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La figure du chansonnier : résurgence du sujet, et, Marie-la-putain

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(2)
(3)

LA.JIgure du chcuucJnnfer: résurgencedusujet

et

lIarfe.la.putafn

par

Hélène Roblta1lle

Mémoire de maîtrise en création littéraire soumis à la Faculté des études supérieures et de larecherche

en vue de robtention du diplôme de Maîtrise ès Lettres

Département de langue et littérature françaises Université McG1ll

Montréal. Québec

(4)

1.1

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(5)

AB5TRACT

(critical and creation parts)

The stage is a place where symbolic space and real space, symbolic time and real time are superimposed. The critical part of our thought process intitled La figure du chansonnier: résurgence du sujet, tries to examine the way singers ( Gilles Vigneault as it happens ) create a symbolic place where the risk of fusion between reality and symbolism is much lesser than in other art forms : therefore it is possible not to dissociate the singer as shawn to the public and the 1that both mark out and caver his work. We think this is a very soft way to work the stage, that values the union between the subject and his message.

On the other hand, theater throught ail its conventions more clearly defines the fusion between reality and symbolism and the risk involved with such an enterprise. Maybe the actor who is both symbolically and Iitterally under the lights is in much greater danger than the singer of being irreconcilably and without an end exposed to that fusion of reality and symbolism. We think that art, which probably consists of creating a symbolic distancing, gets its greatest strength when its second will is in motion: achieving symbolism and then coming back to reality transformed ( for the better). What interested us ail throught Marie-!a"putain, the play which constitutes the creation part of our thesis is to investigate the gray zone where throught the spotlight there is no going back to reality : we don't go back to reality, or if we do, it is with graat ditticulty. Ali through the play the heroïne will on stage try to sacrifice a part of her she would nct normally have.

The creation part, throught Marie, is in fact the opposite of the critical part: it examines the stage as a place that allows disappropriation and dissolution.

(6)

RÉSUMÉ

( volet critique et volet création )

La scène est un lieu où lion superpose llespace symbolique et l'espace réel1 le

temps symbolique et le temps réel. Le volet critique de notre démarche, intitulé La figure du chansonnier: résurgence du sujet 1 tente dlexaminer de quelle manière le

chansonnier (Gilles Vigneault en l'occurence) crée en quelque sorte une zone symbolique dont le risque de dédoublement avec le réel est moins grand, comparativement aux autres pratiques de la scène : il est possible de ne pas trop dissocier la figure du chansonnier, telle qu'elle se présente au publici du (cje)) qui tout

à

la fois parcourt et jalonne son oeuvre. À notre avis, il 51

agit là dlune façon très «douce)) dlexploiter la scène. qui met en valeur le caractère unifié du sujet et de la parole qulil diffuse.

En revanche, le théâtre indique plus clairement,

à

travers toutes ses conventions. le jeu de dédoublement auquel il se livre. de même que les risques d'un tel jeu. Peut-être le comédien - celui qu'on expose symboliquement et réellement

à

la lumière des projecteurs - court-il d'une manière plus caractérielle et plus palpable que le chansonnierl ce danger du dédoublement ou de l'Îrréconciliation sans retour, sans achèvement. Selon nous l'artl qui probablement consiste

à

vouloir créer une

zone d'éloignement symbolique. n'acquiert ses plus grandes forces qu'au moment où un second vouloir est mis en branle : celui d'achever l'ordre symbolique

et

de revenir, transformé (pour le mieux), vers Itordre du réel. Ce qui nous aura intéressé tout au long de Marie-la-putain - la pièce de théâtre qui constitue le volet création du mémoire - 1 c'est biende sonder cette zone sombre OÙ

I

à

travers la lumière tapageuse

de la scène, on ne retourne pas

à

la réalité, ou alors on y retourne mal. Au fil de son parcours, Ilhéroïne cherchera ainsi àsacrifier sur la scène d'un cabaret une sphère de

(7)

sa vie, qu'attentive. elle aurait protégée. Sans jamais consentir à l'exposer d'abord, à la monnayer ensuite.

Le volet création du mémoire, à travers la figure de Marie, est en fait l'endos du volet critique: il examine la scène comme un endroit qui permet la désappropriation, la dissolution.

(8)

Table des matlère8 Volet

critique du mémoire

Résumé Abstract

Table des matières Remerciements Exergue

LaJlgure

du.

c:hcuuonnfer : résurgence

dusujet. Annexe : texte des chansons analysées

3. Bibliographie

A. Le nord du nord

B. Tft-Nor

C. Ton père estparti

D. Jos Monferrand

p.u

p. Iv

p.v

p. vi p.vi1 p.1 p.38 p.48

Volet

création du mémoire

.arfe-la·putaÜl : drame en quatre actes Les personnages, parordred'apparition ActeI: «Lanaissance de Violette.

Acte

n :

cL'lnauguration du cabaret» Acte

m :

«La nudité de Violette. Acte IV :.cLanaissance de Marte.

p.52 p.53 p.55 p.86

p.

109 p.151

(9)

Je remercie Madame GUllan Lane-Mercler, directrice de mon

mémoire en création littéraire, pourraidequ'elle m'a apportée tout au

long

du travailet pourlaconfiance qu'elle m'a accordée.

(10)

Mals l'artetla poésie donneront toujours aux universaux «unehabitation locale etun

nom».

Le parttculier, l 'ITJflme

même, ils l'ont rendu inviolable.

(11)

'.

La figure du chansonnter québécois est née Il y a à peine un demi-siècle, stapproprtant une parole particulière, selon des modes particuliers. Ce qui a surtout retenu l'attention des critiques jusqu'ici. c'est la parole elle-même, qu'une fois analysée on essaie de situer et de rendre valide ou valable en fonction du chansonnier, de sa personne active et compromise au sein d'une société. Nous proposons un parcours en sens inverse, privilégiant les modes grâce auxquels la parole du chansonnier advient et intervient, et ne nous attardant aux chansons que pour rendre compte de la portée de ces modes sur l'interprétation des textes. Car les analyses précédentes nous auront permis de comprendre combien il est difflclle de sonder une chanson sans que n'agissent constamment le souvenir et l'image du chansonnier lui-même. Fusion regrettable diront plusieurs, qui fait stagner l'analyse dans une ambiance trop impressionniste, pas assez impitoyable, et qui ne parvient donc Jamais à délivrer l'oeuvre de la présence gênante de son inventeur. Mats nous ne voulons Justement pas ignorer cette présence : nous traiterons le chansonnier comme un auteur-sujet qui ne consent pas à mourir et même, qui revendique sur la parole qu'il crée et cWfuse une certaine autorité, un droit de regard encombrant. On comprend que lui et son oeuvre peuvent, du coup, ne participer que dans l'ombre aux activités de certaines tendances de la critique llttératre moderne, qui n'ontpas flnIleur long commentaire surlamort de l'auteur.

(12)

••

Néanmoins peut-on récupérer rapport d'une parole ainsi soumise à sa source? Reste-t-U à la chanson la possibilité d'être pertinente actuellement? Pour tenter de répondre «ouI» aux deux questions, nous analyserons la chanson en fonction de lafigure qui la prend en charge et ce, Jusqu'à ce que la présence du chansonnier provoque un ou plusieurs «malaises crtt1ques-, jusqu'à ce qu'elle permette de retrouver ce qui, de la parole ou du langage, fut abandonné ou négligé lorsqu'on a choisi d'envisager le texte en dehors du sujet qui l'a émis. Par «D1aJatses», nous entendons le rappel ou le retour de concepts et de préoccupations qui semblent avoir été masqués ou refoulés au profit d'une autre logique, d'un imaginaire soucieux de définir à tout prix ce quepourrait

êtrela modernité et, surtout, ce qu'elle ne pourrait pas être.

Nous souhaitons rassembler certaines «1mpresslon8», issues de divers concepts et charriéesparcUvers discours, qui contribuent, presque pêle-mêle, à renforcer cet imaginaire de la modernité: perte du centre, angoisse liée à cette perte, fragmentation et dissémination du sujet, tout ce matériel suffisamment ancré et intégré pour que chacun y trouve son confort et ses armes lorsqu'U s'agit de malmener ou d'abattre un peu mieux renvie têtue de croire encore à un sujet qui chemine vers sa pleine conscience, sa pleine réalisation et sa pleine parole. En fait, tout particulièrement pour les générations qui nous précèdent immédiatement, peut-être aura-t-U fallu «sauver» la modernité de ce qui occultait et compromettait la saisie totale de son imaginaire, marqué en tout point par l'etJritement du centre. Pour ce faire, Uimportait sans doute de reconnaître et de marginaliser la parole qui poursuivait des objectifs autres, voire adverses.

