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Enseignement et iniquité: singularités de la question en Communauté Wallonie-Bruxelles.

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Academic year: 2021

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HAL Id: halshs-00603568

https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00603568

Submitted on 26 Jun 2011

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To cite this version:

Vincent Vandenberghe. Enseignement et iniquité: singularités de la question en Communauté Wallonie-Bruxelles.. 2000. �halshs-00603568�

(2)

Enseignement et iniquité: singularités de la

question en Communauté Wallonie-Bruxelles

Vincent Vandenberghe





N° 8 N

OVEMBRE

2000



*5283(,17(5)$&8/7$,5('(5(&+(5&+(685/(66<67(0(6'('8&$7,21(7'()250$7,21 3ODFH0RQWHVTXLHXEWH²%/RXYDLQOD1HXYH

Girsef, Université Catholique de Louvain, 1, place Montesquieu, bte 14 , B-1348 Louvain-la-Neuve, Belgium ; tél (+32) 10 47 41 41 ; Fax(+32) 10 47 24 00 ; email : vandenberghe@ires.ucl.ac.be. Ce texte constitue l’un des volets du pro-gramme de recherche financé par la Fondation Collinet sur le thème « Pour un système scolaire favorisant au mieux

l’insertion de tous les jeunes ». Les recherches présentées ici s’inscrivent également dans le cadre de la convention ARC N° 97-02/209.

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L e G I R S E F d a n s l ' U n i v e r s i t é C a t h o l i q u e d e L o u v a i n

L'éducation et la formation constituent des enjeux fondamentaux pour la société contempo-raine. Interpellée par ces enjeux au regard des ses missions de recherche et de service à la société, l'Université a créé le GIRSEF : un lieu clairement identifiable dédié au développe-ment de la recherche sur les dynamiques de transformation et de restructuration des systè-mes d'éducation et de formation. Le GIRSEF a pour vocation de penser rigoureusement et globalement ces transformations en matière éducative ainsi que leurs implications sociales, culturelles et politiques, dans une perspective pluridisciplinaire (économie, sociologie, psy-chopédagogie,...). Les recherches qui s'y déroulent se font en lien étroit avec les activités de recherche des départements des différentes disciplines concernées.

La série des Cahiers de recherche du GIRSEF a pour objectif de diffuser les résultats des travaux menés au sein du GIRSEF auprès d'un public de chercheurs en sciences de l'éduca-tion et de la formal'éduca-tion ainsi qu'auprès des acteurs et décideurs de ces deux mondes .

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Ta b l e d e s m a t i è r e s

1. Données de contexte: la situation des peu qualifiés par

rap-port à l'emploi et au revenu

5

1.1. Quelques données chiffrées sur l'emploi et les revenus des peu qualifiés

5

1.2. Pourquoi la situation des jeunes (peu qualifiés) s'est-elle détériorée ?

5

2. Systèmes d'enseignement et publics en échec

12

2.1. Education initiale et origine socio-économique : état de la discussion

12

2.2. Singularité de la question en Communauté française Wallonie-Bruxelles

12

Conclusion

28

(5)

La question d’une stratégie de lutte contre l’exclusion de larges couches de jeunes peu diplômés et formés en Communauté Wallonie-Bruxelles se pose en croisant les problémati-ques de l’enseignement, de la formation pro-fessionnelle et de l'emploi. En effet, à l’origine des problèmes de ces jeunes, on peut consta-ter, outre la dégradation de l’emploi et en par-ticulier de l’emploi peu qualifié, la conver-gence de nombre de donnes structurelles re-latives tant à la structure de l'enseignement ou de la formation professionnelle. Le but de ce texte – au-delà d'une brève analyse de la dé-térioration de la situation de jeunes peu quali-fiés sur le marché de l'emploi – est de poser la question du fonctionnement de l’enseigne-ment en rapport à ces publics. Au-delà des tendances communes à l'ensemble des pays occidentaux, quelles sont les données structu-relles propres au secteur de l'enseignement de la Communauté Wallonie-Bruxelles dont on a des raisons de croire qu’elles exacerbent le phénomène de l’iniquité scolaire et de l'ex-clusion de certains publics ?

Le texte qui suit vise prioritairement à poser la question de la relation entre mode de structu-ration de l'enseignement initial et l’intensité du problème de l’iniquité scolaire en Communau-té française Wallonie-Bruxelles. Certes, la question de l’iniquité scolaire se retrouve dans tous les pays – on se réfèrera à Vanden-berghe & Zachary (2000) pour une

comparai-son des pays de l’OCDE sur ce point. Certes également, la question ne se limite au type de fonctionnement de l'enseignement. Elle en-gage à tout le moins la formation profession-nelle dont l’importance va croissante (Vandenberghe, 2000b) et, bien au-delà, les nombreuses évolutions affectant le marché du travail. Tout en prenant la mesure des évolu-tions de contexte, notamment sur le marché du travail, nous privilégions ici la question de l'enseignement et de la manière particulière, voire de l'intensité particulière, avec laquelle se pose la question de l’iniquité voire de l'ex-clusion sociale en son sein.

Le texte est structuré en deux sections. La première dresse un portait de l'évolution de la situation des jeunes – des jeunes peu quali-fiés en particulier – par rapport au marché du travail. Elle vise à comprendre l'intensité et la nature des mutations conduisant à la relative détérioration de la situation de ces publics. La seconde section - plus importante et plus centrale - pose la question du fonctionnement de l'école en rapport à ces publics. Au-delà des tendances lourdes, communes à l'ensem-ble des pays occidentaux, quelles sont les données structurelles propres à la Commu-nauté française Wallonie-Bruxelles, notam-ment en termes de plus ou moins grande dua-lisation et/ou d'(in)aptitude à répondre aux be-soins spécifiques des publics dits "à risque" ?

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1. Données de contexte: la situation des peu qualifiés par rapport à

l'em-ploi et au revenu

Qu’en est-il tout d’abord du contexte général qui nous amène à poser aujourd'hui la ques-tion de la situaques-tion des individus faiblement scolarisés et à mettre en exergue la question de l’iniquité scolaire? Chacun a eu l'occasion d'entendre parler de la "nouvelle question so-ciale". Celle-ci prend la forme d'une accentua-tion des inégalités de revenus (USA) ou de statuts par rapport au marché du travail (Europe). Mais, vu le propos qui nous occupe ici, le plus important est de noter qu'elle concerne - en début mais aussi en fin de vie professionnelle - essentiellement les individus peu qualifiés au terme de la scolarisation ini-tiale. Quels sont les déterminants d'un tel état de faits ?

1.1. Quelques données chiffrées sur

l'emploi et les revenus des peu

qua-lifiés

Dans la plupart des pays de l’OCDE, le taux d’emploi (notion moins discutable que le taux de chômage) des jeunes de 16 à 19 ans (mais également celui des 20-25), s'est graduelle-ment détérioré ces dernières années. Le chô-mage, que d'aucuns présentent comme un phénomène globalement à la hausse, affecte surtout les travailleurs peu qualifiés. En France par exemple, le taux de chômage des individus peu qualifiés passe de 2% en 1968 à environ 13% en 1992. A l'opposé, l'évolution du taux de chômage des cadres et profes-sions intellectuelles est caractérisée par un très faible accroissement tendanciel; qui conduit à un taux de chômage de 3% en 1992 (Cahuc & Zylberberg, 1996)

De fortes différences existent toutefois selon

les pays. Le taux d'emplois des jeunes Améri-cains reste plus important que celui des jeu-nes Français. Cela étant, la prise en compte du revenu relatif de ces jeunes Américains (par rapport à celui des adultes) montre une détérioration. En dépit de la diminution forte de leur nombre absolu, les jeunes adultes peu qualifiés voient leur situation vis-à-vis de l'em-ploi ou du revenu se déprécier (OECD, 1999) en termes absolus et en termes relatifs (Freeman, 1999). Aux Etats Unis, où les sé-ries longues sont disponibles, Katz & Krueger (1997) notent que la part des travailleurs adul-tes sans le diplôme secondaire est passée de 68,7 % à 9,7% entre 1940 et 1995, la diminu-tion s'accélérant même depuis 1970. Mais au cours de la même période, le salaire de ces individus diminuait en termes réels de plus de 25 % (The Economist, 2000).

1.2. Pourquoi la situation des jeunes

(peu qualifiés) s'est-elle

détério-rée ?

