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Le décès par suicide d'un client, ses impacts sur les intervenants spécialisés en intervention suicidaire.

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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UNIVERSITÉ DE SHERBROOKE

THÈSE PRÉSENTÉE À L’UNIVERSITÉ DE SHERBROOKE

COMME EXIGENCE PARTIELLE DU DOCTORAT EN PSYCHOLOGIE (D.Ps.)

PAR

MICHAËL BOUCHARD

LE DÉCÈS PAR SUICIDE D’UN CLIENT,

SES IMPACTS SUR LES INTERVENANTS SPÉCIALISÉS EN INTERVENTION SUICIDAIRE

12 janvier 2014

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Composition du jury

Le décès par suicide d’un client, ses impacts sur les intervenants spécialisés en interventions suicidaires

Michaël Bouchard

Cette thèse a été évaluée par un jury composé des personnes suivantes :

Lucie Mandeville, directrice de recherche

(Département de psychologie, Université de Sherbrooke) Maryse Benoit, membre du jury

(Département de psychologie, Université de Sherbrooke) Janie Houle, membre du jury

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Sommaire

Au Québec, le suicide est un problème de santé publique majeur. Parmi les personnes affectées par le suicide, les professionnels en santé mentale qui travaillent auprès des suicidés sont souvent négligés par la recherche (Sanders, Jacobson, & Ting, 2005). Pourtant, le décès par suicide d’un client représente un risque occupationnel important pour ceux-ci et il peut être précurseur d’une crise personnelle et professionnelle (Chemtob, Bauer, Hamada, Pelowski, & Muraoka, 1989). Cette étude a pour objectif de mieux comprendre la nature et l’intensité des impacts personnels et professionnels chez des intervenants spécialisés à la suite du décès par suicide d’un client. Douze intervenantes spécialisées auprès d’une clientèle suicidaire ont participé à la recherche. Un devis de recherche exploratoire a privilégié l’utilisation d’un questionnaire autoadministré comprenant des questions de nature quantitative et qualitative. Ce questionnaire comprenait des questions sociodémographiques, la version française de l’échelle de l’effet des événements révisée (IES-R) et deux sections mesurant la nature et l’intensité des impacts sur 10 aspects de la vie personnelle et sur 16 aspects de la vie professionnelle. Des analyses descriptives ont été effectuées pour les données quantitatives. Pour les données qualitatives, une analyse thématique a été effectuée selon l’approche de Paillé et Mucchielli (2003). La complémentarité des résultats quantitatifs et qualitatifs a permis de présenter un portrait global des impacts. Selon nos résultats, la majorité des intervenantes éprouvent un stress aigu dans la première semaine suivant le suicide. Sur le plan de la vie personnelle, plusieurs intervenantes vivent une baisse de

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confiance en eux-mêmes, ressentent des émotions intenses, notent une diminution de leur qualité de vie et se plaignent d’une détérioration de leur santé physique, de leur qualité de sommeil et de leur habileté à gérer les problèmes de leur vie quotidienne. Sur le plan de la vie professionnelle, à l’inverse, la plupart des intervenantes sont en mesure de s’adapter à l’événement et de retirer des apprentissages qui contribuent à leur cheminement professionnel. Les intervenantes rapportent néanmoins des impacts négatifs sur la croyance en leurs compétences et leur jugement professionnel et sur leur vécu émotionnel au travail. Cette étude veut contribuer à l’élaboration de formations visant à mieux préparer les intervenants à faire face au décès par suicide de leur client.

Mots-clés : décès par suicide d’un client, impacts personnels, impacts professionnels, intervenants spécialisés auprès d’une clientèle suicidaire, formation sur le suicide.

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Table des matières

Sommaire ... iii

Table des matières ... v

Liste des tableaux ... vii

Remerciements ... viii

Introduction ... 1

Contexte théorique ... 6

Les personnes touchées par le suicide ... 8

La formation sur le suicide ... 11

Réactions par rapport au décès par suicide d’un client ... 13

Nature des réactions ... 14

Intensité des réactions ... 16

Facteur influençant l’intensité des réactions ... 17

Impacts sur la vie personnelle ... 19

Impacts sur la vie professionnelle ... 22

Durée des impacts personnels et professionnels ... 26

Utilisation constructive de l’expérience du suicide d’un client ... 27

La croissance post-traumatique et le suicide ... 29

Mise en contexte de la pertinence de l’étude ... 30

Objectifs de la recherche ... 33

Méthode... 35

Type de recherche ... 36

Participants ... 37

Description des participants ... 39

Instrument de mesure ... 40

Déroulement de la recherche ... 47

Analyse et présentation des résultats ... 50

Analyse des résultats ... 51

Présentation des résultats ... 53

Résultats à l’IES-R : la détresse après le suicide ... 54

Nature et intensité des impacts sur la vie personnelle... 55

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Discussion ... 98

Un haut niveau de stress dans la semaine suivant le suicide ... 100

Impacts sur la vie personnelle ... 103

Les intervenantes éprouvées sur le plan personnel ... 104

La résilience des intervenantes face au suicide ... 106

Impacts sur le plan professionnel ... 107

Le décès par suicide : une source d’apprentissages pour plusieurs intervenantes 107 Le suicide affecte le sentiment de compétence et le jugement professionnel ... 111

Au cœur de la perte d’un client par suicide... 111

Les doutes touchent la confiance en soi et la croyance en ses compétences ... 112

Des expériences complexes avec les proches et les collègues ... 117

Des difficultés dans l’exercice de leur profession... 120

Des changements définitifs sur la carrière ... 123

Recherches futures ... 127

Forces et limites de la recherche ... 130

Conclusion ... 135

Références ... 142

Appendice A : Questionnaire ... 149

Appendice B : Courriel de recrutement ... 166

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Liste des tableaux Tableau

1. Score à l’IES-R et aux sous-échelles d’intrusion, d’évitement et

d’hyperactivation ... 54 2. Moyenne de l’intensité des impacts positifs et négatifs pour les dix aspects

de la vie personnelle ... 57 3. Fréquence des réponses aux deux échelles (positive et négative) pour chaque aspect

de la vie personnelle ... 61 4. Fréquence des réponses aux échelles (positive et négative) pour chaque aspect de la

vie professionnelle ... 71 5. Fréquence des réponses aux échelles (positive et négative) pour chaque aspect de la

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Remerciements Voilà maintenant venu le temps des remerciements!

Tout d’abord, un énorme merci à ma douce moitié Marie-Ève qui a su m’accompagner et me soutenir dans ce long parcours. Merci pour ta patience et ta compréhension envers les nombreux soirs et fins de semaine où je n’étais malheureusement pas disponible pour les activités de couple! Merci d’être mon petit rayon de soleil et surtout, merci d’être là pour moi!

Ensuite, merci à mes parents qui ont toujours été derrière moi dans mes projets de vie. Je me considère bien choyé par la vie de vous avoir et vous remercie de croire en moi!

Une mention spéciale à toutes les intervenantes qui ont pris le temps de remplir mon questionnaire, car sans vous cette recherche n’aurait pas pu avoir lieu. Merci pour l’ouverture et la générosité que vous avez faites part dans vos réponses.

Un gros merci également à tous les responsables des milieux où j’ai effectué mon recrutement. Je vous remercie d’avoir cru en ce projet et d’avoir contribué à sa réalisation. Une mention spéciale à Catherine Carignan pour sa grande gentillesse et sa disponibilité lors de mon recrutement de participants au sein des Centres de prévention du suicide.

Enfin, comment oublier ma directrice de thèse, Lucie? Un énorme merci de m’avoir accompagné tout au cours du processus de rédaction marqué par des hauts et certains passages à vide. J’ai particulièrement apprécié ta grande disponibilité, ton professionnalisme, ta bonne humeur et tes encouragements qui furent toujours constants à toutes les étapes du parcours. Sache que tu constitues pour moi une professeure qui a marqué très positivement mon cheminement professionnel!

