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ARTheque - STEF - ENS Cachan | Apprendre en stage

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Academic year: 2021

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Apprendre en stage

Patrice Pelpel

« Quand je vois que dans l'âge de la plus grande activité, l'on borne les jeunes gens à des études purement spéculatives et qu'après, sans la moindre expérience, ils sont tout à coup jetés dans le monde et dans les affaires, je trouve qu'on ne choque pas moins la raison que la nature, et je ne suis pas plus surpris que si peu de gens sachent se conduire ».

J.-J. ROUSSEAU

Émile, iv. Quel rapport entre la pratique des stages dont je vais ici développer quelques aspects en me référant principalement à l'ouvrage que j'ai publié sur ce sujet, et la problématique de ce séminaire centré sur la didactique de la technologie ? A priori aucun, puisque précisément les stages sont des interruptions momentanées de l'enseignement, et n'ont pas non plus partie liée avec la technologie comme discipline spécifique. Pourtant trois caractéristiques des stages permettent d'établir la liaison :

– Si un stage n'est pas à proprement parler de l'enseignement, ce n'est pas non plus simplement du travail au sens productif du terme. Le but de l'expérience du stage, c'est d'apprendre. À ce titre, développer une réflexion à caractère didactique à propos des stages n'est pas vide de sens : par quels chemins passe cet apprentissage, à partir du moment où il n'est pas structuré par l'action d'un enseignant ? À quelles conditions l'apprentissage sur le terrain peut-il être autre chose qu'un apprentissage sur le tas ? – Il n'y a pas de raison de privilégier les techniques comme objet de cet apprentissage. Pourtant, les stages sont des incursions d'élèves ou d'étudiants dans le monde du travail : or on sait qu'aujourd'hui le travail, dans tous les domaines, est fortement pénétré par la technologie. Les stages sont donc nécessairement

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une occasion de vivre une relation avec les dites-techniques. C'est particulièrement vrai dans le domaine des enseignements techniques et professionnels où d'ailleurs les pratiques de stages se sont développées avec le plus d'ampleur.

– Enfin, il a été question lors d'un précédent séminaire des

pratiques de référence, c'est-à-dire des domaines de la vie sociale que

les disciplines enseignées prennent explicitement ou implicitement, comme référence à un moment donné de leur évolution. Ici la réflexion sur les stages est particulièrement pertinente : aller en stage, c'est d'une certaine manière aller à la rencontre des pratiques de référence en rapport avec tel ou tel enseignement et, par voie de conséquence, contribuer à l'élucidation de la relation que cet enseignement entretient avec elles.

S'il semble nécessaire de mener aujourd'hui une réflexion à caractère pédagogique sur les stages, c'est d'abord parce que leur fréquence augmente : de plus en plus d'élèves - et de plus en plus tôt - interrompent provisoirement leur scolarité pour partir en stage à un moment ou à un autre de leur formation, le fait devenant quasi-général lorsque les études débouchent sur la recherche d'un emploi. Mais aussi, un changement qualitatif s'est produit depuis quelques années en ce qui concerne les relations entre l'école et le monde du travail : après un siècle de relations difficiles, voire d'exclusion, « séquences éducatives », « jumelages », « partenariat », « alternance », sont les maîtres-mots du nouveau discours sur l'éducation, et les retrouvailles entre l'école et l'entreprise apparaissent comme le mariage du siècle.

Pourtant, si l'interférence existe entre les deux milieux, les problèmes qu'elle génère ne sont réellement traités ni par l'un, ni par l'autre : les stages ne sont souvent qu'une parenthèse dans l'enseignement, et un phénomène parasite dans l'entreprise qui aura tendance à interpréter le stagiaire soit comme un simple observateur, soit au contraire comme un travailleur débutant. En réalité, le stagiaire n'est plus tout à fait un élève au sens scolaire du terme, mais il n'est pas non plus un travailleur au sens productif du terme. C'est pourquoi il paraît nécessaire de développer une réflexion à caractère pédagogique qui prenne en compte la spécificité de la situation de stage, et qui d'abord s'appuie sur une clarification de cette spécificité : qu'y a-t-il de commun entre les

séquences éducatives des élèves de lycée professionnel, le stage en entreprise de l'élève de BTS ou d'une école d'ingénieur, les stages

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hospitaliers des futurs médecins, ou les stages pédagogiques des

futurs professeurs ?