La littérature sur le sujet met en avant deux grands types d'explication. Le premier est ce-lui du phénomène de la file d’attente dont les premières victimes sont les jeunes et parmi eux ceux qui se signalent par un niveau de di-plôme relativement faible. De plus en plus d'éléments toutefois permettent d'affirmer que vient s'ajouter aujourd'hui le phénomène dit du « skill-biaised technological progress », qui indépendamment de l'état général du marché du travail tend à pénaliser les peu qualifiés au terme d'un processus qui fine finalis revient à constater une baisse de la demande pour ce type de travailleurs.

(7)

1.2.1. Détérioration de l'emploi des jeunes

peu qualifiés, massification des titres

et gestion de la rareté de l'emploi par

file d'attente

Le diagnostic le plus répandu pour expliquer la détérioration de la situation des jeunes peu qualifiés par rapport à l'emploi est celui du phénomène de la file d’attente. En situation de rigidité relative des salaires et de ralentisse-ment de la croissance, la variable d'ajuste-ment la plus courante consiste à restreindre les embauches de jeunes, et parmi eux de ceux qui apparaissent les moins compétents au terme de la scolarité initiale, à savoir les peu ou non diplômés.

Cette double prédiction est conforme avec ce qu'indique l'analyse des probabilités d'emploi en Wallonie et à Bruxelles. Les résultats pré-sentés dans les tableaux 1 et 2 sont fondés sur l'analyse économétrique d'un échantillon de plus de 4.000 adultes de 25 à 65 ans ex-trait du PSBH (Panel Survey of Belgian Hou-seholds). L'année de référence est 1995. Les tableaux 1 et 2 renseignent la relation en-tre niveau d'enseignement et la probabilité d'exercer un emploi rémunéré, même à temps partiel, au cours de l'année 1995. Le chiffre au bas de chaque tableau renseigne la probabili-té moyenne pour l'échantillon (83% pour les hommes et 63% pour les hommes). Les chif-fres de la 2ème colonne de ces tableaux ren-seignent les effets d’une variation marginale de la variable considérée (ils ne peuvent être

considérés statistiquement significatifs que s'ils comportent une ou deux étoiles). Ainsi un accroissement d'un an de l'âge conduit, cete-ris paribus, à un accroissement de 6 points de la probabilité de détenir un emploi. On vérifie donc là l'idée que les jeunes sont plus expo-sés au risque de non-emploi.

Mais on vérifie aussi que le niveau d'étude joue un rôle fondamental. La possession du diplôme secondaire inférieur conduit à un ac-croissement de la probabilité d'emploi de 6,7% (par comparaison au diplôme primaire). Celle d'un diplôme secondaire supérieur signi-fie une probabilité majorée de 10%. La prime est de 12,36% pour le supérieur court et de 13,53% pour le supérieur long. On constate au passage que les variables désignant le fait de posséder un diplôme secondaire technique ou professionnel n'ont aucun effet statistique-ment significatif sur la probabilité d'exercer un emploi rémunéré.

Notons enfin l'absence d'effet du diplôme du père mais l'existence d'un effet régional. A âge et diplômé donnés, la probabilité qu'un homme flamand exerce un emploi rémunéré est 6% plus importante en Flandre qu'en Wal-lonie.

On retrouve en gros ces résultats pour les femmes (cfr. tableau 2). On note toutefois que l'accroissement de participation à l'emploi en fonction du diplôme est plus marqué. Une femme universitaire a une probabilité d'emploi rémunéré plus de 30% au-dessus d'une femme diplômée du primaire.

(8)

Tableau 1 – Hommes de 25 à 65 ans et taux d'emploi selon l'âge, le diplôme et la filière. Régression PROBIT. Nombre d'individus= 2049, Pseudo R2 = 0,3377

Variable Coeff. Ecart-type Z P>|z|

--- --- --- --- --- Age 0,0612** 0,005842 11,35 0,0000 Age 2 -0,0008** 6,53E-05 -13,13 0,0000 dseci 0,0672** 0,021882 2,5 0,0120 dsecs 0,0996** 0,022811 4,08 0,0000 dsupc 0,1236** 0,012013 6,81 0,0000 dsupl 0,1353** 0,013974 7,1 0,0000 dmanq 0,0370 0,051589 0,61 0,5450

Filière qualifiante du secondaire (réf=seci ou secs filière générale)

qualseci 0,0161 0,03191 0,48 0,6300

qualsecs 0,0230 0,022256 0,99 0,3240

Diplôme du père (réf=primaire ou moins)

pmanq 0,0107 0,020913 0,5 0,6170

pseci 0,0111 0,022728 0,48 0,6350

psecs 0,0445 0,022405 1,69 0,0910

psnu -0,0050 0,037389 -0,14 0,8910

puniv -0,0321 0,039932 -0,87 0,3840

Effet régional (réf=Wallonie)

B -0,0391 0,026901 -1,58 0,1130

FL** 0,0599 0,01526 3,8 0,0000

obs, P 0,8350

pred, P 0,8959

Diplôme (réf=primaire ou moins)

** Significatif à 2,5% * Significatif à 5%

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Tableau 2 – Femmes de 25 à 65 ans et taux d'emploi selon l'âge, le diplôme et la filière. Régression PROBIT. Nombre d'individus = 2234, Pseudo R2 = 0.2661

Variable Coeff. Ecart-type Z P>|z|

--- --- --- --- ---

age 0,0606** 0,009555 6,41 0,0000

age 2 -0,0009** 0,000108 -8,38 0,0000 Diplôme (réf=primaire ou moins)

dseci 0,0765 0,049483 1,49 0,1360 dsecs 0,2133** 0,04042 4,91 0,0000 dsupc 0,3374** 0,02786 9,38 0,0000 dsupl 0,3667** 0,024785 9,81 0,0000 dmanq 0,0671 0,138967 0,46 0,6450

Filière qualifiante du secondaire (réf=seci ou secs filière générale)

qualseci 0,0127 0,055125 0,23 0,8190 qualsecs -0,0082 0,040083 -0,21 0,8370 Diplôme du père (réf=primaire ou moins)

pmanq 0,0278 0,033535 0,82 0,4120 pseci 0,0267 0,036652 0,72 0,4720 psecs 0,0927* 0,038531 2,28 0,0230 psnu 0,0435 0,047699 0,89 0,3720 puniv -0,0146 0,057347 -0,26 0,7980 B 0,0424 0,03665 1,14 0,2560 FL 0,0368 0,024603 1,49 0,1360 obs. P 0,627574 pred. P 0,645927 Effet régional (réf=Wallonie)

** Significatif à 2,5% * Significatif à 5%

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Le phénomène de la file d'attente est d'autant plus préjudiciable aux jeunes individus peu di-plômés que l'état général du marché du travail est déprécié, que se massifie l'accès aux di-plômes supérieurs entraînant une dévalorisa-tion mécanique des diplômes inférieurs et que prévalent les marchés internes du travail (Gautier, 1999), lesquels sont dominants dans les pays du sud de l’Europe (France, Espa-gne, Italie et dans une moindre mesure Belgi-que) soit précisément des pays où le taux d'emploi est plus faible chez les jeunes.

Dans de tels systèmes, la qualification et l'em-ployabilité (droit à l'emploi et une rémunéra-tion) sont d'abord liés à l'ancienneté de ser-vice tandis qu’ailleurs (en Allemagne par exemple) elles reposent d’avantage sur titre de formation lui-même. Lorsque prévaut le système des marchés internes, c'est le temps passé dans l'entreprise qui produit la qualifica-tion. Certes le diplôme importe mais essentiel-lement comme "signal" car les entreprises voient dans le diplôme – généralement délivré par une instance à laquelle elles sont étrangè-res - un "potentiel" de productivité qui ne peut devenir effectif qu'au terme d'une période d'activité relativement longue. La qualification et sa reconnaissance au sein de l'entreprise sont donc une fonction directe de l'ancienneté de service. L'absence d'ancienneté – ce qui est le lot des jeunes sortant de l'école – est logiquement synonyme d'absence de qualifi-cation effective. Les jeunes dans leur ensem-ble sont donc exposés à un plus grand risque de non-embauche lorsque le volume de la de-mande d'emploi se contracte au regard de l'of-fre, et parmi ces jeunes, ceux qui se signalent par un diplôme plus faible et donc un potentiel de productivité plus faible sont tous particuliè-rement exposés. Ces derniers ne peuvent se prévaloir d'aucune expérience professionnelle et la position qu'ils occupent dans la hiérar-chie des diplômes est perçue comme syno-nyme de faible potentiel.