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Au Québec, le suicide est un problème de santé publique important. En 2009, le taux de décès par suicide chez les hommes représente le quatrième plus haut taux parmi les provinces canadiennes et le neuvième plus haut taux de suicide au monde (Légaré, Gagné, St-Laurent, & Perron, 2013). Pour chaque suicide, environ dix autres personnes sont affectées par la perte (Mishara, 1995).

Les études sur les impacts du suicide se sont intéressées davantage aux membres de la famille et aux amis du suicidé, plutôt qu’aux intervenants qui travaillent auprès des suicidés (Gaffney et al., 2009). Pourtant, le décès par suicide d’un client figure parmi les facteurs de stress les plus graves que vivront les intervenants dans leur carrière (Deutsch, 1984). Aux yeux des intervenants, le suicide d’un client représente l’échec ultime de la thérapie, et lorsqu’il survient, plusieurs intervenants sont envahis par un sentiment d’incompétence (Hendin, Lipshitz, Maltsberger, Haas, & Wynecoop, 2000; Ting, Sanders, Jacobson & Power, 2006; Darden & Rutter, 2011).

Malgré le risque pour les intervenants d’être confrontés au décès par suicide d’un client dans leur carrière, plusieurs d’entre eux se sentent mal préparés à faire face à une telle situation et souhaiteraient recevoir une formation sur le sujet (Linke, Wojciak, & Day, 2002)

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Sur le plan de la recherche, les impacts positifs du décès par suicide d’un client et certains aspects de la vie personnelle et professionnelle sont peu abordés par la recherche. Une seule étude a été réalisée au Québec et aucune ne s’est penchée sur ce que vivent les intervenants spécialisés en intervention suicidaire qui vivent avec ce risque au quotidien.

La présente recherche vise à contribuer à l’élaboration de formations plus adaptées en apportant une meilleure compréhension des impacts du suicide d’un client chez les intervenants. De façon plus précise, elle vise à mieux comprendre la nature et l’intensité des impacts dans la vie personnelle et professionnelle d’intervenants spécialisés en interventions suicidaires.

Cette thèse se divise en cinq chapitres : le premier traitera du contexte théorique et des objectifs de la recherche, le second de la méthode, le troisième de l’analyse et de la présentation des résultats, la discussion sera développée dans le quatrième chapitre et la conclusion dans le cinquième.

Dans le but de bien cerner la problématique de cette recherche, le premier chapitre présente un relevé de la documentation scientifique sur le thème de la perte d’un client par suicide. Il se termine par une critique des études recensées, la démonstration de la pertinence de cette recherche et ses objectifs.

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Le deuxième chapitre présente la méthode de recherche utilisée. Il comprend des informations relativement aux participants, aux instruments de mesure et au déroulement de la recherche. Douze intervenantes ayant vécu le décès par suicide d’un client ont été recrutées dans des milieux spécialisés auprès d’une clientèle suicidaire ou à haut risque suicidaire. Notre recherche présente un portrait détaillé de leur vécu qui a été rendu possible grâce à l’utilisation d’outils de mesure dont l’originalité repose sur l’utilisation de deux échelles mesurant l’intensité des impacts positifs et négatifs. Cet aspect original se distingue des recherches précédentes qui, elles, se limitaient aux impacts négatifs, et apporte une vision plus globale et plus nuancée de la nature et l’intensité des impacts.

Le troisième chapitre porte sur l’analyse et la présentation des résultats. Dans ce chapitre, les analyses descriptives des données quantitatives et l’analyse thématique des données qualitatives sont décrites, ainsi que les résultats de notre recherche. Ces résultats correspondent généralement à ceux obtenus dans les recherches antérieures, mais s’en distinguent sur certains points. Ainsi, si la majorité des intervenantes ayant participé à notre étude vivent un stress aigu dans la première semaine suivant le suicide ainsi que des impacts négatifs sur leur vie personnelle, la plupart vivent des impacts positifs sur leur vie professionnelle. Ils s’adaptent à l’événement et en retirent des apprentissages qui contribuent à leur cheminement.

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Le quatrième chapitre discute des résultats de la recherche et des liens avec les écrits sur le même thème. Les retombées de l’étude sont également abordées, des pistes pour de futures recherches, ainsi que les forces et les limites de la thèse.

En guise de conclusion, les principaux éléments de la recherche sont mis en évidence et permettent, d’une part, de démontrer que les objectifs de la thèse sont atteints et, d’autre part, d’insister sur l’importance d’une formation qui répond aux besoins des intervenants au sujet des risques qu’implique le décès par suicide d’un client.

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Cette section présente un relevé de la documentation scientifique sur le thème de la perte d’un client par suicide. Elle comprend des informations sur les personnes touchées par le suicide, la formation sur le suicide, la nature et l’intensité des réactions à la suite de la perte d’un client par suicide, les impacts personnels et les impacts professionnels documentés. Ces impacts sont abordés en considérant à la fois les impacts négatifs et positifs. En terminant, une critique des études recensées et la pertinence de cette thèse sont abordées, ainsi que les objectifs de la présente thèse sont présentés.

Les personnes touchées par le suicide

Le suicide constitue un problème de santé majeur à travers le monde. Le décès par suicide est considéré parmi les plus grandes causes de mortalité chez les personnes âgées de 15 à 44 ans (De Leo & Evans, 2003). Après avoir connu une hausse importante dans les années 1990, le taux de décès par suicide chez la population québécoise tend à diminuer graduellement depuis les années 2000, mais il demeure tout de même inquiétant (Légaré et al., 2013).

Au Québec, en 2009, le taux de décès par suicide chez les hommes représente le quatrième plus haut taux parmi les provinces canadiennes et le neuvième plus haut taux de suicide au monde. Avec un taux de 12,5 décès par 100 000 habitants, le Québec vient tout juste après la Nouvelle-Écosse (taux de 13 décès par 100 000 habitants), le

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Manitoba (taux de 14,1 décès par 100 000 habitants) et la Saskatchewan (taux de 15,5 décès par 100 000 habitants). Pour l’année 2010, les données provisoires nous indiquent que 1089 personnes se sont enlevé la vie au Québec, dont 829 hommes et 258 femmes. Pour l’ensemble du Québec, ce taux correspond à 13,7 décès par 100 000 personnes (Légaré et al., 2013).

Le décès par suicide a des conséquences sur les gens qui travaillent auprès des suicidés. Selon les estimations, pour chaque personne qui se suicide, environ dix autres personnes sont affectées par cette perte (Mishara, 1995). Les études se sont intéressées davantage aux membres de la famille et aux amis du suicidé, considérés comme les « survivants du suicide » (Gaffney et al., 2009). Les professionnels en santé mentale qui travaillent auprès du suicidé sont souvent négligés par la recherche (Darden & Rutter, 2011; Sanders et al., 2005). Pourtant, le décès par suicide d’un client représente un risque important pour les intervenants et peut avoir des impacts notables autant sur la vie personnelle que professionnelle (Chemtob et al., 1989). Cette situation est d’autant plus problématique qu’une grande proportion de suicidés établit un contact avec un professionnel en santé mentale dans les mois précédant leur décès (Lesage et al., 1994). Dans leur étude, Lesage et al. (1994) mentionnent que, parmi 75 jeunes hommes décédés par suicide, 50,7 % d’entre eux ont été en contact avec un médecin généraliste dans l’année précédant leur suicide, 25,3 % avec un psychiatre, 21,3 % avec un psychologue et 21,3 % avec un travailleur social.