Une telle réflexion est nécessairement complexe et s'apparente à la fois à la pédagogie scolaire et à l'organisation du travail, sans jamais se réduire ni à l'une ni à l'autre. Il n'est pas question ici d'essayer d'en faire le tour, mais seulement de développer deux points qui permettent de la fonder : l'identification de la situation de stage et le repérage des mécanismes d'apprentissage à partir desquels une telle pédagogie pourrait s'élaborer.

1. De la spécificité des stages

Au-delà de la spécificité des lieux dans lesquels ils s'effectuent, du public auquel ils s'adressent, de leur durée, et même de leurs objectifs qui peuvent être sensiblement différents (cf. Le tableau 1) trois caractéristiques fondent l'unité de toutes les pratiques de stages :

– c'est à partir de l'enseignement ou de la formation qu'elles trouvent une raison d'être. D'une certaine manière, un stage est une activité qui trouve sa justification en dehors d'elle-même (ce qui impose une liaison forte entre les activités sur le terrain et l'enseignement). C'est pourquoi l'apprentissage, par exemple, ne rentre pas dans la problématique des stages.

Les stages se référent, d'une manière différente il est vrai, à la notion de pratique, et, plus particulièrement, de pratique

professionnelle. Même s'il est trop simplificateur d'opposer

l'enseignement aux stages comme la formation théorique par rapport à la formation pratique, il n'en est pas moins vrai que les stages complètent et enrichissent l'enseignement sur des points où il trouve ses limites et qu'il ne peut, dans le meilleurs des cas, que simplement évoquer. Quelles qu'en soient les modalités, un stage est une expérience vécue par chaque individu selon un registre beaucoup plus vaste et plus riche que ne l'est l'enseignement qui majore, lui, l'aspect intellectuel des stages.

Un stage enfin est une période limitée dans le temps dont chacun connaît dès le départ la durée. C'est un des aspects qui, sur le terrain, contribue à précariser le statut du stagiaire : il n'est que de passage parce que son lieu d'appartenance est ailleurs. Dans la plupart des cas, c'est l'enseignement, parfois, lorsque les stages marquent la fin de la formation, c'est le travail.

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Tableau 1

Typologie des stages Nature de

l’activité Objectif moyenneDurée Exemples

ENSEIGNEMENT

Visite Concrétiser

l'enseignement

Quelques heures

- Visite par une classe d'une centrale nucléaire ou d'une entreprise.

Stage de

sensibilisation Prendrecontact avec un milieu nouveau

Quelques jours à deux semaines

- Stage « ouvrier » des futurs ingénieurs. Stage d'observation Recueillir des données Quelques heures à une semaine

- Stages des futurs instituteurs dans les différentes classes primaires.

- Stages sur le terrain des élèves de lycées.

Stage en

situation S'essayer ensituation réelle

Plusieurs

semaines - Stages hospitaliers desfuturs médecins - Stages des professeurs avec les conseillers pédagogiques.

- Séquences éducatives en entreprise.

Stage en

responsabilité Prendre desinitiatives Être évalué Plusieurs mois TRAVAIL PRODUCTIF - Stage de l'élève-ingénieur en entreprise, du futur professeur en lycée.

- Internat des médecins. - Stages des étudiants en BTS et IUT.

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Au-delà de ces points communs, ce sont leurs objectifs qui différencient les stages et qui leur assignent une place dans la formation.

Si l'on récapitule les différents types d'interactions entre l'enseignement et les milieux professionnels, plusieurs indications, nonexclusives les unes par rapport aux autres, se dégagent. On va en stage :

Pour voir ; qu'il s'agisse d'un stage d'observation ou de tout

autre type de stage, il s'agit de découvrir un milieu nouveau, de prendre la mesure d'un environnement spécifique, irréductible à celui de l'enseignement.

