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Existe-t-il une définition scientifique commune du « bon état écologique » en Europe ? La participation des experts à l'étape d'inter-étalonnage de la directive cadre européenne sur l'eau.

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état écologique ” en Europe ? La participation des

experts à l’étape d’inter-étalonnage de la directive cadre

européenne sur l’eau.

P.L. Marchal

To cite this version:

P.L. Marchal. Existe-t-il une définition scientifique commune du “ bon état écologique ” en Europe ? La participation des experts à l’étape d’inter-étalonnage de la directive cadre européenne sur l’eau.. [Autre] irstea. 2015, pp.30. �hal-02601436�

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EQUIPE ACTEURS, ENVIRONNEMENT ET DYNAMIQUES TERRITORIALES

Existe-t-il une définition

scientifique commune du

« bon état écologique »

en Europe ?

LA PARTICIPATION DES EXPERTS A L’ETAPE D’INTER-ETALONNAGE DE LA DIRECTIVE CADRE SUR L’EAU.

RAPPORT D’ENQUETE PROJET ANR MAKARA.

AVRIL 2015

PIERRE-LUC MARCHAL

Irstea Bordeaux, UR ETBX

50 avenue de Verdun, Gazinet 33612 Cestas

Pour mieux affirmer

ses missions, le Cemagref devient Irstea

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Introduction

De nombreuses publications existent d’ores et déjà dans les revues scientifiques d’écologie sur le sujet de l’intercalibration1. Nommée « inter-étalonnage » dans les textes officiels en français, l’intercalibration est une procédure européenne qui vise à harmoniser les méthodes scientifiques développées par les Etats membres pour évaluer l’état de leurs milieux aquatiques en application de la Directive cadre sur l’eau (DCE) (Figure 1). Le corpus d’articles scientifiques qui gravite autour du sujet est le fruit d’un ensemble d’auteurs qui ont été personnellement impliqués dans ce travail d’expertise d’envergure européenne. Pour la plupart hydrobiologistes, ces scientifiques-experts ont participé à l’exercice d’intercalibration à plusieurs niveaux : membres de centres de recherche appliquée ayant reçu les financements pour développer les méthodes nationales d’évaluation, fonctionnaires des administrations nationales chargés de coordonner les tâches d’expertise, ou personnel des instances européennes en charge du pilotage : la DG environnement de la Commission et le Joint Research Center à Ispra en Italie. Ainsi, cette littérature oscille entre une opportune valorisation académique du temps passé à cette mission d’expertise pour l’Europe et le compte-rendu des résultats assorti de recommandations pour parvenir aux objectifs d’harmonisation. Il en ressort des constats sur les difficultés de classification des masses d’eau et de recueil de données sur les conditions écologiques de référence, ainsi que sur l’inégal avancement des Etats membres dans le développement de leurs méthodes d’évaluation. Par-delà ces constats, cette littérature n’interroge pas la dimension politique de l’inter-étalonnage. En revanche, le regard de la science politique amène un certain nombre de questions sur cette procédure inédite pour fixer la norme dans l’espace européen. L’étude présentée dans ce rapport vient interroger la formation des compromis et des stratégies entre les acteurs européens engagés dans l’intercalibration. Elle vise à déterminer dans quelle mesure on peut dire qu’il existe ou non, au terme de cette procédure, une définition scientifique commune du « bon état écologique ». La définition donnée par les experts est-elle indépendante de leur nationalité ? L’écologie scientifique est-elle en mesure de donner une définition quantitative du bon état telle que la DCE l’a exigé ? Pour répondre à ces questions, ce rapport d’enquête tente tout d’abord d’identifier les partisans et les intérêts froissés par la construction d’un « espace commun de la mesure » en hydrobiologie, et la manière dont ils s’expriment. Il examine ensuite la façon dont la Commission européenne a assemblé les experts de chaque Etat membre. Pour finir, il étudie l’action réciproque de l’intercalibration sur la construction d’indicateurs biologiques pour la DCE.

1

Par exemple dans le journal Ecological indicators, une dizaine d’articles sont parus entre 2009 et 2014 sur des cas concrets de préparation à l’intercalibration exigée par la DCE. Quelques articles proposent des retours sur expérience plus généraux (Hering et al., 2010 ; Birk et al., 2013 ; Poikane et al., 2014).

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Figure 1 : Pour la DCE, chaque méthode d’évaluation de la qualité écologique repose sur un indicateur biologique construit

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Sommaire :

I) La fixation des seuils de qualité écologique : intérêts en présence _______________________ 5 Ce qu’est la spécificité du vivant ____________________________________________________ 5 Convenir du bon état : quelques désaccords __________________________________________ 8 II) L’assemblage des experts : approches hybrides de la DCE _____________________________ 13 Un comité réglementaire et des groupes informels ____________________________________ 13 Recrutement et trajectoires ______________________________________________________ 14 III) Les savoirs de bioindication à l’épreuve des frontières _____________________________ 17 Hétéronomie du champ de la bioindication __________________________________________ 17 L’apprentissage difficile de l’intercalibration _________________________________________ 22 Souplesse des nouveaux seuils ____________________________________________________ 24 Conclusion ______________________________________________________________________ 26

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I) La fixation des seuils de qualité écologique : intérêts en présence

L’annexe V de la DCE a posé les bases de ce que devait être l’intercalibration pour assurer la « comparabilité des résultats des contrôles biologiques » de chaque Etat membre. Aucun autre règlement ou directive n’utilise ce terme particulier d’intercalibration, mais l’harmonisation des pratiques nationales est un problème qui se pose dans de nombreuses politiques publiques européennes. Vérifier la comparabilité des exigences nationales est rendu nécessaire par la mise en œuvre de la politique publique sur le territoire et plus certainement par la libre circulation des produits sur le marché intérieur. L’harmonisation des limites maximales de résidus (LMR) de pesticides dans les denrées alimentaires offre ainsi un bon exemple de ceci tout en illustrant les contradictions que peut engendrer l’exercice. Lorsque la Commission a décidé en 2008 d’établir des LMR communes2 afin de mettre fin à la distorsion de concurrence entre producteurs due aux différences entre les seuils nationaux, elle a accepté des nouvelles valeurs seuils qui étaient supérieures à celles des pays les plus stricts, dont la France. L’initiative avait déclenché l’indignation des associations environnementalistes3 sans que leur action n’aboutisse sur une réévaluation de ces limites communes. Dans le domaine de l’eau pourtant, les intérêts en jeu sont différents. La DCE n’affecte pas directement des produits qui s’échangent sur le marché intérieur, mais des milieux aquatiques. Les raisons qui ont poussé les rédacteurs de la directive à rendre obligatoire l’inter-comparabilité des méthodes sont sans doute à chercher ailleurs. Remarquons tout d’abord que l’étape obligatoire de l’intercalibration est spécifique aux méthodes d’évaluation biologique : comme nous allons le voir, les seuils chimiques des polluants « classiques » sont partiellement harmonisés entre les Etats membres.

