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Adaptation, suivi de, Récit écrit, récit filmique : les six contes moraux de Rohmer

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Academic year: 2021

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Texte intégral

(1)

Suivi de

Récit écrit. récit filmique: les Six contes moraux de Rohmer

par

Séverine KANDELMAN

Mémoire de maîtrise soumis à

l'Université McGill

en vue de l'obtention du diplôme de Maîtrise ès Lettres

Département de langue et littérature françaises Université McGilI

Montréal, Québec

Octobre 2003

(2)

1+1

Published Heritage Branch Direction du Patrimoine de l'édition 395 Wellington Street

Ottawa ON K1A ON4 Canada

395, rue Wellington Ottawa ON K1A ON4 Canada

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Conformément

à

la loi canadienne sur la protection de la vie privée, quelques formulaires secondaires ont été enlevés de cette thèse. Bien que ces formulaires aient inclus dans la pagination, il n'y aura aucun contenu manquant.

(3)

Je tiens

à

remercier mes parents pour leur soutien inégalé, amsl que le

(4)

L'ennui quand on écrit, c'est qu'on ne sait jamais s'il faut dire: "quandje suis sorti il

pleuvait" ou bien" il pleuvait quand je suis sorti'~ Au cinéma c'est simple, on montre les deux en même temps.

(5)

Résumé

Dans Je cadre du volet création, lai travaillé à radaptation cinématographique de deux· nouvelles en court-métrages. Mon premier scénario est une rêverie libre à partir de «L'Alliance», nouvelle de Mavis Gallant à la structure temporelle floue, elliptique. Je me suis ensuite penchée sur «Attention», un texte de Raymond Carver. La précision du style de Carver, son souci du détail, de la matérialité, comme expression de l'intériorité, du mal être des personnages, a quelque chose en soi de quasi cinématographique. Ce type d'écriture sous-tend un travail d'adaptation différent du premier, à savoir, beaucoup plus proche du texte original.

Ce volet création soulève un certain nombre de questions quant à la manière d'envisager le texte littéraire au cours de l'écriture d'un scénario. Devrait-on le respecter à la lettre, ou plutôt choisir de s'en éloigner au risque de le trahir? Comment poser, imposer ses mots, sa vision, sa voix à l' (euvre d'un(e) autre? Ma réflexion critique se propose d'explorer la position particulière de celui ou celle qui réécrit, adapte, pour le cinéma.

Je me suis tout spécialement intéressée au cas d'un auteur ayant lui-même adapté son œuvre pour l'écran. Son expérience littéraire lui étant apparue. comme incomplète, insatisfaisante, Éric Rohmer a ressenti le besoin de réécrire les nouvelles de ses Six Contes moraux pour le cinéma. Dans sa préface au recueil de nouvelles, paru en 1974, Rohmer se penche sur les rapports qu'il. entretient à la littérature et·au cinéma. TI pose. alors les jalons. d'une vaste réflexion sur la création et, plus précisément, sur les possibilités respectives qu'ont su lui· offrir les médiums de l'écrit et de l'écran. Mon travail critique visera à expliciter l'enjeu de la réécriture de ces Six Contes moraux .pour le cinéma.

(6)

Abstract

For the creative writing part of my Masters Thesis, 1 adapted two short stories .into short films. My first screenplay is a free reyerie based on Mavis Gallant's «Wedding Ring», a highly blurred and elliptic story .

.I

then chos~ to work on «Careful», a text by Raymond Carver.. Carver's writiQg is very concise and detail oriented. In itself, it is already almost cinematographic. The external gestures, the outside world express the €haracter's interiority and existential uneasiness. This kind of writing calis for a different approach to adaptation. One that is, in the case of my personal work, much closer to the original text.

My creative writing enterprise raises a certain number of questions regarding the essence of the adaptation process. How should one consider a text when adapting it? Should one stay close to the original, or choose to move away from it, at the risk ofbetrayal? To what extent can one impose one's own vision, voice, words upon somebody else's work? My critical essay will explore the particular position of the person adapting original texts for cmema

1 will focus more specifically on the case of French author, Éric Rohmer, who rewrote sorne ofhis own literary work for cinema. Unsatisfied with the written form ofbis Six Contes moraux short stories, Rohmer felt the need to adapt them to the screen. In the preface to bis collection of stories, published in 1974, Rohmer speaks of his relationship to literature and cinema. He thus sets the ground for a vast reflection on the different creative possibilities offered by these mediums. The critical section of my Master's thesis will explore what is at stake in this process of rewriting the Six contes moraux from the literary to the cinematographic form.

(7)

Table des matières

Exergue ... 11

Résumé ... iii

Abstract. ... .iv

Table des matières ... v

Volet création: Adaptation L'Alliance... 8

Attention ... 28

Bibliographie . ... 49

Volet critique: Récit écrit, récit fdmique: les Six contes moraux1 de Rohmer Introduction ... 51

1. Quelques notions théoriques sur le récit écrit et filmique ... 54

- Pourquoi parler de récit à propos des Contes moraux? - Qu'est-ce qu'un récit? - Récit écrit versus récit filmique II. Caractéristiques propres au récit des Six contes moraux (écrit et filmique): un récit trompeur et mensonger ... 58

- "Ma nuit chez Maud" ou le règne du mensonge - La mise en scène de l'illusion romanesque - Le mensonge à l'écrit et à l'écran - La parole au cœur du mensonge rohmérien III. Le point de vue de la caméra et la nouvelle dimension du récit... ... 65

- L'influence marquante de la théorie de l'objectivité d'André Bazin - L'esthétique réaliste de Rohmer

- Une œuvre filmique qui relève du chiasme entre dire et montrer - Opacité de l'œuvre

1 Note technique: lorsque nous parlons des Six contes moraux, nous parlons des films. Le recueil de nouvelles sera souligné. Il arrivera que l'on parle des Contes moraux en considérant tant le récit écrit que filmique. N'apparaîtra alors aucune marque typographique.

(8)

IV. Considérations sur les qualités proprement cinématographiques et artistiques des Six contes moraux ... ... 72

- Le "cinéma dans le cinéma": mise en abîme de notre propre rapport à l'image - Réflexion sur l'essence du langage

- La parole en mouvement

- Le cinéma pour nous apprendre à voir - Qualités artistiques des nouvelles

Conclusion ... ... 80

(9)

VOLET CRÉATION

Adaptation

(10)

L'Alliance

(11)

SYNOPSIS

Une femme dans la trentaine (Jane) retourne dans la maison du Vermont où, petite, elle passait ses étés. Cette maison vient probablement d'être vendue puisque la pièce où se trouve Jane est vide. Je dis "probablement" car je ne veux pas que cela soit une donne fondamentale du film. TI s'agit de voir en ce retour sur les lieux de l'enfance un pèlerinage qui suscite chez la jeune femme, la réminiscence. Jane ouvre les volets en bois de la maison fermée et regarde par la fenêtre. Nous plongeons alors dans le temps du souvenir (film introspectif, intimiste).

Jane se rappelle comme sa mère était au «zénithl» de sa beauté l'été où ses parents se séparèrent. Elle se souvient du jeune et bel invité lui rendant visite lorsque son père n'était pas là, et du départ en train pour Boston où ce qui ne devait durer que quelques jours marqua une vIe ...

(12)

Au cœur de ces vacances, il y a aussi l'éclat de la rivière aux pierres «couleur de truite2», l'odeur du gros savon de Marseille, les draps de coton rigides sentant la lavande, le champ de maïs doré et la musique des Carpenters alors si populaire.

Le film se clôt sur l'image d'une alliance jetée par la fenêtre de la maison. À qui appartient-elle? S'agit-il de l'alliance de la mère, ou de celle de Jane, vingt ans plus tard, reproduisant le même geste, «[l]es mains de [s]a mère ét[ant] petites comme les [s]iennes\>?

STRUCTURE

Le court-métrage, que je propose dure une vingtaine de minutes, a un rythme lent et peu de paroles. Il est construit en dix-huit scènes autour d'unjlash back qui nous plonge dans les années soixante.

Le texte de Mavis Gallant joue sur la superposition, l'enchevêtrement des regards de la narratrice à différentes périodes de sa vie. TI est basé sur l'ambiguïté, la porosité de la réalité. On glisse constamment du regard de l'enfance à l'imaginaire, au regard rétrospectif et analytique de l'âge adulte. Que se passe-t-il réellement dans cette nouvelle? Les interprétations sont multiples.

