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«Construire son futur» : production de l'habitation et transformation des rapports de genre à Pikine, Sénégal

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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« Construire son futur »

Production de l’habitation et transformation des rapports de genre

à Pikine, Sénégal

Thèse

Émilie Pinard

Doctorat sur mesure en architecture et anthropologie

Philosophiae doctor (Ph.D.)

Québec, Canada

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Résumé

Cette thèse porte sur la production de l’habitation des quartiers informels et sur sa participation dans le processus d’autonomisation des femmes sénégalaises. Elle documente les acteurs, normes et pratiques impliqués dans la construction résidentielle, par l’étude des cas de dix-sept femmes propriétaires et de leur maison dans quatre quartiers de Pikine, en périphérie de Dakar. Supportée par un cadre théorique qui permet de concevoir l’habitation comme un processus dynamique et multidimensionnel, cette étude met en lumière les rapports sociaux développés autour de la mobilisation des ressources pour construire et de la transformation de la forme bâtie. L’approche méthodologique combinedes entretiens narratifs avec les propriétaires sur des séquences de vie et l’histoire de leur maison, des relevés architecturaux, des entretiens avec des intervenants locaux et une enquête sur la population et les habitations des quartiers étudiés. Une attention particulière est portée aux moyens individuels et collectifs déployés par les femmes pour la production de leur habitation, afin d’en éclairer les possibilités et contraintes pour la transformation des rapports de genre et l’autonomisation. La thèse montre que les femmes doivent s’appuyer sur divers réseaux pour mobiliser les ressources pour construire, tout en s’assurant de sécuriser celles-ci pour protéger, à long terme, les possibilitésqu’elles ont créées pour elle-même et leur famille et, par le fait même, négocier ou transformer les normes sociales qui les désavantagent. Dans ce processus, l’espace résidentiel devient pour les propriétaires un médium des rapports aux autres et peut contribuer au maintien ou à la perte de cet équilibre entre l’accès à de nouvelles ressources et la sécurisation des acquis. Cette étude remet ainsi en question les interprétations, à la base de nombreux écrits et politiques de logement, sur la nature spontanée des quartiers informels et sur les principaux objectifs associés à la construction dans ce contexte. Pour les femmes propriétaires, le processus de production en lui-même représente une voie vers de nouvelles possibilités sociales et économiques porteuses d’une plus grande sécurité et d’une autonomie; pour « construire son futur », transformer activement sa maison est donc souvent plus important que l’obtention d’un bâtiment fini.

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Abstract

This thesis examines informal housing production and its contribution to the empowerment of Senegalese women. It documents the everyday practices, norms and social relationships involved in the construction of houses “from below”, through a detailed analysis of women owners and their houses in four unplanned neighbourhoods of Pikine, in the periphery of Dakar. Considering housing as a dynamic and multidimensional process, this study sheds light on people’s interactions over resource transactions and space, while paying attention to negotiations and inequalities associated with these processes and their consequences for daily life in the city. It describes the strategies through which women owners produce their house and secure a place for themselves and their family in the urban agglomeration, and the spatial and social consequences of these processes. In-depth interviews and life stories with women owners and their families were conducted in combination with architectural surveys of their houses, interviews with key actors involved in land subdivision and housing production, and surveys on land transaction and housing conditions. The thesis shows that women need to draw on a wide range of networks to access resources and at the same time continually negotiate and protect the space of opportunity they have created for themselves; in doing so, they resist and transform social and spatial norms. These results question the usual interpretation according to which obtaining a finished house is the main objective of house construction: for women, the production process itself represents a path towards greater security, but also towards an array of new social and economic possibilities, that are often more significant than the (sometimes never reached) final result.

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Table des matières

Résumé ... iii

Abstract ... iii

Table des matières ... v

Liste des tableaux ... vii

Liste des figures ... ix

Remerciements ... xi

Avant-propos ... xiii

Introduction ... 1

Au cœur de la construction d’une ville africaine ... 1

Revisiter Pikine et ses habitations ... 3

L’informalité : des règles urbaines négociées ... 7

L’habitation : un processus continu de transformation ... 9

Les femmes en milieu urbain au Sénégal : de nouvelles responsabilités et possibilités, au-delà de la gestion domestique ... 12

Vers l’autonomisation : ressources, agencéité et construction ... 15

Objectifs et questions de recherche ... 18

Chapitre 1 ... 21

Du terrain à la rédaction : méthodologie de la recherche ... 21

Sélection et accès des sites à l’étude ... 22

Approche et processus de recherche ... 26

Analyse des données ... 35

Conclusion ... 36

Chapitre 2 ... 39

La production du foncier « par le bas » à Pikine ... 39

Histoire du développement urbain de Pikine ... 41

Présentation des sites étudiés ... 48

Les pratiques de subdivision foncière à Malika et Keur Massar ... 68

Conclusion ... 80

Chapitre 3 ... 83

Les femmes qui « se débrouillent » pour construire ... 83

Des situations matrimoniales et résidentielles en évolution ... 85

Vers une place permanente pour vivre ... 94

Devenir propriétaire pour préparer son avenir ... 100

Conclusion ... 105

Chapitre 4 ... 109

Mobiliser les ressources pour construire ... 109

L’acquisition d’une parcelle ... 111

Financer l’achat d’un terrain et la construction ... 119

Trouver de la main-d’œuvre et des matériaux ... 128

Conclusion ... 132

Chapitre 5 ... 135

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Vers une typologie des habitations de Pikine ... 137

Vers des principes de transformation communs ... 162

Conclusion ... 172

Chapitre 6 ... 175

Construire sa maison « petit à petit » ... 175

L’installation dans sa nouvelle maison ... 177

La densification de la maison ... 184

La consolidation de la maison ... 190

Vers une spécialisation du bâti résidentiel ... 196

Conclusion ... 200

Conclusion ... 203

Au cœur des quartiers « informels » de Pikine : des négociations entre les habitants, l’État sénégalais et ses agents ... 204

La transformation de l’habitation : un rythme variable mais des principes communs ... 207

La sécurisation des ressources : une dimension clé de l’autonomisation ... 210

Vers une participation active à la production résidentielle ... 213

Pistes futures pour la recherche ... 215

Bibliographie ... 217

Annexe 1 : Feuillets de consentement et canevas d’entretiens ... 227

Annexe 2 : Portrait des participantes ... 237

Annexe 3 : Portrait de la population et des quartiers étudiés ... 239

Annexe 4 : Fiches des maisons relevées ... 245

Annexe 5 : Développement du territoire de Malika et Keur Massar ... 283

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Liste des tableaux

Tableau 1. Divisions administratives de la Région de Dakar ... 46 Tableau 2. Principales caractéristiques de la population et des habitations des quartiers étudiés selon

l’enquête réalisée en 2012 dans le cadre de cette thèse ... 50 Tableau 3. Répartition des femmes propriétaires selon le statut matrimonial et le quartier (n=88) ... 86 Tableau 4. Années correspondant à différentes étapes de la production résidentielle des maisons des 17

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Liste des figures

Figure 1. Principales phases de développement de Pikine régulier et Pikine irrégulier ... 42

Figure 2. Le découpage administratif de la région de Dakar et le territoire à l’étude ... 47

Figure 3. Délimitation des quartiers à l’étude dans les communes de Malika et de Keur Massar ... 49

Figure 4. Le village de Malika en 1954 ... 53

Figure 5. Un des espaces publics du quartier Diamalaye. Le puits au centre a été construit grâce à un financement saoudien. (2012) ... 55

Figure 6. La rue principale de Diamalaye avec ses quelques étals et commerces (2012) ... 55

