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Edition de la VIe journée du Décameron de Boccace, d'apres la première traduction francaise par Laurent de Premierfait, 1411-1414.

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Academic year: 2021

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ABSTRACT

Le out principal de notre travail a été d'éditer la VIe jour-née du Décameron de B~e, traduit pour la première fois en français par Laurent de Premierfait en 1414.

Pour cette édition, nous avons suivi le ms B.N. Fr. no 129. En outre, dans l'introduction; nous avons présenté un état présent des études sur les traductions au début du XVe siècle, afin de situer l'acti-vité de Laurent de Premierfait dans un contexte historique. Nous avons consacré un paragraphe au traducteur, à ses travaux et à ses théories concernant l'art de la traduction, ainsi que l'occasion du travail.

Ce travail devrait trouver la place dans les querelles sur l'influence de Boccace sur les nouvellistes du XVe et XVIe siècle, ques-tion assez controversée par les historiens modernes. C'est pourquoi nous avons consacré à cette influence et aux critiques qui l'ont étudiée de près, une brève étude. Nous avons aussi confronté le texte original et la traduction de Laurent de Premierfait et avons noté les différences d'interprétation et les libertés prises par le traducteur au cours de son travail. On trouvera aussi à la fin de notre édition, un glossaire groupant les mots pouvant contribuer à une étude de la langue du XVe Giècle.

Monique Amir M.A.

French Department

(2)

EDITION DE LA VIe JOURNEE DU DE CAMERON DE BOCCACE

D'Après la première traduction française par Laurent de Premierfait

1411 - 1414

by Monique AMIR

A the sis submitted to

the facu1ty of Graduate Studies and Research Mc Gill University

in partial fu1fi1ment of the requirements for the degree of

Master of Arts

Department of French Language and Literature

@

MoDique.Am:i.r

1971

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Table des matières

INTRODUCIION :

1. L'état présent des études sur les traductions au début

du XVe siècle • • • • • • • • • • • • • 2 II. Laurent de Premierfait : Ses travaux • • • • • • 8 III. L'influence de la traduction de Boccace en France. 16 IV. Le manuscrit français B.N. 129 • • • • • • • • • • 26 V. Confrontation de'la traduction de Premierfait avec

11 original . . . • . . . . 28

TEXTE:

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Le Decameron VIe journée

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GLOSSAIRE • • • • •

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108 BIBLIOGRAPHIE • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •• 113

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(7)

1. Etat présent des études sur les traductions à l'époque de la traduction du Décameron par Laurent de Premierfait

Jacques Monfrin,(l) dans un exposé fait au colloque organisé par le centre de Philosophie et de Littérature romanes de l'Université .de Strasbourg en février 1962, a tenté de dresser un inventaire aussi

précis que possible des oeuvres latines offertes au public au Moyen Age.

Robert Lucas, (2) dans un article paru dans la revue .

'Speculum-~-'...

-":~.'--intitulé : ''Medieval French translations of. the Latin classics to 1500," nous fait un bilan extrêmement précis de l'état des traductions au Moyen Age. Nous nous contenterons de ne citer ici que celles qui ont été of-fertes au public jusqu'au début du XVe siècle.

Un caractère important est à souligner : la notion de traduc-tion qui est aujourd'hui la nôtre, a eu quelque peine à se dégager de

celle de compilation. On n'a pas au début du XIIe siècle, et même plus tard, le souci de laisser ou de retrouver l'oeuvre d'un auteur sous la forme exacte que celui-ci avait voulu lui donner. On ne voit aucune raison pour ne pas le modifier au goût du jour ou l'améliorer en le complétant à l'aide de renseio _____ "'· puisés à d'autres sources. Comme le dit M.Zuber (3) dans

son étude sur traduction au XVIIe siècle, on voit la traduction répondre,

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(1) J .MONFRIN, "Humanisme et traductions au Moyen Age," in L' humanisme médieval dans les 'littératures romanes du XIIe au XIVe siècle, (actes publiés par Anthime Fourrier, Paris 1964), pp. 217-245.

