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Gabrielle Duchêne et la recherche d'une autre route : entre le pacifisme féministe et l'antifascisme

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Texte intégral

(1)

Emmanuelle Carle, History Department

McGiII University, Montreal

April 2005

A thesis submitted to the Faculty of Graduate Studies and Research in partial fulfillment of the requirements of the degree of Doctor of Philosophy

(2)

395 Wellington Street Ottawa ON K1A ON4 Canada

395, rue Wellington Ottawa ON K1A ON4 Canada

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(3)

1954), militante féministe, syndicaliste, pacifiste, antifasciste, compagnon de route du Parti communiste français et propagandiste avant-gardiste. Elle

représente une des seules personnalités de l'entre-deux-guerres à symboliser la confluence idéologique de ces mouvements et à avoir tenté de trouver une solution, une autre route, au choc de leurs contradictions. Tout au long de son engagement, Gabrielle Duchêne va faire des choix non conventionnels. L'objectif de notre recherche est d'analyser ses réactions atypiques afin de mettre en contexte le processus de multi-marginalisation et de comprendre la totalité des influences dans la formation de son pacifisme

amalgamé.

Le terme 'multi-marginalisation' est employé pour désigner la réponse d'exclusion ou de

méfiance envers Gabrielle Duchêne, ouvertement exprimée ou non, de la part de plus d'un groupe social ou politique. Ces exclusions ont leur source

généralement dans les réactions non-conformistes de Gabrielle Duchêne. L'exemple de son appui au Congrès des pacifistes féministes réunies à La Haye en 1915 est révélateur: son choix est conspué par la majorité des féministes bourgeoises françaises. Le moyen proposé par Gabrielle Duchêne pour transcender les divisions est le pacifisme

amalgamé:

l'union des principes féministes, pacifistes et antifascistes (procommuniste), permettant à la fois de concilier les points de vue et les différentes méthodes d'action dans un but commun.

Un des facteurs importants du militantisme de Gabrielle Duchêne est l'impact de l'expérience russe et de l'emprise communiste sur son pacifisme intégral. De 1927

à

1931, elle développe un pacifisme teinté, caractérisé par un changement de discours, influencé par les mécanismes de manipulation mis en place par les communistes.

A

partir de 1932, elle participe au mouvement antifasciste, contrOlé par les communistes, sans toutefois abandonner son pacifisme féministe. L'analyse des différentes étapes militantes de Gabrielle Duchêne nous permet d'examiner les activités des femmes, encore très peu explorées, dans l'histoire antifasciste et communiste, et de démontrer la

(4)

convergence entre le mouvement antifasciste et le pacifisme féministe dans les années trente. De plus, notre recherche s'insère dans une histoire genrée. Nous utilisons le genre comme outil d'analyse, plutôt que comme catégorie d'analyse, pour comprendre notre sujet en tant qu'être sexué, dont les expériences

militantes et sociales sont définies par les inégalités engendrées par cette différenciation.

Abstract

Ourwork is a feminist biography of Gabrielle Duchene (1870-1954), feminist activist, unionist, pacifist, antifascist, fellow traveller of the French Communist Party and an innovator as a propagandist. She represents one of the few personalities of the interwar period to symbolize the ideological congruence of these movements and to have tried to find a solution, another way, to the clash of their contradictions. Ali along her engagement, Gabrielle Duchene will make non-convention al choices. The objective of our research is to analyze her atypical reactions in order to put the multi-marginalization process into context and to understand ail the influences in the creation of her amalgamated pacifism. The term 'multi-marginalization' is employed to name the exclusion or mistrust toward Gabrielle Duchene, openly expressed or not, by more than one social or political group. These exclusions generally come from the non-conformist reactions of Gabrielle Duchene. The example of her support to the Feminist Pacifist Congress held at The Hague, in 1915, is revealing: her choice is rejected by the majority of the French bourgeois feminists. What Gabrielle Duchene proposes to transcend the divisions with is her amalgamated pacifism: the fusion of the feminist, pacifist, antifascist (procommunist) principles, allowing to

reconcile the points of view and the different methods of action in a common goal.

One of the most important factors of Gabrielle Duchene's activism is the impact of the Russian experience and the communist control on her integral pacifism. From 1927 to 1931, she develops a tinged pacifism, characterized by a

(5)

change of rhetoric, influenced by the manipulation mechanisms put into place by the communists. As of 1932, she takes part in the antifascist movement,

controlled by the communists, without however abandoning her feminist pacifism. The analysis of the different periods of activism of Gabrielle Duchene allows us to consider women's activities, stililargely unexplored, in antifascist and

communist history, and to demonstrate the convergence between the antifascist and the feminist pacifist movements in the 1930s. Moreover, our research takes a 'gendered' perspective. We use gender as an analytical tool, and not as an analytical category, in order to understand our subject as a sexualized being, whose activist and social experiences are defined by the inequalities resulting from this differentiation.

(6)

Remerciements

Je tiens d'abord à remercier Pierre Boulle pour l'exemple magistral de

conscience professionnelle et pour m'avoir communiqué sa passion de l'enseignement.

A

Norman Ingram de l'Université Concordia, qui a accepté de co-superviser ma thèse, merci tout autant pour ses connaissances exhaustives, ses judicieux conseils et ses encouragements toujours très appréciés.

Merci au personnel du Département d'Histoire de l'Université McGiII pour leur soutien pendant mes longues années d'études: Colleen Parish, Georgii Mikula, Jody Anderson, Sylvia Crawford, Celine Coutinho et au Chair, Professeur Brian Lewis, pour les possibilités d'enseignement, et au Professeur Peter Hoffmann.

Merci au Fonds pour la Formation de Chercheurs et l'Aide

à

la Recherche (FCAR) pour l'octroi d'une bourse de doctorat et d'une bourse de stage

à

Paris. Une pensée spéciale également

à

tous ceux qui m'ont apporté leur précieuse aide

à

la BDIC de Nanterre.

Merci

à

mes anciens complices et

à

mes plus cruels critiques: Isabelle Carrier et Michel Ducharme.

Un remerciement spécial

à

mes amis fidèles qui m'attendent depuis quelques années ... et aux membres de la famille Coley pour leur aide et leur patience.

Dernièrement, j'aimerais témoigner toute mon affection à ma famille: mes parents, qui m'ont transmis entre autres la persévérance et la curiosité, Julie, Geneviève, Pénélope, Anna, Boris.

(7)

Table des matières

Résumé ... p.i

Remerciements ... p.iv

Liste des sigles et abréviations ... p.viii

Introduction ... p. 1

Historiographie ...•.•...•...•...•...••...•...•...•.. p. 5 Méthodologie/Problématique ...•...•... p. 25

Partie 1 - Éveil de la conscience féministe et pacifiste de Gabrielle Duchêne (1908-1926)

Chapitre 1 - Son action syndicaliste avant la Première Guerre

mondiale ...

p.

37

Introduction ...•...•.•...•...•.••••...•••.•..•..••.•••.•..•...•...•.•.... p. 37 L'Entr'aide ... p. 40

Office français du travail à domicile (OFTD) ... p. 47

Conseil national des femmes françaises (CNFF) ... p. 54

Chapitre 2 - L'influence de la guerre sur l'activité syndicaliste de Gabrielle Duchêne ••.••.•••.••.••.••..•.•.•••••••••••••••.••••.••••••.•••...••.•..•...•...••.

p.