Aussi ai-je choisi de construire mon scénario autour de l'ambiguïté d'un jlash back (souvenir de Jane petite) laissant place au flou, à l'interprétation. L'alliance jetée par la fenêtre peut être perçue comme celle de la mère, concept imagé que la petite fille aurait besoin de mettre sur la séparation de ses parents, ou encore celle de Jane, vingt ans plus tard qui, dans l'optique de l'éternelle répétition des choses, vivrait la dissolution de son couple.

2 ibid., p. 15.

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PERSONNAGES

Jane adulte: Jane a la mi-trentaine, le même âge que sa mère dans le temps dujlash back.

Elle lui ressemble d'allure. Grande, élancée, le même chignon. Jane est plutôt jolie mais a le visage fatigué, déjà marqué par la vie.

Jane enfant: Petite fille de dix ans vouant à la fois admiration, amour et jalousie pour sa mère.

Mère (Nelly): Mi-trentaine. Beauté, sensualité à ses dernières heures. Son aventure avec le jeune invité n'a en soi rien d'important mais apparaît comme l'exaltation du besoin de séduire, chant ultime pour se rattacher à la jeunesse. La mère entretient une relation difficile avec sa fille. Elle est à une période de sa vie où Jane lui rappelle qu'elle n'est plus toute jeune et elle lui en veut indirectement. Elle a envie de vivre une passion exclusive, de ne penser qu'à elle. Père: Le père n'est pas sans reproches. TI a probablement eu des aventures de son côté à Montréal et lésé sa femme. Il apparaît néanmoins plus responsable que la mère à l'égard de sa fille.

Le jeune invité: La vingtaine. Rôle secondaire. Beau jeune homme qw vit une de ses premières aventures et se plaît à séduire une femme mûre.

(14)

SCÉNARIO

Scène 1

Intérieur. Jour. Vieille maison où, petite, Jane passait ses vacances. Elle y revient plus âgée (trente-cinq ans) pour un dernier pèlerinage. La maison vient d'être vendue. Ouverture sur une pièce sombre et vide. Rien d'autre que le vide de cette pièce ne sous-entend la vente de la maison, l'essentiel étant dans la réminiscence, le vo)4lge introspectif suscité par le lieu. - On est dans une pièce sombre et vide (aucun meuble). Il n'y a pas de lumière du jour.

- Dans l'obscurité, on voit se dessiner le corps d'une femme élancée (Jane) qui s'approche d'une fenêtre fermée. On entend ses pas sur le plancher qui craque. La caméra s'est rapprochée d'elle et la filme de dos. Jane ouvre la fenêtre en forçant un moment sur le crochet des volets qu'elle finit par décoincer. Ils s'ouvrent en grinçant. La lumière entre dans la pièce vide.

- On voit Jane à la fenêtre. Elle est dans la trentaine, plutôt jolie (d'une beauté non conventionnelle), mais elle a le visage abîmé, fatigué. Ses cheveux bruns sont relevés en chignon.

- Le ciel est gris, voilé par des « nuages crémeux4 ». À la fenêtre est accroché un bac à fleurs rempli de terre sèche. Plan sur la main de Jane qui caresse la terre ocre et

r

effrite sous ses doigts. Jane porte une alliance discrète.

- Plan sur le visage de Jane. Les yeux tristes, elle regarde au loin. On voit maintenant la nature en face d'elle grâce à un plan en contre-plongée.

n

y a un champ de maïs déjà récolté. Leurs feuilles sèches bougent avec le vent. De grands érables bordent le terrain. On voit et on entend le vent dans les feuilles qui commencent à jaunir.

(15)

Scène 2

Extérieur. Jour. Au bord d'une petite rivière. Une journée d'été éclatante.

Dans la séquence précédente on voyait ce que Jane voyait. Mais son regard s'est projeté au-delà du paysage. On est désormais dans le flash-back La petite fille ici présente est Jane (dix ans) près de cette même maison.

- Plan de profil sur une petite fille de dix ans (Jane). Elle est allongée sur le ventre, sur un lit de camp en toile au milieu de hautes herbes. Elle porte un maillot de couleur pâle et a la moitié du visage caché dans le creux de son bras doré par le soleil.

- n

fait très beau. On entend de

r

eau qui coule mais on ne la voit pas. Plan sur les yeux de la petite fine pendant quelques secondes. Puis le plan s'élargit. On voit ce qu'elle voit. - On est au bord d'une petite rivière. Debout face à

r

eau, une silhouette élancée aux formes féminines (la mère de Jane) regarde la rivière et hésite à s'y tremper. Elle porte un maillot rouge et doit avoir la mi-trentaine. De longs cheveux blonds lui tombent au milieu du dos. Ils brillent avec le soleil et suivent ses mouvements. On sent que le soleil tape.

- On entend le bruit d'une radio au loin. Quelqu'un est en train de chercher un poste. On entend les grésillements. Une chanson américaine joyeuse se fait finalement entendre.

- On voit Jane se lever et marcher prudemment, pieds nus, sur les petits cailloux aux reflets rose terre. Elle rejoint sa mère, au bord de

r

eau, qui tient un gros savon de Marseille.

- Sa mère la regarde. Elle paraît songeuse. Jane lui prend la main: «On y m maman?». Elles s'avancent toutes deux vers un gros rocher au milieu de l'eau. La caméra les filme de dos. - Jane s'agenouille sur le rocher, tandis que sa mère s'accroupit dans la rivière. La mère se mouille les cheveux avec de

r

eau qu'elle prend dans ses mains. Jane la regarde.

La mère: « Viens un peu que je te lave les cheveux, Jane ».

- La petite fille descend de son rocher. Sa mère lui mouille les cheveux et les lui savonne vigoureusement. Jane sourit et plisse les yeux sous les gestes de sa mère.

(16)

La mère: « Rholala quand on est brune le soleil... Autant il rend mes cheveux légers et fins mais toi... Si tu ne fais pas plus attention et ne les couvre pas, ils vont s'enlaidir comme une vieille rondelle de fourneau rouillée.

»

La mère termine le shampoing de sa fille, lui rince les cheveux et commence à laver les siens. Ses gestes sont délicats. Des gouttes d'eau ruissellent sur sa peau dorée. Jane barbote et observe, admirative, sa mère qui se rince en plongeant dans la rivière.

- La petite sort de l'eau en courant. Elle marche jusqu'à son lit de camp au milieu des hautes herbes. Par terre, se trouve sa paire de sandales blanches. Elle s'accroupit pour les attacher. - Jane se lève et traverse les hautes herbes qui la séparent de la maison. La caméra la suit un moment et s'arrête au niveau des herbes. On voit Jane, de dos, s'avançant sur un petit chemin de gravier qui mène à la maison.

- La maison est en bois blanc avec des volets ouverts. Jane commence à courir sur le chemin de gravier. Elle monte les escaliers de la véranda et ouvre la porte-moustiquaire qu'on voit se refermer en claquant.

Scène 3

Intérieur. Jour. Dans la cuisine et sur la véranda.

- On suit Jane de la véranda jusqu'à la cuisine.

- On voit rapidement la pièce dans son ensemble. L'éclairage est plutôt sombre. Les planchers et les murs sont en bois. TI y a une fenêtre à petits carreaux, à travers laquelle passent quelques rayons de lumière. Le mobilier est simple: une table et quatre chaises.

- Un petit garçon de huit ans (le cousin de Jane) est assis à la table. TI décapsule une canette de soda Le transistor de la cuisine est allumé (celui qu'on entendait du bord de la rivière). Le volume en est fort. On entend la voix d'un animateur.

(17)

- Sur la table est posé un petit lance-pierre. Jane et le garçon n'échangent aucune parole. Jane n'est d'ailleurs plus dans la cuisine. Elle réapparaît après quelques secondes sous le cadre de la porte qui mène au séjour (pièce adjacente), les yeux posés sur le grand chapeau de paille qu'elle tient entre les mains. Jane retraverse la cuisine pour sortir sur la véranda. La caméra la suit.

- On voit Jane, de face, et la nature qui l'entoure. On entend des rires légers de femme. Jane les entend aussi. La caméra filme les yeux de la petite fille. On voit ensuite ce que Jane regarde.

