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De l’organisation virtuelle à l’entreprise face aux mondes virtuels : une exploration de la notion de virtualité dans les recherches en sciences de gestion

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Academic year: 2021

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De l’organisation virtuelle à l’entreprise face aux mondes virtuels : une exploration de la notion de virtualité dans les recherches en sciences de gestion

Sébastien Damart1,2, Doudja Saidi Kabèche1,3

1 M-Lab (DRM, UMR CNRS 7088), Université Paris Dauphine - Place du Mal de Lattre de Tassigny - 75775

Paris Cedex 16

2CNAM / Chaire EGSS - 292, rue Saint-Martin - 75141 Paris – email : sebastien.damart@cnam.fr

3 AgroParisTech, 16, rue Claude Bernard, 75231 Paris Cedex 05 – email : doudja.kabeche@agroparistech.fr

Abstract

Les recherches en sciences de gestion des dernières décennies ont fréquemment interrogé la notion de virtualité. L’essentiel des contributions a concerné les opportunités que les progrès technologiques liés à l’information et à la communication ont offertes aux entreprises. L’objet de cette communication est de montrer comment les sciences de gestion se sont appropriées le concept de virtualité. Dès la fin des années quatre-vingt, l’organisation virtuelle intéresse les recherches en gestion jusqu’aux années deux mille où la contribution des mondes virtuels commence à être étudiée et pose des questions de recherche nombreuses. Nous montrons en particulier qu’il est possible de distinguer trois champs de questions. Les plus anciens travaux concernent, dès la fin des années quatre-vingt les mutations des structures organisationnelles liées à la dispersion géographique que les nouvelles technologies de l’information et de la communication autorisent. Au cours des années quatre-vingt-dix et aujourd’hui encore, d’autres recherches s’intéressent à la dématérialisation des activités de l’entreprise et à son impact sur la chaîne de valeur. Depuis le repérage des besoins des marchés jusqu’aux activités de gestion des ressources humaines en passant par les activités commerciales et logistiques, de nouvelles opportunités de création de valeur naissent et les recherches en gestion s’y intéressent. Enfin, à partir du début des années deux mille, c’est la contribution des mondes virtuels en tant qu’espace d’interaction et de collaboration que les recherches commencent à explorer.

Mots-clefs

Virtualité, TIC, organisation virtuelle, mondes virtuels Introduction

Pour Lévy (1998), le virtuel qualifie ce qui n’a pas d’existence tangible actuelle mais dont l’état est susceptible de changer et d’être actualisé. Le terme est également utilisé pour qualifier ce qui n’est qu’en possibilité d’être mais qui n’existe pas réellement, actuellement. Le mot virtuel est utilisé dans un sens différent lorsqu’il qualifie un objet qui n’a d’existence que sa représentation numérisée sur un ordinateur. La notion d’un état potentiellement actualisable ne semble pas être contenue dans cette acception moderne.

Les recherches en sciences de gestion des dernières décennies ont fréquemment interrogé la notion de virtualité. L’essentiel des contributions a concerné les opportunités que les progrès technologiques liés à l’information et à la communication ont offertes aux entreprises.

Cette communication explore le concept de virtualité dans les travaux en sciences de gestion ces dernières décennies. Nous procédons en trois temps. Nous constatons dans un premier

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temps, que les premiers travaux dans lesquels apparaît centralement la notion de virtualité portent sur l’organisation virtuelle. Cette littérature datant du début de la fin des années 80 et du début des années 90 a pour objet d’étude les formes d’organisation que les nouvelles technologies de l’information et de la communication font émerger alors. Pour l’essentiel des travaux recensés, la notion de virtualité indique une dispersion géographique des organisations. L’évolution des modes de communication influence les fonctionnements organisationnels, les structures et divers thèmes de la théorie des organisations sont ainsi revisités.

Dans un second temps, nous faisons l’observation que les recherches de gestion ont souvent confondu virtualité et dématérialisation des activités et donc de la chaîne de valeur. Nous nous y intéressons depuis la gestion de la chaîne logistique jusqu’à la question des communautés virtuelles que les firmes peuvent explorer pour comprendre les marchés et les consommateurs.

Enfin, dans un troisième temps, nous faisons un recensement des travaux de gestion sur la question des mondes virtuels. Nous prenons deux angles de vue. Les mondes virtuels sont des espaces aux enjeux économiques nombreux : des marchés nouveaux, des univers où circulent des consommateurs, des espaces où peuvent s’opérer des transactions, etc. Ils sont également des espaces d’interactions et un outil pour augmenter, faciliter ou provoquer des collaborations. Les mondes virtuels peuvent être considérés comme des supports d’innovations managériales.

1. Organisation virtuelle et virtualité

Il semble que le concept « d’organisation virtuelle » constitue la première utilisation de la notion de virtualité dans les recherches en sciences de gestion. Dans cette première partie, nous mettons en perspective les points focaux qui ont structuré les travaux sur les organisations virtuelles depuis approximativement le début des années 90. Pour la plupart, ces points sont peu différents de ceux qui ont structuré la théorie des organisations en général. Des thèmes classiquement abordés en théorie des organisations avant les années 90 (la structure des organisations, le contrôle, le leadership, etc.) sont explorés à nouveau sous de nouveaux angles, que nous décrivons ci-après. Pour certains d’entre eux, les travaux sur l’organisation virtuelle ont également apporté une contribution à l’exploration du concept de virtualité que nous reprenons ensuite.

1.1. Organisation virtuelle et théorie des organisations

Un pan important des recherches en gestion a établi que les environnements économiques de plus en plus turbulents avaient conduit les firmes à adopter des organisations décentralisées. Les niveaux de décentralisation observés ont conduit au début des années 90 à parler de firme étendue, d’entreprise réseau ou d’organisation virtuelle. Les avancées des technologies de la communication ont rendu possible une distribution dans l’espace encore plus importante, des organisations. Le virtuel est associé à la fin des années 80 et au début des années 90 au champ spécifique de la communication électronique. Ce progrès technologique en particulier a modifié les espaces d’interactions entre les acteurs des organisations et la participation à l’organisation ne pouvait plus être vue comme induisant coprésence en un même lieu. Sarbaugh-Thompson et Feldman (1998) rappellent la littérature importante de la décennie qui a précédé leur travail sur l’impact de la communication par voie électronique, sur les organisations. Cette littérature a consisté à démontrer que la communication électronique

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comme média de communication changeait les flux de messages à la fois en terme qualitatif et quantitatif (efficience supérieure de la communication électronique : moins de messages car les messages électroniques sont plus efficaces).

La virtualité a été utilisée pour caractériser plus largement les évolutions des organisations face aux nouvelles technologies de l’information et de la communication. Drucker (1988) note les transformations auxquelles les activités de recherche et développement des organisations sont soumises du fait de l’introduction de ces technologies. Dans la même perspective, Davidow et Malone (1992) utilisent, les premiers, le concept d’entreprise virtuelle (cf. plus loin).

Plusieurs travaux du champ de l’organisation virtuelle sont sous-tendus par le projet de comparer organisation virtuelle et organisation dite « traditionnelle ». Entre le milieu et la fin des années 90, l’organisation virtuelle est pensée comme un type d’organisation particulier dans la population des organisations et de nombreuses recherches ont en fait consisté à explorer les organisations virtuelles à travers le prisme de thèmes déjà explorés en théorie des organisations. Ci-dessous, nous le montrons sur les thèmes suivants : la structure des organisations (les paramètres de conception liés à la centralisation et à la hiérarchie), le contrôle, le leadership, le management interculturel, la confiance et la dynamique des groupes.

