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Recherche sur Le lais de François Villon.

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Academic year: 2021

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Longtemps appelé Petit Testament contre le bon plaisir de Villon, Le Lais ne jouit pas auprès de la critique moderne de la même faveur que Le Tes~ament. Llétude la plus intéressante qui lui ait été consacrée est celle de Bijvanck. Elle date de 1882.

Le présent mémoire examine, en trois chapitres, les trois parties du poème, tel qu'il apparalt dans les manuscrits con,us du ~ve Siècle, l'incunable de 1489, et les éditions Bijva!1ck, Thuas:,e et Lengnan-Foulet.

Il conclut que les ma:1Uscrits rie Villon et l'imprimé de 1439

devraient être édités sans retouches et sans ponctuation, avec e~ appendice, les variantes, les gloses et les corrections suggérées par les éditeurs. Ce t)'pe d' ~di tian permettrait au lecteur ma:ieme de fai re la part de

lloeu-vre et celle de la critique des textes. LI intégralité du legs de Villon, tel qui i l nous a été tra;1smis, serait respectée. Seule la qualité de la critique textuelle restera~t à améliorer.

(3)

Esther H. Vejgman

A thesis

presented to the Faculty of Graduate Studies and Research Mc Gill University

in partial fulfilment of the requirements for the Degree of Haster of Arts

Department of French Language and Uterature

r--~' ::5t~~ X. ïejg;::.an l m

(4)

INTRODUCI'ION ••••••.••••••••••••••••.•••••••••••••••••••••••••••••••• 1

PREHIERE PARTIE- LI Amant Hartyr ... Il

DEUXIEHE PARTIE- Les Lais ••••••••••••.•••••••••••••••••••••••.•..•. 43

TROISlEHE PARTIE- LIEntroubli ••••••••.••••••••.•••••••.•.•••••••••• 122

CO!~CLUSION ...•...•.•..•..•••...•...•....•... 149

(5)

Le Lais de François Villon nous est connu par les sources manus-crites du XVe siècle et l'imprimé de 1489. Les sigles employés aujourd'-hui datent de l'édition Longnon de 1892:

A (Arsenal), ms. 3525 de la Bibliothèque de l'Arsenal, B (Bibl. Nat.), ms. Français 1661,

C (Coislin), ms. Français 20041 de la Bibliothèque Nationale,

F (Fauchet), ms. Français 53 de la Bibliothèque royale de Stockholm, l (Imprimé), texte imprimé en 1489 par Pierre Levet.

En 1882, Bijvanck a émis l'hypothèse que le ms. B forme une tige à part, et qu'il y a communauté d'origine entre F et A. C serait issu d'une branche postérieure et aurait été la source principale de l'incunable de 1489. (1) 1 cependant, présente des leçons différentes des autres sour-ces et peut être considéré théoriquement co~~e un manuscrit. Premier cri-tique qui se soit occupé d'établir méthodiquement le texte du Lais, Bijvanck a fait l'étude des manuscrits et des imprimés dans le but de se rapprocher le plus possible du manuscrit original. (2) Pour cet éditeur, B porte les

(1) W.G.C. Bijvanck, SPécimen d'un essai critiaue sur les oeuvres de François Villon (Leyde: De Breuk et Smits, 1882), p. 151.

(2) Dans son essai critique, W.G.C.Bijvanck donne p. 154 les sources du texte de Villon avec les abréviations suivantes:

A: !'o. 1661t ms. fr . . de la Bibl. !'at.

B: No. 53, ms. fr. de la Bibl. Roy. de Stockholm. C: So. 316, ms. fr. de la Bibl. de l'Arsenal. D: So. 20041 t cs. fr. de la Bibl. !iat.

L: L'édition de 1489, Bibl. Sato y. 4405.

Pour =a part je n'utilise d~~s ce ~~oire que les sigles d~ Longnon, œr::e lorsqu'il s'agi t de oanuscri ts ci tés par Bi j· .. anck, ceci dans le seul but d'éviter toute confusion.

(6)

marques de ce dernier dans les cas où elles 11apparaissent pas dans les autres sources. (1) Il donne à l'appui de son assertion quelques exem-ples. Je cite le premier: IIVillon dit qui i l laisse la nomination qui il a de l'université

Pour forclorre d'adversité

Paouvres clercs de ceste cité, etc.

Un manuscrit donne: seclurre d'adversité, u~ autre: exclurre les ancien-nes éditions forclorre; le ms. franç. 1661 lit: pour esclandre d'aversi-té, qui ne peut être autre chose qui une faute d'un homme ayant lu, ou en-tendu lire esclanre pour esclaure; et esclore avec son orthographe capri-cieuse de esclaure est bien ici le seul mot.comique et pittoresque qui convienne. Il (2) Bijvanck examine ensuite 11 orthographe des manuscrits et fait remarquer que celle de B remonte au milieu du XVe siècle. En troi-sième lieu, Si interrogeant sur le degré d'authenticité que lion peut accor-der à un manuscrit, il conclut que B, ayant peu de gloses, d'annotations marginales, et de corrections éditoriales, parait bien être conforme à

l'original. (3)

ilL 1 étude que Bijvanck a faite sur le texte du Lais est fouillée et, par certains côtés, remarquable et même précieuse. !'!ais très souvent les leçons et les conclusions qui elle présente pour l'établissement du texte ne sont pas acceptables. Aussi me tiendrai-je aux manuscrits et à llédi-tion Longnon-Foület." (4)

(1) B 1 jvanck, p. 20. (2) Ibid., pp. 20-21.

(3) Ibid .• pp. 43-41..

(!.e) l talo Sici 1 lano, F!"ançois \1110n et les thèmes ooéUaues du ~:o';~n A~J!

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Cette note de Siciliano comprend deux parties. La première rend assez bien compte de l'opinion que l'on partage généralement aujourd'hui à propos de l'essai critique de 1882. La seconde nous offre une indication précieuse sur les outils de travail d~ ce critique. Siciliano a-t-il pour Le Lais consulté les manuscrits? "Dans la plupart des cas, je n'ai eu recours aux manuscrits que lorsque les sources imprimées manquaient. Pour celles-ci, je laisse naturellement toute responsabilité à leurs éditeurs. Il (1)

Ainsi se dessinent les deux orientations essentielles de la criti-q'Je de Villon. Dans la première, l'érudit tente d'établir le texte à par-tir des sources médiévales connues. Il fait une édition "critique" dès qu'il apporte le plus petit changement

à

un manuscrit. Tributaire de ses travaux, le critique trouve à sa disposition un texte augmenté de variantes.

C'est en tenant compte de ces deux orientations que nous présentons un bref aperçu bibl iographique. Nous mentionnerons tout d'abord les édi-tions les plus importantes de l'oeuvre de Villon. En rapport avec celles-ci, nous présenterons ensuite les travaux des critiques.

L'édition de Longnon publiée en 1892, améliorée et rééditée trois fois depuis par Lucien Foulet, en 1914, 1923 et 1932, fait autorité encore aujourd' hui. (2) Elle s' inspi re de la méthode de Lachmanr:. Voici l'appré-ciatio., qu'en donne Félix Lecoy: "La méthode d'édition de Longno:1, méthode outrageusement éclectique, a eu pour résultat de mettre en circulation un

(1) Siciliano, p. xvii.

(2) Auguste Longnon & Lucien Foulet, François ~illon. Oeuvres éditées par Auguste LO:lgnon, Ouatrième édition revue par Lucien Foulet {Paris: Champion, 1968) (the éd., 1932).

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texte qui est plus une 'lecture' d'érudit moderne qu'un texte vrai, et ce défaut, quoique largement atténué par les révisions successives de ~1. Foulet, reste assez grave, au moins du point de vue formel et méthodolog·'ique". (1)

Après Auguste Longnon et Lucien Foulet, Louis Thuasne, en 1923, publie les oeuvres de Villon. Son but est le même que celui de Bijvanck: remonter au texte original. Pour Le Lais il choisit comme base du texte le manuscrit F. L'apport de Thuasne est appréciable moins par son édition de l'oeuvre de Villon que par les commentaires et notes contenus dans les vo l ume s I l e t II 1. (2)

Disciple d'Auguste Longnon, Pierre Champion publie en 1913 une critique biographique et historique de Villon. Aboutissement d'une longue suite de recherches d'érudits sur l'environnement historique et géographi-que du poète, cet ouvrage nous éclaire sur les faits de civilisation du XVe siècle. Le propos de Champion est exprimé à la première page du volu-me 1. "Plus que la vie mystérieuse et romanesque du pauvre poète, mon but est de faire connaltre les différents milieux qu'il a traversés, la socié-té où il a trouvé ses protecteurs et ses victimes, Paris qu'il a beaucoup aimé". (3) Champion cependant ne borne pas ses recherches à une étude biographique, historique et géographique. Les passages du Lais qu'il cite

(1) Félix Lecoy, "André Burger, Lexique de la langue de Villon, précédé

de notes critiques pour l'établissement du texte", Romania, 1;0 78 (1957), p. 415.