Pour faire ; avec plus ou moins d'initiative, plus ou moins de

responsabilité, le stage est un terrain d'expérience, le lieu où l'on peut confronter son action avec les contraintes de la réalité.

Pour voir faire ; sur le terrain, le stagiaire est en contact non plus

avec des professeurs, mais avec des professionnels au travail à qui est parfois confié un rôle d'accueil et de tutelle.

Pour faire voir ; dans un certain nombre de cas, les stages ont

une fonction probatoire, ils font partie d'épreuves de qualification. Dans ce cas, le stagiaire doit faire la preuve qu'il est arrivé à maîtriser à un niveau jugé satisfaisant les habiletés professionnelles caractéristiques d'une activité à laquelle il se destine.

Ainsi considéré, et à des degrés divers, un stage est un mélange complexe d'écoformation (la présence dans le milieu contribue en elle-même à la formation) ; d'hétérformation (certaines personnes, qui ne sont pas des enseignants, jouent un rôle privilégié dans la formation) ; d'autoformation (parce qu'une situation de stage est beaucoup moins structurée qu'une situation d'enseignement, elle comporte un aspect personnellement vécu par le stagiaire, largement imprévisible, mais qui constitue un facteur important de formation).

Autrement dit, lors d'un stage, il s'agit bien d'apprendre, mais il n'y a pas d'enseignant, et le milieu fonctionne selon une logique qui n'est pas organisée selon un principe didactique. Or on sait que l'enseignement est déjà une tâche difficile, qui engendre un certain pourcentage d'échecs. Comment alors apprendre en stage, dans un milieu qui, d'une certaine manière, n'est pas fait pour cela ? Disons-le clairement, alors que l'élève est au centre du dispositif d'enseignement, il n'en est pas de même du stagiaire dans l'entreprise ou, plus généralement dans un milieu de travail :

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si l'on supprime les élèves, l'enseignement disparaît du même coup, et l'enseignant avec. Alors que si l'on supprime les stagiaires sur les lieux de travail, cela n'empêche pas l'entreprise de fonctionner : son activité n'est pas orientée vers la formation des stagiaires, mais vers la production. Il y a toutefois quelques exceptions à cette règle : à savoir lorsque le stagiaire, à un moment donné prend en charge, en responsabilité, le rôle d'un professionnel. Si, par exemple, les professeurs-stagiaires cessaient d'enseigner en responsabilité six heures par semaine, les établissements d'enseignement ne pourraient plus fonctionner.

Tableau 2

Le schéma précédent (figure 2) élaboré à partir de celui proposé par D. HAMELINE, puis par B. SCHWARTZ permet de

comprendre en quoi la logique de formation caractéristique des stages est la résultante plus ou moins équilibrée de trois autres logiques auxquelles elle s'apparente, mais dont elle se distingue :

La différence entre la logique didactique et la logique productique résulte du fait que l'une cherche à atteindre des vérités alors que l'autre cherche à obtenir des r é u s s i t e s . S'il s'agit plus particulièrement de l'enseignement scolaire, on peut pointer un certain nombre d'oppositions entre la logique qui l'anime et celle qui fonctionne sur les lieux de travail et, par voie de conséquence, en stage :

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Enseignement Stage

Disciplinaire Pluridisciplinaire

Processus Résultat

Élèves en groupe Stagiaire seul

Professeur seul Professionnels en groupe Dominante cognitive Valorisation de l'expérience

La seule expérience que l'enseignement valorise, c'est l'expérimentation, c'est-à-dire une expérience structurée de telle manière qu'elle débouche sur une connaissance certaine (administration de la preuve). Par contre, dans le cas des stages, il s'agit de l'expérience vécue : à quelles conditions peut-elle être formatrice ?