1.2.2. Mutations technologiques/

organisationnelles et qualifications.

Cela étant, un certain nombre d'études et de statistiques plus récentes suggèrent que la précarisation des jeunes peu qualifiés tient aussi aux mutations technologiques et organi-sationnelles. Ainsi aux USA, si le différentiel de salaire se creuse entre les jeunes et les moins jeunes, il se creuse plus encore entre les peu qualifiés et les fort qualifiés (Freeman, 1999).

Sur le plan théorique, l'argument mis en avant par de plus en plus de travaux est celui du "skilled-biased technological progress". Pour qualifier l’évolution technologique contempo-raine, Kremer (1994) par exemple utilise le terme de "O-ring technology". Il fait ainsi réfé-rence à la non substituabilité croissance des travailleurs qualifiés et non qualifiés une fois que certaines options technologiques ont été prises. Ainsi la production et la mise en orbite d'une navette spatiale – emblème de la so-phistication technologique et de la complexité organisationnelle de certaines de nos activi-tés – requièrent l’absence totale de failles en ce compris pour les anneaux (les fameux O-rings) des fusées d’appoint à l’origine de l’ex-plosion de Challenger. La technologie, et la diffusion systémique des risques qui la carac-térise, imposent de travailler exclusivement avec du personnel hautement qualifié, quel que soit son coût relativement au travail non qualifié.

Sur le plan empirique, dans le contexte nord-américain pour l’essentiel, les travaux de Katz et Krueger (1997) tendant à donner du crédit à cette thèse. La croissante de l'écart salarial entre les individus titulaires d'un diplôme d'en-seignement supérieur et ceux qui n'ont que le secondaire ou moins tiendrait à la demande de qualification accrue générée par la diffu-sion accélérée de l'ordinateur et autres tech-nologiques de l'information. L'accélération de

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la demande pour les diplômes supérieurs du-rant les années 70 et 80 relativement aux an-nées 60 est imputable à titre principal à un changement de la demande de qualification propre à chaque industrie plutôt qu'à des dé-placements de l'emploi entre industries. Les secteurs avec les plus forts taux de crois-sance de la demande de travailleurs fortement diplômés sont par ailleurs ceux qui affichent les plus forts taux de croissance de l'usage des ordinateurs. L'analyse empirique suggère en final que 30 à 50% de la croissance de la demande en travailleurs fortement diplômés est imputable à la diffusion de l'ordinateur et des technologies de l'information.

Sur le plan empirique toujours, mais dans le contexte européen, les études vont globale-ment dans le même sens, même si elles amè-nent à nuancer quelque peu l'argument de l'inévitable « skill-biased technological pro-gress ». Ces études mettent en évidence deux tendances (Binamé & Al., 1999) :

- l’une négative, touchant principalement l’industrie et les travailleurs peu qualifiés (manuels ou intellectuels),

- l’autre positive, concernant essentielle-ment le secteur des services ou les fonc-tions tertiaires, et favorable (mais pas uni-quement) aux travailleurs qualifiés ou très qualifiés.

Dans le secteur industriel les pertes d’emplois sont une tendance générale, celles-ci s’expli-quant par l’automatisation ou parfois par des transferts de production hors Europe (coûts salariaux moins élevés, proximité de nou-veaux consommateurs). Ceci n’exclut bien en-tendu pas que certains sous-secteurs indus-triels soient encore créateurs nets d’emploi, mais il s’agit plutôt d’exceptions. Ces pertes d’emplois touchent surtout les activités ma-nuelles, tandis qu’on constate une hausse ou un maintien des fonctions de planification,

d’organisation, de conception, de recherche, de rédaction, de communication, de formation et d’information; cette tendance est d’ailleurs accrue par l’intensification des échanges intra-européens. Or, ces fonctions exigent des qua-lifications scolaires de niveau supérieur ainsi qu’une expérience professionnelle spécifique. Dans les services du secteur privé la ten-dance générale est plutôt à la hausse même si la situation est contrastée d’un secteur à l’autre :

- les services liés à la production et l’indus-trie tels que la R&D, l’informatique, le de-sign, le marketing, la distribution, le conseil et la formation sont en expansion.

- les banques et les assurances auront de plus en plus tendance à comprimer leur personnel suite à l’utilisation des nouvelles technologies d’information et de communi-cation leur permettant d’offrir des services aux clients sans avoir recours à du per-sonnel.

- une polarisation entre employés haute-ment qualifiés et employés faiblehaute-ment qua-lifiés est particulièrement sensible dans le commerce de détail, la logistique, l’hôtelle-rie et le restauration, le tourisme et l’indus-trie des loisirs (autrement dit, il y a une hausse de l’emploi à la fois pour des fonc-tions très qualifiées et pour des foncfonc-tions subalternes peu qualifiées, tandis qu’on observe un recul pour les fonctions quali-fiées traditionnelles).

Dans le secteur public enfin, l’expansion sem-ble être arrivée à un plafond et un recul est même possible suite aux privatisations. Ceci aurait davantage de conséquences négatives pour les jeunes diplômés d’université que pour les jeunes moins qualifiés.

(12)

Cette évolution contradictoire de l’industrie et des services est constatée dans tous les pays industrialisés depuis la fin des trente glorieu-ses et est également observée en Belgique (Binamé & Al, 1999). De même, aux Etats-Unis, une croissance est prévue pour les pro-fessions de techniciens industriels (ou de la santé) et celles très qualifiées d’ingénieur en informatique ou analyste de système, dont le taux de croissance serait le plus élevé. En re-vanche, le nombre de travailleurs sans qualifi-cation scolaire poursuivrait son recul, mais en termes relatifs seulement (Bowman, 1997). Les études européennes déjà citées (Binamé & Al. 1999) soulignent que l’évolution des qualifications demandées résulte principale-ment de changeprincipale-ments opérés au niveau tech-nologique et/ou organisationnel, le plus sou-vent en réponse à des évolutions du marché et des exigences de la clientèle. Deux gran-des catégories de mutations sont traditionnel-lement mises en évidence, même si elles sont fortement imbriquées :

- L e s i n n o v a t i o n s t e c h n i c o -organisationnelles, qui sont liées notam-ment à une flexibilisation accrue des équi-pements techniques automatisés et à la

pénétration de l’informatique et des ré-seaux informatiques dans la planification du travail, les processus industriels et les postes de travail.

- Les exigences croissantes de la clientèle et une plus grande concurrence sur le marché.

Les mêmes études (Binamé & Al., 1999) sou-lignent toutefois qu'il n’y a pas toujours une demande accrue (en volume) pour une d’œuvre plus qualifiée ou pour une main-d’œuvre hautement qualifiée. En effet, le be-soin en personnel qualifié est en baisse dans certains secteurs ou domaines et cela s’ac-compagne souvent d’une plus grande précari-sation de l’emploi peu qualifié. Ceci reste vrai même si les moins qualifiés sont en termes absolus les plus touchés par le chômage et même si on constate un renforcement des fonctions liées au management et en amont ou en aval de la production (R&D, marketing, etc...), pour lesquelles on demande de dé-ployer créativité et initiative personnelle.

(13)

2. Systèmes d'enseignement et publics en échec

Toute réflexion sur la situation des peu quali-fiés - dont la section 1 nous enseigne qu'elle s'est détériorée et qu'elle risque de l'être plus encore au termes de certaines innovations technologiques notamment - conduit tôt ou tard à interpeller "l'amont" à savoir le fonction-nement des systèmes d'enseigfonction-nement. Certes la "vieille" question de la régulation du marché du travail reste entière. Nombre d'initiatives récentes attestent d'ailleurs du regain d'intérêt pour la question de la stimulation de la de-mande de travail en général (baisse de la fis-calité et de la parafisfis-calité...), de la demande de travail peu qualifié en particulier (baisse des cotisations patronales, impôt négatif...). Mais le bon sens et la logique commandent tous deux d'agir également en amont; c'est à dire de traiter les problèmes le plus tôt possi-ble, à savoir au niveau des dispositifs où se déterminent pour une bonne part compéten-ces et qualifications.

