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L'image de la femme dans les "grande proses" d'André Breton

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Academic year: 2021

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L'IMAGE DE LA FEMME DANS LES ccGRANDES PROSES)) D'ANDRÉ BRETON

by

Marie FORTIER

A thesis submitted ta the

Faculty of Graduate Studies and Research in partial fulfillment of the requirements

for the degree of Master of Arts

Department of French Language and Literature McGili University, Montreal

July 1990

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RÉSUMÉ

L'image de la femme est omniprésente dans les «grandes proses» d'André Breton: Nadja, L'amour fou et Arcane 17. Elle représente bien des éléments autLbiographiques mais la révélation n'est pas à ce niveau. Cette image dont la récurrence textuelle forme une réelle unité thématique, une topique, se donne à voir dans ses dimensions poétique, symbolique, mythique. La femme offre au poète surréaliste toute une rhétorique. L'image de la femme prend, dans ces oeuvres, la dimension d'un symbole. Dans sa réalité cosmique, tellurique, elle est identitée

à

la Nature; dans sa réalité onirique, elle est enracinée dans l'inconscient. Cette image est de plus instaurative car ~lIe donne accès à la vision de l'Autre. Elle est, pour le poète, selon la grille d'i nterprétation jungienne, la figure archétypale de l'Anima. Dans sa dimension mythique enfin, elle renoue avec les grandes apparitions du principe féminin: Muse, Esprit, Fée, Elfe, Vierge ...

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SUMMARY

Woman is an ever-present image in the prose poems Nadja, L'amour fou and Arcane 17 by André Breton. White the image incorporates several autobiographical references, this is not the revelation. With textual recurrence forming a thematic, topical thread, the image is seen in its poetic, symbolic and mythical dimensions. Woman offers a surrealist poet a rhetorical gift ln these works the image of woman acquires symbolic value. It is identified with Nature in its cosmic, telluric reality, rooted in the unconscious in its oneiric reality. It is epiphanic in that It gives access to the Other's vision. To the poet it represents, to use Carl Jung's hermeneutic, the archetypal figure of the Anima. In its mythical dimensions, finally, the image calls forth the great visions of femininity: Muse, Sprite, Fairy, Elf, Virgin ...

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TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION... ... ... ... ... ... ... .... .... ... .. .... ... . 1

CHAPITRE PREMIER: Problématique de l'imaginaire A. Rationalisme contre Irnaginaire ... 6

B. Le conflit des mterprétations ... 12

CHAPITRE Il: Le nouveau pouvoir d'énonciatIon A. Les nouveaux romantiques... .... ... 1 8 B. La rhétorique surréaliste ... 25

CHAPITRE III: L'apparition textuelle de l'image de la femme ... 30

A. Nadja, la voyante, l'initiatrice au surréel, à l'amour ... 31

B. Mélusine, la voix de la sirène dans les eaux du désir ... 38

C. Elisa dont la main, «dans sa pâleur d'étoile .. , établit l'harmonie cosmique ... '" ... 46

CONCLUSION: L'image de la femme ou l'ombre de l'homme ... 60

BIBLIOGRAPHIE

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INTROD UCTION

.. Tout individu, homme ou femme, qUI travaille à

produire en lUi-même l'union du pnnclpe féminin avec le principe masculm apporte sa pierre à la construction d'un ordre nouveau ..

Mane-I_oulse von FRANZ 1

S'il est une figure rostrale à placer à l'avant du navire sur lequel André Breton navigue d'aventure, c'est bien Mélusine. En elle se profilent Nadja, l'ondine et Elisa. Les eaux sont troubles et l'époque sauvage. Toujours dans ces messages, comme bouteille à la mer, une grande espérance dans l'aventure humaine, unique, de laquelle il ne faut pas démériter.

A quelle urgence répondait son oeuvre animée d'une telle fièvre communicatrice? Journal de bord sur ce navire où le pilote a très tôt senti qu'il n'était pas seul à bord, journal intime de celui qUI aspirait à avoir une vie transparente, rapport scientifique d'un chercheur qui n'a pas eu l'indécence de placer un présupposé théorique à travers IPoquel l'expérience se Justifierait.

Tout au plus Breton place-t-il quelques repères: toute-puissance du rêve, reconnaissance de l'imaginatron, place privilégiée de la femme, de l'amour, confiance absolue dans la liberté, passage incontournable par la poésie.

1 FRANZ. Mane-LOUise von, La femlne dans les contes de fées, Paris, La Fontaine de Pierre, 1984, p 310

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Tout au plus propose-t-il quelques vade-mecum: Les chants de Maldoror et L'interprétation des rêves.

Il ne manque pas d'indiquer <cie point", tel un Graal, dès les premières expéditions dans le monde du surréel, un point où l'on ne s'mstalle pas, preuve suprême de détachement, mais qui révèle à l'aventuner, à l'mitlé, la synchronlclté, l'unité du Réel. Les passages dangereux sont même signalés car le risque est omniprésent et André Breton est conscient dG sa responsabilité de chef de file

Dans cette époque sauvage, Breton aurait pu privilégier le sordide, le glauque ou l'action héroïque dans une littérature virile et réaliste L'omniprésence de l'image de la femme dans ces «grandes proses» est problématique Notre projet est donc de décrypter ceUe présence énigmatique. La redondance de ces apparitions féminines liées, fondues dans des évocations telluriques redonne à vOir le monde dans un acte d'amour, d'adhésion, de conjonction Ce chOIX d'une image de la femme capable de rédimer un monde perdu part d'un préjugé Idéaliste, certes, mais plus profondément, nous semble-t-il, d'une nécessité psychologique telle que Jung l'a révélée: celle de reconstruire cet archétype fondateur, capable de donner sens à la vie.

L'époque n'avait cessé de reprendre l'acte de décès proféré par Nietzsche' «Dieu est mort.» Kandinsky, dans son livre On the Spiritual in Art, le confirmait ccHeaven is empty, Gad is dead.» Chirico construisait un monde aux perspectives inquiétantes, peuplé d'ombres errantes, après avoir fait un constat semblable'

.. Schopenhauer and Nietzsche were the lirst to teach the deep slgnlflcance 01 the senselessness of IIfe, and to show how thls senselessness could be transformed mto art The dreadful void the y dlscovered 15 the very s0ulless and untroubled beauty of matter .. 1

1 JUNG, Carl G, Man and hls symbols, ccSymbolism ln the visual arts .. by Aniela JAFFÉ, New-York, Doubleday & Company Ine , Garden City, 1964, P 255

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2-.,

L'art est donc devenu une aventure spirituelle, dans la lignée socratique du «Connais-toi toi-même» De l'écriture, de la peinture, de la sculpture, les surréalistes ont fait une aventure; à leur sUite, la démarche créatrice est une quête de l'i nconnu, un refus de répéter ces expériences, d'exploiter ces découvertes:

"II n'est pas de grande expédition, en art, qUI ne s'entreprenne au pértl de la VIe, que la route à sUivre n'est, de toute éVidence, pas celle qUi est bordée

de garde-fous et que chaque artiste dOit reprendre seul la poursUite de la

TOison d'or Il 1

C'est à l'intérieur de cette poursuite que l'image de la femme se donne à voir comme mirage, icône, irrisée et multiple, déesse primitive reflétant la vie_ Cette féminité souveraine, présente dans la mentalité et les religions orientales, faisait grandement défaut dans la pensée occidentale André Breton, résolument engagé dans cette quête philosophique, à l'écoute de la voix intérieure qui questionnait de façon lancinante: «QUI suis-Je ?", allait entendre celle de l'Anima. Voilà donc

avanc.ée notre thèse. cette image de la femme, objet de culte, de fascination, est l'lnscnption de l'Anima, la reconnaissance par un homme à la recherche de lui-même de cette partie constitutive de son moi, de cette passivité créatrice, de cette féminité fécondante que l'artiste, plus qu'un autre homme, est capable de prendre le risque d'écouter.