Ce qu’est la spécificité du vivant

Pour évaluer l’état des milieux, la DCE articule l’évaluation d’un état chimique et d’un état écologique (Figure 2). Pour l’état chimique d’une part, la directive indique une liste de substances dites prioritaires dont la concentration mesurée doit être comparée à une valeur limite de NQE (norme de qualité environnementale). En 2008 puis en 2013, des directives filles (2008/105/EC ; 2013/39/EC) ont mis à jour cette liste et finalement fixé des valeurs communes de NQE pour tous les Etats membres. Pour l’état écologique d’autre part, l’évaluation conjugue une batterie d’indicateurs biologiques avec la mesure de « polluants spécifiques » (métaux et molécules synthétiques) et d’éléments physico-chimiques « supportant la biologie » qui ont une action directe sur la nature et la structuration des peuplements et que l’on pourrait qualifier d’« historiques » parce qu’ils sont mesurés depuis longtemps (Lestel et Meybeck, 2009) : transparence, température, bilan d’oxygène, salinité, nutriments. Les valeurs seuils des critères historiques ne sont pas harmonisées entre les Etats membres et, de même, les polluants spécifiques sont soumis à des normes NQE établies au niveau national :

« Dans son Annexe V, la DCE prévoit une procédure d’établissement des NQE pour les substances figurant dans son Annexe VIII (liste des substances prioritaires au niveau national dites « substances de l’état écologique »). La méthodologie pour l’élaboration des NQE n’est toutefois pas clairement définie dans l’Annexe V de la DCE, c’est

2 Règlement n° 149/2008 modifiant le règlement n° 396/2005 du Parlement européen et du Conseil du 23

février 2005 concernant les limites maximales applicables aux résidus de pesticides présents dans ou sur les denrées alimentaires et les aliments pour animaux d'origine végétale et animale.

3 « Pesticides: une harmonisation discutable » : article dans L’Express du 3 septembre 2008. Voir également

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pourquoi il n’existe pas aujourd’hui de méthodologie harmonisée entre les États Membres pour la détermination de NQE nationales. Pour la France, le tableau 7 de l’Arrêté du 30 juin 2005 identifie 83 substances devant faire l’objet d’un programme d’action pour lutter contre la pollution des eaux. La Direction de l’Eau et de la Biodiversité (DEB) a donc confié à l’INERIS la détermination des NQE pour ces 83 substances. » (Extrait du rapport de l’INERIS « Méthodologie utilisée pour la détermination de normes de qualité environnementale (NQE) », 05/08/2011)

Figure 2 : les conditions à réunir pour qu’une masse d’eau de surface atteigne le bon état, selon les termes de la DCE. Sur

fond coloré : éléments harmonisés à l’échelle européenne (source : auteur, d’après l’annexe 2 de l’arrêté évaluation du 25 janvier 2010)

La DCE établit que le choix des polluants spécifiques à l'état écologique et des NQE correspondantes sont de la responsabilité des Etats membres ou des autorités de bassin. La méthodologie de dérivation des NQE, qui relève en revanche de la responsabilité de la Commission, est décrite dans un document guide4. D’après un écotoxicologue d’Irstea, ceci n'empêche pas des écarts possibles entre les Etats membres, du fait des différences entre les jeux de données, des jugements d’experts sur ces données ou du choix des « facteurs de sécurité » (assessment factors : valeurs par lesquelles on divise le minimum expérimental pour extrapoler un seuil juridique qui tient compte des incertitudes et des variabilités).

Le choix de la Commission a donc été de passer outre l’harmonisation exacte des normes de qualité physico-chimique et d’une partie des NQE, alors qu’elle exige l’intercalibration des seuils des indicateurs biologiques. Les experts engagés n’y relèvent pas de contradiction en justifiant que la spécificité du vivant – c’est-à-dire l’indétermination de la définition du « bon état écologique »5 et la complexité de son évaluation – rendaient nécessaire un tel exercice de comparaison internationale pour assurer une définition cohérente du bon état écologique. Les hydrobiologistes européens sont d’ailleurs intéressés à cette procédure qui élargit leur terrains d’étude et permet de confronter leurs méthodes à de nouveaux contextes. Mais l’harmonisation de l’évaluation biologique est aussi au

4

Guidance Document No. 27 : “Technical Guidance For Deriving Environmental Quality Standards”.

5 La DCE liste quatre « éléments de qualité » à évaluer : phytoplancton, autre flore aquatique,

macroinvertébrés, poissons.

Les éléments de qualité biologique sont proches ou peu

différents des conditions de références

Les éléments de qualité biologique sont proches ou peu

différents des conditions de références

Les éléments de qualité biologique sont proches ou peu

différents des conditions de références La concentration des 33 substances de la liste de l’état chimique respecte les

NQE

Bon état chimique Bon état écologique (ou très bon état,

selon l’évaluation hydromorphologique)

Bon état global

Méthodes nationales et Intercalibration des

écarts à la norme Seuils nationaux Seuils nationaux

Seuils européens harmonisés

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service de la Commission, qui doit contrôler l’avancement des Etats membres sur l’atteinte des objectifs fixés dans la directive. L’intercalibration permet de faciliter ce contrôle. Chaque pays construit ses propres méthodes et indicateurs biologiques et ceux-ci peuvent se trouver très différents en fonction des cultures et des courants dont les scientifiques qui les développent sont issus. L’intercalibration prévoit la vérification de la compatibilité des différentes méthodes nationales avec les grandes lignes de la DCE. Elle inclut également le calcul des « ratios de qualité écologique », obtenus en divisant la note donnée d’un indicateur par la note de ce même indicateur dans les conditions biologiques de référence (Figure 3). Ces ratios se situent théoriquement entre zéro (très mauvais état) et un (état de référence). Ils servent d’unité commune pour fixer les seuils réglementaires de qualité : limite entre le bon et le très bon état et limite entre le bon état et l’état moyen.

A la différence des indicateurs biologiques, les mesures physico-chimiques sont directement commensurables entre les pays. La question de savoir si les protocoles qui produisent ces mesures sont réellement comparables s’est seulement posée en termes de recommandations dans un document guide, recommandations qui n’appréhendent pas toutes les divergences possibles (de méthodes, d’instruments, de temporalités lors des prélèvements, des échantillonnages, des mesures, etc.) dans les pratiques des chimistes en Europe. La spécificité du vivant paraît donc un peu construite, dans la mesure où c’est surtout la manière dont on l’évalue par l’hydrobiologie qui est spécifique, car plus récente et moins internationalisée que la mesure en physico-chimie. La spécificité des indicateurs biologiques repose précisément sur le fait qu’ils quantifient des entités dépourvues de conventions « universelles » pour les mesurer. On reconnaît ici l’analyse du processus de quantification par Alain Desrosières :

« J’avais suggéré d’employer le mot « quantifier » pour bien le distinguer du mot « mesurer » en disant finalement que quantifier c'est convenir + mesurer et mesurer c'est appliquer des conventions. On emploie beaucoup le substantif « convention », mais on emploie peu le verbe « convenir » ; c’est pourtant intéressant le mot « convenir ». On fait quelque chose, on se met autour d’une table et on convient, on négocie ; donc, il y a un aspect social dans le verbe convenir. »

(Alain Desrosières, extrait d’entretien dans Pénombre. La lettre grise, troisième série, volume IX, numéro 12, automne 2013)

Pour conclure dans les termes d’Alain Desrosières, on peut dire que la DCE requiert une quantification biologique et chimique du bon état et que l’intercalibration est une scène de négociation des conventions préalables aux mesures biologiques. Ceci est spécifique au vivant car en matière de qualité physico-chimique, ce qu’il faut mesurer a déjà été convenu6 pour coordonner l’action des Etats membres : la façon dont il faut la mesurer (les protocoles de prélèvement par exemple) n’est pas remise en question même si les pratiques au sein de chaque communauté ont pu diverger avec le temps7. On comprend alors qu’en hydrobiologie cette scène de l’intercalibration est intéressante car elle offre à voir le processus de quantification dans son ensemble, avec sa phase la plus « sociale » et même ici « politique » compte tenu de l’enjeu normatif du processus. Comme

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En chimie, l’analyse est une simple mesure : les disciplines de la métrologie peuvent être appliquées pour quantifier une réalité (nombre de molécules dans un échantillon). En biologie, l’analyse est une évaluation de l’état de fonctionnement d’un milieu aquatique à partir de l’étude (par utilisation d’indicateurs plus ou moins complexes) de peuplements vivants hétérogènes

7 On peut noter cependant qu’en chimie les méthodes de prélèvement ont peu été considérées jusqu’à présent

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nous allons le voir, l’intercalibration se joue dans les faits sur des scènes plurielles qui sont des groupes d’experts choisis et financés par chaque ministère en charge des questions de l’eau et qui se déclinent en fonction des compartiments biologiques étudiés et des zones géographiques.