67

Conseil national des femmes françaises ... p. 68 L'Entr'aide ...•... p. 78

(8)

Office français du travail

à

domicile ...•...•... p. 83 Comité intersyndical d'action contre l'exploitation de la femme

(CIACEF) ...•...•...•..•...•.•....•... p. 87 Après la guerre ...•...•...•...•...•.... p. 96 Tiraillements entre féminisme bourgeois et syndicalisme ...•... p. 105

Chapitre 3 - Le pacifisme intégral de Gabrielle Duchêne (1915-1926) ... p. 111

Naissance de la section française de la lIFPL (1915-1922) ..•...•.•.• p.112 Apogée de son prosélytisme pacifiste intégral (1923-1926) ... p. 139

Partie Il -Influences russe et communiste (1919-1939)

Chapitre 4 - L'engagement humanitaire et culturel russe (1919-1931) ... p. 172

Comité français de secours aux enfants (CFSE) ...•..•...•••...••... p. 173 Nature de son rapport avec la Russie et le communisme ...•... p. 182 Compagnon de route ...•...•...•...••....•..•. p. 182

Voyage en Russie ...•...

p. 196 Le Cercle de la Russie neuve (CRN) ...•... p. 201

Chapitre 5 - Le Pacifisme

teinté

(1927-1931) ...•...•..•...••...•..•...•..••••.. p. 213

Chapitre 6 - L'origine et la création du Comité mondial des femmes contre la guerre et le fascisme (CMF) •..•••..•....••....•...•...•..•..•.•..•.. p. 252

Mouvement Amsterdam-Pleyel ...•...•... p. 253 Activités antifascistes ...•... p. 266

(9)

Rassemblement mondial des femmes ... p. 275

Chapitre 7 - Le CMF et la situation internationale

(1935-1939) ... p.

298

Actions féministes contre le fascisme ..•..•...•...•..•... p.

301

CFIDP et CDDF ...•...•..•...•... p.

306

Le Front Populaire ...•...•.•....•...•...•.•...•.•....•... p.

312

La Guerre civile espagnole et le RUP ..•...•..••...•...•... p.

322

Partie III - Le pacifisme amalgamé de Gabrielle Duchêne: un paradoxe?

Chapitre 8 - Le Comité exécutif international de la LlFPL. ...

p.

342

1932-1934 ... p.

344

Congrès de Grenoble ... p. 346

Congrès de Zurich ... p. 367

1935-1939 ... p.

375

Chapitre 9 - La crise de la Section française ... p. 395

1932-1934 ...

p.

396

1935-1939 ...

p.

407

Conclusion ... p. 429

Annexe 1: Déclaration. Section française de la LlFPL.

1935 ... p.

454

(10)

AEAR

AISF

APECS

ARAC

AUS

BOIC

BHVP

COOF

CFIOP

CFSE

CGT

CGTU

CIACEF

CICR

CIF

CIFPP

CISR

CNFF

CMF

CRN

CSN

CVIA

FOIF

FOT

IC

INFA

lOS

JEUNES

KOP

LOF

Liste des sigles et abréviations

Association des écrivains et des artistes révolutionnaires Alliance internationale pour le suffrage des femmes Association pour l'étude de la culture soviétique Association républicaine des anciens combattants

Amis de l'URSS ou Société des amis de l'Union soviétique Bibliothèque de documentation internationale contemporaine Bibliothèque historique de la Ville de Paris

Comité pour la défense des droits des femmes Comité féminin d'initiative pour la défense de la paix Comité français de secours aux enfants

Confédération générale du travail

Confédération générale du travail unitaire

Comité intersyndical d'action contre l'exploitation de la femme Comité international de la Croix-Rouge

Conseil international des femmes

Comité international des femmes pour la paix permanente Comité international de secours à la Russie

Conseil national des femmes françaises

Comité mondial des femmes contre la guerre et le fascisme Cercle de la Russie neuve

Comité de Secours national

Comité de vigilance des intellectuels antifascistes Fédération démocratique internationale des femmes Fédération d'organismes de travail

Internationale communiste Institut pour l'étude du fascisme Internationale ouvrière socialiste

Jeunes équipes pour une nouvelle économie sociale Parti communiste allemand

(11)

LOH LFEM LI CA LlFPL LlOC LSA LVF OFIF OFTO OITO PCF PS RIGM RMF RUP SdN SFIO SIFERE SNI SOI SRI UAI UFCS UFF UFSE UFSF UISE URSS VOKS UOT WILPF

Ligue des droits de l'homme Ligue française d'éducation morale Ligue intemationale contre l'antisémitisme

Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté Ligue contre l'impérialisme et l'oppression coloniale Ligue sociale d'acheteurs

Légion des volontaires français Office français des intérêts féminins Office français du travail à domicile Office international du travail

à

domicile Parti communiste français

parti ou partis socialistes

Rassemblement international contre la guerre et le militarisme Rassemblement mondial des femmes

Rassemblement universel pour la paix Société des Nations

Section française de l'Internationale ouvrière

Secours international aux femmes et aux enfants de la République espagnole

Syndicat national des instituteurs Secours ouvrier international Secours Rouge International

Union des associations internationales Union féminine civique et sociale Union des femmes françaises

Union française de secours aux enfants Union française pour le suffrage des femmes Union internationale de secours aux enfants Union des républiques socialistes soviétiques

Société pour le rapprochement culturel entre l'URSS et l'étranger Union pour l'organisation du travail

(12)

Introduction

Gabrielle Duchêne (1870-1954) est un personnage complexe et mystérieux dans l'histoire pacifiste féministe de l'entre-deux-guerres. La

multiplicité de ses engagements reflète un parcours militant avant-gardiste, que Valérie Daly, dans son mémoire de maîtrise sur le sujet, définit comme utilitariste et 'agrégatif. En effet, Gabrielle Duchêne profite de ses expériences passées pour accéder à de nouvelles positions, et enchaîne ainsi une diversité de fonctions, tout en conservant des liens dans les organisations qu'elle quitte, ce qui lui permet de se créer un réseau d'influence important dans tous les milieux 1•

A

première vue cette perspective peut paraître juste, mais elle se heurte rapidement à une contradiction majeure. Comment expliquer les réactions atypiques de Gabrielle Duchêne? Tout au long de sa carrière militante, elle fait des choix non conventionnels qui provoquent une multi-marginalisation de la part de tous les groupes avec lesquels elle travaille, tels les féministes bourgeoises, les pacifistes féministes et les communistes. Notre objectif n'est pas d'expliquer les motivations psychologiques derrière ses modes de comportement, mais

1 Valérie Daly,« Gabrielle Duchêne ou 'La bourgeoisie

impossible' », Mémoire de Maîtrise, Université Paris-X, Nanterre, 1984, pp. 136-137.

(13)

plutôt d'écrire une biographie féministe de Gabrielle Duchêne afin de démontrer le processus de marginalisation.

Ma recherche se concentre uniquement sur les étapes militantes de Gabrielle Duchêne, sur sa contribution aux différents mouvements syndicaliste, féministe, pacifiste, antifasciste et culturel prorusse, de 1908

à

1939. Nous nous intéressons

à

ses opinions et

à

son point de vue sur les événements politiques et sociaux de son époque et également

à

ses rapports avec ses collaborateurs. Il s'agit évidemment d'une biographie féministe à cause du sujet l'histoire d'une féministe, de ses tentatives de faire évoluer la condition des femmes en dénonçant l'oppression patriarcale présente dans tous les domaines sociétaux, en plus d'offrir aux femmes la possibilité de s'exprimer dans la sphère publique à travers des organisations spécifiquement créées pour elles. La première phase de son engagement est syndicaliste. Dès 1908, elle se consacre

à

la lutte contre l'exploitation des travailleuses

à

domicile dans l'industrie du vêtement et pour le relèvement de leurs salaires, l'amélioration de leurs conditions de travail, l'établissement d'une loi fixant un salaire minimum, l'égalité salariale et la promotion de la syndicalisation par l'éducation ouvrière. Outre son poste de présidente de la section de travail du Conseil National des femmes françaises (CNFF) de 1913

à

1915, elle crée plusieurs organismes, tels une coopérative de production, l'Entr'aide, l'Office français du Travail à domicile (OFTD), le Comité intersyndical d'action contre l'exploitation de la femme (CIACEF) et l'Office français des intérêts féminins (OFIF).

