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Le commentaire d'Asclépius à la Métaphysique d'Aristote (livre Alpha, chapitres 1 et 2) : introduction, traduction annotée et étude doctrinale

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FRANÇOIS LORTIE

LE COMMENTAIRE D'ASCLEPIUS

À LA MÉTAPHYSIQUE D'ARISTOTE

(LIVRE ALPHA, CHAPITRES 1 ET 2)

Introduction, traduction annotée et étude doctrinale

Mémoire présenté

à la Faculté des études supérieures de l'Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en philosophie

pour l'obtention du grade de maître es arts (M. A.)

FACULTE DE PHILOSOPHIE UNIVERSITÉ LAVAL

QUÉBEC

2007

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Résumé du mémoire

Bien que plusieurs études aient été consacrées à Asclépius de Tralles (Vie siècle), disciple du néoplatonicien Ammonius à Alexandrie, on ne dispose à ce jour d'aucune traduction de son commentaire aux livres A-Z de la Métaphysique d'Aristote. Puisqu'il constitue l'un des plus précieux témoignages de la réception des doctrines métaphysiques du Stagirite au sein de l'école néoplatonicienne, nous avons jugé bon d'entreprendre la première traduction en langue moderne de cet ouvrage. Comme la pleine compréhension de l'exégèse d'Asclépius n'est possible qu'à la lumière de son contexte historico-philosophique, nous avons d'abord présenté la tradition des commentaires grecs à la Métaphysique d'Aristote. Nous avons ensuite offert une traduction annotée des premières pages du commentaire d'Asclépius, à savoir de son prologue et des deux premiers chapitres du livre Alpha. Enfin, nous avons rédigé une étude doctrinale concernant les principaux enjeux philosophiques de la section traduite du commentaire : la division du prologue exégétique en questions capitales, le concept d'appréhension simple et les rapports entre les intelligibles, Dieu et le Bien.

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AVANT-PROPOS

Je tiens à remercier sincèrement tous les professeurs dont l'enseignement a contribué à ma formation philosophique. J'adresse plus particulièrement mes remerciements à mon directeur de recherche, le professeur Jean-Marc Narbonne, qui m'a fait découvrir la pensée néoplatonicienne et m'a suggéré d'entreprendre la traduction du commentaire d'Asclépius. Ma reconnaissance va aussi à M. Martin Achard dont les judicieux conseils m'ont guidé au cours de l'élaboration de ce mémoire.

Il m'aurait été impossible d'entreprendre la première traduction en langue moderne du commentaire d'Asclépius sans avoir profité d'une solide formation en langue grecque. Aussi, j'exprime ma gratitude envers le professeur Thomas Schmidt pour son enseignement.

Enfin, je remercie Annick Béland pour ses encouragements et pour sa lecture attentive de mes travaux et de ce mémoire.

Les recherches qui ont mené à ce mémoire ont été subventionnées par des bourses offertes par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH 2005-2006) et le Fonds québécois de la recherche sur la société et la culture (FQRSC 2006-2007). Je remercie sincèrement ces organismes pour leur soutien financier.

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Table des matières

Page

RÉSUMÉ i AVANT-PROPOS ii

TABLE DES MATIÈRES iii

INTRODUCTION 1 PREMIÈRE PARTIE: ASCLÉPIUS ET LA TRADITION DES COMMENTAIRES

GRECS À LA MÉTAPHYSIQUE D'ARISTOTE

1. Les divers commentateurs grecs de la Métaphysique 5 2. Alexandre d'Aphrodise et le commentarisme néoplatonicien 20

3. Asclépius et Alexandre à propos des chapitres A, 1 et A, 2 22 DEUXIÈME PARTIE: TRADUCTION ANNOTÉE DU COMMENTAIRE

D'ASCLEPIUS (LIVRE ALPHA, CHAPITRES 1 ET 2)

1. Notes sur la traduction 28 2. Traduction annotée 29 TROISIÈME PARTIE: ÉTUDE DOCTRINALE DU COMMENTAIRE D'ASCLEPIUS

1. Le prologue exégétique et ses questions capitales 64 2. Les appréhensions simples chez Asclépius et ses prédécesseurs 81

3. Les intelligibles, Dieu et le Bien 95

CONCLUSION 101 BIBLIOGRAPHIE 102

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« Grâce à Alexandre, chez les Péripatéticiens comme chez les Platoniciens, la méditation sur la nature de la connaissance intellectuelle et sur son objet nous amène non pas à la science, mais à la théologie. »

- É. Bréhier, Histoire de la philosophie, t. 1, p. 395. Introduction

Le commentaire d'Asclépius aux livres A-Z de la Métaphysique d'Aristote a longtemps échappé à l'attention des spécialistes de l'aristotélisme. Certes, quelques études y ont fait référence, mais peu d'entre elles se sont véritablement intéressées aux propriétés de son exégèse. On le considéra d'une part comme une simple adaptation, sans grand génie, du commentaire d'Alexandre; d'autre part, on le jugea trop scolaire, inférieur à celui de son prédécesseur Syrianus qui par l'exégèse de la Métaphysique exposa et défendit ses propres doctrines. Pour autant, le commentaire d'Asclépius est loin de ne présenter qu'un intérêt philologique.

Avec le développement récent des études néoplatoniciennes, l'exégèse d'Asclépius revêt une tout autre importance : elle fournit de précieux renseignements concernant la réception des doctrines d'Aristote au sein de l'École d'Alexandrie. Ce commentaire s'avère en effet le seul témoignage que nous ayons de l'interprétation néoplatonicienne de certains passages-clés de la Métaphysique d'Aristote. De fait, l'ouvrage d'Asclépius constitue la seule référence pour leur exégèse des livres A, a, A, E et Z, puisque celui de Syrianus ne couvre que B, T, M et N. Il constitue peut-être même la seule interprétation ancienne des livres E et Z, si l'on admet que le commentaire apocryphe aux livres E-N est une production de Michel d'Éphèse, un commentateur du Moyen Âge byzantin. Par ailleurs, Asclépius offre le seul prologue au commentaire perpétuel du texte de la Métaphysique. Cette introduction, dont la fonction était avant tout pédagogique, caractérise les commentaires néoplatoniciens aux oeuvres d'Aristote. Ce préambule à l'exégèse d'Asclépius est d'autant plus intéressant qu'il y est explicitement question de l'objet de la Métaphysique.

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Pour ces raisons, il nous est apparu important d'entreprendre la première traduction en langue moderne du commentaire d'Asclépius et espérer ainsi révéler certains aspects encore mal connus de la réception néoplatonicienne de la Métaphysique. Étant donné l'ampleur du commentaire - plus de 450 pages dans l'édition critique de M. Hayduck pour la collection des Commentaria in Aristotelem Graeca (CAG) - ce travail ne pouvait être que partiel : il constitue la première étape en vue d'une traduction complète du commentaire d'Asclépius sur le premier livre de la Métaphysique. Par conséquent, nous nous sommes limité aux chapitres 1 et 2 du livre Alpha (A) : nous avons ainsi pu conserver l'unité thématique de cette section qui, rappelons-le, constitue l'une des principales expositions de la théorie aristotélicienne de la connaissance.

Avant de présenter notre traduction partielle du commentaire d'Asclépius, nous avons cru bon de faire le point sur la tradition des commentateurs grecs de la

Métaphysique. À notre avis, un tel exposé, où la spéculation philosophique doit bien

souvent faire place aux précisions philologiques, constitue un préalable à l'étude des enjeux doctrinaux du commentaire. En effet, l'exégèse d'Asclépius ne se comprend pleinement que dans son contexte, celui de l'École d'Alexandrie, héritière du commentarisme péripatéticien (Alexandre) et du néoplatonisme athénien (Syrianus, Proclus). Par d'ailleurs, notre étude des commentaires d'Ammonius et de ses disciples nous a amené à questionner l'attribution communément admise du commentaire du Pseudo-Alexandre à Michel d'Éphèse.

Notre traduction partielle du commentaire d'Asclépius - qui est à vrai dire le motif et le cœur de notre travail - est accompagnée de nombreuses notes explicatives. Leur fonction est moins de résoudre les difficultés du traité d'Aristote que de manifester l'esprit néoplatonicien du commentaire d'Asclépius. Sans vouloir alourdir inutilement la traduction, nous avons aussi souligné les passages où Asclépius reprend littéralement des extraits du commentaire d'Alexandre.