Figure 7. Plan du quartier Diamalaye, Malika (2012) ... 56

Figure 8. Les nombreux chantiers de construction à Malika-Plage, du côté de la mer (2013) ... 58

Figure 9. Les voies larges et très régulières de Malika-Plage, du côté du noyau villageois (2012) ... 58

Figure 10. Plan du quartier Malika-Plage, Malika (2012) ... 59

Figure 11. Les villages de Mban Xass Keur Massar et Niaye Ndiorane (Keur Massar) en 1952 ... 61

Figure 12. Noyau villageois de Keur El Hajd Pathé, qui forme le quartier Miname Gabane (2012) ... 63

Figure 13. Plan du quartier Miname Gabane, Keur Massar (2012) ... 64

Figure 14. Les installations du marché public de Santa Yalla (2012) ... 66

Figure 15. Une voie principale du quartier, où l’on aperçoit quelques maisons à étages (2013) ... 66

Figure 16. Plan de Sante Yalla, Keur Massar (2012) ... 67

Figure 17. Plan de lotissement d’un verger réalisé par un propriétaire foncier de Miname Gabane ... 69

Figure 18. Photo satellite de Sante Yalla illustrant le manque de coordination entre les lotissements ... 72

Figure 19. Plan de lotissement réalisé pour le développement de Malika-Plage ... 74

Figure 20. Différence d’occupation des quartiers Malika-Plage et Miname Gagbane au moment de la construction de leur école publique ... 78

Figure 21. Situation matrimoniale et âge des femmes propriétaires à différentes étapes du processus de production résidentielle de la maison relevée ... 95

Figure 22. Le quartier Sante Yalla en 2002, période de la vente des parcelles, et en 2012, lorsque les parcelles sont occupées à environ 50 % ... 112

Figure 23. Graphe justifié de la maison de Nabou (A) ... 138

Figure 24. Isovist et photo (2012) à partir de l’entrée de la maison de Nabou (A) ... 140

Figure 25. Concession de 386 m2 relevée à Fass Paillote (Dakar) en 1974 ... 142

Figure 26. Graphe justifié de la maison de Marème (M) ... 145

Figure 27. La préparation des repas se fait dans la cour, devant la cuisine. ... 146

Figure 28. Graphe justifié de la maison de Rama (T) ... 148

Figure 29. Isovist et photo (2012) à partir de l’entrée de la maison de Rama (T) ... 148

Figure 30. Une chambre construite en matériaux recyclés (2012) ... 149

Figure 31. La cuisine est aussi construite de façon « temporaire » (2012) ... 149

Figure 32. Graphe justifié de la maison d’Aminata (W) ... 151

Figure 33. La cuisine est située en retrait de la cour (2011) ... 152

Figure 34. Le mbar referme la cour en attendant la reconstruction du mur (2012) ... 152

Figure 35. Graphe justifié de la maison de Penda (X) (le toit-terrasse n’est pas représenté en plan) ... 156

Figure 36. La cour (à gauche) et la cuisine (à droite) vastes mais peu occupées (2012) ... 156

Figure 37. La boutique est accessible à partir de l’intérieur et de la rue ... 158

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Figure 39. Graphe justifié de la maison de Cora (Z) (le toit-terrasse n’est pas représenté en plan) ... 161

Figure 40. Le seuil d’entrée ajouté (à gauche) et la cour de service (à droite) (2012) ... 161

Figure 41. Un escalier en construction à l’entrée d’une maison (2012) ... 162

Figure 42. Graphes justifiés des maisons au moment du relevé (2013) et de l’installation des habitants ... 164

Figure 43. Synthèse des principales étapes de construction de la maison de Mariama (V) ... 166

Figure 44. Isovist à partir de l’entrée en 2011 et 2007. Le nouvel escalier réduit l’accès visuel à la cour ... 167

Figure 45. Isovist et photo (2012) montrant la vue à partir d’un point central de la cour. ... 168

Figure 46. Synthèse des principales étapes de construction de la maison de Sokna (K) ... 169

Figure 47. Une concession familiale en voie d’être subdivisée, à Médina Est (Dakar) en 1974 ... 171

Figure 48. La façade est révélatrice de la construction incrémentale de la maison (2011) ... 187

Figure 49. Une tontine prend place dans la véranda d’une maison (2012) ... 192

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Remerciements

Plusieurs personnes ont contribué à cette thèse, de l’élaboration du projet de recherche à la rédaction, et je voudrais profiter de ces quelques lignes pour les remercier chaleureusement.

Je tiens d’abord à remercier les habitants de Malika et de Keur Massar qui ont offert généreusement leur temps et partagé leurs expériences, leurs succès et leurs difficultés, particulièrement les femmes propriétaires et leur famille, pour m’avoir littéralement ouvert leur porte et invitée dans leur quotidien, ainsi que les autorités et intervenants locaux pour leur accueil et leur appui.

Je suis grandement reconnaissante envers les membres de mon comité de supervision, qui ont été une source d’inspiration et de soutien pendant tout le processus de la thèse.Mes remerciements vont d’abord à Denise Piché, ma directrice, pour sa passion et sa grande curiosité, ses commentaires judicieux et son soutien continu dans toutes les étapes de ma recherche. Je remercie également Marie-France Labrecque, ma codirectrice, d’avoir alimenté mes réflexions par de nouvelles perspectives théoriques et par ses commentaires inspirants. Finalement, je voudrais souligner les contributions d’André Casault et de Richard Marcoux qui ont appuyé, chacun dans leur domaine respectif, l’élaboration et la réalisation de cette thèse grâce à leur enseignement enrichissant et leurs conseils.

Mes séjours à Dakar ont été grandement facilités par la présence, le support et les interventions de nombreuses personnes. Je tiens d’abord à remercier Oumar Cissé et le personnel de l’IAGU qui ont généreusement accepté de partager leurs connaissances et leurs ressources pour la mise en œuvre de ma recherche et pour sa diffusion. Je veux également remercier Fatou Diop pour le soutien inconditionnel et l’accueil toujours aussi généreux, ainsi qu’Abdoulatif Sy et Awa Dièye Guèye pour leur assistance avec les entretiens. Leur écoute, leur intérêt et leur engagement, même sous des conditions parfois difficiles, ont été déterminants dans la qualité du travail accompli sur le terrain. Je voudrais finalement remercier les étudiants du Collège universitaire d’architecture de Dakar et tous ceux de l’École d’architecture qui sont passés, à un moment ou un autre, par l’appartement de Malika ou la terrasse de Thialy et qui ont fourni un support appréciable à mon travail, que ce soit par des relevés, des enquêtes ou simplement en partageant leurs observations et l’expérience d’un séjour au Sénégal.

Je suis reconnaissance du support financier offert par le Programme de bourses d’études supérieures du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) et par le Centre de recherches pour le développement international (CRDI), par l’intermédiaire de la Bourse aux chercheurs candidats au

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doctorat et par le projet Vers une collectivité productive à Malika (Sénégal) : une expérience d'aménagement participatif. Ce soutien a grandement contribué à la réalisation de mon travail sur le terrain et m’a également permis de nourrir mes réflexions, par un séjour d’études au Bartlett Development Planning Unit (DPU-UCL), au tout début de mon doctorat, et une participation à l’Université d’été du LASDEL à Niamey, tout juste après ma collecte de données. Je voudrais à cet égard remercier Yves Cabannes au DPU pour ses conseils éclairés sur l’élaboration de mon projet de recherche, ainsi que les intervenants et autres doctorants rencontrés au LASDEL pour les échanges fructueux.