2.1. Education initiale et origine

socio-économique : état de la discussion

Que peut-on dire de la capacité des systèmes éducatifs en général et des politiques qui ont été suivies dans les pays occidentaux à élever le niveau d'éducation des populations les plus démunies? La réponse varie fortement selon que l'on conçoit l'éducation en termes absolus ou relatifs.

Le bilan des années 60 et 70, synonymes de forte expansion de la scolarité dans le cadre de l'école publique et/ou subsidiée, fait aujour-d'hui l'objet d'un bilan positif si l'on se réfère au critère du niveau absolu d'éducation. Il est nettement plus mitigé en termes de réduction

des inégalités d'éducation. Certes l'égalité d'accès est largement assurée via le finance-ment public et/ou les règles d'obligation sco-laire, mais les évaluations conduisent le plus souvent à constater la persistance d'écarts de résultats qui, en outre, restent assez large-ment déterminés par l'origine socio-économique des élèves. Les seuls pays à avoir réussi à réduire l'intensité de la relation entre profil socio-économique et résultats sont les Pays-Bas et la Suède (Shavit & Blossfeld, 1993). A vrai dire, le schéma est vraisembla-blement celui d'une progression du niveau des acquis pour les différents groupes socio-économiques, y compris les plus défavorisés, mais avec un différentiel de croissance selon les groupes qui au total renforce la relation entre niveau socio-économique des parents et résultats en fin de scolarité des enfants.

2.2. Singularité de la question en

Com-munauté française

Wallonie-Bruxelles

2.2.1. Constat : une efficacité moyenne

mais également iniquité relativement forte

Le constat général de Shavit et Blossfeld (1993) vaut pour notre système d'enseigne-ment. Comme ailleurs, les résultats scolaires y sont largement déterminés par l'origine so-cio-économique. Nous disposons toutefois d'un certain nombre d'indices de ce que le problème présente chez nous sinon une forte intensité, à tout le moins une configuration particulière. Ces indices sont essentiellement au nombre de deux. Le premier est fondé sur l'analyse des diplômes des jeunes adultes (enquêtes force de travail) et le second sur

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celui des résultats scolaires dans le cadre de tests internationaux (enquête TIMSS de l’OCDE).

Commençons par traiter de la question des diplômes chez les jeunes adultes. En termes de comparaisons internationales, les chiffres disponibles indiquent que nous sommes au-jourd’hui parmi les pays et régions ayant le taux de participation dans l’enseignement su-périeur parmi les plus élevés au monde. Cette observation se trouve confirmée au niveau des diplômés. L’examen de la part des jeunes adultes de 25-35 ans détenteurs d’un diplôme d’enseignement supérieur révèle que les Ré-gions formant la Belgique, y compris la Wallo-nie, connaissent des taux de diplômés de l’en-seignement supérieur plus élevés que dans les pays voisins (tableau 3). On observe une "performance" relativement bonne pour ce qui concerne l'enseignement supérieur au vu de la part importante de diplômés de ce niveau d'enseignement (34% contre 26% en France,

24% aux Pays-Bas et 16% en Allemagne). La situation de l'enseignement supérieur est cependant à mettre en rapport avec un autre fait saillant : la faible « performance » de notre enseignement pour ce qui est de l'accès au diplôme d'enseignement secondaire supé-rieur. Les mêmes comparaisons internationa-les que celinternationa-les évoquées ci-dessus mettent en effet en évidence que nos dispositifs d’ensei-gnement et de formation amènent relative-ment peu de jeunes à terminer leur parcours de formation en étant porteurs d’un titre d’en-seignement secondaire supérieur. On en compte 40% en Belgique contre 49% en France, 50% aux Pays-Bas, 65% en Allema-gne. Le chiffre pour la Wallonie est de 38.5% et de 29,30% à Bruxelles. Ils sont dès lors très logiquement plus nombreux à sortir de forma-tion en possession d’un diplôme de faible ni-veau : celui de l’enseignement secondaire in-férieur voire moins.

Tableau 3 : Pourcentage de la population de 25 à 29 ans selon le niveau d'étude terminal (1996).Comparaison interré-gionale et internationale. Secondaire infé-rieur ou moins Secondaire supé-rieur Supérieur Total Belgique 26,00 40,00 34,00 100,00 Flandre 21,10 42,90 36,00 100,00 Wallonie 32,30 38,50 29,20 100,00 Bruxelles 33,10 29,30 37,60 100,00 France 25,00 49,00 26,00 100,00 Pays-Bas 26,00 50,00 24,00 100,00 Allemagne 19,00 65,00 16,00 100,00 Moyenne pays voisins 22,00 58,00 20,00 100,00

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Tout se passe en quelque sorte comme si no-tre système d’enseignement réussissait à amener une part substantielle (certes encore minoritaire) d’une cohorte à un niveau de for-mation relativement élevé, tandis que dans le même temps il échoue à assurer un niveau de formation moyen (celui du secondaire supé-rieur) à la multitude. Cette double observation constitue, nous semble-t-il, l’une des caracté-ristiques centrales de notre système éducatif. Passons maintenant à l'analyse des résultats des élèves francophones fréquentant les 1° et 2° années de l'enseignement secondaire à travers les enquêtes TIMSS (Third Maths and Science Study) de l'OCDE. Il apparaît claire-ment (Vandenberghe & Zachary, 2000) que les pays/régions sont loin d’être égaux selon ces deux paramètres. Aux différentiels d’effi-cacité (scores moyens) largement commentés au moment de la divulgation des résultats de l’enquête s’ajoutent des différentiels d’iniquité. Certains pays affichent en effet des résultats qui varient plus fortement selon l’origine so-cioéconomique des élèves que d’autres. S’il existe une certaine tendance à l’arbitrage en-tre efficacité et équité, il est fort intéressant de noter que cette relation s’établit à des « niveaux » différents selon les groupes de pays et ce de manière relativement stable se-lon les matières et les niveaux d’études étu-diés. Pour un niveau d’efficacité (score moyen) donné, on remarque en effet que le degré d’iniquité peut varier du simple au dou-ble selon les pays.

S’agissant de la Communauté Wallonie-Bruxelles plus particulièrement, les résultats obtenus ici confirment le résultat largement médiatisé au moment de la sortie de TIMSS à savoir que notre système d'enseignement se distingue par une efficacité (score moyen) conforme à la moyenne internationale (mathématique) ou inférieure à celle-ci (en Science). Mais le résultat que nous épinglons est celui de l’iniquité relativement élevée

compte tenu du degré d’efficacité observé. De tels résultats devraient bien entendu faire l’ob-jet de confirmations dans le cadre d’autres en-quêtes. Il serait ainsi fort intéressant de répli-quer le travail exposé dans cette note au moyen des données produites par la pro-chaine enquête internationale sur les acquis (Oecd Program for International Student As-sesment, PISA). Au-delà, il reste bien entendu à comprendre comment et pourquoi de telles différences de « performance » en termes d’i-niquité et d’efficacité existent.

2.2.2. Les modes de fonctionnement en

cause

Mais qu'en est-il du mode de fonctionnement de notre enseignement initial et des éléments dont nous pouvons raisonnablement estimer qu'ils concurrent à le rendre relativement plus inéquitable et inadapté aux besoins et poten-tialités de certains jeunes ?

On ne peut imputer la cause du problème à un seul facteur. A l'évidence, le problème est complexe et multidimensionnel. Il engage bien des variables, dont beaucoup d'ailleurs ont trait à la politique de l'emploi, dépendent du redéploiement économique dans nos régions touchées par la désindustrialisation ou la crise du milieu urbain. Nous nous risquons toutefois ici à énumérer et à articuler une série de fac-teurs qui nous paraissent déterminants au cœur même du système d'enseignement. a. Recours intensif au redoublement soit une

pratique de remédiation/sélection discuta-ble

La première caractéristique de notre système d'enseignement qui semble particulièrement préjudiciable à la réussite scolaire de certains élèves est celle du recours massif (et en bonne partie incontrôlé étant donné le carac-tère très décentralisé de l’évaluation) au

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re-doublement en cas de difficultés d'apprentis-sage. Le phénomène est massif au point de provoquer un gonflement des effectifs inscrits par rapport à la référence démographique d'environ 10% (Vandenberghe, 1993). En ter-mes plus qualitatifs, tout indique qu'il concerne surtout les élèves à profil socio-économique plus faible (Vandenberghe, 1996) et, au-delà, qu'il constitue tantôt une forme de remédiation d'efficacité faible - au sens où elle augmente peu ou pas du tout les chances de réussite - tantôt une forme de sélection et d'orientation discutable - ne serait-ce que parce qu'il existe d'autres manières moins coûteuses d'obtenir le même degré de sélectivité dans un système d'enseignement.