- Jane cherche derrière les hautes herbes. Sa mère n'y est plus. Les lits de camp sont vides. La caméra parcourt rapidement la nature (comme s'il s'agissait du regard agité de la petite fille) et s'arrête vers la droite du terrain. On aperçoit la silhouette de la mère derrière les gerbes de maïs mûrissants. Elle est accompagnée par un jeune homme.

- Plan sur Jane. Elle a toujours son chapeau dans les mains mais ne le regarde plus. Elle fixe le champ de maïs. On entend les grillons.

Scène 4

Extérieur. Jour. Lumière éclatante. Course dans le champ de maïs.

- Jane court à toute allure dans le champ de maïs. On la suit de dos, un peu en hauteur, pendant une bonne vingtaine de secondes. La lumière est forte. On entend la respiration haletante de la petite fille, mêlée au bruit des hautes feuilles qu'elle écarte pour passer. Elle n'a plus son chapeau.

- Jane s'arrête brusquement à l'endroit où se termine la plantation. Elle s'accroupit. On entend qu'elle respire fort, essoufflée par la course. On la voit de face, cachée derrière les branches vertes du champ de maïs. On entend la voix de sa mère. Changement de plan. On voit ce que Jane regarde.

(18)

- Sa mère marche pieds-nus dans le champ d'herbe rase. Elle porte son maillot rouge autour duquel elle a noué un paréo de même couleur. Sa démarche est féminine et légère. Ses longs cheveux suivent ses mouvements et caressent ses formes rondes. Elle tient une paire de sandales à la main.

- À côté d'eUe marche un jeune homme dans les débuts de la vingtaine (leur différence d'âge doit être visible). Assez beau garçon, grand, brun. Il est vêtu d'un bermuda et d'une chemisette entrouverte.

- On les entend parler mais de manière peu distincte. En marchant, le jeune homme effleure de sa main le bras doré de la mère. Elle le regarde avec des yeux rieurs.

- Jane sort brusquement des broussailles. Les deux ne semblent pas étonnés. Le jeune homme lui sourit et veut lui prendre la main, mais Jane détourne le regard et s'avance vers sa mère. Celle-ci lui passe une main dans les cheveux et dit: «Oh toije te jure ... Tu ne t'es même pas démêlée les cheveux après le shampoing! Un vrai petit garçon manqué ... » Vexée, Jane ne

répond rien.

- Les trois marchent en silence, la petite au milieu. La mère a une démarche fière et sensuelle, comme ces femmes un peu trop sûres d'elles.

- Après un moment la mère dit:

« Vous savez, j'ai toujours eu du mal à sentir que j'avais des racines. En fait, je n'ai jamais eu le sentiment d'être chez moi quelque part jusqu'à ce que mes parents meurent et que j'aie leurs tombes ... Ces tombes étaient mon seul bien. Je sentais que j'avais des attaches. »

Lui: «Comme c'est triste.»

- À ces mots, Jane cherche sa mère avec des yeux durs, plein d'incompréhension et répète de manière inaudible (on peut seulement lire sur ses lèvres) 'Tombes?" ... Sa mère lui jette alors un regard froid, sévère, comme si elle voulait la contraindre au silence, détourne la tête et poursuit: «Vous,

ça

ne vous arrive jamais d'avoir cette impression?»

(19)

Silence de quelques secondes. Ils continuent à marcher. Contrariée, Jane regarde ses pieds. - Lui: « Oh, cela me serait bien égal. Vous savez, je pense que le destin de toute chose est d'être transmise. Même une tombe constituerait une contrainte et je ferais semblant de ne pas savoir où elle se trouve.

»

La mère:

«

Eh bien moi mon père et ma mère ne s'entendaient pas, ce qui m'a empêchée de me sentir proche d'un pays quel qu'il soit. J'étais divorcée du paysage, comme eux l'étaient l'un de l'autre.»

- À ces mots Jane part vers la maison en courant. La caméra la montre qui s'éloigne.

Scène 5

Intérieur. Jour. Maison. Chambre où dorment le cousin et le jeune invité.

- On voit la petite de dos, monter les escaliers de la maison à toute allure. Elle entre d'un pas énervé dans une chambre à l'étage.

- Le petit garçon de la scène 3, son cousin, est allongé sur un des deux lits simples de la pièce. Il lance une balle dans les airs et s'amuse à la rattraper.

- Sans le regarder, Jane s'avance vers le deuxième lit. Il est défait. D'un air énervé elle regarde sous le lit, tire un fourre-tout rempli de linge et fouille dedans.

- Son cousin se redresse sur le bord du lit: «Hey! Arrête! C'est les affaires de l'invité. Après il va croire que c'est moi!»

Mais Jane continue. Elle fouille le sac sans y chercher quoi que ce soit, comme par désœuvrement, rien que pour y mettre du désordre.

(20)

Scène 6

Intérieur. Soir. Il fait sombre.

On est dans la même chambre qu'à la scène un, mais dans une temporalité autre puisque toujours dans le flash-back La chambre est ici meublée.

- Plan d'ensemble sur la chambre obscure aux volets fermés.

- On voit un lit double avec une tête et des pieds de laiton. Jane est couchée dans de draps de coton blanc lourds et rigides. Les yeux grand ouverts, elle regarde le plafond. Contre le mur, face au lit, est une coiffeuse en bois avec un vieux miroir en fer forgé. Une douce lumière provient d'un rectangle découpé dans le plancher (bouche d'aération). Jane s'accroupit sur le lit et regarde au travers. Changement de plan qui montre l'étage du dessous.

Scène 7

Intérieur. Soir. Dans le séjour. Éclairage tamisé.

- On voit le séjour en contre-plongée. Assis à une table en bois éclairée d'une petite lampe, la mère de Jane et le jeune homme (celui de la scène 5) jouent aux cartes en écoutant la radio. - A côté d'eux, un cendrier fumant, deux tasses de café et un vieux transistor. La mère est belle, d'humeur rieuse. Elle s'apprête à distribuer les cartes et demande: «Quand on fait une réussite ilfaut donner deux, ou trois cartes? J'oublie tout le temps ... »

Lui : «Deux ...

»

- Alors qu'elle distribue le jeu, une mèche de cheveux lui tombe dans les yeux. Le jeune homme la lui replace délicatement derrière l'oreille. Elle lui sourit, d'un air à la fois coquin et gêné.

- La musique s'arrête. On entend

r

animateur radio annoncer la suite de la programmation. «Oh! J'adore cette vieille chanson!» dit-elle avec une excitation gamine. Elle hausse le volume du transIstor et commence à chantonner. LUI, la regarde, séduit.

(21)

Scène 8

Intérieur. Même soir. Chambre à coucher. Pièce obscure.

- La mère entre dans la chambre où est couchée Jane. À ce moment, par l'ouverture de la porte, on voit le jeune homme entrer dans la chambre adjacente (celle où dort aussi le cousin / voir scène 5). La porte se referme.

- Jane entrouvre les yeux et observe sa mère dans l'obscurité de la pièce. Celle-ci se déshabille silencieusement, enfile une longue chemise de nuit blanche et s'installe à sa coiffeuse. Elle allume une petite lampe. Reflet de la lumière sur son visage. La mère s'observe longuement dans le miroir, se caressant le visage du bout des doigts. Elle soupire, prend une brosse en étain rangée sur la commode, et démêle ses longs cheveux blonds. On entend le bruit de la brosse dans ses cheveux. Elle éteint la lampe, se lève et va s'allonger auprès de Jane.

- La petite sourit et se recroqueville dans les draps. Jane: «Tu vas dormir avec moi toute la nuit maman?» La mère:

«

Oui, mais il faut dormir maintenant Jane.» Jane: «Bonne nuit maman.»

La mère: «Bonne nuit. »

Plan sur le visage de la petite fille qui ferme les yeux, apaisée ...

Scène 9

Intérieur. Jour. Toujours dans la chambre.

C'est le matin. Des rayons de lumière s'infiltrent à travers les volets. La lumière de la pièce est douce.

- Gros plan sur le lit. Jane a les yeux ouverts mais ne bouge pas. Sa mère n'est plus là.

- Après un moment, Jane se lève et va à la fenêtre. Elle pousse les volets, se met sur la pointe des pieds et regarde dehors. Plan en contre-plongée qui nous fait voir ce que Jane regarde. La campagne est belle et verte. C'est l'été.