Finalement, je tiens à souligner les contributions variées de ma famille et de mes amis à la réalisation de ce projet. Votre ouverture, votre enthousiasme et vos encouragements sont des plus appréciés. Un remerciement tout spécial à Jean-Philippe, pour avoir été à mes côtés dans cette aventure, des longues soirées de travail jusqu’aux très longs trajets en car rapide.

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Avant-propos

Mon questionnement sur le rapport des femmes sénégalaises à leur cadre de vie s’est développé dès mes premiers séjours sur le terrain, plus particulièrement dans la commune de Malika, à la limite nord-est de Pikine. Depuis 2007, j’y ai notamment réalisé mon projet de maîtrise sur l’évaluation d’une démarche participative d’aménagement menée dans la commune (Pinard, 2010) et un projet de transformation d’un bâtiment communautaire pour des groupements de femmes (Pinard, 2012). Au fil de ces travaux, de mes discussions avec les femmes et de l’observation de leurs activités communautaires, j’ai pris connaissance de l’importance de leurs responsabilités économiques pour la survie quotidienne de leur famille. Certaines étaient le soutien principal de leur ménage et une d’entre elles avait même sa propre maison, où elle habitait avec ses enfants. Puisque nous étions directement impliquées dans la gestion et aussi, dans une moindre mesure, dans la réalisation de travaux de construction, je me questionnais sur l’impact d’un tel projet pour l’amélioration de leurs propres maisons et plus largement, sur la participation et les responsabilités de ces femmes quant au cadre bâti résidentiel.

Ce sont des amis et connaissances à Malika qui m’ont indiqué la piste du nombre relativement important de femmes propriétaires dans certains quartiers. Un responsable communautaire, rencontré à Diamalaye dans le cadre d’un projet de recherche mené par l’École d’architecture de l’Université Laval1, avait par exemple mentionné que sa sœur avait sa propre maison, comme

plusieurs autres femmes qui habitaient dans le voisinage. En interrogeant d’autres connaissances dans le quartier, j’ai compris qu’elles pouvaient nommer, sans hésitations, en moyenne trois ou quatre femmes propriétaires qui se trouvaient à proximité. De cette manière, au fil de discussions informelles avec des habitants et des intervenants, j’ai pris connaissance d’une réalité pour laquelle je trouvais peu d’explications dans la littérature et dans les travaux de recherche en cours à Dakar. Je souhaitais donc comprendre comment les femmes sénégalaises pouvaient, dans les limites des espaces et des possibilités qui s’offraient à elles, mettre en oeuvre un processus de production résidentielle dont la finalité était loin d’être garantie.

Cette thèse, le questionnement et la démarche de recherche qui en est issue, sont donc fortement ancrés dans mon expérience du terrain; un désir de mieux en comprendre les réalités, pour éventuellement mieux y intervenir. Voilà pourquoi les pages qui suivent nous plongent directement au cœur dusujet.

1 Ce projet de recherche intitulé Vers une collectivité productive à Malika (Sénégal) : une expérience

d'aménagement participatif (2008-2013) était dirigé par André Casault et Denise Piché de l’École d’architecture de l’Université Laval.

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Introduction

Au cœur de la construction d’une ville africaine

Dans de nombreux quartiers de Pikine, au Sénégal, les maisons en chantier et empilements de matériaux de construction témoignent des efforts déployés par les habitants pour investir dans une habitation. Construire sa maison est un facteur de réussite sociale important dans la société sénégalaise, un projet qui permet à la fois de revendiquer son statut d’adulte et d’investir dans son futur. Dans l’éventualité d’un mariage, c’est à l’homme que revient l’obligation de prendre en charge les besoins essentiels de son ménage, incluant la responsabilité de laisser à sa descendance un toit (Diop, 1985). Aujourd’hui, en milieu urbain, les hommes éprouvent toutefois de plus en plus de difficulté pour arriver à héberger leurs épouses. Ce phénomène se manifeste notamment par l’accession plus tardive des couples dakarois à un logement indépendant (Mondain, 2009).Certains demeurent ainsi au domicile familial, en espérant économiser suffisamment pour acheter un terrain, alors que d’autres prennent une chambre en location ou n’ont d’autre choix que d’habiter séparément, dans leurs familles respectives.

Cette réalité ne peut être dissociée des bouleversements sociaux et économiques récents et de la précarisation des conditions de vie qui ont cours au Sénégal.La crise économique aigüe des années 1980 et 1990 et les mesures d’ajustements subséquentes, portées par les institutions financières internationales puis par des politiques néolibérales, ont eu pour conséquence une pauvreté croissantepour la majorité de la population et une augmentation des inégalités sociales (Delgado & Jammeh, 1991). Parmi celles-ci, plusieurs écrits ont souligné les inégalités de genre, qui se traduisent notamment par l’intensification de la charge de travail des femmes et leur contribution croissante aux revenus des ménages (Adjamagbo et al., 2004; Rondeau & Bouchard, 2007).La crise du logement est une autre conséquence, qui contraint les habitants plus pauvres à trouver des voies alternatives pour se loger, incluant la location et l’achat de parcelles dans des quartiers périphériques de la ville (Fall, 2007a; Ly, 2004).

En dépit de la reconnaissance des multiples effets de la crise sur les dynamiques familiales et résidentielles, la littérature aborde peu le cas des femmes propriétaires au Sénégal. Les nombreuses maisons en construction que l’on retrouve dans ces quartiers sont encore présumées être l’initiative d’hommes qui construisent pour les femmes (Melly, 2010). Certains ouvrages mentionnent brièvement la place croissance qu’elles occupent dans le marché immobilier (Ly, 2004; Tall,

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2009a), mais on considère généralement qu’il s’agit d’un phénomène marginal. De plus, les données sur les femmes propriétaires, lorsqu’elles sont présentées, concernent essentiellement des zones d’habitat spécifiques pour lesquelles une documentation officielle (demande de titres de propriété, paiements, etc.) est déjà disponible.

Pourtant, la présence des femmes propriétaires n’échappe pas à l’observation du quotidien. Dans des quartiers relativement récents de Pikine, où la majorité des parcelles ont été achetées directement par les habitants, il suffisait de demander à rencontrer des femmes qui avaient construit leur maison pour être présentée à plusieurs d’entre elles2. « Oui, c’est ma maison. Je l’ai achetée

moi-même et j’ai le papier à mon nom », m’a confirmé Awa, comme la majorité des autres femmes rencontrées. Un portrait de la population réalisé dans les quartiers étudiés a d’ailleurs confirmé cette impression; le taux moyen de femmes propriétaires y est de 24,3 %, un nombre qui n’est pas si loin de celui des femmes chefs de ménage, à qui la littérature consacre plus d’attention3. Ces

observations témoignent de dynamiques résidentielles et familiales encore peu explorées et à partir desquelles il semble possible d’« opérer une autre lecture de la ville » (Dial, 2009).

Cette thèse s’intéresse à l’histoire de ces femmes propriétaires qui tentent, par la construction de leur maison, de sécuriser leur avenir et d’assurer une place pour elles et leur famille dans l’agglomération urbaine. La recherche porte une attention particulière aux inégalités sociales et aux diverses formes de négociations associées au processus de construction résidentielle dans les quartiers informels de Pikine. Je m’appuie ainsi sur le principe que les femmes sénégalaises comprennent et font l’expérience de l’habitation et de la ville de manière profondément différente que les hommes. Plusieurs écrits sur les femmes dans les quartiers informels ont démontré comment les rapports de genre structuraient la vie quotidienne des habitants et leurs capacités à réaliser leurs aspirations. Alors que certains auteurs se concentrent sur la consolidation des inégalités sociales et sur les obstacles qu’affrontent les femmes, notamment leur accès limité au foncier et au logement (COHRE, 2008; Lee-Smith & Trujillo, 2006; Rakodi, 2010), aux moyens économiques (Chant, 2007) ou encore à la difficulté à poursuivre leurs tâches productives et reproductives (Moser & Peake, 1987; Tacoli, 2012), d’autresexaminent les possibilités qu’offre un tel milieu pour améliorer leurs conditions de vie et acquérir plus d’autonomie(Baruah, 2007; Miraftab, 2001; Moser, 2009).