2. Le privilège de l'expérience

Pour un élève – même bon – qui n'a jamais quitté les bancs de l'école, l'expérience, la perspective de se rendre « sur le terrain » apparaît, en contre-point, parée de toutes les vertus. Comme le militaire qui, dans une longue vie de caserne entrecoupée de manœuvres, entrevoit enfin la perspective du combat. On en connaît aussi les déconvenues ! N'empêche, il existe un privilège de l'expérience sur le plan affectif. Mais ce privilège ne suffit pas à en fonder la valeur formatrice, même s'il peut y contribuer. Aristote avait déjà défini la raison pour laquelle l'expérience comporte une spécificité, un « plus », par rapport à la seule connaissance :

« Nous voyons les hommes d'expérience obtenir plus de succès que ceux qui possèdent une notion sans l'expérience. La cause en est que l'expérience est une connaissance de l'individuel, et l'art, de l'universel ; or toute pratique et toute production portent sur l'individuel » (Métaphysique, A-1).

D'une manière générale, on peut dire que le recours à l'expérience lors d'une formation apparaît comme nécessaire dans au moins trois cas :

– Lorsqu'il s'agit d'acquérir des savoir-faire non formalisables, qui ne peuvent pas se déduire complètement de connaissances

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théoriques. C'est tout ce qui, dans le domaine des métiers, relève du « tour de main » qui s'apprend sur le terrain, par la pratique, et non dans les livres ou par l'enseignement.

– Lorsqu'il s'agit d'activités où les phénomènes humains jouent un rôle important. On peut citer le cas du médecin, ou de l'enseignant. Ici, être « savant » constitue une condition nécessaire, mais non suffisante, de la réussite professionnelle.

– Enfin lorsqu'il existe une différence importante entre le milieu de formation et le milieu d'exercice. C'est ce qui se produit toujours entre l'enseignement et les pratiques professionnelles. Cet écart résulte bien de la différence de logique, et non de la différence de contenu entre l'enseignement et les-dites pratiques. On le voit clairement lorsque l'enseignement (technique ou professionnel) prend justement ces pratiques comme objet. Pour faire allusion à un exemple que j'ai développé dans mon ouvrage : comment expliquer qu'un élève (niveau BTS) qui sait faire la crème anglaise, ne puisse pas la faire lors de son stage de cuisine dans un grand hôtel, à tel point qu'il devra ré-apprendre à la faire sous la conduite de son maître de stage ?

Certains facteurs psychologiques (stress, situation d'urgence, etc.) peuvent sans doute expliquer cette difficulté. Mais, en dernière analyse, ce qui rend compte de ce décalage, c'est la différence de logique entre l'apprentissage cognitif et la réalisation

pratique : l'une n'est pas seulement la mise en pratique de l'autre.

Les stages ne sont pas seulement une expérience sur le tas : ils s'intègrent dans un processus de formation dont ils constituent la dimension pratique. Si l'on cherche à caractériser les mécanismes qui, en stage, peuvent être à l'origine d'un apprentissage, on peut en distinguer deux : l'effectuation et l'observation.

2.1 Expérience et apprentissage

Il ne suffit pas de faire pour apprendre, ni de vivre une expérience pour en tirer profit. Sauf peut-être à ce qu'il s'agisse de l'expérience d'une vie dont les expériences cumulées constituent une sorte de sagesse. Mais précisément, l'expérience de stage est de courte durée, et son but n'est pas de donner la sagesse (même si elle peut y contribuer), mais plutôt de déboucher sur une compétence dans des domaines particuliers. De nombreux facteurs sont susceptibles de jouer un rôle dans l'apprentissage à partir de l'expérience. Nous nous intéresserons à deux d'entre eux : la

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nature même de l'expérience, et les conditions auxquelles elle doit satisfaire pour provoquer un apprentissage, c'est-à-dire une modification du comportement qui possède une certaine stabilité dans le temps.