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Selon les écrits scientifiques, 50 % des psychiatres expriment avoir vécu le décès par suicide d’un client (Chemtob et al., 1989; Thomyangkoon & Leenaars, 2008), 22 % des psychologues (Chemtob, Hamada, Bauer, Kinney, & Torigoe, 1988b), 16 % des internes en psychologie (Kleespies, Becker, & Smith, 1990), 33 % des travailleurs sociaux (Jacobson, Ting, Sanders, & Harrington, 2004) et 23 % des conseillers en orientation (McAdams & Foster, 2000).

Les intervenants peuvent être amenés à vivre cette expérience à plusieurs reprises dans leur carrière. Le terme « intervenant » réfère ici à tout professionnel en santé qui effectue des suivis thérapeutiques avec une clientèle présentant des difficultés psychologiques. Un suivi thérapeutique se distingue d’une intervention de crise par la durée du processus qui ne se limite pas à une seule intervention ponctuelle. Dans une étude nationale utilisant un devis de recherche corrélationnel, Chemtob et al. (1988b) ont recruté 588 psychologues des États-Unis afin qu’ils remplissent un questionnaire autoadministré portant sur la fréquence et les impacts du décès par suicide d’un client dans leur travail. Les chercheurs soulignent que, pour les psychologues ayant expérimenté un premier décès par suicide d’un client (soit 81 des 365 participants), le risque de vivre un second décès par suicide est de 39 %.

Dans une autre étude utilisant une méthodologie similaire effectuée cette fois auprès de 264 psychologues et 167 psychiatres, Chemtob et al. (1989) ont examiné le lien entre les facteurs de risque de vivre un décès par suicide d’un client et l’intensité des impacts

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observés chez les intervenants. Ceux-ci montrent que l’occurrence du décès par suicide d’un client chez les intervenants peut varier selon le type de profession exercée (p. ex., psychologue, psychiatre ou travailleur social), le milieu de travail (p. ex., hôpital psychiatrique, laboratoire de recherche ou clinique privée) et le type de problèmes traités (p. ex., désordre affectif, abus de substance). En somme, les intervenants qui travaillent avec des patients ayant des troubles organiques, affectifs, de substances ou ayant des troubles psychotiques sont plus à risque de vivre le décès par suicide d’un client. Ce phénomène représente donc un risque occupationnel dans la pratique pour les intervenants (Chemtob et al., 1989).

Avant d’aller plus loin, il faut préciser que les comportements suicidaires englobent plusieurs types de gestes relatifs au suicide allant de l’idée suicidaire au décès par suicide. D’Amours et Kiely (1986) définissent un décès par suicide comme tout décès pour lequel un acte délibéré, menaçant la vie et accompli par une personne contre elle-même, a causé sa mort. Ils distinguent le décès par suicide, sujet auquel s’attarde la présente recherche, de la tentative de suicide principalement par la finalité du geste. Le terme « tentative de suicide » réfère plutôt à une situation dans laquelle une personne a manifesté un comportement qui met sa vie en danger, avec l’intention réelle ou simulée de causer sa propre mort, ou de faire croire que telle était son intention, mais dont l’acte suicidaire aboutit à un échec, volontaire ou involontaire (D’Amours & Kiely, 1986).

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Qui sont les clientèles qui risquent de commettre un suicide et qui sont vues par les professionnels travaillant dans un milieu spécialisé en intervention suicidaire? Ce sont généralement des personnes éprouvant des problèmes de santé mentale. Dans leur étude, Lesage et al. (1994) ont analysé les résultats d’autopsies psychologiques de 75 hommes québécois âgés entre 18-35 ans qui sont décédés par suicide afin d’évaluer l’association entre le suicide et la présence de troubles mentaux. Les auteurs montrent qu’un trouble mental était présent chez 92 % des suicidés dans les six derniers mois précédant leur suicide. Ils ajoutent que la comordibité était très élevée parmi les suicidés; dans 69,3 % des cas, au minimum deux maladies mentales étaient diagnostiquées chez ces derniers. La dépression majeure, la dépendance aux substances et le trouble de personnalité borderline étaient les trois troubles mentaux les plus fréquents chez les suicidés; 28 % d’entre eux ayant au moins deux de ces troubles. Il semble donc qu’une clientèle ayant des troubles de l’humeur, de consommation et des troubles de personnalité soit plus à risque de décès par suicide.

La formation sur le suicide

Malgré le risque élevé pour les intervenants d’être confrontés au décès par suicide d’un client dans leur carrière, plusieurs auteurs suggèrent que les programmes universitaires ne fournissent pas la formation nécessaire, d’une part, pour faire face à une telle perte et, d’autre part, pour travailler auprès d’une clientèle suicidaire (Dexter-Mazza & Freeman, 2003; Wurst et al., 2011; Ellis & Patel, 2012). Bien que 99 % des 238 internes en psychologie de l’étude de Dexter-Mazza et Freeman (2003) mentionnent

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avoir traité au minimum un client suicidaire durant leur formation universitaire, seulement 50 % de ces internes ont reçu une formation structurée sur le suicide dans le cadre de leur formation universitaire.

Pour ceux qui ont reçu une formation structurée sur le suicide, le contenu de celle-ci portait majoritairement sur l’évaluation (99 %), sur l’intervention de crise (84 %) et sur la prévention du suicide (57 %) au détriment de la postvention (32 %). La postvention est une forme de prévention tertiaire qui comprend différentes activités thérapeutiques et organisationnelles qui sont mises en place à la suite d’un suicide afin de diminuer la détresse émotionnelle vécue par les personnes affectées par le suicide et diminuer les risques que ne surviennent d’autres suicides dans un milieu (Callahan, 1996). Critiquant la formation doctorale et postdoctorale habituellement offerte sur le suicide au sein des milieux universitaires, Neimeyer (2000) reproche à ceux-ci de ne pas offrir la préparation requise pour gérer la complexité des crises suicidaires.

La formation sur le suicide considère peu les informations sur les impacts du décès par suicide d’un client chez les professionnels. Dans une étude auprès de 141 professionnels en santé mentale de la région de Québec (71 psychologues, 56 infirmiers en psychiatrie et 14 psychiatres), 82 % d’entre eux mentionnent ne pas avoir reçu d’information sur ce qu’ils pourraient s’attendre à vivre à la suite d’un tel évènement (Henry, 2006). Linke, Wojciak et Day (2002) concluent, quant à eux, que 70 % des intervenants se sentent mal préparés par leur formation initiale professionnelle à faire face au décès par suicide d’un client et ces derniers aimeraient recevoir une formation à

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cet égard. Parmi les internes en psychiatrie, seulement 2,5 % ont reçu une formation sur les impacts du décès par suicide d’un patient, ce que 82 % d’entre eux considéreraient modérément à extrêmement utile (Pieter, De Gutcht, Joos, & De Heyn, 2003). Comme le souligne Henry (2006), aucune information relativement à la disponibilité et à l’étendue d’une formation pour préparer les intervenants à la possibilité de vivre un décès par suicide d’un client dans les programmes universitaires en psychologie ne semble exister.

Goodman (1995) suggère que ce manque de préparation accroît la réaction des intervenants après le suicide. En effet, cet auteur note que le choc vécu par les intervenants semble souvent exacerbé par leur sentiment de ne pas avoir été préparé à l’évènement. Un manque d’information quant aux impacts du décès par suicide d’un client sur l’intervenant est aussi associé à une possibilité accrue de vivre un stress aigu (Henry, 2006).

Réactions par rapport au décès par suicide d’un client

Le décès par suicide d’un client figure parmi les facteurs de stress les plus importants que vivront les intervenants dans leur carrière (Deutsch, 1984). Comme tout incident traumatique, cette perte peut déclencher une crise pour l’intervenant (Menninger, 1991). Celui-ci éprouve des réactions, c’est-à-dire des réponses physiques, émotives et comportementales à la suite du décès par suicide, et ces réactions peuvent avoir, à leur tour, des impacts dans sa vie personnelle et particulièrement dans sa vie professionnelle.

