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Contes populaires et legendes de la province de Québec.

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DE LA PROVIl'JCE D'E ·~.UEBEC

A Thesis Presented to

The Faculty of Graduate Studies and Research McGill University

In Partial Fulfilment

of the Requirements for the Degree rv·.Laster of Arts

by

France Marie Royer ~~lay, 1943 •

(4)

'l1

ABLE DES 1IATIERES

CHAPITRE I

DfilRODUCTION

CHAPITRE II

but de l'etude

historique du mouvement dans la Province pour sauvegarder les recits populaires

documentation

classification des recits parles

LE CONTE POPULAIRE

definition

origine et influence exterieure

la diffusion du conte

classification par genres sa desagregation

CHAPITRE III

LA LEGE}IDE

definition

origine: la legende d'origine europeenne la legende locale

la legende anecdotique

4

14

34

classification: la legende purement historique la legende historique teintee de

merveilleux CHAPITRE IV

LE MERVE ILLEUX DANS LA IEGEIIDE

le merveilleux ohretien: le role de Satan le merveilleux paien

(5)

LA LEGEilDE EXPLICATIVE

source: phenomenes physiques d'ordre atmospheriques visuels et auditifs et d'ordre geologique · CHAPITRE

VI

LE CONTEUR CHAPITRE VII COlJCLUS IOl'T APPENDICES BIBLIOGRAPHIE 96 103 109 120

(6)

CHAPITRE I

TIITRODUCTIO~I

Plus longtemps que le Franqais, le Canadien a garde l'ame simple, mystique et quelque peu superstitieuse de ses ancetres. Descendant des paysans et des artisans franqais qui quitterent la Normandie, la Vendee et la Saintonge au XVII9 siecle pour venir s'etablir sur les bords du

Saint-Laurent, le Canadien est reste attache

a

une vie de traQi-tions. De pare en fils il s'est transmis ses terres, ses moeurs, ses croyances et ses souvenirs. Cependant la vie moderne, vie d'individualisme et de mecanisme, commence

a

prendre ~ied dans les villages les plus eloignes des grands centres, et bientot le tison de ~oel, l'eau de Paques, le "petit bal

a

l'huile", seront choses du passe, meme

a

la campagne.

L'urbanisation des campagnes et l'abandon subse-quent des vieilles traditions commencerent plus tot en Europe qu'au Canada. ~uand les freres Grimm

publie-rent le premier volume de Kinder und Hausmarchen 1,

ils firent remarquer que les citadins ne connaissaient pres-que plus ces recits autrefois repandus dans toute

l'Alle-magne, et que meme les ~aysans commenqaient

a

les oublier. Il

11s12. Recits allemands recueillis parmi le peuple et uublies dans la langue populaire.

(7)

se fit alors un mouvement en France, en Angleterre, en

Nor-'

vege, r>our recueilJ_ir parr:1i le !)eu:ple ce qui restai t du na-trimoine national~ contes, legendes, chansons et danses nouu-laires furent ainsi sauves de l'oubli.

Avec le develop~ement de l'etude comparee du folk-lore, on s'aperqut qu'il y avait des ressemblances frannan-tes entre les follclores euroueens et ceux de races "Olus ou mains civilisees. Repondant

a

un but sociologique defini,

souvent religieux, des couturQes en usage chez certaines 0eu-plades sauvages modernes se retrouvaient chez les Euroneens

a

l'etat de coutumes,dont 1'origine et la signirication

etaient nerdues. Il a,,araissait done qu'en recuei1lant les traditions artistiques et litteraires des peu~les, non

seule-ment on avai t sauvegarde 1' expression poet:Lque de 1' 2.-n~e nonu-laire, ma:Ls on avait amasse les materia_ux necessaires pour re-constituer un ~)nsse, passe ou les notions religieuses, les co~~aissances scientifiques, les noeurs etaient autres que ce1les d'aujourd'hui.

Dans l'etude que je voudrais entreurendre de la litte-rature uonu1aire de la Province de Quebec, je n'essaierai pas ..!.. __._

de retracer les croyances d'une civilisation lointaine,

~uis-que ceux qui ont etudie le fol}:lore franqais, d'ou decoule le n5tre, l'ont

deja

fait; mais je voudrais,tout en donnant une

idee d' ensemble de la

·u

tterature poptllaire quebecoise, anal~r­

(8)

connais-sances, les croyances, et les coutQ~es des Canadians telles qu'elles nous sont revelees par leurs recits folkloriques.

Les folkloristes discutent de la tradition orale selon qu'elle s'ex)ri~e sous la forme d'un recit 9arle:

con-te, legende, m3rthe, fable; d'un recit chante: cha~son, bal-6

lade; de courtes Jhrases: proverbes, dictons, devinettes. Ce travail se li~itera

a

l'etude de la tradition orale sous

for-me de reci t narle. ces reci ts doi irent etre anonymes et de creation populaire; cependant, taus ne l'ont pas toujours ete. Q,uelques -tlns rernontent

a

1me co:rryosi tion li tteraire:

Cendril-lon et Poly!)he:m.e en sont des cas t;rpiques. Puises dans les fonds l)O"?Ulaires, ces deux ther~.es ont insnire c_es oeuvres

lit-1"_.

terctires que le peu::9le, :par la suite, a adoptees·, assimilees, et si bien refaqonnees qu'il en a refait des oeuvres populai-res. Monsieur Van Gennep nous dit:

Chacun des elements thematiques de cette legende la legende de Pol~pheme vit d'une vie Dropre un peu partout en Europe, mais la combinaison

home-rique ne s'est retrouvee qu'au Caucase de nos jours

••••• Je croirais plutot que les variantes du

eau-case sont des ada~tations locales,Idevenues orales du vieux theme jadis litterarise.

Le plus ancien document folklorique canadien-franqais est le livre de Huston, Legendes Canadiennes, ~ublie

a

Paris en 1853. En 1861, quelques litterateurs en vue fondent une revue, Les Soirees Canadiennes avec le but de recueillir le

I

A. Van Gennep, La formation des legendes (Paris: Flammarion, 1912) p. 7.

(9)

folklore quebecois. On lit dans le prospectus des editeurs: Ce recueil sera surtout consacre

a

soustraire

nos belles legendes canadiennes

a

un oubli dont elles sont plus que jamais menacees,

a

yerpe-tuer ainsi les souvenirs conserv~s dans les memoires de nos vieux narrateurs, et

a

vulga-riser la connaissance de certains e~isodes peu connus de l'histoire de notre ~ays. 1

La recolte ne fut pas tres fructueuse; une dizaine de legendes. En 1865 la revue tombait. Dix-sent ans plus tard, Les Nouvelles Soirees Canadiennes reurenaient la devise: ....

"HA-tons-nous de raconter les delicieu~es histo.ires du :peu"!-)le

avant qu'il les ait oubliees." 2

La

encore, peu de recits. Le Bulletin des Recherches Historiques publie dans le volume de 1899 une quinzaine de recits du terroir, mais il faut at-tendre

a

1916 avant de voir paraitre la ure~iere ~ublication

rz

scientifiquea de notre folklore. C'est en renonse

a

l'appel

de 1.1. Franz Boas, directeur du Journal of A.t'ilerican Folklore que !v1. l~~arius Barbeau publie dans cette revue sa nremiere

etu-de sur les contes ~o~ulaires canadiens, contes qu'il avait recueillis en stenographie et qu'il retranscrivait integrale-ment. ce n' est :pas 11. Barb eau qui par le, mais !~~. Poudrier ou ttme. Sioui. cette Dre~iere etude rut bientot suivie d'autres.

lLes Soirees Canadiennes (~uebec: Brousseau

&

Freres, Editeurs) vol. I, 1861

2Nouvelles ~oirees Canadiennes, frontispice, (Quebec:

TYpogra~hie de P. G. Delisle) 1882-1888.

3netails sur le no~, l'age, le lieu de naissance, etc. du conteur.