(14)

Vers 1919, Gabrielle Duchêne délaisse l'activité syndicaliste au profrt d'un militantisme pacifiste, débuté en 1915 lorsqu'elle constitue la section française de la Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté (L1FPL), qu'elle dirigera jusqu'à sa mort en 1954. Elle participe également activement, à partir de 1921, aux activités internationales de la Ligue en tant que membre de son Comité exécutif. Cependant, l'année 1927 est un point tournant dans son engagement: elle fait son premier voyage organisé en Russie. Un

rapprochement avec les milieux russes s'était déjà effectué au début des années 1920 quand elle avait contribué

à

mettre sur pied un Comité français de secours aux enfants (CFSE) offrant une aide humanitaire lors de la famine en Russie. Par la suite, elle s'était associée à des entreprises culturelles et politiques, telles la Ligue contre l'impérialisme et l'oppression coloniale (L10C) et la Société des Amis de l'URSS (AUS). Par contre, le voyage en Russie reste l'événement décisif qui explique sa conversion en compagnon de route du Parti communiste français. Elle fonde, en 1928, le Cercle de la Russie neuve (CRN), dont elle est la secrétaire générale, groupe qui se transforme en 1936 en Association pour l'étude de la culture soviétique (APECS).

A

partir de 1932, Gabrielle Duchêne entame la dernière étape de son engagement dans le mouvement antifasciste. Elle organise le Rassemblement mondial des femmes en 1934 et préside son Comité mondial des femmes contre la guerre et le fascisme (CMF) dans le but d'harmoniser et d'unir les forces communes féminines et féministes

internationales contre la menace fasciste. Le CMF constitue en 1935 deux centres français d'action féminins: le Centre féminin d'initiative pour la défense de la paix (CFIDP) et le Centre pour la défense des droits des femmes (CDDF). Gabrielle Duchêne se retrouve à dominer dans les années trente à la fois les

(15)

mouvements pacifiste féministe (LlFPl) et antifasciste féminin (CMF), lequel est parrainé par les communistes.

L'autre dimension féministe de cette biographie réside dans notre propre démarche et perspective, qui consiste à révéler l'extraordinaire cheminement d'une femme 'ordinaire'. En effet, Gabrielle Duchêne est une épouse, une mère, une femme d'origine bourgeoise, dont le destin est marqué par la longévité (elle est décédée

à

84 ans) plutôt que par la tragédie. Contrairement

à

des femmes, telles Marguerite Durand, Madeleine Pelletier et Lucie Aubrac, qui peuvent facilement être identifiées par leur action ou caractère exceptionnels, Gabrielle Duchêne nous confronte au problème de l'histoire des femmes hors catégories, mais pourtant fondamentales dans l'historiographie féministe. Sa préférence pour la compagnie des hommes scientifiques et des intellectuels, au lieu de celle des féministes bourgeoises de l'époque (à l'exception de quelques collègues féministes pacifistes), explique en partie le peu d'intérêt que lui démontre la littérature féministe. En fait, Gabrielle Duchêne est une femme qui aime le pouvoir, mais non la politique, une femme d'action

à

la recherche constante d'obstacles

à

abattre et de batailles

à

gagner. L'échec généralisé du mouvement féministe (l'absence du suffrage féminin), pacifiste (la Seconde Guerre mondiale) et antifasciste (la victoire du nazisme) tend

à

minimiser l'importance de son rôle dans la période de l'entre-deux guerres. Notre volonté est de souligner la particularité du parcours de Gabrielle Duchêne, seule personnalité influente, d'après nous, non seulement

à

symboliser la convergence des idéologies féministes, pacifistes, antifascistes et communistes de l'époque, mais également

(16)

à

avoir tenté de trouver une solution, une autre route, au choc de leurs contradictions.

Parmi les auteurs qui se sont intéressés à Gabrielle Duchêne, Lorraine Coons est la seule qui a défini son engagement comme totalement féministe, non seulement intrinsèquement lié à toutes ses actions, mais également à l'origine de celles-ci. Pour Coons, le féminisme est le fil conducteur qui explique le travail syndicaliste et pacifiste de Gabrielle Duchêne et sa fascination pour la Russie, 'pays de l'émancipation de la femme,2. Tout en appuyant cette position, nous déplorons le fait qu'aucune définition du terme féminisme ne soit proposée. À quel genre de courant féministe Gabrielle Duchêne s'identifiait-elle? Il est important de se poser la question, car le sujet est en quelque sorte à la fois le point de départ de la révolte de Gabrielle Duchêne contre l'injustice sociale dans son activisme et sa constante. Dans son article, « Defining Feminism: a

Comparative Historical Approach », Karen Offen critique d'ailleurs le manque de rigueur méthodologique des historiens au sujet du terme féminisme et de son utilisation souvent anachronique et inadéquate d'où l'importance, d'après elle, de proposer une définition précise et personnelle, adaptée au besoin de l'analyse3. Elle propose de diviser en deux catégories discursives son analyse du

féminisme: le féminisme individualiste, anglo-américain, nie l'interdépendance

2 Lorraine Coons, « Gabrielle Duchêne: Feminist, Pacifist, Reluctant

Bourgeoise », Peace & Change, Vol.

24,

no

2,

April

1999,

pp.

121-147.

3 Karen Offen, « Defining Feminism: a Comparative Historical Approach », Signs,

Vol.

14,

no

1, 1988,

pp.

119-157.

Voir également du même auteur, «Sur l'origine des mots "féminisme" et "féministe" », Revue d'histoire moderne

et contemporaine, no 3, juillet-septembre

1987,

pp.

492-496

et « Feminism, Antifeminism, and National Family Potitics in Early Third Republic France », dans Marilyn J. Boxer et Jean H. Quataert (ed.),

(17)

entre les facteurs biologiques et sexuels d'une part et les rapports sociaux de l'autre. Les femmes choisissent alors de s'assimiler au genre humain et de ne revendiquer que des droits universels. Le féminisme relationnel, principalement européen, repose sur une perspective égalitaire des relations humaines, tout en prenant en considération la notion de différenciation sexuelle dans les

revendications féminines. "s'agissait entre autres d'exploiter la force de leur féminitude (maternité, différences biologiques), de leur altérité et de leur complémentarité pour atteindre leurs droits primaires et fondamentaux4• Cette définition est importante pour notre travail car elle définit en partie la stratégie féministe de Gabrielle Duchêne.

Cette notion comporte également des problèmes comme le démontre Joan W. Scott dans son livre Only Paradoxes to Offer. Elle tente de déconstruire la dichotomie égalité/différence dans le discours féministe français de 1789 à 1944, qu'elle tient responsable de l'échec des stratégies politiques des féministes. Elle explique de quelles façons les philosophes et les hommes politiques ont réussi, au nom de la différenciation sexuelle, à exclure les femmes des droits politiques, droits fondés sur le principe de l'individualisme libéral et principe lié exclusivement à la masculinité. Le paradoxe souligné par Scott vient du fait que les féministes, loin d'être passives devant le mensonge du suffrage 'universel':

«

argued in the same breath for the irrelevance and the relevance of their sex, for the identity of ail individuals and the difference of women. They

Connecting $pheres: Women in the Western WOrld, New York; Oxford, Oxford University Press, 1987, pp. 177-186.

4 Naomi Black reprend essentiellement les mêmes définitions féministes, individualiste et relationnel, de Karen Offen pour expliquer ses concepts

(18)

refused to be women in the terms their society dictated, and at the same time they spoke in the name of those women5. » L'analyse de cette contradiction interne nous permet de mieux comprendre les pratiques militantes, les modalités d'action et les sources de conflits présentes dans le mouvement féministe français.

L'histoire de la Troisième République regorge d'ouvrages sur le féminisme qui présente des tentatives typologiques diversifiées selon une analyse socio-politique de la périodes. En effet, il semble que les historiens n'aient pas entendu l'appel de Karen Offen puisque la plupart n'offre pas de définition précise du féminisme sous prétexte d'une trop grande pluralité de féminismes. D'un côté, certains incluent le courant religieux, tels Paul Smith qui utilise la division laïque/catholique (ou conservatrice)7 et Michelle Perrot, qui préfère la séparation chrétienne (maternelle et sociale), laïque (égalités civiques

de Equity feminism et Social feminism. Voir Social Feminism, Ithaca; London, Cornell University Press, 1989, 390 p.