Un numéro spécial de la revue Organization Science en 1999 est consacré à l’organisation virtuelle. Dans ce numéro, Ahuja et Carley (1999) définissent l’organisation virtuelle comme une organisation dispersée géographiquement et dont les membres, qui partagent des intérêts et des objectifs communs se coordonnent et communiquent par le biais de technologies de la communication. Les recherches de ces auteurs ont conduit à montrer que la distinction entre organisation virtuelle et organisation traditionnelle ne pouvait pas être exprimée au travers des paramètres de conception traditionnels centralisation versus décentralisation ou hiérarchie versus absence de hiérarchies. La différence entre les deux formes d’organisation provient essentiellement du fait que les structures de communication et d’autorité ne coïncident pas nécessairement dans les organisations virtuelles. Handy (1995) met en perspective les enjeux du contrôle du management sur une organisation que les nouvelles technologies de la communication permettent de disperser sur un territoire discret. Les organisations virtuelles remettent potentiellement en débat ce qui était observé traditionnellement en termes de contrôle et de motivation à participer à l’organisation.

D’autres pans traditionnels des sciences de gestion ont été revisités à travers la question des organisations virtuelles. C’est le cas du thème du leadership dans le travail. Kiely (2001) indique que si beaucoup d’attention a précédemment été portée sur l’intérêt des nouvelles technologies de l’information pour la conduite de projet dans des équipes virtuelles, la résolution de problème, la gestion de la relation avec les clients, etc., en revanche, peu de travaux ont concerné les enjeux des environnements virtuels au sein des équipes de direction et de management. L’auteur rappelle les conclusions sur les avantages et les problèmes que posent les technologies de l’information utilisées par les équipes virtuelles (notamment sur les communications en face à face selon la nature de ce sur quoi porte l’échange d’information). L’auteur s’intéresse en particulier aux équipes virtuelles internationales de direction (les comités de direction constituées par le top management et disséminées sur plusieurs pays). Pour ces équipes, les enjeux sont de trois types : les différences culturelles, la confiance, la collaboration. Notons que plusieurs travaux traitent spécifiquement ces trois catégories d’enjeux: citons Angus et Gallagher (1998), Dubé et Paré (2000) ou Gallivan (2001) par exemple.

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aspects liés à la question de la géographie des groupes, c’est-à-dire les enjeux liés à la définition des territoires individuels (espace physique occupé par une personne), de la proximité entre ces espaces et de l’impact de ces distances sur les interactions entre membres d’un petit groupe de travail. La dispersion géographique ou plus précisément le fait pour les membres d’une organisation ou d’une équipe de poursuivre une communauté d’objectifs et de travailler sur un territoire discrétisé caractérise systématiquement les organisations telles qu’elles sont définies dans la littérature sur les équipes virtuelles (Townsend et al. (1998), Ahuja et Carley (1999), De Sanctis et Monge (1999), Wiesenfeld et al. (2001), Larsen et MacInerney (2002), pour n’en citer que quelques uns).

D’autres travaux reprennent la littérature sur la dynamique des groupes de travail. Lurey et Raisinghani (2001) appuient de cette façon leur analyse empirique des pratiques de travail des équipes virtuelles. Ils utilisent trois grandes catégories de critères de mesure de l’efficacité d’une équipe : le niveau de productivité, la capacité d’auto apprentissage et d’auto amélioration du fonctionnement de l’équipe et enfin la capacité de l’équipe à satisfaire individuellement les membres de l’équipe (nous retrouvons ces critères dans McGrath (1984) par exemple). Les résultats auxquels les auteurs parviennent dans leur étude empirique indiquent une grande proximité des enjeux liés aux équipes virtuelles par rapport à ceux des équipes dites traditionnelles. Ainsi, par exemple, les auteurs mesurent une forte corrélation entre la performance des équipes virtuelles et la satisfaction des membres de l’équipe. Ils établissent que la qualité du leadership dans les équipes virtuelles étudiées repose en partie sur la qualité du processus de recrutement et de sélection des membres de l’équipe, ou sur la qualité des relations entre les membres. La dispersion géographique (également la discontinuité culturelle ou des pratiques pour Chudoba et al., 2005) des membres des équipes virtuelles implique très naturellement qu’ils utilisent des médias de communication adaptés (prédominance dans les résultats de la communication électronique et faible usage de l’entretien en face-à-face).

Pour contributeurs des problématiques de sciences de gestion qu’ils soient, il ne nous semble pas que ces résultats questionnent fondamentalement le concept de virtualité. Pourtant, les organisations virtuelles sont des espaces d’interactions aux propriétés spécifiques par rapport à l’organisation traditionnelle car les interactions se réalisent par l’entremise de systèmes de communication. La virtualité de ces organisations est en partie liée à cette intermédiation quasi systématique dans certaines d’entre elles. L’essence du concept de virtualité est donc à explorer. Plusieurs des auteurs qui ont travaillé sur l’organisation virtuelle l’ont fait. Nous y consacrons les paragraphes qui suivent.

1.2. La virtualité en question

Dans la littérature sur les systèmes d’information, la virtualité a d’abord été une question exclusivement technique. Les travaux sur les organisations virtuelles ont été précédés (vers le début et le milieu des années 90) par une littérature foisonnante sur les enjeux techniques et instrumentaux des technologies de l’information. Citons ici Franck (1996) qui discute, dans une perspective très technique et instrumentale des enjeux de sécurisation des données que les organisations virtuelles posent à l’époque. Loebbeck et Jelassi (1997) ont également mis en perspective un certain nombre d’enjeux techniques liés à l’implémentation de technologies de l’information et de la communication complexes et innovantes de la fin des années 90 (Les auteurs se sont notamment intéressés au groupe d’assurance et de réassurance allemand Gerling, firme innovante sur les technologies de l’information dans différents domaines dont celui des activités commerciales de la firme et des relations avec les clients).

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Sotto (1997) indique ainsi qu’un grand nombre de recherches se sont intéressées à la valeur des nouvelles technologies de l’information et à leur impact sur la performance ou l’efficacité. Les nouvelles technologies tendent notamment à renverser le sens dans lequel s’exerce le contrôle entre technologie et acteurs de l’organisation. Elles contribuent à redistribuer les compétences et les responsabilités. Cette perspective de recherche purement instrumentale trouve ses limites selon l’auteur. En effet, les nouvelles technologies de l’information ont apporté plus que le seul accroissement de performance et d’efficacité ; elles ont complètement bouleversé les représentations du réel. L’action organisationnelle s’entend comme encapsulée dans un espace aux propriétés spécifiques (« cyber espace »). La propriété de cet espace qui le rend spécifique est sa dimension virtuelle. Le terme « virtuel » ne doit pas être entendu comme faisant référence à une dématérialisation ou à une circulation d’électrons invisibles à l’œil nu. Les technologies numériques conduisent à construire des objets qui deviennent réels lorsqu’ils sont consommés ou utilisés par les acteurs (comme une pièce de monnaie qui deviendrait monnaie parce que les acteurs qui l’utilisent se sont implicitement accordés pour que la transaction soit médiatisée par cet objet).