Si le passage automatique de niveau (situation prévalant aux USA par exemple) peut compli-quer le travail de motivation des élèves par l'enseignant et accentuer le degré d'hétérogé-néité des acquis chez les diplômés, il semble que le recours massif au redoublement (situation Communauté Wallonie-Bruxelles) multiplie les situations de décrochage complet de la part des élèves dès lors qu'ils ont doublé une fois ou plus...

La question des incitants chez les élèves est bien réelle. On aurait tort de la nier. Mais est-on cest-onvaincu de ce que la menace de redou-blement, est bien le seul et le meilleur moyen de faire travailler les élèves. Nous pensons d'ailleurs que ce problème gagnerait à être examiné sous l'angle de la structure incitative globale à laquelle les élèves font face plutôt que sous l'angle restrictif de leur sensibilité au redoublement*.

Une évaluation rapide de la structure incitative

* On sait par exemple (Bishop, 1999) que la présence d'examens centraux - par contraste à une situation où n'existe que des examens locaux - accroît les bénéfices de la réussite et augmente le coût des échecs, soit une situation où les élèves sont plus incités à travailler en vue de la réussite.

sous-jacente à notre système d’enseignement nous fait dire qu'elle est beaucoup trop:

- contingente, car reposant quasi exclusive-ment sur des critères d'évaluation décen-tralisés. En pratique chaque enseignement, chaque conseil de classe est plus ou moins libre de déterminer les conditions d'une ré-ussite;

- discontinue car marquée par quelques grands seuils (terminer le secondaire ou le supérieur) dont le franchissement com-mande à la réussite, mais dont le non-franchissement - quelle que soit la réalité du chemin parcouru - tend à projeter les jeunes dans la masse des "ayant échoué". Se profile là toute la question du passage d'un système (scolaire, économique et social) valo-risant le franchissement d'un nombre restreint de seuils de scolarité (les diplômes terminaux) à un système d'unités capitalisables instaurant une hiérarchie de niveaux de compétences (et partant de salaires ou de positions sociales) s'apparentant bien plus à un continuum qu'à un escalier.

b. Un quasi-marché scolaire fort ségrégé Cela étant, le redoublement et les pratiques d'orientation/relégation qui y sont associées gagnent à être analysés dans un cadre plus général que celui de la classe, en mobilisant d'autres hypothèses que celles de l'inadéqua-tion des méthodes d'évalual'inadéqua-tion des ensei-gnants. Certes, ces dimensions sont centrales et justifient le projet récent de les réorienter ainsi que tout effort de recherche sur la ques-tion des modes d'évaluaques-tion ou d'orientaques-tion en relation notamment avec la question des incitants à étudier et à travailler chez les élè-ves (cfr supra). Mais le redoublement est aussi affaire de ségrégation inter-établissements dans le cadre institutionnel de quasi-marché qui caractérise notre système d'enseignement. Commençons par définir sommairement la no-tion de quasi-marché. Cette forme instituno-tion-

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institution-nelle hybride combine un principe de libre-choix de l’école et un principe de financement public à l’élève. En fait, ils correspondent au principe de "voucher" mis en avant par des penseurs libéraux américains comme Milton Friedman. Les quasi-marchés en Belgique, et partant en Communauté Wallonie-Bruxelles, sont de l’histoire relativement ancienne (1954 pour la Belgique avec le Pacte Scolaire). Leur explication repose sans doute avant tout dans le conflit philosophique opposant l’Eglise ca-tholique au monde laïc inspiré de la philoso-phie de lumières. Les deux institutions ont de longue date revendiqué le monopole sur la sphère éducative. Il se fait qu’en Belgique, contrairement à ce qui s’est passé en France par exemple, aucune de ces deux entités n’est parvenue à s’imposer dans la sphère éducative (mais ailleurs aussi). Le compromis logique a été de confier à l’Etat le soin de fi-nancer l’éducation par l’impôt mais dans le même temps de limiter son pouvoir de contrôle sur l’utilisation de l’argent. En d’au-tres mots, la logique d’opposition entre ré-seaux et familles philosophiques a contribué à l’avènement d’une organisation scolaire épou-sant certains aspects de la régulation mar-chande. Certes le financement est public mais les modalités d’octroi de ce financement font apparaître les logiques de marché. Les pa-rents, les élèves ou étudiants sont totalement libres de choisir leur établissement. Les éta-blissements − pas les réseaux auxquels ils appartiennent − sont financés en fonction du nombre d’inscrits.

Mais au-delà de l’identification des origines des quasi-marchés, la principale question reste celle de leur fonctionnement. Consti-tuent-ils une "bonne" manière d'organiser un système éducatif et quelle incidence cette forme institutionnelle entretient-elle en particu-lier avec la question du traitement des publics à risque? Parmi les établissements proches, organisant le même type d’enseignement, cer-tains concentrent-ils systématiquement les

élèves en situation de réussite et d’autres les élèves en situation d'échec ?

Nos travaux (Vandenberghe, 1997) confirment qu’une telle ségrégation existe. Dans les ar-rondissements de grandes villes comme Bruxelles, Liège et Charleroi, certains établis-sements comptent moins de 5% d’élèves en retard, d'autres plus de 90%. Le même phéno-mène s’observe, certes avec une intensité moindre, dans les arrondissements plus ru-raux. Il y a donc de la ségrégation entre éta-blissements relativement proches, recrutant dans un même bassin de population. Contrai-rement à l’acceptation commune, cette ségré-gation n’est pas d’abord un problème oppo-sant les écoles libres et officielles mais bien un problème d’établissements. Il y a singuliè-rement plus de différences entre les établisse-ments au sein de chacune des familles qu’il n’y en a, en moyenne, entre les deux familles d’établissements.

Peut-on cependant affirmer que le quasi-marché est responsable - au sens où on pour-rait dire qu'il en est la cause - du degré de sé-grégation entre établissements? Nous répon-dons ici aussi par l'affirmative. Nous obser-vons que l'intensité du libre-choix scolaire au niveau de l'arrondissement, soit le nombre d'établissements accessibles au public, est un facteur qui exacerbe la ségrégation entre éta-blissements. Ceci vaut indépendamment du degré de dissemblance entre les élèves et adultes vivant dans l'arrondissement. Deux arrondissements avec un même écart entre riches et pauvres, travailleurs et chômeurs, travailleurs qualifiés et travailleurs peu quali-fiés… présenteront différents degrés de sé-grégation entre écoles du seul fait du nombre d'écoles en concurrence sur leur territoire. Mais à quel point faut-il s'inquiéter d'une telle ségrégation? Quels-en sont à vrai dire les en-jeux en termes d'équité et d'efficacité? Com-mençons par préciser qu'elle est synonyme de

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distribution relativement inégalitaire des résul-tats scolaires. Le processus d'apprentissage s'opère en groupe (au sein d'une classe, elle-même au sein d'un établissement). Dès lors, le déroulement de cet apprentissage est affec-té par les caracaffec-téristiques, en termes d'apti-tude scolaires notamment, du groupe auquel appartient l'élève. Un élève d'aptitude relative-ment "faible" sera en quelque sorte tiré vers le haut s'il fonctionne au sein d'un groupe dont la composition moyenne est "forte" et inverse-ment. L'éducation est marquée par ce que les socio-pédagogues nomment effets de pairs et les économistes appellent externatités socia-les. Dans les deux cas l'idée est la même : modéliser le processus d'apprentissage impli-que de prendre en compte la nature et la qua-lité des interactions entre élèves ou étudiants. Si les effets de pairs existent, ainsi que le sug-gèrent plusieurs études empiriques dont celle que nous avons pu mener nous-mêmes (Vandenberghe, 2000a), alors la question de la répartition des élèves entre écoles devient une question engageant la question de l'équi-té comprise comme égalil'équi-té de ressources voire égalité des chances.