(22)

- Jane se retourne, comme une danseuse, sur la pointe des pieds. La chambre est éclairée par une douce lumière matinale. On entend des voix provenant du séjour (les mêmes que la veille au soir). Sa mère rit.

- Jane se déplace délicatement dans la chambre. Elle chantonne. Sur une chaise en bois, à côté du lit, est posée une robe fleurie de sa mère. Jane l'enfile. Elle flotte dedans.

- Jane s'avance vers la coiffeuse au vieux miroir. Dessus, un cadre avec une photo de sa mère. Jane le prend, le regarde quelques secondes et le pose. On la voit de dos, son reflet dans le miroir, essayant la même coiffure que sa mère.

- Fondu au noir.

Scène 10

Intérieur. Jour. Dans la cuisine.

L 'homme qui apJXlraît dans cette séquence n'est plus le même. Il a la quarantaine. C'est le père de Jane.

- On voit la mère de dos, face à l'évier de la cuisine. Elle porte un tablier et ses cheveux blonds sont relevés en chignon. On entend le bruit de l'eau qui coule. L'évier est contre la fenêtre à carreaux. On peut voir l'extérieur à travers la vitre.

- La mère nettoie des pommes de terre. Plan rapproché. On voit ses mains prendre les pommes de terre, les passer sous l'eau et les déposer dans une passoire. Elle porte une alliance discrète. Ce plan dure plusieurs secondes.

- Au bout d'un moment, elle lève la tête. On la voit regarder par la fenêtre. Un homme s'avance sur le chemin de gravier. Il s'approche. Son image devient plus claire. Il disparaît du cadre.

- La porte de la véranda claque mais le plan n'a pas changé. On voit toujours la mère, de dos, face à l'évier. Elle soupire, baisse la tête, ferme le robinet et se sèche les mains dans un torchon. On suit ses gestes.

(23)

« Pose tout ça sur la table de la cuisine» dit-elle à l'homme (son mari) sans se retourner. - Le plan s'élargit. On voit la table de la cuisine. Dessus sont posés deux paquets emballés dans du papier de charcuterie marron Assise, Jane râpe des carottes dans un saladier. À côté d'elle, son cousin dessine. Le père passe une main affectueuse dans les cheveux de sa fille: «Une vraie petite cuisinière ma fille ... j'en dirai pas autant de son cousin ... ». Il embrasse le petit sur la tête, se dirige vers le frigo, l'ouvre et prend une bière. «Le décapsuleur est dans le tiroir à gauche du four» dit la mère d'un ton sec. Le père va vers le tiroir et fouille un peu. La mère continue à cuisiner sans jeter un regard à son mari. On entend des bruits de vaisselle. - Sans dire un mot, l'homme décapsule sa bouteille et sort de la cuisine.

- Plan sur le cadre de la porte vide.

Scène 11

Extérieur. Journée éclatante. Au bord de la rivière. Jane adulte, puis enfant (on glisse d'une temporalité à l'autre / travail sur la mémoire).

La pêche aux cailloux.

- On voit Jane adulte (retour au temps présent) debout, près de broussailles, face à la rivière (même paysage qu'à la scène 2). Elle inhale le grand air, s'accroupit, et prend un caillou dans la main. Elle l'observe, referme sa paurne, et regarde au loin.

- Changement de temporalité (retour dans le passé où nous resterons désormais jusqu'à la scène 18). On voit la petite, de dos, sur le bord de la rivière. Elle est vêtue d'un bermuda et d'un débardeur blanc. Elle porte son grand chapeau de paille et tient un seau en plastique. Allongé sur le rivage, son père fait la sieste.

- Jane s'avance dans la rivière en regardant le fond de l'eau. Plan sur le fond de la rivière. On voit des cailloux roses, bleus, verts. Jane s'arrête de temps en temps et plonge la main dans l'eau pour en ramasser un. Elle l'observe, le met dans son seau ou le lance au large.

- Après en avoir ramassé quelques-uns, elle retourne sur le rivage et s'assied. Elle étale un torchon blanc et y installe méticuleusement ses cailloux fraîchement pêchés. Le soleil tape.

(24)

Les pierres sèchent. On les voit changer de couleur. Elles deviennent fades. Jane se lève et va chercher de l'eau dans son seau. Elle revient, asperge ses pierres, les lustre dans son débardeur. Mais les cailloux redeviennent gris. Jane demande alors à son père qui somnole: «Dis papa, pourquoi les cailloux deviennent gris et laids quand je les sors de l'eau?» Le père se redresse, prend un caillou, l'observe un instant et répond: <<Parce que les choses paraissent toujours plus belles de loin. Si ta pierre est belle dans le fond de ['eau, laisse- la où elle est, crois-moi, ça vaut mieux ... »

Jane regarde son père, perplexe. Puis, elle se lève, ramasse son seau et retourne vers la maison, laissant derrière elle ses cailloux.

Scène 12

Extérieur. Début de soirée. Dans le jardin.

- On est dans le jardin, au crépuscule. Des lampions sont allumés. L'éclairage est bleuté, presque froid.

- Jane et son cousin se courent après dans le jardin. La petite crie et rit aux éclats alors que son cousin essaie de l'attraper. En arrière-plan on voit le père en train de faire griller des steaks sur le barbecue. Il fume et a le a le visage soucieux.

- On entend la porte-moustiquaire qui claque. Plan sur la mère qui descend les escaliers de la véranda Vêtue d'une longue robe d'été blanche, les cheveux tirés en chignon serré, elle porte un grand saladier, le regard vide, glacial. Elle dépose le saladier sur la table et installe le couvert sur une nappe blanche.

- Le père: «Les burgers sont près!»

Les enfants courent à table. Jane s'empresse de s'installer à côté de sa mère: «C'est moi qui m'assois là!)}. La mère demeure impassible, silencieuse. Le père lui jette un regard furtif en s'asseyant. Chacun se sert en silence. Après un moment

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Le petit: « Non. Moi aussi je pensais qu'ils me manqueraient mais ça va '" En fait je crois que c'est mon record. çajàit presque 40 jours que je les ai pas vus! Jane elle, elle m'a dit que son record c'était 20 jours.

»

Jane: «Ouais. Ben sauf quand tu pars travailler à Montréal papa. Toi c'est plus long des fois, mais maman est toujours là ... »

- La mère se lève alors brusquement de table. On la suit qui monte les escaliers de la véranda Le père frappe la table du poing et gueule:

«

Merde! Tu pourrais quand même faire un effort!»

Silence autour de la table à nappe blanche. Le père a le visage défait. Jane: «Qu'est-ce qu'elle a maman?»

Le père: «Rien Jane. T'inquiète pas ... Mange et t'inquiète pas ...

»

Scène 13

Extérieur. Même soir, plus tard (la nuit est tombée). Sur la véranda.

- Plan sur la véranda de la maison. Installé sur une chaise berceuse, le mari fume. Jane est à côté de lui. Assise sur les marches, elle enfile des perles sur un fil pour faire un collier. Après un moment de silence ...

Jane: «Papa, c'est loin d'ici Montréal?»

Père: «Non. Pas tellement ... environ deux heures.» Jane: « Je pourrais t'y accompagner une fois?» Silence.

Père «Tu sais Jane, quand je suis là-bas c'est pour le travail. C'est pas très amusant ... [Silence] Mais on pourra peut-être y aller une fois ... »

- Le père tire profondément sur sa cigarette et regarde au loin, le visage grave. Sur une petite table blanche à côté de lui, on voit un paquet de cigarettes presque vide et une lampe à huile. L'éclairage est doux. On entend le bruit des feuilles mêlé aux coassements de la

(26)

- Au bout d'un moment, le père se lève, ouvre la porte de la véranda et entre dans la maison.

Scène 14

Intérieur. Même soir. Dans le séjour.

- Assise à la table du séjour, la mère joue aux cartes. On la voit de dos, les cheveux relevés en chignon. On entend les pas de son mari sur le plancher et une faible musique provenant du transistor. L'homme s'arrête et la regarde sans rien dire. Après un instant, sentant la présence de son mari, la mère pose les cartes sur la table, éteint le transistor et se retourne. Ils se regardent en silence.

Lui: «J'en peux plus Nelly. C'est trop dur ... On ne peut plus continuer comme ça à faire semblant de rien. Ça n

n

plus de sens ... Encore moins pour la petite. »

«

Je sais ...