A propos d’une institution danoise de cours d’anglais pour adultes, Brigham et Corbett (2000) définissent une organisation virtuelle comme étant un effet de relation (« relational effects ») créé par un réseau d’individus liés ensemble par des technologies de l’information et de la communication. Il est intéressant de noter que les auteurs tentent de dépasser les oppositions réel / virtuel, matériel / virtuel, fictif / virtuel. Il suivent en cela Barthès (1986) qui considère (déjà) que la réalité virtuelle offre un monde qui dépasse les distances matérielles et symbolique en proposant une représentation qui ne nécessite pas d’interprétation mais engage les acteurs à faire et à agir. Le lien avec les concepts de la théorie de la structuration est relativement évident. Pour Giddens (1984), un système social (une organisation) est virtuel lorsqu’on le considère comme un ensemble de propriétés structurantes qui permettent que des pratiques sociales perdurent dans le temps et dans l’espace. Suivant cette logique, les dimensions spatio-temporelles d’une organisation ne sont que des propriétés de surface du système organisationnel. En revanche, les règles et les ressources du système (qui, elles, sont indépendantes du temps et de l’espace) le structurent bien plus en profondeur et par là même le définissent. Dans cette perspective, on peut se demander si l’expression « organisation virtuelle » ne désigne pas simplement une instanciation possible du cadre spatio-temporel ou si elle désigne un ensemble de propriétés structurantes de l’organisation de nature à influencer durablement les pratiques sociales. Si nous suivons Ahuja et Carley (1999), c’est plutôt la seconde réponse possible qui l’emporte. En effet, les auteurs indiquent que les technologies de l’information et de la communication ont contribué à changer des paramètres de conception de l’organisation (centralisation, hiérarchie, etc., cf. plus haut) et donc des éléments fondamentaux de la structure d’un réseau social.

Les organisations sont des arrangements matériels, textuels et symboliques et à ce titre, Brigham et Corbett (2000) parlent de fiction organisationnelle. L’une des questions centrales pour l’ethnographe des organisations est donc d’observer comment les intérêts, les aspirations et les désirs de chacun sont rassemblés, créés, stabilisés et tenus en place au sein de cette fiction organisationnelle. L’organisation virtuelle considérée comme une organisation à forte dispersion géographique mais maintenue liée grâce aux technologies de l’information et de la communication n’est donc pas nécessairement la représentation la plus adéquate pour comprendre les enjeux associés (C’est probablement, selon nous, la raison qui explique qu’une grande partie des travaux sur l’organisation virtuelle ait consisté à revisiter des thèmes

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déjà explorés pour les organisations dites traditionnelles1). Néanmoins, la virtualisation des organisations au sens de l’utilisation de plus en plus importante des médias de communication électroniques, conduit les auteurs à indiquer que les modalités d’observation des organisations sont amenées à changer. En particulier, la question de la présence du chercheur / observateur dans l’organisation est devenue complexe car d’une part un grand nombre d’interactions et d’arrangements symboliques s’opèrent en dehors de tout face-à-face physique (au sens de deux individus présents simultanément sur un même lieu physique) et d’autre part, une grande part des activités des firmes ont été dématérialisées.

La virtualité est en fait souvent abordée par le biais de la dématérialisation des activités de l’entreprise et donc d’une partie de sa chaîne de valeur si bien qu’une littérature abondante a concerné l’impact de la dématérialisation sur le processus de création de valeur des firmes. Nous la présentons dans ce qui suit.

2. Virtualité, dématérialisation des activités et création de valeur

Au cours des années quatre-vingt-dix et aujourd’hui encore, de nombreuses recherches dans le champs des sciences de gestion se sont intéressées à l’impact de la dématérialisation des activités de l’entreprise sur la chaîne de valeur. Qu’il s’agisse du repérage des besoins des marchés, de la relation client, des activités commerciales, ou du supply chain management, non seulement des opportunités nouvelles de création de valeur se présentent aux entreprises mais on assiste également à une transformation de la chaîne de valeur.

Rayport et Sviokla (1995) présentent les étapes du processus de dématérialisation de la chaîne de valeur de l’entreprise. Une première étape consiste en l’utilisation et la maîtrise des systèmes d’information (SI) comme outils de pilotage pour avoir une meilleure visibilité du processus de création de valeur « traditionnelle » (celui du monde physique). Progressivement, l’entreprise découvre qu’elle peut aller plus loin et qu’elle peut dématérialiser une partie de ses activités pour ainsi dédoubler sa chaîne de valeur par un effet miroir de sorte qu’une partie de la valeur ajoutée est créée dans un espace virtuel. Une fois que l’entreprise a une bonne maîtrise des deux chaînes de valeur ainsi constituées, elle peut proposer de nouveaux services et produits spécifiques, en lien avec la nouvelle relation client qu’elle établit à travers différents médias comme les sites Internet.

Dans ce qui suit, nous faisons une revue des travaux qui ont abordé le lien entre virtualité (au sens de la dématérialisation des activités) et création de valeur. Nous traitons en premier lieu, la question de l’impact du développement des SI sur le pilotage des entreprises virtuelles et illustrée à partir du cas du Supply Chain Management. En second lieu, nous abordons l’apparition du e-commerce comme illustration de la création, par les entreprises, d’une chaîne de valeur partiellement dématérialisée. En dernier lieu, nous abordons les travaux autour du thème des communautés virtuelles qui illustrent l’entière appropriation par les entreprises de nouvelles démarches de recherche d’opportunités de création de valeur.

2.1 Virtualité et pilotage de la chaîne de valeur

Selon Davidow et Malone (1992) une entreprise virtuelle peut se définir comme une organisation où différents partenaires indépendants établissent un réseau de coopération pour

1 Il devient même difficile de distinguer l’organisation traditionnelle de l’organisation virtuelle selon les apports

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exploiter une opportunité de marché dans une période de temps limitée. L’entreprise virtuelle permet d’offrir au client un produit ou un service complet (ou complexe) par un réseau d’entreprises dont aucune, individuellement, ne possède les compétences pour l’offrir. Cette orientation des choix de stratégie commerciale et industrielle concorde avec les théories prégnantes au début des années 90 autour de la nécessité pour les entreprises de se centrer sur leur cœur de métier et de recourir à des partenaires industriels spécialisés (Prahalad et Hamel, 1990).

Goldman et al. (1995) caractérisent la virtualité d’une organisation en mettant en avant outre l’opportunité de marché et la compétence des partenaires, le fait que la coordination s’appuie sur des infrastructures d’information et de communication modernes autorisant la dispersion géographique. Certains travaux abordent donc la question de la virtualité par l’enjeu autour des systèmes d’information. Citons par exemple Hupton et McAfee (1999) qui étudient finement les différents types de systèmes d’information mobilisés et adaptés aux contextes des entreprises virtuelles. Ces auteurs décrivent trois types d’outils : l’EDI (Echange de Données Informatisées), les groupeware, et les WAN (Wide-Area Networks) ou réseaux étendus. L’apport de ces outils à la virtualité est largement ancré dans les contraintes opérationnelles. En effet, Hupton et McAfee soulignent qu’une entreprise virtuelle est une entreprise où les différentes entités qui la composent et qui sont dotées de systèmes d’information hétérogènes peuvent néanmoins échanger des informations sur les niveaux des stocks et plans de livraison ou d’approvisionnement et collaborer autour de la conception des produits (pour celles qui seraient dotées d’une CAO partagée). Les auteurs insistent sur le fait que dans l’entreprise virtuelle « idéale», la difficulté et le coût d’entrée dans le réseau devraient être faibles et l’accessibilité égale pour les grands et les petits partenaires. Ils comparent, dans cette perspective, les trois types d’outils évoqués plus haut selon trois dimensions : le degré de maturité de la relation nécessaire pour investir dans l’outil (un outil propriétaire nécessitera un engagement fort pour consentir l’investissement y afférant), le degré de sophistication des SI des partenaires et la richesse des fonctionnalités offertes par le support. Ils concluent à la limite des différents outils et au fait que des standards de type web sont plus adaptés, à condition que la sécurité des échanges soit assurée.