Pour atteindre cet objectif, il faut supposer que l'image, plus qu'un ornement rhétorique, soit enracinée dans l'inconscient, symbolique, chevillée au désir. Il faut également supposer que son apparition littéraire ou picturale soit sujette à interprétation.

1 BRETON, André, MaDifestes du surréalisme, Pans. Gallimard, Coll Idées. NRF, 1966, P

170

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-3-1

L'approche théorique de Gilbert Durand va nous servIr de gUIde de réflexIOn bien que nous n'ayons pas choisi de faIre le portrait de Breton selon les structures archétypales des images car c'est beaucoup plus l'Image de la femme qu'il nous intéresse de capter et de décrypter. Les travaux de GIlbert Durand sur l'Imagination symbolique vont nous permettre de sItuer la problématique de l'Imaginaire et le statut de l'image au pOint de vue psychologique Le choIx de l'interprétation jungienne découlera de cette analyse.

C'est également par une approche textuelle que nous percevrons la présence poétique de la femme. Placée au centre d'un tourbillon d'analogies, de ces mots pris au «piège de la vitesse», l'Image de la femme hypnotise par sa réalité poétique et symbolique Comme le souligne Jakobson, un symbole reste un symbole mais il est relié à l'action C'est dans la Nature que se déplace et s'mtègre cette image de la femme. La Nature et la Femme sont toutes deux coprésentes dans le simulacre verbal de Nature. Nous touchons bien dans la création de cette image de la femme à l'essence de la Poésie .

.. En poésie, non seulement la séquence phonologique mais de la même mamère toute séquence d'unités sémantiques tend à construire une équation La superposItion de la slmllanté sur la contlgulté confere à la poésie son essence de part en part symbolique, complexe, polysémique. essence que suggère SI heureusement la formule de Goethe "Tout ce qUI passe n'est que symbole" Olt en termes plus techniques tout elément de la sequence est une comparaison En poésie, ou la slmllanté est proletee sur la contlgulte toute métonymie est légèrement métaphonque toute métaphore a une teinte métonymique La suprématie de la fonction poétique sur !a fonction référentielle n'oblitère pas la référence (la dénotation). mais la rend amblgue " 1 1 JAKOBSON, Roman, EssaiS de IInaulstlQue générale. Pans, Edit de MinUit, 1963, P

238

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C'est à travers ces équations, en dénouant ce noeud sémantique, que l'on révélera cette Image.

Dans un premier temps, nous envisagerons la problématique de l'imaginaire et retracerons l'occultation lente de l'imagination au profit d'un savoir apodictique qUi pUisse railler les esprits Le symbolisme scientifique a en effet pris le relais du symbolisme mythique dans la pensée occidentale. Nous aSSistons, avec le dadaïsme et le surréalisme, à une entreprise de sabordage systématique du navire raison. (CHAPITRE PREMIER)

Dans un deuxième temps, nous analyserons comment cette action de révolte a pu permettre un déchaînement verbal, révéler un pouvoir d'énonciation qUi replace la poésie aux sources de l'Inconscient, l'épure des «tiCS» de l'esthétisme pour atteindre une "beauté convulsive». (CHAPITRE Il)

En troiSième lieu, c'est par le repérage des signes qui évoquent la femme ,que nous pourrons dégager une apparition textuelle de l'image de la femme à la

rencontre des règnes cosmique et onirique. (CHAPITRE III)

En conclusion, nous rattacherons cette Image emblématique à l'archétype fondateur de l'Anima et comprendrons ainsi la profondeur et l'originalité du projet de féminisation du monde d'André Breton.

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CHAPITRE PREMIER PROBLÉMATIQUE DE L'IMAGINAIRE

A. Rationalisme contre Imaginaire

L'intérêt d'une analyse de l'image de la femme inscrite au coeur du déroulement textuel et iconographique des «grandes proses» d'Andr4 Breton est d'en révéler la valeur symbolique. Il apparaît donc Indispensable de replacer cette image de la femme à l'intérieur de la problématique de l'Imaginaire afin de mieux en cerner la fonction mythique.

André Breton avait profondément conscience de la nouveauté de "entreprise surréaliste de remythification. Dans cette aventure humaine Inséparable de l'aventure poétique, il SUIvait les injonctions de Rimbaud, de Freud et de Marx «"Changer le monde" avait dit Marx, "changer la vie" a dit Rimbaud Ces deux mots d'ordre pour nous ne font qu'un.» 1 André Breton aspirait donc à une réforme de l'entendement humarn C'est en redonnant à l'homme accès à son Imagrnalre, à sa puissance créatrice, que cette réforme aura lieu L'Imagination, la phantasia, a subi depuis Anstote une dévaluation constante. La démarche rationaliste, la pensée positiviste tnomphante du XIXè Siècle progressiste, héritier de celUI des Lumières, visait à dominer la Nature par une approche SCientifique, à éllmrner I\3S pratiques mythiques et religieuses. N'a-t-on pas décrit l'angine de la philosophie comme le passage d'une mentalité globalisante à une mentalité rationnelle séparatrice Structures mentales et structures sociales furent rntlmement liées pour assurer cette

1 BRETON, André, Entretiens, Pane;, Gallimard, Coll Le pomt du lour, NRF, 1969, P

272

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6-primauté de la pensée logique et rationnelle. la rationalité se définit donc bien par son triple caractère:

"Elle est exclusive, c'est-à-dire qu'elle rejette hors d'elle le mythe, la religion, en se présentant comme connaissance authentique de la réalité. Elle correspond à des normes discursives dans le déploiement du savoir. Elle répond à une certame structure sociale, à une certaine insertion du savoir dans la société" 1

La connotation négative qui accompagne encore la compréhension des mots imagination, mythique, primitif, est significative de cet exclusivisme de la raison. Dans ce paradigme négatif, on retrouve d'ailleurs: erreur, errance, intuition, folie et femme.

Si André Breton n'a cessé de valoriser l'imaginaire et ses productions, c'était pour redonner à l'homme la pleine utilisation de son patrimoine psychique, psychologique et culturel. En réactivar.t la productivité psychique dévalorisée qui était celle de l'imaginaire, il remettait l'homme sur le voie de la Merveille, de l'Utopie. C'est donc bien contre cette primauté de la raison pour rendre compte du réel que s'élève André Breton dès 1924 dans le premier Manifeste du surréalisme. Il prend résolument parti pour l'homme, ce «rêveur définitif". les surréalistes partent en guerre contre l'intellect, contre la raison. On se sent en pleine lutte dans cette Image de bataille: «Les menaces s'accumulent, on s'aide, on abandonne une part du terrain

à

conquérir.» 2 Tous les explorateurs ont été des guerriers, les croisés comme les conquistadors. Il s'agit donc, pour les surréalistes, de reprendre le terrain perdu depuis des siècles, reconquérir le Graal, l'Imagination, la Lumière: «Cette Imagination qui n'admettait pas de bornes on ne lu; permet plus de 1 AUROUX, S, et WEIL, y, Dictionnaire des auteurs et des thèmes de la philosophie,

Pans, Hachette, Coll Faire le point, 1975, p. 237

2 BRETON, André, Manifestes du surréalisme. Op cit ,p 12

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-7-s'exercer que selon les lois d'une utilité arbitraire.» 1 Ce sont de nouveaux iconoclastes qui vont à l'enterrement d'Anatole France et qui, au nom de «la plus grande liberté d'esprit» affirment que «la seule imagination me rend compte de ce qui peut être.» 2 La révolution copernicienne de l'esprit est ici engagée. C'est à un renversement total des valeurs que nous assistons. C'est au discrédit du rationalisme qu'André Breton et le mouvement surréaliste ne cesseront de travailler. ceLa seule imagination» donne accès au Réel, à ce qui est, mais aussi à l'Utopie, à ce qui peut être. Le point faible du rationalisme est qu'il ne peut rendre compte de la totalité du Réel:

"Le rationalisme absolu qui reste de mode ne permet de considérer que des faits relevant étroitement de notre expénence. Les fins logiques, par contre, nous échappent.. Sous couleur de civIlisation, sous prétexte de progrès, on est parvenu à bannir de l'esprit tout ce qui se peut taxer à tort ou à raison de superstition, de chimère.. \1 taut en rendre grâce aux découvertes de Freud. Sur la foi de ces découvertes, un courant d'opinion se dessine enfin, à la faveur duquel l'explorateur humain pourra pousser plus loin ses investigations, autorisé qU'II sera à ne plus seulement tenir compte des réalités sommaires. L'imagination est peut-être sur le pOint de reprendre ses droits ... 3

La révolution surréaliste du début du siècle ne peut se comprendre sans la guerre de 14-18 qui ébranla les structures sociales mais surtout le monde des valeurs de la société bourgeoise et les structures mêmes de la mentalité moderne. Para"èlement, les révélations de la pathologie psychologique et de l'ethnologie vont mettre en question l'individu normal et civilisé. L'image de la femme, celle du

1 BRETON, André, Manifestes du surréalisme, Op. cit ,p 12.

2 Ibid., p. 13. 3 Ibid, p. 19.

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---primitif, celle du fou, vont prendre le devant de la scène littéraire, philosophique et ethnologique. «Présentez-moi un être normal», écrivait Jung, cc je vous le guérirai.»

Ainsi les méthodes comparant la folie avec la saine raison, la logique efficace du civilisé avec les mythologies du primitif, ont eu l'immense intérêt d'attirer l'attention scientifique sur le dénominateur commun de la comparaison: le règne des images symboliques. On s'attache dorénavant

à

éclairer le mécanisme par lequel s'associent les symboles et la recherche du sens plus ou moins voilé des images, que ce soient celles du rêve, de la production littéraire ou picturale, des mythes ou des religions. Dès le début du siècle, avec les travaux de Freud, Jung, Saussure et, à leur suite, Eliade, Bachelard, Lévi-Strauss, Breton et le groupe surréaliste, l'image symbolique se retrouve au coeur des recherches psychanalytiques, historiques, linguistiques, philologiques, religieuses, philosophiques, anthropologiques et poétiques.

L'unité remarquable de l'oeuvre d'André Breton tient au fait qu'elle s'inscrit à l'intérieur de ce grand mouvement des sciences humaines. L'expérience vécue, l'expérimentation de la psyché. l'expérience poétique. sont inlassablement reformulées au plan théorique par Breton animé d'un réel souci didactique. Sa prise de position fondamentale: ceLe surréalisme c'est l'automatisme» est à

replacer dans le dessein général d'exploration du psychisme. Sur le modèle de la méthode freudienne des associations d'idées. André Breton établit la méthode surréaliste d'investigation de l'imagination. Comme activité psychique, le propre de l'imagination est d'être productrice d'images. Ces images pourront être décryptées comme symboles ou symptômes selon l'herméneutique. L'image, sur le modèle du rêve, est la langue du désir et, comme le souligne Ricoeur:

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.. Comme tout homme du désir, je m'avance masqué - larvatus prodeo, du même coup le langage est, d'abord et le plus souvent, distordu' il veut dire autre chose que ce qU'II dit, il a un double sens, il est équivoque Il 1

De plus, l'image surréaliste qui rend compte de cette activité analogique et non logique de l'esprit, s'inscrit dans une recherche des signes de synchronicité, dans une recherche de ce «point» où toutes les antinomies se fondent.

La production de l'image fait, à l'origine, partie intégrante de l'activité symbolique de l'esprit. C'est cette activité symbolique que Piaget a analysée dans ses recherches génétiques. La fonction de l'image est de re-présenter à la conscience un signifié absent, de tendre à une adéquation totale avec la perception de ce signifié. Le symbolisme est ce système de signes écrits dont l'agencement répond à des règles et qui traduit visuellement la formalisation d'un raisonnement. Cette activité va tendre à l'univoque sous la pression des rationalismes d'Aristote, en passant par Descartes, et plus proche de nous, dans les systèmes binaires des langages machine, pour arriver à cette «appréhension analytique, fractionnée, séquentielle, froide, du donné." 2

Cette image mentale, cette représentation psychique d'un objet absent, d'un monde absent, participe à l'élaboration de l'imagination symbolique de l'homme. D'autre part, la richesse équivoque de l'imaginaire, la plurivoclté de l'Image, seraient inscrites dans les formes mêmes du psychisme. Selon Jung, 1'«lmage primordiale" est au coeur de l'imagination créatrice: (,C'est dans les productions de l'imagination que les «images primordiales» deviennent visibles et c'est là que la notion d'archétype trouve son application spécifique.» 3 L'image peut donc

1 RICOEUR, Paul, De l'interprétation - essai sur Freud. Pans, SeUil, 1965, p 16 2 WUNENSURGER, J-J, La raison contradictoire., Pans, Albin Michel, 1990, p 12 3 JUNG, CG, Les raclOes de la conscience, Paris, Suchet Chastel, 1971, p 73

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traduire une inadéquation extrême, c'est-à-dire ecun signe éternellement veuf du signifié, et nous verrons que ce signe lointain n'est autre que le symbole." 1 Cette activité symbolique qui est au coeur de l'imaginaire mythique, religieux, est si profondément liée à l'activité psychique que les éclairages récents de la psychanalyse, de la psychologie, n'ont faît que lui donner la place qui lui revient, c'est-à-dire essentielle. Le grand mérite de Breton et des surréalistes est d'avoir réactivé cette activité fondamentale à l'individuation. Ils n'ont cessé d'encourager, de favoriser, la remythification.

L'image de la femme se trouve au coeur de cette entreprise. Cette image est bien symbolique car elle offre les trois dimensions du symbole que souligne Paul Ricoeur: une dimension cosmique car l'image offre une référence au monde visible, une dimension onirique car la racine de l'image se situe dans les souvenirs, les rêves, et une dimension poétique car l'image symbolique fait appel au langage pour donner à voir cette re!1contre. Plus précisément, c'est à l'intérieur d'une poétique surréaliste que se révélera cette image de la femme. C'est dans une langue énigmatique, équivoque, plurielle, dans une langue chevillée au désir, que \.:ette image sera rendue visible.

Nous plaçons, d'entrée de jeu, comme point de repère, cette définition du symbole telle que l'a énoncée Gilbert Durand:

" ... un signe renvoyant à un indicible et invisible signifié, et par là, étant obligé d'incarner concrètement cette adéquation qui lui échappe, et cela par le jeu des redondances mythiques, rituelles, iconographiques, qui corrigent et complètent inépuisablement "inadéquation.» 2

1 DURAND, Gilbert, L'imagination symboliQue, Paris, PUF, 1976, p. 8.

2 Ibid., p. 18.

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L'image de la femme est la grande figure mythique du surréalisme. Elle est au coeur des «grandes proses» d'André Breton. Dans sa préface à l'album de Man Ray, il confirme la fonction de déchiffrement et d'oracle de cette image de la femme:

ceLe portrait d'un être qu'on aime dOit pouvoir être non seulement une Image

à laquelle on sount, mais encore un oracle qu'on interroge Sous tant de traits contrajictolres. se compose l'être unique dans lequel Il nous est donné de vOir le dernier avatar du SphinX " 1

C'est à cette lecture de l'image, à ce décryptage, que nous convie ,'auteur de Nadja, de L'amouLJQy et d'Arcane 17. Cette énigme appelle interprétation, mais quelle interprétation choisir car il y a conflit des interprétations?