(2) Louis Thuasne, François Villon. Oeuvres, édition critioue avec notices et glossaire, 3 vol. (Paris: Picard, 1923).·

(3) Pierre Champion, Francois Villon. Sa vie et son temps (Paris

p 1 on, 1913), 1. pp. i - i 1.

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Cham-au chapitre 10 du tome II nous montrent que ce savant archiviste-paléogra-phe a lui aussi édité Villon. Voici rapidement un exemple: au huitain VI du poème, Champion substitue à la leçon de ~ongnon: "l'Ion mieulx est, ce croy, de fouir" celle de BF: ''Mon mieulx est, ce cray, de partir". (1)

En 1967, David Kuhn, non seulement reprend la leçon écartée par Champion, mais bâtit l'exégèse d~ Lais sur ce vers: "Ainsi, quand Villon nous dit qu'il lui faut 'fourr', c'est une double équivoque obscène (sur 'foutre' et fouir' 'fouiller') tout à fait normale. Mais dans le contexte d'un voyage-mort, son acte sexuel ne concerne point quelque 'celle' plus accueillante. C'est plutôt son poème qui agira en 'membre viril' et qui, en deux sens, 'engrossera' le monde." (2)

Si pour ce vers nous sommes fixés quant à la leçon choisie par Kuh" nous pouvons nous demander quel est pour l'ensemble du Lais le choix de cet éditeur.

Notre texte est celui de l'édition Langon. -Foulet (sic), dégarni de p0nctuation. Etant donné la diffic~lté spé-ciale qu'il y a ~ l'établissement de ce texte, ~ cause de la grande variété de styles et d'intentions qu'offre

le poème et du désordre conséquent des mss., nous trai-terons Le Lais, tel qu'il se présente dans cette édition, comme un acquis. Toutefois nous tiendrons à signaler, de temps à autre, des variantes ou des révisions possi-bles q~i devraient entrer en ligne de compte lors de l'établissement d'un nouveau texte. Quand l'occasion se présente, plus loin dans notre étude, de revenir sur Le Lais, nous accordons par co~tre une atte,tion

spécia-le aux questions philo1.ogi.ques. Pour l'ensem'ile de celles-ci, on peut consulter l'ouvrage de Bijvanck.

(1) Champion, Il, p. 34, n. 1.

(2) David Kuhn, La Po~tiaue de Fra~çois Villon (Peris

p. 109.

(10)

Pour ces mêmes raisons, et pour alléger notre texte, nous ne citerons pas en entier les passages dont nous parlerons, mais renvoyons le lecteur à l'édition Longnon-Foulet. Nous tenons pour évident qu'un tra-vail philologique valable suppose une connaissance du texte qu'on veut étbblir, de même que cette con-naissance suppose un travail philologique valable-cercle vicieux d'où sont sortis peu de textes de l'époque, et dans lequel n'est jamais entré Le Lais, à vrai dire. C'est pourquoi nous insistons ici sur le sens du poème, en négligeant les difficultés du texte ou en supposant leur résolution. (1)

Par la dernière phrase de cette note nous constatons que David Kuhn appuie sa critique du Lais sur un acquis qui n'en est pas un.

Un autre critique moderne de Villon, Pierre Guiraud, fait paraltre en 1968 chez Gallimard une reconstruction du jargon de Villon basée sur les postulats et les méthodes de la linguistique structurale. (2) Pour ce critique, l'oeuvre entier de Villon est codé. Faisant l'étude des struc-tures étymologiques du jargon des Coquillards, Guiraud découvre dans les six ballades en jargon de l' imprimé Pierre Levet, trois niveaux de sens, superposés dans un ordre dét"rminé. A la version A "(vol, torture, gibet)" sucèède la version B "( jeu, tricherie, lessivage)". A et B cachent C "(la tricherie amoureuse)". Tous les mots ayant trois sens, les six ballades de Villon en contiennent dix-huit. (3) Dans le dernier chapitre de son livre, Guiraud "décrypte" les noms des légataires de Villon. L' ap -port de ce critique à l' exégèse du Lais sera noté au cours de notre analyse.

(1) Kuhn, p. 131, n. 1.

(2) Pierre Gui raud, Le Jargon de Vi lIon ou le gai savoi r de la Coaui lIe (Paris: Gall irnard, 1968).

(11)

.E~ 1957, Andr~ Burger, aid~ de ses anciens ~l~ves de Neuchitel, publie son lexique. "Le d~pouillement a ~t~ fait sur le texte ~dit~ par Auguste Longnon et revu par H. Lucien Foulet pour la collection des clas-siques français du moyen âge, 4e ~dition, Paris, 1932". (1) Le livre du

savant lexicographe est le recueil des mots choisis par Auguste Longnon et Lucien Foulet dans la langue de Villon. Burger y ajoute quelques va-riantes mais son lexique ne contient pas tous les mots des manuscrits que nous aurons à consulter et dont nous avons dress~ la liste au d~but de notre

mémàire.

Si quelques critiques de Villon ont pu esquiver les difficult~s

du texte en offrant seulement des r~sum~s de l'oeuvre, toute autre est la position d'Andr~ Lanly qui est oblig~de se prononcer. En 1969, cet

~ru-dit traduit l'oeuvre de Villon. (2) Son entreprise est ardue, sinon im-possible. Tenu de choisir, Lanly ~limine les leçons de plusieurs manus-crits et donne au texte une interp~tation qui ne s'impose pas. Une fois traduit, le poème offre un champ r~tr~ci sur le plan de la recherche

s~-mantique. Parfois l'auteur est oblig~ de laisser quelques expressions telles quelles:

un autre que moi 'est sur la quenouille' 'de ma bell.:. j aussi jamais hareng saur de Boulogne

ne fut 'plus alt~r~ d'humeur'. (3)

(1) André Burger, Lexique de la langue de Villon précédé de notes

criti-Ques pour l'établissement du texte. (Genève: Droz, 1957 - Paris: lHnard, 1957>, p. 8.

(2) Anàré Lanly, François Villon. Oeuvres. Traduction en francais

moder-ne accompagnée de notes explicatives, 2 vol. (Paris: Champion, 1969)

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L'apport positif de ces deux volumes repose finalement sur l'apparat bi-bliographique et sur l'abondance des notes explicatives, introductions commodes pour la lecture du poème.

Je termine cet aperçu bibliographiq'.le par le livre de Pierre Le Gentil paru chez Hatier en 1967. L' a'Jteur y fait la synthèse des apports nouveaux de la critique villonienne et expose ses idées sur le texte des poésies de Villon. Reconnaissant que c'est presque toujours la reproduc-tion de l'édireproduc-tion Longnon-Foulet que les éditeurs ont publiée, Le Gentil fait ressortir les q'jalités et les défauts de cette oeuvre. Puis i l con-c1ut: "Pouvait-on faire mieux, en appliquant de façon rigoureuse la mé-thode de la critique lachmanienne ou en choisissant un texte de base plus sûr que 17 Il semble bien que non." (1)

Face à la méthode d'édition de Lachman:1, q.li pour Le Lais a abouti aux éditions de Bijvanck, Longnon, Thuasne et Longnon-Foulet, nous voyons apparaltre avec Félix Lecoy une méthode qui se rattache à celle de Joseph Bédier.