2 Techniquement, les gens ne construisent pas eux-mêmes leur maison, ils emploient plutôt des ouvriers. C’est

toutefois une expression communément employée pour indiquer qu’ils ont fait construire leur maison.

3 Propriétaire signifie dans cette thèse que la répondante est identifiée comme telle par elle-même et sa famille

et qu’elle possède un acte de vente à son nom. Je reviendrai sur les détails de cette enquête menée dans les quartiers à l’étude au Chapitre 1.

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Bien que la propriété d’une maison soit une dimension de l’autonomisation féminine relativement peu étudiée, particulièrement en contexte africain4, celle-ci est décrite dans la littérature comme un

atout pouvant réduire la vulnérabilité économique et sociale des femmes et augmenter leur pouvoir de négociation. Comme le résume Miraftab (2001: 154):

Housing is a key resource for women; it is an asset important to their economic condition and central to their physical and social well-being. It is the site of child rearing and income generation and a nexus for social networks of support and community-based reliance […] Housing is a significant economic asset to women that contributes to their independence, economic security and bargaining power with men in their households and in society at large. Most importantly, it helps women determine their own futures and make the decisions that affect their lives.

Puisque l’autonomisation, ou l’empowerment, peut être définie comme un processus de transformation multidimensionnel, centré sur une plus grande capacité de faire des choix (Kabeer, 1999a, 2005), la capacité des femmes à prendre des décisions éclairées à propos de leur habitation semble être un indicateur potentiel de ces transformations. À cet effet, Basu (1999) souligne que la propriété peut devenir le fondement de différentes formes de contestation face à l’autorité de certains acteurs, incluant l’État, les constructeurs, le mari ou les parents. Toutefois, tel qu’il sera discuté dans la section suivante, pour comprendre comment et dans quelle mesure la construction d’une habitation peut constituer un tel levier pour les femmes, il importe d’abord de porter un regard plus attentif sur les pratiques concrètes de construction résidentielle à Pikine.

Revisiter Pikine et ses habitations

Cette thèse s’inscrit dans un vaste corpus de littérature sur le développement urbain des villes africaines. L’Afrique subsaharienne est la région qui s’urbanise le plus rapidement et elle fait face à des défis importants en termes de logement, alors que 50 % à 75 % des nouvelles constructions y sont produites informellement (ONU-Habitat, 2011). De façon générale, cette situation réfère aux modes de production foncière et de construction qui ne respectent pas une ou plusieurs formes de réglementation légales en place, par exemple les droits de propriété, les autorisations de construire ou les règlements de zonage. La région de Dakar ne fait pas exception; les programmes de planification et d’aménagement sont incapables de suivre le rythme de l’expansion urbaine, un phénomène qui prend de l’ampleur depuis l’indépendance,avec l’augmentation exponentielle de la

4 Les travaux de Lee (2009), Schlyther (1988, 1989), Larsson (1989) et autres publications réalisées dans le

cadre du projet Gender research on urbanization, planning, housing, and everyday life (GRUPHEL) (Larsson et al., 2003; Schlyter, 1996; Sithole-Fundire et al., 1995) sont des exceptions notables, mais ils sont essentiellement concentrés en Afrique australe. Bertrand (2001) a abordé la question au Mali.

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population de la capitale5. On estime aujourd’hui que plus de 45 % de son territoire est composé

d’un habitat irrégulier (CAUS & BCEOM, 2006). Les processus de développement urbain sont donc mis en oeuvre par les habitants eux-mêmes, dans leur quête pour construire, se loger et donner corps à leurs aspirations. À l’intérieur de ce territoire, la ville de Pikine, souvent décrite comme le double pauvre de Dakar (Chenal, 2009; Vernière, 1977), représente probablement le meilleur exemple de cette urbanisation « par le bas ». En plus d’être aujourd’hui la ville la plus peuplée de la région métropolitaine6 (ANSD, 2014b), environ 60 % de son territoire est constitué par une

production foncière, de la construction et des services urbains informels7.

En analysant les conditions et les acteurs qui soutiennent ce phénomène, la majorité des études récentes sur ledéveloppement urbain de la région de Dakar suggèrent que l’État sénégalais occupe toujours un rôle prédominant dans la production de l’habitation et du foncier par le biais de ses différentes institutions et programmes officiels. Ces écrits contiennent systématiquement une présentation des différents acteurs du secteur du logement, où sont couverts de façon exhaustive les rôles et responsabilités assignés officiellement aux ministères, agences étatiques et promoteurs du secteur privé8. La place attribuée aux quartiers et aux pratiques informelles dans ces portraits est

loin d’être proportionnelle à leur véritable présence sur le territoire; au mieux ils sont mentionnés, mais rarement analysés. Leur importance croissante est essentiellement expliquée comme une conséquence de l’offre insuffisante en matière de logements sociaux et de lotissements à faible coût. Cette position se base sur l’écart observé entre les besoins recensés et l’approvisionnement possible par le système formel ;la demande en logements dans la région de Dakar dépasse effectivement de loin ce qui est construit par l’État et les promoteurs privés supportés par celui-ci9 (CAUS &

BCEOM, 2006; ONU-Habitat, 2012). Ces travaux s’appuient ainsi sur une approche dominante dans les champs de l’aménagement et du développement international, qui prône la facilitation du

5 Ce développement rapide de la population à Dakar se produisait pour la seconde fois, la première étant

lorsque Dakar a été nommé capitale (Diop, 2012a).

6 En 2013, la population de Pikine était de 1 101 859 habitants, alors que celle du département de Dakar était

de 1 081 222 habitants (ANSD, 2014b).

7 Les taux présentés dans la littérature varient légèrement, mais se rapprochent tous de cette estimation. Le

rapport justificatif du Plan directeur d’urbanisme 2025 de Dakar (CAUS & BCEOM, 2006) mentionne 57,05 % d’habitat irrégulier pour Pikine, alors que Simone (2004a) affirme que seulement 40 % du territoire de Pikine est régulier, ce qui inclut les premiers quartiers planifiés et les zones développées par les sociétés privées et les coopératives. Salem (1998) estime quant à lui qu’en 1993, 64 % du territoire de Pikine est irrégulier.

8 Pour un portrait de ces différents acteurs et de leurs rôles officiels, voir Diop (2012b); Ly (2004);

ONU-Habitat (2012); Tall (2009b).

9 L’offre de logement des promoteurs publics et privés formels couvrirait moins de 10 % des besoins annuels

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marché privé de l’habitation par des mesures de soutien de l’État comme la régularisation foncière et le renforcement des mécanismes de financement (Jenkins et al., 2007).