Figure 3 : Calcul des Ratios de qualité écologique pour le processus d'intercalibration (source : auteur)

Convenir du bon état : quelques désaccords

Au cours de ce qu’on peut appeler la phase de convention, deux types de questionnements semblent se poser aux écologues qui développent les bio-indicateurs : ce qu’il faut mesurer exactement – et il est parfois nécessaire de redéfinir les catégories (à l’inverse des méthodes françaises, les méthodes néerlandaises et flamandes considéraient qu’un arbre est un macrophyte) – et comment on le mesure : c’est la question des protocoles (à quelle saison faut-il prélever par exemple). Cette renégociation entre Etats membres des normes de l’évaluation écologique met en jeu des théories scientifiques mais aussi les intérêts de groupes sociaux. Il peut être davantage judicieux de prélever en été dans certains milieux et en hiver dans d’autres. D’une autre façon, il peut être stratégique pour un service gestionnaire de chercher à conserver les espèces d’arbres dans les inventaires floristiques qui seront exigés pour évaluer l’état des masses d’eau. On illustre quelques-uns de ces échanges et on interroge les conditions de leur clôture.

A travers les concepts qu’elle véhicule, la DCE a restreint d’emblée l’étendue des divergences qu’il eut été possible de rencontrer entre les méthodes d’évaluation. En effet, la notion de conditions de référence a d’abord privilégié les indicateurs fondés sur la taxonomie au détriment d’indicateurs d’écologie fonctionnelle (Bouleau et Pont, 2015). Au cours de sa mise en œuvre, la directive a tout de même laissé une certaine liberté aux Etats membres8, de telle sorte que des méthodes d’inspiration

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Notamment, la directive propose deux options de classification des masses d’eau de surface. Le système A repose sur des zonations successives dans des écorégions définies sur des critères géographiques. Le système B propose une typologie plus libre en fonction d’une série de facteurs physiques. Le système A est plutôt utilisé

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fonctionnelle ont pu se rendre conformes aux exigences de la DCE et se soumettre à l’intercalibration. C’est par exemple le cas de l’indicateur « poissons rivières » français. Une relative diversité d’approches conceptuelles est donc en jeu au sein des groupes d’intercalibration (appelés « GIG » : geographical intercalibration group). La diversité et la confrontation des pratiques s’observent également dans les groupes de travail sur la normalisation qui ont lieu au comité européen de normalisation (CEN) dans le même temps, avec des experts qui ne sont pas forcément les mêmes que ceux engagés dans l’intercalibration. Les listes taxonomiques, les méthodes de prélèvements, les protocoles d’échantillonnage y font l’objet de négociations. On voit alors que c’est par l’effet conjoint de résolutions théoriques et de luttes d’influence que certains concepts et protocoles l’emportent. D’une part, on observe que la structure statistique de l’intercalibration écarte les indicateurs les plus éloignés des « clous » de la directive9, ou encore qu’un indicateur qui a déjà acquis sa légitimité scientifique s’impose plus facilement aux participants10. D’autre part, le succès de certaines méthodes, idées ou protocoles dépend également de la position stratégique de ceux qui les défendent dans les groupes de travail. Un ancien représentant du ministère français de l’environnement aux réunions d’Ecostat11 rapporte ainsi qu’ « avoir la plume » était un moyen pour les Etats membres de mettre en avant leurs préférences au sein des groupes de travail d’intercalibration et de normalisation. Le cas de la prise en compte des espèces invasives illustre ces stratégies (cf. encadré ci-dessous) tout en montrant que le pragmatisme a souvent raison de ces luttes d’influence, puisque c’est par refus de produire de nouveaux indicateurs que la majorité des experts ont contré la proposition britannique de prendre en considération les espèces invasives. C’est par le même effet de pragmatisme que la majorité des Etats membres participant au GIG Méditerranée pour les macrophytes en rivière ont adopté l’indicateur français (l’IBMR), car la France était parmi eux le seul pays à avoir produit une méthode aboutie sur cet élément.

pour des méthodes d’évaluation phyto-écologiques, le système B permet davantage des approches modélisatrices.

9 Pour être conservé, chaque indicateur doit être corrélé avec la métrique commune (conçue par les experts du

GIG) par un coefficient R² d’au moins 0,5. Bien que ce seuil soit faible, certains indicateurs ont été écartés, à l’exemple de la méthode anglaise pour les poissons en rivière. Cette méthode extrapole les conditions de référence par modélisation. L’expert anglais argue que la non-corrélation avec la métrique commune peut s’expliquer par la faible biodiversité naturelle des cours d’eau d’Angleterre par rapport aux autres Etats membres.

10 La grande majorité des métriques communes sont des constructions ad hoc, mais les experts choisissent

parfois de réutiliser directement des indicateurs courants, comme l’indice de diversité de Shannon, ou l’indice trophique pour les Diatomées dans les lacs : « for the lake phytobenthos intercalibration exercise, the trophic index (TI: Rott et al., 1999), a widely used phytobenthos metric, was used as the common metric of intercalibration. » (Poikane et al., 2015).

11 Ecostat : groupe de travail européen relevant de la « Common Implementation Strategy » de la DCE, chargé

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Examiner l’intercalibration comme une arène de négociations nous révèle donc que les prises d’orientation (concernant la démarche générale, l’élection d’une métrique commune, ou encore la fixation des seuils) dépendent à la fois de la légitimité scientifique de cette orientation et de jeux d’acteurs particuliers entre les experts participants. La légitimité scientifique dans ce contexte repose

Débat sur la prise en compte des espèces invasives dans l’évaluation de l’état écologique pour la DCE

Les espèces invasives (ou « espèces exotiques envahissantes », car une espèce envahissante peut aussi être indigène) ne sont pas mentionnées dans la DCE. Elles constituent un point aveugle de la directive, dans la mesure où il n’est pas déterminé si la présence d’une espèce invasive doit être prise en compte comme une pression à part entière sur les écosystèmes. D’après une étude conduite par le Joint Research Center (JRC) de la Commission européenne (Vandekerkhove et Cardoso, 2010), peu d’Etats membres (de quatre à huit selon les types d’habitats) prennent explicitement en compte les espèces invasives dans leurs méthodes d’évaluation de l’état écologique des eaux de surface. Pour ce faire, ces méthodes attribuent des valeurs indicatrices spécifiques pour les espèces invasives dans le calcul de la métrique, ou opèrent un déclassement des masses d’eau s’il y a constat d’invasion par une espèce introduite. Dans d’autres cas, les Etats membres soutiennent que les indicateurs développés permettent de rendre compte des conséquences d’une invasion même s’ils ne font pas directement un relevé de l’espèce invasive.

Un expert britannique du Scottish Natural Heritage s’est particulièrement emparé de la question des espèces invasives et a cherché à mettre fin au flou qui règne autour de cette question dans la mise en œuvre de la DCE. Il a organisé un atelier de concertation à ce sujet en 2006 auprès du groupe de travail Ecostat, rédigé (au nom du groupe d’experts britanniques qu’il a présidé) un guide pour l’évaluation des « alien species pressures » et proposé une norme européenne à Ecostat. Enfin, avec le JRC, il a coordonné deux colloques sur les espèces invasives dans la DCE (à Bordeaux en 2008 et à Ispra en 2009), ainsi que l’enquête citée ci-dessus sur leur prise en compte dans les méthodes nationales (Vandekerkhove et Cardoso, 2010 ; Vandekerkhove, Cardoso et Boon, 2013).

