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Les pratiques enseignantes en faveur de l'égalité des sexes à l'école : autour de quelques dilemmes professionnels

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1 Gaël Pasquier

Maître de conférences en sociologie

Ecole Supérieure du Professorat et de l'Education - Université Paris Est Créteil Observatoire Universitaire International Education et Prévention (OUIEP)

Laboratoire Interdisciplinaire de Recherche sur les Transformations des pratiques Educatives et des pratiques Sociales (LIRTES)

gael.pasquier@u-pec.fr

Les pratiques enseignantes en faveur de l'égalité des sexes à l'école : autour de quelques dilemmes professionnels

Pasquier Gaël (2015). Les pratiques enseignantes en faveur de l'égalité des sexes à l'école : autour de quelques dilemmes professionnels. Dans Houadec Virginie, Babillot Michèle, de la Motte Astrid et Pontais Claire (dir.). Agir pour l'égalité filles/garçons de la maternelle à la 6ème. Tome 1. Toulouse : CANOPE, p. 17-18

Si durant trente ans, les textes de l'Education nationale en faveur de l'égalité des sexes à l'école sont restés pour l'essentiel sans effets1, certaines enseignantes et certains enseignants se sont toutefois emparé-e-s de cette question dans leur classe et avec leurs élèves. Il importe de s'intéresser à leurs pratiques pour mieux comprendre ce que met en jeu un tel travail au quotidien, les modifications de posture professionnelle qu'il entraine et la manière dont il interroge les savoirs disciplinaires enseignés à l'école. Les pratiques de ces enseignant-e-s tentent en effet d'articuler des savoirs sur la mixité produits par les recherches en éducation, savoirs qui montrent comment l'école participe activement à la reproduction des inégalités entre les filles et les garçons et des stéréotypes de sexe, et une volonté de changement. Elles nécessitent de se débarrasser d'une illusion de neutralité dont sont sincèrement porteuses et porteurs nombre d'enseignantes et d'enseignants, qui leur fait croire qu'elles et ils traitent de la même manière toutes et tous leurs élèves, quel que soit le sexe, les origines sociales, migratoires ou la couleur de peau de celles-ci et ceux-ci.

Ces pratiques initient ainsi un changement de regard sur les phénomènes éducatifs : il s'agit en effet de ne plus poser l'égalité de traitement des élèves et la neutralité enseignante comme un "déjà là", nécessairement mis en œuvre par l'école et ses professionnel-le-s dès lors qu'elles et ils en sont convaincu-e-s, mais de les penser comme des objectifs qu'il faut toujours poursuivre sans être jamais sûr de réussir à les atteindre. Ceux-ci nécessitent en effet une profonde remise en cause des manières d'être et de faire dans la classe, interpellent les savoirs qui y sont transmis et les stratégies d'enseignement et d'apprentissage mises en œuvre.

Car les rapports de pouvoirs dans la classe sont mouvants, se recomposent en permanence, souvent dans un sens identique, à peine a-t-on tenté de les déconstruire et de les rééquilibrer. En Education Physique et Sportive par exemple, la pratique de la danse ou de l'expression corporelle est bien souvent choisie par les maîtresses et les maîtres impliqué-e-s dans la lutte contre les inégalités entres les sexes, pour proposer aux filles des apprentissages supposés intéresser la plupart d'entre-elles dans une discipline où elles se sentent parfois à l'écart. Elle est également utilisée pour permettre un premier questionnement des stéréotypes de sexe en donnant l'occasion aux garçons de pratiquer une activité dont ils ne sont pas familiers. Or,