(10)

8

Le folJ:lore canadien se revela si riche que hui t nurrreros de la revue sont consacr.es exclusi vement au..x contes po:pulaires, aux

legendes, et aux anecdotes Cfu!adiennes •

.lf'aisant suite au livre de IVJ.. Huston, :plusieurs volumes

de legendes ~arurent

a

intervalles irre~uliers. L'Un des pre-miers fut un volu~e en anglais, Tales of the Saint La~~ence de !.~:. Cha~in, :?Ublie en 1874; on y retrouve trois de nos le-gendes bien connues: La cloche de Caughna~,·rnga, L'Ile du

massa-cre et Le fant8me de l'ile de Perce.1 Mais les recueils nu-blies entre 1860 et 1900 sont souvent la reedition de recits deja donnes dans l'une ou l'cutre des revues de l'e~oque;

ain-si le nombre de documents anciens parait etre le double de ce qu'il est en realite.

Un travail folJ.clorique ne doi t S' OCCU!)er que des

re-cits,- contes ou legendes, - qui font partie de la tradition orale du neunle. .-. . .l. Uomment ·savoir si les r8cits nublies sans donnees scientifiques sont de creation nonulaire? S'ils se trouvent dans une revue co~e le Journal of American Folklore ou le Bulletin des R~cherches Historiques, de nctr la nature meme de la revue, le recit se rattache atl folklore du pa~rs. oi le recit fait partie d'un recueil, et que les indications sur l'origine de la legende manquent, on ~eut ecrire

a

l'auteur.

lGardner B. Cha pin, Tales of the t5aint Lav1rence (~/ion­ treal: J. Lovell, 1874).

(11)

Le cas est ~lus difficile si ce dernier est mort. un auteur publiant un recit qu'il dit tenir d'un pecheur ou d'un chas-seur, peut se conformer

a

l'original, n'y ap:~ortant que des changements sans imuortance: un ,eu plus de liaison entre les

e~isodes, quelques details ajoutes ou biffes -- en somme un

tout nlus soigne, ~lus litteraire. L'endroit ou se passe l'action, le develo~p~ment de l'histoire, souvent meme le

nom des personnages ne differeront pas du recit entendu. D'au-tres auteurs vont plus loin. ~ls choisissent une superstition populaire, par exemple La Chasse-Galer~e; yuis ils creent une

histoire autour de la croyance. Ils.inventent les details de lieu, de ~ersonnages, meme les evenements secondaires. Le

lecteur non avise que ce recit est

du a

la ulume d'un auteur neut croire que c'est une legende authentique. ~lle ne l'est pas. Elle n'a~partient ~2s au peuple, elle n'est pas du ter-roir. Ainsi il faut essayer de verifier chacune des legendes

en les recherchant ~ la source nreniere -- ~armi le peuple.

un certain nombre de legendes se~blent avoir disparu de la

me-moire du ~eu~le, mais si on comn~re celles qui se retrouvent encore avec celles de l'auteur, on peut se rendre co2ute

jus-qu'a quel point celui-ci s'est maintenu dans les limites de la tradition. ~i la comparaison est impossible, il faut detacher la croyance du recit et laisser de cote ce qui ne s'y rattache pas. cela demande necessairement une connaissance assez appro-fondie des croyances et des superstitions QUi ont influence

(12)

10

les recits populaires. Dans la Province de Quebec, ces cro-yances sont nettement de source franqaise, quoique teintees des traditions ecossaises et irlandaises

la

ou ces deux

ra-ces ont vecu cote

a

cote avec la ~onulation

canadienne-fr~~-qaise.

Les journaux hebdomadaires et les almanachs ont de tout te~ys publie des contes et des legendes, mais il est tres rare que des donnees scientifiques scient attachees

a

ces recits, aussi je n'ai pu m'en servir nour la docQmen-tation de ce travail.

Pour resurJer, si je n'ai nu verifier l'authenticite d'une legende, je la considererai conme inter~retant une croyance ou une tradition po:)ulaire, mais non corn.:·::e annar-tenant

a

la tradition orale du )ays.

Si)grace au livre nous avons des contes et des le~en­

cles atl,iourd 'hui

a

peine connus ou 01.1blies des Canadj_ens, il n'en est pas moins vrai que la source vitale de la tradition orale est le Q.u8be'cois. "L'habitant"1et le :p8cheur gaspe-sien ont conserve bien des recits que le Canadien des villes a oublies. Ge n'est pas etonnant. Dans tous les pays, le uavsan est nlus conservateur que son cousin de la ville. Mais

~ IJ

le cultivateur est ~efiant; il n'aime pas qu'on le questionne. Aussi le fol}~loriste doit-il l'approcher avec grande diplomatie;

---

(13)

non seulement il doit gagner sa confiance, lu~ prouver qu'il vient en toute amitie, qu'il ne se moquera pas de ses coutumes ou de ses croyances, mais il doit se mefier des questions de celui-ci qui bien souvent aime mieux par-ler de la guerre, des inventions modernes, de politique, que de ce que ses grands'parents lui racontaient. Le folkloris-te doit aussi parler de ttconfolkloris-tes", "-peurs" et "faits" et non de contes uonulaires ou de - -· le~endes. __ )

La litterature po~ulaire canadienne-franqaise, comme toute litterature populaire nationale, se compose de plu-sieurs senres: le conte d'aventures merveilleuses, le conte de fee, le conte facetieux,, la legende; mais 1 'habi tant qui bien souvent n'a pas depasse la uetite ecole communale, ne connait pas ces distinctions toutes litteraires. Ceuendant il classe aussi ses recits.

un enfant veut-il qu'on lui raconte une histoire1 il

dira, "Pepere racontez-nous un conte, un beau conte", et le grand'pere commencera "Il est bon de vous dire qu'une fois,

c'etait une belle ~rincesse ••• ". Un beau conte c'est un conte de fee, ou une histoire d'aventures merveilleuses.

seuls les ,etits enfants croient

a

l'existence des ogres, des

princesses, et de Tit-J-ean. L'a!!.eul est-il fatig11e d'evoquer

un pays imagj_naire? il co:lrnencera un ~~ conte nour rire, c' est

a

dire une histoire drole ou le recit d'une aventure soi-disant arrivee

a

lui ou

a

un de ses voisins, ou les·details sont

(14)

nlau-12 sibles, l'aventure egalement, mais le resultat si imnossi-ble qu'il pravaque le rire. Puis un des ~etits quenendera une neur, une histaire qui revet un caractere effrayant au

qui cause la frayeur: recits de marts, de fantomes, de voix dans la nuit, de revenants, et ~our certains de loups-garous et de feux-follets. Les habitants craient-ils aux neurs ? Cela depend. Pour quelques uns toutes les histoires de re-venants, de marts sont vraies car ils croient que les morts reviennent veritable~ent sur terre demander des nrieres ou rappeler une promesse; pour d'autres, une neur c'est

seule-ment une invention de l'imagination

a

laquelle croyaient leurs ancetres. ~uand le conteur veut donner

a

entendre qu'il va raconter quelque chose qui n'admet pas le doute, il fera

pre-ceder son recit par "En voici une qui est vraiment arrivee. ea, c'est un fait que je vais vous raconter, un vrai fait. C'est arriv~ ~ Ti-Louis, le voisin de mon ancle Jos du deu-xi erne rang •.• " Parfois un habi ta.nt mains supersti tieux que

les autres, groupera tous ces genres sans distinction: "Oh1vous

.

voulez entendre des histoires de 1 'a.ncien temns t "

Je nourrais me servir de ces divisions nour ~tudier les genres populaires dans la Province, mais parce que l'epo-que moderne est une epol'epo-que de transition et l'epo-que bien des vieil-les croyances leguees de generation en generation par la voie du recit ont disparu, ou sont entrain de disparaitre, il est difficile de classer les recits en contes, peursL et faits ,

(15)

car ce qui ~our l'un est une peur, est un fait nour l'autre, et vice versa. Je m'en tiendrai done ~ la classification savante,

a

savoir le conte et la legende.