Dans d’autres recherches, le concept de virtualité est étroitement lié à celui d’intégration de la chaîne logistique et donc de Supply Chain Management (SCM) (citons Caridi et al. (2009), Gunasekaran et Ngai (2004), Van Hoeic (1998) ou Chandrashekar et Schary (1999) par exemple). Rappelons que le SCM est la fonction de l’entreprise dont la mission est de « … planifier et coordonner toutes les activités nécessaires à la réalisation des objectifs de service et qualité promis aux clients et ce au moindre coût » (Christopher, 1998). Cette fonction est en charge de tous les flux physiques et les flux d’informations qui relient, théoriquement les fournisseurs des fournisseurs aux clients des clients (selon le modèle de référence SCOR du Supply Chain Council2). La dématérialisation des activités de pilotage et l’intégration informationnelle (avec la diffusion des systèmes d’information tels que l’EDI ou le webEDI), à l’interface des entreprises sont des facteurs d’efficacité des chaînes logistiques. Comme le souligne Christopher (1998), pour s'adapter à l'évolution de leur environnement, les entreprises doivent affronter un changement de paradigme industriel selon cinq axes : passer de la maîtrise des fonctions à celle des processus, de la primauté des profits à celle de la performance, de l’orientation produit à l’orientation client, de la gestion des stocks à celle de l'information et du pur transactionnel avec les clients et fournisseurs au relationnel. Les deux derniers points concernent particulièrement la montée en puissance du rôle des systèmes d'information comme supports à l’intégration et donc à la création de valeur à l'interface de

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l'entreprise avec ses clients et fournisseurs. L’entreprise Dell est, sur la question des apports de la mise en place d’une supply chain dématérialisée, un cas intéressant.

Dans une interview, Michael Dell, le PDG fondateur de l'industrie informatique Dell, explique comment l’intégration et la virtualisation de sa SC lui a permis de créer un modèle économique original source d’un avantage compétitif certain. L’entreprise s’est dotée d’un réseau intégré de fournisseurs selon le concept du « agile manufacturing »3. Par ailleurs, grâce à la relation directe avec ses clients finaux, Dell a été l’une des entreprises pionnières du e-commerce avec comme source de création de valeur, la possibilité donnée aux clients de personnaliser leur produit via le site web de l’entreprise. C’est le concept de personnalisation de masse ou mass-customization (Magretta,1998).

Notons cependant avec Faisal et al (2008) que ces apports de l’intégration informationnelle ne sont acquis qu’au prix de la maîtrise des risques associés tels que la sécurité des transactions, la distorsion de l’information, les interruptions de fonctionnement qui rompent la chaîne d’information etc. De leur côté, Mulinski et Sachs (2009) identifient treize facteurs « ennemis de la virtualité » qui sont liés à l’organisation, au produit, à la relation client/ fournisseur ou au contexte socio-économique. Ils proposent une architecture de la SC calquée sur le modèle des SI orientés objet pour une régulation dynamique des SC virtuelles.

2.2. Commerce électronique et virtualité

Le début du commerce électronique remonte à 1991, lorsque la National Science Foundation a levé les restrictions quant à l’utilisation commerciales d’Internet. Dés lors, une nouvelle forme d’économie est née (l’économie numérique) et le commerce électronique ou e-commerce a commencé a diffuser voire à se systématiser comme canal de vente. Les recherches sur le commerce électronique sont foisonnantes et ont concerné différents champs4 (stratégie, marketing, e-logistique, etc.). Wu et Hisa (2004) montrent l’importance des enjeux associés au commerce en ligne sur les dimensions technologiques (infrastructures informatiques), organisationnelles et commerciales (services offerts au client internaute). Avec l’apparition du commerce électronique, d’une part, une partie de la chaîne de valeur de l’entreprise se dématérialise et devient virtuelle et d’autre part, la chaîne de valeur dans son ensemble se transforme. Benjamin et Wigand (1995) soulignent que l’ère du commerce électronique est celle de la désintermédiation. En effet, le faible coût de mise à disposition d’infrastructures commerciales (vitrines virtuelles) permet aux producteurs d’accéder directement à leurs clients finaux. Néanmoins, Carr (2000) souligne que les développements du commerce électronique ont montré qu’à de rares exceptions près, les producteurs n’ont pas réussi à maintenir une entité commerciale pérenne sur le web. L’auteur parle au contraire « d’hypermédiation ». Il décortique finement un acte d’achat (ici un volume de la série des histoires de Harry Potter) et montre, à travers les parcours de l’internaute sur la toile depuis la recherche par mot clé dans un moteur de recherche jusqu’à la transaction, tous les nouveaux intermédiaires qui entrent en jeu. Il en dénombre neuf dans le cas cité : moteur de recherche, développeurs de contenu, les sociétés par lesquelles transite le paiement en ligne, etc. Les montants en jeu sont toujours très faibles, mais c’est sur le volume des transactions que se

3Le concept d’entreprise agile ou « agile manufacturing » est étroitement lié à celui d’entreprise virtuelle. Il s’agit d’entreprises coordonnant un réseau de sous traitants (Weber, 2002). Comme le soulignent Bruun et Mefford (2004), la virtualisation et lean management sont les deux conditions pour qu’une entreprise soit « agile ».

4 Plusieurs revues académiques sont entièrement dédiées à ce champ de recherche (Electronic Commerce Research and Applications, par exemple)

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crée la valeur pour l’intermédiaire. L’auteur précise que dans le monde physique de la distribution, aucune entreprise ne pourrait mettre en place des structures pour de si faibles revenus par transaction. Le e-commerce a donné naissance à des acteurs économiques nouveaux et des modèles économiques originaux.