On peut désirer offrir, à un lecteur moderne, un texte, sinon plus authentiq'.le, du moins plus vrai, plus réel, plus proche, en tout cas, et pour le fond et pour la forme, de ce qu'un lecteur médiéval a pu avoir entre les mains-- c'est-à-dire lui offrir la reproduction d'un manuscrit, et! autant que faire se peut, naturellem~nt,

d'un bon IMnuscrit. Il est vrai que cette ambition se heurte toujours à une difficulté, plus ou moins grande selon les cas, difficulté qui a sa source dans la qua-lité même des manuscrits. !;o~s ne possédons pas, en effet, pour nos textes anciens, de c0pies s~~s reproche, sans lapsus, sans faute ou sans écart individJel. L'édi-teur se voit donc obligé d'intervenir, c'est-à-dire de

(13)

corriger son modèle, là où celui-ci est franchement barbare, d'abord, mais là aussi où ce même modèle lui apparaît trahir trop violemment la pensée de l'au-teur ou, simplement, la cohésion interne du texte et de l'expression. On ~'a?oütit ainsi qu'à un compromis, compromis dont le rapport de fidélité à l'original choi-si est conditionné par la qualité de cet original, mais aussi par la discrétion et les choix de l'éditeur. Clest dire que ce compromis est toujours contestable dans le détail et qui il ne peut espérer parvenir qu'à une sorte de vérité ou d'a~thenticité moyenne. (1)

Dans le présent mémoire mon intention nlest pas de me ranger, en ce q'JÏ concerne les méthodes dl édition, sous 11 une ou sous 11 autre de ces écoles. Les textes édités de Villon étant méthodologiquement discutables,

je prends pour hypothèse de travail qui une perception objective du Lais exige la connaissance de l'oeuvre telle qui elle a été écrite au Moyen Age. Je me propose donc dl analyser Le Lais de Villon dans les q:.latre manuscrits du XVe siècle et l'incu~able de 1489. Pour chaque huitain je transcrirai le manuscrit A, étant donné qui il est, à ma connaissance, le seul à ne pas avoir encore été reproduit. Pour chaque variante, j'aurai recours aux manuscrits et aux éditions de Pierre Levet, Bijvanck, Thuasne et Longnon-Foulet (1932). D'u~e part, pour mieux comprendre leur méthode d'édition, d'un autre côté pour essayer de dégager de leurs choix quelques conclusions utiles. Enfin pour l'exégèse du Lais je me réfèrerai aux notes et

coa~en-taires des critiques.

(1) Guillaume de Lorris" Jean de :'Ieün, Le Roman de la Rose publié p~r

(14)

La lecture des sources médiévales du Lais nous montre q'.le par

.-rapport au "texte maximal" de quaraf'lte huitains des éditions Bi jvanck, Thuasne et Longnon-Foulet,

les manuscrits et l'incunable se situent tous au-dessous de ce chiffre. A en compte trente-huit, B trente-neuf, C trente, F trente-neuf, l vingt-neuf,

l'ordre des huitains varie d'une source à l'autre,

pour un même vers, on peut compter jusqu'à cinq variantes, lorsque les différentes sources offrent la même leçon, le rapport signifiant-signifié reste toujours à définir.

La première partie de notre travail consistera à analyser l'intro-duction du poème, plus précisément 8 huitains de A, 8 de B, 3 de C, 8 de F, 3 de 1. Nous ferons ensuite l'étude des lais ainsi répartis: A 24 h'.litains, B 25, C 25, F 25, 1 24. La troisièm<? partie enfin, sera CO!lsa-crée à la conclusion du Lais dont les huitains se p~rtagent comme suit:

A 6, B 6, C 2, F 6, 1 2.

Il nous a paru plus sage, plutôt que d'imposer

à

Villon un ordre q.li lui serait étranger, de le suivre pas à pas au fil des manuscrits.

(15)
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Notre recherche est basée sur une étude comparative des manuscrits et des éditions du Lais. Si jusqulau troisième huitain la suite est la même pour les cinq sources, du IV au IX nous avons seulement le témoigna-ge de ABF. ABF X correspond à CI IV

XI correspond à CI V XII correspond à CI VI

Puis 11 ordre change à nouveau. A XII correspond à B XV etc. Aussi j'in-diquerai pour chaque huitain ses correspondances avec ceux des autres sour-ces.

Tout dl abord le titre: A Le Lais François Villon

B Le testament de maistre François Villon C Le petit testament Villon

F Le premier testament maistre François Villon

l (Slensuit) le petit testament maistre François Villon lious avons sur cinq sources quatre leçons différentes. Lais A, et Testament B, sont des absolus, mais petit testament CI, et premier t~s­

tament F, exigent 11 existence dl un "grand" et dl un "deuxième" testament.

Effectiveme~t Le Testament, qui nl apparalt que dans ACF1, porte les titres s'.livants: "Omis A, Le Testament Villon modifié en ~rant testamf?nt

~~llon C, Le testa~~!.t second de maistre François Villon F, ~ommence le grant cocidille et testament maistre François Villon 1." (1)

(17)

13

-En ce qui concerne Le Lais, ceci nous amène à penser que les titres divers, au moins en ce qui concerne CFI, sont peut-être le fait des scribes.

Face à deux oeuvres d'inégales longueurs, mais semblables à première vue, et pour le fond et pour la forme, le scribe de C et l'imprimeur de I auront

titré la première Petit testament, la seconde, respectivement, Grand testa-ment et Grand cocidille et t~stam~nt. Quant au scribe de F il aura choisi plus simplement lps caractérisants "premier" pour le Lais et "second" pour le Testament.

Ceci, bien sûr,n'est qu'hypothèse. Ce que nous savons de façon sûre c'est que le titre Testament connu par Villon n'est pas celui qu'il attribuait au Lais en 1461:

Si me souvient bien, Dieu mercis, Que je feis a mon partement

Certains laiz, l'an cinq'Jante six, Qu'aucuns, sans mon consentement, Voulurent nommer Testament; Leur plaisir fut et non le mien.

~!ais quoy? On dit com;nunément

Qu'ung chascun n'est Maistre du sien. (1)

Ceci dit, il ne nous est pas interdit de penser q~'en 1456 le poème portait le titre Testame'1t, Villon alors ignorait qu'un jour il com-poserait une o~uvre de plus grande importance. Aussi les vers pré-cités

peu'!I~nt np pas ;'tre pris au pied de la lettre. Ils indiqueraient au con-traire q'J~ Villon, voulant changer le titre du poème de 1456, s'en tire selon son habitude par une pirouette.

(18)

Quoiqu'il en soit, le manuscrit à porter le titre voulu par

Villon, en premier ou en dernier ressort, est celui de l'Arsenal. Quelques considérations sur le mot ~ais nous permettront d'aller plus ava~t dans notre étude. liCe que Villon 'estab1i(t)', c'est un 'lai', poésie lyrique; un 'lays', bail ou contrat légal; des' laiz' , choses laissées ou léguées par dernière volonté; une distribution de biens personnels qui progresse com.lIe les 'laiz' --atterrissements ou alluvions-- d'une rivière. En bouf-fonnant Villon fait aussi un 'lait', soit un 'injure, outrage, offense, tort' ou 'chose qui cause du tort ou du déshonneur' (Godefroy). En se bafouant lui-même il fait un 'laiz', fiente de bête sauvage. Il (1) Cette

liste est établie à partir du Godefroy. Si David Ku~~ avait consulté le Franztlsisnes Etymolog~es W8rterbuch, il aurait pu, sans aucun doute,

l'allonger. Le vers de Villon, "Certains laiz, l'an cinquante Six," défi-nit "lais" au sens de "legs". C'est la signification que nous retenons,

jusqu'à ce que l'analys~ du poème éta;,lisse pour ce mot d'autres rapports.

(19)

ABCFI, 1, Bj., Th., L-F., 1. (1)

L'an

eccc

cinquante six Je François Villon escolier Considérant de sens racis

Le frain aux dens franc au collier Qu'on doit ses oeuvres conseiller Comme Vegesse le raconte

Sage Romain grant conseiller Ou aultrement on se mesconte

Si l'auteur lui-même nous éclaire sur le titre à adopter pour son poème, il nous quitte aussitôt après, et nous nous retrouvons dès le début face à cinq variantes.

Vers 1 A B C F 1 Bj. Th. , L-F.

L'an CCCC cinquante six

HU quatre cens cinquante et six N l'an mil quatre cens cinquante six L'an quatre cens cinquante six

L'an mil quatre cens cinquante six L'an

ecce

cinquante six

L'an quatre cens cinquante six

A F

(1) Pour chaque variante je cite les vers des éditions modernes en adop-tant les abréviations suivantes:

édit. Bijvanck Bj.

