LES MÉDIAS ET LES CATASTROPHES NATURELLES :
UNE APPROCHE SUR LA PRESSE ÉCRITE EN COLOMBIE
Daniel HERMELIN
G.H.D.S.O.-L.I.R.E.S.T., Université Paris Sud
MOTS-CLÉS : AMÉRIQUE - MÉDIAS – RISQUES NATURELS – GESTION DE CRISE
RÉSUMÉ : Cette étude sur la façon dont la presse écrite colombienne a traité la catastrophe d’Armenia due au séisme de janvier 1999, pose plusieurs questions du point de vue de la diffusion des sciences. Les images et les textes événementiels ont eu un caractère dominant dans les journaux. Une approche formelle des textes, en particulier de ceux à visée explicative, en révèle des faiblesses et met en cause l’intention didactique des médias écrits colombiens.
SUMMARY : In this study of how Colombian newspapers have dealt with Armenia’s earthquake disaster (January 1999), we ask some questions about public understanding of science. Icons and factual texts dominated these journals. A formal approach to texts, specially to the explanatory ones, shows some weakness and implicates the didactic purpose of Colombian newspapers.
1. INTRODUCTION
Notre intérêt de recherche est lié à la façon dont les médias colombiens traitent les catastrophes naturelles. Pour le début d’une telle recherche, nous avons étudié, dans la presse écrite colombienne, le cas du séisme du 25 janvier 1999, qui a détruit partiellement la ville d’Armenia et d’autres villes et villages de la région. Cette catastrophe a fait plus de mille morts et environ 400 mille personnes blessées. Le corpus a été constitué de 3 journaux pendant les 15 jours qui ont suivi l’événement : El
Tiempo de Bogotá, le journal national de plus long tirage ; El Colombiano de Medellín qui est le
deuxième quotidien en ventes en Colombie ce qui lui donne un certain caractère national ; et El
Diario del Otún, un journal régional de la ville de Pereira, une des villes les plus affectées par le
tremblement de terre.
Notre étude consiste, en grande partie, en une approche linguistique qui se base sur les travaux publiés dans les cahiers du CEDISCOR (1992), en particulier ceux de Moirand et de Beacco. Cependant, nous avons fait des descriptions et des observations non proposées dans ces travaux.
2. DESCRIPTION GÉNÉRALE DU CORPUS
Il faut d’abord signaler que, pendant les premiers jours, le thème de la catastrophe a été le dominant dans presque toutes les rubriques. Au bout d’une semaine la proportion est descendue substantiellement, mais de façon moins marquée dans El Diario del Otún, le journal régional. Dans les textes, on trouve que la grande majorité d’articles parlant de ce désastre sont du type
événementiel : ces textes sont dits aussi narratifs, c’est-à-dire qu’ils ne rendent pas compte de
l’événement en termes scientifiques ou techniques, et ne rentrent pas dans l’explicatif. Il s’agit, par exemple, des textes parlant de dégâts humains, physiques et économiques, les plus courants dans notre corpus, et qui se partagent la priorité avec des chroniques détaillées, issues directement des survivants de la tragédie. Toutefois, les trois journaux ont traité, en général, des impacts sur la société, et ils ont accompli des fonctions sociales précises comme celle de transmettre des messages d’urgence.
D’autre part, l’attachement à l’événementiel est reflété aussi par la grande quantité de photos, la majorité montrant des victimes, survivantes ou mortes, et des décombres. Elles apparaissent souvent en première page, en couleurs et en grand format. Mais, en outre des photos, il y a aussi une
importante richesse symbolique dans les journaux : des icônes et des mots-symboles qui servent à attirer l’attention du lecteur, des cartes, des plans des villes affectées, des caricatures traitant le désastre, etc., constituent une complexe hétérogénéité sémiotique. La publicité a, d’ailleurs, été fort marquée par l’événement, même si l’on voit de grandes annonces n’ayant rien à voir avec la catastrophe, à côté des nouvelles les plus tragiques. Tous ces faits incitent à entamer des études ultérieures.