Mais à présent qu'U nous faut, à notre tour, nous approcher avec des mots de la façon dont nous avons reçu et vécu la modernité, et déterminer sI

(13)

....

3

nous serons capable d'élaborer à son propos une ou plusieurs définitions, de même qu'un ou plusieurs discours qui rendent bien compte de notre situation et de notre parole, U nous semble pertinent d'évoquer aussi ce que nous n'avons

pas reçu. La parole margtnal1sée par la modernité nous manque peut·être, assez pour que nous ne puissions pas rompre avec elle, sans préalablement avoir senti que nous nous l'étions réapproprtée. La manière dont un Jean Larose décrit la modernité nous sera donc très utile: tl en parle comme d'cune trad1t1on de rupture et de Uberté qui remonte à l'Antiquité1 -, et c'est Justement ce pouvoir de rupture que nous souhaitons récupérer. La présente réflexion sur la figure du chansonnier et sa chanson n'est qu'une première manière d'envisager ce travail de récupération, quant au souffie qu'U exige et aux tâches qu'U commande.

Mais il sera nécessaire de progresser IcI avec des ouWs plus précis que les simples impressions qui se dégagent de laplupart des discours, sérieux ou

pas,

cotés ou pas, dans lesquels on falt cas de la modernité. Et, entre les barèmes et les prises qu'offrent chacun de ces discours farouchement modernes, c'est à l'aune des propositions de Jacques Derrida. à l'aune de sa nomenclature, que nous tenterons de comprendre comment la chanson, toute imprégnée ou empêtrée de la présence de son auteur. réagit à l'angoisse de la perte du centre et du sens, à tout ce que suppose le sujet d1ssém1né tel qu'il a été conceptualisé

par le philosophe. Cependant l'apport du discours de Derrida à notre réflexion n'est pas rigoureusement d'ordre méthodolOgique : il sert surtout de prétexte pour qu'on puisse se demander si la chanson ne devrait pas être considérée comme l'une des zones où la modernité se révèle fraglle et/ou critiquable. Du phUosophe en fait. nous retiendrons essentiellement les concepts de fragmentation et de dissémination du sujet, en les soumettant à l'égide (ou l'épreuve) du centre disparu, dont le souvenir «plein» ne cesse d'tnteIVenJr au

m

1 JeanLAROSE, L'atnourdupauvre. 1992, p.47.

(14)

de ses ouvrages.

A

nous, le souvenir du centre dans l'écriture de Derrida permettra de visualiser les cl1e~où son discours n'agit plus et semble, contre toute sa logique, réclamer le concours de l'ancien sujet, celUI qu'on défln1ssalt à lamesure de son désir d'accès à la totallté et à la pleine conscience.

Puisque nous avons choisi d'aborder la chanson en fonction des modes qui permettent sa diffusion, et sans la libérer tout à fait, donc. de l'emprIse de son auteur-compositeur-interprète, nous l'étudierons comme un art de la scène, comme un art qui doit au «spectacle» la constitution de ses traits particuliers. Nous espérons d'une part présenterlascène comme un outil qui à la fois permet l'exploration des préoccupations et angoisses de la modernité, et à lafols demeure fidèle au principe età la fonctionnalité du symbole, ne cédant ainsi pas tout à l'arbitraire et à l'effritement sans fin de l'indiVidu. D'autre part, nous voulons montrer comment l'utilisation de la scène par le chansonnier rend spéctalement compte d'une Jot en l'homme, en sa parole et ses symboles. C'est d'ailleurs la vole par laquelle le sujet-chansonnter peut engendrer une certaine forme de malaise, car là encore, la chanson d'auteur aide à récupérer certains pans de la réflexion dont la modernité (ou une certaine modernité) a peut-être voulu faire le deuil, trop hâtivement. Par la suite, notre analyse des textes de quatre chansons de GUles Vigneault n'aura pas d'autre souci que de chercher à comprendre quel sort l'auteur réserve à cette même fol, à travers l'itinéraire de quatre sujets-personnages différents.

Car nous ne nous attarderons que surlaseule figure de Gilles Vigneault, qui constituera la pierre d'assise de notre démarche. En effet nous ne comptons pas, dans le cadre d'une étude aussi succincte, parvenir à une déflnit10n efficace de la chanson d'auteur-compositeur-tnterprète, qui nous permettrait de circonscrire clairement les l1m1tes d'un tel genre. ou d'une telle

(15)

5 catégorie de chansons. La figure de Gilles Vigneault, de même l'oeuvre chantée qu'U a produite. nous assureront donc de comprendre au moins en partie comment et jusqu'à quel point les relations qui les soudent rune à l'autre résistent au thème de la fragmentation. Tout en l'écIairant.

Ainsi, que l'on endisque ses chansons et que l'on publie ses paroles et sa musique, le chansonnier n'en demeure pas moins un artisan de la scène. au même titre que le comédien, le conteur ou le clown. Son métier le dévoue au spectacle, et son oeuvre s'étaye au fil des contacts établis avec différents publics. GUles Vigneault, et 11 n'est pas le seul. a souvent insisté sur la nécessité de tester les nouvelles chansons - leurs nouveaux personnages, leurs nouvelles histoires - auprès du public. avant de procéder à leur enregistrement en studio. Il faJsa1t aJnst remarquer:

Une belle chanson doitêtreInterprétée sur scène pendant au moins un an avant d'être gravée sur disque. 11 faut la laisser s'lnftltrer dans l"oreille du pubUc qui finit

généralement les chansons commencées par nous: c'est lui qui les mocU6e2 .

rendant compte d'une oeuvre dont le développement est particulièrement lié aux attentes du récepteur. Pour Vigneault, il faut accepter à la fois le jeu et la responsabllité de ces attentes.

La scène peut donc servir de socle pour commenter cette présence constante et nécessaire du chansonnier autour de ses chansons, tant lors de leur création U va de soi. que de leur dltfusion. La figure du chansonnier, que le spectacle rend «Visible» en l'exhibant, se trouve ainsi soudée à l'oeuvre dans l'esprit du spectateur. La critique littéraire moderne semble au premier abord

(16)

glisser autour de l'art du chansonnier sans parvenir à l'atteindre, à le modtfter un peu. 51ce n'est qu'à force de prendre de l'ampleur, le langage ou le discours commentant la mort de l'auteur est parvenu à marginaliser toute pratique n'ayant pas encore consenti à renier l'envte d'une parole dont on reconnaît et dont on peutaimer la source.

Mats la scène ne peut pas être uniquement envisagée comme l'instance sur laquelle se fondent les Uens qui unissent la figure du chansonnier à son oeuvre. Certes, elle accroît la portée de toute présence qui l'affronte et qui s'en sert: le corps du chansonnier ou du comédien acquiert pour le public une dimension double, à la fois réelle et symbol1que. Tous les arts de lascène créent ainsi à partir de la juxtaposition des espaces symbolique et réel. des temps symboUque et réel. Tous, Us n'existent que dans la mesure où les spectateurs accordent à l'artisan suffisamment de crédit pour proférer une parole ou pour proposer un mouvement en laquelle ou lequel Us croiront. Cependant, si les

jeux de la condensation du réel et du symbolique peuvent servir à rendre manifeste l'acte qui consiste à prendre la parole et à la partager, Us peuvent ausst devenir les témoins d'une Identité qui se fragmente, les témoins ou les porteurs d'une parole dont l'auteur est absent. Le théâtre ainsi, a sans doute compris depuis sa naissance en Grèce à quel point l'auteur, d'une certaine manière. a toujours été mort. à quel pointla présence d'un comédien en scène. magn1flée, est une présence d'autant plus efficace qu'elle est prête à selVir une lnflnité de rOles, prêteà devenir le réceptacle de toutes les identités du monde.

Le théâtre se laisse d'ailleurs communément déftn1r comme la pratique qui concrétise l'envte tenace en tout un chacun d'être infini. et d'être constamment autreque sol-même. Image paradoxale du comédien donc: I1bre, sur scène, d'être qui Uveut, libre de s'y transformer à sa guise, tandis qu'en

(17)

même temps

n

incarne l'éphémérité de toutes ces Identités ainsi que l'illusion sur laquelle elles reposent. La liberté d'être plusieurs et l'angoisse de neJamais pouvoir former une unité qui soit satisfaisante et qui dure, 1llustrent une manière d'être ou encore une fonne d'équilibre particulièrement précaire: cet état, qui semble avoir depuis toujours caractérisé le métier d'acteur, peut-être actuellement représente-t-U ausst, d'une manière générale, l'état du sujet en face des défis que propose lamodernité.