Thuasne Th.

Longnon-Foulet L-F.

Burger Bg.

Après le vers de chaque édition j'indique le sigle du ou des manus-cri ts retenus. Lorsque le vers est un composé de deux sourc'?s ou plus, je l'indique en insérant entre les sigles le signe +. Si dans le vers d'une édition un mot n'est attesté par aucune source, j'ins-cris après le vers le sigle des sources auxquelles l'édite~r a eu recours et l'abréviation de son édition. Entre les d'?ux sigles j'in-sère le signe +.

(20)

Les leçons des manuscrits A et F, très voisines l'une de l'autre se rapprochent le plus du vers 755 du Testament "Certains laiz, l'an cin-quante six," (1) où Villon parle de la composition de son poème. Il est PQssible, qJe pour parler de la même oeuvre, il ait employé ici et là la même forme. La leçon "L'an

ecce

cinquante six" A, attestée dans les textes du Hoyen Age, a été retenue par Bi jvanck qui met ainsi de côté celle de son manuscrit B. (2) Assez curieusement et apparemment pour les mêmes raisons, André Burger, lui, choisit B: 1I~!il quatre cens cinquante et six". ())

Vers 5

A3C Qu'on doit ses oeuvres conseiller ( 4) F Qu'on doit ses amis conseiller

l Qu'on doit ses euvres employer

B j. , Th. ,L-F. Qu'on doit ses oeuvrès conseillier ABC

La leçon de l diffère de celles des quatre manuscrits. Villon va "ses oeuvres e:nployer", c'est-à-dire qu'il va faire servir ses oeuvres à une fin au regard de la loi. La varia~te de F appelle quelques remar-ques. Dans le poème, le mot "amy" appslra1t une seule fois pour Jacq:les Cardon, AEcrI, et une deuxième fois pour Pemet !'!archa!l~, F. (5)

(1) Longnon, Foulet, p. 36, v. ï55.

(2) Bijvanck, p. 155. n. 1. ()) Burger, p. 12.

(4) Lorsqu' il Y a accord des manuscri ts pour une leço:1. la graphie est toujours celle de la premiè~e soürce indiquée.

(5) Siciliano, p. Si. n. l, écrit que ,r";ne seule fois, parlant de ses

légatai res. '.'i lIon e:nploie le terme d'a:Di. C' est à propos de Jacquet Cardon, app5rtenant à une riche facUle bourgeoise." Ceci i!l'Jntre la

(21)

Cependant, par la nature des dons qu'il leur laisse on peut voir que Villon porte sur chacun d'eux un jugement, aussi F n'est-il pas tout· à-fait à écarter si on lui accorde le sens: réfléchir sur l'amitié. Dans

la leçon ABC retenue par les quatre éditeurs, Villon va soumettre ses oeu-vres à la réflexion, délibérer sur ce q'JI il est et ce qu'il a, "les soumet-tre au jugement d'autrui." (1)

Le reste du premier huitain n'offre que des variantes de graphie. L'une d'entre elles présente quelque intérêt:

"Aultrement" A, "autrement" BCF!.

Le scribe de A connaissait l'étymologie du mot et la vocalisation du "1" en "u". Il conserve cependant le "u" et le "1", offrant ainsi de plus grandes possibilités de lecture. Nous verrons, au nuitain suivant, A se distinguer à nouveau des quatre sources médiévales. Il s'agira alors d'un substantif dont la graphie sera importante pour l'exégèse du Lais.

Après ces considérations sur les variantes et l'orthographe de ces premiers vers, attachons-nous au vocabulaire de ce huitain et à sa compo-sit1on. Considéro~s tout d'abord les métaphores hi?piques caractérisant Villon. '" Prendre le frein aux dens' c'est avant tout échapper au

con-trôle génant d'un partenaire ou d'un maître, clest faire acte dl indépen-dance." (2)

(1) Thuasne, Il, p. 3.

(2) Lucien Foulet, "Pour le cor.:mentaire de Villon", ROl!l.!:nia, !:o. 47 (1921>, p. 586.

(22)

Dans le glossaire de l'édition Longnon qu'il a revœ, Foulet donne onze ans plus tard un sens différent à l'expression "Prendre le frein aux dents se dit . au fig. de celuy qui après avoir négligé quelque temps son devoir, ou ses affaires, s'y porte ensuite avec ardeur (Dict. Acad., 1ère. éd.)." (1) Cette seconde explication rejoint celle d'André Burger "acharné au travail ". (2) Dans le mêltie vers on trouve l'expression .franc au coll ier: "plein d'ardeur". (3) Thuasne ancre cette expreGsion dans

le siècle de Villon, il relève chez Alain Chartier un passage analogue

"Ains fault tirer au collier, et prendre aux dens le frain vertueusement." (4)

En me me temps que Villon soumet ses oeuvres ou ses amis à la ré-flexion, il se soumet à Végèce. C'est sous l'instigation du sage Romain que Le Lais co~~ence. Ce poème se veut dès le début l'oeuvre d'un disci-ple et l'imitation en est le principe déclaré. Villon se propose de faire "comme Vegesse", mais est-il co:nme Végèce? Trois vers décrivent Villon (2-4), trois vers symétriques peig:1ent Végèce (5-7).

Le premier est "l'escollier" "considérant" attelé et plein dl ardeur. Le second est le maltre. Il "raconte". Le parallélisme du vers 7 "sage Romain grant conseiller" correspond à celui du vers 4 "le frain aux dens franc au collier". Cependant, si le substantif "dens" correspond à "collier"

d'J point de vue sémantique, le "frain" correspond à "franc" par la sonorité,

(l) Longnon, Foulet, pp. 160- 61. ( 2) Bu rger, p. 68.

( 3) Ibid. , p. 45.

(23)

mais s'y oppose par le sens: on,e peut être franc lorsque l'on a un frein. Les métaphores hippiques caractérisant 11'escollier" font con-traste avec la sagesse et la grandeur du Romain. Aussi peut-ail pressen-tir que seules les apparences du Lais seront une imitation, mais qu'en réalité Villon va ruer dans les brancards.

Si l'on fait abstraction des vers consacrés à Villon (2-3-4), et de ceux consacrés à Vég~ce (5-6-7), le vers 1 et le vers 8 restent face à face: Vers 1 L'an

ccce

cinquante six

Vers 8 Ou au1trement on se mesconte

Ce qui au début paraissait une affirmation péremptoire se trouve détruit par le jeu des symétries. En repliant le huitain sur lui-même,

les vers l et 8 se superposent. La structure de la strophe remet en ques-tian la date de composition du Lais. Nous la trouvons de nouveau épinglée au début du second huitain.

xxxxxxxxxx

ABCFI, II, Bj., Th., L-F., II.

Vers 2

A Ben

B j. Th. , L-F.

En ce temps q~e j'ay dit devant Sur le nouvel morte saison Que les loups se vivent de vent Et q'.!' on se tient en sa maison Pour le frimas pres du tison He prinst le vouloir de briser La tres amoureuse prison

Qui me souloit bien debriser

Sur le nouvel lllO rte saison

Sur le noel morte saison Sur le :iot!l, morte saison,

Sur le !ioe 1, morte saison,

neFI

BeFl

(24)

Pour l'étude des variantes "nouvel" A, et "noel" BCFI, nous

pou-·vons formuler deux hypothèses. La première imputerait l'erreur au scribe de A. Se basant sur une fausse étymologie: noel / nouel / novel/nouvel

il aurait mal transcrit le mot et BCFI donneraient la bonne leçon. La seconde hypothèse à considérer est la s~ivante: "Nouvel" A, et "noel" BCFI seraient deux graphies du mot "novel Il , ilLe novel" étant

le début de l'année. Le "v" entre voyelles, lorsque l'une d'elles est un

"0"

ou un "u" a tendance à tomber. Ainsi en refaisant le chemin inverse

du précédent "nouvel" donne "ooel". ilLE· Novel" n'aura pas été compris da.ls son sens et aura cédé la place à "Noel", lectio facilior .

Il n'y aurait plus dès lors contradiction entre les leçons. La date de composition du Lais serait bien sûr l'hiver 1456 mais pas forcément " sur le noel". Elle se situerait " sur le nouvel", c'est-à-dire, quatre

di~~nches avant Noel, le jour de l'Avent, fête qui marque le début de l'an-née lithurgique catholique. Ainsi le manuscrit A, par la graphie ouverte du mot "nouvel Il , remet en question la date de composition du Lais.