Enfin, dans une brève étude doctrinale, nous avons touché à trois aspects du commentaire d'Asclépius : son approche exégétique par questions capitales, son concept

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d'appréhension simple, et les rapports qu'il établit entre Dieu et les intelligibles. C'est entre autres à la question de l'objet de la Métaphysique que répond Asclépius dans son prologue exégétique. Bien que nous n'ayons pas eu l'intention de prendre position dans le débat concernant l'interprétation « ontothéologique » de la métaphysique d'Aristote - à laquelle a sans contredit contribué Asclépius - nous n'avons pu éviter de porter un regard critique sur certaines opinions récentes à ce sujet. Puis, relativement à la noétique aristotélicienne, nous avons retracé l'histoire du concept d'appréhension simple {ÔLTÙC(\

e7u[3oA7]), qui témoigne de l'influence des théoriciens du néoplatonisme sur l'École d'Alexandrie. Nous avons finalement enquêté sur les rapports entre les intelligibles, Dieu et le Bien dans les premières pages du commentaire d'Asclépius. Bien que des réponses plus définitives à ce problème auraient demandé une étude de l'ensemble du commentaire, nous avons tout de même pu montrer qu'Ammonius et ses disciples ont développé une approche plus spéculative qu'on ne le présume communément de la philosophie d'Aristote,

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PREMIÈRE PARTIE : ASCLÉPIUS ET LA TRADITION DES COMMENTAMES GRECS À LA MÉTAPHYSIQUE D'ARISTOTE

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1. Les divers commentateurs grecs de la Métaphysique

1.1 Alexandre d'Aphrodise

Bien que la Métaphysique d'Aristote compte parmi les ouvrages les plus déterminants dans l'histoire de la pensée, relativement peu de ses commentaires anciens ont été conservés en langue grecque. Par comparaison au traité des Catégories, dont il est resté plusieurs commentaires complets, on ne possède pour la Métaphysique que ceux d'Alexandre, Syrianus, Asclépius et Pseudo-Alexandre, tous partiels. Quant aux autres témoins grecs de son exégèse ancienne, ils ne sont désormais connus que dans leurs versions latine (commentaire du Pseudo-Philopon) et hébraïque (paraphrase de Thémistius au livre A).

De tous ces commentaires, c'est sans contredit celui d'Alexandre d'Aphrodise1 qui exerça la plus grande influence doctrinale. Communément perçu comme un aristotélicien de stricte obédience, par opposition tant aux successeurs immédiats d'Aristote qu'aux commentateurs néoplatoniciens, Alexandre n'est pourtant pas qu'un épigone. En effet, ses écrits - plus particulièrement ses propres traités - témoignent d'une réflexion originale sur la connaissance2. Sa noétique a d'ailleurs alimenté toute la métaphysique arabo-latine, dont la célèbre polémique du XlIIe siècle au sujet de l'unité de l'intellect3.

En écrivant dans son Histoire de la philosophie que « grâce à Alexandre, chez les péripatéticiens comme chez les platoniciens, la méditation sur la nature de la connaissance intellectuelle et sur son objet nous amène non pas à la science, mais à la

1 Des minces renseignements que l'on dispose au sujet d'Alexandre, on sait qu'il vécut aux Ile et Ille

siècles et qu'il obtint le poste de professeur de philosophie aristotélicienne à Athènes. Voir R. Goulet et M. Aouad, « Alexandros d'Aphrodisias » dans Dictionnaire des philosophes antiques, t. I, dirigé par R. Goulet, Paris, CNRS Éditions, 1994, p. 125-128.

2 Voir Paul Moraux, Alexandre d'Aphrodise, exégète de la noétique d'Aristote, Paris, Librairie E. Droz,

1942. Ses propres doctrines noétiques sont exposées dans son De anima et dans le Liber de Mantissa.

3 Voir Thomas d'Aquin, L'unité de l'intellect contre les averroïstes, trad. d'Alain de Libéra, Paris, GF

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6 théologie4 », É. Bréhier voulait rappeler l'importance d'Alexandre non seulement au sein

de la tradition aristotélicienne, mais également dans l'histoire du (néo)platonisme. La Vie

de Plotin5 nous apprend d'ailleurs que ses ouvrages étaient déjà à l'étude dans l'école plotinienne, soit quelques décennies à peine après sa mort. D'aucuns considèrent même Alexandre comme le précurseur du néoplatonisme au sujet de l'assimilation au divin par la pensée intellective. Certes, en interprétant la pensée d'Alexandre à l'aune des systèmes qui lui sont ultérieurs, on risque de lui attribuer avant la lettre des doctrines qui reviennent en vérité à ses lecteurs néoplatoniciens; il serait d'ailleurs impropre, comme le juge R.W. Sharples, de faire d'Alexandre l'initiateur d'une mystique philosophique : « However, it seems to me, as it has to others, that Alexander is not a mystic as a provider of ideas that others could use for mystical purposes6. » Par conséquent, ce n'est pas tant

une mystique qu'une noétique pouvant mener à une expérience supraintellectuelle que les néoplatoniciens ont tirée des écrits d'Alexandre. Quelques études ont d'ailleurs déjà commencé à révéler la part alexandrinienne de certaines doctrines de Plotin et de ses successeurs ; de fait, une meilleure connaissance de l'œuvre d'Alexandre ne saurait que bonifier notre compréhension du néoplatonisme et s'avère préalable à l'étude des commentaires de l'école d'Ammonius.

Il n'est resté que les cinq premiers livres (A-À) du commentaire d'Alexandre à la

Métaphysique. L'exégèse des livres E-N, qui lui fut attribuée jusqu'au XIXe siècle - et

qui fait d'ailleurs suite au commentaire authentique d'Alexandre dans l'édition des

Commentaria in Aristotelem Graeca [CAG] -, est désormais jugée apocryphe : on

désigne communément son auteur sous l'appellation de Pseudo-Alexandre. Aucun savant n'a encore su identifier de manière probante les raisons de la disparition du reste du commentaire d'Alexandre; en revanche, plusieurs hypothèses ont été émises concernant

4 É. Bréhier, Histoire de la philosophie, t. 1, Paris, Presses universitaires de France, 1931 (1987), p. 395. 5 Porphyre, Vita Plotini, 14, 13, dans Plotini opéra, édition critique par P. Henry et H.-R. Schwyzer,

3 vols., Leiden, Brill, 1951-1973.

6 R.W. Sharples, « Alexander of Aphrodisias and die End of Aristotelian Theology », dans Metaphysik und

Religion: Zur Signatur des spûtantiken Denkens, Munich, Saur, 2002, p. 3.

7 Notons entre autres l'article de J.M. Rist, « On tracking Alexander of Aphrodisias », Archiv fîtr

Geschichte der Philosophie, 48 (1966), p. 82-90.

8 Alexandre, In Aristotelis Metaphysica Commentaria, édition critique par M. Hayduck, Berlin, Reimer

(CAG, I), 1881. Le commentaire authentique, soit celui aux livres A-A, couvre les pages 1-439, alors que le commentaire apocryphe aux livres E-N s'étend sur les pages 440-837.

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l'identité de ce Pseudo-Alexandre. Ce problème n'est pas que philologique : son élucidation pourrait même fournir de nouvelles données concernant les doctrines métaphysiques et théologiques de l'Antiquité tardive; nous y reviendrons.

1.2 Syrianus et l'École d'Athènes

Bien qu'il ne soit à peu près rien resté des écrits de Syrianus (Ve siècle), le successeur de Plutarque à la tête de l'École d'Athènes9, son importance doctrinale dans

l'histoire du néoplatonisme n'en fut pas moins considérable. La Vie de Proclus par Marinus nous apprend que Syrianus rédigea entre autres d'importants ouvrages sur les poèmes d'Orphée, que son disciple Proclus s'empressa de commenter10. De ses œuvres

philosophiques, la tradition manuscrite ne nous a livré que son commentaire aux livres B, T, M et N de la Métaphysique^ et son enseignement sur le Phèdre, d'après la rédaction de son élève Hermias12. Syrianus n'aurait commenté que ces quatre livres de la

Métaphysique : B, V, M et N1 3 ; on croit toutefois qu'il aurait donné un cours sur

l'ensemble du traité. À ce sujet, la fin de son commentaire au livre M offre de précieux indices concernant la nature et les sources de son enseignement sur la Métaphysique :

Voilà les critiques que dans ces livres Aristote formule contre les doctrines des pythagoriciens et des platoniciens; quant aux autres, dont celles contenues dans le Grand Alpha (A), elles ont été expliquées par le commentateur

9 Par convention, on distinguera l'École néoplatonicienne d'Alexandrie, à laquelle appartenaient

notamment Asclépius et son maître Ammonius, de l'École néoplatonicienne d'Athènes, dont Proclus fut sans doute le plus illustre représentant. Alors que la première est surtout reconnue pour ses commentaires aux traités d'Aristote, ceux de la seconde portent principalement sur les dialogues platoniciens. Il ne s'agit toutefois pas de deux entités entièrement distinctes : de récentes études ont montré une communication des doctrines entre ces deux écoles (dont C. Luna, Trois études sur la tradition des commentaires anciens à la Métaphysique d'Aristote, Leiden, Brill, 2001, p. viii). Bref, notons que lorsqu'il sera question de l'École d'Alexandrie, il faudra entendre un lieu florissant de l'enseignement du néoplatonisme dans l'Antiquité tardive, et non le courant néoplatonicien grec dans son ensemble.

10 Marinus, La vie de Proclus ou sur le bonheur, texte établi, traduit et annoté par H. D. Saffrey et A.Ph.

Segonds, Paris, Belles Lettres, 2001, p. 32 (§ 27).

u Syrianus, In Metaphysica commentaria, édition critique par G. Kroll, Berlin, Reimer (CAG, VI, 1), 1892. 12 Hermias, In Platonis Phaedrum Scholia, édition critique par P. Couvreur, Paris, Librairie Emile Bouillon,

1901 (réimpr. avec index verborum par C. Zintzen, Hildesheiro, G. Olms, 1971).