La virtualité du canal de vente a également modifié la nature des produits et services offerts par l’entreprise. Peppard et Rylander (2005) se sont intéressés aux produits et aux services que l’on trouve spécifiquement dans le cyberespace. Les auteurs notent que le critère de tangibilité qui suffisait à distinguer les produits des services dans le monde physique devient inopérant dans les mondes virtuels5. Dans le cyberespace, un produit n’est pas tangible. Il est attaché à de l’information et les auteurs parlent d’ailleurs de produit informationnel. Il peut être l’équivalent virtuel d’un objet physique tangible : par exemple, un livre est un objet physique que l’on peut toucher. Son contenu en information peut être numérisé et vendu comme produit informationnel sur Internet. A l’inverse, il peut exister des produits informationnels dans le cyberespace qui n’ont pas d’équivalents physiques : la production de connaissances encapsulant l’expertise de l’équipe d’une firme par exemple (une étude offerte à la vente sur Internet par exemple). Les services offerts sur Internet correspondent parfois à un service par ailleurs offert dans le monde physique mais associé à un média informationnel différent (l’exemple donné par les auteurs, le service bancaire, est illustrant des enjeux de sécurité, de confiance, etc.). Dans d’autres cas, les services du cyberespace ne peuvent raisonnablement avoir l’équivalent en version off-line. Il s’agit de services qui offrent des fonctionnalités que seul Internet permet de supporter (les sites de mise en correspondance d’acheteurs et de vendeurs dans le monde entier par exemple ou les items virtuels vendus dans les mondes virtuels, cf. plus loin). Dans tous les cas, les auteurs invitent à voir les attributs des produits et services du cyberespace comme réellement spécifiques6: ils amènent à inventer des modèles économiques nouveaux (Evans et Waster, 1999), ceux associés aux produits et services du monde physique étant inadaptés.

Les entreprises peuvent mettre à contribution les communautés virtuelles pour le développement de ces modèles économiques. Nous abordons dans ce qui suit, les travaux de recherche qui le montrent, l’importance de la participation des communautés virtuelles à la création de valeur.

2.3. Communautés virtuelles et création de valeur

A partir du début des années 2000, le terme « virtuel » a été associé à un autre pan de littérature en sciences de gestion. L’évolution des technologies de l’information s’est probablement accélérée et a progressivement diffusé la sphère privée, dépassant la sphère de l’entreprise. Des comportements de consommation et plus largement des comportements de socialisation nouveaux sont apparus. L’expression ‘communauté virtuelle’ apparaît dans les travaux de sciences de gestion au début des années 20007. Son apparition coïncide avec l’irruption et le développement des réseaux sociaux sur Internet mais les communautés virtuelles dépassent les seuls réseaux sociaux numériques. Pour Spaulding (2009), les communautés rassemblées autour des jeux en réseau, des forums ou des univers persistants

5Les auteurs utilisent indifféremment les termes « virtual worlds » et « cyberspace ».

6 Une description des attributs des produits et services du monde physique et des produits et services du cyberespace est proposée. Elle s’appuie sur le travail de Grönroos (1990) à propos des services.

7 Dans la continuité de ce qui a été présenté pour le e-commerce, nous limitons volontairement notre champs au marketing en BtoC. Nous n’aborderons donc pas les communautés virtuelles professionnelles.

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sont des cas de communautés virtuelles. Il indique que le monde des affaires a très rapidement souhaité accéder à ces communautés. Celles-ci sont potentiellement constituées de consommateurs et elles apportent le cas échéant de l’information sur les consommateurs. Nous relevons que la littérature en sciences de gestion sur les communautés virtuelles s’est essentiellement structurée autour des possibilités pour les firmes d’utiliser les communautés virtuelles dans la chaîne de valeur.

Dans les premières recherches sur la création de valeur pour l’entreprise à travers les communautés virtuelles, nous retrouvons plutôt l’idée de les utiliser comme source de revenus. Dans un article assez visionnaire, car sorti très tôt après le début de l’e-commerce, Armstrong et Hagel (1996) suggèrent aux entreprises présentes sur Internet d’aller plus loin que la simple création d’un site Internet traditionnel en prenant l’initiative d’animer des communautés virtuelles pour encourager les interactions et échanges entre clients. Elles pourraient ainsi tirer profit des informations échangées pour faire de ces internautes de futurs clients ou générer un revenu grâce à ces communautés. Selon les auteurs, les communautés virtuelles répondent à quatre familles de besoins : la facilitation des transactions, le rassemblement autour de sujets d’intérêts communs, le partage d’univers fantastiques (fantasy) et la création d’un réseau de relation. L’existence d’un site de communauté virtuelle animé par l’entreprise lui permettrait de créer de la valeur soit en faisant payer un droit d’entrée dans la communauté, soit en générant des revenus publicitaires ou bien en se constituant en tant qu’intermédiaire reliant les membres de la communauté à des sites commerciaux selon leurs intérêts et en faisant payer ces sites.

Rothaermel et Sugiyama (2001) se situent sur la même lignée. Selon ces auteurs, une communauté virtuelle est d’abord une communauté, c'est-à-dire un groupement d’individus rassemblés par un intérêt commun. En les dotant d’outils de création de contenus et de communication, les membres d’une communauté virtuelle s’engagent et échangent de l’information, expriment leurs goûts et besoins.

A travers l’étude fine des statistiques d’un site fonctionnant sur la base d’une communauté virtuelle, Rothaermel et Sugiyama (2001) déduisent cinq facteurs qui influencent positivement l’acte d’achat sur le site par les membres de la communauté : la possibilité d’entrer en contact entre membres en dehors du site (présentation d’une adresse e-mail ou numéro de téléphone de l’interlocuteur), l’expérience de ce type de sites (l’ancienneté des membres par exemple ou l’expérience acquise dans d’autres sites), la qualité de la gestion du site (notamment l’aide à la navigation, l’explication des « règles du jeu », etc. ), la richesse du contenu (informations sur les produits) et enfin l’existence d’un savoir commun généré par la communauté (les auteurs font le parallèle avec les communautés de pratique dans le monde professionnel). Les auteurs s’intéressent également au succès commercial de la communauté qu’ils étudient à travers les critères de taille (nombre de membres) et de sa gestion. Une communauté ayant peu de membres n’est pas économiquement viable (ne génère pas suffisamment de revenus) et une communauté trop grande risque de se diviser en sous communautés car la relation entre les membres faiblit. De même pour la gestion du site : l’absence de coordination ou de gestion de l’évolution du site a un effet négatif mais l’excès de gestion et la trop grande proximité des gestionnaires du site pour orienter son évolution est également nuisible au succès commercial du site.

Dans cette recherche, les auteurs concluent également que le fonctionnement de la communauté et notamment les influences mutuelles des internautes en termes d’orientation de l’achat ne diffèrent pas finalement de ce qui se passe dans le monde réel. Valck et al (2009) arrivent à la même conclusion dans leur recherche sur l’influence des communautés virtuelles sur les processus de décision de leurs membres.

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Les recherches les plus récentes ne limitent pas la création de valeur pour l’entreprise au lien direct avec l’acte d’achat. Splauding (2009) présente une analyse assez complète de l’utilisation des communautés virtuelles dans une entreprise en la mettant en perspective par rapport à sa chaîne de valeur. L’auteur s’intéresse d’abord à la question de la présence des entreprises dans les communautés virtuelles, plus particulièrement à leur acceptation dans ces communautés. Il analyse cette acceptation à travers deux variables : la confiance et le contrat social. Ces deux variables permettent d’expliquer ce que les entreprises peuvent ou ne peuvent pas faire dans les communautés virtuelles (en lien par exemple au respect de la vie privée, de la loyauté, etc.).

L’auteur traite ensuite la question de la création de valeur. Il part d’une typologie des communautés en quatre catégories : orientés transactions (par exemple, ebay), orientés intérêts (par exemple, Dell community), orientés relations (par exemple, LinkedIn) et orientés « fantasy » (par exemple Second Life). Il croise cette typologie8 avec les activités de la chaîne

de valeur et propose quelques pistes pour l’utilisation des communautés comme levier de création de valeur. Les trois activités concernées sont le développement de nouveaux produits, le marketing et les ventes, et les fonctions support.