B. Le conflit des interprétations.

La psychanalyse, le structuralisme et l'anthropologie sociale ont placé l'activité symbolique au coeur de leur enquête sur l'homme. L'herméneutique dominante du XX e siècle est sans conteste celle de la psychanalyse L'interprétation du rêve comme modèle d'interprétation est posée par Freud comme un a prion théorique. Le père de la psychanalyse établit «une articulation de la théorie de la culture sur celle du rêve et de la névrose.» 2 L'interprétation du contenu manifeste qui doit dévoiler le contenu latent va mettre l'accent sur le Jeu de «montré-caché .. 3 au coeur du noeud sémantique.

1 BRETON, André, point du jour. Pans, Gallimard, Coll Idées, NRF, 1970, P 163 2 RICOEUR, Paul, De "interprétation - essai sur Freud,Op cit , p. 15

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Les images du rêve, les fantasmes sont les symboles d'une situation conflictuelle très ancienne au cours de laquelle la libido a été censurée. Les images plastiques ou littéraires apparaissent donc comme les signes révélateurs d'un blocage de la libido. Elles témoignent d'une régression affective. La fonction symbolique, d'après l'herméneutique freudienne, est réductive. Le symbole renverra toujours à la sexualité. Ainsi, toutes les images, tous les fantasmes, tous les symboles se réduisent à des allusions imagées des organes sexuels mâles et femelles. Pour Freud, la libido sexuelle, avec ses refoulements biographiques, est le seul metteur en scène du symbolisme du rêve. André Breton, lors de son affectation en 1917 au Centre psychiatrique de la Ile Armée, est initié à la théorie et aux méthodes freudiennes. Il leur sera redevable de cet attachement au discours subliminal. L'écriture automatique, la pratique des petits sommeils, les récits de rêve, doivent être reliés directement à ces recherches freudiennes sur l'inconscient et les associations d'idées incontrôlées. Le père du Surréalisme exprimera aussi clairement ses doutes: « ... méthode que j'estime et dont je pense qu'elle ne vise à rien moins qu'à expulser l'homme de lui-même et dont j'attends d'autres exploits que des exploits d'huissier.)) 1 Il contestera même l'approche réductive de l'analyse freudienne des rêves: « ... c'est déjà lui faire trop d'honneur que d'admettre qu'elle épuise le problème du rêve.)) 2 Breton tient, en effet, le récit de rêve comme un document originel. Breton se défend donc d'être «justiciable de la psychanalyse,,3. Il tient à vivre en toute liberté sa démarche exploratoire

1 BRETON, André, Nadja, Paris, Gallimard, Coll. Livre de poche, 1964, p. 25.

2 Ibid., p. 27. 3 Ibid ,p 25.

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.. dans un monde comme défendu qUI est celuI des rapprochements soudains, des pétrifiantes cOlncldences, des réflexes primant tout autre essor mental, des accords plaqués comme au piano, des éclairs qUi feraient vOir, mais alors VOIR, s'Ils n'étalent encore plus rapides que les autres I l 1

La psychanalyse lui aura fait pressentir qu'une finalité mterne, sous la forme du désir, va se porter à la rencontre d'une causalité externe. La Merveille, cette coïncidence fulgurante, se situefa au lieu de cette rencontre L'image se devra de

refléter cette manifestation de la synchronicité.

Dans cette entreprise de restauration du statut de l'imaginaire, Jung adoptera une démarche exploratoire très proche des surréalistes. C'est grâce à

ses travaux que l'imagination symbolique va retrouver son entière autonomie par rapport à l'autorité de la logique de l'identité. Pour critiquer la psychanalyse freudienne, Jung établit une différence fondamentale entre signe-symptôme et symbole-archétype. En effet, le symbole ne se réduit pas à un seul sens, il est multivoque :

ccL'archétype est donc une forme dynamique, une structure organisatrice des images, mais qUi déborde toujours les concrétions mdlviduelles, biographiques, régionales et SOCiales de la formation des Images Il 2

Pour Jung, la formation du moi passe par l'activité symbolique. Les symboles sont les maîtres de l'âme. C'est par la mise en "synthèse" des deux termes du Sinn-Bild que le moi arrive à s'équilibrer dans le processus d'individuation Le Sinn, le sens, c'est la conscience claire, collective, héritage que

1 Ibid, P 19.

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la psyché reçoit par éducation, des moeurs, des coutumes, des ~~"'Qages. Le Bild,

cette image issue du fond de l'inconscient collec~if, n'est rien d'autre que la libido, cette énergie indifférenciée et ses catégories archétypales .

.. C'est ainSI que chez l'homme la grande Image médiatnce qui vient contrebalancer la claire conscience sera celle de l'Anima, de la Femme éthérée, eHlque, alors que chez la femme, c'est l'Image de l'Anlmus, du "jeune premier" héros aux aventures multiples qUI vient équilibrer la conscience collective." 1

C'est à cet archétype jungien que nous nous référerons finalement pour donner sens à cette image de la femme omniprésente dans l'oeuvre d'André Breton.

Gilbert Durand souligne enfin la problématique de l'imaginaire en remarquant que l'homme contemporain, coupé du monde réel car il n'arrive plus à

symboliser (autisme), ou métamorphosé en robot mécanique, souffre d'une dissociation a-symbolique qui constituerait la maladie mentale de notre époque. Le symbole se réduit alors à un simple symptôme, le symptôme d'une antithèse refoulée. L'activité symbolique est donc vitale pour l'homme, comme l'affirme sans relâche Breton.

Jung a restauré le symbole dans sa dignité créatrice de l'individu même, mais aussi créatrice de l'art et de la religion. Les symboles sont bien les maîtres de l'âme. L'activité symbolique est inscrite dans la psyché. A ce stade-ci de notre enquête. nous pouvons reconnaître dans l'image une exubérance de vie. Elle est écriture du monde, écriture des fantasmes, écriture du moi dans sa recherche d'individuation. C'est à travers les organisations sans cesse renouvelées de

, Ibid, P 69.

15

(21)

l'image et du sens que nous pourrons sentir la dynamique des textes de Breton ainsi que leur grande valeur symbolique.

Nous terminerons cette approche théorique de la nature de l'image par l'étude des travaux de celui qui est au coeur de la revalorisation de l'imaginaire, Gaston Bachelard. Sa recherche épistémologique a permis, en effet, de replacer l'imaginaire dans sa dynamique psychique et d'effectuer une rééquilibratlOn de l'objectivation SCientifique par la poétique. Le défi de l'homme est d'échapper à la subjectivité autistique et à l'objectivité desséchante. Pour ce faire, "l'homme plénièrement dispose de deux, et non seulement d'un moyen de "transformer" le monde, de deux "nouménoutechniques"», selon Bachelard. La science et la poésie vont être chargées de transformer le monde selon l'Idéal humain «II faut aimer les puissances psychiques de deux amours différents SI l'on aime les concepts et les images ,) 1 Pour explorer l'univers de l'Imaginaire, la méthode de Bachelard sera phénoménologique, il s'agira de jeter un regard neuf sur les images. Sa fameuse méthode sera de mettre l'accent sur la vertu d'origine des images, de «saisir l'être même de leur onginalité et bénéficier ainSI de l'Insigne productivité psychique qui est celle de l'imagination.» 2

L'expression du sujet humain dans le monde se fait par le symbole dont « le

fonctionnement essentiel est une reconduction instaurative vers un être qUI ne se manifeste que et par telle image singulière.» 3 L'eau, la terre, le feu et l'air sont les quatre éléments de cette reconduction. L'Imaginaire est nourri de sensations, Il plonge ses iacines dans une réalité cosmique. C'est dans ce lieu des transformations Vibrant de permutations, de court-circuits, d'analogies que se Situe

1 BACHELARD, Gaston, La poétique de la rêvene, Pans, PUF, 1965, P 47 2 DURAND, Gilbert, L'Imagination symboliQue, Op cil, p. 75