(2) R.LUCAS, ''Medieval French translationsof the Latin Classics to 1500, \1 Speculum, No 55, 1970, pp. 225-253.

(3) R.ZUBER, "Les Belles Infidèles et la formation du goût classique (Paris

i

A.Colin, 1968), p. 22.

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-3-au début du XIIIe siècle, "-3-au plus noble des besoins l'appétit de savoir."

Dès la fin du 'XIIe siècle, les imitations d'Ovide, dues à Chrétien de Troyes ou à d'autres, les romans antiques tels que ~'Enéas, le Roman de Thèbes, le Roman de Troie, le Roman d'Alexandre, familiarisent les esprits avec l'histoire de l'antiquité. A côté de cette production' romanesque, on entreprend la trad~ction de textes anciens, mais au lieu de les traduire fidèlement, on les adapte, on les enrichit et les transforme en compilations. De la première moitié du XIIIe au début du XIVe, on re1ève,(1) au moins cinq compilations de :tl/Art d'Aimer d'Ovide, dont la diffusion fut très pauvre car on en trouve peu de manuscrits, alors que la traduction des Métamorphoses, devenues ainsi l'Ovide Moralisé a eu un grand succès

puis-qu'il en existe 22 manuscrits. (2)

Jo!

Ovide Moralisé fut composé peut être par Chrétien Legonais, vers 1316, et à la fin du XVe siècle encore, on fit de ce long poème des remaniements en prose. A ces adaptations, il faut ajouter celles des Herofdes d'Ovide, qui soulève certaines questions, car cette traduction fait partie de la seconde rédaction du 'Roman de Troie" et elle a été probablement insérée dans le récit de la guerre de Troie.

Les historiens romains sont aussi mis à la disposition du public, mais toujours à travers des compilations. En 1213-1214, un clerc de l'Ile de France rédige "Les Faits des Romains,'" c'est une traduction à peu près complète des Commentaires de César auxquels on a joint de longs passages

(1) Cf. les articles de MONFRIN et LUCAS cités ci-dessus.

(2) J .MONFRIN , ''Les traducteurs et leur public," in L' Humanisme médiEfva1 dans les littératures romanes ••• (actes publiés par A.Fourrier, Paris 1964), pp. 247-262.

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de Suetone, Lucain et Salluste. Ce livre a eu une grande diffusion. Il fut recopié souvent et fut un "des livres de base de la culture la!!que" dit M. Monfrin,(l) pendant tout le Moyen Age.

On traduit aussi des ouvrages de droit (Les Institutes vers 1220-1230) et des petits traités d'édification morale devant servir dans les écoles, des recueils moraux, telle la Formula Vitae honestae du pseudo-Sénèque qui fut traduite pour Philippe Auguste au début du XIIIe siècle.

Les textes que l'on traduit sont pendant la presque totalité du XIIIe siècle toujours matière à compilation. Selon J.Monfrin ils servent de base à d'autres oeuvres de conception différente, influencés par les courants littéraires de l'époque. Ni le texte, ni la physionomie généra-le du texte ne sont respectés. Toutefois, au fur et à mesure que l'on avance dans le temps, on s'efforce d'être plus fidèle à l'original.