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Nature des réactions

À la suite du décès, les écrits scientifiques rapportent une gamme étendue de réactions chez les intervenants incluant des réactions de choc, de culpabilité, de deuil, de colère, d’anxiété, de déni et d’impuissance (Chemtob et al., 1989; Hendin et al., 2000; Wurst et al., 2011).

Une certaine confusion conceptuelle est entretenue dans la recherche au sujet du type de réaction chez les professionnels en santé mentale relativement au décès par suicide de leurs clients (Henry, 2006), certains auteurs réfèrent particulièrement au concept de deuil et de deuil complexe, alors que d’autres réfèrent au concept de stress, d’état de stress post-traumatique ou même de croissance post-traumatique. Dans une étude québécoise utilisant un devis de recherche mixte, Henry (2006) sollicita 400 professionnels en santé mentale afin de mesurer les réactions suite au décès par suicide d’un client et de clarifier la nature de ces réactions. Selon ses résultats, Henry (2006) conclut que les professionnels en santé mentale réagissent davantage au décès d’un client par suicide par des réactions de stress, plutôt que par le deuil ou le deuil complexe. Plusieurs recherches empiriques font d’ailleurs référence au concept d’état de stress post-traumatique et utilisent l’instrument de mesure Impact of Event Scale (IES) ou sa version améliorée (IES-R) pour évaluer les réactions personnelles initiales (c’est-à-dire les premières réactions à la suite au décès) vécues par les intervenants (Cryan, Kelly & McCaffrey, 1995; Goodman, 1995; Henry, 2006; Horn, 1995; McAdams &

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Foster, 2000; Pieter et al., 2003; Ruskin, Sakinofsky, Bagby, Dickens, & Sousa, 2004; Yousaf, Hawthorn, & Sedgwick, 2002).

L’Impact of Event Scale est un instrument psychométrique qui fut proposé par Horowitz, Wilner et Alvarez (1979) afin de mesurer les symptômes psychologiques autorapportés à la suite d’un évènement potentiellement traumatique. À titre d’exemple, le test mesure la présence d’images intrusives en lien avec l’évènement et de difficultés de sommeil telles que des cauchemars. Ce test est l’un des premiers questionnaires sur les symptômes de stress post-traumatique (Brillon, 2010). Bien que très utilisé, la principale faiblesse de l’IES consiste à ne pas estimer l’ensemble des symptômes de l’état de stress post-traumatique, ne mesurant pas les critères d’hyperactivation neurovégétative (critère D du ESPT selon le DSM-IV) et semblant sous-estimer les symptômes d’évitement comportementaux (Brillon, 2010). Une version améliorée de ce test, l’IES-R, fut élaborée par Weiss et Mamar (1997) afin de combler ses faiblesses. Bien que moins utilisée que l’IES dans les recherches sur le décès d’un client par suicide, l’IES-R semble tout de même être un instrument prometteur pour évaluer les réactions face au décès par suicide. Dans une étude effectuée auprès de 297 travailleurs sociaux de la Suisse qui ont vécu le décès par suicide d’un client, Heeb, Gutjahr, Gulfi et Dransart (2011) ont investigué les propriétés psychométriques de la version française de IER-S proposée par Brunet, St-Hilaire, Jehel et King (2003). Les auteurs concluent que le IES-R est un instrument adéquat qui possède une bonne cohérence interne afin de

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mesurer les réactions des professionnels en santé mentale à la suite de la perte par suicide d’un client.

Intensité des réactions

En plus de la nature des réactions, des études se sont intéressées à leur intensité, particulièrement celle du stress. L’intensité des réactions peut se manifester par des symptômes aigus de stress chez les intervenants. Ceux-ci sont vécus au cours des semaines suivant le décès par suicide de leur client, tels que mesurés rétrospectivement par l’échelle de l’Impact of Event Scale (IES). Dans son étude, Henry (2006) montre que 44 % des répondants présentent un niveau de stress atteignant une intensité telle que l’on peut parler de stress aigu dans les semaines suivant le décès. La seule étude utilisant la version améliorée de l’IES, c’est-à-dire l’IES-R, arrive à un taux significativement plus bas, soit 12 % des professionnels en santé mentale qui ressentent un stress aigu (Heeb et al., 2011).

Quelques recherches ont mesuré l’intensité des réactions en se référant au concept plus général de détresse éprouvée par les intervenants. Pour certains professionnels en santé mentale, l’intensité des réactions atteint un niveau de détresse élevée à la suite du décès par suicide d’un client (Wurst et al., 2011). Dans une recherche utilisant un devis de recherche qualitatif, Hendin, Haas, Maltsberger, Szanto et Rabinowicz (2004) ont recruté 34 intervenants ayant vécu le décès par suicide d’un client, dont 28 psychiatres, cinq psychologues et un travailleur social. Dans un questionnaire semi-structuré, les

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intervenants ont été amenés à décrire le degré de détresse qu’ils ont expérimenté ainsi que les facteurs responsables de cette détresse. Selon leurs résultats, les auteurs soulignent que 38,2 % des intervenants éprouvent une détresse sévère suivant le décès. Cette détresse est caractérisée par un niveau de réaction émotive intense, notamment par des sentiments élevés d’inadéquation, de culpabilité, d’anxiété, de deuil et de dépression. À titre d’exemple, même deux ans après le décès par suicide, un intervenant éprouve encore une anxiété importante lorsque le téléphone sonne la nuit. Un autre intervenant se dit consumé par une colère importante à la fois à l’égard du client décédé par suicide (pour l’avoir placé dans cette position) et à l’égard d’un proche du suicidé ayant intenté une poursuite contre lui. Dans son étude, Henry (2006) souligne qu’une détresse élevée se manifeste également chez certains intervenants par la présence d’idées suicidaires à leur propre égard (10 %), de comportements autodestructeurs (2 %), deux réactions qui apparaissent au cours de l’année suivant le décès. Henry (2006) précise toutefois que bien que certains intervenants peuvent vivre une crise à la suite du décès, il est possible que ces comportements suicidaires et autodestructeurs ne soient pas reliés au suicide de leur client, mais que les intervenants vivaient une période de vulnérabilité personnelle au même moment.

Facteur influençant l’intensité des réactions

Plusieurs facteurs influencent la façon dont les professionnels vont réagir au décès par suicide (Chemtob et al., 1989), l’intensité des réactions pouvant être influencée par des caractéristiques personnelles de certains intervenants ou par des caractéristiques de

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leurs clients décédés par suicide. Sur le plan des caractéristiques des intervenants, l’âge et le nombre d’années d’expérience des intervenants sont associés négativement à l’intensité de leurs réactions (Chemtob, Hamada, Bauer, Kinney, & Torigoe, 1988b), plus les intervenants sont âgés et expérimentés, moins leurs réactions sont intenses. De ce fait, les effets des comportements suicidaires semblent avoir un plus grand impact sur les internes que sur les professionnels expérimentés (Goodman, 1995; Kleespies et al., 1993), les internes étant plus vulnérables au stress de la perte d’un client par suicide. Dans une étude quantitative effectuée auprès de 323 intervenants, Goodman (1995) note que les internes ayant vécu le décès par suicide d’un client mentionnent une plus grande magnitude de réactions que les professionnels expérimentés sur le plan des émotions (p. ex., choc, anxiété, colère, sentiment d’incompétence, etc.) et dans les sphères professionnelles spécifiques (p. ex., l’anxiété lors du traitement et de l’évaluation des clients suicidaires, la diminution de l’impression que la thérapie est efficace, etc.). Parmi les autres facteurs reliés aux intervenants, Henry (2006) précise que l’expérience clinique auprès des personnes suicidaires contribue à la réduction de l’intensité des réactions des professionnels en santé mentale; les intervenants ayant le plus d’expérience auprès des suicidaires seraient mieux préparés à vivre la perte d’un client par suicide en étant, entre autres, en mesure d’anticiper l’éventualité du suicide. Quelques études indiquent que les intervenants réagissent différemment au décès par suicide de leur client selon leur sexe; les femmes ayant tendance à réagir de façon plus intense que les hommes (Grad & Michel, 2005; Hendin et al., 2004; Henry, Séguin, & Drouin, 2008). Dans leur étude, Hendin et al. (2004) expliquent que les femmes sont

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près de deux fois plus à risque de faire l’expérience de détresse sévère à la suite du suicide de leur client que leurs confrères masculins.