Cette stratégie de placement des espèces invasives sur plusieurs fronts de travail a été perçue comme du lobbying excessif par certains acteurs, à l’instar de l’ancien représentant du ministère français aux réunions d’Ecostat. Les chercheurs français, bien que disposés à soulever cette question dans le contexte de la DCE (cf. un rapport de stage de Master 2 encadré par Alain Dutartre : Mazaubert, 2008), considèrent que les propositions de l’expert britannique, de création d’un nouvel indicateur ou d’intégration à ceux déjà existants, constitueraient un trop gros chantier au vu des connaissances disponibles sur les espèces invasives et, sans doute, au vu de l’absence d’une demande politique européenne. De plus, la prise en compte des espèces invasives conduirait à déclasser beaucoup de masses d’eau alors que l’éradication de ces espèces est impossible dans la majorité des cas. Comme obligation est faite d’engager des mesures de restauration pour revenir au bon état, cela conduirait à une impasse. Il a donc été préféré par la majorité de tenir compte de ces espèces dans des métriques d’alerte ou de diagnostic spécifique, n’entrant pas dans l’évaluation. Cette position a été majoritaire au sein d’Ecostat et la construction d’une méthode européenne pour évaluer l’impact des espèces invasives semble être délaissée à ce jour.

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sur une procédure statistique prédéfinie par des scientifiques mandatés par la Commission européenne12 - certaines métriques parvenant également à s’imposer par le biais d’autres preuves académiques (publications, réputation internationale…). Quant aux jeux d’acteurs, ils sont réglés par les intérêts – souvent visibles à travers des prises de position stratégiques dans les groupes de travail – des experts nationaux, des acteurs politiques qui mandatent ces derniers et des fonctionnaires européens. Pour résumer sans vouloir donner une image trop simple de relations plus intriquées, on peut dire que les premiers craignent de compromettre l’accumulation de bases de données scientifiques par un bouleversement des normes qui les rendrait incompatibles avec une nouvelle génération de données13. Les seconds tiennent à éviter le réajustement des seuils et des méthodes d’évaluation pour éviter l’effet du « changement de thermomètre » qui entraîne une dégradation artificielle de l’état des masses d’eau. Les Etats membres qui n’ont pas pu finaliser le développement d’un indicateur ont pour enjeu de s’acquitter de cet exercice d’intercalibration à moindre frais. Enfin, les fonctionnaires européens qui coordonnent l’intercalibration, depuis la DG environnement ou le JRC, contrôlent a minima la validité des procédures et tentent de faire respecter un calendrier sur lequel, à chaque étape, l’intercalibration prend beaucoup de retard14.

Cette première analyse permet de qualifier la dimension de changement ou d’inertie de l’intercalibration dans le paysage institutionnel de la DCE. Quinze ans après l’adoption de la directive, on observe que la construction d’un espace commun de la mesure est à la fois un objectif toujours poursuivi pour répondre à un besoin de conventions de l’évaluation écologique et un horizon peu à peu repoussé par les acteurs dans les arènes de négociations. La Commission européenne a conçu l’intercalibration en vue de faciliter le contrôle de l’avancement des Etats membres sur un domaine où le texte de la directive s’avère peu détaillé. Pour cela elle regroupe des délégations expertes nationales dans l’objectif d’uniformiser et standardiser les pratiques de bioindication, impulsant en parallèle les travaux de normalisation et ceux de l’intercalibration. Les orientations prises par les changements de pratiques et de seuils revêtent un caractère particulièrement négocié en raison de certains verrous : la dépendance aux normes préétablies de la production de données et la sensibilité politique des bornes du « bon état » écologique. Comme le souligne Eve Fouilleux (2002), la notion de « dépendance au sentier » présente de l’intérêt pour éclairer les effets de verrouillage et d’inertie dans les politiques publiques, mais elle ne permet pas d’expliquer ce qui peut néanmoins déclencher le changement au sein de configurations figées. En ce sens il faut étudier davantage le rôle des idées, leur institutionnalisation et leurs échanges entre les acteurs à chaque niveau de gouvernance. Pour opposer quelques facteurs d’innovations à la dimension d’inertie de l’intercalibration, on peut donc

12 Dans plusieurs rapports et documents guides, principalement rédigés par Sebastian Birk (Université d’Essen)

et Nigel Willby (Université de Stirling). Par exemple : "Guidance Document No. 14 on the intercalibration process 2008-2011” (Schmedtje, U. et al., 2009)

13 Un des premiers représentants français à Ecostat exprime que si la France avait dû faire des concessions sur

sa vision spécifique de l’échantillonnage des macro-invertébrés, « on perdait plus de 10 ans de données accumulées dans les réseaux de suivis des agence de l’eau ». Les spécificités de l’échantillonnage tiennent parfois au matériel utilisé : exemple typique du prélèvement de poissons dans les eaux côtières, pour lequel chaque pays utilise des techniques de pêche plus ou moins sélectives (chaluts, sennes, verveux…).

14 En établissant la Common Implementation Strategy de la DCE en 2000, la Commission prévoyait que

l’intercalibration serait finalisée en 2006. Les travaux avec les Etats membres ont débuté en 2004 et ont abouti à une première décision de la Commission fixant les seuils en 2008. Une deuxième phase a été lancée en 2008 car plusieurs éléments de qualité biologique n’avaient pas été pris en charge. La décision de la Commission reprenant les résultats de cette deuxième phase n’a pu être prise qu’en 2013.

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analyser la circulation des experts, des savoirs et des pratiques scientifiques à l’œuvre dans cet exercice.

(14)

II) L’assemblage des experts : approches hybrides de la DCE

L’organisation hiérarchique des groupes d’experts de l’intercalibration (Figure 4) montre que l’ensemble de cet exercice est à la fois piloté par le JRC et chapeauté par le groupe de travail Ecostat, groupe lui-même piloté par le JRC. Ecostat est lui-même un groupe d’experts qui ressort, parmi d’autres, de la Common Implementation Strategy (CIS) mise en place par la Commission européenne dès 2000, pour planifier les mesures d’exécution rendues nécessaires par l’adoption de la directive cadre sur l’eau. La formation des groupes d’experts par et auprès de la Commission est une pratique institutionnalisée, mais elle peut s’inscrire dans plusieurs types de procédures plus ou moins formels. Comme nous allons le voir, la CIS met simultanément en jeu les modalités légales de la « comitologie » et les logiques non codifiées (bien que connues) du recrutement des groupes d’experts informels de la Commission.

Figure 4 : Structure organisationnelle de l’exercice d’intercalibration (source : Guidance document no.14).

Légende : WG 2A = Working Group A Ecological Status (Ecostat) ; lettres dans les octogones = acronymes des groupes « écorégionaux » (exemple : AL = Alpine rivers, BA = Baltic Seas…)

Un comité réglementaire et des groupes informels

La Commission européenne possède des compétences d’exécution des textes législatifs, qu’elle exerce à travers son pouvoir réglementaire. La comitologie15 est un mécanisme qui permet aux Etats membres de contrôler l’exercice de ces compétences par la Commission et de rester associés à l’élaboration des mesures d’exécution. Comme l’explique le site officiel de synthèse de la législation de l’UE16, les compétences d’exécution « appartiennent en principe aux États membres ; ces derniers sont en effet chargés d’appliquer le droit européen dans leur droit interne par l’intermédiaire de leur administration nationale. Il existe cependant des cas pour lesquels une application uniforme du droit européen est nécessaire, afin d’éviter, par exemple, toute forme de discrimination ou de distorsion

15 Citée sous l’appellation « procédure du comité consultatif » dans l’Acte unique européen de 1986, ses

modalités sont précisées dans une décision du Conseil du 28 juin 1999 puis modifiées par la décision du Conseil du 18 juillet 2006. Suite au traité de Lisbonne (2009), un règlement de 2011 en refonde les principes (en utilisant explicitement le substantif « comitologie ») en distinguant les actes d’exécution et les actes délégués.