1 Inspection Générale de l'Education Nationale (2013). L'égalité entre filles et garçons dans les écoles et les

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2 sous couvert de ces objectifs, c'est bien une prise de pouvoir des garçons sur ce qui se passe en classe qui semble le plus souvent se mettre en place. Non seulement l'entrée dans l'activité, l'habillage de la tâche sont conçus en fonction d'eux, afin notamment de contrer leurs résistances réelles ou supposées, mais ces garçons sont parfois mis en position de définir eux-mêmes les conditions de leur participation à l'activité ou d'imposer au maître ou à la maîtresse la modification de ses objectifs d'apprentissage, quand ceux-ci n'ont pas été initialement adaptés à leur présence. Une activité mise en place pour promouvoir l'égalité des sexes par l'introduction d'une dynamique propre à déconstruire certains aspects des rôles de sexe traditionnels n'empêche donc pas la reconfiguration de la domination des garçons avec la complicité involontaire des enseignantes et des enseignants.

Ce sont ces tensions, ces situations parfois paradoxales, que les professeur-e-s doivent penser en classe, dans le feu de l'action, au milieu de tous les impératifs quotidiens de la gestion de classe. Le travail sur l’égalité des sexes à l'école nécessite d’adopter une grille de lecture particulière de ce qui se passe en situation d’enseignement pour être sensible à des scènes souvent banales et fréquentes, tout autant qu'à des imprévus ou des écueils que les enseignantes et les enseignants pensaient pourtant avoir réussi à contourner.

Il s'agit de les transformer en occasions de questionnement, en y associant également les élèves, pour leur donner une lisibilité de ce qui est à l'œuvre dans ce qu'elles et ils sont en train de vivre à l'école, et l'occasion de construire collectivement le sens de ces situations. Ce faisant, se sont pour l'enseignante ou l'enseignant des dilemmes qu'il est nécessaire d'affronter dans la classe et de considérer non pas comme des alternatives entre deux solutions possibles mais comme des objectifs en apparence opposés qu'il faut maintenir en tension.

Car en même temps qu'elles ou ils tentent de déconstruire la pertinence des catégories de sexe comme principe d'organisation sociale, les professeur-e-s préoccupé-e-s d'égalité des sexes sont confronté-e-s à la nécessité d'y faire continuellement référence dans le cadre de leur travail. Elles constituent en effet le prisme à l'aune duquel elles et ils peuvent évaluer l'efficacité de leur action : pour savoir si elles ou ils interrogent autant et de la même manière les filles et les garçons, génèrent dans la classe des situations qui encouragent la collaboration sans promouvoir une complémentarité des sexes, proposent des ouvrages de littérature de jeunesse ou des énoncés d'exercices qui ne présentent pas les garçons et les hommes comme les seuls référents de l'espèce humaine et invisibilisent les filles et les femmes... Ces catégories de sexe peuvent ainsi paraître d'autant plus présentes à mesure que l'on tente de s'en défaire, de même que lorsqu'est évoquée avec les élèves l'exigence d'égalité entre les filles et les garçons dans la classe et dans l'école, comme par exemple pour la cour de récréation dans la répartition de l'espace, ou en histoire lorsqu'est interrogée l'absence des femmes du récit historique tel qu'il est habituellement transmis, les élèves peuvent être encouragés à se penser momentanément en tant que filles ou en tant que garçons, alors que l'enseignant-e cherche à questionner la prégnance de ces identités.

Le travail en faveur de l'égalité des sexes semble ainsi fait de ces situations complexes, en apparence inextricables où les enseignantes et les enseignants cherchent à concilier des impératifs qui paraissent parfois au premier abord ne pas pouvoir l'être : mais serait-il judicieux de choisir entre l'objectif de développer la pensée critique des élèves, de les inciter à s'autoriser à penser par eux-elles mêmes, d'encourager leur liberté de jugement, notamment lors de situations qui questionnent les stéréotypes de sexes et les inégalités qu'ils masquent, et la non moins nécessaire volonté de ne pas prôner l'équivalence de toutes les opinions et d'orienter leur réflexion pour promouvoir et leur permettre de comprendre des valeurs conformes aux idéaux démocratiques contemporains d'égalité ?

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