Parmi les études qui se sont attardées aux facteurs qui expliquent la présence d’une intensité élevée de détresse chez les intervenants à la suite du décès, celle d’Hendin et al. (2004) décrit quatre facteurs qui sont responsables de leur niveau de détresse élevée : l’échec des tentatives d’hospitalisation du client décédé par suicide, une décision de traitement remise en question, la réaction de l’établissement où travaillent les intervenants et la peur de poursuites judiciaires. À titre d’exemple, pour 4 des 13 intervenants ayant éprouvé une détresse sévère, les clients ont clairement manifesté leur intention de se suicider lors de leur dernière session et bien que les intervenants aient reconnu la situation de crise, ils ont tous été incapables de prendre les actions nécessaires ou d’insister pour que le client soit hospitalisé. Aussi, pour les quatre intervenants qui expriment être habités par une peur importante d’être poursuivis par les membres de la famille du défunt, les membres de la famille ont exprimé clairement leur mécontentement à l’égard du travail de l’intervenant. À cet effet, un intervenant se dit affecté par une lettre du conjoint de sa cliente décédée dans laquelle celui-ci l’accuse d’être responsable de son décès et menace de le poursuivre en justice.

Impacts sur la vie personnelle

Les impacts sur la vie personnelle surviennent lorsque le décès par suicide d’un client a un effet sur le quotidien en dehors du travail, cela inclut les sphères personnelles,

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sociales, familiales et physiques de l’intervenant. Plusieurs études citent que le décès d’un client par suicide provoque des impacts significatifs dans ces sphères. Dans une étude descriptive, Alexander, Klein, Gray, Dewar et Eagles (2000) ont recruté 247 psychiatres afin qu’ils remplissent un questionnaire autoadministré visant à définir notamment les impacts personnels du décès par suicide d’un client qu’ils considèrent comme le plus stressant dans leur carrière. Les résultats de l’étude indiquent que 33 % des psychiatres qui ont vécu un décès par suicide d’un client notent des impacts sur leur vie personnelle. Les effets les plus importants sont une irritabilité à la maison, une plus faible capacité à s’adapter aux problèmes de la vie quotidienne, des troubles du sommeil, une humeur dépressive, des préoccupations à propos du suicide et une diminution de la confiance en soi. Dans une autre recherche corrélationnelle, cette fois auprès de 376 conseillers en orientation, McAdams et Foster (2000) notent également des impacts sur la vie personnelle chez plusieurs intervenants qui se manifestent par la présence de pensées intrusives, de rêves intenses, d’une perte d’estime personnelle et de sentiments de colère et de culpabilité.

Dans une étude utilisant un devis de recherche qualitatif, pour leur part, Sander et al. (2005) ont invité 145 travailleurs sociaux ayant vécu le décès par suicide d’un client à compléter un questionnaire autoadministré comprenant des questions ouvertes portant sur leur expérience en lien avec l’évènement. Cette étude démontre que des intervenants éprouvent des reviviscences dans les jours suivant l’évènement telles que des souvenirs de l’évènement, l’impression d’entendre le client décédé leur parler ou des images du

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suicidé. Des travailleurs sociaux mentionnent qu’il leur arrive de revivre l’évènement occasionnellement.

Pour des intervenants, le décès a des impacts sur leur relation avec leur proche. Dans une recherche utilisant un devis qualitatif auprès de 25 travailleurs sociaux qui ont vécu le décès d’un client par suicide, Ting et al. (2006) ont interrogé les intervenants lors d’entrevues téléphoniques sur l’expérience qu’ils ont vécue à la suite du décès. Les travailleurs sociaux de cette étude soulignent que le fait de travailler avec des clients suicidaires a eu des effets négatifs sur leur vie privée et a bouleversé leur relation avec leur proche et leur famille. Ces intervenants mentionnent avoir de la difficulté à séparer leur vie personnelle et professionnelle et que leur santé mentale est affectée. À ce sujet, un intervenant précise qu’il avait de la difficulté à arrêter de penser à un client qui s’était enlevé la vie. Aussi, des intervenants se disent constamment préoccupés à propos de la personne décédée par suicide, à propos des proches de la personne décédée ou encore à propos de certains de leurs autres clients.

Le décès par suicide d’un client peut également avoir des impacts sur la nature des humeurs éprouvées par les intervenants dans leur vie quotidienne. Ces impacts sont ici considérés comme faisant partie des impacts sur la vie personnelle et complètent les informations présentées dans la section portant sur les réactions des intervenants. À cet effet, une gamme étendue de réponses émotives est rapportée dans les écrits telle que la colère, l’irritabilité, la tristesse, la culpabilité, etc. Certains intervenants de l’étude de

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Ting et al. (2006) manifestent des sentiments de colère à la fois à l’égard du client décédé, de leur établissement, de la famille du suicidé ou encore à leur propre égard. À titre d’exemple, un intervenant mentionne considérer le client suicidé égoïste et se dit en colère de devoir gérer seul les conséquences du suicide sur les proches du suicidaire. D’autres intervenants sont habités par des sentiments de tristesse et de dépression. Pour certains intervenants, ces sentiments de tristesse sont reliés à la mort du client ou encore à l’incapacité du client à s’accrocher à une raison de vivre, alors que pour d’autres, ils s’expliquent par la perte d’une innocence à l’égard du monde et par la prise de conscience que les efforts de l’intervenant ne peuvent malheureusement pas toujours donner les résultats escomptés (Ting et al., 2006).

Impacts sur la vie professionnelle

Henry (2006) explique que 99 % des professionnels en santé mentale ont vécu des impacts sur leur pratique professionnelle dans le mois suivant le décès par suicide de leur client. Les effets les plus fréquemment rapportés sont une sensibilité accrue aux indices du risque suicidaire, des inquiétudes accrues quant à leurs compétences à évaluer ou à traiter des clients suicidaires, une anxiété accrue lors de l’évaluation ou du traitement de tel patient, des pensées récurrentes quant au décès de leur patient, un sentiment de culpabilité et de responsabilité par rapport au suicide, une diminution de la perception de l’efficacité de la thérapie et des pratiques de dossier plus conservatrices.

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Aux yeux des intervenants, le décès par suicide d’un client représente un indicateur de l’échec de la thérapie, en ce sens, certains intervenants sont habités par un sentiment d’incompétence (Hendin et al., 2000; Ting et al., 2006; Darden & Rutter, 2011). Dans une recherche qualitative, Hendin et al. (2000) ont questionné 25 intervenants quant à leur réaction après le décès par suicide de leur client. Parmi les intervenants, 42 % d’entre eux décrivent être habités par des doutes personnels et 25 % admettent avoir le sentiment d’avoir été inadéquats. Les chercheurs ont questionné les intervenants à l’aide d’un questionnaire semi-structuré pour savoir s’ils considèrent qu’une intervention différente de leur part aurait pu prévenir le suicide. À cet effet, 80 % d’entre eux ont identifié au minimum un changement majeur qu’ils auraient pu faire dans le traitement de la personne décédée, les plus fréquents étant un changement relié à la médication, l’hospitalisation du client et la consultation d’un collègue ayant déjà rencontré le client. Utilisant un devis de recherche qualitative, pour leur part Darden et Ruttter (2011) ont interrogé six intervenants à l’aide d’entrevues individuelles sur l’expérience vécue à la suite du décès par suicide de leur client. Deux intervenants de leur étude expliquent avoir révisé les interventions avec le client décédé par suicide en étant à la recherche d’erreurs commises.