Vers 3

A Que les loups se vivent de vent

BI Que les loups vivent de vent

C Que les loups vivent du vent

F Que les loups se vivent du vent

B j. Que les loups ce vivent de vent r. •

Th. , L-F. Que les lou?s se vivent de vent A

Bel comptent seulement sept syllabes, seuls AF sont octosyllabi-ques. Thuasne remarque que ilLe verbe vivre, com::ne beaucoup de verbes neu-tres, pouvait indifféremment prendre ou ne pas prendre la forme réfléchie."

rI

relè':e un exemple de la forme pro;1ominale de ce · .. erbe:

(25)

Et se font povre, et si se vivent Des bons morseaux delicieus.

(1)

(Le Roman de la Rose, lll,vv. 11044-45) André Burger, quant à lu!., relève chez Chartier la forme "vivre du ventll. (2) Quant à choisir entré "de vent" A, et "d'-1 vent" F, la leçon la meilleure, un poète choisirait peut-être celle de A pour la richesse de la rime: Vers 1 Vers 3 Vers 6 A B C F 1 B j. , Th. ,L-F.

En ce temps que j'ay dit devant Que les loups se vivent de vent (3)

He prin st le vouloir de briser He vint ung vouloir de brisier ~Ie vint vouloir de briser He vint le vouloir de briser He vint voulente de briser

He vint ung vouloir de brisier B

C est hypométrique. "Prinst" A, mieux que "vint Il BCFI, décrit un

acte brusque, physiologique e~ psychologique à la fois, et correspond mieux à la tonalité rùde du huitain. L'objet de briser: ilIa tres amoureu-se prison" a des caractérisants différents amoureu-selon les sources:

(l) Thuasne, Il, p. 4.

(2) Burger, p. 13.

(3) Il est à noter cependant que l'étude des rimes du poème montre qJé Villon ne recherche pas les rimes riches, aussi le choix reste-t-il en suspens.

(26)

Vers 8

A Qui me souloit bien debriser

BF Qui souloit mon cueur debri!)ier

Cl Quy faisait mon cueur debrisier

B j. Qui faisoit mon cueur debrisier Cl

Th. ,

L-F.

Qui souloit mon cuer debrisier

BF

"Souloit" ABF souligne l'action destructrice constante alors que "faisait" CI, neutre, n'ajoute aucune insistance à l'action. "Oeb::-iser" au XVe siècle est synonyme de "briser". L'objet de ce verbe est lime" A, limon cueur" BCF!. Ici encore, la leçon de A met en cause Villon corps et esprit, les autres sources restreignaOlt considérablement l'importance de

la "prison". Ce qui militerait en faveur du choix de A pour les vers 6 et 8 c'est que ce "vouloir" est éveil de la conscience, conscience du corps et conscience de l'esprit, qui se manifeste dès le premier vers du huitain suivant par les deux lettres "Je". Au début du Lais la première personne avait fait son apparition, mais aucun verbe n'en avait confirmé la fonction

sujet. "Le vouloir" s'exerçai1t maintenant sur le moi, c'est la révélation de l'action: "Je le feis".

Il est curieux de constater que pour le vers 8 Bijvanck a mis de côté son manuscrit B pour choisir la leçon Cl. Quant à l'édition

Longnon-F~ulet, elle présente la leçon F.

Examinons maintena~t la st~Jcture de ce huitain. Trois parties bien distinctes le partagent. Les séquences passent d'un tableau extérieur

'IV.

"IV.

1-2-3 à un tableau intérieur vv. 4-5 avant d'aborder le pla:1 personnel J:. ~ Il

v-,-v.

(27)

l' intérieur du pauvre. De part et d'autre de ce foyer se dressent symé~

triquement, l'un par rapport à l'autre,d'un côté les loups, de l'autre Villon. En comrmn les loups et Villon ont leur frustration, ils ne sont pas libres. La prison des loups, c'est la "morte saison": pour seule nourriture ils ont le vent, celle de Villon, malgré son qualificatif n'en est pas moins réelle. Le parallèle loups-Villon est clair. Les

caracté-risants "morte saison" v. 2 et "amoureuse prison" v. 7 SOilt disposés symé-triquement llun par rapport à llautre. Les loups et Villon sont à la fois sujets et objets de leurs actions. Deux vers, eux aussi symétriques, nous 11 assurent.

Vers 3 Vers 6

"Que les loups se vivent de vent" 1~le prinst le vouloir de briser"

Cette correspondance exacte dans la forme et dans le fond opère un

glisse-ment sémantique et projette hors de la faible chaleur centrale du huitain les loups et le poète. Ce que nous avions entrevu dans le premier huitain se confirme. Villon ne va pas agir en homme sage mais en ho~~e qui assiège "le vouloir" de se libérer. Caractérisé au début par des métaphores hip-piques, Vi 110:1 revêt à présent la peau du loup et Si éjecte, non seulement hors de ilIa très amoureuse priso:1", mais surtout de la pauvreté, du froid et de la faim, thèmes essentiels du second huitain. "Je le feis" écrit-il au début du :1Uitain 3, essayons dl être les témoins de SO:1 action.

(28)

ABCFl, III, Bj., Th., L-F., III.

Vers 3 A

Ben

Je le feis en telle facon Voiant celle devant mes yeulx Consentant en ma deffacon

Sa~s que ja luy en fust de mieu1x Dont je me deuil et plains aux cieu1x En requerant delle vengence

A tou1x les dieux venereeulx Et du grief damours a1egence

Consentant en ma deffacon Consentant a ma desfacon

Bj., Th., L-F. Consentant a ma deffaçon BCFI

La deffacon, traduit dans le lexique d'André Burger par le mot "perdition", dépend de "celle" dans les textes BCn. A réduit la puis-sance de la "felonne". "Celle" voit 'la r..line de Villon et y consent. Elle est moins la cause que le témoin de sa détresse, plus le prétexte que la

vé-ritable instigatrice. Cet état de fait, nous l'avons vu, était déjà en puissance au huitain II dans la structure même du huitain, où la prison, qualifiée d'amoureuse, était en fait celle de la pauvreté, du froid, et de la faim. Ce qui constitue une autre raison en faveur de A c'est le paral1é-lisme des vers 1 et 3 amorcé par les mots "facon" et "deffacon". Le choix de la meme préposition renforce ce parallé lisme.

Vers 7

.

A toulx les dieux venereeulx

f i

B Et a tous les dieux bieneu~eux

C A tous les dieux victor/ieux

FI A tous les dieux venerieux

3 j. , Th. , L-F. f i

.

to~s les dieux ve:lerieux FI

Le trait qui sépare "victorieux" C indique que le mot a été e:l par-tie effacé. Seule la fin du mot est du scribe de C, "victor" a ét~ .§cr1::

(29)

par une autre main. On ne peut que s'interroger sur le sentiment qui a inspiré une telle correction. "Les dieux bieneureux" B n'ont pas été re-tenus pour l'édition de Bijvanck de 1882. Les éditeurs du Lais ont tous quatre porté leur choix sur la leçon de FI "venerieux".

Venons-en maintenant à la composition du huitain. Il peut être partagé en deux parties égales, 'IV. 1-4: circonstances de la rupture, vv. 5-8: plaintes de l'amant martyr. Le parallélisme de la construction est évident. Vers 1 Vers 2 Vers 5 Vers 6 Je le feis • Voiant celle. Dont je me deuil En requerant d'elle.

Chaque moitié se subdivise à son tour en deux parties parallèles: Vers l Vers 3 Vers 5 Vers 7 en telle facon en ma de ffacon

dont je me deuil et plains aux cieulx A tous les dieux venereeulx

Fait à relever, le premier verbe du Lais caractérisant Villon est le participe présent: "Considérant" placé en tête du troisième vers du premier huitain. Le premier verbe caractérisant "celle" est le participe présent: "consentant" placé en tête du troisième vers du troisième hui-tain. La présentation des deux amants se fait sur le meme mode imperson'èl et intemporel au point de vue de l'action. Sur le plan de cette dernière

le huitain voudrait montrer comment Villon a brisé sa prison. De fait nous n'en saurons rien. S'agit-il d'u,e vision réelle ou subjective? Le "ja" du vers 20 "souligne affectivement l'énoncé, . . . " 0'1) Si Villon ne

(30)

nous dit pas comment il s'est libéré, il ne manque pas, sous une forme fort imagé~, de nous signifier ce qu' H lui reste à faire.

xxxxxxxxxx

ABF IV, Cl omis, Bj. VI, Th., L-F., IV.