A la recherche de contes, ueurs, et faits, j'ai ~ar­

couru les regions avoisinantes de Montreal; puis nour avoir une meilleure idee d'ensemble de l'etat de la tradition dans

la Province, j'a~ envoye

a

quelqu~s deux cents cinquante ner-sonnes, pour la plupart cures de paroisses eloignees des

grands centres, une lettre cj_rculaire accor.rDagnee d 'un ques-tionnaire. On trouvera couie du questionnaire

a

la fin de ce

(16)

CHAPITRE II

LE COI'T~'E POPULAIRE

En parcourant les livres et les revues qui s'occu-pent du folklore quebecois, nulle part n'ai-je trouve une

J

definition du mot conte; il faut done en conclure que les auteurs donnent

a

ce mot sa si')~nification usuelle ou l i tte-raire, c'est h dire, r~cit court et ~lais~nt ou r~cit d'aven-tures imaginaires, indefini quant au temps et au lieu de l'ac-tion. Cette definition est-elle en accord avec la definition

de la majorite des habitants? Dans un sens, oui. L'habi-tant appellera conte le conte de fee, le conte nseudo-mer-veilleux, les recits ro~~anesques du Moyen Age, ainsi que

tau-te histoire courtau-te, plaisantau-te, au merveilleux paien ou chre-tien, que le conteur sait etre une oeuvre imaginaire. Ueuen-dant, le conteur a~pellera egalement conte toute histoire un peu longue

a

laquelle il croit

a

moitie tout en ne nouvant la

commencer nar

"ya,

c'est arrive

a

man nere ••• ", parce que celui qui a vu le fait est Mort de~uis longtemps et que son nom meme est oublie; il dira "9'est arrive une fois

a

un horn-me ••• " ou bien "Il y a ben lon.ste:r-1-:JS ••• " Le recit termine, lui et ses amis Qiscuteront du degre de veracite du conte.

ou'

i l -.,r a i t doute, indique une certail~e cro:rance; trop

fai-.J

·-ble cenendant nour faire entrer le recit dans la legende.

uo~e il a deja ete dit, c'est le ~euple des campagnes aui a le r1ieux conserve la tradition orale; et celui-ci n'a

:.r..

(17)

les genres litteraires; il ne sait pas distii~guer la fable du conte, du mythe, ou du conte de fee; il range pele-~ele taus ces genres sous le terme general de beaux~ontes. Ain-si le ter1ne popula.ire est-il pl11s large que le ter1:1e s2 .. vant.

D'ou viennent les contes que les petits Canadiens-franyais aiment

a

entendre raconter? Quelques-uns sont le

produit du terroir, mais la plupart nous viennent

directe-ment de .tr·rance. Lorsque les 3.)remiers colons debarquerent sur les terres vierges du ~aint-Laurent, ils anDortaient avec eux non seulement des haches pour abettre la foret, des beches pour cultiver le sol, et des 2ousq_uets pour se defendre, mais toutes les idees, les ~ensees, les connaissances du peuple franqais du dix-se:!)tieme siecle •. J:f'ut-il de Bretagne ou de

I:ormandie, le J:f'ranqais de cette epoq_ue connaissai t les dangers

qui guettent l'homme s'aventurant seul au milieu des bois apres la brunante, le sort reserve

a

ceux qui se conduisent mal, et les )Unitions qui s'abattent sur le nau_va:ts chretien. Le

Sainton~eals pouva~t a~ercevoir la Uhasse du Sleur de ~allery

a us si bien suT~ les bords de la H:_ viere Sai~'"1_t-C112_l·les que sous les cieux de France. Aussi est-ce tout naturel de retrouver le Petit Poucet, le Chaperon rouge, Gendrillon, et taus les contes que publiait Charles Perrault en 1697, chez les descen-dants des colons qui fonderent les paroisses de la Nouvelle-Francel. Cependant il est tres difficile de verifier

exacte-lees colons venaient surtout de Normandie, du Perche

du Niaine, de l'An.jou,

o.u

Poitotl, <le l'Aunis, de la Saintonge

(18)

16

ment l'origine regionale des contes. Comme sa soeur la chan-son, le conte voyage, circule

a

travers le pays, et bie~tot

nerd sa nationalJ._te'. Cec~ e~t ... ~..> d'aut t an u 1-us vra1 • que __ e 1

con-te, de creation tres ancienne, a perdu toute trace de lieu et de tenus qui pourrait indiquer son origine. On sait

seule-ment que les contes de fee ou d'aventures merveilleuses etaient connus de Bretons ou de Picards p~rce que des folkloristes

franqais ont retl~ou.ve clans ces prov~_nces des contes dont la co:c.tre -:partie pres que exacte a etf§ recueillie dans le uJu.ebec.

Par exen~le Les soeurs jalouseslcDrres,ond aux Trois filles du boulanger2 { traduit du Hreton), La bonne Ivladeleine3

a

.r>ierre.;

t . H'l' 4

e · e ene • On retrouve egalement un grand nombre de nos con-tes dans la collection Contes Lorrains de Cosquin. Plusieurs de ces contes donnent le nom de Jean au pri~ce ou au paysan qui a le role nrincipal. Ceci est interessa.nt car 'l'it-Jean est le heres national des contes canadiens. o'il y a un gar-qon courageux, ruse, debrouillard, uas toujours honnete, rap-pelant 1.1aitre Renard, ou un nrince qui ueut se battre centre six drae;ons, deli vrer une princes se, prisonniere dans un cha-teau sans uortes, c'est toujours Tit-Jean que le conteur

que-becois 1' appellera. 'l'i t-Jean est devenu synon:vme du chevalier errant, du prince sans peur, du roublard des contes franqais. se neut-il que son nom nous vienne du folklore lorrain? Ce1a

lJ .A .F., vol. 29, Jan. -L1arch, 1916 conte no. 2?

2Jameson, ]'.G., Fairy Legends of the ~·rench Provinces

(New

York: Thomas

Y.

Crowell & Co., 1903), ~p. 92-108 3J.A.F., vol. 36, ~ept.-Nov. 1923, p. 21

L

(19)

indiquerait necessairenent qu'a un moment donne, un assez

grand nombre de :personnes habi tant la Lorraine ou. ses environs serait venu s'etablir au pays, et que leur folklore se serait suffisamment repandu pour que le nom de 'l'i t-J ean se nationa-lise. Cela ne correspondrait-il nas

a

l'iEstallation dans les paroisses du bas ~aint-Laurent des regiments Hessois et Brunsv1iclcois du u-eneral Burgo~me lors de son retour au Canada apres la guerre d'Indenendance a~ericaine? Le soldat a

tou-Jours ete un grand conteur.

Les Algonquins, les Hurons et les J;}_ontagnais etaient les maitres du Bas et du Haut Canada quand les Franqais colo-nisateurs s'installerent sur les bards du grand fleuve. Ues Indiens, comme toute race sur terre, possedaient une mythologie et de nombreuses croyances sur les forces naturelles qui les entouraient. Eurent-ils une influence sur le :foll-clore fran-qais? Si la legende a ete, non influencee, mais enrichie par quelques episodes d'origine indienne, le conte ne contient pas d'elements etrangers

a

la civilisation europeenne. Cela s'ex-plique assez facilement. Le folklore indien se rattache

a

a

des croyances vivaces; il est l'expression des connaissan-ces ~hysiques et surnaturelles de l'Indien: il ex~lique la creation du monde, les phenom~·nes naturels, 1' origine de la tribu; il sert egalement de chron~que historique. Ainsi les personnages mi-animaux, mi-humains des rccits indiens ne nou-vaient influencer les contes qui de~uis lo~gte~~s ne

(20)

represen-18

taient plus une c1~o~rance nour les ]'ranqais qui les racontaient.

Au contra ire, c 'est le foll:lore franqais qui a influence le

folklore indien, ainsi que le fait remarquer M. Crane:

"Cer-tain Algonkin tales recently :published by l.lr. Leland bear

manifest marks of .tt·rench influence." 1

Parmi les fe.cteurs qui ont le nlus contribue a ' la

di:f-fusion des contes figurent les vel ... ees, non seulement celles . 11 ,

organisees !)end ant le temns des fetes, temns beni entre le

Jour a_e l'An et le l~ercredi des Cendres, nendant lequel on ne

~ensait qu'a boire, manger, danser et chanter; mais aussi

eel-les ob le cardage des aulnes de laine, le battage du ~rain,

1 ' ' l ep uc_et h t e d u bl' .., e a 'I ., nue, reu~~ssa~e~v ' . . _,_ VOlSlns e . . t VOlSlnes . .

!JOUr la Corvee.