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H

Alexandre : par conséquent, puisque nous avons déjà étudié ces livres, nous ne jugeons pas les avoir négligées .

Ces lignes portent à croire que l'enseignement de Syrianus couvrait la totalité de la

Métaphysique - comme il sera habituel par la suite dans le cursus des études

néoplatoniciennes - et qu'il se serait en partie basé sur le commentaire d'Alexandre. Le maître de Proclus a sans doute rédigé un commentaire portant expressément sur les livres B, T, M et N étant donné qu'Aristote y offre la plus ancienne exposition de la doctrine pythagorico-platonicienne des principes. Il se serait intéressé à ces livres non seulement pour expliciter les doctrines qu'Aristote y rapporte, mais aussi afin de réfuter les critiques de ce dernier. Ainsi, Syrianus, qui sans doute enseignait également la Métaphysique d'Aristote dans une perspective moins polémique et plus pédagogique à ses disciples15

-en se servant notamm-ent du comm-entaire d'Alexandre16 - aurait par ailleurs voulu

commenter expressément certains livres de la Métaphysique d'Aristote afin d'exposer sa propre doctrine des principes.

Ce sont les livres M et N qui risquaient le plus d'intéresser les néoplatoniciens, particulièrement ceux de l'École d'Athènes, qui avaient une forte attirance pour la doctrine des premiers principes: ils constituent le plus ancien témoignage, et peut-être aussi le plus complet, de la théorie platonicienne des idées et des nombres. Les néoplatoniciens y ont sans doute vu l'approbation par Platon de leurs propres thèses métaphysiques. À leurs yeux, cette section de la Métaphysique présentait peut-être même un plus grand intérêt spéculatif que le livre A, étant donné qu'Aristote y discute expressément des principes - la Monade et la Dyade - de l'Intelligence, dont il est question aux chapitres 7 et 9 du livre A. Bref, les livres B et F auraient posé les

14 Syrianus, In Meta., 195, 10-13 : «Taûxà ècrriv â èv roii-coiç àvTiXiysi r a î ç TÔV IIu&aYopelcov xat nXaT(>>v(.xûv àvSpôv &ewp£atç ô ApiaTOTÉXiqç- â JW) TCepté^Et xat Ta èv TW fjieîÇovi. TÔV A ÊYjôévTa, wç xod 6 Û7top.vY)(xaTtCTTV)ç 'AXéÇavSpoç Û7cea7)|Aif)vaTo- 8LÔ xal T^etç TOÛTOIÇ è7n.<mf)aavTeç où8' èxetva 7nxpaXsXoi.TCévaa vo^Ço^iev ».

15 Marinus, op. cit., p. 16 (§ 13,3-4). On peut douter qu'en enseignant à Proclus la théologie d'Aristote, soit la Métaphysique, en propédeutique à la philosophie de Platon, Syrianus se soit borné à réfuter les critiques d'Aristote à l'égard de la doctrine platonicienne des principes.

Il se réfère à l'exégèse d'Alexandre en employant la même formulation qu'en 195, 11 (ôç xal è Û7to(jLVY)p.aTtCTTTQç 'AXéîîavSpoç) à deux autres reprises dans son commentaire (53,12; 122,11).

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9 problèmes à résoudre : ceux de l'être ou plus précisément de l'Être en tant qu'être; alors que les livres M et N en auraient apporté la solution : la génération de cet Être, ou de l'Intelligence, par les principes que sont la Monade et la Dyade17.

De fait, la visée de Syrianus en commentant la Métaphysique se distingue non seulement de celle d'Alexandre, mais aussi de celle d'Asclépius. Toutefois, on ne saurait comparer les doctrines de l'École d'Alexandrie à celles de l'École d'Athènes sur la seule base des commentaires de Syrianus et d'Asclépius. En effet, l'intention dans laquelle ils furent rédigés n'est pas la même : alors que Syrianus cherchait à exposer et à défendre les doctrines pythagorico-platoniciennes contre les critiques du Stagirite, Ammonius, comme on pourra le voir, tentait plutôt de clarifier les doctrines d'Aristote à des fins pédagogiques.

1.3 Asclépius (Ammonius) et l'École d'Alexandrie

Asclépius de Tralles, disciple d'Ammonius à Alexandrie, vécut au Vie siècle de notre ère. L'histoire n'a retenu son nom qu'en tant qu'éditeur des cours de son maître : la tradition lui attribue des scholies aux livres A-Z de la Métaphysique d'Aristote ainsi qu'un commentaire à VIntroduction arithmétique de Nicomaque de Gérasa18. Bien que

les manuscrits ne le mentionnent pas explicitement, L.G. Westerink19 et L. Tarân20 ont

montré que ce dernier ouvrage provenait lui aussi de l'enseignement d'Ammonius.

Son commentaire à la Métaphysique est une rédaction àîtô cpwvTjç du cours d'Ammonius, ce qui signifie qu'Asclépius a consigné l'enseignement oral de son maître

Au sujet des raisons pour lesquels Syrianus n'aurait commenté que les livres B, T, M et N, cf. R. L. Cardullo, « Syrianus défenseur de Platon contre Aristote selon le témoignage d'Asclépius », dans Contre

Platon. Le platonisme dévoilé, textes réunis par M. Dixsaut, Paris, Vrin, 1993, p. 197-214.

18 La tradition manuscrite nous a transmis d'autres commentaires grecs sur Y Introduction arithmétique de

Nicomaque de Gérasa, dont ceux de Jamblique et de Jean Philopon. Cet ouvrage faisait d'ailleurs partie du cursus néoplatonicien au sein duquel la formation aux mathématiques était une propédeutique : elle préparait à l'étude de la philosophie platonicienne. On semble toutefois ignorer si elle précédait ou accompagnait les études aristotéliciennes.

19 Voir L.G. Westerink, « Deux commentaires sur Nicomaque : Asclépius et Jean Philopon », Revue des

études grecques, 77 (1964), p. 526-535.

20 L. Taran (éditeur), « Asclépius of Tralles, Commentary to Nicomachus* Introduction to Arithmetic »,

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par écrit. Cependant, de l'avis de C. Luna, le commentaire ne présenterait pas seulement l'enseignement d'Ammonius, mais aussi de longues citations littérales tirées du commentaire à la Métaphysique d'Alexandre d'Aphrodise. L'intégration maladroite de ces extraits dans le commentaire et les apparents redoublements avec l'exégèse professée par Ammonius ont fait croire à Luna qu'ils avaient été ajoutés ultérieurement par Asclépius21. À notre sens, c'est une conjecture qui pose plus de difficultés qu'elle n'en

résout. En effet, si l'on considère qu'il a toujours eu l'ouvrage d'Alexandre sous la main, on s'explique difficilement les erreurs manifestes - qu'on ne saurait simplement attribuer à la tradition manuscrite - qu'aurait faites Asclépius dans sa retranscription . Par conséquent, nous croyons plutôt que les divergences entre les passages d'Alexandre - tels que nous les retrouvons dans le commentaire original - et leur reprise par Asclépius s'explique mieux ainsi : soit Ammonius reprenait dans son enseignement de longs passages du commentaire d'Alexandre - qu'il pouvait d'ailleurs avoir sous la main - et les modifiait légèrement; soit Asclépius, au moment où il assistait au cours d'Ammonius, a involontairement modifié les citations exactes lues par son maître. En outre, il va à l'encontre de l'hypothèse de Luna que plusieurs des passages détériorés soient précisément ceux copiés du commentaire d'Alexandre23. Par ailleurs, le commentaire

d'Asclépius offre une preuve que son maître reprenait dans ses cours de longs passages d'Alexandre : « Et voici comment notre Philosophe, en suivant l'Aphrodisiate fait l'exégèse de ce passage24. » Cette phrase introduit une longue citation d'Alexandre

qu'Ammonius a dû lui-même lire à ses élèves. Puisque les reprises sont parfois identiques aux originaux alexandriniens, parfois non, il est toutefois probable qu'Asclépius ait corrigé certains passages notés au cours d'Ammonius en ayant ensuite recours au manuscrit d'Alexandre. Le portrait que fait I. Hadot du mode d'enseignement dans les écoles néoplatoniciennes semble favoriser notre interprétation :

21 C. Luna, op. cit., p. 108 : « Des extraits plus ou moins étendus du commentaire d'Alexandre ont été

insérés dans le commentaire d'Asclépius aux livres A, a, B, Y. Ils cessent complètement avec la fin du livre T. L'étendue et la littéralité de ces extraits sont absolument incompatibles avec une rédaction kno «pttvrjç. Il est donc impossible qu'ils fissent partie de l'exposé oral d'Ammonius. Leur présence ne s'explique qu'en supposant qu'Asclépius a copié le texte d'Alexandre, en l'ajoutant aux notes qu'il avait prises au cours d'Ammonius. »

22 Cf. Asclépius, In Meta., 15,29-16, 10. 23 Ibid, 16, 1.

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Il

[...] un commentaire antique était destiné à être entendu ou lu en liaison avec le livre qu'il commentait. Le commentaire écrit comme le commentaire oral du professeur de philosophie, supposait qu'un exemplaire de l'auteur à expliquer se trouvait dans les mains du professeur, exemplaire qui était accessible aussi à l'auditeur dans la bibliothèque de l'école25.