(15)

de concurrence. Ainsi, l’article 291 du traité de fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) permet à la Commission d’adopter les mesures d’exécution d’un acte juridique européen ».

La mise en œuvre de la directive cadre sur l’eau s’appuie en partie sur ce mécanisme : son article 21 prévoit en effet qu’un « comité de réglementation » assistera la Commission conformément à la décision comitologie de 1999. Ce comité est ordinairement appelé le comité article 21. Sa mission (art. 20) est d’approuver les modifications de l’annexe I (informations sur les autorités compétentes), de l’annexe III (analyse économique) et du point 1.3.6 de l'annexe V (normalisation des méthodes d’évaluation biologique) de la DCE afin de les adapter « au progrès scientifique et technique »17. Dans les faits il est également chargé de valider les résultats de l’intercalibration (point 1.4.1 de l’annexe V). Le traité de Lisbonne (2009) allège peu à peu cette procédure tout en continuant à encourager la formation de groupe d’experts nationaux par le personnel de la Commission18.

L’ensemble des groupes d’experts de la CIS dont Ecostat et l’ensemble des groupes d’experts engendrés à leur tour par les travaux d’Ecostat, ne sont donc pas des comités comitologie. Comme l’explique le document stratégique du CIS adopté en 2001, ils forment des arènes informelles où se préparent les projets de mesures soumises au seul comité réglementaire, le comité article 21 :

“The guidance documents produced in the frame of the joint Strategy may form the basis for guidelines, which could be adopted under the Committee procedure. The process established within the joint Strategy could therefore partly be seen as an informal preparation for the Committee procedure for some specific areas. Any follow up for the specific guidance documents should be elaborated on a case by case basis and with view to the competence of the Article 21 Regulatory Committee”.

CIS Strategic Document as agreed by the Water Directors under Swedish presidency, 2 May 2001 (soulignement ajouté. “Committee procedure” = comitologie).

La fonction du comité article 21 semble donc se limiter à la validation des travaux conduits au préalable dans les groupes informels – fonction devenue quasi-désuète après le traité de Lisbonne – et les compétences d’exécution de la DCE sont de facto assumées par ces mêmes groupes informels pilotés par la Commission. Il s’agit donc à juste titre de s’intéresser de près à leur composition, mais aussi de comparer leur fonctionnement à celui d’autres groupes semblables dans le paysage institutionnel de l’UE, qui n’auraient pas cette fonction d’exécution d’une directive. L’étude de Cécile Robert (2012a) ayant analysé le recrutement et les trajectoires des «experts semi-permanents des institutions » permet d’ébaucher cette comparaison.

Recrutement et trajectoires

Les Directions générales (DG) de la Commission recourent fréquemment à des groupes d’experts informels, à des fins de consultation et de prise d’information pour préparer leurs futures propositions législatives. Ils sont « informels » par opposition aux comités comitologie : leur

17

Par ailleurs les comités comitologie sont soumis à une obligation de transparence : les documents de travail sur les mesures d’exécution qu’ils examinent sont publiés dans le registre public de comitologie (en ligne sur

http://ec.europa.eu/transparency/regcomitology/index.cfm?CLX=fr)

18

Le règlement (UE) n° 182/2011 pris en application du traité de Lisbonne met fin à la procédure de réglementation avec contrôle pour instaurer notamment les actes délégués, ce qui signifie que la Commission n’a plus besoin explicitement de l’avis ni de l’accord d’un comité pour présenter un projet de texte (de mesure d’exécution) sur des éléments non essentiels, au Parlement et au Conseil. Pour les textes adoptés antérieurement au traité de Lisbonne comme la DCE, la procédure de réglementation avec contrôle est restée en vigueur pendant plusieurs années.

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composition est laissée à la discrétion des fonctionnaires européens qui les déclenchent, ils sont gérés aux niveaux hiérarchiques les plus bas dans les différentes DG et restent souvent peu visibles (bien que très nombreux : un millier environ). Ils sont parfois accusés d’être une porte d’entrée dans le système politique européen pour les lobbys, par des ONG comme Corporate UE Observatory. Bien que le livre blanc sur la gouvernance19 (2001) ait encouragé entre autres le principe de transparence, le registre public des groupes d’experts créé en 200520 est partiellement renseigné, peu mis à jour et ne cite pas les noms des experts.

Plusieurs études ont investigué plus avant le recrutement des experts de la Commission et ont mis à jour des régularités dans son fonctionnement (Robert, 2012a). Les stratégies de représentativité, centrales, forment l’une d’elles. Le livre blanc sur la gouvernance insiste sur l’importance d’ « améliorer la représentativité des organisations de la société civile » dans les processus de consultation. C’est en ce sens que le recrutement des experts est conçu par le personnel de la Commission pour représenter tous les acteurs cibles des politiques communautaires : il s’effectue parmi les porteurs d’intérêts privés et les administrations nationales autant que parmi les scientifiques du monde académique. Les dimensions précises de cette exigence de représentativité varient selon les sujets de consultation, car ils sont très divers, d’ordre socioéconomique comme les questions migratoires, ou d’ordre technique comme les caractéristiques d’un équipement industriel, etc. En définitive, selon Cécile Robert, « le savoir ou la compétence de l’expert recherchés dans cette procédure, loin de se réduire à la détention de titres académiques, sont étroitement dépendants des appartenances de l’expert à différents collectifs, nationaux, professionnels ou militants ». Ce mode de recrutement peut parfois confiner à l’affichage – la représentativité statistique de ces experts n’étant pas tout à fait significative – ou à l’injonction paradoxale. En effet au cours des discussions l’expert est d’autant mieux perçu et donc susceptible d’être appelé à nouveau, qu’il ne se fait pas explicitement le porte-parole du groupe qu’il représente. Le personnel de la Commission attend de ses experts qu’ils participent à l’émergence d’une vision partagée et consensuelle du sujet en délibération.

Pour en revenir aux groupes de travail de la Common Implementation Strategy de la DCE et en particuliers ceux de l’intercalibration, il faut tout d’abord remarquer que le recrutement des experts ne s’y effectue pas sous des modalités similaires à celles qui viennent d’être présentées. Les Etats membres forment leurs propres « délégations » : terme qui montre bien que dans cette situation les experts sont mécaniquement des représentants de leurs gouvernements. Mais la représentativité par rapport à un certain collectif n’est pas ici un principe valorisé par la Commission, qui souhaite surtout des interlocuteurs capables de fournir les données d’évaluation et disposés à se prêter à l’exercice statistique prévu pour l’intercalibration. Par conséquent, les coordinateurs du JRC sont essentiellement demandeurs d’experts coutumiers des raisonnements statistiques. Contrairement aux groupes informels où l’on a vu que la Commission gère ses experts comme elle l’entend, le personnel est ici dans un rapport de force pour sélectionner les collaborateurs nationaux21 :

19

Communication de la Commission du 25 juillet 2001, « Gouvernance européenne - Un livre blanc »

20http://ec.europa.eu/transparency/regexpert/index.cfm

21 Ce qui semble parfois aboutir à des situations malheureuses : "Le travail au sein de ce GIG n’est pas évident,

notamment du fait de son coordinateur qui n’a pas forcément les idées très claires de ce que représente l’intercalibration et des enjeux associés" peut-on lire dans un rapport français d’intercalibration à destination des autorités.