Vers 1 AF B B j. Th. , L-F.

Et se jay prins en ma faveur Ses doulx regars et beaux semblans De tres decevante saveur

He tresparsans jusques aux flans Bien s'il ont vers moy les pies blans Et me faillent au grant besoing Planter me fault aultres complans Et frapper en ung aultre coing

Et se j'ay prins en ma faveur Et se je puis a ma f3veur Et! se j'é prins à ma faveur Et se j'ay prins en ma faveur

Ar

+

B AF Pour les cinq premiers vers du huitain du manuscrit B, Bijvanck écrit qu'il est impossible d'y attacher un sens

quelco~que.

(1) Il trouve par contre la leçon de A parfaitement claire.

Vers 2

A B F

Ses doulx regars et beaux semblans Ces doulx regrets et beaux semblans Ses deulx regards et beaulx semblans

Bj., Th.,

L-F.

Ces doulx regarts et beaux semblans A Les "deulx regards" F sont pour le moins étranges. SalS (bute s'agit-il d'une graphie du mot doulx.

(1) ::.t se je p'Jis à r.:.a faveur,

Ces dOJlx regrets et beaulx seoblans Je tres decepvante sav~ur

~te tres percent jusques aux flancs

Bien ilz ont vers moi les piez blancs, etc. 1 Bi jva..,ck. p. 24)

(31)

Les éditeurs ont écarté "ses deulx regards" F, ainsi que "ces doulx regrets" B, et ont choisi "ces doulx regars" A.

"Dans le Roman de la Rose, Dous regars avait cinq flèches dans la main droite (T II, v. 921, édit. L)

La cinq~ième ot non Biaux semblanz

(T II

, .

V 949 e'dit. L)." (1)

,

Peut-être faut-il trouver là la raison de leur choix. Vers 3

AB De tres decevante saveur

F De l'inestimable faveur

B j. De tres decepvante saveur AB

Th. ,

L-F.

De tres decevante saveur AB

Si les vari~,tes AS sont on ne peut plus équivoques, celle de F par contre, est parfaitement claire dans le contexte. Un trait amusant de cette variante est que le mot "faveur" mentionné dans le F.E.W. présente entre autres significations "saveur appétissante".

Vers 5

A Bien sil ont vers mo)' les pies blans B Bien ils ont vers moy les iliez blancs

F Amours si ont les piez blans

B j. Bien ilz ont vers moi les piez blancs B

Th. Bien ilz ont vers ma)' les piez :,lans B

L-F. Bien ilz Oil t vers moy les piez blans B ~·Iario Roques explique pour nous c~tte expression:

(32)

IICelle que j'aimais, avec ses gentillesses, mla fait comme le cheval bal-zan si plaisant par ses marques blanches et qui, un jour de bataille, manque sous le cavalier. Il (1) Nado Roques poursuit son interprétation du huitain

en ces termes: IINe serait-ce pas aussi une manière de bataille que le tIgrant besoin" de Villo:l, 11 amoureux combat auquel son amie se dérobe, étant de celles q'Ji laissent espérer et refusent de céder, • . . , et la

chevauchée manquée, suivie des possibles équivoques des deux derniers vers du huitain IV, serait assez dans le ton mêlé de Villon, sentimental, rail-leur et libertin. Il (2)

Les commentateurs de Villon ont vu en effet dans les deux derniers vers de ce huitain un double sens amt mots "planter", "complans" et "coing". (3)

"S" du vers 5 offre une simil i tude de construction avec le vers 1. Ce huitain semble bâti sur un double mouvement où parallélisme et symétrie constituent la structure.

(l) ~Iario Roques, "Les Pieds Blancs (Villon, Lais, IV, 29)" in Hélanges de phi101og!i~ romane et de littérature médiévale offerts à Ernest Hoepffner (Paris: Les Belles Lettres, 1949), p. 106.

(2) Ibid., p. 106. (3) Bijvanck, p. 137, n. 1. Thuasne, Il, pp. 7-8. Siciliano, p. 68. Kuhn, p. 112. Guiraud, p. 267.

(33)

Vers 1 2 3 4 5 6 7 8

Et se jay prins en ma faveur Ces doulx regars et beaux semblans

s11 ont vers moy Et me faillent Planter me faut

Et frapper en ung autre coing

Le vers 2 a une structure interne parallèle. Sur ce mouvement vient se greffer au premier et au dernier vers une structure symétrique où coordonnants et prépositions forment les joints. Cette construction per-met à la strophe de se replier sur elle-même. En présentant aux deux extré-mités du huitain les deux pôles de l'amour, l'un au passé, l'autre au pré-sent, Villon oppose à l'illusion de l'amour courtois, la réalité érotique concrète. En même temps, par le jeu des symétries, il superpose les deux concepts et opère un nivellement des valeurs sur le plan sémantique. "Les beaux semblans" et "aultres complans" ne forment plus dès lors qu'u:1e seule et même réalité.

Si Villon a puisé dans la veine proverbiale la métaphore hippique des "pies blans", c'est pour dresser face au cheval "le frain aux dens franc au collier" le traltre aux taches blanches. Le recours au cheval comme point de comparaison et pour lui et pour "celle" opère également un :1ivellement des valeurs.

Les "doulx regars" transpercent Villon qui lui, à son tour,va "frapper en 'jng autre coing". Réaction en chaine, rapport mécanique de cause à effet, résultat: le rire. Le passé, le présent et l'infinitif à valeur de futur partagent le temps en trois plans chronologiques. Le même démembreme:n s'effectue au huitain suivant.

(34)

30

-ABF V, CI omis, Bj. IV, Th. V, L-F. V.

Vers 3 A B F

Le regart de celle ma prins Qui ma este felonne et dure Sans ce q~en~iens jaye mesprins Veult et ordo!1ne que j'endure La mort et que plus je ne dure Si ny vois secours que fouir Rompre veult la vive soudure Sans mes piteulx regretz ouir

Sans ce qulen riens jaye mesprins Sans ce q~een rie~s aye mesprins Sans ce que jeusse riens m~sprins

Bj., Th., L-F. Sans ce qui en riens aye mesprins, B Thuasne relève dans La chastelaine de Vergi le vers "Sanz ce que de riens ait mespris". Quant à l'expression "sans ce que" i l la qualifie à juste titre de pléonasme. (1)

Visiblement la leçon adoptée par les éditeurs est celle de B corri-gée quant au compte des syllabes ou celle de A à laquelle le "je" a été enlevé. Pourtant, ct;>tte dernière leçon, juste, et au point de vue de la métrique et au point de vue sémantique, a l'avantage dl amorcer une suite de verDes avec le Il je" repoussé trois fois à. la fin du vers:

Vers 3 4 5 Vers i A Rompre B Rompre F Rompre B j. Ro:npre Th. , L-F. Rompre jlaye mesprins j'endure je ne dure veul t la vive veult la dure vueil la vie vueil la dure veult la 'live (1) Thuasne, II, pp. 8 -9. soudure sould<Jre sa.,s d"Jre souldure, souldure, B A

(35)

Pour Bijvanck, Villon aurait emprunté cette métaphore à ses

pré-décesseurs. (1) Pour David Kuh~, ce vers fait partie du langage 4 de la langue A. Consultons à ce propos le tableau dressé par ce critique.

Langue A: Jargon d'amour courtois.

Langage 1. Le jargon d'amour Il pu l'" de la tradition provençale; métaphores sans rapports ex-térieurs.

Ex.: limon cuer debrisier" (16).

Langage 2. Le jargon amoureux dont les métaphores se rapportent à la religion.

Ex. : "je suis amant martir" (47) .

Langage 3. Le jargon amoureux dont les métaphores se rapportent à la loi.

Ex.: "qui m'a esté félonne" (34) .

L~1gage 4. Le jargon amOureux dont les métaphores sont pleinement érotiques.

Ex.: "Rompre veult la vive souldure" (39).

Langue B: Jargon d'amour bourgeois (ooscène). Langage 1.

Langage 2.

Langage 3.