La figure de l'acteur qui, à cause de la scène, s'apparente à celle du chansonnier, rend compte dUJeu, c'est-à-dire d'un mouvement Ul1m1té auquel on consent jusqu'àla mort: il n'y a pas de «port»ou d'«ancre» au théâtre, autre que les applaudissements des spectateurs et le saIut des acteurs par lesquels on dissout jusqu'au spectacle suivantlaJuxtaposition du réel et du symbolique. Le jeu se poursuivra plus tard. Quelque chose au coeur de ce mouvement du théâtre fatt penser à la proposition de Jean Larose, qui parle aussi de la modernité comme d'cune ère indéfinie, peut-être infinie, de passage3». Mieux

que la figure du poète maudit à notre avis, sur laquelle on

a

tant insisté déjà, celle du comédien palVient à illustrer laconscience d'un mouvement sans fin et la précarité caractéristique de celui qui a choisi de se maintenir toujours en état de passage.

Le poète maudit véhicule plutôt l'Idée d'un monde qui ne sait plus comment reconnaltre «l'essentiel» au milieu duquel lui, l'ostracisé, l'incompris, la Victime, est parvenu à garder contact avec ce qui dure éternellement. Le comédien, à la dUférence de l'autre, ne se présente pas au monde comme une vlct1me : le jeu auquel

a

se soumet (et qui le singularise, certes) n'Implique pas qu'll entretienne renvie de se couper du reste du monde. Le comédien serait-a donc en mesure d'éradiquer le désespoir avec lequel est aux prises le poète 3 JeanLAROSELamourdu pauvr«1992.p. 142.

(18)

maudit? Peut-être accepte·t-U plutôt la succession sans fin ou même la simultanéité de l'espoir et du désespoir. Car on ne peut pas parler de la figure du comédien comme d'une qui soit unUatéralement espérante. La question nous intéresse, d'une part parce qu'aucun acteur, aucun artisan de la scène dans la réalité et en dehors de toute conception théorique, n'abordera son métier sans engager sa conception de l'espoir et du désespoir. Gilles Vigneault ne fera pas exception à la règle. D'autre part, comme nous souhaitons étoffer ce l1en que nous pressentons entre certains traits de la modernité et ce que représente la figure de l'artisan de la scène, il importe de saisir aussi, même si c'est encore d'une manIère grossière, comment les théoriciens et les philosophes de la modernité, à l'opposé de lapratique, intègrent eux aussi à leur propos ces pôles de l'espoir et du désespoir.

La posslbl11té d'être plusieurs, de n'être jamais fixé, définissable, est une liberté dont le prix consiste à accepter de ne plus posséder aucun ancrage, aucun repère qUI stabiliserait le Jeu : le sujet-comédien court probablement le risque de cette liberté. Mais U se peut fort bien aussi qu'U ne parvienne pas toujours à maintenir l'équilibre précaire de son Jeu, entre liberté et dissémination. L'ère de passage, où les repères s'éloignent, peut devenir trop blessante et compromettante.

A

ce titre, parcette menace de chute ou de perte, le comédien est une figure proche du commun des mortels, à la dltrérence du théoricien peut-être, qui ne peut écrire qu'en prenant un certain recul sur le monde. L'artisan de lascène quantà lui est caractérisé par la distance qu'Il ne prend

pas,

temps réel et symboUque étant condensés, confondus pour ladurée du spectacle.

Derrida. pour sapart, a souvent cherchéà cerner l'état de celui qui essaie de perdre «le centre». fi tâche donc de déconstruire au

m

de son oeuvre renvie

(19)

tenace qui pousse à croire que le nom d'une chose conviendrait, par essence, 9à cette chose. L'intuition d'un Adam, qui avalt parcouru le paradis terrestre en

bapttsant,

a contribué à crtstalliser notre envie d'avoir foi en la «vérttb d'une telle intuition. Mals le principe de l'arbitraire du signe énoncé par Saussure, qui aurait dû déconstruire, voire lnvallder le mythe adamique, n'est pas parvenu, selon Derrida, à «réformer» complètement la pensée. Le concept du signe doit doncà son tour être réformé, traversé :

À partirdu moment (...1où l'on met en questionlapossibilité d'un [... ]

signJfié transcendental et où l'on reconnait que tout signifté est aussi en position de slgnttlant. la d1st1nctton entre stgnltlé et slgntflant - le signe - deVient

problématiqueàsa raclne4.

Cette remise en cause de l'opératlonnalité du signe saussurten commande au philosophe une nouvelle définition du sujet, un sujet qui «Vivrait» de la réelle inexistence d'un signifié transcendantal, et qui ne serait donc plus dtrtgé par ou vers aucun centre, aucune référence pleine qui trancenderatt sa propre condition:

LeJeu est ladisruption de la présence. (...1LeJeu est toujoursjeu d'absence et de présence. maissi l'on veut le penser rad1calement. Il faut le penser avant

l'alternative delaprésence et de rabsence;ilfaut penser l'être comme présence ou absenceà partirde lapossibilité du jeu et non rInverse5.

Mats malgré cette «lnventlOD» d'un sujet déterminé par le jeu et qui, dans l'absolu, s'y vouerait volontairement, Derrida ne croit pas qu'un jour l'homme soit capable de proscrire de son imaginaire l'envie

et

le regret d'une référence stable, d'une autorité qui aille de sol. Cependant, puisqu'une telle absence de vérité ou de stabilité a été ressentie par les hommes, puisqu'on a bel et bien

créé à partir de la posslbUité d'un tel néant, ou d'un tel chaos, fi Importe de comprendre ce que rabsence d·un centre ou d'un slgnlfté transcendental impllque dans toutes les formes de rapports au monde : la modernité devient alors lamesure de ces nouveaux rapports.

• 4 JacquesDERRIDA.Positions. 1972,p.SO.

(20)

L'angoisse générée par la possibilité d'un centre qui se dissout est probablement à la base de toute cette envteféroce de devancer le règne de l'absurde, en proposant et en pensant celui de l'arbitraire. Derrtda écrit:

Il n'y aurapasde nom unique, fût-U le nom de l'être. Et U faut lepenser sans

rwstalgte.c'est-à-dire hors du mythe delalangue purement maternelleou

purement paternelle, delapatrie perdue de la pensée. Il faut au contrairel'qlJlrmer. au sens où Nietzsche met l'afBrmation en jeu, dans un certainrireetdans un certainpasde la danseS .

Les mots, comme tels, semblent imaginer et vouloir un état qui se situe «par delà» la question de l'espoir. L'afIlrmatlon nietzschéenne est offerte comme une tentation pour couper court à un certain désespoir, qui menacerait d'anéantir le mouvement succédant au règne du nom unique.

A

notre avis, il est donc encore (toujours) question d'espoir et de désespoir. Et si cette question-là participe à l'imaginaire ou au mythe du centre, elle est bien aussi celle qui ne pourra pas être dépassée, et dont la modernité aura toujours à tenir compte.

Là où l'artisan de la scène va plus loin que le théoricien donc (ou va moins loin, tout dépendant de ce que l'on croit être l'avenir de la modernité), c'est en n'estimant jamais possible de vivre et d'exprimer la fragmentation sans qu'U soit avant tout question d'espoir et de désespoir. Le comédien qui se dit

heureuxde vivre les jeux d'une Identité plurielle et éphémère parle d'espoirà ses dépens. Et s'U se perd dans un métier où, très concrètement, rien ne se fixe jamais, U éprouvera le désespoir à ses dépens. Le discours dtun Derrida chercheratt-t-U à perdre ou à abandonner demère lui la charge émotive liée à un sujet qui risque l'éparpillement? Serait-ce là où le propos du philosophe diffère de celui proposé par les artisans de la scène? Ceux-ci deviendraient alors les témoins d'une Umtte à ce vers quoi se destine un certain programme dela modernité.

(21)

Certes, le théâtre moderne - farouchement moderne, devrtons..nous dire, et qui s'oppose au théâtre dit «bourgeois» - s'est efforcé de faire exploser le cadre de toutes ses unités constitutives: les unités de temps, de lieu et d'action ont entâmé et poursulV11eur effritement tout au long du XIXe siècle, tandis que le personnage IUi..même, coeur du théâtre, symbole de l'homme, est entré progressivement en criSe à son tour, Jusqu'à éclater de mieuxen

mieux,

surtout à partir de la Seconde Guerre mond1ale. La dramaturgie aussi s'est modifiée, ne cherchant plus avant toute chose à sonder et à magnifier l'individu. Cette crise a permis aux théoriciens du théâtre de faire ressortir ce qu'Us pressentaient être depuis toujours rune des spécificités du texte théâtral,

spécificité qui fut temporairement recouverte par l'Idéologie bourgeoise, et qu'Anne Ubersfeld, dans son ouvrage Lire le théâtre, formule ainsi:

Donc. au départ. il n'ya pasdans le texte de théâtre une volx privilégiée qui serait celle de rldéologle dominante: le théâtre estparnature décentré. confllctuel.à la llmite contestataire7.