»

répond-t-elle en baissant les yeux.

Scène 15

Extérieur. Jour. Un après-midi d'été. Il foit très beau. Lumière éclatante.

- De la fenêtre du deuxième étage, plan en contre-plongée sur le terrain devant la maison. Même prise de vue que dans la scène 1 et 8 (quand Jane regarde par la fenêtre). C'est l'été. La lumière est éclatante. On voit la mère en maillot deux pièces, allongée sur une chaise longue, avec un verre de soda Elle lit un gros livre, genre Best Seller. Couché sur l'herbe, le cousin lit une bande dessinée. On entend des bruits de marteau tapant sur de la ferraille.

- Plan extérieur sur la porte de la véranda qui se referme. Jane vient de sortir. Elle s'est assise sur les marches et attache ses sandales blanches. Plan de face. Elle regarde au loin pendant quelques secondes.

- Elle se lève et court à l'arrière de la maison en passant à côté de sa mère qui ne bouge pas. La caméra la suit. Jane arrive au garage derrière la maison. Son père y répare la camionnette.

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Il est torse nu et transpire. Jane reste à côté de lui. Elle allume le vieux transistor et danse dans le garage sur une chanson des Carpenters.

- Fondu au noir.

Scène 16

Extérieur. C'est l'aurore. On est à lafin de l'été, dans les premières journées d'automne.

- Plan sur les marches de bois blanc qui montent à la véranda. C'est l'aurore. La mère est sur le palier. Elle tient Jane par la main. La lumière est douce et grisonnante. Il y a une brume humide. Le temps semble frais. On voit la nature autour qui affiche les couleurs du début de l'automne.

- La mère a les cheveux dénoués qui tombent librement sur ses épaules. Elle porte un châle noir sur une longue chemise de nuit blanche un peu transparente. On entend le bruit d'un moteur qui tourne.

La mère: <<Allez Jane, ils t'attendent». Sa main laisse aller celle de sa fille.

- Le plan s'élargit. On voit la camionnette du père. Jane et le petit garçon montent dans le camion. Le père referme la porte dans un grand bruit.

- Plan à l'intérieur du camion. À travers la vitre givrée, Jane fixe sa mère qui, le regard absent, lui fait au revoir de la main. Le camion démarre. On entend le bruit du gravier sous les roues.

Scène 17

Extérieur. Jour. On est dans une vieille gare d'une petite ville du Vermont. La lumière du jour est un peu plus forte que lors du déJXlrt des deux enfants.

- Jane, son père, et le petit garçon s'avancent le long du quai d'une petite gare. Il y a peu de voyageurs.

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- Un train les attend. Ils le longent. On entend leurs pas mêlés au bruit des soupapes. Personne ne parle.

- Le père de Jane porte deux valises. Il s'arrête à la porte d'un wagon et monte. Les enfants le suivent. On les voit de face, traverser le wagon en silence. Le père installe les deux valises sur le porte bagage.

- De doux rayons de lumière traversent les vitres du wagon. Le père s'approche du garçon, lui passe une main virile dans les cheveux et dit sans trop d'épanchement sentimental :

« Embrasse bien ta mère pour moi ».

Le père s'avance alors vers Jane, s'accroupit et la regarde un moment en silence. IlIa serre tendrement, l'embrasse et dit:

«

Je viendrai bientôt te chercher. Tu sais Boston c'est pas loin ... et c'est pas pour longtemps ». [Silence] « T'inquiète pas va ». Jane le regarde sans vraiment le regarder. Elle ne répond pas.

Le père en quittant le wagon:

«

Allez. Le train va bientôt partir... Je vais avertir le contrôleur que vous êtes installés ici ... »

- Les enfants sont assis sur la banquette du train, le visage ensommeillé. Jane a la tête collée contre la fenêtre et regarde au travers. On voit le père sortir du wagon. Sans se retourner, il marche vers la sortie de la gare.

- Grincement des roues. Le train démarre d'un coup brusque mais lent.

- Plan rapproché sur Jane qui a toujours le visage contre la fenêtre. Le train accélère doucement. On voit le paysage défiler à travers la vitre.

Scène 18

De la fenêtre de la chambre. Plan extérieur. Jour.

Retour sur les lieux de la scène1, sans que cela soit explicite. La végétation commence à

revêtir les teintes de l'automne (mêmes couleurs qu

a

la scène 1 et qu ~ux deux scènes précédentes ). Les mains que nous verrons sont celles de Jane devenue femme. Nous ne

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- Plan de plusieurs secondes sur des mains de femme, celles de Jane adulte, au dessus d'un bac à fleur rempli de terre sèche. On ne voit que les mains et les avants bras de cette femme, son visage étant caché par l'angle de la fenêtre.

- La main droite commence à jouer nerveusement avec l'alliance de l'autre main. Après un moment, la jeune femme enlève son alliance, la serre fort dans sa paume et, d'un geste sec, la lance au loin.

- Plan en contre-plongée qui survole le terrain. L 'herbe est haute. On aperçoit le champ de maïs récolté entouré de grands érables. Le ciel est grisonnant. On voit et on entend le bruit du vent dans les feuilles jaunissantes.

(30)

Attention

(31)

SYNOPSIS

Petite ville du Mid-West des États-Unis à une époque contemporaine de la nôtre. Lloyd, fin trentaine, vit séparé de sa femme Inez depuis environ un mois. Il habite seul dans un modeste petit appartement mansardé, en espérant régler ses problèmes d'alcool. Attendre, la télévision allumée, le réfrigérateur rempli de bouteilles de champagne bon marché, voilà la seule chose qu'il ait pour l'instant trouvée pour régler sa lubie.

Inez elle, revit. C'est probablement elle qui est à l'origine de cette séparation initialement passagère. Elle semble lasse de cette relation, prête à passer à autre chose. Peut-être a-t-elle même rencontré quelqu'un d'autre. Lloyd, lui, a l'espoir de revivre avec elle. Non par amour, mais plutôt par angoisse et peur de la solitude.

Il est onze heure du matin quand Inez arrive toute «pimpant[e]6» chez Lloyd pour discuter de choses importantes. Lui, en pyjama, est dans tout ses états parce qu'il a un bouchon de cérumen dans l'oreille. Inez essaie de le lui faire sortir par tous les moyens, tandis

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que Lloyd, béat, observe l'étrangeté de la scène, boit en cachette dans la salle de bains. Les deux s'agitent autour de ce bouchon, acte ultime qu'ils auront ensemble, exaltation du point de non retour de leur relation. Chacun entend ce qu'il veut, parce que c'est encore plus facile quand on a l'oreille bouchée.

Et puis il y a la veuve du dessous, qui dort la télé allumée et arrose les fleurs de son jardin un «bras ballant\} le long du corps.

Portrait d'une chute burlesque.

STRUCTURE

Souvent adaptée au cinéma - on pense au Short Cuts de Robert Altman ainsi qu'à quelques courts-métrages indépendants - l'écriture de Raymond Carver est, en soi, quasi cinématographique. Ce sont les gestes, l'attention aux détails du monde extérieur qui expriment l'intériorité, le mal-être des personnages. Aussi, contrairement au travail de libre interprétation fait à partir de l'écriture de Mavis Gallant, ce deuxième scénario est resté proche de la nouvelle originale.

Les scènes centrales de l'appartement, les dialogues entre Loyd et Inez ont été respectés pratiquement à la lettre. La structure d'ensemble a été retravaillée à quelques

endroits. J'ai, par exemple, évincé la conversation entre Inez et Mme Matthews (la propriétaire) préférant insister de façon visuelle sur le côté absurde, en décalage, de la vieille dame. Je voyais là un meilleur moyen de faire un parallèle entre ces solitudes. De même ai-je inventé la scène du rêve au bord de la piscine, qui n'était pas dans la nouvelle. Celle-ci a été inspirée par une comparaison de Carver à propos des sensations auditives de Lloyd: «Il avait l'impression d'avoir la tête pleine d'eau. Comme quand il nageait au fond de la piscine municipale et qu'il remontait les oreilles pleines de flotte8.» D'autres légers changements ont

7 ibid., p. 109. 8 ibid., p. 113.

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été apportés à la structure initiale, tous afin d'épurer la forme et d'en dégager un conflit central à rendre de la manière la plus visuelle, la plus resserrée possible.