Certains traducteurs tels que Servais Copal'e et Jofroi de Waterford essaient de traduire l'Histoire Ancienne de Dares avec un grand souci d'exactitude. Il existe aussi une histoire d'Alexandre qui est une version française assez fidèle de l'Historia deProeliis, et qui fut composée vers le milieu du XIIIe siècle. Un autre trait important à souligner ici : Les traduc-tions surtout à partir de la moitié du XIIIe sont le fruit d'initiatives précises. Elles ont un caractère personnel; c'est sous l'impulsion de la famille d'Eu, puis de celle des princes de Valois, Jean le Bon, Charles V,

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-5-Jean de Berry, Louis de Bourbon, que se font les traductions les plus importantes. Le Comte dIEu, chevalier dans llarmée de Saint Louis, fait traduire le texte de Végèce, dans lequel Végèce avait résumé pour les empereurs romains, les principes militaires essentiels. Le Comte dIEu, aux goûts et aux dispositions dl ingénieur militaire fit traduire Végèce par Jean de ~feung en 1284. (.1) Le texte fut traduit à nouveau au début du XIVe par Jea-~ de Vignai.(2) La traduction de Jean de Meung eut un public nombreux; on en trouve 20 manuscrits à ce jour. Clest aussi pour le Comte dIEu que fut exécutée par Mathieu Le vilain, une traduction des Météores d'Aristote. Les ouvrages traduits ont donc aussi un caractère

technique. Le choix est porté en général sur des textes utilitaires, techniques, moraux ou historiques. Deux ouvrages sont à signaler parce qu'ils sont non des adaptations mais de véritables traductions: La Rhétorique'de Ciceron (vers 1282), Les lettres de Senègue à Lucilius. Faite pour un chevalier de l'hospital, Frère Guillaume de Saint Etienne,

la ··Rhétorique de Marc Tulles Cyceron' est probablement due à Jehan d'Antioche (ou de Hareng) qui dans son prologue définit d'une manière précise les deux exigences fondamentales de tout travail de traduction, c'est-à-dire : respect du texte, respect du génie de chacune des deux langues en cause

(1) Jean de MEUNG, mieux connu comme auteur de la continuation du Roman de la Rose a traduit aussi Boèce, voir R.CRESPO : Jean de Meun : Traduttore della Consolatio:1 Philosophiae di Boezio": Atti della Accademia delle scien-ze di Torino, No 103, 1969, pp. 71-170.

(11)

-6-~ci fenist le sizieme livre et le darrain de toute la rethorique de Marc Tulles Cyceron qui est translaté du latin en françois selonc l'ordenance et selonc le procès dou tratter que le meisme autour tient et poursuit ••• :

tr~tter de l'auctor a son pooir et au plus pres qu'ele peut... Mais il ne pot mie porsuivre l'auctor en la maniere dou parler, car la maniere dou parler au latin n'est pas semblable generaument a cele dou françois, ne les proprietez des paroles... Et ce est comu-naument en toute lengue quar chascune lengue a ses proprietez et sa maniere de parler. (ms 590 du Musée Condé). (1)

La traduction des lettres'de Senèque vient d'Italie. Elle fut commandée par Bartolomeo Siginulfo, grand chambellan à la Cour de Naples. On n'en connait pas l'auteur.

C'est vers le milieu du XIVe siècle que commencent à apparaltre de véritables traductions. Pierre Bersuire effectue la traduction de Tite Live.(2) Le bénédictin Pierre Bersuire effectue cette traduction pour obéir aux instructions du roi Jean Le Bon, comme i l le dit dans son prologue (Bibl. Ste Geneviève, ms 777, Fol, 1).(3) Le roi cherchait des , instructions et des exemples dans ce texte, l'histoire politique de Rome pouvant inspirer aux souverains modernes des principes de gouvernement. On se servira donc de Tite Live comme traité d'éducation politique.

(4) Jean Le Bon inaugurait lice qui allait devenir une po1itique'~ dit M.Monfrin.

(1) L. DELISLE, ''Notice sur la Réthorique de Cicéron" traduite par Maistre Jehan d'Antioche, in Notice et Extraits, t. 36 (1899), pp. 207-265. (2) J • RYCBNER, ''La traduction de Tite Live par Pierre Bersuire" in L'

hu-manisme Médieval ••• , pp. 167-193.