3. ANALYSE DES TEXTES
Pour l’analyse des textes, nous sommes parti d’une classification qui prend en compte deux limites : les textes encyclopédiques et les événementiels. Les événementiels sont les textes qui restent dans le narratif et qui tendent vers le spécifique/actualisé. Les encyclopédiques sont ceux qui ont une fonction explicative ou interprétative par rapport à l’événement. Ils tendent vers le générique/non actualisé et utilisent, plus ou moins fréquemment, des termes scientifiques ou techniques. Mais d’autres textes sont placés entre ces deux limites. Nous proposons deux autres critères de classification : les textes partiellement encyclopédiques (textes événementiels dont quelques parties entrent dans l’explicatif) et les textes pseudo-encyclopédiques (textes chargés de termes scientifiques ou techniques, mais qui n’entrent pas dans l’explication ou l’interprétation des phénomènes). Les quatre types d’articles ont été analysés dans les trois journaux. Nous nous sommes néanmoins centré sur ceux du type encyclopédique, la partie de notre corpus la plus directement liée avec la diffusion des sciences. Dans quelques exemples des textes dénommés partiellement encyclopédiques et pseudo-encyclopédiques, on constate l’attachement à l’événement, le besoin de demeurer dans le spécifique/actualisé. Dans ceux du type pseudo-encyclopédique, on peut même trouver des citations littérales de discours de spécialistes, mais qui ne donnent pas d’explications ; il s’agit d’affirmations qui ne parlent pas des causes des phénomènes.
4. ANALYSE DES ARTICLES ENCYCLOPÉDIQUES (EXPLICATIFS)
Un sous-corpus a donc été constitué par les articles du régime discursif encyclopédique ou explicatif. Parmi ceux-ci, nous en avons choisi 10. Ils présentent des explications géologiques des tremblements de terre, des dégâts subis par les structures des bâtiments pendant ces événements et des troubles psychologiques après le désastre. Il faut mettre en relief un rôle des deux premiers types d’articles : celui de traiter les causes de la catastrophe. Quelques articles abordent d’autres thèmes comme les problèmes sociologiques, l’administration des désastres et l’économie, et pourraient être aussi encyclopédiques. On les trouve surtout dans El Tiempo et quelques-uns sont mêmes signés par des spécialistes, mais nous ne nous sommes pas occupé de ceux-ci. Les dix articles analysés forment un échantillon représentatif qui constitue la quasi-totalité d’articles du régime discursif encyclopédique de notre corpus, même si, il faut l’ajouter, des difficultés techniques ne nous ont pas permis d’avoir la totalité des pages des journaux parus pendant la période étudiée.
4.1 Position et entourage des articles
Nous avons fait d’abord une description de la position et de l’entourage de chaque article : la position dans la rubrique, le genre de rubrique, et les articles, photos, images, publicités, etc. qui entourent chaque texte du sous-corpus. Ces observations montrent que, en général, ces textes semblent avoir été positionnés sans aucun critère logique de distribution des contenus. Quelques-uns, par exemple, apparaissent à des rubriques qui sont isolées des articles événementiels sur la catastrophe, ou sont parfois entourés d’articles qui ne s’y rapportent absolument pas.
4.2 Ancrage spatio-temporel à l’événement
Cette analyse permet de voir à quel point les discours font allusion directe à l’événement. Une telle allusion est considérée comme un ancrage spatio-temporel. Notre étude montre que, excepté un article qui a été écrit par un spécialiste, cet ancrage apparaît, plus ou moins, dans tous les textes. Cela nous renvoie au questionnement suivant : est-ce que l’on méprise l’abstraction que peut faire le lecteur par rapport à l’événement si on utilise le décrochage total de celui-ci ?
4.3 Origine des discours
La manière dont les discours des journalistes font appel aux sources du savoir-savant a été aussi examinée dans ces textes. Nous avons tout d’abord observé l’absence de signature du rédacteur dans quelques articles. Cette absence est d’ailleurs systématique dans les articles non encyclopédiques. De surcroît, il n’y a qu’un seul article signé par un spécialiste : ce texte a un autre statut du point de vue de la diffusion des sciences par rapport aux autres textes encyclopédiques, appartenants aux journalistes.
Concernant la mention de la provenance du savoir-savant qu’ils utilisent, les textes présentent aussi deux limites : un cas extrême est la citation littérale avec précision de la source, et l’autre cas extrême qui n’en indique aucune, et qu’on appelle l’allure « encyclopédique ». Nous avons repéré une tendance générale vers l’allure encyclopédique : tous les articles en usent plus ou moins. On peut voir aussi dans le sous-corpus une grande quantité d’énonciations faibles d’origine, par exemple les génériques humains : « les scientifiques disent... », « les spécialistes expliquent... », les effacements de sources par passivation ou impersonnalisation : « on sait que... », « le phénomène est considéré... ». En plus, normalement on ne trouve pas de paraphrases dans le voisinage des citations textuelles, ce qui reflète un certain écart entre les discours textuels des spécialistes et les discours des rédacteurs, comme si ceux-ci n’osaient pas la reformulation directe des sources premières.