(22)

l

l'alchimie du verbe: «Je cherche l'or du temps.» 1 Toutes les images, les

métaphores des poètes surréalistes, plus que des ornements esthétiques, tendent

à révéler les rapports étranges de l'homme au Monde, tendent à recréer le Monde dans un acte d'énonciation. Charles Duits témoigne de cette révélation: «Soudain je compris que nous étions, le monde et moi, comme deux cercles concentriques, unis par le même centre, et que ce centre était le Verbe.') 2L'onirique a bien ses sources dans le cosmique, mais il réorganise les données selon la logique du désir. La lecture des grandes proses de Breton ne peut se faire sans avoir en tête cette pluralité de sens offerte par les herméneutiques qui sont au coeur du débat des sciences humaines, car il a lui-même indiqué clairement ses sources et son dessein' revaloriser l'imagination, redonner aux mythes leur puissance d'action, utiliser les découvertes freudiennes sans pour autant abandonner la recherche, l'aventure spirituelle. Ainsi, le projet de Breton s'offre comme une démarche philosophique. L'élément féminin, à travers ses multiples apparitions symboliques, se donne

à

voir comme médiateur. On verra que, à la question lancinante: «Qui suis-je?», l'Anima du rêveur répondra par le symbolisme de l'Androgyne, du «conjugo».

Après avoir cerné la nature de l'image comme reconduction symbolique, nous pourrons alors percevoir tout le dynamisme de l'image dans son apparition textuelle. Nous serons à même de comprendre la poésie surréaliste comme «l'emploi déréglé et passionnel du stupéfiant image.» 3

1 BRETON, André, Point du Jour, Op. cit., p. 7.

2 DUITS, Charles, André Breton a-t-Il dit passe, Paris, Denoèl, 1969, p 120. 3 ARAGON, LOUIS, Le paysan de Pans, Paris, Gallimard, 1964, p. 80.

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-J'

CHAPITRE DEUX

POUVOIR D'ÉNONCIATION

A. Les nouveaux romantiques

"La médlocnté de notre univers ne dépend-elle pas essentiellement de notre pouvoir d'énonciation ?"

André BRETON 1

C'est par son aspect productif que nous aborderons ICI l'imagination pour

rendre justice à l'apport exceptionnel de la «révolution" surréaliste Victor Crastre, témoin privilégié de ce mouvement de libération de l'espnt, confirme l'apport de cette grande aventure

"Le surréalisme sera une fontaine de Jouvence qUI, sans cesse enrichie d'une eau plus pure, guéma cette sénilité fatale aux poètes Le surréalisme, c'est une vOie et une VOIX Une vOie qUI conduit en ce heu OU.

"à flanc d'abîme, construit en pierre philosophale, s'ouvre le château étOile". et c'est aussI une VOIX celle qUi s'est fait entendre, Jadis, dans l'oeuvre des plus hauts espnts, de Young et de Sade à Rimbaud et à Germain Nouveau. aUJourd'huI dans les poèmes d'Artaud et de Desnos qUi "parle surrealiste à

volonté" La bouche d'ombre, chère à Hugo, laisse à nouveau tomber ses plus affolants oracles Le surréalisme, en fin de compte, nous apporterait-II les prémices d'un nouvel Age d'Or? l> 2

1 BRETON, André, Point du Jour, Op Cil, P 22

2 CRASTRE, Victor, ~drame du surréalisme, Pans, Ed du Temps, 1963, pp 27-28

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1

L'acte créateur, l'acte de production, est donc au coeur de la «révolution»

surréaliste et c'est par le langage que s'effectuera cette libération de l'imagination. C'est par cette «imagination parlée», selon l'expression célèbre de Bachelard, que l'on aura accès à la surréalité.

Pour briser les structures rationnelles de l'esprit axé sur les relations causales, la logique, la séparation, l'organisation, le classement des données de l'expérience perceptive, l'activité privilégiée des surréalistes sera de favoriser l'émergence de la parole «délirar.te» - celle qui rend compte d'une autre organisation psychique que celle de la raic;\111. Cette percée vers l'irrationnel se fera par l'écnture automatique - les mots «pris au piège de la vitesse» -, le récit de rêve et l'évocation du merveilleux quotidien. Les images révélatrices de l'activité oninque seront donc mises en valeur systématiquement. Cette écoute attentive des voix Intérieures, des messages automatiques, permet au poète de se situer au coeur de la parole: «Sur le plan émotif, ils étaient faits pour me donner le la.» 1

Effectivement en contact direct avec l'inconscient, l'image du rêve, la parole délivrée de la censure - cette «voix» de la «bouche d'ombre» - offrent au poète un maténau préCieux: «Pour sybillins qu'ils soient.. chaque fois que je l'ai pu je les ai recueillis avec tous les égards dus aux pierres précieuses ... » 2

La théorie et la pratique du surréalisme s'inscrivent surtout à l'intérieur d'une tradition Ii[téralre On n'a pas manqué de placer Breton et le surréalisme dans la «queue du romantisme». «Queue telloment préhensible ... »3 répond Breton avec humour. Mais cette connotation matérialiste est justifiée par le parti-pris de Breton

1 BRETON, André, Signe ascendant, Paris, Gallimard, 1968, p 175.

2 IbId, P 174

3 BRETON, André, Manifestes du surréahsme, Op. cit , p. 110

(25)

-..

contre le surnaturalisme et le spiritualisme. Ce qui n'empêcha pas les

existentialistes de l'ostraciser pour idéalisme!

C'est bien à travers le langage poétique que s'est établi, très tôt pour Breton, le sens du monde. Mallarmé fut le maître, Valéry guida ses premiers balbutiements, enseigna l'exigence. C'est «envoûté» par Rimbaud qu'II déambule à travers Nantes. Apollinaire lui révèle l'innovation. Lautréamont restera le modèle. Breton optera pour un acte créateur qui ne SOit pas un «tic», un acte machinal et reproductif.

Il y a, en effet, plusieurs niveaux où cette influence joue, où la filiation romantique est sensible. A "écoute de cet imaginaire Intérieur, le romantisme a souvent privilégié le préjugé idéaliste. Le tableau, comme le poème, se donne à

voir comme déjà fait dans la tête du sujet producteur qui va se contenter de le projeter sur des supports textuels ou maténels. Cette conception de l'artiste comme inspiré, génie, voyant, a laissé des traces dans la pratique poétique: «C'est entre 1866 et 1875 que les poètes entreprirent de réUnir systématiquement ce qui semblait à tout jamais séparé... L'intelligence poétique voyait enfin ses frontières détruites et redonnait son unité au monde.» 1

C'est la conception organique qui postule un objet global, solidaire en toutes ses parties (fC'nd et forme), surgi «comme un monde» (Baudelaire). Dans cette pratique active et fiévreuse, le corps s'investit tout entier sous le régistre de la pulsion. Cette conception s'oppose bien à celle du bricolage, de l'assemblage, de la composition, du travail, de la rature. du repentir, de la cntlque à l'Intérieur de l'activité créatrice, du goût, des soucis esthétiques. Les exclusions du mouvement surréaliste se feront d'ailleurs sur cette entente initiale.

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- - - -

- - _.

1

..