5 Joan Wallach Scott, Only Paradoxes to Offer. French Feminists and the Rights

of Man, Cambridge, Mass., Harvard University Press, 1996, p.11. Elle a

également écrit sur le sujet

«

Deconstructing Equality-versus-Difference: or, the Uses of Postructuralist Theory for Feminism», Feminist Studies 14, no 1, Spring 1988. Nous mentionnons les travaux de Scott sur le genre dans la dernière partie de notre introduction.

S Pour des ouvrages généraux sur l'histoire du féminisme en France, voir Mané Albistur et Daniel Armogathe, Histoire du féminisme français du Moyen

Age

à

nos jours, Paris, Des Femmes, 1977; Jean Rabaut, Histoire des féminismes français, Paris, Stock, 1978; Laurence Klejman et Florence

Rochefort, L'~galité en marche. Le féminisme sous la Troisième la Ille

République, Paris, Des Femmes/Presses de la FNSP, 1989; Claire

Goldberg Moses, French Feminism in the Nineteenth Century, Albany, State University of New York Press, 1984; Numéro consacré

à

l'histoire des femmes et du féminisme français, Matériaux pour l'histoire de notre

temps, no 1, janvier-mars 1985.

7 Paul Smith, Feminism and the Third Republic, Oxford, Clarendon Press, 1996, p.5.

(19)

et politiques) et radicale (subversive)8. L'autre tendance consiste à tenir compte de la réalité politique de la société française. Christine Bard, dans Les filles de Marianne, rejette la définition relationnel/individualiste de Karen Offen en faveur d'une classification radicale (avant-gardiste, révolutionnaire et minoritaire), réformiste Ouridique, progressive et majoritaire) et modérée (suffragiste et conservatrice)9. Nous favorisons plutôt la typologie de James F. McMillan,

présentée dans France and Women 1789-1914: Gender, Society and Politics car il choisit de séparer les féminismes d'après une orientation politique générale: d'une part la droite, et de l'autre la gauche socialiste et le centre républicain et bourgeois, ces derniers sous-divisés en radicaux et modérés 10. La

reconnaissance d'un féminisme de gauche, qui n'est pas nécessairement révolutionnaire, est essentielle. Toutefois, McMilian (comme la majorité des historiens de la Troisième République) ne mentionne pas de féminisme syndicaliste. Peut-être parce qu'il n'était pas représenté par une organisation précise? Mais le féminisme doit-il être a priOri cautionné par une structure pour exister? N'existe-t-il pas par une série d'actions conscientes et conséquentes posées par des individus, par une volonté d'améliorer le sort des ouvrières et éliminer les inégalités et les injustices? Nous proposons pourtant cette définition

8 Michelle Perrot,

« The New Eve and the Old Adam: Changes in French

Women's Condition at the Turn of the Century », dans Margaret R. Higonnet et al., Behind the Lines. Gender and the Two World Wars, New Haven, London, Yale University Press, 1987, pp.51-60.

9 Christine Bard, Les filles de Marianne. Histoire des féminismes, 1914-1940.

Paris, Fayard, 1995, p. 22.

10 James F. McMillan, France and Women, 1789-1914. Gender, Society and

(20)

du féminisme, syndicaliste économique, pour expliquer l'essence du féminisme de Gabrielle Duchêne durant la première étape de son engagement.

L'omission du féminisme syndicaliste dans l'historiographie féministe française est une des raisons importantes qui explique l'espace limité aux activités de Gabrielle Duchêne dans l'histoire des femmes. Pour développer le sujet, il faut se tourner vers de la littérature spécialisée sur le mouvement syndical11 et le rôle des femmes dans l'industrie12. L'ouvrage de Judith G. Coffin,

The Politics of Women's Work: the Paris Garment Trades, 1750-1915, est un

exemple de la récente littérature qui examine l'évolution de la perception et du travail des ouvrières de l'aiguille à travers la production discursive de l'époque pour tenter de faire une histoire du genre13. Lorraine Coons aborde un autre thème important de cette historiographie: celui de l'effet pervers de la législation protectrice spécifique aux ouvrières

à

domicile. Elle démontre comment le travail

à

la maison était considéré préférable pour les femmes car il permettait de valoriser l'image de la sphère domestique malgré les conditions réelles souvent

11 Au sujet des femmes dans l'industrie et les syndicats en France avant 1914, voir Madeleine Guilbert et Viviane lsambert-Jamati, Travail féminin et

travail

à

domicile, Paris, CNRS, 1956; M. Guilbert, Les femmes et

l'organisation syndicale avant 1914, Paris, CNRS, 1966 et Les fonction des femmes dans l'industrie, Paris, Mouton & Co, 1966; Marie-Hélène Zyberberg-Hocquard, Féminisme et Syndicalisme en France, Paris, Editions Anthropos, 1978.

12 Lorraine Coons, « "Neglected Sisters" of the Women's Movement: The Perception and Experience of Working Mothers in the Parisian Garment Industry, 1860-1914 », Journal of Women's History, Vol. 5, no 2, Fall 1993, p. 60. Voir également du même auteur la publication de sa thèse,

Women Home Workers in the Parisian Garment Industry, 1860-1915,

New York; London, Garland Publishing, 1987, 361p.

13 Judith G. Coffin, The Politics of Women's Work: The Paris Garment Trades,

1750-1915, Princeton, Princeton University Press, 1996, p. 234 et 240. Voir également pour une histoire du genre, Joan W. Scott, « La

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inhumaines de travail. Toutefois, le paradoxe réside dans le fait que les employeurs exploitaient cette féminitude et cette isolation: « Their earnings suffered on two counts: tirst, they were women, and even worse, they were homeworkers for whom no regulation of the trade applied14. » D'après Coons, il existe un double problème au sujet de la législation du travail à domicile (loi du 10 juillet 1915): elle ne prend pas en considération les contradictions entre le discours social bourgeois et le statut de l'ouvrière, et la loi, en étant uniquement féminine, renforce la division sexuelle du travail et la séparation des sphères publique/privée 15.

La littérature sur le travail des femmes comprend également l'aspect de l'impact de la Grande Guerre sur la condition des femmes. James F. McMillan, dans Housewife or Harlot: The Place of Women in French Society 1870-1940,

est un des premiers historiens à ne pas considérer la guerre 14-18 comme un

Travailleuse », dans Histoire des femmes en Occident: IV. Le XIXe siècle,

chapitre 15, pp. 479-511.

14 Lorraine Coons, « "Neglected Sisters" », p. 59. Sur le même sujet, Marilyn J. Boxer, « Protective Legislation and Home Industry: The Marginalization of Women Workers in Late Nineteenth-Early Twentieth Century France »,

Journal of Social History, 20, Fa" 1986, pp. 45-65. Dans cette article, Boxer rend directement responsable les lois protectrices féminines pour la marginalisation et l'appauvrissement des travailleuses, pour leur désintéressement syndical et pour avoir négligé le problème de conciliation famille-travail.

15 Pour un ouvrage sur le même thème qui incorpore les années de guerre, voir Mary Lynn Stewart, Women, Work, and the French State: Labour

Protection and Social Patriarchy, 1879-1919, Kingston; Montréal; London,

McGiII-Queen's University Press, 1989, pp. 194-195. James F. McMillan a critiqué sévèment cet ouvrage dans un article, « Social History, "New Cultural History," and the Rediscovery of Politics: Sorne Recent Work on Modern France ». " lui reproche, en concentrant son analyse sur les lois sociales et les idées des législateurs, d'avoir négligé la perspective fondamentale des ouvrières (the view'rom below) et ainsi de proposer une vision incomplète (et erronée) du problème de la législation ouvrière.