Ce film à huis-clos, opposant monde intérieur et extérieur, s'articule ainsi autour de 15 scènes d'une durée totale d'une quinzaine de minutes. La pellicule choisie se devra de rendre les couleurs de manière vive, montrant le côté caustique, burlesque de la scène.

PERSONNAGES

Lloyd: La trentaine avancée. Un brun bedonnant pas très beau mais qui ne manque pas de charme.

Inez: Une blonde dans la trentaine plutôt commune. Elle porte un petit tailleur rose criard et un sac avec des tournesols brodés faisant contraste avec l'appartement de Lloyd.

Mme Matthews (la propriétaire): Veuve de soixante-dix ans. Une de ces vieilles dames avec mise en pli qui met beaucoup de rouge à lèvres et fard à paupières. Elle a un bras atrophié. Miss Jones (l'infirmière): Rôle secondaire. Jeune femme extrêmement sensuelle et féminine. Elle revêt un aspect quasi fantasmagorique dans le décor où elle apparaît.

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SCÉNARIO

Scène 1

Extérieur. Jour. Lumière vive d'après-midi. C'est le printemps. Il foit beau. Rue d'une petite ville américaine.

- Plan en contre-plongée sur un quartier résidentiel avec maisons de banlieues typiquement américaines.

- Travelling nous faisant voir ces maisons avec certains de leurs propriétaires sur des pelouses vertes et arrosées.

- Au bout d'un moment la caméra s'arrête derrière un homme, Lloyd, qui marche sur le trottoir. Il a la trentaine, les épaules tombantes. Il porte un vieil imperméable gris et tient un sac en plastique à la main.

- Un gamin à vélo roule sur le trottoir, jouant avec sa sonnette. Lloyd l'évite de manière nonchalante et continue sa route.

- On le suit jusqu'à ce qu'il arrive chez lui, un modeste duplex avec cour. Il cherche ses clés dans sa poche et ouvre la porte.

Scène 1

Intérieur. Jour. Entrée du duplex.

- Une porte aux fenêtres givrées donne sur le salon de l'appartement du premier étage, celui de sa propriétaire, Mme Matthews, une veuve de soixante-dix ans. L'éclairage est plutôt sombre. - On voit et on entend, au loin, le bruit de la télévision qui marche. Lloyd jette un coup d'œil chez sa voisine.

- À travers les vitres on la voit, étendue par terre sur le tapis du salon. Elle ne bouge pas, pourrait être morte.

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- Troublé, Lloyd observe la vieille dame pendant plusieurs secondes. Au bout d'un moment elle «tousse, allong[e] [un] bras le long de son corps, et s'immobilis[e] ànouveau9.)}

- Lloyd prend les escaliers qui montent au deuxième étage.

Scène 3

Intérieur. Jour. Dans l'appartement.

- On voit Lloyd dans son appartement, un petit trois pièces au plafond mansardé si bas qu'il doit baisser la tête pour passer à certains endroits.

- Il entre dans la cuisine qui s'ouvre sur le salon, pose son sac en plastique sur le comptoir et en sort le contenu: trois bouteilles de champagne bon marché et un morceau de viande. On l'entend respirer dans le silence de la pièce.

- Il regarde l'horloge: 14h00. Plan sur Lloyd qui reste perplexe au milieu de la cuisine. - Sur la table en mélanine, on voit une boîte de beignets entamés et une flûte à champagne. - Après un moment Lloyd ouvre une bouteille, se sert un verre, va s'asseoir sur le canapé du salon et allume la télé.

- Sur une table basse, à sa tête, on voit un cadre avec une photo de lui et une femme, son épouse, Inez.

- Fondu au noir.

Scène 4 (Le rêve)

Extérieur. Jour. Lumière éclatante. Sur le bord de la piscine municipale. - Lumières et couleurs vives, presque bonbons.

- Lloyd, bedonnant, est en maillot de bain face à une grande piscine. Autour de lui, personne. Le vide, le silence.

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- Debout sur la pointe des pieds, il fait quelques étirements ridicules, prend une profonde respiration, et se bouche le nez avant de sauter à l'eau.

- Plan sous l'eau. Lloyd nage la brasse. On le suit. Arrivé au bout de l'allée il sort la tête de l'eau et...

ScèneS

Intérieur. Jour. Lumière du matin. Dans l'appartement (on suit Lloyd de la chambre à

coucher, à la cuisine, au salon).

- Bruit de respiration coupée. Lloyd se réveille en sursaut dans son lit. Il fait jour dehors et des rayons de lumière irradient la chambre.

- Plan de face. Lloyd, transpirant, se redresse dans ses draps, se tape l'oreille droite, agite sa tête dans tous les sens. Il semble pris de panique et, après un moment, pousse un grand cri qui résonne dans le silence de la pièce.

- Il se lève lourdement et enfile ses pantoufles. On le suit de dos, se dirigeant vers la cuisine en se secouant la tête. Il frôle les murs, semble avoir perdu le sens de l'équilibre.

- Arrivé à la cuisine, Lloyd s'accroupit et sort du petit frigidaire, «coincé dans l'étroit espace séparant l'évier du mur10», une bouteille de champagne. Il prend un verre et va s'installer sur le sofa du salon.

-Lloyd allume la télé et met le volume très fort. Plan sur la télé. Il s'agit d'une de ces émissions matinales kitsch où les gens rient très fort pour se mettre de bonne humeur.

- Plan rapproché. Assis sur le sofa, Lloyd prend une grande rasade de champagne, pose son verre et commence à se frapper la tête, se tirer sur le lobe. Il masse la partie cartilagineuse de son oreille, baille en se bouchant le nez ...

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- Après un moment, on frappe à la porte. Lloyd se dresse sur le canapé, se tape encore la tête deux fois, prend une gorgée de champagne, se lève et va cacher la bouteille derrière l'évier de la salle de bains (pièce adjacente). On le suit dans ses gestes qui sont à la fois lourds et nerveux.

- Lloyd se dirige vers la porte d'entrée et l'ouvre.

Scène 6

Intérieur. Jour. Dans l'apJXlrtement (entrée et salon).

- Une blonde dans la trentaine (Inez, son épouse) se trouve sur le seuil. Ni belle, ni laide, plutôt commune. Elle le regarde sans sourire. Elle porte un «tailleur de printempsll» rose et tient «un sac en toile avec des tournesols brodés sur les deux faces 12». Lui, étonné, la considère.

Inez: «Bonjour Lloyd [froidement] ... Je croyais que tu ne m'avais JXls entendue ou que tu étais sorti. Mais la dame en bas ... ta propriétaire, Mme Matthews - elle m 'a dit qu'elle pensait que tu étais là.

»

Lloyd: «Je t'ai entendue. Mais tout juste

».

Il se passe une main dans ses cheveux ébouriffés. « En fait, je ne tiens pas la forme... Entre donc. »

- Inez feint ne pas l'avoir entendu. Féminine et légère, elle fait son tour dans la pièce principale, regardant le tout de manière un peu hautaine. On entend le bruit de ses talons sur le plancher. Elle est plus grande que Lloyd qui la suit derrière, pieds-nus.

Inez : «Il est onze heure »

Lloyd: «Je sais quelle heure il est ... Tu sauras qu'il y a longtemps que je suis levé. J'ai même regardé une partie de l'émission "Aujourd'hui" ... Mais je suis en train de devenir fou Inez. J'ai une oreille complètement bouchée... Tu te rappelles la fois où ça m'était arrivé? »

11 ibid., p. Ill.

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- Les deux sont maintenant debout au milieu du salon. Inez pose son sac à main sur la table à

café et ne répond pas. Elle le regarde de manière absente. Il continue ...

«

Tu sais, à l'époque on habitait près du restaurant chinois .... J'avais été forcé d'aller chez le docteur qui m'avait nettoyé l'oreille ... }} Silence.

- Plan d'ensemble sur les deux. Elle le considère froidement, sans répondre.

« Je sais que tu te rappelles. Tu m'avais emmené en voiture et on avait attendu longtemps. » Lloyd s'assoit à un bout du canapé de toile grise (genre Elran), Inez à l'autre. Le canapé n'est pas grand alors les deux sont assez proches.