Mais cette question - certes de manière moins évidente - engage aussi la question l'efficacité du système scolaire. Une politique scolaire vi-sant à maximiser le niveau scolaire moyen peut être affectée par un fort degré de ségré-gation au sein du système éducatif. Il est pos-s i b l e d e m o n t e r a n a l y t i q u e m e n t (Vandenberghe, 1996) que la situation de dé-ségrégation est plus efficace (au sens défini ci-dessus) que la situation de ségrégation si deux conditions se vérifient simultanément. La première est que l'amélioration du niveau des effets de pairs dans une école (ou classe) ré-sultant du remplacement d'un élève faible par un élève fort ne compense pas la détérioration intervenant dans le même temps dans le reste du système. La seconde condition est que les élèves d'aptitude faible soient plus sensibles - au sens où leurs résultats scolaires sont plus

affectés - au niveau et à la qualité des effets de pairs.

Plusieurs études empiriques suggèrent que ces deux conditions sont vérifiées dans l'en-seignement primaire et le début du se-condaire. Henderson, Mieskowski & Sauva-geau (1978) furent les premiers à montrer, au moyen de données canadiennes, que la pre-mière condition se vérifiait. Une étude plus ré-cente, opérée en France (Leroy-Audouin, 1995) dans le primaire, conclut que les élèves les plus faibles sont bien ceux dont les résul-tats scolaires sont les plus dépendants de l'environnement social de l'école et de la classe. Cette même conclusion apparaît au terme d'études US centrées sur le secondaire (Gamoran & Nystrand, 1994). Mais notons aussi que nos propres travaux les plus ré-cents (Vandenberghe, 2000a) sur base des données OCDE ne confirment pas ces résul-tats. Ils confirment bien l’existence des effets de pairs mais ne conduisent pas à la conclu-sion que leur présence implique de préférer la déségrégation (ou la ségrégation) aux fins de maximiser le niveau moyen des acquis.

Au-delà du diagnostic, quelle approche privilé-gier pour tendre à moins de ségrégation ? Commençons par rappeler un principe de base fort utile nous semble-t-il si nous voulons éviter l’écueil des affirmations fortes et viriles («le marché est maléfique », « l’individualisme débridé conduit à la hiérarchisation sauvage » … ) qui n’aident ni l’analyse ni la délibération. La polarisation entre établissements sur un quasi-marché, l’iniquité voire l’inefficacité qui en découlent trouvent leurs origines dans un comportement humain très répandu : celui de la non prise en compte par les individus de l'ensemble des conséquences des choix qu’ils posent. Les parents d'un enfant «fort» déci-dant de le déplacer - afin d’augmenter ses chances de réussite scolaire, sociale ou pro-fessionnelle ; intention louable somme toute - d'une école où le niveau des effets de pairs

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est faible vers une école où il est plus élevé, ignorent généralement les conséquences né-gatives de ce choix sur les écoles qu’ils dé-laissent. Ils prennent en compte les bénéfices privés, mais ignorent ou sous-estiment le coût collectif de leur choix. Cet argument s’appli-que aussi s'agissant des décisions de recrute-ment ou d'orientation prises par les écoles. Une école cherchant à attirer de « bons » élè-ves pense avant tout à améliorer le niveau des effets de pairs en son sein mais néglige les conséquences de cette politique sur le confort des autres écoles de l'arrondissement. Ces comportements sont rationnels du point de vue individuel. Rien n’autorise à dire qu’ils sont « moralement » abjects, même s’il l’on doit s’accorder pour reconnaître qu’ils peuvent avoir des effets problématiques pour la collec-tivité.

Venons-en maintenant à la substance. Quel type de politique un ministre de l'enseigne-ment, son administration (ou tout autre ins-tance collective) peuvent-ils mettre en oeuvre pour limiter le degré de polarisation d’un quasi-marché? On commencera par indiquer que la solution de l’abolition du quasi-marché et son remplacement par une «carte scolaire» similaire à celle que l’on trouve aux Etats-Unis et en France présente aujourd’hui de nom-breuses limites. Il a bien entendu la question du coût politique lié à un tel choix dans un pays «habitué» de longue date à l’idée du li-bre-choix. Ce coût serait à la mesure de l’atta-chement de la population à cette idée, c’est-à-dire énorme. Mais il a plus que l’enjeu politi-que. L’analyse des exemples français et amé-ricain met en effet très largement en évidence l’intensité des problèmes découlant des stra-tégies de contournement des cartes scolaires; stratégies mises en oeuvre par une part crois-sante de la population comprenant aujourd’hui l’essentiel de la classe moyenne. La forme la plus courante est bien entendu la mobilité ré-sidentielle. La contrainte du brassage scolaire par le biais d’une carte scolaire très

contrai-gnante se révèle à terme source de polarisa-tion résidentielle. Le choix du lieu de rési-dence, et bien entendu le prix de l’immobilier, devient en effet pour une part importante fonc-tion de la qualité réelle ou perçue des écoles du district (cas américain) ou de l’arrondisse-ment (cas français).

Nous ajouterons aussi - pour faire écho à un point de vue très répandu dans les pays an-glo-saxons mais aussi à des travaux économi-ques sur le sujet (Hoxby, 1994) - que la concurrence inscrite au cœur du quasi-marché est peut-être aussi source de certains bénéfices. Nous visons particulièrement la présence d’incitants à l’effort, à la responsabi-lité et à l’innovation dans le chef des ensei-gnants. On n’a pas de véritable garantie scientifique quant à l’existence de tels effets incitatifs dans un quasi-marché, mais on sait par contre que les incitants sont tout particu-lièrement difficiles à générer dans le cadre plus classique des systèmes avec cartes sco-laires, généralement plus centralisés.

Pour ces raisons et d’autres qu’il n’est pas possible d’évoquer toutes ici, nous pensons que l’option de politique scolaire doit plutôt être celle de la régulation du quasi-marché. Sans remettre en question le principe du quasi-marché, il s’agit donc de se doter d’ins-truments permettant d’en améliorer le fonc-tionnement.

Il n’existe pas, selon nous, d’instrument sim-ple permettant de régler les problèmes se po-sant sur un quasi-marché. Ainsi une trop forte ségrégation entre écoles ne peut être résor-bée simplement en informant les parents et les écoles de ce que serait une répartition des élèves, un choix d'école ou une politique de recrutement respectueuse de l'intérêt collectif. Les acteurs «stratégiques» les mieux position-nés dans la situation actuelle de polarisation auront bien vite fait de réaliser que le change-ment qui leur est proposé - synonyme de plus

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grand «brassage» scolaire - est pour eux source de perte. Mécaniquement en effet, toute déségrégation a pour effet de diminuer le niveau des effets de pairs dans un certain nombre d'écoles et de classes. Ceci implique des résultats scolaires à la baisse pour les élèves qui les fréquentent.

Si l'on exclut donc l'option de carte scolaire (cfr. supra), la politique qui vient en premier lieu à l'esprit consiste à utiliser la formule de financement des écoles pour les inciter à révi-ser leur stratégie de recrutement. Un Ministre pourrait en effet influencer significativement le mode de recrutement des écoles sélectives en rendant le montant du chèque-élève condi-tionnel à la composition socio-économique du public de l’école ou en faisant transiter une partie de ce financement par le niveau du dis-trict scolaire dont les responsables seraient alors en mesure de faire « plier » les entités dont les pratiques apparaissent excessive-ment sélectives.

Mais le problème ne se limite pas à persuader des écoles les plus sélectives de renoncer à leur position privilégiée ou simplement de prendre part à un jeu coopératif. Le respect des priorités collectives passe aussi et peut-être avant tout par un travail de persuasion des parents et des élèves que nous qualifions ici de «forts». Ces derniers sont des acteurs rationnels au même titre que les écoles. Ils sont peut-être en outre des clients politiques particulièrement avisés. Perdant la possibilité d'accéder à des écoles à recrutement homo-gène, et comprenant qu'il y a là un coût pour leurs enfants, ils pourraient faire pression sur les décideurs ou (cas extrême) boycotter leurs devoirs fiscaux et sociaux, opter pour un en-seignement privé payant, migrer vers d’autres régions ou pays.