Dissemines le long du ~aint-Laurent, les nremiers

ha-bi tants de la l"l·ouvelle-Jrrance gardaient jalousement tout ce

qui leur ran,elait la mere patrie. uonservateurs, mais gais,

bavards, aimant

a

rire, les habitants se reunissaient tantot

chez l'un, tantot chez l'autre; quand les dernieres nouvelles

de la paroisse avaient ete bien discutees, re~etees, et redites,

le violoneux prenait son archet et, en avant la musique. ~uis,

quand les jambes etaient fatiguees de tourner, de virevolter, on se reposait en chantant et en ecoutant le conteur du village,

~. F. Crane, "The Dif'fusion of Popular Tales", J ._t\..F.

(21)

dont la parole aisee et la memoire sans pareille designaient tout specialement pour faire surgir •1'it-Jeo.n, Cendrillon ou Parlafine. Le conteur faisait vivre ces etres imaginaires

devant l'auditoire attentif qui semblait entendre pour la

pre~.1iere fois ces contes entend11s de:9uis 1' enfance. P~ cette

epoque,

ou

la vie etait au ralenti pendant l'hiver, ou la T.S.F.,

le tele~hone, le telegraphe, l'auto, l'avion n'existaient pas,

\

les gens prenaient ylaisir

a

suivre les exploits des Tit-Jean q_ui tuaient des geants, des dragons, des sorcj_ers, et enlevaient les ~rincesses

a

leur ravisseur OU au SOlTimeil enchanteur. Gela

repondait

a

leur gout du merveilleux, aux reves de leur

imagi-nation. Ayant l'esprit )lus simple, plus naif que nous, une connaissance scientifique nulle, nos ancetres acceptaient ces contes, non co~e vrais, mais comoe etant du domaine de la realite, de meme que les enfants aujourd'hui aiment

a

rever d'exploits parmi les tribus sauvages des iles du Pacifique.

Geuendant celui qui a le nlus aide

a

conserver les

con.tes est sans contredi t 1' aielll. Dans la Province de Q,uebec, lorsque le fils qui doit heriter de la maison naternelle se

marie, la coutume veut qu'il amene sa jeune fe~me chez ses pa-rents, et les deux familles demeurent ensemble. Quelquefois la maison est divisee en deux uar une cloison, mais le plus souvent tout le monde partage le meme legis. Cette coutume a ses avantages en meme ternps que ses inconvenients. Quand une

(22)

conten-20

te de pouvoir les confier

a

la garde du grand'pere ou de la

d f ' d A

gran mere, pen ant qu' elle-meme s 'occuye du ~~·nage ou de la cuisine. Afin que les enfants restent tranquilles, quel meil-leur mo3ren que de meil-leur raconter une his to ire'? Et 1' aieul en sait de si belles t Il recherche dans sa memoirs toutes eel-les qu'il a entendues petit sur eel-les genoux de son grand'pere.

IJ_ les a entendues si souvent, en faL1ille et aux vej_llees,

qu'il les connait nar coeur; et, presque not !OUr mot, il redit les beaux contes que son ~etit-fils et sa uetite-fille cinquante ans plus tard' retransmettront.,

a

leur tour'

a

leurs desce:!ldants.

r~ais qui arrive la-bas sur le chemin du Roi? C'est Batissette le queteux, la gazette ambulante de Kanouraska. Ce soir il va chez Osias Lavigne; demain il sera chez le beau-pere. On ne manquera pas d

'-sr

all er car il doi t en sa voir des nouvelles; et yuis il connait ~eut-etre un nouveau conte, ou bien il a rencontre quelque loup-garou en s'en venant. Et le

lendemain tous sont dans la gra11de salle de Louis Langlais, les fem~es d'un cote, les hornnes de l'autre, et on ecoute avec attention le mendiant-ambulant qui relie les gens de Kfuuouras-ka

a

ceux des villages avoisinants.

Demain, le queteux aura repris son chenin, sans se sou-cier de l'avcnir car i l sait qu'en retour de sa parole, i l peut choisir la maison ou il soupera et ou il couchera. Demain,

(23)

a

coup leurs jeux et entourer le ~etit Langlais qui raconte un conte appris de Batissette.

Ces jongleurs canadiens parcouraient encore en 1916 que1ques regions de la Province, notan.JTI.ent celle de la I.1al-baie. Ils ne furent pas les seuls • •

a

renandre le conte et la .1,;

legende de paroisse en paroisse. Monsieur de Gaspe nous ra-conte dans ses Memoires:

I\1a famille deneurai t

a

la crun~agne ou il y avai t !)eU de societe et l'arrivee des freres Recollets au

ma-noir de Saint Jean Port-Joli (ils voyageaient toujours par couples) etait consideree comme une bonne fortune •

••• Ces moines etaient souvent des journaux vivants, plus veridiques que ceux de nos jours ••••.•••••••.•.

• • • • • • • a • • 4 • • • ~ • • & • • l ~ ~ ~ • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • - • a • • ~ ' 1 •

Le Recollet bien accueilli de toute la population, le Recollet ami de tout le monde, etait la chronique vi-vante et ambulante de tout ce qui se passait dans la

colonie. 1

Il ne faut pas oublier non plus les voyageurs, les

cou-reurs-de-bois qui devaient demander l'hospitalite chez l'un ou .l'autre des habita.L"J.ts. "Q,uand le voyageur arrivait, les partes

lui etaient ouvertes toutes grandes et s'il etait narlant i l

passai t la veill8e

a

raconter des histoires merveilleuses. 2 it Apres avoir fait les delices des vieux et des jeunes, le conte de fee disyarait graduellement de la vie canadienne-franqaise. Deja en 1863, i l est

a

moitj_e dechu puisqu'il ne

lE

.z.

~:Iassicotte, Anecdotes Canadiennes (]flontreal: Lib.

Beauchemin Lir:L~_tee, 1925) p. 159 citant un passage des 1:~eJ:"~:oires de P.

A.

de Gaspe.

(24)

s'adresse ~lus qu'aux enfants. Il quitte son allure voya-geuse, il ne sort plus que rarement de la paroisse ou du

cercle de famille. On l'accuse d'etre trop long, 9lus ou mains monotone; il n' est :9l11S digne de se fa ire entendre dans une reunion un peu nonbreuse ou quelque peu joyeusel.

22

Aujourd'hui il est

a

l'agonie. Ceux qui sont nes entre 1910 et 1920 se rappellent avoir ete berces aux sons des contes de fee, mais neu s'en souviennent assez pour les redire, car

l'aieul disparu, ils ne les ont ~lus entendus. Bientot les ~eti ts Canadiens, connne leurs cousins de lt'rance, s eront obli-ges d'aller chercher dans les livres les contes merveilleux.

La majorite des contes ~opulaires de la Province de ~uebec sont des contes de fee, des contes nseudo-merveilleux ou l'on feint ou parodie le merveilleux, et des recits roma-nesques du Ji/1oyen Age. On trou.ve aussi le conte chretien, le conte pour rire, quelques contes etiologiques, et une ou deux

fables.

Le conte de fee, comme son nom l'indique, s'occupe des faits et gestes de la gente fee; le conte

pseudo-merveil-leUX donne aux mortels le Douvoir de fees; et le conte roma-nesque met en jeu princes et bergerettes, alias filles d'ha-bitants. On retrouve dans ces trois genres les nombres mysti-ques (trois souhaits, sept enfants, 1 an et 1 jour), les

talis-

---la.ustave Lanctot, "Contes populaires canadiens"

J.A.F,

(25)

mans, les charmes, les objets et les faits merveilleux: ta-ches indelebiles, na~pes magiques, chateaux dans les airs.

s

On Y voit des mo~tres, des geants, des ogres, des ani~aux parlants. Les formules magiques donnent une nrotection sur-naturelle, ou metamornhosent les princesses. Les fees, les

princes, les sorciers luttent et rivalisent d'adresse. Le conte chretien est un r8cit amusant mettant en scene le Hon Dieu, mais un Hon Dieu bien humain, Notre Sei-gneur et ses Apotres "dans le temps ou ils s'adonnaient

a

rouler sur terre"l, et le Diable, mais un Diable qui a

tou-jours

a

souffrir des mauvais tours que lui jouent des gars comme Piuette et Larrivee. Bens coeurs, mais quelque neu

ru-ses et paresseux, Pipette et Larrivee preferent demander

a

Notre Seigneur, en reco~pense d'un acte charitable, un objet magique - sac, baguette ou jeu de cartes - au lieu du Paradis

a

la fin de leurs jours. Larrivee sait bien qu'avec son sac

il pourra penetrer dans le Paradis )uisqu'il n'aura qu'a le jeter derri~re Saint-Pierre et se souhaiter dedans. "Si vous allez au ciel, jetez done un coup d'oeil derriere la parte, vous y verrez Larrivee dans son sac."2 Et Piuette? Eh bien Pipette est arrive grace

a

son jeu de cartes magiques

a

chan-ger de place avec taus ceux qui le separaient du Bon Dieu.

lJ.A.F., vol. 29, 1916, p. 105. 2Loc. cit.