(17)

“I had to make choices, like: OK, I’ll take that very good problem-solving guy, because I know he’s going to solve something, and I’d counterbalance that by following a little bit the pressure that I perceived, so I will take the guy they want, who is not my preference, and we’ll see how far we get. And it evolves in the way I – not only me – had predicted. So, I’m a little bit sad about that, but it only proves that I’m right. (rires) […] So, it was, I think now, for the benthos, impossible to continue without the X expert. I felt it, I had not only pressure from [the country], but also from people who believed them. So I had to continue with this X expert, even if according to my excellence criteria, he was not the best.” (Ancienne coordinatrice au JRC)

Dans le cas des groupes informels, le fait que le personnel de la Commission ait des critères d’excellence bien déterminés oriente nettement la sélection des experts. C’est là une autre des régularités mises en évidence par Cécile Robert : les experts « semi-permanents des institutions » ont tous des ressources reconnaissables et liées entre elles, en termes d’ouverture internationale (capacités linguistiques, parcours international, savoirs comparatistes), d’incarnation de la neutralité (statut professionnel) et de multipositionnalité (cumul de fonctions). Dans notre cas, le fait que le recrutement soit davantage du fait des Etats membres entraîne une sélection sur des critères différents22 ce qui débouche sur des profils plus diversifiés au niveau européen. On observe néanmoins une seconde sélection dans la pratique des délibérations puisque, d’une part, la participation active aux discussions est subordonnée à la bonne maîtrise de l’anglais, unique langue de travail de l’intercalibration23 et d’autre part, dans ce pool d’experts la Commission recrute quelques scientifiques qui, par voie de détachement au JRC, vont coordonner l’intercalibration de façon plus globale. Pour ce supra-recrutement la Commission peut librement appliquer ses critères d’excellence.

Ainsi, la différence d’objectifs entre les groupes de travail d’intercalibration et les groupes d’experts informels de la Commission – accompagner la mise en œuvre de la directive pour les premiers, aider à la formulation de propositions de lois pour les seconds – se révèle significative pour prévoir le mode de recrutement des experts. Pour la DCE, chaque Etat finance le développement de ses méthodes d’évaluation de l’état écologique et maintient donc un droit de regard sur le profil des participants aux groupes de travail sur l’intercalibration. L’expertise telle qu’elle se forme dans les groupes d’Ecostat est proche de la procédure de comitologie (contre-pouvoir des Etats membres), bien qu’elle n’en ait pas le statut. L’intercalibration conserve cependant des aspects plus typiques de l’expertise ordinaire « programmée » par la Commission. On observe en effet que la participation à ces groupes de travail a des implications pratiques et symboliques pour la trajectoire des individus. Elle valorise certaines ressources culturelles et scientifiques : ceux qui en sont les plus dotés sont choisis comme leaders des groupes, voire détachés au JRC. Elle produit une familiarité avec les institutions européennes que les acteurs peuvent ultérieurement valoriser pour de nouvelles fonctions auprès de l’Europe24. Il reste à déterminer ce que ces logiques de sélection-reproduction font à la mise en œuvre de la directive. Précisément, on peut se demander comment les savoirs des experts sont mis en commun et/ou comment ils sont redéfinis dans l’exercice de l’intercalibration.

22 En particulier sur la proximité avec les administrations nationales, cf. plus bas. 23

« Dans les GIG, les Anglais avaient plus de facilités pour imposer leur point de vue que les Espagnols par exemple, qui parlaient mal anglais, à part A. B. » rapporte un expert français, ancien leader d’un GIG sur les estuaires.

24

En témoigne le parcours d’une scientifique-écologue belge, successivement représentante de la Belgique pour l’intercalibration, avant de rejoindre le JRC en Italie, puis de travailler à la permanence d’un Joint Programming Initiative européen à Bruxelles.

(18)

III) Les savoirs de bioindication à l’épreuve des frontières

En effectuant une monographie de l’intercalibration, ce rapport ne se donne pas pour objectif de conclure sur sa dimension générale de changement. Pour cela une comparaison avec une étape d’harmonisation de la mesure au sein d’une politique publique de même envergure serait au moins nécessaire. Néanmoins, l’analyse des nombreuses scènes d’expertise mises en place autour des divers types de masse d’eau et éléments biologiques montre plusieurs différences dans leur fonctionnement. Ces différences sont éclairantes sur la façon dont l’évaluation écologique des milieux aquatiques européens se renouvelle ou non au travers de l’intercalibration25. Les savoirs mobilisés par les experts de l’intercalibration relèvent du champ de la bioindication qui est ce qu’on peut appeler une « science utilisée pour l’action publique », en référence aux travaux de Sheila Jasanoff (2013). Ce champ ne s’était jamais constitué à l’échelle européenne avant la DCE.

Hétéronomie du champ de la bioindication

La bioindication provient d’un champ particulier de l’hydrobiologie historiquement situé au plus près de l’action publique sur les milieux aquatiques (Reyjol et al., 2013). Il s’agit d’un champ que l’on peut qualifier d’ « hétéronome » car il est structuré par la demande politique en expertise26. L’institutionnalisation des méthodes et des outils de la bioindication auprès des gestionnaires des milieux aquatiques (au moins dans une partie des Etats membres) explique d’ailleurs le rôle important conféré aux indicateurs biologiques par la DCE pour la surveillance des masses d’eau. En retour, ce rôle des indicateurs biologiques pour la DCE a propulsé le champ de la bioindication et ses membres sur l’espace européen. Pour participer à l’intercalibration, les experts hydrobiologistes de chaque Etat membre (sans oublier la Norvège, qui applique également la DCE) ont été choisis, comme l’indique la lecture des affiliations dans les documents de travail, parmi des scientifiques proches des administrations. La représentation du réseau (Figure 5 commentée dans l’encadré ci-dessous) montre que les experts de l’intercalibration sont très majoritairement rattachés à des structures publiques, parmi lesquelles on distingue les administrations compétentes sur l’eau, des centres de recherche appliquée et quelques laboratoires universitaires. A l’inverse, il faut bien noter qu’il existe des structures académiques en hydrobiologie qui ne sont impliquées ni dans le développement de méthodes d’évaluation pour la DCE, ni dans leur intercalibration. En France, il s’agit de laboratoires universitaires importants (Toulouse, Paris 6, Lyon par exemple) dont les recherches offrent moins d’applications pour l’action publique27 en comparaison de la bioindication.

25 Une approche qu’Eve Fouilleux (2002) défend dans ses travaux sur les évolutions de la politique agricole

commune : « plutôt que mesurer ou localiser le changement par rapport à la politique antérieure », une approche dynamique incite à adopter « une perspective explicative de ses mécanismes et de son contenu ».

26 Au terme de quarante ans de développement et de rapprochement avec les cercles académiques, on peut

néanmoins considérer que la bioindication est moins hétéronome qu’à ses débuts : en France aux origines cet aspect de l’hydrobiologie était très lié au Conseil supérieur de la pêche (Bouleau, 2013).

27 Certains ont produit des modèles qui ont été utilisés par exemple dans le PIREN Seine (PIREN : Programme

(19)

Le réseau de l’intercalibration : multi-positionnalité, polarité et distinction par rapport au monde académique

La représentation en Figure 5 donne une vue d’ensemble du fonctionnement en réseau de l’intercalibration. Le graphique est construit de telle sorte que les groupes d’intercalibration (GIG) sont facilement observables : les structures participantes gravitent autour de la structure à laquelle est rattaché l’expert leader du GIG. Concernant les publications (traits pointillés), les affiliations gravitent autour de l’affiliation du premier auteur.