Pour persuader les familles d'élèves d'apti-tude «forte» de participer - volontairement - à un enseignement primaire et secondaire

dé-ségrégé, il faut vraisemblablement penser en termes de discrimination positive «à rebours». Des exemples de tels mécanismes existent, notamment aux USA. Dans l'enseignement secondaire, les «magnet schools» (écoles ai-mants en français) y offrent implicitement plus de moyens financiers aux familles blanches ou asiatiques de la classe moyenne si ces dernières acceptent de fréquenter les écoles situées au cœur de ghettos noirs. S’inscrivant en rupture par rapport aux politiques antérieu-res basées sur le principe du «bâton» jugées inefficaces, l’option des écoles aimants est plutôt celle de la «carotte». La discrimination positive à rebours prend la forme de program-mes de cours - voire d’enseignants - d'un type et d'une qualité inaccessibles ailleurs dans le système. On retrouve la même idée, de façon tout à fait explicite cette fois, dans l'enseigne-ment supérieur à travers les «merit grants» (les bourses au mérite). Ces bourses sont of-fertes aux étudiants les plus doués, sans que référence soit faite à leur niveau de fortune. Il s’agit ce faisant de les encourager à fréquen-ter des universités moins réputées, attirant traditionnellement un public-étudiant plus «faible», en mobilisant les droits d'inscription versés par ce dernier.

Ces exemples méritent sans doute réflexion s’agissant d’imaginer des réformes à intro-duire dans notre propre enseignement, voire peut-être d’amender celles déjà mises en place comme la politique de discrimination po-sitive.

c. Un système scolaire très peu évalué dans lequel les instruments de régulation sont peu développés

Les quasi-marchés sont, on l'a vu au point précédant, des institutions hybrides. Les mé-canismes de régulation qui les caractérisent traduisent tant le contrôle par les administra-teurs que celui des “ clients ”. L’idée centrale

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du quasi-marché est de laisser les individus, les familles (y compris les plus pauvres) choi-sir librement l’école. Le présupposé est que ces derniers (mieux qui quiconque) peuvent déterminer ce qui est adapté à leurs besoins. Ils sont un vecteur de contrôle sur les écoles en ce sens qu’ils peuvent exercer leur option de sortie… en emportant avec eux les res-sources qui font vivre l’école. Cela étant, l’ar-gent est public et ce seul fait conduit généra-lement l’administration à réclamer un pouvoir de contrôle sur ce qu’il advient de “ son ” ar-gent. Le contrôle par le “ marché ” n’exclut pas un contrôle administratif plus convention-nel. Etant le bailleur de fonds, l’administration publique détient un levier qu’elle peut action-ner pour tenter d’influencer le fonctionnement des écoles. Les réglementations administrati-ves peuvent être significativement étendues et nombreuses dans un quasi-marché scolaire. Les domaines les plus souvent “ régentés ” par l’administration centrale sont les curricula (programmes de cours et contenus), les salai-res et pensions, les conditions de recrute-ment, de promotion, de licenciement des en-seignants, les règles d’évaluation et de recru-tement des élèves, l’emploi du temps hebdo-madaire ou annuel. N’oublions pas non plus que l’administration décide du montant à dé-penser par élève et le cas échéant du montant du minerval que les écoles sont autorisées à prélever en sus.

En pratique, les quasi-marchés scolaires exis-tant à travers le monde divergent les uns par rapport aux autres selon le type de régulations administratives dont ils font l'objet. On peut classer les quasi-marchés selon que les rè-gles administratives qui s’imposent aux écoles visent les inputs ou les outputs. Dans le pre-mier cas de figure, l’administration édicte des règles concernant l’usage des ressources hu-maines et matérielles mises à la disposition des écoles. Dans le second, les règles visent avant tout les résultats atteints par l’école.

Dans le cas néerlandais, les écoles “ privées ” doivent respecter des règles très strictes concernant le nombre d’enseignants par élève, les titres requis pour enseigner, les pro-motions, les départs. L’emploi du temps est également fortement régenté (horaires élèves et enseignants).

Le cas des quasi-marchés scolaires introduits en Grande-Bretagne en 1988 illustre une conception du contrôle administratif d’avan-tage centré sur les résultats plutôt que l’usage des ressources. La réforme de 1988 a appa-remment considérablement réduit la régle-mentation concernant le recrutement et la gestion des personnels, celui de la définition des horaires, l'usage au quotidien des res-sources mises à disposition… Mais dans le même temps elle a renforcé le contrôle sur le contenu des matières enseignées et sur le de-gré de connaissance atteint par les élèves (via notamment l’organisation de tests standardi-sés et la publication de listes de résultats par école…).

Le quasi-marché est effectif en Belgique de-puis les années 50. En termes de règles ad-ministratives, le modèle est plus celui des Pays-Bas que celui de la Grande-Bretagne. L’administration - presque à l'image du mo-dèle hiérarchique centralisateur à la fran-çaise - s’est efforcée de définir des règles d’u-sage des ressources plus que le niveau des résultats à atteindre. Les grilles salariales sont centrales, le paiement des enseignants est ré-alisé par l’ordinateur de l’administration. Les règles statutaires régissant les conditions de recrutement de promotion, de nomination et de mise à la pension sont les domaines dans lesquels la marque de l’administration est la plus visible (poussée dans le dos vraisembla-blement par l’appareil syndical). Il en va de même en ce qui concernent l’emploi du temps dans les écoles, la définition des horaires de travail des enseignants et des élèves.

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Par contre s’agissant des méthodes d’ensei-gnement et des contenus pédagogiques, les règles sont plus rares. Il est tout à fait clair que l’évaluation des élèves est peu encadrée même si l'on voit poindre depuis peu des réfé-rentiels appelés socles de compétences dans le décret mission (non contraignants et relati-vement vagues, (Dupriez & Zachary, 1998)). Les écoles et les enseignants au sein des écoles sont plus ou moins libres de détermi-ner les critères de réussite ou d’échec, les sanctions de redoublement (très fréquentes cfr. supra) ou de réorientation. Ce n’est pas le cas aux Pays-Bas où les examens détermi-nant le passage de degrés ou l’orientation en-tre filières sont pour moitié rédigés par des commissions centrales. Ce n’est pas le cas non plus en Grande-Bretagne où l’introduction des quasi-marchés a été expressément ac-compagnée d’un renforcement du rôle des examens nationaux. La distribution des diplô-mes est elle aussi fortement décentralisée en Belgique. Il y a bien une commission d’homo-logation mais son rôle se borne généralement à vérifier qu’un certain nombre d’intitulés ap-paraissent dans les journaux de classe. En pratique, un même diplôme terminal délivré par deux écoles différentes attestera d’acquis forts divergents. Les services d’études des universités confirmeront la chose.

S’agissant maintenant des résultats à propre-ment parler, à peu près rien n’existe en Com-munauté Wallonie-Bruxelles. Il n’y a pas d’é-valuation des écoles quant aux acquis de leurs élèves, leurs taux de réussite dans les niveaux supérieurs ou sur le marché du tra-vail. Nous ne disposons pas de système de suivi des élèves pendant et après leur scolari-té…, nous ne savons à peu près rien quant à la capacité du système à réduire (ou accen-tuer) les inégalités scolaires si ce n'est à l'oc-casion de trop rares études internationales qui de toute façon fournissent une vision agrégée impossible à utiliser pour apprécier la diffusion du phénomène sur le terrain. D'un point de

vue plus général il est frappant de constater que l'Etat - tout en étant le bailleur de fonds - est en définitive un piètre 'régulateur’. Il contrôle tout sauf les résultats produits par les écoles.

Cette remarque ne vaut pas seulement pour elle-même ou pour l'information qu'elle ap-porte en termes de comparaison de quasi-marchés (ex : le britannique vs. le belge). Car ce dont il s'agit sur le fond est bien la question de la plus ou moins grande cohérence d’un mode de régulation par l'administration. La présence d'un quasi-marché entraîne en effet un certain nombre de conséquences sur la désidérabilité de telle ou telle modalité de ré-gulation par l'administration. Dès lors qu'il y a libre-choix et décentralisation de fait d'un cer-tain nombre de composantes du système (plus de 75% des institutions en charge de la production des services éducatifs sont gérées au quotidien par des acteurs sans lien organi-que ou hiérarchiorgani-que direct avec l'Etat), il paraît a priori logique d'un point de vue économique que le "centre" définisse autrement son ac-tion. Un certain nombre de travaux empiriques récents abondent dans ce sens (Wössman, 2000): les régulations scolaires centrées sur les "outputs" paraissent plus efficaces que celles qui procèdent par définition fine des rè-gles d'usage des "inputs".