Ainsi, c'est autour de l'exégèse d'Alexandre que se serait articulé le cours d'Ammonius sur la Métaphysique, tout comme celui de Syrianus, selon le témoignage des dernières lignes de son commentaire au livre M. Par conséquent, Asclépius n'aurait fait que prendre en notes, et il n'aurait pas ajouté - contrairement à l'interprétation de Luna - de son propre chef les passages tirés du commentaire d'Alexandre, tout au plus, il les aurait légèrement remaniés. Au contraire, c'est Ammonius, alors qu'il donnait son cours, qui aurait lu de longs passages d'Alexandre26 : ce qui expliquerait leur longueur et leur

fréquente inexactitude chez Asclépius. Bref, le commentaire d'Alexandre servait probablement de manuel à Ammonius pour son cours sur la Métaphysique. C'est d'ailleurs ce qui expliquerait le double emploi de certaines citations alexandriniennes : par souci pédagogique, Ammonius aurait parfois cru bon de clarifier l'exégèse d'Alexandre.

1.4 L'identité du Pseudo-Alexandre

Qui est le Pseudo-Alexandre? En réponse à cette question qui, depuis qu'on jugea apocryphe le commentaire aux livres E-N, suscite de vives polémiques, deux thèses s'opposent encore aujourd'hui : d'une part, à la suite de K. Praechter27 et à renfort de

nouvelles « preuves », Concetta Luna28 a réitéré la thèse voulant que le

Pseudo-L Hadot, « Commentaire », dans Simplicius, Commentaire sur les Catégories, traduction commentée sous la direction de I. Hadot, fasc. I, Leiden, Brill, 1990, p. 27.

26 On remarque que ces reprises intégrales du commentaire d'Alexandre cessent avec la fin du livre r. Par

ailleurs, les manuscrits n'attribuent généralement plus les scholies aux livres A, E et Z à Asclépius, pas plus qu'à son maître Ammonius.

K. Praechter, « Review of the Commentaria in Aristotelem Graeca », traduit par V. Caston dans Aristotle

Transformée, London, Duckworth, 1990, p. 31-54.

28 En plus des Trois études sur la tradition des commentaires anciens à la Métaphysique d'Aristote, on peut

se référer à ces articles du même auteur : « Syrianus dans la tradition exégétique de la Métaphysique d'Aristote. Première partie : Syrianus entre Alexandre d'Aphrodise et Asclépius », dans Contre Platon. Le

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Alexandre soit Michel d'Éphèse (Xlle siècle), un érudit byzantin de l'entourage d'Anne Comnène; d'autre part, Leonardo Tarân29 - l'éditeur du commentaire d'Asclépius sur

VIntroduction arithmétique de Nicomaque -, soutient que le Pseudo-Alexandre est un

néoplatonicien antérieur à Syrianus et dont le commentaire précéderait donc le début du Ve siècle.

Leonardo Tarân, dans son compte-rendu de l'ouvrage de Luna, a vertement réaffirmé son opposition à la thèse voulant que le Pseudo-Alexandre soit Michel d'Éphèse. Pourtant, dans un exposé détaillé et rigoureux de plus de 70 pages, Luna semblait avoir écarté « définitivement l'hypothèse que ce commentaire sur les livres E-N serait l'ouvrage d'une philosophie antérieur à Syrianus30. » Pourquoi alors, malgré la

force des preuves accumulées, Tarân se refuse-t-il à voir en Michel d'Éphèse l'auteur du commentaire aux livres E-N? Son compte-rendu sur les Trois études de Luna est virulent, mais ses attaques sont soutenues par des arguments troublants que Luna n'a pas su, à notre avis, entièrement réfuter dans son ouvrage. La confrontation des thèses de Luna et de Tarân semble donc mener à une aporie. Pour résoudre ces difficultés insurmontables, doit-on proposer une tierce hypothèse? Du moins, il faudrait chercher une réponse aux objections des deux parties, puisque l'enjeu n'est pas banal pour l'histoire de la philosophie. En effet, en plus de l'identification du Pseudo-Alexandre, c'est celle du Pseudo-Philopon qui est en question, puisqu'on retrouve dans le commentaire de ce dernier plusieurs citations tirées du commentaire apocryphe aux livres E-N.

Dans son compte-rendu des Trois études, L. Tarân affirmait que l'identification du Pseudo-Alexandre « requires expertise in Aristotle's works, extant and fragmentary, especially in Met, [...] and is probably the most difficult work of ancient philosophy31. »

Certes, cette tâche s'avère difficile : nous ne prétendons pas pouvoir l'accomplir ici;

Tradition grecque : Les commentaires grecs à la Métaphysique », dans Dictionnaire des philosophies

antiques. Supplément, Richard Goulet (dir.), Paris, CNRS Éditions, p. 249-258.

29 L. Tarân, « Syrianus and Pseudo-Alexander's commentary on Metaph. E-N », dans Aristoteles. Werk und

Wirkung, t. 2, édité par J. Wiesner, Berlin, Walter de Gruyter, 1987, p. 215-232; et plus récemment dans

son compte-rendu critique des Trois études... : « Luna, La tradition des commentaires à la Métaphysique

d'Aristote », Gnomon, 53 (2005), p. 196-209.

30 C. Luna, op. cit., p. vii.

(17)

13

toutefois, certaines difficultés suscitées par le présent débat pourraient être écartées si l'on portait une plus grande attention aux commentateurs de l'École d'Alexandrie : ce que Luna et Tarân semblent avoir négligé. Or, une comparaison effectuée entre le commentaire du Pseudo-Alexandre et ceux d'Ammonius, Asclépius et Philopon nous a amené à remettre en question les conclusions de Luna. En fait, en reprenant ses analyses lexicales, nous en sommes venu à identifier le Pseudo-Alexandre à l'un des représentants de l'École d'Alexandrie plutôt qu'à Michel d'Éphèse.

Dans le débat concernant l'identification du Pseudo-Alexandre, l'accent fut mis sur sa relation avec Syrianus. Certes, puisqu'on retrouve bon nombre d'extraits identiques dans les deux commentaires, on se devait de faire de l'un la source de l'autre. Toutefois, pour aller au-delà de la polémique Luna/Tarân, on gagnerait à comparer l'exégèse du Pseudo-Alexandre à celle d'Ammonius et de ses disciples. À cet égard, il est étonnant que ni Luna, ni Tarân ne se soient questionnés sur le rapport du Pseudo­ Alexandre à Asclépius, ou plutôt au maître de ce dernier, Ammonius. Comment expliquer les passages parallèles entre leurs commentaires aux livres E et Z? Y aurait-il eu une source commune jusqu'à maintenant insoupçonnée? Certes, il pourrait s'agir du commentaire perdu d'Alexandre, mais se peut-il que l'origine des scholies aux livres E-N soit plutôt l'enseignement d'Ammonius? C'est une hypothèse qui mérite du moins d'être envisagée.

Avec Luna, et contre Tarân, nous soutenons que le Pseudo-Alexandre est un commentateur postérieur à Syrianus; mais nous ne croyons pas pour autant qu'il s'agit de Michel d'Éphèse. À notre avis, les arguments amassés par Luna invalident la thèse de Tarân, mais prouvent seulement que le commentateur est postérieur à Syrianus. Rappelons que plus de sept siècles de commentarisme séparent Syrianus de Michel d'Éphèse et que l'École d'Alexandrie, du Ve au Vile siècle, fut à l'origine de commentaires sur la plupart des œuvres d'Aristote, dont la Métaphysique. Il semble que Luna, en voulant corroborer l'hypothèse de Praechter par un plus grand nombre de faits stylistiques, n'ait pas considéré que Pseudo-Alexandre ait pu être un Alexandrin. Étonnamment, presque toutes les particularités lexicales du Pseudo-Alexandre - que Luna

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14 croit propres à Michel d'Éphèse32 - se retrouvent également dans les oeuvres jugées

authentiques de Jean Philopon, l'élève d'Ammonius (In De Anima, In Physicorum libros,

In Categorias, In Anal. Prior, In Anal. Post., De Aeternitate Mundi, etc.); Luna ne semble

pas avoir constaté ce fait. C'est ce qui nous amène à partager le jugement de Tarân sur la valeur des preuves stylistiques pour l'attribution d'un ouvrage : « Yet stylistic grounds never suffice to ascribe a work to an author, least of ail in the case of a philosophical commentary on Aristotle33. » Pourquoi alors retrouve-t-on des tournures grammaticales

dont Philopon est à l'origine dans les commentaires attribués à Michel d'Éphèse? Deux hypothèses peuvent être avancées ; il faut soit remettre en question l'authenticité de certains commentaires attribués à Michel d'Éphèse, notamment le De Generatione

Animalium - autrefois attribué à Philopon -, soit voir en Michel d'Éphèse un

commentateur qui aurait forgé son style en recopiant les œuvres de Philopon, celles que les Byzantins avaient sous la main au Xlle siècle.