En s’inscrivant dans cette perspective normative, qui s’approche davantage d’un modèle de planification urbaine idéal que de la compréhension de processus concrets, ces écrits mènent à des constats qui sont souvent trompeurs et limitatifs. Ce modèle, qui dicte les caractéristiques et procédures à suivre pour la production d’une ville politiquement et spatialement ordonnée,devient le point de référence à partir duquel sont étudiés les quartiers informels (Jenkins, 2013; Rakodi, 2008). En conséquence, de nombreuses observations sont formulées sur le caractère chaotique ou désordonné de ces milieux, sans base empirique significative. Certains quartiers de Pikine se seraient ainsi développés « par le squat » ou de « façon spontanée », ce qui donne lieu à « des occupations anarchiques et non contrôlées » de l’espace urbain, des « bidonvilles », ou encore des « taudis » (Diop, 2012b; ONU-Habitat, 2012; Tall, 2009b). Cette perspective offre peu de pistes conceptuelles pour comprendre comment les habitants en général, encore moins les femmes, ont réussi à acquérir ou construire une maison dans de telles situations et ceux-ci sont pratiquement évacués des solutions ou pistes d’amélioration suggérées. De plus, ces travaux ne remettent pas en question la volonté et la capacité de l’État à intervenir de façon aussi visible dans l’aménagement urbain et à imposer efficacement ses normes officielles dans les quartiers.

Cette thèse s’appuie sur une conception différente du développement des villes africaines, basée sur un corpus d’études croissant qui soutient que ce phénomène ne peut être compris sans un examen plus attentif des stratégies développées par les habitants et de leur contribution à la création de formes urbaines particulières (Jenkins, 2013; Myers, 2011; Pieterse & Simone, 2013; Rakodi, 2006a; Simone, 2004a). À Pikine, la production de l’habitation et des quartiers est essentiellement le domaine des habitants et des acteurs locaux, avec un engagement plus limité de l’État et du secteur privé formel. Mon analyse s’inscrit dans l’étude de ces « formes alternatives d’aménagement » (Myers, 2010).Elle vise ainsi à considérer la ville pour ce qu’elle est, plutôt que ce qu’elle devrait être, afin de développer des solutions plus appropriées pour guider son développement (Jenkins, 2013). Par le biais d’un travail empirique approfondi, je remets ainsi en question les écrits qui dépeignent les quartiers informels et leurs habitants uniquement comme la « conséquence » de transformations induites par l’absence ou la faiblesse de l’État. Sans nier les contraintes structurelles en place, j’espère plutôt montrer comment les habitants de Pikine, incluant les femmes propriétaires et leurs familles, participent par le biais de leurs interactions et de leurs actions quotidiennes à un processus complexe de construction et de transformation de la ville.

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En contexte sénégalais, une telle approche empirique pour l’étude des enjeux urbains s’est surtout développée dans les domaines de l’économie et des services publics (voir par exemple Ndione (1992) sur l’économie et les associations communautaires, Cissé (2007, 2012) sur la gestion des déchets et Bredeloup, Bertoncello et Lombard (2008) sur les transports publics et les marchés). Quelques écrits abordent l’habitation et la construction, notamment comme stratégie de survie des pauvres (Fall, 2007a) ou d’investissement des migrants (Tall, 2009a).Les travaux de Jenkins (2013) et de Nielsen (2008) au Mozambique, de Pellow (2008) au Ghana et de Larsson (1989) et Schlyter (1988, 1989) en Afrique australe ont quant à eux démontré l’intérêt d’adopter une telle perspective pour examinerl’habitation, en tant qu’objet d’étude spécifique, en intégrant à la fois ses dimensions sociales et spatiales.

À la lumière de ces travaux, le cadre conceptuel développé pour cette recherche réunit des approches théoriques qui permettent de comprendre l’habitation comme un produit et un processus multidimensionnel. Plus spécifiquement, il considère les facteurs économiques et politiques, ainsi que les aspects socioculturels et architecturaux plus spécifiques de l’habitation comme étant interreliés et complémentaires. Pour ce faire, j’ai emprunté de façon sélective, dans la littérature de disciplines variées comme l’architecture, les études urbaines, l’anthropologie, la sociologie et les études du développement, des idées et des concepts aptes à éclairer les processus de production résidentielle en cours à Pikine. Dans cette recension, j’ai porté une attention particulière à la construction et à la transformation des rapports sociaux, plus particulièrement des rapports de genre, qui prennent place à l’intérieur de ces processus. Ces idées sont organisées autour de quatre thèmes principaux, qui permettent d’aborder les questions et fondements conceptuels de cette thèse du niveau plus général, celui de la ville et des quartiers, au plus particulier, des femmes et leur famille. Je traiterai d’abord de la question de l’urbanisation et des quartiers informels et du rôle de l’État dans leurs formes particulières d’autorité, d’allocation et de contrôle des ressources foncières, ainsi que des contraintes qui en résultent pour les habitants. J’aborderai ensuite la production de l’habitation comme un processus continu de mobilisation de ressources, de conception et de transformation de la forme bâtie, ce qui me permettra de traiter de ses aspects socioculturels et architecturaux dans une perspective dynamique. Je poursuivrai avec un portrait sur les situations des femmes en milieu urbain au Sénégal. Finalement, je me concentrerai sur le processus d’autonomisation et sur les dimensions qui semblent particulièrement importantes pour l’étude des stratégies mises en oeuvre par les femmes propriétaires dans le cadre de la construction de leur maison.

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L’informalité : des règles urbaines négociées

Afin d’examiner les pratiques locales de production résidentielle et leurs interrelations avec les processus socio-économiques plus larges qui contribuent à définir l’urbanisation de Pikine, je m’appuie sur un corpus d’écrits qui s’intéressent à la question de l’informalité et au rôle de l’État dans ce phénomène. Tel qu’abordé précédemment par le cas de l’habitation au Sénégal, la plupart des écrits conçoivent l’informel comme un secteur d’activités qui se développe hors des cadres règlementaires et de la portée de l’État. Cette idée supporte encore aujourd’hui une partie importante des politiques et programmes d’intervention sur l’habitation et l’aménagement des villes en développement, même s’il existe différentes positions quant au degré d’intervention nécessaire et aux moyens à mettre en oeuvre par l’État pour intégrer ou « formaliser » ces pratiques (Jenkins et al., 2007; Roy, 2005).

Pourtant, plusieurs études empiriques, notamment sur la subdivision et la vente du foncier en contexte urbain, ont démontré le chevauchement fréquent des acteurs et des pratiques légales et extra-légales, par exemple lorsque des employés gouvernementaux se prêtent à des pratiques dites informelles ou procèdent à des ajustements dans les procédures légalement reconnues, en vendant des terrains ou en accordant des titres ou des permis sans exiger les documents requis par la loi. Dans certains cas, ces pratiques ne constituent pas des exceptions, mais plutôt ce que la majorité des habitants considèrent comme fonctionnel et légitime. Ces analyses suggèrent que pour comprendre les facteurs et motivations derrière de telles stratégies, il est nécessaire de trouver des voies plus porteuses que la comparaison des pratiques formelles et informelles ou les tentatives, souvent vaines, de les départager. Une de ces voies est de concevoir ces pratiques comme l’expression de transactions et de négociations quotidiennes entre l’État et ses divers représentants et les populations (McFarlane & Waibel, 2012).

Selon Ananya Roy (2009, 2011), l’État demeure un acteur central dans la mise en place des conditions qui favorisent la production ou la reproduction des pratiques informelles. Dans cette perspective, l’informalité peut être comprise comme un mode particulier de régulation, c’est-à-dire une logique qui structure le processus de transformation urbaine, de production et de distribution spatiale (Roy & AlSayyad, 2004). C’est en créant des exceptions, en se plaçant lui-même à l’extérieur de la loi, par exemple en formulant des cadres règlementaires qui peuvent être sujet à de multiples interprétations ou en choisissant de contrôler ou non l’application de règlements dans certaines zones de la ville, que l’État construit ce mode de gouvernance inscrit dans la négociation constante entre le légal et l’illégal, le légitime et l’illégitime. Ainsi, selon l’auteure, l’urbanisation informelle ne se produit pas en parallèle des règles officielles, dans l’extra-légalité, mais plutôt dans

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un contexte de dérégulation, « one where the ownership, use, and purpose of land cannot be fixed and mapped according to any prescribed set of regulations or the law » (Roy, 2009: 80). L’informalité devient alors un instrument alternatif de contrôle et de développement du territoire, employé parfois plus activement que les dispositifs règlementaires officiels ou les plans d’urbanisme : « Deregulation indicates a calculated informality, one that involves purposive action and planning, and one where the seeming withdrawal of regulatory power creates a logic of resource allocation, accumulation, and authority. It is in this sense that informality, while a system of deregulation, can be thought of as a mode of regulation. And this is something quite distinct from the failure of planning or the absence of the state » (Roy, 2009: 83).