Pour plusieurs, les sentiments de blâme et d’incompétence sont accentués par des pensées à propos des détails spécifiques de l’acte suicidaire (Sanders et al., 2005). Dans une revue des écrits scientifiques sur le décès par suicide d’un client, Valente (1994) souligne que peu importe les circonstances et l’étendue des révélations du client de ses

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plans suicidaires en thérapie avant son décès, les intervenants accordent souvent beaucoup d’importance sur les détails du suicide, se remémorant leur faute de ne pas avoir évité le suicide. La culpabilité éprouvée par les intervenants peut les amener à faire de fausses confessions relativement à des erreurs commises. Dans une étude de cas, Giltin (1999) décrit l’expérience d’un intervenant qui admet avoir commis une faute en prescrivant une dose trop faible d’un médicament à son client décédé, alors qu’en réalité, la dose ayant été prescrite par ce psychiatre était ajustée adéquatement. En réponse à sa culpabilité, ce psychiatre s’est rappelé de manière erronée ses interventions en les considérant plus inadéquates qu’elles ne l’étaient en réalité.

Comme le souligne Gitlin (1999), l’une des préoccupations majeures des intervenants à la suite du décès par suicide d’un client est reliée à la réaction de leurs collègues. Décrivant l’expérience d’un psychiatre en début de carrière ayant vécu le décès d’un client, le chercheur rapporte que ce psychiatre était envahi par un sentiment important d’embarras et de honte et qu’il appréhendait des conséquences importantes sur sa carrière si d’autres psychiatres apprenaient la nouvelle du suicide. Il craignait que ses collègues cessent de lui référer des clients ayant des troubles de l’humeur, que cela fasse obstacle à son début de carrière ou encore qu’il devienne la risée de sa communauté professionnelle. Ce psychiatre reconnut que, s’il vivait à nouveau le décès d’un client par suicide, il quitterait son emploi et déménagerait dans une autre ville, car selon lui, son milieu ne le reconnaitrait jamais comme un professionnel compétent s’il était perçu comme responsable de deux suicides en si peu de temps de temps (Gitlin, 1999).

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Dans les faits, certains intervenants ressentent effectivement une réaction négative de leurs collègues ou de leur institution. Sanders et al. (2005) soulignent que, pour plusieurs d’entre eux, leur degré de stress est intensifié par les commentaires de leurs collègues. Un intervenant de l’étude de Darden et Rutter (2011) exprime avoir senti de la frustration et de la colère à l’intérieur de son équipe de travail, ce qui l’amena à ne pas parler de ce qu’il a vécu en lien avec le suicide de son client.

La peur du jugement ne concerne pas seulement les collègues de travail, mais également les proches du suicidé. Thomyangkoon et Leenaards (2008) rapportent que 47 (28 %) des 167 psychiatres qui ont participé à leur étude descriptive décrivent être habités par une peur d’être blâmés par la famille du défunt. Cette peur est d’une intensité de moyenne à modérée. Pour sa part, Hendin et al. (2000) notent que 38 % des intervenants interrogés ressentent une peur importante d’être poursuivis par des proches du client décédé. Un intervenant mentionne même faire des cauchemars sur ce sujet. Par ailleurs, parmi les 229 intervenants de son étude, Goodman (1995) souligne que, seulement dans 1,3 % des cas, une poursuite a été entamée par la famille du suicidaire à la suite du comportement suicidaire (p. ex., incluant suicide, tentative de suicide, geste d’automutilation).

Plusieurs intervenants ressentent un sentiment d’isolement et un sentiment d’être mis à l’écart à la suite du décès (Ting et al, 2006). Dans une étude corrélationnelle effectuée auprès de 239 psychiatres et internes en psychiatrie, Ruskin et al. (2004) indiquent que

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27 % des intervenants ayant vécu le décès d’un client par suicide se sentent incapables de demander de l’aide bien qu’ils reconnaissent vivre une certaine détresse. Évitant les contacts avec leurs pairs à la suite du suicide, 70 % des intervenants admettent ne pas partager cette expérience avec les autres et 13 % d’entre eux éprouvent le sentiment d’être abandonnés par leurs collègues. Ruskin et al. (2004) rapportent que peu importe l’expérience des intervenants, l’impact de l’évènement est corrélé inversement avec la perception des intervenants de leur intégration dans leur groupe de référence; c’est-à-dire que les intervenants qui se sentent isolés de leurs collègues expérimentent une plus grande détresse en général. Quant à eux, Ting et al. (2006) soulignent que le sentiment d’isolement n’est pas unique aux intervenants qui travaillent en pratique privée, mais se retrouve également chez ceux qui travaillent en institution. Ces auteurs abordent certains facteurs pouvant expliquer l’isolement vécu par les intervenants à la suite du suicide. Dans certains cas, le sentiment d’isolement est causé par la peur d’être blâmé par les collègues qui amènent les intervenants à éviter de parler de l’évènement. À cet effet, un intervenant de l’étude de Ting et al. (2006) explique que de parler de l’évènement aurait été d’admettre ses faiblesses. Pour d’autres intervenants de l’étude, l’isolement est relié à des choix personnels, ces derniers mentionnent le besoin de s’isoler et de s’imposer une période où ils sont seuls, à la suite du décès.

Durée des impacts personnels et professionnels

Ces impacts durent-ils quelques semaines, quelques mois ou années? Parmi les psychiatres de l’étude d’Alexander et al. (2000) ayant répondu à une échelle temporelle,

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8 % mentionnent avoir ressenti des impacts sur leur vie personnelle jusqu’à une semaine après l’évènement, 31 % jusqu’à un mois, 31 % jusqu’à 3 mois et 30 % plus de 3 mois.

Sur le plan professionnel, les impacts associés au décès diminueront en fréquence et en intensité pour la plupart des intervenants (Wurst et al., 2011). Il semble toutefois que certains intervenants éprouveront des impacts négatifs à long terme. À ce sujet, dans une étude effectuée auprès d’une équipe multidisciplinaire comprenant des infirmières, des psychiatres et des psychologues, 45 % des intervenants mentionnent des effets négatifs sur la vie professionnelle qui ont persisté plus d’un mois (Linke et al., 2002). Comme le soulignent Dewar, Eagles, Klein, Gray et Alexander (2000), certains intervenants ont pensé prendre une retraite de façon anticipée en réaction au décès par suicide de leur client et quelques-uns ont même définitivement abandonné leur carrière (Tanney, 1995). Bien que ce soit une minorité, certains intervenants de l’étude de Gulfi, Castelli, Dransart, Heeb et Gutjahr (2010) mentionnent refuser de travailler avec des clients suicidaires depuis le suicide d’un de leurs clients.

Utilisation constructive de l’expérience du suicide d’un client

Bien que les répercussions négatives sur la pratique soient les plus documentées, plusieurs professionnels sont en mesure d’utiliser l’expérience du décès par suicide d’un client de façon constructive et notent que celui-ci a contribué à leur développement personnel et professionnel. Ruskin et al. (2004) mentionnent que, malgré le fait qu’une minorité d’intervenants vont vivre des impacts émotionnels atteignant un niveau

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morbide, la majorité des intervenants sont en mesure de s’adapter normalement à l’évènement. Ainsi, dans l’étude de Thomyangkoon et Leenaards (2008), 91,1 % des psychiatres rapportent avoir évolué ou appris de cette expérience.