On cro1ra1t entendre Bakhtine lorsqu'il «découvre. la polyphonie dans récriture de Dostoïevski et qu'il l'oppose au monologisme agissant en creux dans celle de Tolstoï. Ou Brecht, quand il dénonce une dramaturgie essentiellement introspective. On cro1ra1t entendre, en fait, tout le mouvement qui dénonce le mythe selon lequel un individu peut, à lui seul, s'approprier la parole, l'individualiser et la conscientiser pleinement.

La crise d'éclatement du théâtre, qui continue actuellement à modiftersa pratique, semble ainsi servir une modernité férocement acharnée à nuire au culte de l'individu. On se retrouve avec un paradigme d'analyse où la fragmentation est renvoyée à la modernité. tandis que tout ce qui tend à l'unification ou à la réuniftcatlon apparaît sous un Jour passéiste : la chanson d'auteur, artscénique. sauratt..eUe en conctlier les deux extrêmes? Nous avons • souhaité ce détour par le théâtre d'abord parce qu'U n'existe pas de langage

(22)

critique spécifiquement adapté à l'utilisation de la scène par le chansonnier, mals aussi parce que la scèneà nos yeux est un lieu qui suppose d'emblée dela partde son artisan une disposition pour la modernité, en autant que celle-ci ne cède pas tout à l'arbitraire ni ne fasse abstraction des envtes d'espoir et de désespoir qui continuent de rendre l'art possible: ces deux restrictions sont en mesure d'lmposer certaines l1mites au potentiel «1ll1m1tb du sujet derrtdien, dtssémtnable à l'infini.

Il Y a peut-être deux manières de concevoir ce qu'est l'arbitraire. Soit cette notion possède la force de nier toute causalité, et alors non seulement le nom ne renvoie plus exclusivement à la chose qu'U désigne, mais une telle négation du référent suppose que l'on doive détruire nos espoirs d'un référent, d'une source ou d'une angine : l'arbitraire, dans ce premier cas, est un concept qui commande la rupture absolue avec tout ce qui a précédé, et son «avènement» ne peut pas être interprété comme la sutte (normale, causale), d'une évolution.

Et cependant, s'il n'était malgré tout que l'étape d'une évolution (ou d'une dégradation), « l'arbitraire ne serait ainsi, comme le suggère aussi Nietzsche, qu'un degré d'usure du symbolique8 ., écrit Derrida. Sans doute l'ensemble de son propre discours essaie-t-U de sonder les Impl1catlons de la première façon d'envisager l'arbitraire, mals la seconde convient mieuxà notre propos. En introduisant le concept d'usure, on réintroduit celut d'évolution, et le symbolique n'est plus tenu de s'anéantir au profit de l'arbitraire.

Et s'il est une chose, sur scène, qu'on ne peut anéantir, c'est le symbole, la valeur accordée au symbole. La modernité du théâtre, ou des arts de la scène en général, en est une qui permet l'exploration des champs de la

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t

fragmentation, ou de la multtpllcité des volx, mais qui maintient le principe ou la fonctionnalité du symbole. Le corps de l'acteur ou du chansonnier qui évolue sur scène n'est pas un élément «arbitrairE> : toujours Urenvoie à l'image ou à l'impression d'un homme évoluant dans le réel. Ce symbole irréductible, qui peut généreusement s'offrir à l'expérimentation de la fragmentation et à l'angoisse qui en découle. fonctionne néanmoins comme une des l1m1tes du concept de l'arbitraire. Même Ubersfeld, prompte à dénoncer un théâtre bourgeois au service de la seule grandeur ou valeur de l'individu, refuse d'abandonner les notions de personnage, de référent et de mtmésts :

n

n'est pas possible, dans le domaine du théâtre,d'échapper totalementà une mtmésts

quivientdéjàdu faItque laréalitécorporelle de racteur (comédien) est le mlmedu

personnage-texte9.

Le symbole, en fatt, borne la modernité. Comme il ne peut être anéanti (sur scène du moins), force est de lui reconnaître encore et malgré tout une certaine portée. même l1m1tée. lorsqu'on essaie de saisir quels sont les enjeux d'une pensée moderne. VolIà pourquoi, en bout de ligne et dans une certaine mesure, on peut associer les figures du comédien et du chansonnier : même si on admet que la première rtsque la dissolution bien plus et bien mieux que la seconde, l'une et l'autre. capables d'être les témoins d'une Infinité de volx, ne renonceront Jamais à la valeur du référent, du symbole. dont elles sont les exemples les plus tangibles. 51 le symbole mourait vraiment. on perdrait leurs deux figures.

Cependant que sont

rune

vis-à-vis l'autre les figures du chansonnier et du comédien? Nous dlrtons brièvement que la premièreprépare lavenue de la suivante, son utllisation de la scène rappeUant sans cesse le rituel auquel procède un conteur pour capter l'attention de son auditoire et

ensutte

l'entraîner dans une histoire inventée. La chanson, lorsque son auteur

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l'Interprète en scène, revêt des allures plus frustres, plus prtmit1ves que le théâtre. Le comédien apparaît comme une figure davantageachevée etlibre, qui n'a pas sans cesse à Interrompre le temps symbolique pour le commenter en faisant intervenir le

«Je»

de sa propre personne. Tout au contraire, le chansonnier est soum1s à un rituel où les chansons sont entrecoupées de réftex1ons, d'échanges avec le pubUc. Évtdemment, on pourrait faire remarquer que l'un des traits du théâtre dit moderne a été de réintroduire et de faire ressortir l'aspect cérémonial du théâtre, et donc aussi les traits qui relèvent de

rart

du conteur. Delasorte, le public était amenéà consclentiser les processus qui rendent possible 1'111uslon du théâtre : c'était la distanciation, dont Brecht a été le principal Instigateur et qui constltue aujourd'hui l'un des arçons privilégiés de la création et de la mise en scène. La manière dont le chansonnier uti11se la scène participe au moins un peu à cet élan moderne qui cherche à rendre compte des mécanismes permettant à la parole non seulement de cfonctlonneDt, mats aussi d'être

partagée.

Ou plutôt, le fait d'avoir parlé de distanciation permet de revoir plus «activement» ou moins «négativement» ce qui se passe sur scène quand un chansonniers'y produit.

Toutefois, à la cWférence de l'acteur, le chansonnier constitue une figure foncièrement rassurante. Et c'est ce trait qui sans doute l'éloigne le plus sûrement de ce que prétend être la modernité. Le rituel du conteur, repris par le chansonnier et qui caractértse sa façon d'ut1l1ser la scène, s'il rappelle un peu le processus de distanciation brechtienne, est avant tout une pratique qui réconforte le public assez pour qu'U ne se «perde» jamais trop longtemps. Le chansonnier, et très particulièrement Vigneault, se désigne sanscesse lui-même comme runique foyer de la parole qu'Il Invente et diffuse, comme celui qui est responsable d'une telle parole et s'engage à la partager. La chanson d'auteur, du coup, acquiert une dimension éthique que Vigneault, en tout cas, accepte :

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t

15

Divertere : nous sommes làplOCdivertir, pour «détourner les gens de leurs occupations, de leur réel.» Ce n'estpasdu tout poétique, ça.dtvertlr. 51mol Je ne suls qu'un

divertissement, je veux mourir aujourd'hui même,àla seconde. SI je ne suls queça.je n'alpasle goût d'exister dans mon métier, plus goût d'exister tout court. n'étant qu'un divertissement. Cela ne mesufBt pas. Avertir me plaît mieux 10 •

Sa chanson est investie d'un rôle. et lui-même en tant qu'auteur-Interprète joue le jeu de servtr deguide, de phare, pour une foule de gens venue l'entendre: Une seule chose est certaine: lorsqu'on volt une petite lumière, U faut Vite cUre qu'on en volt une grosse. Et lorsqu'on n'en volt aucune, vite dire qu'on en volt une petite. Leseul fait de dire qu'on voit deslumièresen fait trembloter au loin 11 .

