux, attendait de cette pièce un regard drôle et grinçant sur l’univers du CEA, expression d’un artiste

9 « Figures » est entendu ici au sens de structures articulant des discours et des pratiques

10 « Cet espace délaissé depuis une quinzaine d'années, à mi-chemin du terrain vague et du cabinet de curiosités, fut présenté au public sans transformation particulière. Il était simplement mis en scène afin de mobiliser l'attention sur des matériaux rares ou des sensations négligées : un jardin secret avec son inventaire botanique des implantations spontanées et des plantes à mémoire d'existence, un catalogue de vagabondages ornithologiques, une banque d'odeurs urbaines, un relevé des éclats sonores du voisinage, une composition acoustique réalisée à partir d'une banque de conversations avec des oubliés, des exclus, des chômeurs, une traversée souterraine dans les entrailles du site qui réveille nos instincts, déroute notre sens de l'intuition et met à l'épreuve nos certitudes. En un mot, exprimer l'invisible pour mieux approcher la fragilité de l'époque, comprendre ce qu'elle accepte de voir, sa capacité à élargir le visible ou ce qu'elle choisit de confiner dans l'ombre ». (extrait du texte de présentation, site Internet de Local.contemporain « initiative de laboratoire sculpture-urbaine » )

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libre et sans contrainte d’expression sur une structure qui fait l’objet de nombreuses attaques de la part de réseaux militants12. Il s’agissait, dans ces attentes, de donner une forme artistique à un questionnement sur la présence d’un pôle de recherche orienté sur la convergence entre technologies de pointe et sciences du vivant. Cette figure de la confrontation est dominée par le « grand partage » entre science et art, et les différentes formes de l’interaction entre des pôles caractérisés par une irréductible altérité. Nous avons commenté ailleurs (Bordeaux, 2008) l’apparente simplicité de cette figure.

La troisième est celle de l’identité générique, autrement dit l’affirmation d’un élément commun permettant de rattacher chaque objet à un principe : la similitude entre activité de recherche scientifique et activité de création artistique. Art et science procéderaient d’une même structuration cognitive, et se seraient séparés du fait d’un processus historique de spécialisation des savoirs. Les processus de production seraient de même nature, de même que les fonctions cognitives qu’elles mettent en œuvre, en production comme en réception. L’exposition du circassien Johann Le Guillerm, Monstrations, illustre bien cette figure. En avril 2005, les membres du Labo-i se rendent au Parc de la Villette à Paris pour assister au spectacle Secret de la compagnie Cirque Ici - Johann Le Guillerm. Ils y découvrent le projet de la Motte : une sculpture monumentale recouverte de végétaux qui se déplace en tournant lentement sur elle-même. Le prototype présenté permettait de comprendre en quoi cet objet en instabilité permanente représente un défi technique. La Motte sera présentée notamment au festival d’Avignon en 2008. Étape intermédiaire d’une création à plusieurs pans, Monstrations est une installation à la fois mathématique et plastique, qui met en œuvre l’utilisation de principes mathématiques qui sont le matériau même de la création présentée au public. Bien qu’ayant recours à des équipes de scientifiques, Johann Le Guillerm élabore seul les principes qui conduisent son œuvre.

La quatrième figure est en effet celle de l’hybridation, au sens premier du terme, telle que la définissent les biologistes : une opération de croisement orienté dans le but d’exploiter des qualités propres à des variétés ou à des individus différents, en opérant une fécondation qui ne se fait pas par les lois naturelles. Il s’agit de revivifier mutuellement des domaines devenus distincts comme par nature, afin de réactiver des questionnements et des processus de production de part et d’autre : « Ainsi se dessine la volonté, pour l’Hexagone et l’atelier arts-sciences, de permettre aux auteurs d’aujourd’hui de s’emparer de questionnements souvent oubliés dans le champ poétique