Face à la multiplication des centres décision-nels, face à la montée en puissance de la re-vendication d'autonomie ou de "réflexivité" des enseignants eux-mêmes, le rôle du "centre" devient de veiller à la complémentari-té des décisions, de les orienter en formulant un certain nombre d'objectifs généraux ou de règles de procédure à respecter. Il devient aussi d'évaluer à distance en s'informant de l'état et des évolutions spontanées du sys-tème. Il y a là une règle quasi-générique en vertu de laquelle, un système qui se décentra-lise appelle la production d'une information abondante, de qualité et gratuite sur l'état du

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système.

D'où la logique qu'il y a à recentrer l'action de l'administration sur la fonction de collecte et d'analyse de statistiques de plus en plus fines au fur et à mesure que les corps d'inspecteurs ou d'administrateurs/superviseurs (véritables têtes de pont de l'action de l'Etat dans un schéma classique) régresse pour laisser la place au fouillis des initiatives locales, du "shopping around" des parents et élèves, ou de l’individualisation des contenus et prati-ques d'enseignement sous-jacente au nou-veau modèle professionnel que promeuvent les enseignants et les sciences pédagogiques (Cattonar & Maroy, 2000).

Dans une version plus avancée de ce sché-ma, il est assez logique de voir émerger des mécanismes incitatifs - de type financier ou non - par lesquels l'administration cherchera à orienter (téléguider) le comportement des (nombreux) décideurs en fonction des quel-ques grandes priorités qu'elle poursuit. Et l'in-formation utile à la mise en place de ces inci-tants est bien entendu celle collectée par l'ap-pareil statistique.

d. Une gestion du personnel préjudiciable au recrutement et à la stabilisation de jeunes enseignants compétents et motivés

Cohérence. Le mot est prononcé. Un quasi-marché peut être régulé de façon plus ou moins cohérente. La section précédente souli-gnait déjà que la faible référence aux outputs à travers les modes d'intervention de l'admi-nistration de l'enseignement en Communauté française constitue plus qu'une singularité. On pourrait en dire de même de l'état de désué-tude de l'appareil statistique. Comment l'admi-nistration peut-elle concourir au bon fonction-nement - que ce soit en termes d'efficacité ou d'équité d'ailleurs - d'une institution à forte composante décentralisée s'il elle peine déjà à connaître avec une précision toute relative

le nombre d'élèves qu'elle scolarise?

Mais il y a malheureusement plus. On souli-gnera ainsi l'importance pour nombre d'élèves exposés au risque d'échec scolaire de pouvoir bénéficier du service d'enseignants compé-tents et motivés. A ce propos la question du recrutement et de la « stabilisation » dans la profession est centrale, mais la manière dont notre quasi-marché s'est configuré au fil des ans, tend à négliger complètement cette ques-tion.

Nos travaux montrent que la propension des jeunes enseignants débutants à « rester » dans la profession est en régression très nette depuis la fin des années 80 sans qu’il y ait ga-rantie que les meilleurs candidats soient ceux qui restent. Tout est simplement question d’ancienneté au terme de statuts tendant au-jourd'hui à opposer de façon mécanique jeu-nes et moins jeujeu-nes enseignants dans l'accès à l'emploi stable (Vandenberghe, 1999, 2000c).

Le risque de sortie durant la 1ère année de carrière est 35 fois plus important qu'au cours de 24ème année. Ce rapport décroît ensuite pour ne plus se singulariser de façon significa-tive à partir de la 8ème année. Les premières années de carrière sont à l'évidence synony-mes de forte instabilité. Cette observation fait sans doute écho à la politique de gestion du personnel en vigueur consistant à titulariser les enseignants ayant acquis une certaine an-cienneté de service. Une telle politique “ fixe ” les enseignants plus âgés mais elle accentue probablement le risque de sortie des plus jeu-nes, car c'est sur eux que se reporte entre au-tres le besoin de flexibilité inhérent à notre système de quasi-marché scolaire.

En outre, la tendance est à l'augmentation du risque de sortie au fur et à mesure que l'on avance dans le temps. Pour un niveau d'an-cienneté de carrière donné, le risque de sortie

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était beaucoup plus faible en 1973, 1974 et 1975 qu'en 1996. Le risque de sortie aug-mente graduellement entre 1976 et 1986-87. Il diminue faiblement jusqu'en 1991 puis repart à la hausse pour culminer au cours de l'inter-valle débutant en janvier 1996. Une telle ten-dance nous conduit à affirmer qu'il y a eu au cours des 20 dernières années accentuation de l'instabilité des débuts de carrière et à sug-gérer que celle-ci reflète la précarisation crois-sante de l'emploi des jeunes enseignants. Sans doutes certains départs reflètent simple-ment le choix que font certains jeunes d'opter pour une autre profession ou un autre secteur d'activité. Mais nombre de départs renvoient vraisemblablement à la tension qui, en vertu des règles statutaires en vigueur, oppose jeu-nes et moins jeujeu-nes en termes de garantie d'emploi. On peut imaginer nombre d'initiati-ves visant à améliorer les conditions de travail des jeunes enseignants comme par exemple la meilleure préparation au métier en cours de formation initiale ou la mise en place d'un sys-tème de tutorat par des enseignants plus ex-périmentés lorsque démarre la carrière. Mais l'efficacité de tels dispositifs risque d'être fai-ble tant qu'on ne limitera pas significativement la tension opposant ceux qui peuvent se pré-valoir d'une ancienneté de service et les au-tres.

Prolongeons notre réflexion en évoquant ce qui nous paraît la contraction centrale du mode de régulation du système scolaire belge. Plusieurs des observations qui précè-dent nous conduisent à souligner la tension latente qui traverse notre système depuis de nombreuses années, mais qui ne devient ma-nifeste qu'aujourd'hui, du fait de l'apparition d'une contrainte budgétaire essentiellement. Ce système présente les traits d’une adminis-tration centralisée. Son financement est bien entendu public et, comme c’est aujourd’hui la règle dans un tel cas, l’employeur a des enga-gements salariaux à très longue échéance

en-vers une bonne part du personnel. En sus, il est organisé depuis les années 70 autour d’une option pédagogique, très largement ré-pandue aujourd’hui dans les pays occiden-taux, synonyme de curricula spécialisés. Une telle option implique le recours à des ensei-gnants relativement spécialisés, mais de ce fait peu interchangeables à court terme. Cette conjonction de facteurs fait que ce système est en quelque sorte structuré pour ne s’adap-ter que lentement et très graduellement. Or l’environnement pousse à des changements qui peuvent être rapides et qui requièrent une grande capacité d’adaptation. C’est là le nœud de la contradiction.

En quoi l’environnement impose-t-il des chan-gements rapides? Commençons par rappeler l'évidence du quasi-marché. On y accorde une large place à la liberté des acteurs: direction d’établissement, enseignants et leurs organi-sations représentatives et surtout parents et élèves. Ces derniers ont le libre-choix de leur établissement et partant de la spécialité qui y est organisée. Ceci implique, entre autres choses, qu’il peut y avoir des changements rapides et imprévisibles dans la ventilation des élèves et donc dans la répartition des em-plois. Gérer ces évolutions, compte tenu du degré élevé de spécialisation du personnel sy-nonyme d’interchangeabilité limitée, avec en sus un statut très liant en termes d’engage-ments salariaux, se révèle compliqué et par-fois coûteux.

L’élément récent dans le secondaire principa-lement est qu’à la logique de marché - pre-mière source de changement rapide de l’envi-ronnement des écoles - est venue s’ajouter celle d’une réduction de l’encadrement. On sait qu’elle a été importante. On retiendra sur-tout ici qu’elle a été mise en place par le Gou-vernement dans des délais très brefs. Les mê-mes causes conduisant aux mêmê-mes effets, on assiste aujourd’hui à une accentuation forte de la contradiction évoquée ci-dessus. Les

Figure

Tableau 1 – Hommes de 25 à 65 ans et taux d'emploi selon l'âge, le diplôme et la filière
Tableau 2 – Femmes de 25 à 65 ans et taux d'emploi selon l'âge, le diplôme et la filière
Tableau 3 : Pourcentage de la population de 25 à 29 ans selon le niveau d'étude terminal (1996).Comparaison interré- interré-gionale et internationale

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