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moment-clé dans l'histoire du féminisme, mais plutôt comme une période de bouleversements provisoires qui n'a pas changé de façon considérable le statut de l'ouvrière. Selon McMillan, malgré une participation massive des femmes dans l'industrie, le remplacement des emplois masculins, l'amélioration de certaines conditions de travail et l'accroissement momentané de l'activité syndicaliste des ouvrières, le courant de l'idéal domestique favorisé par la société bourgeoise s'est avéré trop puissant (grâce à des campagnes natalistes) pour contrer une remise en question permanente de la division sexuelle du travail à la fin de la guerre 16. Inspiré par le travail de McMillan, Steven C. Hause a analysé plutôt l'impact de la guerre sur le mouvement féministe suffragiste et y a constaté un recul, ce qu'il nomme même un « conservative backlash ». Non seulement les féministes n'ont pas obtenu leur émancipation civique,

conséquence anticipée de leur effort de guerre, ni acquis de progrès législatif ou social important pendant la guerre, elles se sont heurtées à la fin du conflit à l'indifférence de leur gouvernement qui avait d'autres priorités politiques et à l'incompréhension de la population masculine qui favorisait un retour aux rôles traditionnels. De plus, Hause explique l'affaiblissement de la cohésion du

mouvement suffragiste post-1918 par l'opposition conservatrice (pronataliste), la multiplication des intérêts féministes (pacifiste entre autres) et la tentation communiste, qui a scellé la division entre les féministes bourgeoises et socialistes17. L'exploitation de l'effort patriotique des femmes par leur

16 James F. McMillan, Housewife or Harlot: The Place of Women in French Society 1870-1940, New York, St. Martin's Press, 1981,229 p. 17 Steven C. Hause, « More Minerva than Mars: The French Women's Rights

Campaign and the First World War » dans Margaret R. Higonnet et al., Behind the Lines. Gender and the Two World Wars, pp. 99-113. Nous expliquons la relation entre les féministes bourgeoises et les socialistes

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gouvernement est un indice d'une oppression plus systématique. Margaret et Patrice Higonnet, dans leur article, propose le symbole de la double hélice pour illustrer cette subordination constante des femmes dans les relations sexuées: « Even when material conditions for women differ after the war, the fundamental devaluation of the tasks assigned to them remains 18. »

Une autre raison essentielle de l'absence de Gabrielle Duchêne de l'historiographie féministe est le rapport ambivalent entre le féminisme et le pacifisme. En effet, tout comme le syndicalisme d'avant-guerre, les activités pacifistes sont souvent exclues de la conception du féminisme durant la période de 1915 à 1939. Il faut cependant mentionner l'ouvrage de Christine Bard, Les filles de Marianne: histoire des féminismes, 1914-1940, remarquable pour l'inclusion quasi-encyclopédique de la totalité des tendances, des mouvements et des actrices principales du féminisme français, incluant les pacifistes, mais faible surtout dans son apport théorique et ses lacunes référentielles 19. La définition de la relation entre le féminisme et le pacifisme est à la base de nombreux débats entre ceux qui prônent leur union automatique et innée, en mettant l'accent sur la nature spécifiquement féminine, l'état maternel,

instinctivement protectrice de sa progéniture et de la vie humaine en général2o,

d'une part et entre le Parti communiste français et les femmes dans le chapitre 4 de notre thèse.

18 Margaret R. Higonnet et Patrice L.-R. Higonnet, « The Double Helix », dans Margaret R. Higonnet et al., Behind the Lines. Gender and the Two World Wars, p. 35.

19 Bard, op.cit.

20 Danielle Le Bricquir et Odette Thibault (dir.), Féminisme et Pacifisme: même combat, Paris, Les Lettres libres, 1985, 151 p.

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et ceux qui privilégient la théorie d'un lien opportuniste, basé sur un choix politique ou idéologique. Berenice A. Carroll donne d'ailleurs plusieurs arguments pour justifier ce choix d'une lutte féministe et pacifiste:

l'interdépendance entre le patriarcat, l'oppression et la guerre, la suppression de la violence dans les sphères privée et publique, les principes d'égalité et du droit inaliénable à la vie et à la liberté, et le concept de sororité dans l'épanouissement d'une nouvelle conscience politique21.

Cette idée nous mène

à

un second débat historiographique important. L'association politique féminisme/pacifisme dépend-elle de la primauté d'un concept sur l'autre? Jo Vellacott a écrit de nombreux articles sur l'origine de la section anglaise de la Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté (LlFPL) et sur sa participation aux premiers Congrès internationaux. Outre l'établissement d'un rapport étroit entre la tradition féministe suffragiste et le pacifisme féministe dans la section anglaise, relation qui est complètement absente dans l'histoire de la section française, Vellacott démontre avec autorité le caractère radicalement féministe de l'action pacifiste des anglaises: « the core is that the founders of [the] WILPF [Women's International League for Peace and Freedom] held that the contribution of women's ways of thinking were needed at every level, not just to gain better conditions for their sex, but to

21 Berenice A. Carroll, « Feminism and Pacifism: Historieal and Theoretieal Connections », dans Ruth Roach Pierson (ed.), Women and Peace: Theoretieal, Historieal and Praetieal Perspectives, London, Croom Helm, 1987, p. 19. Voir également l'article de Leila J. Rupp, « Constructing Internationalism: The Case of Transnational Women's Organizations, 1888-1945 », Ameriean Historieal Review, 99, 5, décembre 1994, pp. 1571-1600.

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promote change in the whole governance of the wor/d22• » La particularité de leur pacifisme féministe repose sur deux éléments. D'abord, il y a leur volonté de défier le contrôle patriarcal de la sphère domestique en s'appropriant des rôles non-traditionnels (gestes considérés subversifs par le reste de la société), comme assumer le droit de se réunir pacifiquement en temps de guerre et créer par la suite une organisation spécifiquement féminine. En second lieu, le

message véhiculé par les féministes est différent de la politique masculine car basé sur des valeurs alternatives, pacifiques et conciliatoires, qui ne sont pas uniquement associées aux femmes, mais que les hommes ont choisi de ne pas incorporer dans le système des relations internationales23• Pour Vellacott et d'autres historiens, tels Anne Wiltsher, les pacifistes féministes de la LlFPL vont également développer une méthode de travail proprement féminine, une manière de prendre des décisions: « Cone/usions were reached not by imposing the will

22 Jo Vellacott,

«

'Transnationalism' in the Early Women's International League for Peace and Freedom », in Harvey Dyck, ed. The Paeifist Impulse in Historieal Perspective, Toronto, Buffalo, University of Toronto Press, 1996, p. 375. Voir également Johanna Alberti, Beyond Suffrage: Feminists in War and Peaee, 1914-1928, New York, St. Martin's Press, 1989; Lela B. Costin, « Feminism, Pacifism, Internationalism and the 1915 International Congress ofWomen », Women's Studies International Forum, Vol. 5, no 3/4, 1982, pp. 301-315.

23 Jo Vellacott, «Women, Peace and Internationa/ism, 1914-1920: "Finding New Words and Creating New Methods" », dans Charles Chatfield et Peter Van Den Dungen (ed.), Peaee Movements and Politieal Cultures, Knoxville, The University of Tennessee Press, 1986, pp. 106-124. Du même auteur, « Feminist Consciousness and the First World War », dans Ruth Roach Pierson (ed.), Women and Peaee: Theoretiea/, Historieal and Praetieal Perspectives, pp. 114-136; « A Place for Pacifism and

Transnationalism in Feminist Theory: the Early work of the Women's International League for Peace and Freedom », Women's History Review, Vol. 2, no 1, 1993, pp. 23-56.

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of the majority or by evading the issues but by constantly trying to analyze the meaning of opposing arguments and synthesise the two views24. »

L'historiographie de la section française de la LlFPL est tout

à

fait paradoxale et illustre la nécessité d'analyser le mouvement pacifiste féministe français dans une nouvelle perspective. Michel Dreyfus, un des principaux historiens de la section avec Norman Ingram, livre une image confuse de la nature des activités de la LlFPL. Il établit de fausses dichotomies. En effet, il définit la LlFPL comme une organisation pacifiste de femmes, non féministe, d'une part, mais indique qu'elle défend parfois un agenda spécifiquement

féministe et qu'il s'agit du groupe de femmes en France le plus politisé, du moins jusqu'en 1934. Selon Dreyfus, un groupe de femmes politisées n'est pas

nécessairement féministe25. Cette différenciation entre les revendications politiques 'masculines' internationales et celles qui sont féministes nous semble limitée. D'après cette définition, les féministes doivent donc uniquement

24 Anne Wiltsher, Most Dangerous Women. Feminist Peace Campaigners of the

Great War, London, Pandora, 1985, p. 204 et Jo Vellacott,

« 'Transnationalism' in the Early Women's International League for Peace and Freedom », p. 377.