L’intérêt de cette recherche est de montrer à quel point le champ des apports des communautés virtuelles s’est élargi en une dizaine d’années d’existence du e-commerce. Elle souligne aussi un aspect assez innovant de la transformation de la relation client puisque grâce aux nouvelles technologies d’Information et de communication, le client est partie prenante dans les processus de l’entreprise. Il participe plus facilement au développement de nouveaux produits et services (Kardaras et al. (2003) ont étudié le cas des services d’assurance). Cette évolution s’inscrit dans la lignée du concept d’open innovation et des communautés professionnelles de partage d’innovation et de crowdsourcing (les exemples de innocentive et pay2.com sont décrits par (Albors et al., 2008)).

Grâce au développement et à la diffusion des technologies de réalité virtuelle, les entreprises accèdent à une nouvelle génération d’outils de communication, de collaboration et de réseaux sociaux : les mondes virtuels. Les entreprises développent des stratégies d’adoption de ce nouveau média souvent en continuité des apports d’Internet, mais parfois en rupture totale. C’est ce que nous présentons dans la partie suivante.

3. Les entreprises face aux mondes virtuels

Le thème des mondes virtuels n’apparaît en sciences de gestion que très récemment. Incontestablement, les mondes virtuels, dans la lignée des communautés virtuelles (rappelons que pour certains auteurs, l’expression ‘communauté virtuelle’ englobe les communautés tissées dans les mondes virtuels), ont une influence sur les modèles de développement économique des firmes. De nouveaux espaces d’interaction de la firme avec son environnement émergent. C’est l’occasion d’inventer de nouveaux modèles (et, naturellement, de nouveaux services : comme nous le verrons plus loin, un grand nombre de travaux concerne les nouveaux services et les nouveaux produits dans et avec les mondes virtuels). Nous présentons, dans un premier temps, un certain nombre de ces travaux.

Les mondes virtuels sont aussi potentiellement des espaces à l’intérieur desquels les membres de l’organisation peuvent interagir entre eux. Dans ce cas, c’est le management que les mondes virtuels intéressent. La littérature sur les innovations managériales produites à partir

8 Cette typologie est due à (Kannan et al., 2000) mais on y retrouve les critères décrits par (Armstrong et Hagel, 1996)

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et dans les mondes virtuels est récente mais il semble que le champ se structure (Mennecke et al., 2008, Davis et al., 2009) et nous présentons dans un second temps une revue de littérature des contributions à ce champ.

3.1. Mondes virtuels et modèles économiques

Les mondes virtuels sont apparus récemment et rapidement. Beau (2008) fait une brève description chronologique des mondes virtuels et indique que dans l’apparition des mondes virtuels, trois temps peuvent être identifiés : imaginaire, technologique et sociétal. Au début des années 80, c’est d’abord l’imaginaire, le cinéma en particulier, qui investit le concept. Quelques œuvres en attestent comme Tron, en 1982, produit par les studios Walt Disney, qui raconte l’histoire d’un homme qui se fait « digitaliser » pour empêcher un ordinateur de prendre le contrôle du monde. A partir du début des années 90, plusieurs expériences et avancées technologiques concrétisent l’émergence du concept de réalité virtuelle : on repère au milieu des années 90, la conception par le MédiaLab (studio français spécialisé dans les effets visuels au cinéma) d’une cabine de réalité virtuelle qui permet de se « déplacer » dans un univers en trois dimensions totalement « informatisé ». Enfin, à partir des années 2000, font irruption les « univers persistants » ou mondes virtuels, sorte d’environnements graphiques sophistiqués sur Internet dans lesquels des marionnettes numériques (que l’on appelle avatars) que l’on manipule via son ordinateur, bougent, se déplacent, parlent, interagissent avec d’autres marionnettes, se battent, pilotent des machines, construisent des territoires, créent, etc. C’est l’âge sociétal identifié par Beau (2008) car il s’agit du vrai moment d’apparition et de diffusion des mondes virtuels dans différentes couches de nos sociétés et en particulier l’entreprise. Précisément, le développement des mondes virtuels a permis aux firmes de trouver de nouveaux espaces de création de valeur et de nouvelles opportunités. Les entreprises sont entrées dans les mondes virtuels pour y saisir ces opportunités et à cette fin, elles y sont développées des modèles économiques nouveaux (Cagnina et Poian, 2009)

Roche et Lester (2008) indiquent la variété des modèles économiques sur lesquels la firme peut s’appuyer lorsqu’elle investit dans les mondes virtuels. Les mondes virtuels sont des supports publicitaires et il est d’abord possible de rétribuer les investissements opérés sur les mondes virtuels sous forme de ventes et de chiffre d’affaires. Il est également possible d’en faire un nouveau canal de distribution et de s’en servir comme d’un showroom. Les mondes virtuels sont ensuite des espaces sur lesquels il est possible de conduire des explorations des consommateurs (dans la ligne de l’exploration des communautés virtuelles comme décrites plus haut). La firme peut également se servir des mondes virtuels comme des espaces de développement de nouveaux produits. Enfin, les mondes virtuels sont un espace d’expérimentation. La firme peut y tester de nouvelles formes de relations avec les clients. Il est intéressant de tenter un parallèle entre le commerce sur Internet et le commerce dans les mondes virtuels (tel qu’il pourrait être, car il n’est pour l’instant pas aussi développé que le commerce en ligne). Ganis et MacNeil (2008) font cet exercice et identifient ainsi différentes catégories d’enjeux. Le développement du commerce dans les mondes virtuels ne se produira que si les protocoles de sécurité (pour le cryptage des données de paiement notamment) mis en place sur Internet sont intégrés aux mondes virtuels et surtout si les firmes trouvent une façon de rendre manifeste le dispositif de sécurité, tel qu’il est possible de le faire sur Internet (le préfixe « https » est une façon de manifester l’encodage sur Internet). Au-delà de la question technique et ergonomique de la sécurité, se pose celle de la confiance. Deux

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problèmes sont identifiés par les auteurs : l’établissement d’une relation de confiance est liée à l’expérience et est une question de temps (long) ; il faut mettre en place une infrastructure organisationnelle adéquate et un appareillage réglementaire (indiquant ce que l’on a le droit de faire et de ne pas faire) et répressif (apportant sanction lorsque les règles ne sont pas respectées). Nous revenons sur la question du droit dans les mondes virtuels plus loin.