Lloyd: <<Eh bien, c'est pareil maintenant. Je veux dire, c'est aussi terrible. Seulement, ce matin, je ne peux pas aller chez le docteur parce que je n'ai plus d'assurance maladie... Je deviens complètement fou Inez. J'ai envie de me couper la tête ... }}

- Plan d'ensemble sur le canapé. La main de Lloyd paraît nerveuse, hésitante. Il regarde Inez, veut se rapprocher mais se retient. Assise toute droite, Inez embrasse la pièce d'un regard critique. Au bout d'un moment elle se toume vers Lloyd et, lui jetant à peine un regard, prend son sac à main, sort une cigarette, se l'allume, tire dessus plusieurs fois et demande:

-Inez: « Qu'est-ce que tu as essayé depuis le début de notre séparation Lloyd? ... Ça fait un mois qu'on vit comme ça, alors j'aimerais bien savoir ce que tu as fait pour t'aider jusqu'à maintenant?

»

- Lloyd la regarde, perplexe. Il toume vers elle son oreille gauche.

Lloyd: «Qu'est-ce que tu dis? Inez, je te jure que je n'exagère pas. Ce truc-là me rend dingue. Quand je parle j'ai l'impression d'être dans un tonneau. Ma tête résonne et je n'entends pas bien. On dirait que tu parles dans un tuyau de plomb. »

- Plan sur les deux, assis sur le canapé. Long silence. Elle le regarde, découragée. Inez: «Bon ... Tu as des cotons-tiges ou de l'huile Wesson? »

(39)

Lloyd : « Chérie, c'est sérieux. Est-ce que j'ai une tête à m'acheter des cotons-tiges ou de l'huile Wesson?

»

Inez: « Ben il faudrait un peu t'organiser ... Si tu avais de l'huile Wesson, j'en ferais chauffer et je te la verserais dans l'oreille. Ma mère faisait tout le temps ça. Ca ramollirait le bouchon

».

- À ces mots, Lloyd secoue sa tête comme s'il voulait faire sortir de l'eau de son oreille. Inez elle, éteint sa cigarette dans le cendrier et pose ses mains sur ses genoux.

Inez: «Lloyd, nous avons à discuter. Il faut faire un peu de lumière sur cette situation. Ça ne peut plus durer. Mais chaque chose en son temps je suppose ... . » Elle se lève.

Inez: «En attendant, va t'asseoir sur le tabouret de la cuisine».

Scène 7

Intérieur. Jour. Appartement (cuisine et salon/ la cuisine s'ouvre sur le salon)

- Lloyd s'installe, penaud, sur le tabouret devant la table en mélanine de la cuisine. Ses mouvements sont lourds, lents.

- En arrière-plan, on voit Inez arriver et s'installer derrière lui. Elle est grande.

- Plan rapproché sur Inez et le crâne de Lloyd. <<Du bout des doigts 13)) elle lui met les cheveux derrière les oreilles. Il se retourne, et la regarde avec des yeux enfantins. Elle reste indifférente. Long silence. Il lui prend la main. Elle la retire sèchement et reprend la conversation, mine de rien ...

- Inez:

«

C'est quelle oreille, tu as dit? » - Lloyd, énervé: «L'oreille droite. »

Inez: «Ne bouge plus. Je vais chercher une épingle à cheveux et du papier de soie. J'essaierai de te retirer le bouchon comme ça. Ça marchera peut-être )).

(40)

- Il se tourne vers elle.

Lloyd:

«

Attends un peu Inez, je ne suis pas sûr d'aimer l'idée d'avoir une épingle à cheveux dans l'oreille

».

Mais on la voit déjà partir au salon (pièce adjacente sur laquelle la cuisine est ouverte). Elle se retourne, mettant la main derrière l'oreille, et dit d'un ton rieur,:

Inez:

«

Quoi? Je ne t'entends pas ... Mon Dieu, c'est peut-être contagieux! )}

- Plan sur Lloyd, du haut de son tabouret. Il se tient de manière molle. Après un moment de silence ...

Lloyd:

«

Quand j'étais gamin, on avait un prof d 'hygiène à l'école, c'était une infirmière ... »

Scène 8 (Souvenir fantasmagorique)

Intérieur. Jour. Salle de classe. Lumière vive et blanche.

- On voit une superbe infirmière dans la trentaine, vêtue de blanc avec un petit chapeau, devant une classe de jeunes garçons ébahis. L'infirmière fait lentement glisser une baguette de bois sur un tableau mural représentant un immense croquis du conduit auditif, de ses réseaux et canaux. Plan rapproché sur le croquis.

- Par-dessus, on entend la voix de Lloyd qui explique:

Lloyd:

«

Ah ... Qu'est-ce qu'elle était belle Miss. Jones ... Elle disait qu'il ne fallait jamais rien nous mettre de plus petit qu'un coude dans l'oreille ... )}

Scène 9

Intérieur. Jour. Dans l'apfXlrtement. Cuisine et salon.

- Plan sur Inez dans le salon qui fouille dans son sac pour y trouver des épingles à cheveux. Elle relève la tête et dit:

(41)

Inez: « Eh bien, ton infirmière n'était certainement pas devant le même problème ... De toute façon il faut tenter quelque chose. Alors on va d'abord essayer ça. Si ça ne marche pas, on

essayera autre chose .. , C'est la vie non?»

- Le plan s'élargit, montrant Lloyd sur son tabouret, au milieu de la cuisine. Lloyd: «Ça a un sens caché ou non, ce que tu dis?

»

Inez, continuant de chercher dans son sac:

«

Ça veut juste dire ce que ça dit. Mais tu peux penser ce que tu veux ... »

- Plan rapproché sur Inez, un peu hystérique, qui finit par vider le contenu de son sac sur le canapé.

«Et Merde! Pas d'épingles à cheveux!»

- Plan élargi qui montre les deux et leur éloignement dans la pièce. Lloyd qui reste béat sur le tabouret, semble ne pas l'avoir entendue.

- Plan rapproché sur le désordre du sac à main sur le canapé. On voit la main d'Inez saisir une lime à ongles. «Ah Ah! J'ai trouvé» dit-elle présentant fièrement la lime à Lloyd. Elle se rapproche du tabouret dans la cuisine.

- Lloyd: «Alors là, il n'en est pas question ... Hors de question que tu me mettes un truc pareil dans l'oreille ...

»

- Inez : <<Écoute Lloyd, c'est ça ou un tournevis... »Elle rit. On voit qu'elle prend plaisir à lui faire peur, à le martyriser un peu ... Changement de ton. Elle lui parle maintenant de façon quasi enfantine. «Allez, ne t'inquiète pas. Je ferai attention. Je vais aller mettre du papier de soie au bout et tout ira bien ». Elle lui passe une main affectueuse dans les cheveux et se rend à la salle de bains.

- Plan fixe de plusieurs secondes sur Lloyd. Assis sur le tabouret au milieu du vide de sa cuisine, il suit Inez du regard jusqu'à ce qu'elle entre dans la salle de bains où la bouteille de champagne est cachée. Long et profond silence.

(42)

- Après un moment, plan sur Inez qui sort de la salle de bains, sans le regarder, visiblement contrariée. On suit ses déplacements. Elle va chercher ses cigarettes sur le canapé et s'installe à la fenêtre du salon pour fumer, tout ça sans jeter un regard à Lloyd, qu'on voit en

arrière- plan, assis sur son tabouret.

- Plan sur Inez de profil, qui tire en silence sur sa cigarette à la fenêtre. À travers la vitre, en angle, on voit un arbre et le vent dans les branches qui bougent. Il fait beau.

- Plan sur la main d'Inez. On la voit écraser son mégot dans un cendrier sur le rebord de la fenêtre. Puis, elle se tourne vers lui.

- Plan d'ensemble. On voit Lloyd sur son tabouret. Inez s'avance vers lui, de glace, tenant une lime avec du papier de soie à la pointe. Ses mouvements sont sûrs. Elle se place derrière le tabouret.

- Plan sur Inez et le crâne de Lloyd.

Inez, le visage dur: «Penche la tête de c6té et ne bouge plus ... Voilà. Reste assis et ne bouge plus ...

»

Lloyd, crispé: <<Fais attention nom d'un chien!»