Dans le contexte des villes africaines, une telle approche ouvre des pistes conceptuelles pour produire des portraits plus concrets et nuancés de l’État; loin d’être faible ou absent, ce dernier est surtout présent à l’échelle locale et dans des formes qui contredisent souvent les positions officielles (Jenkins, 2013). Dans la lignée des études anthropologiques sur la délivrance des services publics et les pratiques quotidiennes des administrations locales en Afrique, cette approche contribue à déconstruire la conception de l’État comme une entité monolithique ou statique (Blundo, 1998; Olivier de Sardan, 2008a ; 2011). Ces travaux montrent comment les agents et institutions étatiques en place entrent parfois en compétition ou, au contraire, créent des alliances entre elles et avec d’autres groupes sociaux pour le contrôle des ressources et l’exercice de leur autorité (Lund, 2006). Leur légitimité et leurs pratiques sont constamment renégociées par le biais de tactiques comme le patronage, le soutien politique ou économique à certaines organisations ou encore une application plus ou moins soutenue de la loi.De telles pratiques contribuent notamment à transformer les règles d’accès et d’utilisation des ressources foncières, à permettre ou interdire certains types de transactions et, en créant un droit différencié à ces ressources, elles contribuent à la production et la reproduction d’inégalités sociales. Cette thèse porte une attention particulière à ces représentants de l’État sénégalais, fonctionnaires gouvernementaux et employés municipaux, à leurs négociations autour de la question du foncier et à la légitimité accordée à certains acteurs non étatiques et pratiques dites informelles.

L’informalité comme mode particulier de régulation, inscrit dans l’exception et la négociation, permet également de mettre en lumière la diversité, en termes d’environnement bâti, d’intégration urbaine et de conditions de vie, de ces différentes parties de la ville qui sont généralement regroupées sous la masse homogène et souvent imprécise des bidonvilles, quartiers informels ou quartiers non planifiés. Comme le relève Roy: « informal urbanization is as much the purview of wealthy urbanites and suburbanites as it is that of squatters and slum-dwellers » (Roy, 2009: 82). À

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Dakar, on pourrait notamment faire référence au développement du littoral, où l’État collabore avec des promoteurs privés pour développer des projets immobiliers de luxe, alors qu’il dénonce simultanément, dans le discours officiel, certaines zones « spontanées » de la périphérie. Pourtant, les deux entreprises vont à l’encontre des documents de planification officiels (Diop, 2012b; Piermay & Sarr, 2007). On pourrait également évoquer les statuts particuliers accordés aux zones considérées comme des villages traditionnels, sur lesquels je reviendrai au Chapitre 2. Ainsi, chaque « quartier informel » est construit à partir d’un ensemble spécifique d’arrangements avec l’État et ses représentants et ne peut être considéré comme autonome ou indépendant de celui-ci (Myers, 2010). Pour les habitants, ce traitement différencié de l’espace contribue à créer des possibilités d’accès foncier et de construction résidentielle plus ou moins variées, selon leurs capacités à composer avec les formes d’autorité et de régulation en place. Par le fait même, l’informalité, en tant que mode d’urbanisation, contraint en partie les processus mis en oeuvre par les habitants pour se loger et leur capacité à créer différentes formes de collaboration et d’alliances pour utiliser à leur avantage, contester ou transformer les normes en place, ce que Myers (2011: 83) résume comme : « informality as a complex combination of creative and destructive tendencies ». Pour mieux comprendre ces processus, la section suivante aborde plus en détail la production de l’habitation.

L’habitation : un processus continu de transformation

La littérature sur la construction résidentielle dans les quartiers informels souligne couramment la nature dynamique et changeante de ce processus (par exemple, Canel et al., 1990; Costa & Biza, 2012; Jenkins, 2013; Kellett & Napier, 1995). Pour les habitants, construire est un engagement actif et continu avec des matériaux et du capital disponible, des contraintes spatiales, des réseaux de personnes et des aspirations. Ce processus se déploie sur le long terme et engage un ensemble d’interventions sur la forme bâtie : des transformations, des agrandissements et des améliorations, ainsi que des usages quotidiens. La nature incrémentale de l’habitation et des quartiers informels est largement étudiée dans le milieu académique, particulièrement depuis les travaux empiriques de l’architecte John Turner (1976) sur les bidonvilles au Pérou. Dans ses écrits, Turner maintient que loin d’être un problème, les maisons précaires de ces quartiers constituent la première étape d’une solution : un processus de construction progressif contrôlé par les habitants, qui leur permet d’adapter l’espace résidentiel en fonction de leurs besoins et aussi de s’intégrer socialement et économiquement à la vie urbaine. Il suggère ainsi qu’en plus d’être un bien matériel, « housing as a product », l’habitation devrait surtout être comprise comme un processus, « housing as a verb ». En plus de leur impact considérable sur le développement des théories sur l’autoconstruction (self-help

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theories) et les politiques de logement10, ces travaux ont ouvert la voie aux études empiriques qui

documentent différents processus associés à la construction, notamment l’acquisition des matériaux et d’autres ressources, ainsi que les aspects sociaux de la vie quotidienne dans de tels quartiers. En contexte africain, ces travaux ont par exemple montré comment ces milieux étaient organisés et administrés par d’importants réseaux, des liens sociaux qui permettent aux habitants de mobiliser les ressources nécessaires pour la construction et l’amélioration de leur maison, par exemple pour acheter un terrain ou trouver de la main-d'œuvre pour la construction (Antoine et al., 1987; Canel et al., 1990; Costa & Biza, 2012; Fall et al., 1998). Ces réseaux s’inscrivent généralement dans des relations familiales, de voisinage, de travail ou encore dans des structures associatives comme les regroupements de femmes, les mutuelles d’épargne ou de crédit et les associations religieuses et politiques. Ils supportent les échanges économiques, en facilitant par exemple la circulation de l’information ou en réduisant les risques des transactions, mais peuvent également s’insérer à des stratégies de reproduction familiale et de mobilité sociale (Canel et al., 1990; Costa & Biza, 2012; Fawaz, 2008). En retour, ces réseaux exigent la plupart du temps de répondre à différentes obligations et contributions et peuvent conséquemment devenir « a clostrophobic game », c’est-à-dire un mécanisme d’exclusion et de dépendance, plutôt que d’accès et de possibilités (Simone, 2004a: 219).

