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L'archéologie des Celtes et les révolutions manquées du temps

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Academic year: 2021

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Identités culturelles

L'archéologie

et

les

révolutions

m

Laurent Olivier (Musée des Antiquités nationales)

La p e n sé e m oderne introduit un renversem ent d e perspective par rapport « l'histoire », telle qu'elle restait p e rç u e jusqu'à l'â g e classique : désormais, c 'e s t le c h a n g e m e n t ou l'introduction d e la nouveauté qui conduit la m arche des événem ents. Plus profondém ent, c 'e st dorénavant l'évolution e t non plus la p e rm a n e n c e qui sous-tend le destin des choses e t d e s êtres dans le tem ps : l'histoire devient un cham p d 'e x p é rie n ce ouvert, l'e s p a c e d e tous les possibles e t non plus le nécessaire rappel d 'u n ordre ancien q u e le présent tend à d é c o m p o se r. C e retournement, par lequel s'im pose la notion inédite d'histoire ouverte, a nourri to u te la p e n sé e scientifique du XIXe siècle, c o m m e 3 a dominé les d é c o u v e rte s conceptuelles m ajeures du XXe siècle : les hom m es et les sociétés ont une histoire dont les m ouvem ents sont ceux d e révolution d e la nature, d e la m êm e manière que les choses d e la nature e t la m atière d e l'univers sont à considérer com m e d e pures productions historiques.

Mais c e tte révolution du temps, par laquelle le tumulte d e la nature envahit l'e s p a c e ordonné des sociétés humaines e t où le hasard s'hybride a v e c la conscience, a des implications trop bouleversantes pour q u e la p e n sé e m oderne puisse l'a c c e p te r com plètem ent. C ar intégrer les co n séq u e n c e s d e c e renversem ent du tem ps c'est, au bout du com pte, renoncer à tout c e sur quoi la société m oderne est fo n d é e : la science c o m m e objectivation d e l'autre, du non-soi, la technique com m e exploitation du non-humain, la com m unication co m m e l'é c h a n g e d e choses inertes. Aussi, en m êm e tem ps q u e la d é c o u v erte d e la dimension du tem ps fait a c c é d e r les sciences humaines à d e nouveaux territoires qui sont destinés à être les leurs en propre, l'histoire d e c e s disciplines — e t en particulier d e l'archéologie e t d e l'ethnologie— est dom inée par l'urgence d'en d ig u er le déluge p rovoqué par la rupture du b a rra g e d e la culture contre la nature, l'obsession d e normaliser les figures du bizarre surgies des profondeurs du tem p s e t d e l'esp ace, d e dom estiquer l'incontrôlable é c h a p p é d e l'histoire.

Les Gaulois (ou les Celtes) con cen tren t les d é b a ts constitutifs d e l'identité m oderne, c a r ils sont c e peuple d e s origines, dont le XVIIIe siècle révèle les restes m anufacturés grossiers, mêlés aux créations nobles des cultures d e l'antiquité classique. C e sera le travail des « antiquaires » puis des « historiens d e l'art» d'ordonner, sur in ta b le a u hérité tout entier d e l'â g e classique, c e qui relève d e l'un et d e l'autre : ignorant du temps, ce s esthètes auront à c œ u r d e d é p a rta g e r le b e a u du vulgaire, le sophistiqué du primitif, la culture d e l'inachèvem ent b arb a re . Ils sont ces normalisateurs qui stérilisent l'extraordinaire nouvelle a p p o rté e par la d é c o u v e rte des antiquités gauloises, ce s é p a v e s singulières qui ne ressemblent justem ent à rien d e connu et qui nécessitent une refonte co m p lète d e l'histoire d e la culture.

Au XIXe siècle, les a n n é es 1860 m arquent la s e c o n d e révolution m anquée d e l'archéologie «gauloise». Tandis q u e les premières fouilles dévoilent l'existence d e véritables « civilisations » d é v e lo p p é e s longtemps av a n t l'antiquité classique e t m éconnues jusqu'alors, les découvertes d e Lyell e t d e Darwin révèlent l'immensité d e c e Temps p ro fo n d d 'a v a n t l'histoire e t l'incroyable jeu du hasard e t d e la nécessité qui en explique les transformations. La tâ c h e principale des archéologues sera d'u n e part d e com bler par d e s « histoires » le vide vertigineux d e l'abîm e tem porel ouvert dans le tem ps superficiel d e l'histoire d e la culture et des styles : à l'ép o q u e initiale d e la nature, incarnée par les nouveaux tem ps préhistoriques, su c c é d e ra l'é p o q u e intermédiaire d e l'apprentissage des form es d e la civilisation qui coïncidera a v e c l'antiquité b a rb a re pré-rom aine e t qui préfigurera l'inéluctable assimilation à la culture classique. L'archéologie d e s « antiquités nationales » consistera ég alem ent à affadir le c a ra c tè re renversant d e l'évolutionnisme darwinien, en im posant c e tte fable fo n d é e sur l'idée d e pro g rè s technique : en d'autres term es, par la réification du progrès technique dans l'articulation des systèmes typo-chronologiques d e la préhistoire et d e la protohistoire, on substituera l'a d a p ta tio n au hasard. L'archéologie «celtique» ou gauloise q u e nous avons héritée d e c e long XIXe siècle est une archéologie ém inem m ent nationale : en faisant d e s « Celtes » ou d e s « Gaulois» les ancêtres d e la France bourgeoise p rê te à se précipiter dans la Guerre d e 1914-1918, on

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Identités culturelles

normalise l'idée d'origine en attribuant aux « peuples » inconnus d e l'antiquité anhistorique la m êm e obsession d 'u n e identité collective « pure » : celle qui reposerait sur une seule langue, une seule culture, un seul empire.

Nous som m es dans la troisième révolution du tem ps, qui est celle d e la révolution des systèmes. Depuis les an n é es 1970, les sciences d e la nature nous m ontrent désormais sans ambiguïté c e q u e Bergson e t Benjamin a v a ie n t pressenti dès le d é b u t du XXe siècle : le tem ps d e l'histoire n'est pas linéaire — c e qui signifie q u e le futur est aussi peu prédictible q u e le passé est r a c o n ta b le — le passé qui n'est plus coexiste dans le présent a v e c le futur qui n'est p as e n c o re et c'est l'ordre qui produit du désordre, d e la crise par laquelle les systèm es se réarrangent. C ette révolution, nous som m es en co re en passe d e la m anquer, p a rc e que, fondam entalem ent, ses implications ne nous intéressent p a s : nous voulons continuer à croire que le p a s s é porte en lui sa propre spécificité et q u e les déco u v ertes d e l'archéologie sont destinées à enrichir c e tte im age du p assé en forme d e c a rte postale q ue nous recherchons.

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