Ganis et McNeil (2008) notent ensuite que les enjeux sont multiples autour de la question de la consommation dans les mondes virtuels en tant qu’expérience. L’acte transactionnel et la relation qui s’établit entre le consommateur et le vendeur sont souvent au cœur d’une interaction sociale dont le rôle pour la transaction est important. Les auteurs relèvent que le commerce sur Internet profite beaucoup des réseaux sociaux qui s’y sont établis (MySpace par exemple). L’un des enjeux du commerce dans les mondes virtuels est de parvenir à recréer un lien social. Celui-ci pourrait conduire par exemple à un accompagnement du consommateur, alors même que dans la plupart des îles de Second Life par exemple, les avatars sont souvent seuls (l’expérimentation conduite par Li et al (2002) sur l’apport de «l’expérience virtuelle » et de la présence confirme leur impact sur l’acte d’achat). Par ailleurs, les auteurs interrogent ce que la représentation en trois dimensions des mondes virtuels apporte au commerce. Il ne semble pas évident, à moins de considérer des innovations technologiques, encore peu répandues, de reproduction de sensations telles que le toucher, que les mondes virtuels apportent des stimuli supplémentaires au consommateur. Nous pouvons ajouter que compte tenu des contraintes de stockage des données, les objets en trois dimensions représentés dans les mondes virtuels, sont souvent moins porteurs d’informations que les photos des objets en deux dimensions sur les sites de commerce électronique. Shen et al (2002) soulignent au contraire que les galeries virtuelles permettent de renforcer les actions marketing et de communication par rapport aux possibilités offertes par l’espace 2D du e-commerce. Le temps de connexion y est plus long, donc le contact avec le client est prolongé (une session dure en moyenne 45 minutes en 3D contre 5 minutes sur Internet).

Une littérature montre également les enjeux liés au commerce d’items virtuels utilisables par les avatars des mondes virtuels et n’ayant pas d’équivalent physique (par exemple, l’achat de vêtements pour habiller son avatar). Dans Second Life, nous avons ainsi assisté à l’émergence d’une nouvelle forme d’entreprenariat : des entreprises virtuelles qui sont créées (qu’il s’agisse d’entreprises établies comme IBM, Dell, American Apparel, Toyota, etc. ou de « simples » résidents qui deviennent des entrepreneurs) dans les mondes virtuels et pour les mondes virtuels. Celle-ci conçoivent et commercialisent des objets et services virtuels pour un usage dans le monde virtuel (Papagiannidis et al., 2008, Guo et Barnes, 2009). Il est intéressant dans ces cas de se demander si l’analogie avec les mondes physiques tient et des travaux portent même, par exemple, sur la chaîne logistique des items virtuels vendus et distribués dans les mondes virtuels. Lee (2008) a proposé une analyse des spécificités des supply chain dans les mondes virtuels. Dans les mondes virtuels, les transactions sont simplifiées à l’extrême, les délais sont raccourcis (la distribution du produit est quasi instantanée) et les barrières entre partenaires d’affaire n’ont pas vraiment de sens. Par ailleurs, du fait que les vendeurs sur SL sont les créateurs des contenus qu’ils commercialisent, les entreprises ont un niveau d’intégration élevé et donc les cycles conception- développement- production- commercialisation sont très courts.

Finalement, l’un des intérêts des mondes virtuels pour les entreprises sur la question spécifique du lien avec le consommateur est identifié par Hemp (2006). Celui-ci reprend le cas de second life et des marques qui s’y sont installées pour vendre des produits virtuels. L’auteur montre que ces marques n’ont pas pour objectif de générer directement des revenus supplémentaires (il ne s’agit pas d’un canal commercial). Le potentiel du v-commerce (« v » pour virtual world) réside dans la qualité de l’espace de socialisation qu’il offre et de la

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connaissance des clients et des marchés qu’il produit. Les mondes virtuels sont considérés par les entreprises comme des espaces où la créativité des consommateurs s’exprime fortement. Elles utilisent donc ce média pour tirer profit de cette créativité et faire participer les consommateurs, via leurs avatars, aux processus de développement de nouveaux produits. Kohler et al (2009) ont analysé les cas de huit entreprises ayant conduit des expérimentations sur Second Life et proposent un cadre pour une nouvelle approche de conception produit. Comme évoquée plus haut, la question du droit dans les mondes virtuels est également un enjeu du développement commercial et économique des firmes dans les mondes virtuels. Elle a été posée par les juristes tôt dans le développement des mondes virtuels. Lastowka et Hunter (2003) notent qu’il est pertinent d’étudier ce qui s’y passe en matière de droit, pour trois raisons. Premièrement les mondes virtuels sont des précurseurs des communautés en ligne et celles-ci vont massivement se développer dans le futur. Ensuite, les frontières économiques entre les mondes virtuels et les mondes physiques ne sont pas aussi distinctes qu’elles ne peuvent apparaître et en ce sens, la loi doit pouvoir encadrer les activités du virtuel. Enfin, la question du droit dans les mondes virtuels est en soi une expérience unique et un défi sérieux pour les systèmes juridiques actuels du monde physique. MacInnes (2006) insiste sur la question des droits de propriété dans les mondes virtuels. La question a plusieurs fois été soulevée, à propos du téléchargement de contenu et des modèles économiques pertinents. Néanmoins, l’achat d’items dans les mondes virtuels est un contexte un peu différent puisque les objets de transaction n’ont pas d’existence tangible possible.

La contribution de Kobrin (2001) sur la gouvernance et la notion de territoires dans les mondes virtuels9 rend compte de la complexité des défis juridiques liés au développement des

mondes virtuels. Le commerce en ligne et plus généralement Internet ne peuvent exister indépendamment de tout ordre social. L’auteur s’oppose en cela à la notion de « self governance » que décrivent par ailleurs Johnson et Post (1996). Il s’appuie également sur les travaux de Karl Polanyi plusieurs décennies auparavant indiquant qu’un marché, quel qu’il soit, ne peut exister sans infrastructure sociale. Par ailleurs, la loi et la répression sont fondées sur la notion de territoire (dans le sens où la règle et le système de sanction adossé a cours, par nature, sur un territoire explicitement identifié) or les transactions sur Internet sont déconnectées de cette notion et la localisation des parties impliquées dans une transaction est complexe. Nous ajoutons que dans les mondes virtuels, si les notions de territoire et de frontières semblent recréées, elles n’en demeurent pas moins totalement artefactuelles, configurables et pour l’instant régulées selon diverses modalités.

Cette complexité ramène à la question de savoir qui contrôle les mondes virtuels, question explorée par Bray et Korozynski (2008). Certains mondes virtuels sont des espaces de type open source. D’autres, probablement plus fréquentés, sont clairement identifiés comme propriété d’organisations qui réalisent des profits (réels). La régulation des mondes virtuels compte tenu de ce paysage est en soi complexe. Les firmes, les acteurs de la sphère politique et le citoyen (réel et digitalisé) s’y confrontent dans des jeux de pouvoirs qui échappent partiellement à chacun de ces acteurs compte tenu des frontières floues entre mondes physiques et monde virtuels. Les entreprises réelles qui viennent explorer les mondes virtuels et y tester des modèles économiques sont demandeuses d’un système de régulation qui rend possible et pérenne leur modèle économique. Pour autant, dans des mondes virtuels comme Second Life, c’est précisément, la possibilité de venir y créer des espaces innovants et soumis

9 En fait, l’auteur parle de « cyberspace » et centre son propos sur le commerce électronique. En 2001, le

commerce virtuel fait surtout référence au commerce en ligne et pas encore au commerce dans et avec les mondes virtuels.

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à une faible contrainte de règle qui attire les utilisateurs. 3.2. Mondes virtuels et innovations managériales

Les mondes virtuels fournissent des espaces dans lesquels des avatars interagissent. Davis et al. (2009) ont élaboré un modèle général pour l’exploration et la compréhension du travail en équipe dans les métavers10 que nous reprenons ci-dessous. Les métavers s’appuient sur des technologies offrant de nouvelles fonctionnalités dont les contributions au fonctionnement de l’organisation sont multiples : diversification des modes de communication, facilitation du travail en équipe, renforcement de la capacité immersive des individus et enrichissement des interactions en particulier.