D’autres répercussions positives sont observées par Linke et al. (2002), soit la prise de note plus consciencieuse et une tendance accrue à aller chercher du soutien auprès de collègues. Certains intervenants de l’étude de Sander et al. (2005) mentionnent que le décès par suicide de leur client fut une excellente source d’apprentissage pour eux. Des intervenants expliquent que cela les a obligés à prendre un recul sur leur pratique et à se questionner sur leur carrière, leurs valeurs, leurs standards. À titre d’exemple, un intervenant souligne que l’expérience lui a permis de prendre conscience qu’il est impossible pour lui de sauver tous ses clients.

Plusieurs intervenants mentionnent des impacts positifs à la suite du décès par suicide d’un client qui touchent leur relation avec leurs collègues de travail. Certains des intervenants de l’étude de Ting (2006) mentionnent s’être rapprochés de leurs collègues de travail depuis l’évènement du décès. D’autres consultent davantage leurs collègues pour les dossiers plus complexes depuis le décès (Chemtob et al., 1988a; McAdam & Foster, 2000; Gulfi et al.; 2010).

Dans une étude effectuée en Suisse auprès de 275 professionnels en santé mentale comprenant des infirmiers, des psychiatres, des travailleurs sociaux, des éducateurs spécialisés et des psychologues qui travaillent avec des clients à risque suicidaire, Gulfi

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et al. (2010) ont investigué les impacts professionnels du décès d’un client par suicide sur ces professionnels, ainsi que les stratégies et ressources utilisées à la fois par les intervenants et leur organisation afin de composer avec l’évènement. Les résultats indiquent que 57,5 % des intervenants sont plus enclins à consulter leurs collègues et que 65,1 % des répondants accordent une plus grande importance au phénomène du suicide après le décès par suicide.

La croissance post-traumatique et le suicide

Dans une étude utilisant un devis corrélationnel effectué auprès de 117 intervenants provenant de diverses professions, Munson (2009) s’est intéressé aux facteurs pouvant favoriser la croissance post-traumatique des intervenants à la suite du décès par suicide d’un client. La croissance post-traumatique est définie comme un changement positif quant à la perception de soi, aux relations interpersonnelles et à la philosophie de vie qui survient à la suite d’un évènement stressant ou d’une expérience traumatique (Tedeschi & Calhoun, 1995). Pour les besoins de son étude, l’auteur utilise l’analyse corrélationnelle afin de mesurer l’association entre les scores des variables mesurées à l’aide des tests psychométriques suivants : le Professional Quality of Life Scale, le Post-Traumatic Growth Inventory (PTGI) et un questionnaire autorapporté mesurant des données démographiques. Ainsi, le chercheur montre que la fatigue de compassion et le nombre d’heures travaillées auprès des suicidaires au moment du dernier suicide d’un client sont associés positivement à la croissance post-traumatique des intervenants. En d’autres termes, les intervenants ayant travaillé un nombre élevé d’heures auprès de

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clients suicidaires au moment du dernier suicide et qui présentent un niveau élevé de fatigue de compassion vivent souvent une plus grande croissance post-traumatique. Comment expliquer ce résultat pour le moins surprenant? Munson (2009) souligne que les intervenants qui vivent de la détresse à la suite à un événement traumatisant sont en mesure de cheminer professionnellement. D’autre part, pour Calhoun et Tedeschi (1999), la présence d’une certaine intensité de détresse à la suite d’un événement traumatique serait même nécessaire afin de produire des changements positifs.

Selon Munson (2009), des intervenants peuvent donc dépasser la perte de leur client par suicide et faire preuve de résilience, ainsi ils sont en mesure d’apprécier davantage leur vie, de développer des amitiés plus profondes et de devenir plus ouverts aux nouvelles opportunités. Pour des intervenants, et particulièrement pour ceux en formation, une résolution positive ou négative au décès par suicide de leur client déterminera s’il y aura croissance ou une stagnation de leur développement professionnel (Kleespies et al., 1993).

Mise en contexte de la pertinence de l’étude

Les études sur le thème de la perte d’un client par suicide ont des limites méthodologiques, trois de ces limites nous ont principalement intéressées. D’une part, les impacts positifs du décès par suicide d’un client sont peu abordés, car ces études utilisent souvent des énoncés ayant une connotation négative qui peuvent influencer les réponses des participants. D’autre part, certains aspects de la vie personnelle et

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professionnelle ne sont pas abordés. Enfin, une seule étude a été réalisée au Québec et aucune ne s’est penchée sur les intervenants spécialisés en intervention suicidaire qui sont, avouons-le, très touchés par la problématique.

Si plusieurs articles sur les impacts du décès d’un client par suicide se limitent à présenter des recensions d’écrits (Gill, 2012; Ellis & Patel, 2012; Valente, 1994) et des études de cas (Gitlin, 1999; Lafayette & Stern, 2004), la majorité sont tout de même des recherches corrélationnelles (Alexander et al., 2000; Chemtob et al., 1989; Goodman, 1995; Heeb et al., 2011; Kleespies, Becker, & Smith, 1990; Linke et al., 2002; McAdams & Foster, 2000; Munson, 2009; Pieter et al., 2003; Ruskin et al., 2004) ou encore qualitatives (Darden & Rutter, 2011; Sanders et al., 2005; Ting et al., 2006). Ces études qui ont quantifié l’intensité des impacts du décès par suicide d’un client utilisent des échelles de Likert entre 4 à 7 points avec des valeurs qui varient habituellement entre aucun impact à impact extrêmement important. Les énoncés qui sont inclus dans ces études référent pour la majorité à des conséquences négatives (p. ex., impression que la thérapie n’est pas efficace, augmentation de l’anxiété et du sentiment d’impuissance lors de l’évaluation des clients suicidaires, diminution du sentiment d’efficacité personnelle) du décès par suicide d’un client et réfèrent peu à une utilisation constructive de l’expérience du décès. Cette structure du questionnaire peut biaiser les réponses des participants et amener ceux-ci à surestimer les impacts négatifs du décès tout en ne permettant pas de mesurer convenablement la présence de retombées positives à la suite de l’événement. L’utilisation d’échelles de mesure incluant des

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valeurs allant des impacts négatifs à des impacts positifs permettrait de contrer cette limite.

Une deuxième limite concerne les aspects rattachés aux impacts personnels et professionnels qui sont peu abordés dans les études, tels que les impacts sur l’habileté des intervenants d’être à l’écoute, disponible et attentif à leurs clients suicidaires, le degré d’investissement émotionnel avec ces mêmes clients, la connaissance de leurs limites personnelles, ainsi que leur consommation d’alcool et/ou de drogues. Ces aspects ont été inclus dans la présente étude.

Finalement, au Québec, seulement une étude empirique a été réalisée sur les impacts du décès par suicide d’un client chez les intervenants, soit celle de Henry (2006) dont il est mention dans le présent projet de recherche. La plupart des études ont été réalisées aux États-Unis ou en Europe. À notre connaissance, la majorité des études ont été menées auprès de professionnels œuvrant dans des milieux de soins non spécialisés sur le plan du suicide, c’est-à-dire dans les hôpitaux ou les bureaux privés. Aucune étude n’a été effectuée auprès des intervenants travaillant dans des milieux spécialisés en intervention suicidaire tels que les Centres de prévention du suicide, l’Accalmie, le Centre CASA et l’Institut Victoria. Pourtant, ceux-ci jouent un rôle essentiel dans la communauté et sont souvent les premières ressources vers lesquelles les personnes suicidaires sont orientées (Qin, Madsen, & Mortensen, 2009). Les intervenants de ces milieux risquent de vivre le décès par suicide d’un client plus que partout ailleurs. Notre

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recherche étudiera les impacts personnels et professionnels chez ces intervenants qui possèdent une expérience auprès des personnes suicidaires et une expertise sur la problématique du suicide.

D’un point de vue général, le pourcentage élevé de risque d’être confronté au décès par suicide d’un client, le fait que les intervenants ne semblent pas suffisamment préparés à faire face à cette réalité et le nombre élevé d’impacts personnels et professionnels sont autant de raisons qui justifient l’intérêt de s’attarder à ce sujet. Une meilleure compréhension de ces impacts pourra contribuer à l’élaboration de formations plus adaptées ainsi qu’à une meilleure préparation des intervenants.