Pour corroborer notre hypothèse, nous ajouterons ici quelques indices textuels permettant de rattacher le commentaire du Pseudo-Alexandre à l'enseignement d'Ammonius, et indirectement à celui de son maître Proclus, auquel le commentaire semble parfois se référer (ce qui invaliderait d'autant plus la thèse de Tarân, puisque Proclus fut l'élève de Syrianus). D'abord, on remarque chez Pseudo-Alexandre l'emploi du terme ènifioki]. Ce concept typiquement néoplatonicien, déjà employé par Plotin mais consacré par Proclus et l'École d'Alexandrie, servit avant tout à l'exégèse de la noétique platonico-aristotélicienne. On relève au moins deux occurrences de cette notion dans le commentaire du Pseudo-Alexandre. Pour la première : r\ tkyyàvet ô voûç aùxôv xal xaôàrcep elalv àTrxexac. r/jç <pùaea)ç aùxôv xal à7cXfj ÈTCt^oXf]34, on ne trouve une

formulation correspondante que dans le De Aeternitate Mundi de Jean Philopon : èvepyy)a7) âmkfi èm,$okf\ xfjç cpùarewç xôv 7cpay[xàx<ov thyy avouera35. On remarque

que les termes ânk-fi ÈTCC(3OAÏ] et <pùae<oç sont repris au même cas et que le verbe

C. Luna, op. cit., p. 32-37 et p. 197-212. L. Tarân, « Luna, La tradition...», p. 207. Alexandre, In Meta., 599, 33.

(19)

15

ôt-yyàvw se retrouve dans les deux passages. Pour la seconde occurrence : fazkaîç

èniftokctiç àrcTETat aùxwv36, on note encore une formulation analogue chez Philopon,

dans son commentaire aux Premiers Analytiques d'après l'enseignement d'Ammonius : r\ yàp &nxex<x.i â.n'kciïc; èni^oKcnîc, ytvwaxwv xà 7tpàyu,axa37.

En outre, le Pseudo-Alexandre renvoie à deux reprises à l'exégèse de son maître en le désignant par le syntagme ô Yjuixepoç xatb)yeu,wv38. Cette expression est

caractéristique des commentateurs néoplatoniciens de l'Antiquité tardive, qui l'emploient désigner leur professeur de philosophie : Proclus pour Syrianus39, Ammonius pour

Proclus40, et Simplicius pour Ammonius41. Or, on ne relève pas cette mention chez

Michel d'Éphèse42. Bien que Jean Philopon n'emploie pas cette formule pour désigner

son maître Ammonius, il pourrait s'agir d'une référence d'Ammonius à l'enseignement de Proclus. D'ailleurs, le vocabulaire que le commentateur emploie en parlant des doctrines de son maître s'apparente à certaines formules conceptuelles proprement procliennes. On peut en effet comparer ce passage du Pseudo-Alexandre : xaGxa yàp Tcàvxa auvxeXel eiç xVjv roO âXou cpûcav [...] oûxto u.èv ouv ô i\\xéxepoç xa&ï)yeu.wv xo 7tapàv è^YjyetTo ^wptov, à cet extrait du commentaire du Proclus sur VAlcibiade :

3 Alexandre, In Meta., 600,7.

37 Jean Philopon, In Anal. Prior., 1,22-23. 38 Alexandre, In Meta., 610,15; 716,26.

39 Cette mention est présente dans presque tous les commentaires et traités de Proclus.

40 Ammonius, In De Interpretatione, 181, 31. Il semble qu'il désigne ainsi son maître Proclus, d'ailleurs

déjà mentionné ainsi au début de son commentaire (1,8).

41 Simplicius, InPhys., 59,23; 183, 18; In De Caelo, 271, 19; 462,20. Bien que nous pensions que l'auteur

du commentaire est Jean Philopon, nous n'écartons pas la possibilité qu'il avère la rédaction du cours d'Ammonius par Simplicius. C'est ce que nous amènent à envisager les propos de I. Hadot. Cf. I. Hadot, « Recherches sur les fragments du commentaire de Simplicius sur la Métaphysique d'Aristote », dans

Simplicius, sa vie, son oeuvre, sa survie, Berlin, Walter de Gruyter, 1987, p. 236-237 : « Il ne semble pas

douteux que Simplicius ait écrit un commentaire sur la Métaphysique aujourd'hui perdu pour nous. Ce commentaire était encore connu au Xlle siècle, soit directement, soit par l'intermédiaire d'autres commentaires aujourd'hui également perdus. [...] il se pourrait que des bribes de texte venant du commentaire de Simplicius se cachent encore dans d'autres scholies, sans que nous ayons la possibilité de les reconnaître comme telles. »

42 Pour attribuer le commentaire à Michel d'Éphèse, il faudrait d'ailleurs montrer qu'il provient de

l'enseignement oral de son maître, sinon la mention 6 ^[xérepoç Ka87]YS[Awv n'a plus de sens. C'est un problème auquel C. Luna n'a pas apporté de solution.

(20)

16

Ocra èvavxta Sta^a^/ec. xal ecç nqv xoO ÔXou cpûaxv43. En outre, la formule Ty)v xoO

ôXou cpuoxv, hormis la préposition etç, sera reprise par les disciples d'Ammonius : Jean Philopon et Asclépius44. En revanche, il n'y a, à notre connaissance, aucune occurrence

de ce syntagme chez Michel d'Ephèse, ni chez aucun autre commentateur byzantin connu.

À la lumière de ces constatations, on peut conjecturer que le Pseudo-Alexandre fut un élève d'Ammonius, possiblement Jean Philopon, et que son commentaire est une rédaction, sans doute tardive et augmentée par sa propre exégèse, du cours de son maître sur la Métaphysique. En effet, presque la totalité des caractéristiques stylistiques qui ont mené K. Praechter et C. Luna à identifier le Pseudo-Alexandre à Michel d'Ephèse se retrouvent déjà chez les commentateurs de l'École d'Alexandrie, plus particulièrement chez Jean Philopon. Certes, cela ne confirme pas l'attribution du commentaire apocryphe à Philopon, mais permet néanmoins de douter des conclusions avancées par Luna concernant Michel d'Ephèse. Par ailleurs, d'autres indices philologiques provenant de la traduction latine du commentaire du Pseudo-Philopon à la Métaphysique pourraient corroborer notre hypothèse.

1.5 Le Pseudo-Philopon et la tradition alexandrine

Bien que les commentaires d'Alexandre, Syrianus, Asclépius et Pseudo­ Alexandre soient les seuls témoins en langue grecque de l'interprétation antique de la

Métaphysique, deux autres ouvrages ont été conservés en traduction : la version

arabo-hébraïque de la paraphrase de Thémistius au livre A45 et le commentaire du

Pseudo-Philopon traduit en latin par Francisco Patrizi46. Ce dernier texte nous intéresse d'autant

43 Proclus, Sur le Premier Alcibiade de Platon, texte établi et traduit par A.Ph. Segonds, Paris, Belles Lettres, 1986, p. 350 (316,16-17).

44 Jean Philopon, In Categorias, 8, 2; In Phys., 320, 3; Asclépius, In Intro. Arith., 1,22,5.

43 Thémistius, Paraphrase de la Métaphysique d'Aristote (livre lambda), introduction, traduction, notes et indices par R. Brague, Paris, Vrin, 1999.

46 Pseudo-Philopon, Expositiones in omnes XIV Aristotelis libros Metaphysicos, traduction latine de F. Patrizi, Ferrara, 1583 (réimpr. avec introduction par C. Lohr, Stuttgart-Bad Cannstatt, Frommann-Holzboog [CAGL 2], 1991). L'introduction de C. Lohr, même si elle n'apporte pas un nouvel éclairage sur

(21)

1.7

plus qu'il semble se rattacher à la tradition des commentateurs de l'École d'Alexandrie. À notre avis, une analyse rigoureuse de l'ensemble du commentaire, et plus particulièrement de ses références à Asclépius (Arnmonius) et à un certain Éphésien (f. 25rB, 32rB : Ephesius) permettrait à la fois de mieux situer son auteur et de renforcer notre hypothèse concernant l'identité du Pseudo-Alexandre.

La présence de l'épithète substantivée Ephesius a fait croire à plusieurs que l'auteur se référait à Michel d'Éphèse47. Selon C. Lohr, et la plupart des spécialistes des

commentateurs d'Aristote, cette mention attesterait que le Pseudo-Philopon est postérieur à Michel d'Éphèse (Xlle siècle). Il s'agit, à notre avis, d'une erreur d'interprétation qui se base sur deux conjectures erronées. D'une part, on assume que le Pseudo-Alexandre est Michel d'Éphèse, une hypothèse que ne confirment ni la lettre, ni l'esprit du commentaire apocryphe aux livres E-N de la Métaphysique; d'autre part, on prend pour acquis que l'Éphésien (Ephesius) dont il est question dans le commentaire du Pseudo-Philopon est Michel d'Éphèse, alors que ce dernier n'est jamais désigné ailleurs par sa seule épithète géographique (du moins jamais dans les commentaires grecs connus et édités).