Sur le premier point, l'expérience de stage doit satisfaire à un certain nombre de principes qui la distinguent de l'expérience commune et conditionnent la formation :

Tableau 3

Les contraintes caractéristiques des stages

constructivisme

Principe de productivité Ouverture

aventurisme protectionisme

Principe de réalité Réalisme

hyperréalisme isomorphisme

Principe d'identité Transfert

hétéromorphisme dépendance

Principe déontologique Autonomie

responsabilité

Le tableau 3 propose une récapitulation de ces principes dont chacun d'entre eux doit trouver son chemin entre des contraintes antagonistes

Le principe de productivité : la valeur formatrice de l'expérience

de stage doit ici éviter deux écueils. Celui qui consiste à trop construire l'expérience, à tout prévoir d'avance, à transformer un stage en voyage - trop bien - organisé. Tentative toujours vouée à l'échec et qui nie la spécificité de l'expérience vécue. À l'inverse, la mise en pratique d'un principe du type « laissez-les vivre » (l'équivalent de ce que serait en pédagogie l'attitude « laissez-faire »), qui postule que c'est le fait de vivre une expérience, quelle qu'elle soit, qui provoque la formation, sans qu'il soit nécessaire d'y introduire aucune organisation. Ici, la matérialisation du principe de productivité prend la forme de l'ouverture, c'est-à-dire

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à un type d'organisation qui laisse la place au vécu – et à son caractère largement imprévisible – sa juste place.

Le principe de réalité : le choix d'un terrain de stage, ce que l'on montre au stagiaire et ce qu'on lui fait faire doivent correspondre à un niveau moyen de la pratique de référence qui justifie le déroulement du stage, ou tout au moins permettre au stagiaire de la caractériser par rapport à ce niveau moyen, qualifié de réaliste. Le stagiaire n'a pas à être excessivement protégé de certaines contraintes de la réalité. Il n'a pas non plus à y être systématiquement exposé. Pas de stage-vitrine, qui donne une fausse idée de la réalité. Mais pas de stage-poubelle qui majore les aspects rebutants de la réalité.

– L e principe d'identité ; faut-il systématiquement et

exclusivement choisir des terrains de stage et des activités qui correspondent directement aux pratiques auxquelles se destine le stagiaire, lorsque lesdites pratiques sont identifiées (isomorphisme) ? Dans quels cas peut-on s'autoriser à l'envoyer dans des milieux différents - quelques fois radicalement - tout en ayant la prétention de contribuer à sa formation (hétéromorphisme) ? En réalité, la voie directe de la formation n'est pas toujours la plus courte. D'autant que la formation ne saurait être conçue comme une simple adaptation à un poste de travail. Des conduites de détour sont parfois utiles ; mais elles ne sont légitimes que dans la mesure où elles permettent ou même favorisent le transfert des acquis au niveau des pratiques de référence.

Le principe déontologique : doit-on mettre le stagiaire sous tutelle rapprochée, lui interdisant tout initiative, le conduisant de manière directive vers des comportements adaptés aux situations qu'il vit ? Ou doit-on le laisser faire ses expériences lui-même quitte à ce qu'il se trompe et commette des erreurs - en valorisant le rôle formateur de la responsabilité complète ? Dans ce dernier cas, il n'y a plus de différence essentielle entre un stagiaire et un travailleur intérimaire, sauf qu'il s'agit d'un travailleur non qualifié, ou dont la qualification n'est pas encore reconnue. Il y a confusion entre la formation et le plein exercice d'une fonction en responsabilité, entre responsabilité et responsabilisation. La juste stratégie consiste à équilibrer tutelle et responsabilité de manière à ce que le stagiaire puisse acquérir une plage d'autonomie, plus ou moins importante en fonction de la place du stage dans la formation et ses objectifs.

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Une fois prise en considération ces différentes contraintes, il reste au mieux les activités du stagiaire sur le terrain pour qu'elles contribuent à sa formation. Ici il est utile de se référer aux recherches qui ont tenté de déterminer à quelles conditions

psychologiques devait satisfaire l'effectuation pour déboucher sur

un apprentissage véritable. Il serait trop long de développer ici l'exploitation de l'ensemble de ces résultats à propos des stages. Nous nous limiterons à en indiquer deux qui nous paraissent essentiels.