(26)

24

Voyez son a9lomb. Assis pres du Bon Dieu ne lui demande-t-il pas: "Bon Dieu, Bon Dieu! veux-tu ~ouer aux cartes avec moi?" et le Bon Dieu de repondre, "Cou'don, Pipette; tu es bien 1~? restes-ytnl Ces deu.x contes ra!;)pellent :par leur esprit

mali-cieux, petillant de vie, peut-etre pas toujours respectueux, les petits contes provenqaux qui firent les delices de Daudet.

Le conte pour rire? C'est ainsi que le Canadien ap-pelle une histoire generalement courte qui provoque le rire.

11 prend souvent la forme de reminiscences personnelles du temps que le conteur etait jeune, et il a toutes les apparen-ces d'une anecdote tout en se rattachant

a

une longue lignee traditionnelle. Un bon vieux de ~ainte Brigitte d'Iberville ne sachant ni lire ni ecrire, me raconta en 1942 trois contes pour rire que ~-~- Faucher de Saint J..~au.rice publiai t en 1880.2

Un autre conte Le veau vendu trois fois semble descendre direc-tement des farces du Moyen Age. On y retrouve le denouement de la Farce de 1Jaitre Patelin:. un habi tant qui a vendu le meme

~

a

veau trois differentes personnes est appele en cour; son avo-cat lui conseille de reponclre

a

toutes les questions du juge uar "ouin, ouin, ouin"; quand l'habitant est acquitte -pour eau-se de folie,l'avocat veut eau-se faire payer, - le pa~rsan lui

re-nand "ouin, ouin, ouin."3

2~yaucher de Saint liaurice, Uontes et Recits ('l' aurs: 1/Iame, 1930) tro. ""'" ... 18, 19, 20.

lJ .A.F., vol. 29, 1916, :p. 108. 3J .A.F., vol. 36, 1923, p. 49.

(27)

Le comique du conte pour rire reside soit dans la dro-lerie du recit meme, comme dans le conte de Quatre-noils-d'or dans l'dosl, soit dans le denouement inattendu d'un episode

ayant toutes les apparences de la plausibilite. On ne s'attend

'

a

pas ce que l'arbre en fleurs qui nmrche soit le ~etit la~in

blesse l'annee precedente par une decharge de noyaux de

ceri-sest2 L'exagteration joue aussi son role, et il taut voir l'oeil malicieux du conteur lorsqu'il vient de raco~ter une bonne

galejade. (Ce terme pr~venqal est connu de certains Canadiens). Satan fait souvent les frais de l'amusement du conteur;sa

cupi-dite, sa curiosite, meme son innocence sont mises

a

l'epreuve. Le conte pour rire peut etre du meilleur es:1ri t franQais, fin

et railleur, ou bien Uftes.-gaulois.

Le conte etiologique explique la cause de ""?}1enomenes physiques, ou de coutumes locales. Tous les habitants ont remarque ~.que les corneilles e:n_icrent vers le Ganada

a

1' ay-proche du :prin te!rr~s et que leur arri vee est salt1ee par "le uetit hiver" ou l'apparent retour du nauvais te~ps. Pourquoi

ce phenomena qui se repete chaque a~~ee? et pourquoi la cor-neille et le corbeau sils voraces et sanguinaires, et

ont-ils le cri aussi lugubre? L'hiver des corneilles3nous en donne !'explication. Pourquoi le soir

a

la brunante les cra~auds

lJ.A.F., vol. 29, 1916, p. 45.

2Jfaucher de Saint l~~aurice, Contes et~tRecits, p. 19.

31d. Barbeau, G-rand'lv!ere raconte (t~ontreal: Editions

(28)

26 essaient-ils de happer les abeilles gonflees de miel? C'est une vieille, vieille histoire qui retourne

a

la creation, et

a

1 'heureux te~lps ou A<lam et Eve vi vaient au Paradis.

Le Bon Dieu venait de creer l'abeille. Ayant goute

a

son miel, Adam et Eve le trouverent si bon qu'ils en remer-cierent leur Createur. Or, Satan qui etait present, pris de

jalousie, decida d'abolir l'abeille en creant un animal dont l'instinct serait de la detruire. 11 ramasse m1e notte de ter-re, souffle dessus, et tout en marnottant des mal8fices, il la

jette vers la ruche; un crapaud en sort. Llais encore novice dans l'art de creer, Satan avait oublie de donner des ailes

a

son nouveau-ne qui s'etale lourdement sur le sol. Les abeil-les qui tout d'abord s'etaient sauvees, reviennent examiner cet etrange animal quand, hopt il saute, et il en hapye une. Et c'est depuis ce jour que les abeilles doivent se mefier des crapauds.l

Pour le ~uebecois en general, ce recit n'est qu'un conte explicatif; ,our le folklorists il renresente ou l'in-troduction parmi la tradition franqaise d'un elewent oriental, ou l'assi~ilation par le peuple fran~ais d'une philosophie an-terieure au christianisme. uette histoire nous renresente e>atan ·nml comme un ange dechu, ce qu'il devrait etre d'anres

la philosophie catholique, mais comme un createur. 11 est l'egal

(29)

de Dieu. I l peut tout. Cependant ce qu'il cree n'est jamais pour le bien de l'homme, ou de~ animaux, mais de l'homme. Il s'oppose

a

tout ce que Dieu fait. Comme Dieu represente Celui

qui cree le Bien, Satan represente celui qui cree le !~al.

Cette idee que le Bien est en conflit continual avec le L"lal est

a

la base de plusieurs philosophies orientales, notamment celle des Perses. Devons-nous voir dans ce recit

un conte persan assez recemment importe en ~urope par quelque voyageur, et qui au contact de la civilisation chretienne se serait juste assez Christianise: uour prendre le nom de ner-son11ages im:portants a_e la philosophie chretienne't ou devons-nous voir la un tres vieux conte europeen qui indiquerait

con-sequemment l'existence d'une philOSODhie ancienne similaire

a

celle trouvee en Per se de nos jours•t JTous voyons done ici 1' im-portance qu'il y a

a

recueillir les contes pour l'etudiant en mythologie et en litterature comparee, et pour celui qui

cher-che

a

retracer le developpement intellectuel et ~oral de l'ame humaine.

Remontant egalement

a

une lointaine epoque est cet autre conte qui explique pourquoi on tord le eau au coq,

~ourquoi on saigne le cochon, et pourquoi on assomme le boeuf nour les raire mourir.l

L'analyse des contes recueillis dans la Province de

(30)

28

~u~bec (exception faite du conte nour rire et du conte

chr~-tien), demontre que la plupart ont un quelque chose qui n'exis-te pas dans le conn'exis-te francais: le conn'exis-teur introduit ici et la ;) dans le recit)une phrase, lli~ jugement personnel, qui en sou-ligna la morale; il Cherche

a

Ufaire ingurgiter une pOtiOn

composee d'une once de verite melee

a

quatre onces de malice"l. Pour montrer que seul l'enfant sage et propre se fait aimer

de tout· le monde, l'aieul racontera les aventures du Petit

Bonho~~e de graisse2. Les Trois conseils du hoi servira de leqon aux grands garqons. A son tonnelier qui le quitte, le roi donne trois conseils: de toujours suivre le droit cheEin

si ardu soit-il; de laisser faire et dire les autres sans na-raitre y faire attention surtout quand il neut faire autrement; de toujours remettre sa colere au lendemain. ~t le conteur

de terminer: "De:pu2.s,ces trois conseils continuant d'etre aussi bons que par le pass~.n3 Un autre conte, L'hiver des

corneilles raco11te co:nrnent ..Le corbeau et 12 corneille condam-nes par Noe

a

voyager sans trevef arriverent un ,jour dans un

uays couvert de sanins et de nins. Il faisait beau, il faisait bon, le soleil brillait. Le lendemain le vent du nord soufflait

et la neige tourbillon11ai t. Ainsi que 1' avai t cornmande l·foe, la foret s'etait soulevee centre les deux oiseaux. Les

fugi-lE.Z.I.Te..ssicotte, ''La recolte du diable", B.R.H., :~:·:.,:VIII:

668, nov., 1932.