Il apparaît que tous les GIG sont liés entre eux : il est fréquent qu’une structure (si ce n’est un individu) participe à plusieurs GIG à la fois. Il y a parfois plusieurs leaders simultanément ou successivement pour un GIG. Quelques structures interagissent beaucoup et apparaissent plus présentes (en relations comme en taille) que les autres : Irstea en France, l’Environment Agency au Royaume-Uni, le Centre of water management aux Pays-Bas. Ce sont des agences/instituts polyvalents, proches des administrations : ils forment un pool d’experts pour leur gouvernement pour plusieurs éléments de qualité (poissons, macrophytes, invertébrés...). De manière générale environ 90% des structures participantes sont publiques (universités, centres de recherche appliquée ou administrations) et le reste est composé de bureaux d’études ou d’experts indépendants.

On observe plusieurs liens entre les auteurs des publications scientifiques les plus citées évoquant l’intercalibration* et les structures participant effectivement aux GIG. Cependant, les auteurs de ces publications, qui offrent parfois un regard critique sur la mise en œuvre de la DCE, proviennent plus souvent de laboratoires universitaires ou du Joint Research Center.

Quelques nuances : cette représentation ne rend pas compte des relations entre les membres du JRC, de la DG environnement et des délégations nationales. De même les sources (rapports de GIG) ne sont pas exhaustives : l’importance relative d’Irstea sur le graphique doit être reliée au fait que les rapports utilisés pour constituer la base de données proviennent de la documentation d’Irstea.

* Les publications utilisées sont les suivantes :

Hering, et al. “The European Water Framework Directive at the age of 10: A critical review of the achievements with recommendations for the future”, Science of the total environment (2010)

Borja, et al. “An approach to the intercalibration of benthic ecological status assessment in the North Atlantic ecoregion, according to the European Water Framework Directive”, Marine Pollution Bulletin (2006) Furse, et al. “The STAR project: context, objectives and approaches”, Hydrobiologia (2006)

Borja, et al. “Current status of macroinvertebrate methods used for assessing the quality of European marine waters: implementing the Water Framework Directive”, Hydrobiologia (2009)

Heiskanen, et al. “Towards good ecological status of surface waters in Europe - interpretation and harmonisation of the concept”, Water Science & Technology (2004)

(20)

Figure 5 : Représentation non exhaustive du réseau des administrations et organismes de recherche impliqués dans

l’exercice d’intercalibration (source : auteur)

Légende :

Administrations ou laboratoires publics de recherche

Experts indépendants ou bureaux d'étude privés Co-publication de littérature grise (rapports d'intercalibration des GIG)

Co-publication d'article scientifique sur l'intercalibration France, Allemagne, Royaume-Uni, Belgique, Luxembourg, Irlande, Pays-Bas, Italie, Danemark

Espagne, Suède, Autriche, Finlande, Portugal, Grèce

Pologne, Estonie, Slovénie, République Tchèque, Lituanie, Roumanie, Slovaquie, Lettonie

Norvège

Sur la base des rapports de GIG disponibles (n = 7) et des publications scientifiques relatives à l’intercalibration les plus citées (n = 5 articles cités plus de 62 fois au 05/02/15, l’article suivant étant cité 48 fois).

L’aire d’un cercle augmente avec le nombre d’auteurs affiliés à l’organisme représenté (ntotal d’auteurs = 155). L’épaisseur d’un lien augmente avec le nombre de co-publications entre les deux organismes représentés. Couleurs des pays par vagues d’entrée dans l’UE : 1957-73 / 1981-86-95 / 2004-2007 / hors UE (Norvège).

(21)

Les financements de l’Union européenne ont été essentiels au développement de la bioindication. De manière générale les services de la Commission recourent de plus en plus à l’expertise externe (Robert, 2012b) en finançant des programmes-cadres de recherche et de développement (PCRD) et des groupes d’experts. Le cinquième PCRD (1998-2002) a de cette manière alimenté les connaissances en bioindication en finançant les projets STAR et FAME28 qui ont préparé le terrain de l’intercalibration. Si l’intercalibration européenne et les financements associés ont permis un déploiement des connaissances en bioindication (par des comparaisons internationales de méthodes, le développement de nouveaux modèles statistiques), c’est au prix de leur inscription durable dans un espace situé à l’interface avec le monde politique. Esther Turnhout (2009) a montré comment les indicateurs écologiques peuvent se lire à la manière d’« objets-frontière » soumis aux valeurs et aux objectifs d’acteurs politiques et scientifiques. En tant qu’objet-frontière, le succès d’un indicateur écologique dépend d’une coopération positive entre les acteurs. Lorsqu’il s’est agi de mettre en mouvement l’intercalibration dans les groupes de travail d’Ecostat, la Commission a souhaité consolider la légitimité scientifique de l’exercice en exigeant du JRC qu’il fournisse une évaluation scientifique externe du travail effectué par les experts nationaux. Des audits furent donc commandés à des évaluateurs scientifiques après chacune des deux phases de l’intercalibration29. La réception du premier de ces audits déclencha des réactions vives au sein d’Ecostat. Les experts nationaux ont estimé que le rapport évaluait l’intercalibration comme il aurait évalué un article scientifique, sans prendre en considération les contraintes de temps (échéances de la CIS) et de données (partielles) sur lesquelles les experts n’avaient pas de prises. Ces tensions ont été euphémisées dès la deuxième phase, pour laquelle l’audit commandé fut davantage « prudent » et consensuel.

L’élargissement de l’Union européenne et l’intervention d’intermédiaires privés sont des aspects importants de l’intercalibration et ils constituent une autre source de logiques exogènes pour le champ de la bioindication. L’adhésion à l’Union européenne nécessite la transposition de l’acquis communautaire dont la DCE fait partie intégrante. Les pays du centre et de l’est de l’Europe ayant rejoint l’UE après l’adoption de la DCE30 accusent un certain retard dans l’application de la directive. Comme l’intercalibration en est une étape avancée, elle n’est pas perçue comme étant prioritaire par ces pays qui concentrent leurs efforts sur des aspects plus basiques comme l’établissement d’un système de surveillance, d’une typologie des masses d’eau, ou encore des infrastructures administratives adéquates pour leur nouvelle politique de l’eau. Mais l’intercalibration est une étape qui oblige les Etats membres à se mettre en synchronisation et, pour cette raison, tout retard est pénalisant : lorsqu’un pays ne participe pas à un GIG dont une partie de ses masses d’eau ressort, il a l’obligation d’effectuer un exercice de « post-intercalibration » par rapport aux seuils déjà fixés sans pouvoir les négocier. Fréquemment, les pays de l’est et du centre de l’Europe (mais pas seulement eux) recourent à des consultants privés pour accompagner la mise en œuvre de la directive. Alors

28 Le projet STAR (Standardisation of River Classifications) a ébauché l’inter-comparaison des méthodes

d’évaluation biologiques existantes. Il a entre autre permis le financement de la thèse de S. Birk à l’université d’Essen qui produira ensuite les guides d’intercalibration pour la Common Implementation Strategy. Le projet FAME (Fish-based assessment method for the ecological status) a produit le premier bio-indicateur poisson commun : il ne sera finalement pas utilisé mais il inspirera la métrique commune “poissons” pour l’intercalibration.

29 A titre d’exemple l’audit de la deuxième phase en 2012 a été effectué par une évaluatrice hydrobiologiste

américaine du Maine Department of Environmental Protection.