Objectifs de la recherche

Cette étude a pour objectif de mieux comprendre la nature et l’intensité des impacts personnels et professionnels du décès par suicide d’un client chez des intervenants spécialisés auprès d’une clientèle suicidaire.

Ainsi, notre premier objectif spécifique sera de décrire la nature et l’intensité des impacts sur les aspects personnels de la vie des intervenants (santé physique, qualité de vie, gestion des problèmes de la vie quotidienne, relations interpersonnelles, etc.) et le second traitera des impacts sur des aspects de la vie professionnelle des intervenants (jugement professionnel, connaissance des limites personnelles, croissance professionnelle, relations avec les collègues, etc.). Notre recherche s’intéresse aux

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impacts négatifs et positifs de l’expérience des intervenants ayant vécu un décès par suicide d’un client.

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Cette section présente notre méthode de recherche : le type de recherche, les participants, les instruments de mesure et le déroulement de l’étude.

Type de recherche

Cette étude utilise une méthode mixte (qualitative et quantitative). Des données quantitatives à partir d’échelles de Likert permettront de mesurer le phénomène à l’étude, notamment d’avoir une mesure concrète de l’intensité des impacts rapportés par les intervenants. L’utilisation d’un devis de recherche qualitatif complète les données quantitatives et permet de décrire l’expérience telle qu’elle est vécue et rapportée par les intervenants. Ce devis est utilisé afin d’obtenir une meilleure compréhension de la nature des impacts vécus par les intervenants à la suite de la perte de leur client par suicide.

Cette recherche est de nature exploratoire puisqu’elle s’inscrit dans une logique de découverte plutôt que de vérification d’hypothèses de recherche puisque peu de recherches se sont intéressées aux impacts personnels et professionnels du décès d’un client par suicide et aucune ne s’est penchée particulièrement sur cette réalité chez les intervenants spécialisés auprès d’une clientèle suicidaire au Québec.

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Participants

Cette recherche s’effectue auprès des intervenants qui œuvrent au sein des milieux spécialisés auprès d’une clientèle suicidaire. Plus précisément, ces milieux sont deux ressources communautaires qui se spécialisent auprès d’une clientèle suicidaire soit: 17 Centres de prévention du suicide de la région de Québec (CPSQ) et l’Accalmie et deux milieux privés ou communautaires qui travaillent auprès d’une clientèle à haut risque suicidaire (soit l’Institut Victoria et le Centre CASA).

Les CPSQ sont des organismes communautaires à but non lucratif situés dans la région de Québec qui offrent des services professionnels et spécialisés afin de promouvoir la prévention et l’intervention auprès des personnes suicidaires, de leurs proches et des personnes endeuillées par suicide. Ils sont composés d’intervenants qualifiés qui effectuent de l’intervention de crises et des suivis à court terme auprès d’une clientèle suicidaire et endeuillée par suicide. Les CPSQ qui furent sollicités dans cette étude sont seulement ceux qui offrent des services de suivi à court terme, soit plus précisément 17 CSPQ.

L’Accalmie est une ressource communautaire située à Trois-Rivières dont la mission est d’offrir des services d’hébergement, d’aide pour la gestion de crise, de suivi thérapeutique ou de transition aux personnes suicidaires.

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Le Centre CASA est un organisme communautaire qui offre des services thérapeutiques (dont des suivis individuels à court/moyen terme) aux femmes et aux hommes aux prises avec une dépendance à l’alcool, aux drogues, aux médicaments, au jeu excessif ou à tout autre type de dépendances.

L’institut Victoria est un établissement privé, situé à Montréal, spécialisé dans le traitement des troubles de la personnalité par la psychothérapie. L’Institut Victoria regroupe des professionnels qui sont spécialement formés pour le traitement des troubles de la personnalité et qui effectuent des suivis thérapeutiques auprès de cette clientèle.

Il s’agit d’un échantillonnage de critères, c’est-à-dire que tous les participants sont sélectionnés en fonction du respect de critères spécifiques. Dans la présente recherche, tous les intervenants travaillant dans les milieux mentionnés plus haut qui ont vécu le décès par suicide d’un client ont été invités à participer à notre étude. Plus précisément, les participants qui ont été sollicités sont les intervenants qui effectuent ou qui ont effectué des suivis psychologiques auprès de clients suicidaires et qui ont vécu au moins un décès d’un client par suicide. Ce décès peut être survenu au cours du suivi thérapeutique ou après sa terminaison. Les intervenants qui effectuent seulement des interventions de crise ponctuelle sont exclus de l’étude. Un délai minimal d’un mois devait s’être écoulé depuis le décès du client pour répondre à tous les questionnaires. Aucune limite n’a été fixée quant à la période entre le décès et la participation à l’étude

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(afin d’assurer un taux de participation adéquat), toutefois le critère privilégié a été que les intervenants se souviennent des émotions vécues lors de l’évènement.

Description des participants

L’échantillon se compose de 12 intervenantes de sexe féminin1 qui effectuent des suivis avec une clientèle suicidaire ou à haut risque suicidaire. Étant donné la nature mixte de la méthode (notamment les données qualitatives en grande quantité), nous avions estimé qu’une taille d’échantillon de dix participants nous permettrait d’atteindre l’objectif de l’étude et de respecter les limites liées à une thèse dans le cadre d’un programme D. Ps. (ce qui avait été accepté par les évaluateurs du projet de thèse et le comité d’éthique de la Faculté des lettres et sciences humaines). Néanmoins, il était impossible de prédire que les premiers participants à remplir le questionnaire allaient être des femmes. Nous avons donc considéré les douze participants à avoir répondu au questionnaire, mais nous jugeons que cela constitue une limite de notre recherche.

L’âge des 12 intervenantes de l’échantillon varie entre 28 à 52 ans, avec un âge moyen de 34 ans. Sur le plan de la scolarité, 8 des 12 intervenantes (66,66 %) ont un diplôme d’études universitaire, alors que 4 (33,34 %) ont un diplôme d’études collégiales. Les participants sont quatre éducatrices spécialisées, deux psychologues, deux psychothérapeutes, deux travailleuses sociales, une psychiatre et une ergothérapeute.

1 Comme tous les intervenants sont des femmes, les pronoms utilisés seront généralement de genre

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Les intervenantes ont en moyenne 6,6 années d’expérience auprès d’une clientèle suicidaire. Chaque intervenante a perdu au moins un client par suicide et le dernier de ces évènements est survenu en moyenne il y a 3,7 ans. Sept des 12 intervenantes (58,33 %) ont connu un seul suicide, 4 des 12 intervenantes (33,33 %) en ont connu deux et une seule intervenante (0,09 %) a connu huit suicides.

Instrument de mesure

Le type d’instrument de mesure qui est privilégié dans cette étude est un questionnaire autoadministré disponible sur Internet comprenant des questions de nature qualitative et quantitative. Ce type d’instrument de mesure a été choisi, car il correspond au moyen le plus efficace pour rejoindre l’ensemble des intervenants travaillant sur un vaste territoire de la province de Québec, et ainsi faciliter son accès et maximiser le nombre de participants à l’étude. Le questionnaire fut construit à partir des sections portant sur les impacts personnels et professionnels des questionnaires utilisés dans les études de Horn (1995) et Goodman (1995).

Le questionnaire utilisé dans l’étude de Horn (1995) comporte cinq sections qui abordent les aspects suivant de l’expérience des intervenants à la suite du décès d’un client par suicide : des informations démographiques, la relation entre l’intervenant et le client décédé par suicide, les réactions initiales des intervenants, les impacts émotionnels à long terme et les stratégies d’adaptation et de soutien utilisées à la suite

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