Nous avons déjà exposé les raisons qui nous motivent à identifier le Pseudo­ Alexandre à l'un des représentants de l'École d'Alexandrie plutôt qu'à Michel d'Éphèse; il reste maintenant à mettre en doute que VEphesius du commentaire du Pseudo-Philopon renvoie à Michel d'Éphèse. Chez les autres commentateurs d'Aristote, l'épithète

Ephesius - dont C. Luna et C. Lohr n'ont d'ailleurs noté qu'une occurrence chez

Pseudo-Philopon - désigne communément Heraclite d'Éphèse CHpâxXetxoç ô 'E<péo%oç)48.

Après avoir comparé le f. 25rB : «Ephesius autem proprie entia dicit singulares substantias », au commentaire du Pseudo-Alexandre : « xuptwç ôvra Xéywv r à ç

la tradition des commentaires grecs à la Métaphysique, brille par sa concision et sa clarté; elle présente le point de vue de chacun des commentateurs grecs concernant l'objet de la Métaphysique.

47 C. Lohr, « Einleitung », dans Pseudo-Philopon, Expositiones, p. xii : « Das Werk ist dem Philoponos

Mschlich zugeschrieben worden. Der Kommentator zitiert den Kommentar des Michael von Ephesos (f. 25rB, 32r B : >Ephesus<) aus dem 11./12. Jahrhundert. »

48 Cf. Alexandre, In Meta., 27,7; Simplicius, In De Caelo, 139, 34; Jean Philopon, In De Generatione, 206,

29; même formulation aussi dans les commentaires attribués à Michel d'Éphèse : In Ethica Nichomachea, 570,21; In partibus animalium, 22,28.

(22)

18

àx6[xouç oùoiaç », C. Luna en conclut que le Pseudo-Philopon cite le commentaire de l'Ephésien, qui serait à ses yeux Michel d'Ephèse50. Certes, la formulation invite à penser

que le Pseudo-Philopon fait de l'Ephésien l'auteur du texte cité. En effet, pour introduire les citations d'autres commentateurs, le Pseudo-Philopon emploie fréquemment le verbe

dicit. Néanmoins, le véritable sujet de cette phrase pourrait être Heraclite d'Ephèse,

puisque l'idée selon laquelle on considère les «êtres en sens propre comme des substances singulières » n'est pas totalement étrangère à sa pensée.

Même si l'on concède qu'au f. 25rB, le commentaire, tel que l'a reçu F. Patrizi au XVIe siècle, fait bel et bien mention de l'Ephésien comme auteur du passage cité, ce serait tout de même une très mince preuve de la postériorité du Pseudo-Philopon par rapport à Michel d'Ephèse. En effet, nous pourrions nous demander pourquoi le Pseudo-Philopon ne mentionne plus sa source - l'Ephésien - lorsqu'il reprend ensuite de plus longs passages du Pseudo-Alexandre. Étonnamment, au f. 32rB, il introduit une citation en l'attribuant à Yexpositor. Chez Ammonius et Jean Philopon, le titre à'expositor (6

i^rçft\xy\z) est strictement réservé à Alexandre d'Aphrodise51. Pourquoi alors le

Pseudo-Philopon citerait à un moment le commentaire du Pseudo-Alexandre en l'attribuant à Michel d'Ephèse (f. 25rB : Ephesius), alors qu'il fait de Vexpositor - soit Alexandre selon la tradition - l'auteur des autres passages repris du même Pseudo-Alexandre (f. 32rB, 51vB, 52rA)? Le peu d'attention jusqu'à maintenant portée par les savants au Pseudo-Philopon n'a pas permis de résoudre cette énigme.

Par ailleurs, le Pseudo-Philopon cite au moins à deux reprises le commentaire d'Asclépius. Certes, un commentateur du Moyen Âge aurait pu avoir entre les mains le commentaire d'Asclépius. Toutefois, la manière dont sont introduites ces citations, (f.4rA) : « ut Asclepius ait, magis vero, hujus praeceptor Ammonius »; et (f. 4rB) : « Asclepius vero dicit, quod noster Philosophus, (dicit Ammonium) ita ait », semble indiquer que le commentateur était familier avec l'enseignement d'Ammonius. À

Alexandre, In Meta., 458, 5-6. 50 C. Luna, op. cit., p. 54.

(23)

19

ces indices textuels, qui feraient de l'auteur un héritier de l'enseignement d'Ammonius, on doit ajouter que le commentateur avait accès à d'autres ouvrages, dont ceux de Jamblique et de Porphyre, qu'un commentateur postérieur à Michel d'Éphèse aurait pu difficilement connaître. À ce propos, la culture philosophique que C. Lohr attribue au Pseudo-Philopon est remarquable :

Der Verfasser hat gute Kenntnisse der griechischen Tradition. Er kennt nient nur die von Aristoteles erwâhnten Autoren, die er als oL IZOXOLIOL bezeichnet (Patrizi ûbersetzt >prisci< im Unterschied zu den >praesente<: f. 49rA). Er zitiert auch nacharistotelische Autoren wie Theophrastos und Alexander (f. 24vA; f. 2rB : Alexander allein), Iamblichos und Porphyrios (f. 53rA), Ammonios und Ascklepios (f. 4rA). Alexander von Aphrodisias wird an vielen Stellen als der >expositor< erw&hnt (f. 32rB, 51vB, 52rA). Der Verfasser kénnt sogar die aristotelische Schrift De ideis und unterscheidet zwischen ihr und den Buchern MN der Metaphysik (f. 67vA)52.

Fait étonnant, Philopon n'est pas mentionné dans cette liste alors que Patrizi, mais aussi K. KremCr , lui avait pourtant attribué le commentaire. Pourrait-on expliquer cela en postulant que Philopon en est à l'origine? Comme P. Lautner54 l'a soutenu au sujet du

commentaire apocryphe au livre III du De anima55, il est possible que son auteur ait été l'élève de Philopon : le commentaire aurait ainsi été justement attribué au maître, bien qu'il n'ait pas été de sa main.

Bref, nous croyons que le commentaire du Pseudo-Philopon pourrait être attribué à un élève de Philopon qui aurait consigné l'enseignement du maître. K. Kremer, qui a consacré une importante monographie à l'École d'Alexandrie, n'avait pas douté de l'authenticité du commentaire en l'attribuant à Philopon. Si l'Éphésien dont il est question est bien Heraclite d'Éphèse, et non Michel d'Éphèse, et si le commentaire cite le Pseudo-Alexandre sans que son auteur soit identifié, nous pouvons dès lors émettre

52 C. Lohr, art. cit., p. xii.

53 K. Kremer, Der Metaphysikbegriff in den Aristoteles-Kommentaren der Ammonius-Schule, Mttnsterm,

Aschendorffsche, 1961, p. 6-8.

54 P. Lautner, « Philoponus In de Anima III: a quest for an author », Classical Quaterly 42, 2 (1992),

p. 510-522.

Jean Philopon, Ioannis Philoponi in Aristotelis de anima libros commentaria, édition critique par M. Hayduck, Berlin, Reimer (CAG XV), 1897. Le commentaire était auparavant attribué dans sa totalité à Philopon.

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20

l'hypothèse que le Pseudo-Philopon fut un héritier direct de l'École d'Alexandrie. Bref, nous croyons qu'une étude philologique et philosophique qui couvrirait l'ensemble des commentaires du Pseudo-Alexandre et du Pseudo-Philopon pourrait mener à de nouvelles conclusions, voire même corroborer les hypothèses que nous avons émises.

2. Alexandre d'Aphrodise et le commentarisme néoplatonicien

2.1 Syrianus et Asclépius, héritiers d'Alexandre : flecopia et Xé^iq

Comme le font voir leurs commentaires, la dette de Syrianus, Asclépius et Pseudo-Alexandre à l'égard d'Alexandre est considérable; elle se manifeste concrètement par de nombreux emprunts anonymes, paraphrases et citations littérales. Toutefois, bien que le commentaire d'Alexandre constitue une référence insurpassable pour la compréhension littérale du texte d'Aristote, on ne saurait oublier que ses doctrines ont également influencé la métaphysique néoplatonicienne.

Pour bien comprendre l'articulation des commentaires de Syrianus et Asclépius, il faut distinguer la Oewpta, l'interprétation plus spéculative du texte, de la ÀÉ^LÇ, son explication littérale56. C'est dans la ôewpta que les néoplatoniciens manifestent

l'originalité de leur exégèse, en employant des concepts notamment hérités de la tradition pythagorico-platonicienne. La ftecopta est l'occasion de reformuler dans un vocabulaire propre à l'école (athénienne ou alexandrine) les exposés doctrinaux d'Aristote, voire même de les critiquer. En revanche, la Xé£iç l'explication littérale du texte d'Aristote -est presque entièrement constituée d'extraits d'Alexandre, dont l'exégèse -est jugée plus orthodoxe.