12 « Que se passe-t-il quand on demande à un auteur de théâtre d’écrire sur les nanotechnologies? D’abord il se

renseigne, c’est quoi les nanos… ? Et on peut le comprendre parce que moi j’ai beau être Grenobloise, Grenobloise d’adoption certes, j’en sais même rien, alors le Marseillais moyen (en science, j’veux dire)... Alors ce qu’ils ont fait eux, ceux qui lui ont commandé le texte, ils ont immergé l’AUTEUREU de théâtre vivant, deux jours durant, dans l’univers des nanos. Dans des laboratoires où l’accès est hyper contrôlé, hyper surveillé, lui l’AUTEUREU de théâtre il a eu la chance d’approcher de près, mais d’approcher seulement, ce que personne n’a droit de voir. Car, pour voir ce qu’on ne voit pas, il faut être habilité, faut passer des barrières, être badgé et aussi se rhabiller ». (extrait du texte de présentation de la pièce de Serge Valetti, programme des Rencontres-i 2007)

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contemporain. C’est notre manière de mettre en phase l’imagination créatrice du théâtre et l’imagination de notre vie future », affirme le dossier de presse des Rencontres 2007. L’hybridation est une opération qui va au-delà de la combinatoire d’éléments hétérogènes ou de la pratique de l’emprunt (Molinet, 2006). C’est une notion polysémique souvent convoquée pour parler de l’implantation de nouvelles technologies dans des disciplines artistiques. Le spectacle de la chorégraphe Annabelle Bonnery, VIRUS//ANTIVIRUS, issu de l’atelier arts-sciences, exemplifie cette figure de l’hybridation. En lien avec l’ingénieur Dominique David, dont le nom est cité à l’égal de celui de la chorégraphe dans les documents de communication, elle explore les potentialités d’un des objets innovants produits par la R & D du CEA, la Starwatch13. Les qualités particulières des mouvements produits par la chorégraphe servent certes de test pour explorer la finesse de la capture du mouvement par la Starwatch. Mais l’expérience va plus loin sur le plan technologique. La pièce chorégraphique est fondée sur une partition musicale, composée à partir de sons générés par les capteurs en fonction des qualités de mouvements expérimentés en laboratoire. Cette partition est en partie réinterprétée sur scène par la chorégraphe, ce qui en fait un véritable défi artistique, kinésique et technologique. Elle contient les germes d’une forte confrontation, non seulement dans l’énoncé de son titre, mais aussi dans sa composition, car la pièce chorégraphique comporte deux parties : la première, fondée sur le principe déjà énoncé ; la seconde, après que les capteurs ont été déposés par l’artiste, (« arrachés », comme beaucoup l’ont perçu) dans le silence, sans que le public se rende vraiment compte qu’il s’agit exactement de la même pièce, tant le regard du public était auparavant conduit par la volonté de perception de la performance technologique et par le lien entre la partition et le mouvement.

Ces figures de la convergence permettent d’analyser la manière dont les acteurs impliqués dans une collaboration entre arts, sciences et technologies comprennent le sens de leur implication et construisent des mondes communs, à la fois sur le plan stratégique, organisationnel, communicationnel et esthétique. De telles collaborations posent de véritables défis en matière de communication, car elles brouillent, outre l’organisation traditionnelle des champs concernés, les normes de la communication culturelle et scientifique. L’arrivée de nouveaux acteurs dans le champ de la culture scientifique ne déplace pas seulement les frontières des mondes professionnels : elle modifie le sens de leur action et les formes de leurs pratiques. Au-delà de l’effet de mode (l’alliance entre arts et science est aujourd'hui en plein développement), nous pouvons nous demander si on assiste à une transformation structurelle des « arts de faire » des uns et des autres, et à l’avènement de nouveaux usages sociaux de la culture, de la science et de la technologie.

13 La Starwatch est un réseau de capteurs du mouvement humain, sans fil, de la taille et de l’apparence d’une montre. Cet instrument combine des capteurs magnétiques et accélérométriques équipés d’une transmission sans fil, et permet une capture fine du mouvement humain, dans les quatre dimensions de l’espace, ainsi que dans ses modes d’intensité.

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