Pour Vigneault. le métier qu'il a chois! sert à entretenir la fol des hommes. à croire à la nécessité d'une telle fol en dépit de tout, et lachanson se révèle être un bon outil pour accomplir cette tâche.

Force est même de défln1r ce genre en faisant intervenir le rôle, lamission que lui attribue son créateur: pour Vigneault, la chanson est moins une fin en sol qu'un moyen qUi permet aux gens d'accéder à la communication, au contact. Elle possède, à son avis, cun côté solutlonnatre12 » qu'on ne sauratt,

par exemple, attribuer à la poésie. L'une réconforte et résout, tandis que l'autre compromet et livre l'accès au doute, à l'épreuve de la solitude. Et c'est le chansonnier. le maître de cérémonie. qui crée sur scène un espace où la parole a valeur de don, et quille son nom. sa personne, à la parole qu'ft prend. Le sujet est alors déftni en tant que présence pleine, et non pas comme une entité où la présence serait fragmentée par l'absence. Depuis (et un peu avant) que Jakobson n'élabore son célèbre schéma, le sens du mot «communication» s'estmis à dériver. jusqu'au moment où avec une certaine stupeur on acceptait qu'U fonctionne sans que n'Intervienne plus aucun sujetréel. Ladéftnttion que Vigneault (re)donne au même mot Impose à l'homme d'êtreprésent quand U

10 François-Régis BARBRY. Passerl'hiver. Frant;ois-RégisBarbtyinterrogeGilles Vigneault. 1978. p. 110.

11 Marc GAGNÉ ProposdeGilles Vigneault 1974,p. 16-17.

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prend la parole :

Lacommunication n'est pas établieà partirdu moment où les mots sont prononcés et

saisis. malsà partirde nnstant où le vouloir-communiquer est établll3 •

Du coup, où, dans l'espace scénique du chansonnier et dans sa propre figure. chercher un véritable accent moderne?

Vis-à-viS une modernité cpure et dure», s'U faut entendre une pensée qui cherche à faire reconnaître comme seule pertinente et lucide la valeur de l'arbitraire, la scène agit à double titre. D'une part la volx de ses artisans rappelle qu'Us ont toujours été à l'écoute de la plurtvoca11té, à l'écoute d'une mouvance qui ne s'arrête pas. Eux-mêmes sont généralement perçus comme d'éternels saltimbanques, des gens éphémères, en voyage, épris de ce qui ne dure pas. D'autre part, Us sont aussi les me1l1eurs garcl1ens de ce qui risque de durer toujours (tant qu'U y aura du théâtre du moins), c'est-à-dire l'homme, qu'aucun Jeu ou mouvement ne pourra jamaistraverser. La chanson d'auteur quant à elle, rappelle de surcroît la responsabllIté qui incombe à celui qui accepte d'échanger sa parole, et qui donc lui accorde une certaine valeur, une certaine portée. La chanson n'est pas bêtement qu'un clieu. où peuvent se rassembler ceux qui préfèrent ne pas entendre parler de modernité : eUe est surtout une l1m1te à une certaine conception de la modernité, entre autres parce que le chansonnier, en montant sur scène, force un peu et à sa manière

(à son rythme) le discours moderne à réactiver et à interroger sans cesse la fonctionnalité et la fécondité du symbole.

Le d1scours d'un Derrida n'est pas séduisant ou convainquant en raison du fait qu'U démontre bien l'efficacité d'un concept comme l'arbitraire. et qu'U déconstruit encore mieux les schèmes et les mécanismes d'une pensée encore soumise à sa vieUle cenVie. d'atteindre ce qu'U nomme un «signifié

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17 transcendantal14 ». Il l'est plutôt parce qu'U reconnaît les llmites d'une telle

• entreprise de déconstructlon, et que le concept dedUTérance par exemple, forgé pour éprouver et pour réaliser le mouvement ou l'tntelValle Inhérent à toutes les différences constituées, n'enrayera probablement Jamais la nécessité qui contraint l'homme à fixer toute chose. afin de l'observer un tant soit peu et avec un minimum de recul. Derrida interroge la modernité comme un objet irréalisable qui, en sol. n'a pu être souhaité, conçu, qu'en fonction du «centre» auquel on veut échapper, lorsqu'on comprend (avec effroI) que lui-même n'a probablement jamais «eXIsté».

Le philosophe construit donc son discours comme un instrument qui à la fols détruira les schèmes de pensée relatifs à la présence de ce signifié transcendantal, età la fols permettra de bien faire voir ces schèmes. Ily a donc place à une certaine solldarlté pour tout ce qui, en l'homme, ne parvient pas à se débarrasser - Intellectuellement, esthétiquement et atIectivement - du ceentre». de ce qui est stable et «véritablE>.

A

notre aVis. la nature d'un tel conflit est émtnemment affective, et c'est cette dimension que la chanson d'auteur met en lumière. même si elle le fait un peu naïvement. Ce qui séduit et qui pose problème dans le discours de Derrida, c'est le moment où toute cette «organisation conceptuelle en mouvement> hésite quant à l'attitude qu'Il convient d'adopter en face d'un centre faux, inexistant, et malgré tout aimé. malgré tout capable de (relgénérer au coeur de l'homme une envie d'espoir.

DansL'écritureetla dUférence, Derrida qui ne croit pas «qu'on puisse un Jour échapper simplement à la métaphyslque15 ., adopte une position où

n

n'estime pas pertinent de choisir la déconstructlon au détriment d'une nostaIgte où peut encore

agir

le souvenir du centre.

n

écrit:

• 14 Voir Jacques DERRIDA, entre autres Positions, 197ap.30et41.

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ny

a donc deux interprétations de l'Interprétation, de la structure, du signe et du jeu. L'une chercheàdéchltrrer, rêve de déch1ffrer une véritéou une ortglne échappant au Jeu età l'ordre du sJgne, et vit comme un exil la nécessité de l'Interprétation. L'autre, qui

o'est plus tournée vers l'origine. aftlnne le Jeu et tente de passer au-delà de l'homme et de l'humanJsme,le nom de l'homme étant le nom de cet êtrequil••• 1arêvéla présence pleine, le fondement rassurant. l'origtneet la fin du jeu. [...1Je ne croJs pas pour mapart

bien quecesdeux Interprétations doivent accuserleurdifférence et aiguiser leur

irréduct1bWté. qu'n y ait aujourd'huià choisir. D'abord parce que noussommeslàdans une régIon - disons encore. provisoirement, de l'historicité -oùlacatégorte du choiX parait bien légère. Ensuiteparcequ'U fautessayer d'abord depenser le sol commun. et ladUTérance de cette différence Irréductible. Et qu'U y a làun type de question. disons encore hJstodque, dont nous ne faisons aujourd'hui qu'entrevOIr laconception.la

formation. lagestatIOn. letmvall. Et jedJsces mots les yeux tournés. certes, vers les opérations de l'enfantement: mals aussI vers ceux qui, dans une socIété dont Je ne m'exclus pas, les détournent devant l'encore mnomable qui s'annonce et qui ne peut le faire. comme c'est nécessaire chaque fols qu'une naIssance estàl'oeuvre, que sous l'espèce de la non-espèce, sous la forme Informe. muette, Infante et terrifiante dela

monstru081tél6 •

C'est ce passage qui nous a amené à penser que toute notre réOex1on amorcée était absolument inutile. La chanson d'auteur s'annexe à la première des «deux interprétations de l'interprétatloo» et, oui, bonnement, eUe «rêve de déchiffrer une vérité [... ) échappant au Jeu et à l'ordre du signo., et non, radicalement, elle ne tente pas «de passer au-delà de l'homme et de l'humanisme» : plus la peine, donc, de rien vouloir en dire. EUe a bel et bien été réglée par un discours quI permet de voir clairement làoù elle n'ose pas s'engager, un qui constitue (déjà) le nouvel espace où pourront s'exercer le regard et le pouvoir de celui qui ne sera même plus un homme.

Comment, dans ces conditions, envisagerà long terme une modernité qui pourrait accepter tndéftntment le compromis que lui Impose la nostalgie du nom unique? Matslalecture de Derrtda, spécialementL'écriture et la différence,

permet de comprendre combien la nostalgie est nécessaire au philosophe à travers le combat qu'U lui livre, combien elle est donc un instrument précieux dans l'élaboration de toute sa réftex1on.