• D'abord ceux qui ont trait à la comparaison entre l'apprentissage fractionné et l'apprentissage global. L'enseignement scolaire est délibérément du premier type : la structuration des contenus par matières et l'organisation de l'emploi du temps atomisent les apprentissages. Par contre, sur le terrain, le stagiaire est confronté à des activités plus globales qui sont en même temps pluridisciplinaires et s'inscrivent dans la durée. Quelle que soit la nature de la tâche, il semble qu'il existe une corrélation entre l'âge d'un sujet et la réussite de l'apprentissage global : il convient mieux à l'adulte qu'à l'enfant. On peut en déduire que les stages ne pourraient être réellement formateurs qu'à partir de l'adolescence. De la même manière, si l'apprentissage fractionné se montre supérieur pour les tâches longues dont le matériel est peu structuré (par exemple : liste de syllabes sans signification), l'apprentissage global l'emporte pour les tâches difficiles, lorsque la signification et la structuration du matériel sont importantes (par exemple : un long texte, ou une action complexe finalisée). Dans ce dernier cas cependant, l'apprentissage n'est meilleur que si l'apprenant perçoit effectivement la signification et les structures du matériel auquel il est confronté. Par rapport aux stages, cela veut dire qu'il convient de faire un effort tout particulier pour rendre intelligible au stagiaire les situations qu'il est amené à vivre sur le terrain.

• Face à une situation nouvelle pour le stagiaire (comme c'est le plus souvent le cas durant un stage), est-il préférable de le laisser tâtonner, de lui indiquer d'emblée le comportement correct qu'il n'aura plus qu'à reproduire, ou encore de le guider dans sa démarche ? Ce qui est en question ici, c'est le rôle de l'erreur et du

guidage dans l'apprentissage. On considère souvent, en pédagogie,

que c'est le fait d'accomplir soi-même la démarche qui est formateur, même si cela prend la forme d'un fonctionnement par « essais et erreurs ». En réalité, il semble que, dans les tâches

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complexes en tout cas, il soit moins formateur de permettre les erreurs que d'empêcher qu'elles ne se produisent. C'est la méthode du guidage moyen qui apparaît comme la plus efficace : intervenir au fur et à mesure des tentatives du sujet pour le remettre dans le droit chemin et lui suggérer telle ou telle stratégie. Entre chercher par ses propres moyens et reproduire un comportement approprié, il est préférable de trouver soi-même avec une aide appropriée intervenant au bon moment.

Finalement, l'apprentissage à partir de l'expérience fonctionne selon le schéma que J. Piaget a défini pour la construction de l'intelligence. On peut identifier assez facilement les trois phases qui le caractérisent : l'assimilation (intégration d'éléments nouveaux à une structure cognitive ou comportementale préexistante),

accommodation (transformation, par réaction au milieu, d'une

structure existante), équilibration (stabilisation d'un comportement nouveau). Un exemple permet d'illustrer ce mécanisme en situation de stage ; il s'agit de l'interview d'une étudiante en 4e année de médecine qui raconte ses premières expériences au bloc opératoire lors de son stage hospitalier :

« Par exemple, au bloc, il faut s'habiller stérilement. Pour les externes qui débarquent, c'est la panique ! Moi, personnellement, on ne m'avait rien expliqué (…) Alors on m'a dit : "Habille-toi ! Lave-toi les mains ! Attention, ne touche plus à rien !" Il y a des choses que tu as le droit de toucher, et d'autres non (…) Et puis tu ne sais pas où aller, tu te fais engueuler. Tu ne comprends pas. Puis quand tu l'as fait une fois, ça va… On finit par comprendre, de toutes façons, à force de se faire engueuler. Tu finis par te dire toi-même : oui j'ai touché à ça, il faut que je me rhabille… »

On voit bien dans cet exemple comment fonctionne le mécanisme évoqué plus haut : chacun possède une expérience de l'hygiène domestique, mais elle ne correspond pas à l'asepsie chirurgicale que chacun doit respecter dans une salle d'opération. Le passage du comportement domestique au comportement professionnel est ici assez représentatif de ce qui se passe souvent sur les terrains de stage. Personne ne prend explicitement en charge un enseignement » sur les précautions à prendre. II s'agit plutôt d'une éco formation qui permet d'enrichir le comportement initial et de parvenir à un comportement de type professionnel. Ici,

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il semble que ce soit le fait de « se faire engueuler » qui constitue en dernière analyse le guidage moyen… C'est en quelque sorte une réaction de défense du milieu par rapport à l'inexpérience du stagiaire qui inhibe les comportements inadaptés sans leur permettre d'aller jusqu'à l'erreur pour des raisons de sécurité évidentes.