Ainsi l'aventure poétique des surréalistes va se démarquer rapidement de la production de l'art pour l'art. Ii n'est pas question de faire de belles images. Si nous tenions à établir une origine, une filiation, c'était évidemment à la source romantique qu'il fallait la chercher. Breton l'admettait aisément. Mais, le «voyant» Rimbaud, et Breton le ((prophète .. sont à la recherche d'un trésor autrement plus difficile à atteindre que des trouvailles stylistiques. La création littéraire surréaliste se situe d'emblée dans ce territoire de l'Autre, reflet de cette structure subtile du désir. On quitte le terrain du Même, du quotidien, de la communication utilitaire, des ((mots usés» par l'usage.

ceEt qu'on me comprenne bien que nous disons: jeux de mots, quand ce sont nos plus sûres raisons d'être qui sont en jeu. Les mots du reste ont fini de Jouer

Les mots font l'amour .. 1

Cette (cimagination parlée", selon l'expression de Bachelard, ressortit bien à une organisation profonde. Ces quelques mots qui tombaient de la ((bouche d'ombre", Breton et ses amis n'auront de cesse d'en provoquer systématiquement l'apparition. Ils favoriseront l'émergence d'un discours profond issu de cet état limite, cette période crépusculaire précéoant le sommeil. Cette image est donc bien contemporaine de son expression et elle est, par là même, le lieu d'un avènement, d'un oracle, d'une révélation. Le projet surréaliste est de remonter à la naissance du signifiant, de saisir cette pensée qui se fait dans la bouche. Cette démarche exploratoire vise à reprendre le terrain perdu par la pensée analytique mais occupé par la pensée primitive symbolique.

1 B~ETON, André Oeuvres complètes, T l, Les pas perdus, "Les mots sans rides", Pans, Gallimard, Coll. Idées, 1988, p 286.

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-.... - - - ,

Ces phrases remarquablement imagées, révélatrices (de l'inconscient) semblent «cogner

à

la vitre». Desnos, le plus doué pour l'écriture automatique est capable, plus qu'aucun autre, d'être à l'écoute de la «dictée de la pensée»'

.. Qui n'a pas vu son crayon poser sur le papier, sans la moindre hésitation et avec une rapidité prodigieuse, ces étonnantes équations poétiques, et n'a pu s'assurer comme moi qu'elles ne pouvaient avoir été préparées de plus longue main, même s'II est capable d'apprécier leur perfection technique et de juger du merveilleux coup d'aile, ne peut se faire une Idée de tout ce que cela engageait alors, de la valeur absolue d'oracle que cela prenait Il 1

Au cours de ces séances de sommeil hypnotique, les poètes cherchent à

«exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée.» 2 Ces constructions énigmatiques qui s'imposent à la conscience semblent bien échapper à l'organisation logique et aux préoccupatio ns diu rnes:

<·Un SOIr donc, avant de m'endormir, Je perçus, nettement articulée au pOint qu'il était Impossible d'y changer un mot, mais distraite cependant du brUit de toute voix, une assez bizarre phrase qui me parvenait sans porter trace des événements auxquels, de "aveu de ma conscience, je me trouvais mêlé

à cet instant-là, phrase qUi me parut insistante, phrase oserais-Je dire qUI cognan à la vitre Il 3

Le surréalisme se définira précisément par rapport à l'écnture automatique. «Actuellement il m'est très difficile d'écrire quand je ne perçois pas la pensée directe.» 4 Ainsi le dernier recueil lyrique de Breton paru en 1961, Le La,

1 BRETON, André, ~,Op Cil, p. 35

2 BRETON, André, Manifestes du surréalisme, Op Clt ,p 37

3 Ibid, pp.31-32

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"

1

't

confirme-t-il cette fidélité à la dictée automatique. Je est bien

à

l'écoute de cet

autre

dans cette dernière phrase énigmatique aux allures de maxime: (cSi vous vivez bison blanc d'or, ne faites pas la coupe de bison blanc d'or.» 1

Rêveurs de mots, selon Bachelard, rêveurs de phrases, les poètes surréalistes se placent dans la tradition des ccinspirés», ceux pour qui la parole est créatrice d'être, cette parole

à

la limite de l'être. Mais si les mots font l'amour, c'est pour aider l'homme à venir au monde. La création poétique est donc vécue comme récréation, jeu, dans la plus totale liberté, gratuité, mais aussi comme re-création. L'objectif de Breton est bien de ccchanger la vie.»

Ce n'est pas en se frappant ie coeur que ces nouveaux romantiques veulent nous émouvoir mais en osant, grâce

à

la poésie, ce que l'esprit n'aurait pas fait par des moyens rationnels. La poésie surréaliste est une aventure de la psyché, elle vise à la libération de l'esprit. Il n'y a pas de clef à ces textes si ce n'est, peut-être, l'interprétation freudienne sur le modèle du rêve. L'analyse du langage est ainsi resituée dans ce que Ricoeur nomme le ccnoeud sémantique» :

"II n'est donc pas dénué de sens de chercher à cerner ce qu'on pourrait appeler le noeud sémantique de toute herméneutique, générale ou particulière, fondamentale ou spéciale Il apparaît que l'élément commun, celui qUi se retrouve partout, de l'exégèse à la psychanalyse, c'est une certaine architecture du sens, qu'on peut appeler double-sens ou multiple-sens, dont le rôle est chaque fOIS, quoique de manière différente, de montrer en cachant C'est donc dans la sémantique du montré-caché, dans la sémantique d'expressions multivoques, que Je vois se resserrer cette analyse du langage " 2

1 BRETON, André, 1&J...a, Paris, Chez P.A B., 1961

2 RICOEUR, Paul, Le conflit des jnter:prétatlons, Op. cit., p 16

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23-t

langage. A la publication du Manifeste du surréalisme, Soupault et Breton L'écriture automatique témoigne d'une aventure audacieuse aux sources du

exploraient depuis cinq ans ces territoires inconnus.

C'est donc bien en renouvelant le pouvoir d'énonciatior que l'on pourra «changer la vie». C'est ici qu'il faut introduire l'aspect collectif de cette entreprise. Julien Gracq parle de contagion en évoquant cette chasse aux trésors offerte à tous les hommes. Lautréamont l'avait déjà indiqué: «La poésie doit être faite par tous Non par un. Pauvre Hugo! Pauvre Racine! Pauvre Coppée! Pauvre Corneille' Pauvre Boileau! Pauvre Scarron! Tics, tics et tics.» 1

Même si l'on ne perd pas de vue la position de principe: «Le surréalisme est contre la littérature)), il n'en reste pas moins que les activités exploratoires de Breton se déroulent sur le terrain de la Poésie. C'est donc en abordant les problèmes de rhétûrique qU\3 nous pourrons saisir l'importance du «déclic analogique)) qui participe à l'essence même du projet surréaliste:

"Au terme actuel des recherches poétiques Il ne saurait être fait grand état de la distinction purement formelle qUi a pu être établie entre la métaphore et la comparaison Il reste que l'une et l'autre constituent le véhicule interchangeable de la pensée analogique et que si la première offre des ressources de fulgurance, la seconde (qu'on en juge par les «beaux comme" de Lautréamont) présente de conSidérables avantages de suspension Il est bien entendu qu'auprès de celles-ci les autres "figures" que persiste à

énumérer la rhétonque sont absolument dépourvues d'intérêt Seul le déchc analogique nous passionne c'est seulement par lUi que nous pouvons agIr sur le moteur du monde Le mot le plus exaltant dont nous dispOSions est le mot COMME, que ce mot SOit prononcé ou tu " 2

1 LAUTRÉAMONT, Comte de, Oeuvres complètes, Paris, Gallimard, 1965, p 312 2 BRETON, André, Signe ascendant, Pans, Gallimard, NRF, 1949, P 10

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1

r

B. La rhétorique surréaliste

Le langage métaphorique est en effet si naturel

à

l'homme que, tout un chacun, comme monsieur Jourdain, s'exprime par images. Boileau faisait remarquer qu'il «s'en fait plus aux Halles en un jour de marché qu'il n'yen a dans toute l'Enéide.» 1

métaphorique:

Nietzsche confirmait que l'origine même du langage était

.. Les désignations et les choses coïncident-elles? Le langage est-II l'expression adéquate de toutes les réalités? Qu'est-ce donc que la vénté ?