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19 Nous avons suggéré plus haut que l'opposition entre l'espoir et le désespoir devraitêtre perçue commelaseule en mesure de résister toujours aux jeux de la clifférance. Fort probablement, ces deux pôles n'appartiennent pas au même ordre que ceuxà partirdesquels on a pensé et bât1I'Occldent. Derrida les rappelait dans Positions : U s'agissait entre autres des distinctions entre le sensible et l'intelligible, la nature et la culture, le slgnLftant et le signifié, toutes nourrissant l'envie que le jeu cesse enfin, et que l'exil duquel participe la parole toute entière trouve sa résolutionl7 . Mals à quel point faisons-nous fausse route en nous acharnant à souhaiter une frontière. une llmite au royaume du jeu? S'Il faut entendre que notre démarche nous cantonne dans le premier«campétayé parDerrida, nous pouvons enrevancheessayer de voir si le désespoir ne peut pas éclairer la distInction qui semble si insurmontable au ph1losophe.

Car ce dont Derrida n'est peut-être pas parvenu à dél1vrer les jeux de la dlfférance tels qu'U les présente, c'est du désespoir lui-même, spectre trop effrayant pour que son contraire (l'espoir, à jamais non-dlfférablel n'aille pas éclairer le camp de l'humanisme. Comme si la seconde interprétation de l'Interprétation - beaucoup plus moderne - étaità ce point stérile d'espoir que l'autre, son adversaire, sedevait d'être nostalgique, se devait de faire une place de choix à la nostalgie. Et à l'espoir. Le seul Intervalle qui puisse un jour se forger entre les deux camps qu'lmaglne Derrida s'anéantira peut-être, en raison du processus d'effritement quasi pur et et simple du second, quand on comprendra qu'un tel camp n'était mu que par le seul désir d'échapper au désespoir. Quand on sera à même de Jauger le poids - monstrueux - de notre désespoir cmodeme..

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Ce couple étrange de l'espoir et du désespoir se distingue de toutes les autres dtfférences constituées parce qu'il est le seul qui dépende presque entièrement d'un effort de la volonté. 11y a là un paradoxe qui mérite d'être au moins soulevé. Pour pénétrer l'univers de Nietzsche et de ses successeurs, cette clef de la volonté est pour le motos essentielle. Nietzsche est un auteur qui

veut

énormément, Intransitivement. Et la lecture de ses plus fervents disciples révèle à quel point, tous, Us souhaitent vouloir autant que leur maitre. Vouloir... et se hisser dans un lieu où la seule différence qui dépende de la volonté aura enfin cessé d'agir. Ce lieu-là n'existe probablement pas, mais son anticipation dans toute l'oeuvre de Derrtda marque magnIfiquement la bataille de la volonté contre ce qui forge la volonté, c'est-à-cUre, peut-être, ce passage fluctuant (plus que tout autre fluctuant parce qu'1rraisonnable) entre l'espoir et le désespoir, ce passage-là qui n'ajamats cessé de parler de l'Homme.

L'oeuvre de Vigneault n'engage pas une telle bataille ni ne soulève un paradoxe aussi douloureux. En revanche l'auteur, même s'U a chOISi de ne pas abandonner la foi, interroge lui aussi l'endroit où ça chavire en l'homme, entre l'espoir et le désespoir. Et si, avec une rare tendresse, U parle de la nostalgie comme un refuge de l'espoir, il parle aussi de la mémoire. comme une sorte de nostalgie tout à coup active et responsable. En fait Vigneault. à la différence de Derrida. ne semble pas redouter la nostalgie, et c'est sans peine qu'U en accepte les allures tantôt passives, tantôt actives. Fernand Dumont écrivait : .gue chantait donc Vigneault, sinon un monde dlsparu?-, en ajoutant: .guel sens pouvait revêtir pour nous ce recours à un monde qui n'est plus le nOtre18 Cette dernière question nous paraît léguée en guise d'héritage, à

nous qui, à la d1JJérence de Dumont et de Vigneault, n'avons seulement pas connu l'ancien monde auquel Us font allusion et qui. à la différence de la génération qui nous précède. ne nous émerveillons plus de la disparition de

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21 quoi que ce soit, tout étant «plus ou moins toujours déjà» en train de disparaître depuis notre arrivée. Au point où notre pouvoir de rupture à nous, notre modernité, pourrait consister à vouloir réintroduire un minimum de continuité, à vouloir réactiver ou interroger à nouveau la valeur du continu. Avec les pièges qu'une telle réactivation suppose.

Dans le même passage, au début de Raisons communes, Dumont demandait encore : «parviendrons-nous à démêler la nostalgie d'avec la mémoire?- SI la position de Derrida nous retient encore, et avec elle la part réselVée à la nostalgie, c'est parce qu'elle rend bien compte, selon nous, des d1fflcultés qu'U y a à tenter cette séparation dont parle Dumont. Derrida considère comme un leurre l'expérience qui amène un sujet à se reconnaître pleinement à travers la parole qu'U prend. Selon lui, l'expérience de la parole ne peut pas reconduire à la notion de pleine conscience, et le sujet, nous le savons, est constamment redéfini par le Jeu de l'absence et de la présence auquel il est livré. Tout l'art de Vigneault témoigne du contraire: dans sa manière de stexposer en scène avec la parole qu'il crée et cWfuse, comme dans ses textes, le chansonnier chercheà s'opposer au désarroi généralisé qui court-circuite la communIcation, et qui ne permet plus une véritable légitimation de l'expérience de laconscience.

Mais que croyons-nous? Que l'intervention d'une figure comme celle de Vigneaultsoit dans leJuste, et qu'un propos comme celui de Derridasoit dansle

JauX?

gue la figure du chansonnier soit bienfaisante, et celle du philosophe mauvaise? Nous exagérons, mais Justement pour ampl1fler et préciserlanature du malaise où nous reconduit le recoupement de deux figures, deux conceptions du sujet si éloignées l'une de l'autre. L'artdu chansonnier, comme toutes les autres formes d'art, est basé sur l'illusion. Le Gilles Vigneault que

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l'on voit en scène ne peut pas être complètement assimilé par le Vigneault privé que nous ne connaissons pas. Mals U est vrai que la figure du chansonnier semble nous faire croire à sa «réalité» à un point tel que la dimension symbolique du spectacle devient presque secondaire, accessoire. Comme si elle était ass1m1lée parlaprésence (trop) réelle du chansonnier, provoquant du coup un malatse. Le chansonnier souhaiteraU..U convaincre le récepteur de sa propre «sincérité artlstlque.? Comme silavaleur de son oeuvre écrite devait se mesurerà l'aune de cette «s1ncérité-, de cette ressemblance entre les sujets réel et symbolique.

Il faudrait éduquer chacun des récepteurs de Vigneault en leur faisant bien comprendre que «l'amour- qu'Us lui portent n'est dû, en falt, qu'à son oeuvre, et qu'il conviendrait de reporter sur celle-ci ce qu'une confusion entretenue entre les zones réelle et symbolique avait dévolu à l'artiste. Projet aussi insensé que celui qui consiste à vouloir nier le concours d'une notion aussi embarrassante que lasincérité, qui pourtant inteIVient à chaquefots que

nous tentons de nous situer en face d'une oeuvre qui nous touche. À la différence de laphilosophie, l'art ne peut pas échapper à la nécessité de plaIre, desaisirle coeur de l'homme : lequel ou laquelle est pluslibre que l'autre alors? Nous ne dirons pas du discours de Vigneault qu'à lui seul il a la force de borner, de llmiter celui de Derrida. Mats la figure du chansonnier, parce qu'en scène elle exhibe et rend manifeste cette envie d'une fusion entre le réel et le symbolique. et que, ce faisant. elle rétntrontse une expression embarrassante comme la «s1ncérttb, nous reconduit à l'expérience même de la réception de l'art : en partie cheminement vers la certitude qu'd n'est pas de notre ressort d'abolir toutes les formes de distances (entre autres celle qui sépare les zones réelle et symbolique) et en parUe envie déraisonnable de croire à leur abolition ou résolution. Curieuse impression, en fait. d'avoir à la fois retrouvé la

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totalité et à la fols entrevu le chemin qui y mène, d'avoir momentanément vaincu toute forme d'exil et éprouvé la d1stance qui nous sépare de la terre promise.