25 Michel Dreyfus, « La Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté », Cahiers du féminisme, no 18, décembre 1981-janvier 1982, pp. 47-50. Michel Dreyfus a publié

à

la même époque un article sur la section française, dans lequel il identifie la Ligue comme « une organisation féministe de masse ». Voir, « Des femmes trotskystes et pacifistes sous le Front populaire », Cahiers Léon Trotsky, no 9,1981, pp. 53. De plus, il persiste en 1993 en affirmant que les revendications féministes sont absentes de la section française car leur but premier est de mobiliser les femmes contre la guerre.

«

Des femmes pacifistes durant les années trente », Matériaux pour l'histoire de notre temps, no 30, janvier-mars

1993, pp. 32-34. Il faut signaler que Valérie Daly dans son travail de recherche reprend le thème du pacifisme féminin en citant Michel Dreyfus. «Gabrielle Duchêne ou "La bourgeoisie impossible" », pp. 60-61.

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s'inquiéter des problèmes féminins. N'est-ce pas jouer le jeu de la division sexuelle des rôles? Il est donc primordial de redonner

à

l'aspect féministe son statut égalitaire dans sa relation au pacifisme. L'étude des particularités proposées par Jo Vellacott, telles les rôles non-traditionnels et le message adressant d'autres solutions et modèles de comportement, est un point de départ intéressant. Nous pourrions même ajouter une autre particularité dans le cas français: la façon dynamique et avant-gardiste par laquelle ce message a été diffusé.

Il est possible de diviser l'historiographie communiste en trois grands thèmes: le lien entre les partis socialiste/communiste et les femmes, les compagnons de route et le rapport entre le communisme et le pacifisme26• Le premier thème a été exploré par Charles Sowerwine dans Sisters or Citizens?

Women and Socialism in France since 1876. Dans cet ouvrage, il explique la

faible participation féminine dans le parti socialiste français (SFIO) entre autres par la rupture au début du 20e siècle entre les femmes socialistes, provenant de la classe ouvrière et de la petite bourgeoisie, et les féministes de la haute bourgeoisie qui ne partageaient pas les mêmes objectifs sociaux-politiques. En effet, d'après les socialistes, telles Louise Saumoneau, les bourgeoises

profitaient du système capitaliste qu'elles cherchaient justement à détruire. Sowerwine justifie donc le choix des femmes dans la SFIO de faire disparaitre les revendications féministes par l'équation qu'elles font entre féminisme et capitalisme. Il analyse également les conséquences liées

à

la primauté de l'émancipation ouvrière au détriment de l'exploitation féminine. En se concentrant

(28)

sur les politiques essentiellement masculines, en acceptant de n'être

représentées que dans des sous-groupes accessoires du parti et en préférant l'illusion de l'égalité dans le parti, les femmes socialistes ont choisi une stratégie perdante à la fois comme socialistes et citoyennes27. Le rapport entre le Parti communiste français (PCF) et les femmes est curieusement un sujet encore très peu étudié. D'ailleurs, Christine Bard et Jean-Louis Robert soulèvent cette question dans la première note de leur article, « The French Communist Party and Women 1920-1939. From "Feminism" to Familialism », sans toufois y offrir de réponse. Leur analyse expose d'abord le discours égalitaire des communistes adressé aux femmes, leur promettant un idéal d'émancipation basée sur le modèle russe. Contrairement aux socialistes, le PCF a très rapidement mis sur pied une stratégie pour attirer les femmes communistes au parti, en valorisant la question féminine et surtout leur travail au sein d'organisations spécifiquement créées pour elles. Cependant, Bard et Robert parviennent aux mêmes

conclusions que Sowerwine: une fois membres des sections communistes féminines, les femmes soumettent leurs revendications féministes aux intérêts masculins du parti et à la cause communiste28• Cette dynamique qui existe entre

27 Charles Sowerwine, Sisters or Citizens? Women and Socialism in France

since 1876, Cambridge, Cambridge University Press, 1982, 241 p. Dans

son article, « French Women in the Crossfire of Class, Sex, Maternity, and Citizenship », Helmut Gruber trouve l'approche de Sowerwine un peu trop réductrice. Tout en reconnaissant le rôle des femmes socialistes dans leur propre marginalisation, Gruber insiste aussi sur la

responsabilité des hommes de la SFIO, qui ont scellé l'isolement des femmes socialistes en perpétuant des comportements agressifs ou une attitude passive envers elles. Dans Pamela Graves et Helmut Gruber (eds.), Women and Socialism. Socialism and Women, New York, Berghahn Books, 1998, Chapter 7.

28 Christine Bard et Jean-Louis Robert, « The French Communist Party and

Women 1920-1939. From "Feminism" to Familialism », Dans Pamela Graves et Helmut Gruber (eds.), Women and Socialism. Socialism and

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les partis socialiste et communiste francais et les femmes permet de mieux comprendre les réticences de certaines féministes de s'engager dans le cadre restreint d'une structure organisationelle qui utilise comme appât, puis pervertit, la nature même du féminisme.

Le deuxième thème de l'historiographie communiste est celui des

compagnons de route, c'est-à-dire des sympathisants du communisme qui n'ont jamais adhéré au Parti. L'ouvrage fondateur et le seul écrit uniquement sur le sujet est celui de David Caute, Les compagnons de route, 1917-1968. L'auteur décrit, sans disposition ou chronologie particulières, les individus et groupements qui correspondent à sa définition du compagnon de route: un individu

habituellement d'origine bourgeoise, non-marxiste, attaché aux valeurs républicaines et démocratiques, mais qui voit dans l'URSS et dans le

communisme un nouvel idéal de société29. Sans vouloir minimiser l'importance du travail de Caute, la littérature récente sur la manipulation communiste des compagnons de route nous apparaît un aspect plus significatif pour comprendre le phénomène. Par exemple, Stephen Koch, dans La fin de l'innocence. Les intellectuels d'Occident et la tentation stalinienne: trente ans de guerre secrète, dévoile les mécanismes de manipulation mis en place par le Comintern pour

Women, Chapter 8. Voir également, Jacqueline Tardivel, « Des

pacifistes aux résistantes, les militantes communistes en France, dans l'entre-deux guerre », Thèse, Université de Paris-7, 1993.

29 David Caute, Les compagnons de route, 1917-1968, Paris, Robert Laffont, 1979, pp. 11-27. Voir aussi du même auteur Le Communisme et les intellectuels français, 1914-1966, Paris, Gallimard, 1967.

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maximiser le travail des compagnons de route en faveur de l'URSS. Cependant, il insiste sur la sincérité du nouvel 'humanisme communiste' de ces derniers et sur leur ignorance face

à

l'ampleur des machinations soviétiques3o. Cette vision est de plus en plus partagée par les historiens du communisme comme le démontrent l'étude essentielle de Sophie Coeuré sur la propagande soviétique en France et son impact sur les réseaux français de compagnons de route31, l'analyse de Rachel Mazuy des voyages organisés et guidés des Français en URSS pour les transformer en fidèles sympathisants communistes32, et les quelques biographies de Willi Münzenberg, le cerveau et principal organisateur de la manipulation33•

30 Stephen Koch, La fin de /'innocence. Les intellectuels d'Occident et la tentation stalinienne: trente de guerre secrère, Paris, Grasset, 1995.

31 Sophie Coeuré, La grande lueur à J'Est, Paris, Seuil, 1999. Voir également du même auteur,« Les 'Fêtes d'Octobre' 1927 à Moscou », Communisme, nos 42-43-44, 1995, pp. 60-66.

32 Rachel Mazuy, Croire plutôt que voir? Voyages en Russie soviétique (1919-1939), Paris, Odile Jacob, 2002. Voir également, « Les 'Amis de l'URSS' et le voyage en Union soviétique. La mise en scène d'une conversion (1933-1939) », Politix, no 18, 1992, pp. 108-128; « Les militants en voyage, le pouvoir soviétique et l'information dans les années vingt », Cahiers d'histoire, no 66, 1997, pp. 75-85.