Le jargon des locutions et proverbes obscènes. Ex.: "frapper en ung autrp. coing" (32).

Le jargon des équivoques obscènes gratuites. Ex.: "mon povre sens conçoit" (SU.

Le jargon des équivoques obscènes à valeur utilitaire.

( 2) Ex.: "je m'en vois a Angiers" (43).

Le fait de vouloir systématiser le sens érotique du Lais peut être considéré comme un apport positif. Cependant, q\le vaut à l'analyse une telle classification? J'avoue pour ma part, ne pas bien voir la différence qu'il Y a entre l'exemple du langage 4 de la langue A du jargon d'a:n::>ur

I l } Bijvanck, p. 123, n. 1.

(36)

courtois: "Rompre veult la vive souldure" et celui du langage 1 de la

langue B, jargon d'amour bourgeois (obscène): "frapper en ung aul tre coing".

L'unité du huitain est centrée autour d~ rejet du vers 5: la mort. Une lutte inégale est engagée. "Celle" occupe les deux pôles et le centre de la strophe. Au début, vv. 1 et 2, elle prend, au centre vv. 4-5, elle ordonne, à la fin vv. 7-8 elle rompt. Villon, comme nous l'avons vu, est repoussé à la fin des vers 4-5-6 où il remplit la fonction sujet de trois verbes à valeur négative: "j' aye mesprins" . • . "j'endure" • . . "je ne dure". L'avenir de l'amant martyr est contenu dans le seul infinitif: "fouir", v. 6.

Si l'on compare les deux premiers vers de ce huitain à ceux du huitain pré-cédent:

A IV A 'J

1. Et se jay prins en ma faveur 1. Le regard de celle ma prins 2. Ces doulx regars et beaux semblans 2. Qui m'a été felonne et dure On constate que le sujet de IV devient l'objet de V et vice-versa. Au mouvement de chassé-croisé se joint celui de la métamorp~ose de l'objet "doulx" et "beaux" en sujet "felonne et dure". Ici et là, nous l'avons vu, le passé, le présent, l'infinitif à valeur de futur définissent le temps et sa durée. "Planter", "frapper" au huitain IV, "fouir" au huita.in V amorcent le départ pour Angers.

(37)

ABF

VI, B j. V, Tn. VI, L-F. VI.

Pour obvier a ces da!lgers

Hon mieulx est se croy de fouir Adieu je m'en vois a Angers Puis quel ne me veult impartir Sa grace il me convient partir Par elle meurs les menbres sains Au fort je suys a!lla!lt martir Du !lombre des amoureux sains Vers 2

A Hon mieulx est se croy de fouir

BF ~!on mieulx est ce croy de partir

Bj. Hon mieulx est, ce croy, de partir BF

Th. , L-F. Hon mieulx est, ce croy, de fourr A

Jans notre introduction nous avons déjà mentionné pour ce vers les leçons respectives de Pierre Champion et de Kuhn. Si pour ce dernier, nous avons p~ exposer les raisons de son cnoix, nous ne sommes pas très éclairés sur les motifs de Pierre Champion qui écarte A pour BF (1)

"Vers 42

45

quent.

André Burger également choisit BF. Voici ses raisons: Mo~ mieulx est, ce croy, de partir.

Puis qu'el ne me veult impartir Sa gracetne la me departir+

42: BF; de fouir A. 45: B; il me convient partir AF. Cl

man-Le leçon de B fausse le vers 45, mais elle est visiblement plus proche de l'originale que celle de AF qJi ont refait platement 1,= vers, d'où' fouir' remplaçan:: 'partir' dar'ls A, au vers 42. !;i la correction de

(38)

Bijwanck, qui supprime 1 me l , ni celle de Thuasne, qui supprime 1 lai, ne

satisfont. On pourrait soupçonner Ine slame partir ' , mais on hésite à introduire dans le texte

~ne

correction aussi hardie. II ( 1)

A considérer les variantes si controversées: Vers 5

AE Sa grace i l me convient partir

B Sa grace ne la me departir

B j. Sa grace ne la departir B + Bj.

Th. Sa grace, ne me departir B + Th.

L-F. Sa grace, i l me convient partir AF

On ne peut que constater que Mê présentent une leçon satisfaisante et pour le sens et pour la mesure.

Vers 6 AB F B j. , Vers AF B B j. Th. , Th. , 7 L-F. L-F.

Par elle meurs les menbres sains Par elle meurent mes me~bres sains Par elle meurs, les membres sains;

Au fort je suys amant martir Au fort je meurs amant martir Au fort, je meurs amant martir, Au fort, je suis amant martir

AD

B AF

B, v. ï "meurs Il , et B, v. 6 IImeurentl l, peuvent pour nous, modernes, semJler une répétition inutile des termes, il nlen était pas de même au XVe siècle.

Cette strophe est bâtie sur le meme modèle qJe la précédente avec rejet au début du Se vers. Au centre, IIcellel l étale sa puissance. Le "je"

(39)

de Villon nlest pas cette fois rejeté à la fin des vers, il devient aux deux extrémités du huitain celui qui fuit et celui qui meurt. Tant de dureté de la part de "celle" ne peut que nous laisser sO:lgeurs. Les li-gnes qui suivent nous renseignent sur les raiso:ls de la cruelle.

xxxxxxxxxx

ABF VII, Bj., Th., L-F., VII.

Combien que le depart me soit Dur si fault il que je l'eslongne Comme mon povre sens consoit Aultre que moy est en quelongne Qui plus billon et plus or songne Plus jeune et mieulx garny d'umeur Clest pour moy piteuse besongne Dieu en veuille ouyr ma clameur

Bien que nous ne soyons encore en pr~sence que de trois sources médiévales CC et l étant toujours omis) les leçons ABF offrent suffisamment de variantes pour ouvrir à nouveau la discussio,. Examinons tout d'abord, et assez rapidement le débu~ du manuscrit B:

Vers 1-3

Combien que le départ m~ soit dur Si faut il que je l'esloingne Comme mon paouvre sens tant dur

Le premier vers est trop long, le second est trop court. Bijvanck corrige le premier en ôtant "me". le second en ajoutant "ne".

B j. Combien que le départ soit dur Si faut il que je ne llesloingne Co~~ mon pouvre sens tant dur!

B + Bj. B - Bj. B

!..e verbe "je 1l esloingne" AB? est un réfléchi absolu et sig,ifie:

je mléloigne dlelle. Bijvanck, on le voit, introduit une erreur là o~ il

n I,.

(40)

éditions Thuasne et Longnon-Foulet, elles ont retenu les leçons AF: AF Th., L-F. Vers 4-6 A B F B j. Th.,L-F.

Cocoien q~e le depart me soit Dur si fault il que je lleslongne Comme mon poyre sens consoit Combien que le depart me soit Dur, si faut il que je lleslongne Comme mon povre sens conçoit,

Aultre que moy est en quelongne Qui plus billon et plus or sOngne Plus je~,e et mieulx garny dlumeur Autre que moy est en queloigne Dont onc soret de Bouloingne Ne fut plus altere dl umeur Quant que moy est en quelongne Dont oncques soret de Boulongne Ne fut plus altere de humeur Autre que moy est en queloigne Dont oncques soret de Bouloingne

~Ie fut plus alteré dl umeur. Autre que moy est en quelongne, Dont oncques soret de Boulongne Ne fut plus alteré dlumeur.

AB BF BF AB BF BF

Lucien Foulet explique 11 expression "être en quenouille". Il ICI est à un autre que moi qulon pense l , Ice nlest pas à moi qulelle en al, lelle

li ' III (1) court un autre evre.

Les vers 4 à 6 de ce h~itain, édition L-F., ont fait llobjet dlune note importa~te de Siciliano:

(l) Lucie .. Foulet, "Pou:- le c0,y"pn~aire de Villon", Romania, :;0 47 (1921),

(41)

Il faut que je dise que j'ai des doutes sur

l'in-terprétatio~ courante. Le personnage plus altéré d'humeur qu'un 'soret de Boulongne' ne serait-il l'autre? (Je ferais dépendre 'dont' d' 'autre' et non pas de 'moy'.)