Une multitude mouvante de métaphores, de métonymies, d'anthropomorphismes, bref, une somme de relations humaines qUi ont été poétiquement et rhétonquement haussées, transposées, ornées, et qui, après un long usage, semblent à un peuple fermes, canoniales et contraignantes' les vérités sont des illUSions dont on a oublié qu'elles le sont, des métaphores qui ont été usées ." 2

On tente donc, depuis toujours, d'atteindre la Vérité par la Poésie, car la langue est vite apparue comme un instrument imparfait, un système insuffisant de signes et de procédés, incapable de fournir une traduction adéquate de la pensée. Comme l'affirmait Hugo Bali dans la revue Cabaret Voltaire, «les mots sont usés.» Le sujet producteur fait donc un effort incessant pour tirer parti de cet instrument défectueux. Il veut non seulement traduire sa pensée, mais l'exprimer à sa façon. Son langage va tendre à l'expression de son moi total. L'on touche, dès lors, au domaine de l'expressivité linguistique. De plus, les variations sont infinies entre les intentions de l'auteur et les impressions de ce discours sur le destinataire. Parler

1 FONTANIER, Pierre, Les figures du discours, Pans, Flammarion, 1977, p 157 2 NIETZSCHE, F., Anthologie philosophiQue, Pans, HacheHe, 1979, p 230

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25-1

des images à l'intérieur des activités stylistiques, c'est bien reconnaître l'impossibilité de convaincre, de toucher, avec des discours abstraits et des raisonnements logiques. Cela trahit en fait l'impossibilité du philosophe, du savant,

à exprimer sa thèse avec les seuls concepts. Il a besoin d'images, dont le registre est très varié, pour donner corps à ses idées. Voltaire et Diderot n'ont pas manqué d'utiliser ce procédé. «J'aime un langage hardi, métaphorique, plein d'images" affirmait en effet Voltaire.

A quel processus intellectuel l'activité métaphorique fait-elle appel? Quel usage les poètes surréalistes vont-ils en faire? Fontanier place cette activité métaphorique dans une perspective expressive: «Les figures du discours sont les traits, les formes ou les tours ... par lesquels le langage ... s'éloigne plus ou mOins de ce qui en eût été l'expression simple et commune." 1 Selon les précisions de Cressot, la comparaison est le reflet d'une opération analytique de l'esprit, elle se reconnaît aux trois éléments formulés: l'objet décrit, l'objet repère et la qualité commune. Elle tient bien d'une opération logique. Dans la métaphore on supprime l'indication de similarité entre les deux termes, on effectue une identification totale. Ce trope relève d'une approche synchrétlque mais il reste prisonnier d'un passé qui l'enserre. Il faut, en effet, trouver un lieu d'intersection possible entre les deux termes, un point commun Cette figure de style est construction d'éléments conceptualisables Elle suppose bien une intersection de deux réalités perçues en compréhension. Selon la définition de Marier, elle est

.. destmée à mettre en lumière les éléments communs au comparé et au comparant, tout en approfondissant la réalité spirituelle par l'esquisse d'affinités multiples et déclenchant des résonances de valeur esthétique, intellectuelle et morale Il 2

1 FONTANIER, Pierre, Les figures du discours, Op cit , P 9

2 MORIER, Henri, Dictionnaire de poétiQue et de rhétonQue, Paris, PUF, 1961, P 646

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26-1

De la métaphore explicite, on glisse souvent à la métaphore elliptique dont l'effet est de créer une tension très expressive. C'est cette tension, cet arbitraire, que les poètes surréalistes vont privilégier à dessein d'accéder à la surréalité. C'est à l'intérieur de ces implications, intersections, inclusions, qu'ils poursuivront une réalité nouvelle. Breton va donc utiliser au maxirr,urTl ce clavier stylistique qui favorise le saut analogique provoquant ainsi vertiges, courts-circuits et surprises. cela beauté convulsive sera érotique-voi lée, explosante-fixe, magique-circonstantie"e ou ne sera pas.» 1 Charles Duits confirme ce refus de l'expression littérale: «Je refusais l'aspect utilitaire, informatif, du langage.».2 Cet écart entre le littéral et le figuré va être poussé jusqu'à l'arbitraire dans l'esthétiqlJ~"1 surréaliste. Mais cette exigence dépassera les préoccupations d'ordre esthétique. L'effet de surprise de cettp. image poétique aura une portée ontologique: «II y a de grandes étendues de nuit. Le raisonnement n'a que le mérite de s'en servir. Dans ses bons moments, il les évite. La poésie les dissout. E"e est l'art des lumières.» 3 Nous sommes ici très loin de l'expression simple et commune. Les poètes surréalistes ont trouvé la façon de tout dire:

"Une possibilité Inattendue, prodigieuse, se dessinait. L'aveu masqué aVêit en SOI une valeur.. Je pouvais écrire tant que j'avais un but· l'aveu. et tant que ce but demeurait inaccessible L'écnture était alors un torrent qui cherchait parmi des rochers d'images un chemin vers la mer." 4

1 BRETON, André, L'amour fou. Paris. Gallimard, Coll Folio. 1937, p. 80. 2 DUITS, Charles, André Breton a·t-il dit passe, Op cit., p. 85.

3 ELUARD, Paul, Oeuvres complètes, Op cit • p.970.

4 DUITS, Charles, André Breton a·t·iI dit passe, Op. Clt., P 86

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27-J'

La fonction de l'image sera herméneutique, non plus seulement stylistique dans la mesure où c'est bien par elle que l'on accède à la compréhension du cesurréel», c'est-à-dire tout le réel: « ... car chaque image à chaque coup vous force à

reviser tout l'Univers.» 1 Abordant de façon laconique la rhétorique de l'image, Breton reconnaît que: ceLe surréalisme, je le répète, a supprimé le mot comme.» 2

ceLe degré d'arbitraire le plus élevé», tant recherché par les poètes surréalistes, peut en effet résulter de la contradiction entre les termes, de l'occultation de l'un des deux, de l'association de l'abstrait et du concret, de l'humour, du non-sens. L'étincelle jaillira de cetie rencontre des deux termes nécessaires à l'établissement d'une comparaison: «Pour moi, l'image la plus forte est celle qui représente le degré d'arbitraire le plus élevé, je ne le cache pas; celle qu'on met le plus longtemps à traduire en langage pratique.» 3

ceLe cadavre exquis boira le vin nouveau»: cette première phrase obtenue au cours d'un jeu par un procédé d'association de mots, donnera le ton de ces productions hermétiques, intraduisibles à la limite, dont l'effet produit un vertige certain au niveau des relations causales, des relations référentielles. Car, en effet, c'est bien à l'intérieur d'un processus intellectuel qui ressortit à la logique que se place l'activité métaphorique.

L'image de la femme, inscrite au coeur de la production surréaliste, se donnera à voir comme le lieu privilégié des métamorphoses, de l'arbitraire totalement assumé par ce pouvoir d'énonciation et bénéficiera de cette puissance émotive et de cette réalité poétique qui lui donneront une résonance unique et lUI permettront d'accéder à une réalité mythique.

1 ARAGON, Louis, Le paysan de Pans, Op cil , P 83

2 BRETON, André, POInt du jour, Op Clt., p. 57

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.. Sur tous les chemins de nos yeux S'étalaient des femmes sacrées Comme des voiles de mariées

Intacts ou rapiécés onctueux et pesants».1

La femme re-présente tout le réel. Son image poétique comprend les correspondances entre l'homme et l'univers. C'est d'elle que le poète attend «le salut terrestre». «L~ grande malédiction est levée, c'est dans l'amour humain que réside toute la puissance de régénération du monde.» 2 Les variations de l'image de la femme seront infinies à l'intersection des reflets de l'univers et de la sensibilité du poète:

.. Tu es l'eau détournée de ses abîmes Tu es la terre qui prend racine

Et sur laquelle tout s'établit ... 3

1 ELUARD, Paul, "Corps mémorable" dans Oeuvres complètes, Op. cit., p. 137. 2 BRETON, André, Arcane 17, Paris, Pauvert, Coll. 10/18,1965, p. 54.