La communication entre avatars peut s’appuyer sur une gamme variée de médias : le texte (chat) et la voix en particulier mais également la gestuelle, les expressions faciales des avatars et la façon de se vêtir qui sont également vecteurs de messages et média de communication. La diversité de ces médias permet d’envisager qu’un large panel d’émotions puisse être exprimé à travers l’avatar. Il faut néanmoins ajouter que l’expression d’émotions et la communication de messages médiatisées par un avatar pose des questions relatives notamment à l’identité. Angel (2008) note ainsi que l’identité de l’avatar est un construit parfois conscient de celui qui manipule l’avatar. L’apparence de l’avatar est entièrement personnalisable et peut être utilisée pour prendre place au sein d’une communauté par exemple. Il est par ailleurs possible pour un individu de se construire un avatar dont les comportements (la façon de parler et de s’habiller par exemple) sont très différents de ceux qu’il a dans le monde réel, de façon à se libérer des contraintes qu’imposent les normes sociales (Junglas et al, 2007). Dans le monde des organisations, cette possibilité de désinhibition rend probablement complexe un certain nombre d’interactions qui se produirait dans les mondes virtuels car la lecture des interactions que les membres d’une organisation ont entre eux se fait souvent au travers des fonctions qu’ils y occupent. Il est aussi possible de considérer qu’il y a, dans la vie des organisations, des moments d’interactions entre individus où il est important de parvenir à se libérer des contraintes normatives. Hoxmeier et Kozar (2000) indiquent que, dans les réunions, l’anonymat peut contribuer à faciliter l’expression des participants. Nous pensons, en outre, aux processus de conception innovante pour lesquels la capacité des individus à transformer l’identité des objets (Le Masson et al., 2006) est très certainement influencée par leur position sociale dans l’organisation et les normes qui y sont attachées.

Davis et al. (2009) indiquent que les mondes virtuels peuvent contribuer également à faciliter le travail en équipe. Les technologies des mondes virtuels contribuent à aider à structurer les processus de travail collaboratif. Les auteurs imaginent des agents virtuels (avatar automatisé) qui dirigeraient un groupe ou qui enregistreraient les échanges tenus lors d’une réunion. Plusieurs travaux ont précédemment mis en lumière l’intérêt de ces champs d’innovation: Grohowski et al. (1990) et Kalika et al. (2008) ont ainsi montré l’efficacité des outils de facilitation des réunions électroniques et Hoxmeier et Kozar (2000) relèvent que la traçabilité des échanges est de nature à faciliter le déroulement des échanges lors des réunions. Dans des

10 Les auteurs distinguent les métaverses des mondes virtuels en indiquant « Metaverses are immersive three-dimensional virtual worlds (VWs) in which people interact as avatars with each other and with software agents, using the metaphor of the real world but without its physical limitations»

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travaux en groupe, Davis et al. (2009) suggèrent que la représentation en 3D enrichit les processus de brainstorming ou les réflexions autour de l’organisation et de la prise de décision (systèmes de votes d’avatars). La représentation en 3D a beaucoup été explorée dans la littérature sur le design (Peng, 2005), l’ergonomie (Chedmail et al., 2002) et plus généralement les processus de conception et d’innovation. Pour l’essentiel, ces travaux insistent sur le fait que l’enrichissement du mode de représentation des objets contribue à faciliter les échanges autour des caractéristiques physiques des objets. La question de la représentation graphique amène à celle de la capacité des mondes virtuels à produire un environnement dont la capacité immersive - la capacité à mettre les individus en immersion, telle que définie ensuite - est importante. Guadagno et al. (2007) définissent l’immersion comme l’intensité avec laquelle les individus sentent qu’ils interagissent avec leur environnement virtuel plutôt qu’avec leur environnement physique. Blascovitch (2002) montre que la présence dans les environnements virtuels est d’autant plus forte que le réalisme (graphique, mais pas uniquement) de l’environnement (c’est-à-dire, sa ressemblance avec les environnements physiques réels) est important. Ceci laisse penser que la fréquentation des mondes virtuels en tant qu’espace d’interaction et donc la capacité à mettre les membres d’une organisation en interaction dans les mondes virtuels est une fonction croissante de la capacité immersive de ces mondes virtuels.

Enfin, Davis et al. (2009) indiquent que la capacité d’interaction des individus est renforcée dans les mondes virtuels parce que d’une part, les déplacements y sont rapides et quasi instantanés (possibilité d’y voler ou de se téléporter instantanément vers d’autres lieux) et d’autre part, les individus ont la possibilité, collectivement ou individuellement de créer rapidement ou instantanément des objets et de les utiliser. Fiedler (2009) rappelle que dans les organisations, la proximité géographique est souvent l’un des pré requis pour que s’établissent des interactions puis des collaborations (notons qu’Amabile et Gadille (2006) l’ont indiqué dans une étude portant sur la mise en place de coopérations entre mutuelles d’assurance en France, il y a quelques années). Si la capacité immersive des mondes virtuels, telle que définie plus haut est importante, alors il est possible de considérer les mondes virtuels comme dispositifs de réintroduction de la notion de proximité territoriale (territoires virtuels) dans les organisation et par suite comme dispositif facilitant la mise en place d’interactions et de collaborations.

Conclusion

Les progrès des technologies de l’information et de la communication ont accompagné la dispersion géographique des organisations, rendus possible la dématérialisation d’un grand nombre des activités des firmes, et introduit de nouveaux dispositifs techniques de collaboration entre les unités organisationnelles ou les membres de celles-ci. Les recherches en sciences de gestion l’ont montré, mettant au cœur des questions traitées dans ce cadre, la notion de virtualité.

Les travaux les plus actuels montrent les intérêts multiples des mondes virtuels pour le management et les dynamiques collaboratives dans les organisations. Il nous semble possible de prolonger ces travaux dans plusieurs directions et nous nous risquons à proposer ci-après trois composantes d’un programme de recherche centré sur la question des organisations face aux mondes virtuels.

(1) Les processus de (re)construction identitaire auxquels les mondes virtuels donnent accès via les avatars questionnent en profondeur la place des individus dans les organisations d’une part et les modes d’interactions alternatifs entre individus d’autre part. Ainsi que nous

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l’indiquons plus haut, certains processus des organisations (la conception par exemple) peuvent se nourrir d’une transformation au moins temporaire des identités de chacun des participants à ces processus.

(2) Les capacités immersives des outils de collaboration dans les mondes virtuels sont de nature à influencer l’engagement des membres des organisations. Le recours à l’imaginaire ou au contraire, le recours à des environnements virtuels parfaitement adaptés aux représentations mentales des individus pose des questions sur les gains en efficacité des dispositifs organisationnels classiques, comme la conduite de réunion par exemple.

(3) Une organisation physique réelle reproduite et couplée avec un environnement virtuel peut accéder à des fonctionnalités intéressantes : la traçabilité quasi exhaustive du fonctionnement organisationnel, la simulation d’un dispositif d’organisation dans l’environnement virtuel avant de le dupliquer dans l’organisation physique réelle, etc. Quels types d’innovations managériales ces fonctionnalités permettent-elles d’envisager ?

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