2.2 Observer pour apprendre

Que ce soit pendant les stages ou dans la vie courante, il est certain que l'effectuation – outre l'enseignement – n'est pas la seule manière d'apprendre. Le spectacle, attentivement observé, de ce qui nous entoure constitue une source importante d'enseignements dont chacun tire parti pour son propre comportement. De ce point de vue, les stages sont un champ d'observation exceptionnellement riche dans la mesure où le stagiaire évolue dans un milieu qui est nouveau pour lui et qu'il découvre. BANDURA, théoricien de l'apprentissage social en définit

ainsi les caractéristiques et le champ d'application :

« En se basant sur les actions de modèles qui ont une connaissance de la situation, les novices peuvent agir d'une manière appropriée par rapport à différents événements, sans avoir à découvrir ce qui constitue une conduite acceptable à partir des réactions d'amusement ou de choc des témoins de leurs tâtonnements… C'est pour cette raison qu'on apprend pas aux enfants à nager, aux adolescents à conduire une voiture, et aux étudiants en médecine à effectuer une intervention chirurgicale en les laissant découvrir par eux-mêmes les comportements appropriés à travers les succès et les échecs ».

Cette problématique est très proche de celle des stages où le stagiaire, de manière structurée ou aléatoire, est confronté à des modèles de comportement, c'est-à-dire à des comportements qui parviennent à une certaine réussite dans un contexte professionnel particulier. Encore faut-il préciser que, pris dans ce sens, le terme de modèle n'a pas la même signification que dans le domaine didactique où il désigne la représentation abstraite, souvent mathématique, d'un phénomène complexe : il s'agit alors de la

modélisation d'un phénomène. Ici, il s'agit plutôt de modelage,

c'est-à-dire de l'influence qu'un comportement peut exercer du fait de son exemplarité. En fait, le modelage est aux stages ce que le cours

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magistral est à l'enseignement : tout le monde en fait, mais personne ne l'avoue dans la mesure où il se sent culpabilisé. Pour avoir mené nous-mêmes une enquête auprès des tuteurs accueillant les professeurs-stagiaires en formation, nous pouvons témoigner qu'aucun d'entre eux n'accepte de se définir comme un modèle qui serait proposé à l'imitation du stagiaire. Pourtant, ce n'est pas parce que psychologiquement la notion de modèle est contestée, que fonctionnellement les situations qui mettent en relation stagiaires et tuteurs ne sont pas modélisantes.

Globalement, on peut caractériser l'apprentissage par observation comme un apprentissage vicariant, c'est-à-dire un apprentissage par substitution : c'est parce que l'autre va faire l'essai – dont je serais le témoin – que je ne vais pas faire l'erreur. Si, sous mes yeux, un piéton se fait renverser par une voiture, je vais sans doute, pendant quelques temps, faire plus attention moi-même en traversant. Les théories classiques de l'apprentissage valorisent l'effectuation, et le renforcement résulte des conséquences de l'action sur l'acteur lui-même. Ici il s'agit d'un renforcement

vicariant qui agit sur l'observateur.

Pour mieux identifier ce processus et être mieux à même de le contrôler, on peut tenter d'en caractériser les différentes phases qui sont autant de conditions nécessaires à son accomplissement. C'est ce que propose BANDURA dans le tableau 4 page suivante :

Là encore, il n'est pas question de développer ici l'ensemble de ces caractéristiques et nous nous bornerons à mettre en relief les points essentiels. Il faut d'abord rappeler que l'ensemble des processus décrits interviennent entre l'événement observé et le déclenchement du comportement de l'observateur (performance). On notera également que les conditions de réussite de la modélisation tiennent autant aux caractéristiques du modèle lui-même qu'aux capacités de l'observateur et à ses représentations. Elles sont également conditionnées par le type de relation (affective notamment) qui s'établit entre l'observateur et le modèle.