3 ELUARD, Paul, "Facile" dans Oeuvres complètes, Op. cit., p. 459.

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l

CHAPITRE TROIS

APPARITION TEXTUELLE DE L'IMAGE DE LA FEMME

Nous relèverons les variations de cette image à travers les trois apparitions textuelles de cette Femme: Nadja le génie libre, l'ondine de L'amour fou et la jeune-fille d' Arcane 17.

Nadja, L'amour fou, Arcane 17: dans les titres mêmes, nous pouvons percevoir la présence textuelle de la femme et le paradigme dans lequel le poète va l'inscrire. Nadja est un surnom créé par l'héroïne qUi se met ainSI sous les auspices, effets bienfaisants du mot espérance en russe, attendant ainSI d'un mot les mêmes effets protecteurs que le choix d'un prénom chrétien parmi les saints. La relation de «l'amour fou" entre l'homme et la femme est d'emblée marquée du sceau de la folie, douce folie, folie révélatrice, celle qui va permettre d'être projeté hors de soi

à

la recherche de l'autre. La récurrence de ces thèmes. l'amour, l'espérance, la folie, est sensible dans Arcane 17. L'iconographie choisie dans le jeu du Tarot reprend l'allégorie de l'espérance, avec la présence centrale de la jeune femme, celle qui tient l'urne. L'étoile qui figure sur cette carte est bien celle de l'espérance. Nous avons ainsi, inscrite dans les titres mêmes, une Image de la femme associée aux recherches idéales: espérance, amour, folle On peut souligner cette mise en abyme des oeuvres dans leur titre même. Le titre comme signe premier doit séduire le lecteur, le provoquer, l'inciter à entreprendre la même quête du Graal, de l'Idéal, de soi-même. Dans la résonance sémantique de ces trois titres, on peut percevoir la remarquable unité de ces trois oeuvres.

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1

A. Nadja, la voyante, l'initiatrice au surréel, à l'amour.

De «faits-glissades» en «faits-glissades», l'attention du poète, alertée par des signes multiples, place la rencontre avec Nadja dans l'ordre des «faits-précipices", ceux qui révèlent, de la façon la plus aveuglante, la rencontre entre le désir subjectif et l'objet de ce désir, la réalité du «hasard objectif». Ces faits contiennent bien tout leur poids d'anecdotes, de réalité biographique. 1\ ne faut pas oublier que le surréalisme a toujours récusé l'opposition entre vécu et pensée. Nadja est surtout un journal intime qui s'inscrit dans l'ordre des journées, une enquête sur Breton lui-même, un «document privé". Cette texture temporelle et dramatique est définitivement liée par un coup de théâtre: la disparition même de Nadja. C'est au délire de Nadja et non à la langue de bois du parti communiste qu'André Breton va laisser la parole.

La voix de Nadja n'est pas sans évoquer celle de Vaché qui exerça une réelle fascination et encouragea Breton à se faire l'iconoclaste de tout esthétisme:

"En la personne de Vaché, un pnnclpe d'insubordination totale, en grand secret, minait le monde, réduisant ce qui alors prenait toute importance à une échelle dérisoire, désacralisant tout sur son chemin. L'art lUI-même n'était pas épargné " 1

Dada avait aidé à rendre effectif cet esprit de subversion. De même la voix de Nadja «dont la résonance en moi demeure si grande» 2 inspirera le mouvement surréaliste. C'est de cette voix inspirée. de ce discours de folle, que Breton et le mouvement surréaliste étaient

à

l'écoute depuis dix ans déjà. Nadja

1 BRETON, André, Entretiens, Op. Clt ,pp 26-27.

2 BRETON, André, t:!a.dla, Op cit , p. 135.

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-est le journal de bord de cette aventure aux marges, dans ces zones limites où la tension de la censure rationnelle est relâchée. L'espnt y est plus libre de s'exprimer. C'est une voix libre que Breton va enregistrer: c'est la voix de Nadja, la voix de cc l'âme errante». 1

Les champs magnétiQues avaient déjà livré quelques secrets de l'activité des poètes surréalistes. Ainsi Julien Gracq note-t-il'

"Nul doute que Breton en intitulant son premier ouvrage surréaliste ~

champs magnét!(;)ues, nous ait livré beaucoup plus qu'une conception purement contemplative du monde - une dominante Imaginative, un schéma moteur IOné, vital qUI Intervient à chaque Instant chez lUi pour dynamiser les contacts, substituer au rapprochement l'attirance et au chaos apparent des Impulsions le Jeu des forces ordonnatnces invIsibles" 2

La figure de la femme dans Nadja sera intimement liée au jeu de ces forces ordonnatrices invisibles. L'iconographie même témoignera de ces «affinités électives» qui rapprochent les lieux, les objets et les êtres entre eux Le langage du «merveilleux» a, de tout temps, investi les mots, la poésie, mais les phénomènes du «hasard objectif» se donnent à voir, dans

Nilllla,

comme un langage du «merveilleux».

Nadja est bien ce récit de voyage dans le domaine sacré de la Merveille, émouvant reportage car la figure rostrale de Nadja se détache de ces expériences de façon dramatique. «Sainte» du surréalisme, elle s'offre comme «un symbole propre à remuer la sensibilité humaine durant un temps » 3

Les expériences de l'écriture automatique, les réCits de rêves, l'exploration de ces zones limites à la frontière du rêve, du sommeil, de la veille et de l'éveil, ont

1 Ibid., P 81

2 GRACQ, Julien, André Breton, quelques aspects de l'écnvaln, Pans, Cortl, 1966, P 61 3 BRETON, André, Mamlestes du surréalisme, Op cil, P 26

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préparé André Breton à suivre Nadja dans ses dérives spatio-temporelles à travers Paris et à travers les siècles. Ne cherche-t-elle pas «quelque chose» près de la Conciergene: «Ce n'est pas là... Mais, dis-moi, pourquoi dois-tu aller en prison? Qu'auras-tu fait? Moi aussi j'ai été en prison. Qui étais-je? Il y a des siècles. Et toi, alors, qUi étais-tu?" 1

Ces accidents de la pensée, selon certains, sont pris au sérieux par André Breton. Nadja est celle qui fait voir. ((Emouvante Visionnaire», 2 médium, cette jeune femme tient le rôle de l'inspiratrice. Ses dons ont été fortement sollicités par le poète au point que la fusion des deux esprits est symbolisée par le jet d'eau d'un bassin des Tuileries:

"Ce sont tes pensées et les mIennes Vois d'où elles partent toutes, Jusqu'où elles s'élèvent et comme c'est encore plus Jolr quand elle retombent Et pUiS aussItôt elles se fondent, elles sont reprrses avec la même force, de nouveau c'est cet élancement brisé, cette chute .. et comme cela rndéfrniment " 3

Nous sommes là en présence d'une des images les plus fortes de l'oeuvre. L'esprit y est associé à l'élément naturel dont la richesse sémantique est la plus large: eaux maternelles, fluidité et mouvement continu du courant. L'Image de la femme est replacée dans le paradigme de la nature et de ses multiples métamo rphoses.

Nadja fait le lien entre le passé et le futur. Elle «voit" de ce "point» privilégié où le temps est aboli. Ce rôle de pithie où la femme est en accord avec les éléments occultes confère à l'image de la femme une connotation sacrée Les rites de l'amour courtois rejoignent les rites tantriques:

, BRETON, André, llild.la, Op Clt ,p 96

2 CRASTRE, VIctor, André Breton TrilogIe surréaliste, Paris, SEDES, 1971, P 31.

3 BR ETON, André, ~,Op Clt, P 99

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