2J.A.F., vol. 33, 1920, conte no. 45.

(31)

tifs dtlrent re :prendre leur fui te. . '

~r-::.nr_-._ '::1ere

coY'_·:~e l 'L_~~_sto~·~re de conclure: "Si la colere de Dieu descend

cor1~1e ea sur de si:oples oiseau.x, qui furent maudi ts par Noe, b . l

corn 1en p_us ses chati!1e~ts s 'a:·)yesantissent sur 1 'honne

. ~. d' 1 . d, '

l:1.I l e_e qul esob6it a e>es co1mander1ents et meurise ::>es

re-, ~

n-;, r'f ~ ~1 .~... ':'1 ~:-f.- ,., n __

... • - - c.) ' J .. - \.J ~-~VU e

Po~,'_l·c~tloi le conte "90J!tllaire q1~~-ebeco2.s a-t-il :9lus

ten-dance

a

moraliser que le conte ~opulaire ·- .. francais? Peut-etre . ) parce que le conte canadien a vieilli mains vite, il s'est rattach~ plus longte~ps au but fonda~ental de la tradition orale qui est d'enseigner. Le folklore des tribus ou l'art d'ecrire n'est pas connu, montre bien que le recit sert

a

transmettre aux generations successives~ les connaissances

acquises et accrues au. co::;.rs de 1' existence de la tribu. t~ais la ou la vente du livre s'est faite sur une grande echelle, le livre a graduellement remplace la tradition orale. C'est nour-quoi au dix-neuvi~me si~cle, le conte et la legende ava~ent nerdu toute valeur utilitaire aupres cles l''ra."1.qais. Par con-tre, de par le manque de livres franqais et le manque d'ins-truction publique (~uisqu£apres la fermeture des 6coles fran-qaise conmunales vers 1820 les Canadiens prefererent ne nas envoyer les enfants

a

l'ecole plutot qu'ils aillent

a

l'ecole anglaise), La Province de Quebec garda plus longtemps la

(32)

30

tume d'enseigner par la parole; et si le conte en lui-meme etait considere cornme faisant partie de la fiction, le ~:Cana­ dien-franqais s'en servait pour donner des lec.ons de morale ;t

et de politesse aux enfants, voire aux grandes personnes.

~uelques conteurs meme, se servaient d'episodes tires de ,

plu-sieurs contes, pour en faire un. nouveau comnortant une leqon.

speci~ique

a

l'adresse des enfants. Nous en avons un bon

exemnle dans 1,1adeleine et 1' o.~re de la foret. Le debut de cri t

un acte tres courant dans la vie du petit Canadian du xrxe

siecle: Madeleine va dans la foret y chercher du bois pour faire un balai. l''atiguee, elle s 'endort. Alors le conteur

nrenant des details de differents contes, :1.~- les a.joute

a

d'autres details de sa composition et Madeleine passe par bien des dangers. Enfin le conte se termine ainsi: "LongteEllJS,

longtemps, r;J:adeleine song ea

a

1' imprudence qu' elle avai t corn-mise, d'aller chercher du balai seule dans la talle de cedres.l

on voit clairement que le recit n'a d'autre but que celui de faire realiser aux enfants le danger de s'aventurer seuls dans la foret.

Il a ete dit que le code moral des legendes locales

8"Llrop6ennes rernonte

a

"ll:!.l coc1e beo.ucoup plus ar.cien q_ue celui du IJouveo.u Testament. 2 Cela peut se dire auss i du conte. No us le voyons dans le conte des Deux Voisins. Le conte ne cherche

lJ.A.?., vol. 50, l923, p. 12.

2Alex. H. Krap:pe, The Science of .H'olklore {London: Methuen

&

Co. Ltd., 1930), p.

(33)

pas

a

demontrsr qu'il est malhonnete

a

deux hommes de se liguer enseflble pour en voler un troisieme, ~ais bien qu'un voleur ne devrait pas essayer d'en voler un autre: le conte souligne que le queteux vole le marchand, seulement parce que ce dernier lui refuse son du. On a l'impression que si le marchand s'etait tenu aux termes de l'entente, le conteur ne

l'aurait nulle~ent condamne nour sa malhonnetete.

Au dix-septieme siecie la fable etait bien connue en France, et il semble etrange de ne pas en retrouver de nom-breux exemples au Canada franqais. De fait, il y en a tres neu. Deux recits classes comme fables 1 ne le sont qu'avec beaucoup d'indulgence. La fable est un recit fictif, destine

a

mettre en lumiere une idee abstraite; le recit devrait etre bref et precis, !'observation juste, et l'apologue devrait internreter heureusement la morale • .J. Les recits canadiens

sont courts et concis et ils mettent en jeu des animaux, selon la meilleure tradition; l'observation ne fait ~as defaut; mais ou est la morale? Les fables canadiennes ne l'expriment pas; celui qui ecoute doit la degager du recit et la for·rnuler lui-meme. J'ai meme l'impression dans le conte du Loup que la vraie morale etait autre et qu'elle a

ete

modifiee ou oubliee avec le temps.

Quand on examine les contes de notre terroir on est frappe de voir qu'apres trois cents ans, ils sont restes

re-m.ar<1uablement fideles atlX modeles apportes de .trrance. Non

(34)

32

lement on retrouve les m8mes personnages, les memes episodes, mais aussi d'anciens mots franqais dont le sens est Derdu au Canada et que le conteur emploie parce que celui de qui il tient le conte s'en servait. C'est ainsi que EMe. Sioui em-ploie le mot cacassier, c'est

a

dire cocassier.l Cependant

deja en 1916-18 on peut trouver des indices de la desagregation du conte dans la Province: un long conte compose de plusieurs aventures majeures se subdivise en plusieurs recits; des de-tails de costu.mes, de r~etamor~hoses, se glissent d 'un conte

a

l'autre; il y a un manque de logique dans le d6velonnement de certains r8cits.2 Q,uand on~lJ.it plusieurs de suite, on a le semtiment que le conteur a tout

a

couu oublie un detail et qu'il a fait appel

a

d'autres contes ~our sunTileer

a

sa memoi-re defaillante. ~arfois le detail oublie a beaucoun d'i~Dor-tance • Ainsi dans un conte de 'l'i t-Jean le roi nro:net sa cou-ronne

a

celui de ses tro5_s f~_ls qui ltli ra""J-~:ortera la ulus bel-le !)iece'~de toile. Le plus jeune que nous savons etre le

nre-fere

du roi, gagne. On pourrait croire que tout finirait la,

mais non, le roi renvoie ses fils chercher le ~lus beau cheval. Pourquoi? i l y a la quelque chose d'illogique, surtout si l'on sai t que la plup~~rt des contes donnent aux ro is la qtlali

te

d'etre justes. Le ~eTie conte recueilli en Bretagne nous donne la renonse: en voyant le succes du plus jefu~e, les deux aines

---~---,--lT ,. F

.,

vol. 29, 1916, conte no. 4.

2comparer P't5_t-Jean et -le r-~oi, TifJean et le Cheval Blanc, et le ?rince de l'Jp§e Verte, J.A.F., vol. 29, 1~16.

(35)

s'ecrient: Il faut trois epreuves. Et selon les regles

qui regissent les contes de fee, le roi ~oit se sour.1ettre,

c'est pourquoi il nose la deuxieme epreuve.

Ce sont

la

des signes evidents de la Jisparition de

la tradition orale. Des qu'il n'y a plus rannel constant,

la m8:1oire mele, oublie, s'affaiblit. Pour que le conte vive,

(36)

CHAPITRE III LA LEGENDE

Legende, mot si sL~ple en apparence et pourtant as-sez difticile

a

definir, eveille en nous non un objet con-cret, mais une agglomeration d'idees. Il appartient

a

ce groupe de mots dont le sens primitif est encore en usage, mais qui, au surplus, suggerent une idee independante de

l'original.