- Plan d'ensemble sur les deux. Inez, exaspérée, ne répond rien et lui enfonce la lime dans l'oreille. On voit le visage crispé de Lloyd. Il retient son souflle tandis qu'elle manie, tourne et retourne la lime dans son oreille. La scène dure plusieurs secondes. Après un moment. .. - Lloyd: «Aie!>}

Inez

« [ ... ]

retire la lime de l'oreille et recul[e] d'un pas14.}} Plan d'ensemble sur les deux. Inez: <<.le t'ai fait mal? [Silence] Tu sens quelque chose de diffirent Lloyd?}}

On le voit se taper l'oreille droite. Puis, il relève la tête, découragé. Lloyd : «Non, c'est pareil ... »

Les deux se regardent en silence.

(43)

Lloyd : «Laisse-moi aller à la salle de bains Inez.»

Inez: «Ouais. Vas-y pendant que je descends chez ta propriétaire voir si elle a de l'huile Wesson.»

Lloyd: <<Bonne idée. En attendant moi je vais aller à la salle de bains. »

- Inez s'avance jusqu'à la porte d'entrée. Elle s'arrête, se retourne un instant et regarde Lloyd qui entre nonchalamment dans la salle de bain, sans la remarquer.

Scène 10

Intérieur. Jour. Salle de bains à éclairage néons. Il n

y

a pas de fenêtres.

- Lloyd sort la bouteille de champagne qu'il a cachée derrière l'évier et s'assied, les épaules voûtées, sur le bol en moquette rose des toilettes. Il observe la bouteille pendant de longues secondes. Il finit par la porter à ses lèvres et en prend une bonne rasade. Il s'essuie la bouche de son poignet et pose la bouteille sur le comptoir.

- Il se lève, s'observe dans le miroir. De profil, il regarde son ventre bedonnant qu'il tâche de rentrer. Puis on le voit de dos, dans le miroir, faisant des mimiques et marmonnant quelques paroles floues. Au milieu de ces murmures, on distingue quand même :

«

Ça me fait plaisir que tu sois venue '" ». Alors, il redresse ses épaules et sourit, comme fier de lui. On le voit prendre sa brosse à dents et mettre du dentifrice dessus.

Scène 11

Intérieur. Jour. Dans la cuisine.

- Plan sur Inez de dos, face à la cuisinière. Elle mélange de l'huile dans une casserole qu'elle fait chauffer.

(44)

- Lloyd s'accoude sur le comptoir à côté d'elle. Par-dessus l'épaule d'Inez, il regarde la fenêtre de la cuisine. On voit un oiseau se poser sur une branche et lisser ses plumes. On n'entend que le silence de la pièce.

- Plan sur les deux qui n'ont pas bougé. Sans se retourner, Inez dit froidement:

«

J'ai trouvé ta cachette dans la salle de bains».

- Lloyd: «Tu peux répéter, j'entends pas Inez ... }}.

- Inez se tourne vers lui en répétant fort et lentement: «(.j'ai t-r-o-u-v-é ta cachette dans la salle de bains! »

- Lloyd, baisse les yeux, vexé et répond d'un ton grave, monocorde: «J'essaie de diminuer ... »

-Inez, marmonne: «C'est ça, oui ... »

- Lloyd l'attrape par le bras et gueule, sans pour autant être agressif: « Quoi, qu'est-ce que tu as dit? J'entends vraiment rien! »

- Elle, reste droite, face à la casserole et continue, sans hausser le ton:

«On en reparlera plus tard Lloyd. On a des choses dont on doit discuter. L'argent pour commencer ... Mais il y a aussi d'autres choses. [Silence]. Mais d'abord il faut que tu récupères ton oreille. »

- Plan rapproché sur la casserole. L'huile fait de gros bouillons. Inez la retire du feu et la pose sur le comptoir en silence.

- Lloyd est accoudé, inerte, contre le comptoir. Impossible de savoir s'il a entendu ou non les paroles d'Inez.

- Inez: «C'est trop chaud pour le moment. Assieds-toi sur le tabouret et mets cette serviette sur les épaules». Elle lui tend une serviette rose.

(45)

- Lloyd exécute tout cela sans réfléchir vraiment. Il s'avance doucement vers le tabouret au milieu de la cuisine et s'y assied. Ses gestes sont lourds et lents. Plan rapproché sur lui. Son visage s'endurci.

Lloyd: « Et merde!» dit-il en se tapant violemment le côté de la tête.

- On voit Inez en arrière plan qui, sans lever les yeux, s'approche de lui avec la casserole qu'elle pose sur la table. Appliquée dans ses gestes, elle verse l'huile chaude dans

un

petit gobelet de plastique. Debout face à lui, elle explique ...

Inez: <<N'aie pas peur. C'est de l'huile d'amandes douces de ta propriétaire, c'est tout. Je lui ai dit ce que tu avais et elle pense que ça te fera du bien. Sans garantie ... Elle dit que ça arrivait à son défont mari. Qu'un jour, elle a vu un morceau de cire tomber de l'oreille de son mari et que c'était comme un gros bouchon de quelque chose. C'était du cérumen, voilà ce que c'était. Elle m'a dit d'essayer ça. [Inez fait tournoyer l 'huile dans le gobelet et après

un

moment de silence poursuit]

La pauvre ... Elle est veuve depuis maintenant dix ans tu te rends compte?Dix ans! [Les deux se regardent en silence. Mal à l'aise, Inez renchérit]

Elle non plus n'avait pas de cotons-tiges. Je ne comprends pas qu'on puisse ne pas avoir de cotons-tiges. Ça me dépasse vraiment ... »

- Lloyd, la regardant droit dans les yeux: <<D'accord D'accord, je veux bien essayer n'importe quoi ... Parce que je préférais mourir que continuer comme ça Inez. Et je le pense vraiment, tu sais ...

»

- Inez se place alors de son côté droit.

«Penche ta tête de côté maintenant. Ne bouge pas. Je vais te remplir l'oreille, puis je boucherai avec ce chiffon. Et tu resteras comme ça quelques minutes, sans bouger. Alors, on verra. Si ça ne marche pas, je n'ai rien d'autre à proposer. Je ne sais plus quoi faire.

»

- Lloyd se tourne encore vers elle et la regarde.

«ça marchera. Si ça ne marche pas je trouverai un pistolet et je me tirerai une balle dans la tête. Je parle sérieusement Inez ... »

(46)

- Plan sur les deux. Inez lui incline délicatement la tête de côté et fait couler 1 'huile chaude dans son oreille. On entend «le son doux et bruissanes}} du liquide (distorsion du son comme si on était sous l'eau). Inez place un bout de chiffon dans son oreille.

- Plan rapproché sur le visage incliné de Lloyd qui regarde le salon avec étrangeté. - La caméra parcourt alors le mobilier du salon, comme s'il s'agissait du regard de Lloyd. - Posé sur une petite table on voit un chien en porcelaine, le cadre de photo vu plus tôt, puis la caméra s'avance vers le sofa, ses coussins recouverts de housses en crochets, la table à café en plastique et le téléviseur. Plan fixe de plusieurs secondes sur l'ensemble.

- On revient alors à Lloyd et Inez. Plan d'au moins une minute. Inez lui masse le crâne, le tour de l'oreille, la partie cartilagineuse, la mâchoire, le lobe. Elle est appliquée et vigoureuse dans ses gestes, sans aucune marque d'affection. Lloyd lui, se laisse faire comme un enfant, le regard vide. Au bout d'un moment, on entend Inez dire de manière lointaine (le son étant diffus, comme sous l'eau) ...

Inez: «Redresse-toi )}.

- Elle lui incline la tête dans l'autre sens, enlève le bout de chiffon et met une serviette à son oreille. On entend le liquide chaud collier. Elle le recueille dans la serviette et lui essuie le cou. Inez pose la serviette sur la table et, les mains sur les hanches demande: «Alors?»

- Plan sur le visage de Lloyd: «Ccchut!». Silence. On entend la respiration d'Inez mêlée au bruit d'une voiture qui rollie dans la rue. Lloyd saute du tabouret, euphorique.

Lloyd: «Ça y est Inez! J'entends! Je peux pas y croire! Je suis guéri/ ... [Il court, s'agite dans la cuisine]. Je n'ai plus l'impression d'être sous l'eau ... C'est formidable. »

- Mais Inez ne partage pas son émoi. Elle ramasse la casserole et le gobelet qu'elle dépose dans l'évier, froidement, sans l'ombre d'un sourire.

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