Cependant que reste-t-ll de l'analyse du texte des chansons, quand on a d'abord Insisté sur le lien qui rapportait la parole à celui qui l'avait créée et qui se chargeait de la diffuser? Quand tout l'art d'un chansonnier comme Vigneault consiste, d'une certaine manière, à «1llontrer»à quel point l'acte de la prise de parole est tout à la fois bienfaisant et exigeant, susceptible d'amener un sujet à désirer un véritable contact avec l'Autre? Alors qu'au théâtre la crédibilité du sujet-actant tient d'ordinaire à son potentiel de transformation, à son talent pour nous faire croire à un autre sujet que lUi-même, dans l'art du chansonnier elle émane presque du contraire : l'auteur-interprète doit sans arrêt confirmer sa «présence.. Ainsi, sans avoir envie de faire d1re aux textes qu'Us renvoient en bonne et due forme au citoyen Vigneault, nous ne prétendrons pas pouvoir les aborder en oubltant la figure qui les Introduit, les interprète, les gigue et les commente, la figure qutles précède et qui, peut-on presque dire, les domine ou du moins, les intègre à la pratique de son art, qui est un artde la scène. fi existe donc une différence fort appréctable entre une analyse textuelle réaltsée par quelqu'un qui choisit d'être lecteur, strictement, et une autre réalisée par un auditeur ou un spectateur, par quelqu'un qui choISit de se soumettreà laprésence de l'auteur.

Néanmoins, le processus de confirmation du sujet mis en branle par l'art du chansonnier laisse place aupersonnage, c'est-à-dire à ladistance qui existe entre un être et un autre. Aussi, les chemins que Vigneault invente pour ses Gros-Pierre, Paul·Eu, Jean-du-Sud. tante Irène et les autres, ne les conduisent pas Infailliblementà laréconcUlatton escomptée : les chansons ne renient pas

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les possib1l1tés d'échec, d'effritement et de perdition auxquelles la vie aura soumis les divers sujets. Nous avons donc choisi d'évoquer quatre chansons parcourues de bout en bout par un

«Je»

qui. d'un texte à l'autre, remplit différentes fonctions. De plus, que ce soit dans Le norddu nord, Tit-Nor, Ton père est parti ou Jas Monferrand, U sera également toujours question de voyage, thème dont la plupart des analyses portant sur l'oeuvre de Vigneault relèvent l'Importance. C'est le parcours des divers

«Je.

qui nous retiendra, chaque déplacement comportant sa part de risques pour le sujet. Menace de destruction donc, d'éparpillement, mais envie têtue d'atteindre l'absolu, le meilleur de sol.

Le nord du nord est une longue chanson d'allure épique, qui raconte l'histoire d'un homme cherchantà atteindre ce point cardinal impossible, plus loin et plus absolu que le nord lui-même. Les raisons qui le poussent à entreprendre un tel périple ne sont dévoUées que progressivement. Le texte est d'ailleurs construit sur un réseau d'antithèses, afin de bien montrer que le héros ne trahira Jamais les espoirs et les convictions qui le poussent à entreprendre sa quête. Au sujet soUtalre, on greffe le froid et la nuit, lui-même déclarant: «Je voyageà contre-Jeunesse /

A

contre-courant du bonheur19 ». La

voix des vUIages en revanche, qu'on entend d'un coupletà l'autre, est empreinte «de soleU et d'oc», de fêtes et de vieilles ballades: tout au long de lachanson, le héros se refusera à boire la coupe d'amour, de repos et de fraternité qu'on ne cesse de lui tendre. Le sujet espère pourtant pouvoir réconcilier les pôles adverses du froid et de lachaleur, de la soUtude et des réJoutssances :

Quand j'aurai dépassé vos pièges Les loups mangeront dans mamaIn SaJson qui vient première neige Vous retrouverez mes chemins

19 Voir en annexe. les textes des chansons retenues y sont intégralement reproduitS d'après :

Gilles VIGNEAULT. TenirPBlOtes. Chansons. 1958-1983.vol.1etIl,Montréal. Nouvetles Éditions de l'Arc,

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25 L'Image des loups qu'il souhaite apprivoiser lui sert à dépasser l'Isolement etla douleur de ne pas savoir comment vivre simplement avec les hommes. En fait, le sujet cherche à s'élotgner, mals il espère aussi qu'on ne l'abandonne pas : «Vous retrouverez mes chemtns». Car le héros semble avoir nourri ses rêves d'absolu pour compenser la misère de s'être senti seul. bien avant d'entreprendre son voyage sans retour.

Mais c'est l'identité même du sujet qui dit «je», changeante, fuyante, qui permet de comprendre l'enjeu le plus déterminant du récit. Car la chanson est construite sur une hésitation du «je» qui. par moments, s'associe à la volx des sédentaires essayant de retenir un «1l» en quête du nord, et qui, ailleurs, incarne cette volx soUtaire dont on suit le parcours. Il y a quelque chose de réconfortant à ce qu'au départ, l'homme seul qui «marchait vers le nord du nord», salt obsetvé par un «Je» faisant partie de la multitude. Comme si ce«je» parlaità la fots au nom des vtlIageoiS de ladiégèse, et au nom des destinataires de la chanson. Mals d'un couplet à l'autre, le «je» change de camp, puisque le héros se rapproprie également. On réduirait la portée du texte en afDrmant la présence de deux «je» distincts. autonomes, l'un voyageur, l'autre sédentaire. On entend plutôt la volx du chansonnier se demander tout au long s'U appartient à la multitude ou s'il possède la force de s'arracher à elle pour entretenir l'espérance d'un endroit aussi absolu que bienfaisant, où les contraires seront réconciliés: magn1flés et apaisés.

En fait, l'homme du nord poursuit moins une route où le risque consiste à s'égarer pour toujours. qu'une route où il n'est pas toujours facile de renoncer au bonheur de partager sa vie avec les autres. Pourquoi un homme consent-U à un tel arrachement? Et surtout. est-fi Juste de croire que cet homme est «plus

grand»

que tous les autres? Mérlte-t-U vraiment que l'on

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évoque son parcours avec une musique et des formes épiques? En fatt. la chanson cherche moins à valoriser aux dépens des autres le destin de celui qui part seul, qu'à montrer le jeu d'équilibre fragUe qui peut s'établir entre la volx du nord et les volx du sud. Le«je»qui oscUle entre les deux «camps» permet aux destinataires de prendre une certaine distance avec le voyageur, non pas pour que la quête solitaire de celui-ci soit du coup moins digne de considération et même, d'admiration, mals pour que la douleur de ses choix devtenne plus sensible. Le ton des échanges que le héros reprend sans cesse avec les sédentaires dans chacun des couplets n'est jamais celui de l'amertume ou du Jugement: bien plus celui de la tendresse, l'auteur étant parvenu à inscrire dans l'hésitation du «Je» le refus d'accorder sa propre volx à l'un ou l'autre des deux camps. VIgneault, en chantant, devient avant tout le témoin de ces échanges.

Dans Tit-Nor, Vigneault invente un destin plus tragique: celuI d'un homme qui verra peu à peu s'effriter puts disparaitre ses espoirs de jeunesse. Tlt-Nor quitte très jeune le v1llage de son enfance pour s'en aller découvrir le monde, gagner sa vie, faire fortune et ensuite revenir au pays. comblé. Dès le début de la chanson, on annonce que ce voyage devra, un jour ou l'autre, ramener le héros à l'endroit d'où il s'est arraché. Il ne s'agit plus d'une aventure au parcours infini : toute l'entreprise est plus humble, par la perspective de ce retour d'abord, qui adoucit avec sa courbe la violence d'un tel arrachement, et parce que rapidement, dès le deuxième couplet, le Jeune voyageur est aux prises avec les dures réalités d'une vie déracinée, sans foyer. L'homme vteU11t et devient pauvre, sans amis véritables, sans épouse, avec ctous ces métiers qui sont

ms

de mJsère», avec le goût grandissant de revoir ceux qu'ü a quittés. Mais au l1eu qu'à son vt11age on l'attende comme un enfant prodigue à qui serait offertelachance de tout recommencer, U n'y arrive

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que pour découvrir ses parents qui sonts morts et son vt11age qu'on a fait • fermer. Pour un peu, 11 est tenté d'acheversa Vie, seul. dans ce lieu désert, avec les fantômes de tous les disparus, les éparpWés. Mals U repart, exactement comme dans saJeunesse, avec au coeur le regret de son tout premier départ.

Le sujet, Jeune encore, partait donc en quête de luI·même, et cette quête échoue. Il espérait revenir vers les attaches et les certitudes qu'un vUlage promet, et le vUlage lut·même s'est dissout. La chanson évoque bien la vie fragmentée de l'itinérant, et montre aussi à quel point Tlt·Nor désire la plénitude, en souhaitant se marier, en buvant dans l'espoir de voir les camarades se changer en amIS, en revenant au pays. Tout le mouvement de retour, qui d'ordinaire laisse présager un peu de bonheur, semble perdre sa raison d'être devant la triste Image du vWage abandonné. L'exil de Tit-Norse poursuivra vraisemblablement Jusqu'à sa mort, et son vieux village désert, en morceaux, rappelle cruellement l'allure desa proprevie :

Pour mes pareUs tourmentés de voyage Mon trISte sort leur serve de leçon Ne quittezpasvotre vIDage

SI vous n'avezpas unegrandeinstruction.