Legends vient du mot latin "legenda". Au debut de l'ere chretienne les moines lisaient

a

Matines,

ou

a

une

au-tre heure de la journee, quelques unes des Legenda qui n'etaient autre que la Vie des Saints. Publiees plus tard sous forme de poemes, les Legenda se repandirent parmi le peuple qui les

adopta. Incapable de verifier l'authenticite des aventures plus que merveilleuses des Saints et les nombreux miracles attribues aux premiers martyrs ohretiens, le peuple aocep-tait ces recits comme historiquement vrais. De

pere

en fils, on se transmettait la legende de Saint Denis decapite ramas-sant sa tete, de Sainte Marthe subjugant la Tarasque. La

legende sous-entendait done un recit historique et veridique, puisqu'elle racontait un episode

vecu,

et qu•aucun doute n'ef-fleurai t le conteur sur la veraci

te

des faits. N·aturellement,

ces recits n'etaient souvent que l'eclosion de !'inspiration inoonsciente des masses.

(37)

L'histoire de la nation, souvenirs des siecles nas-

ses, se transmettait aussi de generation en generation. Le courage d'un prince, un combat sanglant, une apparition mira-culeuse sur terre ou dans les airs, - tout etait l'objet d'un recit. Chaque village avait ses traditions, son histoire.

Ici l'Empereur Charlemagne avait campe;

la

la Sainte Vierge ~tait apparue; ces empreintes etaient celles de Messire le Roi, le bon Saint Louis.

~uand l'etude de l'histoire devint une science, et que les savants comparerent les faits historiques bases sur la verite scientifique avec les memes faits transmis par le peuple, ils s'aperQurent que la tradition avait terriblement ma~ene l'histoire. Les recits populaires n'etaient que de

l'histoire defiguree par !'imagination et presentee sous un aspect merveilleux. Il y avait bien precision de temps, de lieu, de personnages, mais ces precisions etaient souvent tausses; c'etait tantot retrecissement ou extension de

l'ele-ment temporal; tant8t l'adoption par un village d'un evene-ment qui avait eu lieu lOO milles plus loin; tantot

l'enbel-lissement ou la diffamation d'un personnage national ou local.l Parce que le peuple considerait ces r~cits,

ou

l'histoire avait ete defiguree par la tradition, comme veridiques, on leur con-fera, ~ar analogie, le titre de legendes.

(38)

36 Par extension, on appelle egalement legende tout

re-cit populaire plus ou mains fabuleux transmis par la

tradi-tion. ~uelle difference y a-t-il alors entre la legende et le conte populaire?

Le conte est avant tout un r~cit fictif. Le Canadian n'a jamais cru

a

l'existence et aux aventures des personnages qui peuplent les contes; il sait que le conte est oeuvre d'ima-gination. Cela ne veut pas dire qu'il n'ait jamais cru aux fees, mais il sait que les fees, les princesses, les geants des contes populaires font partie d'un monde irreel. Au con-traire, la legende est un recit qui~avant tout~sous-entend que le peuple croit, ou a cru,

a

la veracite du fait raconte. Il s'ensuit que tout recit evoquant une superstition populaire

ou

ne manqueront ni les details de lieu, ni de temps, ni de personnages, et qui se reclamera de la tradition, pourra

Atre

appele legende.

~ue Monsieur X du Mont-Tremblant raconte: "~uand mon grand'pere etait garQon, un soir qu'il revenait par la savanna

11 a rencontre

a

la croisee des chemins {details de personnages, de temps, de lieu), tin gros ohien noir qui lui a saute sur les

epaules et qui l'aurait devore s'il ne l'avait blesse aveo son oouteau.

Des

que le sang a ooule, le chien s'est transforme en homme ( reci t qui montre la cro~rance tradi tionnelle au loup-garou). Si Monsieur X me raoonte l'histoire avec l'assurance d'un homme qui y oroit, et si je doute tort de l'existence des

(39)

loups-garous, je puis publier l'histoire sous le nom de La

Legende du loup-garou du Mont-Tremblant. Ce recit sera legende pour le lettre, et fait pour l'illettre.

La plu~art des legendes qui ont trait

a

une croyanoe

vivace se retrouvent sous forme d'anecdotes, "recits oraux de composition inedite et recente ayant trait

a

des peripe-ties tant8t reelles, tantot imaginaires de la vie

domesti-que; ••• elles prennent la forme de reminiscences personnelles ou de souvenirs communiques et transmis.l" Cependant il y a une difference entre les legendes anecdotiques comme cella du

loup-garou et les legendes comme celle de la messe du revenant. Ce que la tradition a preserve dans le premier cas, c'est la personnalite du loup-garou; le reoit ne sert

qu'a

exprimer la croyance. A quel moment de la journee,

a

qual endroit le loup-garou rencontre-t-il son adversaire? comment est-il delivre?

cela n'a aucune importance. Les details, la mise en scene, se renouvellent chaque fois; seul le loup-garou, le point sail-lant du recit, ne change pas. C'est lui que la tradition con-serve de generation en generation. Il represente une croyance populaire, la croyance en !'existence d'un phenomena

surnatu-rel qu'on appelle courir le loup-sarou. Par contra une le-gende comme la lele-gende de la messe du revenant suppose

tou-jours le m~me develop~ement

a

l'interieur du recit. La

tra-lMarius Barbeau, "Anecdotes populaires du Canada", J.A.F., vol. 33, 1920,p. 263.

(40)

38 dition en a fixe tous les details. La legende peut voyager, elle peut se rattacher

a

plusieurs localites, sa rorme res-tera la

m8me:

c'est

a

minuit que sortant de la sacristie le

pr~tre s'avance vers l•autel; c'est en expiation d'une messe mal dite, que chaque nuit il doit revenir sur terre, jusqu'au moment

ou

un homme, surpris de voir l'eglise illuminee en

pleine nuit, y entre et surmontant sa rrayeur, repond

a

"l'Introibo ad altare Dei" du

pretre.

Que ce soit de l'une des eglises du comte de Lotbiniere, de l'Ile Dupras, ou de Sorel, l'histoire se deroulera toujours conformement

a

un

plan etabli par la tradition. La tradition n'a pas seulament fixe la croyance populaire, mais aussi le recit.

Des recueils de legendes, des revues folkloriques et litteraires, des notes inedites de M. Marius Barbeau, et des reoherches personnelles sont

a

la base de cette etude sur les legendes.l

Au

cours de mes recherches, j'ai recueilli plusieurs recits de loups-garous, de feux-tollets, de lutins, etc.,

mais je n•ai pas entendu de legendes non

deja

publiees. Tou-tetois, il m'a

ete

possible de verifier quelques unes des

le-gendes publiees sans donnees scientifiques.

L'etude

des

legendes revele

que certaines d'entre elles se retrouvent eparpillees

a

travers toute la Province tandis

lon

trouvera

a

la fin de ce travail quelques legendes inedites provenant des casiers de M. Barbeau, et quelques unes qui

m'ont

ete

envoyees

avec

le questionnaire.

A ma

connaissance

aucune n'a

encore

ete

publiee.

(41)

que d'autres se rattachent

a

une seule region, voire

a

une localite. Quel conteur ne connait une eglise, si ce n'est la sienna, qui n'ait

ate

batie aveo l'aide de Satan? L'eglise de ~aint Laurent (Ile d'Orleans), de Saint Augustin, du

Sault-au-Recollet et oomme me disait un "habitant", toutes les

egli-ses de la Province, n'auraient jamais

ete

ter.minees sans le secours d'un immense cheval noir d'une force prodigieuse. Nos anc8tres fournissaient volontiers le bois et la pierre de

construction pour b!tir l'eglise paroissiale, mais ils n'ai-maient pas beaucoup quitter les labours pour aller chercher

la pierre

a

la carriere. Le cure se voyait done oblige d'en appeler A la Sainte Vierge ou au Petit Albertl. Par l'entre-mise de l'une ou de l'autre, il entrait en possession d'un

grand cheval noir, certains disent blanc, la bride au cou, les yeux etincelants. Le cure confiait l'animal au bedeau avec

detense expresse de lui oter sa bride. Jour apres jour on voyait passer le cheval tirant de lourdes charges de pierre. Immanquablement au bout de trois, quatre jours, un jeune fan-faron, pris de pitie pour le cheval qui ne pouvait boire ni manger librement, enlevait le mars et, pfft ••• plus rien ne restait que la poussiere du chemin. Delivre de la bride benie

lLe Petit Albert, vieux grimoire de sorcellerie etait publie en France et interdit au Canada puisqu'il etait cense

donner le moyen de coim!luniquer avec le Diable. Des qu 'un cure mettait la main sur un exemplaire, le Petit Albert etait

brU-le.