En comparaison à l’attention portée aux dynamiques socio-économiques qui soutendent la construction de l’habitation dans les quartiers informels, peu d’études se sont penchées sur la construction en elle-même, c’est-à-dire les interventions réalisées et les espaces résultants. Comme l’affirment Kellet et Napier (1995: 22), l’examen de ces aspects est nécessaire pour comprendre l’habitation comme un processus dynamique: « When the housing object is restored to our analytical view, it allows us a fuller picture of the decision-making process of the inhabitants, with the full scope of possible influences which may have an effect on the shaping of that built form ». Loin d’être seulement le contexte des interactions sociales et des actions observées, la maison, en tant que forme bâtie, constitue aussi un élément clé de ce projet de consolidation et d’intégration à la vie urbaine. À cet égard, les écrits sur l’architecture vernaculaire ou encore l’architecture « du quotidien » offrent des pistes conceptuelles intéressantes, en explorant comment les interactions

10 C’est à partir de ces écrits que s’est constituée l’approche de l’auto-construction assistée (self-help

housing), qui accorde une place importante au processus de décision des habitants dans la construction et qui appelle les différentes institutions financières et étatiques à jouer un rôle de soutien à ce processus. Pour plus de détails, voir notamment Jenkins et al. (2007) et Keivani et Werna (2001). Le programme des Parcelles Assainies (sites and services) de la Banque Mondiale, testé pour la première fois à Dakar en 1972, est issu de cette approche. J’y reviendrai brièvement au Chapitre 2.

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sociales sont supportées, construites ou transformées par l’environnement bâti (Cassiman, 2011; Habraken, 1985 ; 1988; Hanson, 1998; Hillier & Hanson, 1984; Kellett & Napier, 1995; Lawrence & Low, 1990; Lawrence, 1987; Low & Lawrence-Zuniga, 2003; Pellow, 2003; 2008 ). La conception de l’environnement bâti supportée par ces écrits est dynamique; elle est ancrée dans l’étude des facteurs sociaux, politiques et économiques qui produisent ses formes et, réciproquement, des effets de l’environnement bâti en tant que construction spatiale et matérielle sur l’action humaine.

Les travaux réalisés dans cette perspective ont principalement porté leur attention sur les pratiques quotidiennes de l’habiter, c’est-à-dire le « processus social spatialisé dans l'habitation » (Osmont, 1980 : 98). On y suggère notamment que la famille et ses besoins changeants sont liés de très près aux ajustements spatiaux apportés à la maison et qu’en conséquence, ces deux dimensions peuvent être considérées comme un seul « processus de vie » dynamique (Carsten & Hugh-Jones, 1995). Par exemple, l’étude de Pellow (2003) sur les modifications apportées au courant des 80 dernières années aux concessions d’une communauté haoussa,au Ghana, montre que la transformation des rapports de genre et de la forme bâtie sont des processus qui peuvent s’influencer mutuellement. L’auteur examine les changements apportés aux maisons sur cour, un modèle qui appuyait à l’origine la séclusion des femmes en présentant une forte gradation entre ses espaces publics, dédiés aux hommes, et ses espaces plus privés, réservés aux femmes. Dans un contexte d’urbanisation et de besoins en logement croissants,les habitants ont modifié la hiérarchie existante entre les pièces en adaptant celles-ci à la location, ce qui a simultanément atténué leurs pratiques résidentielles liées à la séclusion. En portant une attention particulière aux activités qui prennent place dans la maison, comme préparer les repas ou recevoir les invités, de telles études offrent une meilleure compréhension de l’importance et des différentes significations qu’occupent certains espaces dans la vie quotidienne des habitants.

En s’intéressant à la construction, d’autres travaux récents suggèrent cependant qu’il y a plus à examiner et à comprendre dans les maisons que la manière dont elles sont occupées. « Is it only through dwelling, through the making of a household, that the house is refashioned or that it becomes socially significant? » demande Melly (2010: 53), dans son article sur les constructions entreprises par les migrants à Dakar.Elle soutient que ces nombreuses maisons en chantier, même si elles ne sont pas habitées, possèdent une signification importante, à la fois pour les familles propriétaires et pour les habitants de la ville : « It is not only the content […] but also the form itself that gives shape to African conceptions of the modern » (2010 : 58). En tant que témoins d’aspirations et d’investissements futurs, ces maisons influencent les représentations et l’expérience

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de la ville puisqu’elles deviennent indicatrices des moyens à posséder et à mettre en œuvre pour pouvoir véritablement participer à la vie urbaine. Réalisés dans un quartier en consolidation en périphérie de Maputo, les travaux de Nielsen (2008) suggèrent aussi que les maisons en construction participent à la constitution de l’identité et des relations sociales des habitants. En plus des pratiques de construction, c’est la matérialité même de la maison en chantier, les blocs empilés et les murs inachevés, qui représentent pour les habitants une manifestation des aspirations du constructeur, sa capacité à préparer son futur et par conséquent sa disponibilité à s’engager avec les autres dans des relations de réciprocité.

L’étude des différentes dimensions socioculturelles et physiques de l’habitation n’est pas nouvelle en contexte africain, mais jusqu’à présent, peu d’études ont approché celles-ci de façon intégrée. Cette thèse représente un effort dans cette direction. Par l’examen du processus de production des habitations des femmes propriétaires, je cherche à comprendre comment les interactions sociales entre les occupants et avec le voisinage sont supportées et transformées par l’environnement bâti. Dans cette thèse, j’emploie l’expression « production de l’habitation » pour faire référence au cycle complet d’actions et de décisions qui entourent la construction, à différents rythmes, des maisons : la mobilisation des matériaux et autres ressources nécessaires à la construction, le « design » ou la conception, ainsi que le processus de construction, c’est-à-dire l’intervention sur le bâti et les formes résultantes. Dans cette approche à la production est implicite l’idée de la participation active des habitants. Celle-ci peut être physique, mais les travaux sur les villes ouest-africaines montrent qu’en général, elle correspond plutôt à une coordination des ouvriers et de l’approvisionnement en matériaux (Canel et al., 1990). Cette participation implique aussi de déterminer et de choisir les « meilleures » solutions parmi les options possibles, à l’intérieur de contraintes politiques, économiques et socioculturelles importantes.

Les femmes en milieu urbain au Sénégal : de nouvelles responsabilités et

possibilités, au-delà de la gestion domestique

Au Sénégal, les situations économique et résidentielle des femmes sont fortement conditionnées par les dynamiques matrimoniales, plus précisément par la formation et la dissolution des unions. Le mariage est perçu comme une condition de l’épanouissement individuel; il est à la fois une nécessité économique et un moyen d’acquérir une reconnaissance sociale (Dial, 2008). À cet effet, plusieurs écrits traitant du mariage en milieu urbain soulignent la forte pression qui mène les jeunes femmes à se marier pour satisfaire aux attentes sociales et familiales (Buggenhagen, 2012; Dial, 2008; Le Cour-Grandmaison, 1971). Si le mariage a aujourd’hui lieu à un âge plus avancé, il demeure une

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pratique presque universelle : un faible taux de femmes sont encore célibataires à l’âge de 35 ans et moins de 5% le demeurent toute leur vie (Antoine, 2002). Bien que leur cas soit moins documenté, selon les écrits, les femmes célibataires se trouvent dans un état d’attente, une position mal vécue qui ne leur permet pas de se réaliser entièrement (Adjamagbo & Antoine, 2009; Adjamagbo et al., 2004).

Malgré une certaine évolution des pratiques matrimoniales en milieu urbain, les principes et les normes qui régissent les responsabilités à l’intérieur des couples demeurent bien définis. Ceux-ci fondent l’inégalité des rapports sociaux et économiques entre conjoints et relèguent les épouses à des fonctions essentiellement domestiques.Les obligations de prise de charge matérielle du foyer, incluant le logement, sont assignées à l’époux et rattachées à son autorité sur sa famille (Dial, 2008; Diop, 1985). Selon Adjamagbo et al. (2009: 103), cet « assujettissement économique des femmes, présenté comme un postulat historique, est l’un des instruments les plus puissants de la domination masculine ». En effet, les responsabilités économiques de l’homme ont théoriquement pour contrepartie l’obéissance et la dépendance de son épouse (Diop, 1985). Ce devoir d’abnégation des femmes est d’autant plus important qu’il renvoie directement à leurs responsabilités envers leurs enfants. Il existe dans les représentations populaires une relation de causalité entre le mérite d’une femme en tant qu’épouse et mère et la réussite sociale de ses enfants; plus elle se dévoue et se « fatigue » dans son ménage, plus l’avenir de ses enfants sera radieux (Lecarme, 1999). Ce principe, observé également dansd'autres sociétés africaines, est exprimé dans le concept wolof du « travail de la mère » (ligeeyu ndey) qui est fréquemment employé pour expliquer le succès d’un individu11.