Mais on assure que c'est de Villon qu'il s'agit. Le poète a 'voulu marquer la sensation de soif qui l'a prise (sic) après s'être vu trahi'. Il serait donc 'assoiffé de vengeance', il sentirait ses 'tempes battre' et sa 'gorge brûler', etc. (BIJVANCK, Essai, p. 73; sens accepté par THUASNE, édit. Il, p. Il). Tout cela me parait sonner assez faux, car la chose est moins dramatique, et moins gauche, qu'on ne le croit. Quelqu'un est altéré de soif, mais d'une soif équivoque et je donnerais volontiers à tumeur' un sens érotique. On a vu quelle était la 1 conceptio~ amoureuse' de Villon: il cesse d'aimer quand son ventre est creux, car 'la dance vient de la pance'. (1)

Pour la plupart des critiques, le "soret de Boulongne" représente Villon. Pour 5iciliano, il no~~erait le nouvel amant. Rien ne nous empê-che de penser que ce poisson de mer représente aussi bien Villon que celui qui l'a supplanté. Les sens multiples d"'altéré d'humeur" permettent cette ambigu!té qui est d'ailleurs assez dans la facture de"Haistre François'!. Si, comme ~ous l'avons vu, plusieurs commentaires et notes ont été consa-crés aux vers 5-6 de Bf c'est qu'ils ont eu l'heur d'être édités. La

leçon de A :'le l'a pas été, elle mérite cependant qu'on s'y arrête. Vers 5-6 Qui plus billon et plus or songne

Plus jeune et mieux gamy d'umeur

Ces deux vers décrivent sans équivoqJe possible le préféré de "celte". Le nouvel amant a sur Villon quelqJes avantages: i l est pl;lS riche, plus jeune, pourvu de plus de fO'rce vitale. Quand Vi 110,' pilrlera de lui-~me à la fin du Lais i l se qualifiera com:ne éta:1t celui q-J1 "n'a

(42)

plus qu'ung peu de billon". D'autre part, dans Le Testament, les goûts de "celle" nommée "ma chère Rose" sont clairement explicités. (1) La

leçon de A, apparalt, à l'analyse, aussi acceptable q'Je celle de BF.

L' "autre" occupe le "paJvre sens" de Villon en s'éta1a:1t sur les

quatre vers du centre repoussant ainsi le malheureux ama:1t aux deux extré-mités d~ huitain. Construction symétrique, les plai:1tes de la fin faisant écho à celles du début.

Si des leçons fort diverses ont suscité la discussion de cette strophe quant au choix des mots, cette confrontation nous sera épargnée pour les huit lignes qui suivent. ABF présentent une seule et même voix,

à u, article près.

XXx.x:<xxxxx

ABF VIII, Bj. VIII, Th. VIII, L-F. VIII. Et puys que departir me fault Et du ~etour me suys certain Je ne suys hom~e sans desfault Ne qa'autre d'assier ne d'estain Vivre aux humains est i~certain Et apres mort ny a relaiz

Je m'en vois en pays lointain Si esta~ly ce present laiz

(1) Item, m'amour, ma chiere Rose,

~e luy laisse ne euer ne foye; Elle ameroit mieulx autre chose, Combien qu'elle ait assez m~nnoye. QJoy: L'nlO' gra:1t bource de soye, Plaine d'escuz, parfonde et large; (Longnon, Foulet, p. 41, VV. 910-14).

(43)

.\ la place de "ne qu'autre" AB, F présente "nesqu'ung autre", les autres divergences ne sont que de pure graphie. Les difficultés ici se situent ~ un autre niveau. Ces huit vers ont reçu de la part de leurs éditeurs une ponctuation qu'il nous faut examiner.

B j. Et puisque deppartir me fault, Et du retour ne suis certain: Je ne suis homme sans deffault, Ne qu'autre d'assier ne d'estaing. Vivre aux ~umains est incertain, Et après mort n'y a relaiz: Je m'en voys en pays loingtaing; Si establiz ce present laiz.

Bijvanck coupe le huitain en deux parties égales, il ~et un point

~ la fin du vers 4. Puis il subdivise en deux chaque moitié en plaçant une ponctuation forte ~ la fin des vers 2 et 6. Cette division sépare la proposition s'Jbordonnée conjonctive introduite par "puisque" de la pri.lci-pale "si establ1z". En ponctuant comme il le fait, Bijvanck don:1e au hui-tain le sens: et puisqu'il me faut partir et que je ne suis pas certain du retour, je ne suis pas U:1 ho~~e sans défaut. Interp:étation pour le moins curieuse. Les autres éditeurs du Lais, Thuasne, Longnon et Foulet, ont vu ~ juste titre dans cette strop~e une interruption de la construction syntaxique. Aussi ont-ils placé cette insertion e:ltre pl3renthèses.

57 L-F.

VIII Et p~is que depl3rtir me fault, Et du retour ne su~s certain (Je ne suis hom~e sans desfault Ne qu'autre d'acier ne d'estain, Vivre aux h"Jmains est incertain ::t ap:-ès IIY.)rt n' y a relalz, Je m'en vois en pays loingtaln), SI establis ce p:-esent laiz. (1)

(1) Loognon, Foulet, p. 3. Je n'al pas crJ ,~cessaire de reproduire le

~iJitain édité psr Th'.l8Sne. La Po;1ctuation est légèr'!r.:P.;.t différente,

(44)

Après avoir longuement exposé aux huitains V, VI, VII, les causes de son départ, Villon en une phrase complexe de huit vers nous en dit maintenant la conséquence: "ce present laiz". Mais revoyons cette

"p~ra-se d'un peu plus près, telle qu'elle apparaît dans le manuscrit, c'est-à-dire sans ponctuation:

Au vers 1 "Et puisque departir me fault", correspond le vers 8 "Si estably ce present laiz".

Au vers 2 "Et du retour ne suys certain" le vers 7 "Je m'en vois en pays lointain".

Il reste les quatre vers du centre parfaitement cohérents, et complets en eux-mêmes pour former l'insertion. Cette division, différen-te, et de celle de Thuasne, et de celle de Longnon-Foulet, a été adoptée

da~s la traduction en français moderne des oeuvres de François Villon. (1)

Elle est plus pertinente que celle des éditions ?~écitées, car le vers 7, étranger à l'idée génér.clle de la p"récarité de la vie humaine émise par Villon aux vers 3-6, doit de ce fait itre exclu de la parenthèse. Ceci accompli, la structure symétrique du huitain app~rait. Au coeur de la strop,e, quatre vers, considératio:1s p~ilosophiques S'Jr la vie et la mort. Devant une telle certitude que peut faire l'homme si ce n'est tenter d~

"laisser" en partant la marque de son passage.

(1) Lanly, l, p. 13.

Ha référence à cette éditioi1 n'indique i1ullement mon adhésioi1 à son principe. Toucher au texte de Villon, cê:ne avec d'infinies précau-tions, est un acte incoi1sidéré. Est-ce ~;er/al qui disait que vouloir trAnscrire Rabelais en français c~derne c'était ne pas a1wer la poésie?

(45)

Le départ et Le Lais sont les réponses que donne Villon au destin de l'ho~~e. Aussi les a-t-il disposées de part et d'autre du foyer central des préoccupations humaines. (vv. 12, 78)

-Avant d'aborder la seconde partie du poème consacrée aux lais, essayons de tirer quelques conclusions sur son introductio~. Sur soixante-quatre vers, vingt-cinq donnent lieu à des variantes. Quant au choix de celles-ci, les éditeurs ont opté, soit pour une leçon isolée, soit pour l'accord de quelques manuscrits. Les leçons retenues dans leurs éditions se répartissent comme suit:

B j. Th. L-F. A 9 14 15 B 20 14 13 4 3 3 F 7 12 13 l 4 3 3

Ce tableau nous permet de voir que Bijvanck s'est, le plus souvent, tenu li son manuscrit B, octroyant le deuxième rang au manuscrit A. Thuasne, dont F est le manuscrit de base, place en premier les manuscrits A et B.

Dans l'édition Longnon-Foulet, A est encore le préféré. En con-clusion ce tableau nous montre que le manuscrit de l'Arsenal vient en tête dans les éditions du Lais du XXe siècle (Th. et L-F.), et ce pour la pre-mière partie du poème. De notre côté nous avons montré que trois mots de ce manuscrit: "sur le nouvel" remettaient e:1 question la date de composi-tion du :'a1.s.

Dals chacune des h~!t strophes de l'introduction, Villon a analysé

u,

des côtés de son être. Que cette introsp~ction soit un jeu, cela :'le

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