Mon conteur ignorait sans doute ce detail puisqu'il met le livre du diable entre les mains du

pretret

(42)

40

I

ou ensoroelee , le grand cheval noir etait redevenu Satan. Heureusement le travail etait presque achev': tout au plus

restait-11 une pierre ~ poser. Si jamais vous allez

a

l'Islet ou

a

la Baie-du-Febvre, n'oubliez pas de demander

a

voir !'en-droit

ou

elle manque, les gens de la place vous l'indiqueront. Je ne connais qu'une eglise qui eut vraiment

a

souffrir de la d6sobeissance du jeune fantaron; depuis sa construction, l'egli-se paroissiale de Sainte Elizabeth n'a jamais ete bien solide.

Presque tous les conteurs connaissent cette legende avec plus ou mains de details, il est vrai. L~un deux m'a

affirms que sous le cure Lausois, l'eglise de Lavaltrie avait

ete

ainsi construite, et que le bonhomme "qui se oroyait ben

fin etait un nomme Desjardins". Le cas est rare. En general le conteur ne se rappelle pas des noms; l'eglise est batie

depuis trop longtemps.

On dit aussi que dans la sacristie de l'eglise du Sault-au-Recollet l'on peut voir un tableau representant Satan en

cheval blanc, tableau peint par le cure de l'epoque. Tout en

ne croyant pas

a

la legende, je pensais que la peinture exis-tait, tout comma cet Amerioain qui desappointe d'apprendre que le trou dans l'eglise etait pure invention, insistait pour qu' on lui "montre au moins le tableau du tameux cheval blanc". Et

l'abbe Beaubien qui raconte le fait conclut: "J'eus reellement ~e la peine

a

convaincre ces personnes qu'il

n'y

avait

la

(43)

que je demeurai fort surpris de voir nos legendes rendues si loin, et si accreditees.l"

Les legendes de Satan bdtisseur d'eglise, de Satan au bal, de La Messe du revenant, et de La Chasse-Galerie sont

connues dans toute la Province; elles se rattachent

a

un cycle de legendes particulieres

a

toute l'Europe. ~~grees au

Canada au XVII9 siecle, elles ont graduellement oublie leur

origine franqaise et ont pris racine un peu partout dans le

~uebec. Les vieux de l'Ile Dupras et de Lotbiniere qui

racon-tent la legende·de La Messe du Revenant seraient tres surpris d'apprendre que ce n'est ni dans l'une ni dans l'autre de leur eglise que se passa le miracle, mais au Pellerin, petit bourg breton,

a

quelques lieues de Nantes.2

Un groupe de legendes canadiennes eminemment chretien-nes se rattache aussi au folklore europeen. Petits tableaux

ou anecdotes, on y reconnait les personnages legendaires de l'Ancien et du Nouveau Testament. ~uelquefois le conteur nous montrera Notre Seigneur ou le Juit Errant parcourant la

Provin-ce, mais le plus souvent les precisions de temps et de lieu manquent. On peut h~siter

a

appeler ces recits contes ou

le-gendes, surtout

a

notre epoque si sceptique. Pour certains

conteurs, l'authenticite du fait raconte ne fait aucun doute;pour d'autras la

veracite

ou la

non-veracite

du

recit

n'a aucune

lL'abbe

Charles Beaubien,

B.R.H.,

vol. 5, p. 245, 1899. 2p.G.Roy, "Les legendes canadiennes", Les Cahiers des Dix, vol. 5, page , 1937.

(44)

42

importance, ils r~petent tout simplement ce que leur

racon-taient leurs parents, La legende est belle, poetique, et

satis-tait

a

leur godt du merveilleux; la tradition est

la

pour

re-pondre aux objections des incredules. Pourquoi un des pepins de la pomme que mang~rent Adam et Eve n'aurait-il pas ger.me et produit le bois qui servit

a

construire la Sainte Croix?

et qui nous di t que le tomb eau d 'Adam n' etai t pas sur le Mont Golgotha?l On sait aussi pourquoi

a

la Notre Dame de Mars les vepres sont chantees aussitot apres la messe2, pourquoi

cer-tains p~cheurs ne touchent pas au haddock, le poisson de

Saint-Pierre3, et comment le Diable enchaine par un boulet au haut d'une montagne ne s'endort que pendant la sortie du pretre A

P&ques Fleuries (dimanche des Rameaux)4. lieureusement qu'il dort, car

a

cet instant, la chaine qui le retient prisonnier

deviant si fine, qu'il pourrait la briser s'il se reveillait; et pour se venger de Dieu il penetrerait dans les eglises em-portant les fideles. une derniere legende nous apprend que sur chaque grain de ble est gravee la .tt'igure de Jesus Christ. U'est pourquoi on donne du ble aux malades. Cette croyance nous vient de Haute-Bretagne.

l·v·oir append ice. 2rbid.

3F. de Saint Maurice, Contes et Reoits, p. 25. 4casier M. Barbeau

(45)

Toute autre que la legende europeenne est la legende locale, enfant de !'imagination populaire. Ce n'est pas que la superstition, mise en valeur par le recit, soit particuliere

a

une localit~ ou meme

a

notre Province. On retrouve les memes croyances en Europe. Mais l'enoha1nement des evenements, les personnages, en so~~e la base historique

a

laquelle vient

s'ajouter la superstition populaire, appartient nettement

a

la Province, et varie salon les localites. Presque chaque village quebecois a sa maison hantee; mais les legendes des maisons hantees de Packwood, de Saint-Su~pice, de Beauport,

du moulin

a

farine de Lorette ou du Chateau de la Canardiere ne se ressemblent pas. On peut tout de meme les grouper

en-se~ble parce qu'on retrouve dans chacune la croyance populaire aux esprits qui se revelent aux vivants par des actes etran-ges: bruits mysterieux, soupirs, apparitions.

Il est parfois difficile de savoir si une legende est d'origine europeenne ou locale. La tradition orale de la

Province suit une courbe descendante depuis 1850 et une

le-gende qui a pu etre

tres

r6pandue au commencement du siecle dernier n'est aujourd'hui connue que d'un groupe restraint de

personnes dgees et au lieu d'etre associee

a

plusieurs lieux-dits, elle ne s'applique

qu'a

une paroisse.

Nous retrouvons dans les legendes quebecoises quelques

traces du folklore indien. Nous verrons comment les idees

(46)

44 franqaise du loup-garou. Les Indians c~oyaient aussi

a

l'exis-tence d'un esprit surnaturel "le Grand Manitou" qu'ils ne

respectaient que lorsque celui-ci se tachait. Nous le

retrou-vons dans plusieurs legendes, notamment celle du Mont Trem-blantl et celle du Serpent de Lorette2ou il apparait sous la figure du

genie

malfaisant de la riviere Saint-Charles. Le Grand Manitou avait aussi ses sorciers dont le carcajou. Le mendiant Cossu pretendait que le carcajou faisait tourner le lard dans les chantiers afin de le manger quand on le jetait,

,

et que c'etait lui "qui avait invente les plantes "vlimeuses" (veneneuses) et l'herbe

a

puce.3 Le carcajou, c'est aussi

Otsitsot, jeune debauche huron qui se vendit au Grand Manitou, et sans doute la "Jongleuse", vieille Iroquoise qui cherchait

a

tuer les FranQais par son pouvoir occultei La croyance in-dienne1que les hautes montagnes sont habitees par des geants

est aussi

a

la base de plusieurs legendes quebecoises. Outikou, le geant des Mechins, etait bien connu des anciens canadiens. C'etait

un

geant fantastique qui chassait de la voix pour empor-ter dans les antres les sauvages qui

l'avaient-entendu."Outi-kou s'appuyant sur unpin rugueux et violemment arrache, c'etait

lvoir appendice

2p. Aubert de Gaspe, "La legende du Grand Serpent", Le

Foyer

Canadian, vol. lV, pp. 534-551.

~rl.R. casgrain, Legendes canadiennes (~uebec: Brous-seau, 1861) p. 1 et suiv.

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