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21

2.2 L'accord des doctrines anciennes selon Svrianus et Asclépius

L'exégèse de Syrianus et d'Asclépius se démarque de celle d'Alexandre dans la $ewpta, où ils prennent une certaine distance par rapport à la lettre du texte pour mieux développer leurs propres thèses spéculatives. C'est d'ailleurs dans ces passages que se manifeste le plus clairement le primat de l'harmonisation des philosophies anciennes. Les commentateurs néoplatoniciens y rappellent les fondements de leurs doctrines, notamment la primauté du Bien Premier principe sur l'Intelligence. C'est également dans la îtettpta qu'ils se permettent de réfuter Aristote ou, du moins, de prendre leurs distances par rapport à ses critiques.

L'harmonisation des doctrines de Platon et d'Aristote caractérise certes la philosophie de l'Antiquité tardive, mais elle ne lui est pas propre. Déjà des médioplatoniciens comme Albinos57 exposaient la philosophie platonicienne en faisant appel à de nombreux concepts et doctrines tirées des traités d'Aristote. Si cette approche concordiste est déjà présente au Ile siècle apr. J.-C, c'est à la fin de l'Antiquité qu'elle sera pratiquée plus systématiquement. Chez Proclus, l'harmonisation débordera même le domaine proprement philosophique pour englober des aspects religieux et mythologiques de la culture païenne. C'est l'ensemble de leur héritage intellectuel que les représentants de l'École d'Athènes chercheront à harmoniser pour contrer l'influence désormais grandissante du christianisme. Ce n'est donc plus seulement pour des raisons doctrinales, mais également en fonction d'enjeux culturels et identitaires que les commentateurs de Platon et d'Aristote ont favorisé une exégèse concordiste.

Bien qu'ils partagent cette approche exégétique, celle-ci se manifeste différemment chez Syrianus et Asclépius. Pouvons-nous pour autant généraliser ces particularités dans la manière d'harmoniser Platon et Aristote à leurs écoles respectives, soit l'École d'Athènes et l'École d'Alexandre? A. Madigan, dans un article intitulé

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« Syrianus and Asclepius on Forms and Intermediates in Plato and Aristotle » rappelle que Simplicius (Vie siècle), un représentant de l'École d'Athènes, se rapprochait davantage d'Asclepius, un « Alexandrin », dans sa quête d'harmonisation de Platon et d'Aristote, que de Syrianus, un « Athénien »59. Par ailleurs, on peut croire que le commentaire à la Métaphysique de Syrianus ne reflète pas nécessairement son enseignement sur l'ensemble du traité d'Aristote. Dès lors, on peut difficilement distinguer la vision de la philosophie aristotélicienne propre à chaque école, contrairement au jugement de Madigan :

Asclepius is, if anything, bending over backwards to harmonize Plato and Aristotle. Indeed, Praechter seems more correct in counting thèse Alexandrians among the radical harmonizers, in contrast to the more reserved approach of the Athenians Syrianus and Proclus60.

Plus critique que Madigan à l'égard des conclusions de K. Praechter, Ilsetraut Hadot a soutenu que les différences doctrinales entre les deux écoles ne sont pas aussi marquées qu'on ne l'avait pensé61. Syrianus, en prenant pour objet les livres B, T, M et N, critiquait avant tout Aristote pour justifier ses propres thèses pythagorico-platoniciennes, ce qui n'empêche par qu'il ait été un « radical harmonizer » dans ses cours sur la Métaphysique. Son commentaire au Phèdre témoigne d'ailleurs d'une approche plus concordiste des doctrines platonico-aristotéliciennes.

3. Asclepius et Alexandre à propos des chapitres A, 1 et A, 2

3.1 Présentation des chapitres A 1-2 ; thèmes et problématiques

Nous avons jusqu'à maintenant présenté les distinctions générales entre les commentaires d'Alexandre, Syrianus et Asclepius. Comme l'a montré l'étude de A.

A. Madigan, « Syrianus and Asclepius on Forms and Intermediates in Plato and Aristotle », Journal of the History ofPhilosophy, 24 (1986), p. 149-171.

59 Ibid., p. 171. 60/&/<*, p . 170.

6 11 . Hadot, « La vie et l'oeuvre de Simplicius d'après des sources grecques et arabes », dans Simplicius, sa vie, son oeuvre, sa survie : actes du colloque international de Paris (28 sept.-ler oct. 1985), Berlin, Walter de Gruyter, 1987, p. 3-22.

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23

Madigan, les livres B et F offrent les meilleurs points de comparaison, puisqu'ils ont été conservés pour les trois commentateurs. Par contre, en ce qui concerne le livre A, seules les scholies d'Alexandre et d'Asclépius ont été conservées. Puisque la section traduite ici se limite aux chapitres 1 et 2, c'est à partir de ce passage qu'on cherchera à distinguer l'exégèse d'Alexandre de celle d'Asclépius.

Les premières pages du livre A comptent parmi les plus lues et commentées du corpus aristotélicien. À l'image du chapitre II, 19 des Seconds analytiques, le début de la Métaphysique présente une réflexion sur les différentes formes de connaissance. Toutefois, comme le rappelle W.D. Ross, la visée première d'Aristote n'est pas épistémologique : le Stagirite veut avant tout montrer que les hommes reconnaissent universellement que la sagesse porte sur les causes premières et les principes62 : la hiérarchisation des connaissances vise à illustrer comment l'homme en vint à l'idée de sagesse. En décrivant les différentes facultés cognitives, dont celles que les animaux ont aussi en partage, Aristote cherche à isoler ce qui est propre à l'homme. À la différence du dernier chapitre des Seconds Analytiques, où Aristote aborde le problème de la connaissance des principes de la démonstration, toute l'argumentation a ici comme fin la justification de cet énoncé ; « Tous les hommes désirent par nature le savoir; un signe en

/ i l •

est leur amour des sensations . » L'homme aime toutes les formes de connaissance, mais ultimement, c'est la sagesse qu'il désire, le savoir suprême au sujet des causes premières et les principes. Pour le montrer, Aristote partira de la connaissance la plus commune, la sensation - que les hommes partagent aussi avec les animaux - pour s'élever, par degrés, jusqu'aux facultés cognitives les plus hautes. Parallèlement, c'est la marche de

l'humanité vers la civilisation qui s'esquisse, une marche dont les étapes sont l'apparition des arts, des sciences et ultimement de la philosophie (sagesse).

Après en être arrivé à la notion de sagesse, Aristote voudra mieux définir cette science suprême et son objet : c'est ce qui se révèle la visée du chapitre A, 2. Pour ce faire, il fera d'abord appel aux jugements que les hommes portent sur le sage, celui qui

W.D. Ross (éditeur), Aristotle 's Metaphysics, Oxford, Clarendon Press, 1924, p. 115. Aristote, Métaphysique, 980al-2.

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24

possède la science des principes qu'on appelle sagesse. Il montrera ensuite que c'est à partir de l'étonnement de leur propre ignorance que les hommes en vinrent à la philosophie, et qu'en ce sens, l'amant des mythes - ces récits « étonnants » - est également philosophe. L'exposé culminera en cette démonstration : la sagesse est la connaissance la plus divine car, d'une part, elle est la plus digne d'être possédée par Dieu et, d'autre part, elle porte sur des choses divines, à savoir les causes premières, les principes et Dieu, la cause ultime de toutes choses. Comme l'illustrera le commentaire d'Asclépius, ces deux premiers chapitres, où Aristote présente les grandes lignes de son projet métaphysique, auront fourni de précieux arguments à l'approche concordiste des doctrines platonico-aristotéliciennes.

3.2 Asclépius et Alexandre : convergences et divergences

En faisant abstraction du prologue exégétique, que l'on trouve seulement dans le commentaire d'Asclépius, l'exégèse que celui-ci fait des chapitres 1 et 2 du livre A est à plusieurs égards semblables à celle d'Alexandre. Pour cause, Ammonius s'est vraisemblablement basé sur le commentaire d'Alexandre pour enseigner sur la Métaphysique d'Aristote : on peut même croire que le commentaire d'Alexandre lui servait de manuel. En outre, en faisant l'exégèse du traité d'Aristote, le maître d'Asclépius aurait parfois eu à expliciter certaines citations littérales reprises de l'Aphrodisiate, ce qui expliquerait certaines répétitions sinon inintelligibles. Toutefois, même si Ammonius se sert amplement du commentaire d'Alexandre, il ne se sent nullement limité par l'exégèse alexandrinienne qu'il reprend avant tout pour expliciter la lettre du traité d'Aristote, et non pour spéculer sur les doctrines aristotéliciennes qu'il cherche à harmoniser avec celles de Platon.