Prenons l'exemple du téléspectateur qui, dans son fauteuil, assiste à la retransmission d'un match de tennis du tournoi de Roland-Garros : s'il le regarde, c'est sans doute que c'est un sport qu'il apprécie, et qu'il connaît bien tel ou tel joueur. Il va donc voir des coups exceptionnels, des réussites techniques dont il est parfaitement incapable, et qu'en tout état de cause, il ne pourra pas reproduire même s'il tente de les imiter…

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Tableau 4

L'apprentissage par observation

PROCESSUS ATTEN-TIONNELS PROCESSUS DE RETENTION PROCESSUS DE REPRODUCTION MOTRICE PROCESSUS MOTIVA-TIONNELS Stimuli Modelants • distinctivité • valeur affective • complexité • prévalence • valeur fonc-tionnelle • Caractéris-tiques de l'observateur • capacités sensorielles • niveau d'éveil • attente perceptuelle • renforce-ments antérieurs • codage symbolique • organi-sation cognitive • rappel symbolique • rappel moteur • capacités physiques • disponibilité des compo-santes des réponses • auto-observa-tion des reproductions • précision et correction du feed-back • renforcement extérieur • renforcement vicariant • auto-renforcement

Pourtant, selon la théorie de l'apprentissage social, on doit considérer que la fréquentation assidue du petit écran contribue à améliorer sa propre performance, dans ce cas son niveau de tennis. De toute façon, la reproduction est toujours inférieure au modèle : elle n'est qu'une tendance à s'en rapprocher. Ce n'est donc pas sur ce point (l'écart entre le modèle et la réalisation) qu'il convient de porter la critique. C'est bien plutôt sur la ressemblance : dans quelle mesure peut-on dire que l'imitation, même imparfaite, constitue une formation ? Il s'agit plutôt d'une conformation, c'est-à-dire d'une tentative d'identification à un modèle qui semble laisser peu de place à l'initiative et à l'autonomie de l'individu ainsi modelé.

Dans le cas des stages, cette difficulté n'est pas insurmontable : on peut à la fois mettre en évidence le rôle de l'observation dans

Performance Événements

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l'apprentissage, et admettre qu'il permet au stagiaire de conserver sa propre autonomie. Et ce, pour deux raisons principales :

– Les stages ne sont pas des situations de laboratoire qui permettent de focaliser de manière exclusive et permanente l'attention du stagiaire sur des modèles clairement identifiables. De ce point de vue, le milieu est surdéterminé et les objets d'observation multiples.

– Ensuite, le plus souvent, les situations de stage sont organisées de manière à confronter le stagiaire à une pluralité de modèles, de manière à ce qu'il puisse, à travers ses expériences, se constituer le sien propre avec une certaine autonomie. On trouve ce souci, déjà, dans des systèmes de formation professionnelle qui pourtant sont centrés sur la notion de modèle. C'est le cas, par exemple, du compagnonnage dans lequel la multiplicité des modèles (le Tour de France) permet à l'apprenti de forger son identité personnelle.

Si l'effectuation et l'observation sont bien les deux mécanismes à partir desquels la formation s'élabore dans les stages, il reste à mener une réflexion sur les situations de stage elles-mêmes, sur le statut du stagiaire (en particulier par rapport à l'effectuation), et surtout sur la fonction des tuteurs et maîtres de stage, ceux qui, sur le terrain, prennent en charge vis-à-vis des stagiaires des rôles d'aide, de conseil et de formation.

Bibliographie

BANDURA A. (1980), L'apprentissage social, Mardaga.

HAMELINE D. (1976), « Formuler des objectifs pédagogiques,

mode passagère ou voie d'avenir ? », R.P.F.

LEPLAT, ENARD, WELL (1970), La formation par l'apprentissage,

PUF.

PELPEL P. (1989), Les stages de formation, Bordas.

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