À Dakar, le travail attendu de la femme et les responsabilités qui lui sont attribuées concernent avant tout le bien-être de son mari et de ses enfants. Toutefois, les femmes se trouvent actuellement au cœur de transformations notables dans les pratiques matrimoniales, ce qui contribue à remettre en question ces normes.Parmi ces transformations, leur contribution accrue aux dépenses familiales ainsi que l’augmentation des périodes vécues en dehors du mariage soulèvent des pistes intéressantes pour examiner les processus d’autonomisation féminine en rapport avec l’habitation. La participation croissante des femmes à la mobilisation des ressources quotidiennes suggère des conséquences importantes en termes de rapports sociaux. Si cette tendance n’est pas totalement nouvelle, la présence des femmes dans les activités économiques urbaines prend de l’ampleur à Dakar et devient de plus en plus nécessaire à la survie des familles (Adjamagbo et al., 2004;

11 Adjamagbo et al. (2004) font aussi référence à l’expression « yaayam ligeey na » (sa mère a bien travaillé),

communément utilisée lorsqu’un individu a traversé de rudes épreuves avec succès, ou encore à l’adage « ligeeyu ndey añup doom » (le travail de la mère est le déjeuner de l'enfant), pour expliquer que la réussite de l'enfant dépend de la bonne conduite et de l’abnégation de sa mère en tant qu’épouse.

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Rondeau & Bouchard, 2007). Sylvia Chant (2008a) qualifie ce phénomène, observé à travers la plupart des pays en développement, de « féminisation des responsabilités et des obligations ». Elle souligne l’écart important entre les contributions des femmes et des hommes dans la gestion de la précarité des ménages et des communautés, en plus de la faible reconnaissance que retirent les femmes de leur implication. L’incapacité croissante des hommes à assumer seuls les besoins essentiels du ménage peut déstabiliser le fonctionnement des rapports conjugaux : « Les réalités de la vie quotidienne sont telles, que le partage des responsabilités est rendu difficile. L’homme, en mal d’insertion dans le secteur formel de l’économie urbaine, doit parfois accepter de vivre à la charge de sa femme qui se débrouille dans l’informel. Cette réalité est souvent décrite comme une source de conflit » (Adjamagbo et al., 2009: 119). Les effets de ce phénomène sur les modalités de partage du pouvoir entre les hommes et les femmes sont toutefois loin d’être tous connus; si plusieurs auteurs proposent qu’il s’agit d’une voie possible pour gagner en autonomie (voir notamment Kabeer (2005) et Adjamagbo et Calvès (2012)), les études sur le travail des femmes à Dakar sont plutôt partagées sur le potentiel de telles activités à transformer les rapports de genre dans les ménages(Adjamagbo et al., 2004; Rondeau & Bouchard, 2007).

Le prolongement et l’augmentation des périodes vécues hors mariage chez les femmes constituent d’autres transformations récentes des pratiques matrimoniales qui peuvent contribuer à l’émergence de nouveaux statuts féminins. La fréquence des divorces, l’allongement de la durée entre deux mariages et la diminution du remariage des veuves suggèrent ainsi que de plus en plus de femmes choisissent de vivre en dehors du mariage, du moins à certains moments de leur vie. Les divorces s’avèrent particulièrement fréquents à Dakar et ceux-ci sont portés par les femmes dans 80 % des cas (Adjamagbo et al., 2004). Considérant la rapidité du remariage après le divorce, on ne peut toutefois interpréter ce phénomène comme une prise de distance des femmes face à l’institution du mariage ou une tendance claire à leur autonomisation. Toutefois, Dial (2008) fait état de diverses stratégies déployées par celles-ci pour que le remariage leur offre une meilleure position. Cette période d’autonomie relative peut par exemple leur permettre d’entreprendre une nouvelle activité économique ou de revoir leurs conditions de résidence. Lors d’un remariage, qui se fait la plupart du temps dans une union polygame, certaines femmes choisissent ainsi de se soustraire au principe de patrilocalité, qui les conduit à rejoindre la maison de leur mari ou de sa famille (Dial, 2008). Les écrits font également mention d’une diminution importante du taux de remariage des veuves (Adjamagbo & Antoine, 2009). Cette pratique est présentée comme un moyen, pour les femmes, d’éviter la dégradation de leurs conditions de vie matérielle, par exemple en conservant pour elles-mêmes un patrimoine résidentiel ou foncier acquis. Les normes et pratiques d’héritage en place, qui

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s’appuient sur la religion musulmane et la tradition, rendent les femmes vulnérables à la dépossession, puisque leurs droits sont fortement liés à ceux de leur mari et parents masculins (Rakodi, 2010; Whitehead & Tsikata, 2003).

La manière dont les femmes conçoivent leur avenir et les solutions qu’elles envisagent pour y parvenir sont donc grandement liées à leur situation matrimoniale, économique et résidentielle. Les écrits abordés dans cette section suggèrent qu’il est d’abord nécessaire de faire preuve de conformité, du moins en apparence, pour adopter une position d’autonomie qui est mieux tolérée socialement (Adjamagbo & Antoine, 2009). C’est particulièrement lors de périodes de transition, qui ne relèvent pas toujours de situations délibérément choisies, que les femmes semblent pouvoir remettre en question certains aspects de leur vie et prendre des décisions sur la transformation de ceux-ci. Dans cette thèse, je souhaite montrer comment la production d’une habitation peut participer à de tels processus.

Vers l’autonomisation : ressources, agencéité et construction

J’ai relevé au début de cette introduction comment l’autonomisation des femmes propriétaires pouvait être liée à leur capacité à prendre des décisions éclairées à propos de leur habitation. À cet effet, l’approche élaborée par Kabeer (1999a, 2005) pour comprendre et évaluer l’autonomisation constitue une base utile pour examiner les stratégiesindividuelles et collectives mises en œuvre par les femmes propriétaires dans le cadre de la production de leur maison, ainsi que les contraintes auxquelles elles doivent faire face. Selon l’auteure, ce processus de transformation peut être étudié par le biais de trois dimensions, ou « moments », étroitement liés :

1) Les ressources (pre-conditions) comprennent à la fois les ressources matérielles et les ressources humaines et sociales qui peuvent favoriser la capacité d’exercer des choix. Ces ressources peuvent être mobilisées à l’intérieur de domaines institutionnels variés, incluant la famille, la communauté et le marché.

2) Les capacités d’action (process) correspondent à la capacité d’une personne de définir et de poursuivre ses propres objectifs, même face à une certaine forme d’opposition. Ceci inclut les représentations et les motivations qui soutiennent ces actions; un pouvoir intérieur (power within) qui renvoie à la confiance en soi et à la capacité de contester certaines formes d’oppression. Ces actions peuvent être exercées individuellement ou collectivement et prendre différentes formes : « bargaining and negotiation, deception and manipulation, subversion and resistance as well as more intangible, cognitive processes of reflection and analysis » (Kabeer, 1999a: 9).

Références

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