33" n'existe que deux biographies de Willi Münzenberg: la première, de sa compagne Babette Gross, Willi Münzenberg: a Political Biography, Lansing, Michigan State University Press, 1974, est intéressante car elle offre un premier aperçu dans la vie de ce mystérieux personnage, mais le manque d'objectivité de Gross diminue considérablement la crédibilité de l'ouvrage. L'autre biographie écrite par Sean McMeekin, The Red

Millionnaire.

A

Political Biography of Willi Münzenberg, Moscow's Secret Propaganda Tsar in the West, New Haven, Yale University Press, 2003, soutient l'idée des compagnons de route et des pacifistes manipulés. " ne faut pas négliger les textes de différents auteurs sur plusieurs facettes de l'activité de Willi Münzenberg, telles sa maîtrise des techniques de propagande par Jean-Michel Palmier (pp.39-57) ou la formation des fronts auxiliaires pour attirer les compagnons de route par Yves

Santamaria (pp. 91-98), rassemblés dans Willi Münzenberg. Un homme contre, Actes du COlloque international d'Aix-en-Provence, 26-29 mars

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Le dernier thème de la littérature communiste est le rapport entre les communistes et le pacifisme durant la période de l'entre-deux guerre. Yves Santamaria explique dans L'enfant du malheur. Le Parti communiste français dans la Lutte pour la paix

(1914-1947), la relation entre les stratégies politiques

opportunistes (téléologique) du Comintern et les niveaux de discours, interne (à l'intérieur du PCF) et public (propagandiste). Il en expose les nombreux

décalages et contradictions. Cette analyse nous permet de mettre en contexte les tentatives de manipulation des communistes du concept de la lutte pour la paix dans le but de monopoliser ou de neutraliser le mouvement pacifiste français, bref de pervertir l'idéal pacifiste pour des fins politiques34. Cette

littérature, sur les liens entre le communisme et les femmes, les compagnons de routes et la paix, a comme point commun le thème de la manipulation: du

discours féministe, de l'idéal soviétique des sympathisants et des organisations

1992, Aix-en-Provence, Bibliothèque Méjanes, Institut de l'image, Aubervilliers, Le Temps des Cerises, 1993.

34 Yves Santamaria, L'enfant du malheur. Le Parti communiste français dans la Lutte pour la paix

(1914-1947), Paris, Seli Arslan, 2002. Michel Dreyfus et

Rachel Mazuy ont également démontré ce phénomène dans leur travail respectif sur le Rassemblement universel pour la paix (RUP), une organisation pacifiste de masse créée officiellement en 1936. Par contre, les deux s'affrontent sur l'ampleur du contrôle des communistes. Rachel Mazuy soutient l'argument d'une influence constante des communistes jusqu'au pacte germano-soviétique en août 1939, tandis que Michel Dreyfus distingue, après la crise de Munich en 1938, un

'désinvestissement' communiste envers le RUP. Rachel Mazuy, « Le Rassemblement universel pour la paix (1935-1939): une organisation de masse?

»,

Matériaux pour l'histoire de notre temps, no 30, janvier-mars 1993, pp. 40-44 et Michel Dreyfus, « Le Parti communiste français et la lutte pour la paix du Front Populaire à la Seconde Guerre mondiale », Communisme. nos 18-19. 1988. pp. 98-107. Voir également le compte-rendu du pacifisme sélectif du PCF de Julie Simonet, « Les idéologies pacifistes en France au XXe siècle », Regards sur l'actualité, no 170, avril 1991, pp. 20-22, et Lilly Marcou,« La Ille Internationale et le problème de la guerre, bilan historiographique

»,

dans Les Internationales et le

problème de la guerre au ><Xe siècle, Actes du colloque, Paris, Ecole française de Rome/De Boccard, 1987, pp. 27-50.

(32)

pacifistes. Cette nouvelle approche apporte évidemment une toute autre perspective

à

l'historiographie antifasciste.

" existe très peu d'ouvrages qui se consacrent uniquement à l'histoire de l'antifascisme. Jacques Droz, Histoire de l'antifascisme en Europe, 1923-1939, et Larry Ceplair, Under the Shadow of War. Fascism, Anti-Fascism, and Marxists, 1918-1939, réservent dans leur analyse respective un chapitre

à

l'antifascisme français. Ceplair offre un exposé chronologique des réactions des partis socialiste et communiste face aux événements politiques français et

internationaux, tandis que Droz, tout en suivant également ce schéma, élargit son examen

à

l'antifascisme des milieux intellectuels et chrétiens35. Nicole Racine a écrit un article sur le lien étroit entre l'antifascisme en France dans les années trente et les compagnons de route. Elle cible le point de départ de cette convergence vers 1934-1935, lorsque la nouvelle ligne politique stalinienne a permis l'abandon de la stratégie classe contre classe et favorisé plutôt l'unité d'action contre le fascisme. Cependant, les exemples qu'elle donne

d'intellectuels antifascistes et compagnons de route, soit André Gide, André Malraux et Romain Rolland ont des conversions antérieures aux dates

proposées par l'auteur36• Par ailleurs, il existe une abondante littérature sur les

35 Jacques Droz, Histoire de l'antifascisme en Europe, 1923-1939, Paris, Editions La Découverte, 1985, pp. 177-211; Larry Ceplair, Fascism, Anti-Fascism,

and Marxists, 1918-1939, New York, Columbia University Press, 1987,

pp. 123-153.

36 Nicole Racine, « Une cause. l'antifascisme des intellectuels dans les années trente », Politix, no 17, avri/1992, pp. 79-85. Voir également du même auteur, un article sur une organisation antifasciste de la gauche non communiste, « Le Comité de vigilance des intellectuels antifascistes (1934-1939). Antifascisme et pacifisme », Le Mouvement social, no 101,

octobre-décembre 1977, pp. 87-113;

«

La gauche intellectuelle pacifiste en France devant les menaces de guerre (1933-1939) » in Carlo Vallauri

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fronts auxiliaires antifascistes créés par les communistes, tels le Mouvement Amsterdam-Pleyel, dont les Congrès se sont tenus en 1932 et 1933 et auxquels ont participé de nombreux compagnons de route. Toutefois, il est intéressant de signaler que Jocelyne Prezeau, qui est une des premières

à

avoir exploré le Mouvement Amsterdam-Pleyel, ne tient pas compte, dans son article initial, de l'emprise occulte des communistes sur l'organisation des Congrès antifascistes. Elle nie donc toute responsabilité aux communistes pour l'initiative du

mouvement, qu'elle attribue uniquement au concours indépendant de deux intellectuels, Romain Rolland et Henri Barbusse37. Elle va publier dix années plus tard un autre article dans lequel elle reconnaît cette fois la relation privilégiée entre le PCF et Henri Barbusse et confirme les tractations communistes pour contrôler secrètement le mouvement antifasciste, tout en maintenant un discours d'unité et d'inclusion38•

et Grasiccia Giuseppina (dir.), Modelli culturali e stato sociale negli anni trenta, Florence, Felice Le mon nier, 1988, pp. 123-130; « La revue Europe (1923-1939). Du pacifisme rollandien

à

l'antifascisme compagnon de route », Matériaux pour l'histoire de notre temps, no 30, janvier-mars 1993, pp. 21-26.

37 Jocelyne Prezeau, «Vers l'unité antifasciste: le rôle d'Amsterdam-Pleyel », Cahiers d'histoire de l'Institut Maurice-Thorez, no 10,1974, pp. 55-64. De plus, l'auteur affirme une autre inexactitude en prétendant que le

mouvement Amsterdam-Pleyel avait « une plateforme bien spécifique» (p. 57), la lutte contre le fascisme, lorsque ces mots d'ordre ont été presque totalement absents du Congrès. Yves Santamaria souligne justement ces incohérences dans « Un prototype toutes missions: le Comité de lutte contre la guerre, dit "Amsterdam-Pleyel", 1932-1936 », Communisme, nos 18-19, 1988, pp. 71-97.