30 2004: Chypre, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, République tchèque, Slovaquie et

(22)

que les experts liés aux administrations peinent à définir les critères auxquels doit répondre un indicateur bien calibré31, l’intervention des consultants privés agit comme un révélateur des critères autres que scientifiques. Les consultants, qui ne sont pas spécialistes en hydrobiologie, effectuent des revues de littérature et suggèrent à leurs commanditaires l’utilisation des méthodes les plus relayées par des publications scientifiques32 :

« Il y avait des consultants pour donner du conseil aux pays moins développés […] mais ils ont pris les méthodes qui étaient le plus publiées. Ces consultants n’étaient pas dans le réseau des implémenteurs des pays, ils se sont basés sur des expériences limitées : sur les publications, sur quelque chose qui était très visible pour un consultant. […] Ils n’avaient pas overviewed tout ce qui existait, pour pouvoir comparer tout ce qui existait, pour donner un avis bien informé à un autre pays. » (Ancienne coordinatrice au JRC)

La critique de l’action des consultants, entendue dans plusieurs entretiens (« ils ont respecté la lettre mais pas l’esprit ») découle du décalage entre la projection académique de la bioindication et sa réalité de science à destination politique avec son calendrier contraint. Les méthodes les plus adaptées au milieu étudié ou celles qui sont prêtes pour la mise en oeuvre, ne sont pas toujours celles qui sont le plus publiées. En effet les experts ne cherchent généralement pas le même genre de reconnaissance pour les outils qu’ils contribuent à développer que pour leurs recherches plus académiques :

« Ça dépend de la nature des scientifiques. Si c’est quelqu’un qui veut vraiment mesurer son succès avec des publications, alors il va faire des publications de tout avec sa méthode. Et on a des cas comme ça. Et il y en a d’autres qui, avec leur principes scientifiques, ont vraiment voulu contribuer avec quelque chose qui faisait du sens, […] et qui en parallèle de ça avaient aussi leurs recherches sur des sujets un peu plus attractifs pour les scientifiques et plus complexes encore. » (Ancienne coordinatrice au JRC)

L’ensemble de ces éléments illustre l’hétéronomie du champ de la bioindication33. Tel qu’on l’observe, l’espace commun de la mesure s’articule autour d’une science empreinte des traditions de gestion des milieux aquatiques dans chaque Etat membre et déterminée par la construction de l’Union européenne, ses financements et son programme politique34. Cette « coproduction » de la bioindication n’est pas toujours perceptible aux entrants dans le champ et de ce fait les Etats membres « retardataires » sont susceptibles d’emporter des instruments qui « ont fait sens » dans un contexte national particulier pour mesurer l’état écologique des masses d’eau au sein de leurs propres frontières.

31 Une ancienne coordinatrice du JRC pointe du doigt l’absence d’une plateforme de partage pour les experts

nationaux sur les méthodes d’évaluation écologique («I don’t understand why there is no website that gives an overview of all the methods that exist for the different directives and the different weaknesses and strengths of applications»).

32 Ces consultants ne prennent pas directement part au réseau de l’intercalibration : ils conseillent les

gouvernements pour un socle initial qui permet de construire leur propre méthode d’évaluation que les experts proposent ensuite à l’intercalibration. Les structures privées qui apparaissent sur la Figure 5 sont bien spécialisées en hydrobiologie.

33

C’est particulièrement vrai pour l’intercalibration mais l’ensemble de la bioindication est sujette à un pilotage par l’aval.

34 Cécile Robert et Antoine Vauchez (2010) posent un constat identique à propos du champ des études

européennes : « loin de constituer un bloc autonome construisant des « théories » à distance des « décideurs », les espaces académiques européens forment ainsi un espace-frontière marqué par une relative indistinction entre différents secteurs et ordres de pratiques ».

(23)

L’apprentissage difficile de l’intercalibration

Appliquée à l’action publique, la notion d’apprentissage peut se définir comme « une tentative délibérée d’ajuster les buts ou les techniques d’une politique en réponse à l’expérience passée et à de nouvelles informations » (définition de Peter Hall reprise par E. Fouilleux, 2002). L’absence d’équipement de l’action publique et donc de possibilité d’apprentissage peut aussi être interprétée comme une absence de volonté de changement, comme le suggère Jean-Pierre Le Bourhis (2003) en comparant les instruments de gestion durable des ressources en eau en France et au Royaume-Uni. De la même manière, observer l’ « apprentissage » de l’intercalibration nous permet de poursuivre notre analyse explicative des mécanismes de la construction d’un espace commun de mesure en écologie aquatique. Précisément, il s’agit ici de montrer que les acteurs politiques se sont approprié de manière très différenciée dans le temps les enjeux de l’intercalibration.

Les témoignages des experts nationaux concordent sur le fait que les débats au sein des groupes de travail étaient majoritairement d’ordre technique. Selon eux, les discussions ne devenaient « politiques » – à notre sens, politisées – qu’au moment final de la fixation des seuils :

« J’ai assisté à des querelles de scientifiques, querelles de personnes ou de chapelles, mais jamais le politique n’est venu peser dans nos débats d’intercalibration. Les oppositions étaient fortuites et purement techniques et propres à des chapelles scientifiques locales. […] C’est étonnant en effet vus les enjeux, mais à mon époque l’intercalibration n’a pas eu de lien avec une quelconque dimension politique… C’est malheureux d’ailleurs car cela aurait pu être beaucoup plus intéressant. […] L’intercalibration est restée basiquement technique si je puis dire. » (Ancien représentant du Ministère de l’environnement français à l’intercalibration)

« I think most of the group was more technical. But in the end, when it came to: who is going to change their values, or: who is going to be flexible or not, then more political issues came into the discussion. » (Ancienne experte pour l’Allemagne)

La vraie dimension politique de l’exercice d’intercalibration se perçoit bien en revanche quand on définit la bioindication comme on l’a fait plus haut, c’est-à-dire comme un corpus de savoirs imprégné des normes et des valeurs des différents contextes nationaux. Suivant cette hypothèse, la mobilisation des savoirs de bioindication à l’échelle européenne pose un certain nombre de questions. Sachant que les métriques communes retenues sont censées représenter un cortège défini de pressions sur les milieux, on peut se demander si elles ne naturalisent pas certaines pressions tout en en excluant d’autres. Rien n’empêche d’imaginer un cas où la métrique commune serait « orthogonale » à un bioindicateur régional, ou en d’autres termes, où l’intercalibration rendrait invisible une pression qu’il serait pourtant légitime de mesurer nationalement35. Enfin, la vulnérabilité des sociétés aux menaces sur les milieux aquatiques ne peut pas être considérée comme étant géographiquement homogène en Europe36 : l’harmonisation des exigences en termes de normes de qualité écologique ne correspond donc pas forcément à l’harmonisation des exigences en termes de pratiques.

35

Une remarque d’un fonctionnaire de la DG environnement chargé de l’intercalibration (« le problème qui apparaît, c’est que les indicateurs sont trop liés à la pression eutrophisation ») sous-entend la possibilité d’un tel constat. Mais répondre exactement à ces questions nécessiterait une étude comparative approfondie sur le sens d’un même bioindicateur dans plusieurs socio-écosystèmes différents.

36 Par exemple les pays du sud de l’Europe peuvent être plus riches en espèces que les pays du nord (sur

Figure

Figure 1 : Pour la DCE, chaque méthode d’évaluation de la qualité écologique repose sur un indicateur biologique construit  à partir d'une sélection de données sur la faune et la flore (schéma adapté de Turnhout, 2007)
Figure 2 : les conditions à réunir pour qu’une masse d’eau de surface atteigne le bon état, selon les termes de la DCE
Figure 3 : Calcul des Ratios de qualité écologique pour le processus d'intercalibration (source : auteur)
Figure 4 : Structure organisationnelle de l’exercice d’intercalibration (source : Guidance document no.14)
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