Chez Asclépius, on remarque que les citations de Platon viennent confirmer la véracité des philosophèmes aristotéliciens. Intentionnellement, l'exégèse de la Métaphysique d'Aristote prépare les élèves d'Ammonius à l'étude des dialogues platoniciens. On voit d'ailleurs que Platon fait figure d'autorité doctrinale; de fait, lorsqu'une théorie aristotélicienne d'importance est commentée, Asclépius s'empresse de

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25 citer Platon pour montrer que les idées d'Aristote reprennent en réalité celles du maître. Toutefois, le lecteur n'assiste pas, du moins pour l'exégèse des chapitres A, 1 et A, 2, à une critique des thèses aristotéliciennes. Hormis le prologue exégétique, Asclépius emploie peu de concepts proprement platoniciens. Par conséquent, si réellement on assiste à une « platonisation » de la pensée d'Aristote, elle se fait en toute subtilité, et généralement à l'aide d'extraits tirés du corpus même d'Aristote. Certes, Asclépius prend soin de citer les traités dont l'esprit est le plus platonicien - généralement ceux que W. Jaeger64 a attribués à la jeunesse d'Aristote -, mais il ne trahit pas la lettre du texte qu'il commente. L'apparente neutralité de son exégèse, du moins dans les premières pages du commentaire, s'explique vraisemblablement par sa fonction pédagogique. Rappelons qu'Ammonius, le maître d'Asclépius, cherche à introduire ses élèves à la pensée métaphysique d'Aristote; pour faciliter la compréhension du traité à l'étude, il renvoie constamment aux autres ouvrages du Stagirite, ceux-là mêmes sur lesquels portaient les cours préalables du cursus des études néoplatoniciennes. Ce n'est que progressivement qu'il introduira des notions plus spéculatives.

Toutefois, malgré la relative stérilité conceptuelle des premières pages de son commentaire, surtout si on le compare à l'effervescence spéculative .de l'exégèse de Syrianus, Asclépius fait déjà appel à des notions proprement néoplatoniciennes. Le lexique de la noétique, qu'Ammonius a sans doute hérité de son maître Proclus, y colore son exégèse. À l'aide des concepts d'appréhension simple (à^Xy} èniftoki]) et d'intelligibles divins (&eta), il reformule de manière plus spéculative l'explication littérale du texte d'Aristote qu'il reprend le plus souvent d'Alexandre : c'est ce qui correspond à la Ôewpia. Étonnamment, Ammonius ne sent pas le besoin de définir ces notions étrangères à la lettre du corpus aristotélicien, ce qui porte à croire qu'elles étaient familières à ses élèves. De fait, il les avait fréquemment employées en commentant les autres ouvrages d'Aristote : elles pouvaient ainsi servir de clés d'interprétation pour la Métaphysique. Dans ses commentaires aux œuvres de VOrganon65, Ammonius avait déjà

64 W. Jaeger, Aristoteles. Grundlegung einer Geschichte seiner Entwicklung, Berlin, Weidmannsche

Buchhandlung, 1923.

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26

défini la notion d'appréhension simple, ou, du moins, l'avait employée dans un contexte qui élucidait sa signification. Bref, au sein de l'École d'Alexandrie, ces notions étaient mieux connues par les élèves d'Ammonius, préalablement formés par l'étude de VOrganon, que le reste des doctrines de la Métaphysique (qui pour l'érudition contemporaine sont sans doute plus familières).

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DEUXIÈME PARTIE : TRADUCTION ANNOTÉE DU COMMENTAIRE D'ASCLÉPIUS (LIVRE ALPHA, CHAPITRES 1 ET 2)

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Notes sur la traduction

Pour cette traduction du commentaire d'Asclépius, la première en langue moderne, nous avons voulu rester fidèle à la lettre du texte grec, tout en cherchant à offrir une version facilement compréhensible. Aussi, à chaque fois que la syntaxe le permettait, les principaux concepts philosophiques ont été traduits par une même expression. Dans l'ensemble, les traductions traditionnelles du vocabulaire aristotélicien ont été reprises, notamment celles de la Métaphysique par J. Tricot1. Toutefois, dans le contexte plus

technique du comrnentarisme, certains termes conceptuels demandaient une traduction plus littérale; de fait, en raison des enjeux doctrinaux de la pensée néoplatonicienne, le vocabulaire épistémologique et ontologique a requis une attention particulière.

La traduction du commentaire posait par ailleurs cette difficulté : à la rédaction

àno cpwvrjç de l'enseignement d'Ammonius, s'ajoute de nombreuses citations plus ou

moins littérales tirées du commentaire d'Alexandre d'Aphrodise à la Métaphysique. Qu'elles proviennent originairement du cours d'Ammonius ou qu'elles aient été corrigées, voire ajoutées ultérieurement par Asclépius, ces citations ont parfois pour effet de rompre l'enchaînement logique des propositions et ainsi de désarticuler l'argumentation. À cet effet, nous nous sommes limité à traduire le texte tel qu'il se présente dans l'édition de M. Hayduck, sans l'amender d'après du commentaire d'Alexandre.

Quant aux notes explicatives, elles ont été rédigées conformément à ces trois critères : dégager la structure du commentaire (parties orales, extraits du commentaire d'Alexandre2), manifester l'esprit néoplatonicien de l'exégèse d'Asclépius et expliciter

ses nombreuses références philosophiques (Platon, Aristote, etc.) et littéraires (Homère, Sophocle, etc.). Ces notes visent avant tout à fournir au lecteur les outils lui permettant de mieux comprendre le contexte historico-philosophique dans lequel la doctrine aristotélicienne fut réinterprétée : celui de l'École néoplatonicienne d'Alexandrie.

1 Aristote, Métaphysique, 1.1 et 2, trad. par J. Tricot, Paris, Vrin, 1964.

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29

Commentaire sur le Grand Alpha (A) de la Métaphysique d'Aristote

rapporté par Asclépius de l'enseignement oral

3

d'Ammonius, fils

d'Hermias

980a22 Tous les hommes désirent par nature le savoir; un signe en est leur amour des sensations.

[6] Il nous faut, en commençant l'étude du présent traité, dire quelle est sa visée , sa place5 et la raison de son titre6. La visée de ce traité est à vrai dire de discourir du divin7; en effet, Aristote y discourt du divin. Quant à sa place, c'est parce que nous produisons les principes à partir des choses postérieures par nature, puisque celles-ci sont mieux [10] connues par nous8. C'est certes pourquoi Aristote nous a d'abord entretenu des choses physiques, car celles-ci sont postérieures par nature, mais antérieures pour nous. À l'inverse, le présent traité a comme fin les choses antérieures par nature, mais postérieures pour nous : de fait, les choses incorruptibles sont antérieures aux corruptibles

3 La mention àrcô ÇWVTJÇ, traduit ici par de l'enseignement oral de, est fréquente dans les commentaires philosophiques de l'École d'Alexandrie. Dans celui d'Asclépius, on la remarque en tête des quatre premiers livres de la Métaphysique, soit A,ot, B et T, alors qu'elle n'apparaît plus aux livres A, E et Z. Cela ne signifie toutefois pas que le reste du commentaire ne provient plus de l'enseignement oral d'Ammonius, puisque Asclépius y ferait encore mention de son maître (416, 22). Voir M. Richard, « 'Anà <pwv»jç », Byzantion, 20 (1950), p. 191-222.

4 La visée (CTXOTTÔÇ) est, en d'autres termes, l'objet du traité ou du dialogue à l'étude. Dans notre étude doctrinale, il sera plus amplement question du but ou de l'objet - qui sont les traductions plus traditionnelles de axonbç - de la métaphysique et de ses échos dans les débats actuels au sujet de la lecture ontofhéologique de l'histoire de la philosophie.

5 II s'agit de la place (TA^LÇ) qu'occupe la Métaphysique dans l'ordre de lecture des traités d'Aristote. Ce traité, puisqu'il porte sur les plus hautes réalités, celles qui sont le plus antérieures par nature, parachève le cycle de études aristotéliciennes, conçu comme une propédeutique à l'enseignement des dialogues platoniciens.

L'histoire du titre, ou plutôt des titres - comme il sera précisé dans le second prologue (3, 27-4,3) - de la Métaphysique d'Aristote n'est pas qu'anecdotique. Une monographie a d'ailleurs été consacrée au seul concept de métaphysique dans l'école d'Ammonius (K. Kremer, Der Metaphysikbegriff in den Aristoteles-Kommentaren derAmmonius-Schule, MÛnsterm, Aschendorffsche, i960).

7 &eoXoY7jaac.. Nous pourrions croire qu'Aristote discourt du divin seulement dans certaines sections de la Métaphysique, surtout aux livres E, A, M et N, où il est explicitement question de Dieu, des intelligences célestes et de la doctrine platonicienne des principes. Pourtant, en affirmant que la visée de ce traité est de discourir du divin, Asclépius laisse entendre que tous les principes et toutes les causes dont il sera question dans la Métaphysique seront des choses divines. D'ailleurs, Jean Philopon, dans son commentaire aux Seconds analytiques - lui aussi considéré comme une rédaction ànà <p<ovfjç d'un cours d'Ammonius -, désigne la Métaphysique comme le « traité théologique » : èv 8è rf) ôeoXoyixTJ, Xéyw SV) rfj M e r à r à <puoxxà xal èv T(j> èXàrrovi. àXcpa, Ttepl voO xal ao<ptaç (In Anal.Post., 331, 10-11). C'est donc dans une optique théologique que les néoplatoniciens, du moins selon le témoignage de leurs représentants alexandrins, abordaient la lecture de la Métaphysique.

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