38 Jocelyne Prezeau, « Le Mouvement Amsterdam-Pleyel (1932-1934). Un champ d'essai du Front unique », Cahiers d'histoire de l'Institut de

recherches marxistes. no 18. 1984, pp. 85-99. Voir également, Madeleine Rebérioux, « L'apport d'Amsterdam-Pleyel

à

la préhistoire du Front populaire », Cahiers Henri Barbusse, no 12, novembre 1986; André Picciola, « Conscience de l'antifascisme dans la lutte pour la paix. L'itinéraire d'Henri Barbusse» in La guerre et la paix dans les lettres françaises de la guerre du Rif à la guerre d'Espagne, 1925-1939, Reims, Presses universitaires de Reims, 1983, pp. 98-105 et dans le même

(34)

Un débat important dans l'historiographie antifasciste est l'impact du mouvement sur la nature du pacifisme des féministes. Sandi E. Cooper, dans « Pacifism, Feminism, and Fascism in Interwar France », critique le jugement de Norman Ingram qu'elle considère trop sévère envers les pacifistes féministes de la section française de la Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté (LlFPL)39. En effet, dans son ouvrage, Politics of Dissent, Norman Ingram déplore leur évolution du pacifisme nouveau style (intégral, idéaliste, moral et sectaire) au pacifisme ancien style (idéologique, réaliste, qui préconise l'action politique collective) car elles ont sacrifié en quelque sorte au passage leur spécificité féministe: « the only genuinely avant-garde French feminist

contribution to the pacifist debate [became] a mirror image of the ideologically divided world of mainstream French pacifism40. » Contrairement à Michel Dreyfus qui ne voit pas du tout l'aspect féministe de la Ligue, Ingram considère justement que l'originalité de la section française dans les années vingt réside dans son féminisme, mais qu'il s'étiole au contact des valeurs néo-marxistes (jamais vraiment définies d'ailleurs) de sa dirigeante, Gabrielle Duchêne, jusqu'à un point où« one can arguably see signs of the faint Stalinization of Gabrielle

Duchêne41». Cette analyse illustre une limite importante de l'historiographie du pacifisme féministe français dans les années trente: l'absence du contexte antifasciste, essentiel à une compréhension totale de l'histoire de la section

ouvrage, Bernard Duchatelet, « Romain Rolland et la préparation du Congrès d'Amsterdam », pp.

114-123.

39 Sandi E. Cooper, « Pacifism, Feminism, and Fascism in Interwar France »,

The Intemational History Review, vol.

19, no 1,1997, pp.

103-114.

40 Norman Ingram, The Politics of Dissent: Pacifism in France, 1919-1939,

Oxford, Clarendon Press, 1991, pp. 251-252.

41 Ibid., p. 284. Il faut noter que Norman Ingram utilise cette expression pour définir l'attitude de Gabrielle Duchêne dans un contexte bien précis:

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française de la LlFPL et de l'expérience militante de Gabrielle Duchêne42• L'antifascisme n'est pas le propos principal de l'ouvrage de Norman Ingram, puisque le pacifisme féministe de la LlFPL ne représente que la troisième partie de son livre. Par contre, son apport est fondamental puisque son travail, en inspirant le débat, a contribué à intéresser de nombreux chercheurs au sujet.

Sandi E. Cooper propose une dimension plus positive pour définir la nature du pacifisme réaliste (ou progressiste) des féministes devant la menace hitlérienne: « French feminists of Duchêne's outlook were clearsighted from the beginning. Hitler's regime accomplished in six months what had taken Mussolini several years - the legal removal of women from ail public positions43. » Cette position des pacifistes féministes, qu'elle qualifie de « mature peace realpolitik », est également partagée par Sian Reynolds, mais dans un contexte différent. Dans un chapitre de son livre, France between the Wars: Gender and Politics, Reynolds s'est intéressée au pacifisme 'politisé' de la section française de la LlFPL dans les années trente, exacerbé par son engagement antifasciste. Elle a étudié la diversité des expériences politiques des féministes. L'image complexe qui en ressort est celle d'un groupe concerné par les grands débats de leur

l'opposition, à partir de 1936, entre le Secrétariat central de la section et le groupe de Lyon, composé de trotskystes.

42 Michel Dreyfus reconnaît le rôle incontournable joué par le mouvement antifasciste dans l'engagement de Gabrielle Duchêne à travers la

description des principaux éditoriaux des journaux de la section française de la LlFPL, sans toutefois en analyser les enjeux. « Des femmes pacifistes durant les années trente », Matériaux pour l'histoire de notre temps, no 30, janvier-mars 1993, pp. 32-34.

43 Sandi E. Cooper, « Pacifism, Feminism, and Fascism in Interwar France », p.

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temps, malgré leur exclusion de la sphère politique, mais avec des réactions et des discours qui leur sont propres, des moyens différents de les exprimer, et des interactions particulières entre les groupes régionaux et la direction centrale44• Malgré les perspectives de ces auteurs, nous sommes forcés de constater deux lacunes fondamentales: l'absence d'histoire qui expliquerait la convergence entre le mouvement antifasciste et le pacifisme féministe et l'omission générale des femmes dans l'historiographie antifasciste. D'ailleurs, la revue de littérature que nous venons d'effectuer nous interpelle par la réalisation de l'ampleur du travail qu'il reste à accomplir dans le domaine du pacifisme, du communisme et de l'antifascisme pour le développement de l'histoire des femmes. L'itinéraire de Gabrielle Duchêne, en illustrant la rencontre des différents mouvements

féministe, syndicaliste, pacifiste, communiste et antifasciste, nous apparaît alors un point de départ idéal.

Méthodologie/Problématique

Notre analyse s'insère dans une histoire féministe genrée et non une histoire du genre. La différence est dans l'approche méthodologique. En effet, nous utilisons le genre comme outil d'analyse plutôt que comme catégorie d'analyse, pour reprendre l'expression de Joan W. Scott, sa principale

44 Sian Reynolds, « War and Peace: Assent and Dissent », dans France belween

the Wars. Gender and Po/itics, London: Routledge, 1996, Chapitre 8, pp.

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théoricienne aux États-Unis. L'histoire du genre peut être définie comme l'étude des différences sexuelles, des facteurs associés à la masculinité et à la féminité, en tant que construction sociale. Scott s'inspire de la théorie poststructuraliste (Foucault, Derrida, Lacan), c'est-à-dire de l'analyse du langage, de ses

représentations et des champs discursifs, et du concept de déconstruction pour démontrer les fausses oppositions sur lesquelles repose l'histoire du

féminisme45. Cette méthode d'analyse est encore l'enjeu de nombreux débats sur sa pertinence, son application pratique et son utilité pour l'histoire des femmes. Par exemple, Louise Tilly déplore la manière dont le genre ignore le facteur humain, la chronologie et le contexte historique46, tandis que Judith Bennett trouve que l'histoire du genre exclut les femmes comme sujets: « it evinces very fittle interest in material reality ( focusing on symbols and metaphors rather than on experience); and it intellectualizes and abstracts the inequality of

L'approche poststructuraliste est donc définitivement écartée de notre analyse. Dans son introduction au cinquième tome de l' Histoire des femmes en Occident. Le XXe siècle, Françoise Thébaud donne une définition à l'histoire du genre qui convient mieux à notre travail: « approche sexuée des phénomènes, des événements, des sociétés et de la construction des identités »48. Cette

45 Joan W. Scott, « Gender: A Useful Category of Historical Analysis », dans Gender and the Politics of History, New York, Columbia University Press, 1999, pp. 28-50.

46 Louise A. Tilly, « Gender, Women's History and Social History », Social Science History, vol. 13, no 4, Hiver 1989, pp. 439-462.

47 Judith M. Bennett, « Feminism and History », Gender & History, vol. 1, no 3, Automne 1989, p. 258.

48 Françoise Thébaud, « Dix ans plus tard », dans Histoire des femmes en Occident. V. Le XXe siècle, p.

40.

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