Le Vieux Tit-Nor met en garde ceux qui ne seront Jamais assez forts pour supporter le contre-coup des mouvements trop brusques.

Certains passages de la chanson sont construits comme si l'auteur voulait rendre compte d'un sujet perçu en tant qu'entité plurielle, changeante. C'est le malheur, renance et la pauvreté qui contribuent d'abord à la dissolution du personnage. Mats lorsque Tlt·Nor reVient dans son village fantôme, une brève rêveriestempare de lui:

Jalbienpensém·1nstanerdanslaplace

Passélanultàbrailler sur le perron

Sauverl'égliseavant qu·elle se défasse

Etréparer la

memeure

maison Jedeviendrais mon proprelocataire

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Bedeau curé marchand etmaire

Mon propreamietmon proprevoisin

Pour un court moment ainsi. il croit pouvoir utiliser à son avantage ce que la vie s·est chargé de désunir.

Mais Udit, en achevant sa complainte: Jevols souvent apparaître un village

J·entends midiquand Il ne sonne pas Marchant toujours vers des mirages Qui se défont à chacun de mespas .

La chanson - l'une des plus tristes de Vigneault. bien que ce ne solt pas la seule qui sache évoquer sans complaisance les avenues de lamisère -. dénonce le sort des hommes qui se sentent abandonnés et qui. etTectivement, le sont. Mais elle demeure avant tout une vole qui permet à la tendresse d'être entendue. Mieux que tous les autres regards posés sur le monde. celui de la tendresse donne à voir une humanité trop secouée par les nombreux bouleversements pour se les approprier, mais pas encore assez brisée pour ne pasglaner les éclats d'une Vie plus douce, dont on garde et chérit la mémoire.

Vigneault est attentif aux miettes : plusieurs destins se perdent à force d'écarts et. ballotés, Us illustrent assez bien ce à quoi peut ressembler, dans la réalité, un sujet détlni comme une entité fragmentée. La seule Image du «tout> est edemère., et mérite qu'on la préserve, qu'on l'affectionne particulièrement. Dans Ton père estparti, Vigneault fatt parler une mère, qui s'adresse à son enfant. Il est assez cWDclle de ne pas imaginer que Vigneault se désigne lui-même comme le dest1natatre des paroles de cette femme. comme le flIs pour qui elle évoque le père partià la pêche dans le premier couplet, à lachasse dans le deuxième età ladanse dansle dernier. Leftls. à qui lamère dit ctu-, devient le

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témoin privt1églé du mode de vie de ses parents, des choix qu'lis ont faits et du bonheur qu'Us ont eu à vivre cette Vie «d'antan».

Car d'entrée de jeu, la mère décrtt une scène de pêche qui pourrait encore avoir Ueu aujourd'hui, mals qui reconduit irrésistiblement à une époque un peu plus lointaine où les pêcheurs n'étalent pas nécessairement équipés pour aller loin au large, et où la morue abondait près des rives. Surtout, lapêche, comme la chasse dans le couplet suivant, assure encore la subsistance: 11 s'agit donc de travailler. La mère laisse aller son époux un peu loin d'elle, le sachant heureux en mer tout comme au fond du bols : «Ton père est parti à la chasse / Je ne me fais pas de souci 1 Il n'a plus rien qui le tracasse.. EUe est la compagne qui a soin de lui et qui, tout au long de la chansont recl1t à son flls la tendresse qu'elle garde pour son compagnon, pour cette vie laborieuse et sensée qutle fait s'absenter et revenir.

La chanson est en fatt un long commentaire sur la valeur du temps qui passe et qui, sous peUt s'achèvera. Le troisième couplet, qui exprime le temps

de la réJouissance, accorde que l'on jette un regard sur toute cette vie occupée qui fut bonne. L'homme va rejoindre «ses Vieux amis» pour chanter, boire et danser. et l'on comprend alors qu'une femme déjà très âgée est en train d'admirer son vieU époux : cil était dans ses élégances

1

Chemise et cravate et manteau

1

51 Je disais ce que J'en pense / Ça le compUmenterait trop ». La

mère, qui avait achevé les premier et deuxième couplets au présent («La pêche, c'est un beau métien., c La chasse, c'est un beau métier» ), termine la chanson

au passé : cLa vie était un beau métleflt. Très certainement, par la volx fragile de la vieillesse, on se laisse allerà un peu de nostalgie, en suggérant qu'U ne serait pas possible d'exprimer une aussi belle chose au présent. Mais celui qui reçoit ces paroles d'un autre âge, celui dont le rôle consiste à écouter sans

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intervenir, est investi de la tâche de transmettre le témoignage de sa mère : quand on entend lavolx de Vigneault parler au nom de laVieille femme et qu'en même temps on l'associe lut-même au rôle du ms, on a l'impressIon qu'une parole est en train de se transmettre, et qu'elle engage entièrement celutà qui elle est destinée.

Ainsi, l'un des traits caractéristiques de la figure du chansonnier, quant à son mode de fonctionnement, est qu'elle accentue les rôles du destinataire et du destinateur, ne permetttant plus au message d'être envisagé sans l'un et

l'autre. D'où le fait que le texte de la chanson réagit bien à une analyse qui tient compte de sa figure créatrice et «communlquante~. Les chansons de Vigneault portent immanquablement la marque de ce rapport particulier à la parole, tel qu'essaie de le vivre sur scène le chansonnIer avec son public. Vigneault est à coup sûr le premier destinataire de toutes ces voix qu'U a croisées ou Inventées, et c'est en les chantant, en les livrant au pu bUc qu'U en deVient le destinateur. Cette préséance de l'écoute sur la prise de parole - que le texte d'une chanson commeTon père estpartipermet d'apprécier, ou de situer - montre comment Vigneault utlllse les atouts et les outlls d'une figure comme celle du chansonnier dans un dessein responsable, un dessein qui fait de la prise de parole un acte global et responsable, un acte qui n'envisage pas sa réalisation sans que ne soient validés les rôles et même les Intentions du destinateur et du destinataire. Le texte lui-même est l'un de ces outils, parmi les autres.

Et st, à travers la pléiade des chansonniers, on accorde une place privilégiée à lafigure de Vigneault, n'est-ce pas parce qu'à même ses textes, età même sa façon, en scène. d'entrer en contact avec le public, on peut retrouver son souci d'offrtr tout son poids, son poids Juste, à l'acte de la prise de parole?

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31 La première chanson que Vigneault chanta en public et qui le rendit rapidement célèbre, Jas Manferrand9 propose d'ailleurs une réflexion sur le

choix, l'usage et la portée des mots que l'on proférera et desquels on ne s'écartera pas. Par lesquels on ne sepaQurera pas, plutôt. Notion singulière, que celle du parjure, qui évoque la faute grave qu'un homme commet quand ses actes ne renvoient plus à sa parole, quand fi ne soumet plus sa paroleà aucun engagement. Faute grave, à laquelle s'expose Vigneault à travers sa propre figure de chansonnier.

Cette notion de parjure que nous introduisons deVient-elle un étalon pour comparer la chanson à la poésie par exemple, ou à n'lmporte quel autre genre littéraire où l'on abstient l'auteur réel de comparaître cà côté» de sa parole? D'une certaine façon, oui, car un tel étalon permet de constaterà quel point, dans le langage critique actuel, c'est généralement la poSSibilité même du parjure, en art, qui séduit et qui vaut, et qui du coup génère une réflexion étoffée, dlvers1flée. Et ce n'est certalnement pas la nature d'un tel attrait que nous Interrogerons dans l'Intention, par lasuite, de proposer mieux en matière de séduction. Mals si l'art est absolument affaire de distance entre le réel et le symbolique, si une oeuvre, considérée et admirée dans toute son immanence, doit son charme et sa crédibilité au fait que son auteur ne soit plus en état jamais de se parjurerà cause d'elle, lafigure du chansonnier, qui fonctionne en se soumettant à la faute du parjure, devrait susciter en critique un intérêt particuller.

Or, ce manque d'Intérêt pour une figure dont le fonctionnement diffère de celui de l'auteur moderne peut s'avérer Intéressant dans la mesure où l'on y saisit tout ce qui, relevant du langage et de la littérature, est abandonné, diminué. Le concept d'immanence de l'oeuvre ne sépare pas moins le

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