4.4 Intelligibilité du texte
L’intelligibilité du texte peut être examinée à partir de l’élucidation de quelques termes d’apparence
technique. Même si l’on peut penser qu’il existe une intention didactique plus ou moins marquée dans tous les textes, il faut constater que beaucoup utilisent des concepts techniques sans les expliquer. Il existe, par ailleurs, des chaînages diaphoriques assez longs, c’est-à-dire des ensembles de phrases contenant des termes d’apparence technique avant qu’ils ne soient définis. Cette pratique comporte un risque : ces chaînages peuvent familiariser le lecteur avec le nouveau lexique sans l’illustrer, ce qui fait penser que l’on est plus proche de la lisibilité que de l’intelligibilité des textes. Il faut remarquer que les articles qui utilisent le moins de termes de ce type sont ceux qui parlent des dégâts dans les structures des bâtiments. Sans doute peuvent-ils diffuser des connaissances avec moins de problèmes conceptuels. Cela pourrait donc être lié à la nature épistémologique de la discipline en cause. Il ressort de cela un fait important : la possibilité de fournir de façon simple aux lecteurs des explications sur la cause des écroulement des bâtiments, et de contribuer à la prévention.
4.5 Les textes impératifs
Les articles qui relèvent du « dire de faire » sont un autre type de textes considérés comme des textes
impératifs. Ils sont assez courants, étant donné le besoin de transmettre au public des
recommandations - voire des ordres - dans les situations d’urgence. Après l’examen de quelques-uns dans les trois journaux, nous avons constaté qu’aucune justification n’est habituellement fournie concernant les comportements imposés, la priorité étant d’inciter à la population à la prise rapide de mesures de survie. À cet effet, on essaie couramment de séduire le public, en utilisant le pronom « on » plutôt que la deuxième personne. L’emploi de termes techniques est rare. Ce sont des textes qui contribuent plutôt à la constitution d’une mémoire de courte durée dans la population.
5. CONCLUSION
Cette recherche nécessite d’être poursuivie, en étendant le corpus et en utilisant plusieurs approches méthodologiques, afin d’étudier autant le message transmis que sa réception. Quelques affirmations et hypothèses peuvent être pourtant déjà avancées. D’abord, si l’on considère que les médias sont une contribution essentielle à la mémoire culturelle et que celle-ci est le support, à long terme, d’une prévention chez la population, la responsabilité de la presse colombienne peut être mise en cause, au moins dans le cas cette catastrophe. Le manque d’articles encyclopédiques est la première faiblesse à prendre en compte. Elle est encore plus remarquable dans El Diario del Otún, le journal régional. Une autre faiblesse importante est l’absence d’articles qui dénoncent les responsabilités humaines du désastre, spécialement celles liées au respect des normes de construction. Ces observations révèlent combien la presse colombienne s’est davantage orientée vers les effets que vers les causes de l’événement. Il faut ajouter que les problèmes évoqués concernant les textes encyclopédiques et leurs implications didactiques rendent encore moins forte la contribution de ces médias à une mémoire de longue durée dans la population, et, par là, à la prévention de ces risques naturels. Néanmoins, au point où en sont ces recherches, il n’est pas encore possible d’établir si toutes ces insuffisances relèvent plus d’une délibération que de l’ignorance - peut-être se partagent-elles entre les deux ! Un débat sur tous ces aspects dans la presse colombienne se révèle donc primordial.
BIBLIOGRAPHIE
ADAM J.-M., Approche micro-linguistique d’une catastrophe naturelle, Sciences de la société, 1997, 41, 125-143.
CEDISCOR, Un lieu d’inscription de la didacticité : les catastrophes naturelles dans la presse quotidienne, Les carnets du CEDISCOR, 1992, 1, Paris : Presses de la Sorbonne Nouvelle.
D’ERCOLE R., DOLFUS O., Mémoire des catastrophes et prévention des risques, Natures