(3) Cité par J .MC!Œ'RIN, ''Humanisme et traductions ••• ", p. 228. (4) Cf. J.MC!Œ'RIN et J.RYCIIŒR.

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-7-Jean Le Bon commande aussi ~ Jean de Sy de mettr~ 1a.S[b1e en français. Nicolas Oresme continue pour Charles V, l'oeuvre entreprise pour Jean Le Bon. Charles V s'intéresse surtout aux écrits à caract~re pratique. I~

fait traduire les Ethigues, les Po1itigues, les Economigues, des ouvrages scientifiques tels que. le De Cae10 et Mundo d'Aristote, des ouvrages mo-raux et religieux tels que les . Remedia Fortuitorum, la Bible, et La Cité de Dieu, des ouvrages historiques tels que La Guerre des Juifs. Cl) Charles V fait donc traduire des oeuvres à caract~re utilitaire et didactique. La notion d'utilité domine dans le choix des textes ~ traduire. C'est comme 1e.dit J.Monfrin en parlant de Charles V "une oeuvre de politique".(2) Charles V mourut en 1380. Il s'ensuit une période de troubles, pendant laquelle le Duc de Berry, fr~re de Charles V continue l'oeuvre entreprise. Devenu le méc~ne des écrivains de l'époque, il fait terminer la traduction de Va1~re Maxime, commencée par Simon de Hesdin sous le règne de Charles V. Cette traduction fut terminée en 1401 par Nicolas de Gonesse pour la bi-b1iothèque du duc de Berry. A la même époque, Louis de Bourbon, beau frère

~ de Charles V a recours pour mettre en français le De Senectùte de Ciceron, a un clerc Champenois du nom de Laurent de Premierfait.

(1) L.DELISLE, I;Recherches sur la lilirairie de Charles V, (-Paris, 1909) pp. 82-120.

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II. Laurent de Premierfait ses travaux

Il a été l'un des traducteurs les plus importants du XVe si~cle.

Né en 1380 dans le village de Premierfait, pr~s de Troyes en Champagne, il se décrit lui-même comme clerc du dioc~se de Troyes et plus tard il devient le secrétaire du Cardinal Amédéo di Saluzzo. A la cour papale d'Avignon, il se lie avec plusieurs hommes de lettres. Il marque sa place par des poésies latines qui n'ont pas été retrouvées, dans le petit cercle d'humanistes qui apr~s avoir fréquenté pour la plupart la cour d'Avignon, sous le pontificat de Beno1t XIII, reprennent leurs activités littéraires à Paris. Cl ) Il gagne sa vie en tant que traducteur, d'abord pour Louis de Bourbon, ensuite pour Jean de Berry, protégé aussi par Bureau de Dampmartin. Au début de sa carri~re, Laurent n'a pas une conception pré-cise quant à la traduction. Suivant les préceptes répandus à l'époque,

il pense que les traducteurs sont libres d'improviser, d'allonger, ou de détailler le texte original.

C'est tout d'abord pour Louis de Bourbon, âgé alors de 68 ans, que Laurent entreprend la traduction du De Senectute de Cicerone Le Li-vre de Vieillesse convient à la personne âgée qu'est Louis de Bourbon. Le prologue est daté du 5 novembre 1405. Laurent y exprime déjà la

con-ception qu'il a de tout travail de traduction: utiliser un vocabulaire

Cl) A.COVILLE, "L'humanisme en France au temps de Charles VI;" CParis, Champion 1934), pp. 175-186.

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-9-simple, facilement compréhensible pour le lecteur, mais sans en perdre le sens original, et il note qu'il allongera ce qui lui semblera obscur ou trop bref:

Et combien que le fardeau dont vous m'aviez chargé surmonte la petitesse de mes forces ••• je useray de paroles et sentences promptement entendibles et cleres aux liseurs et écouteurs de ce livre sans riens laisser qui soit de son essence, l'autre chose est que ce qui semble trop brief, je le allongeray en exposant par motz et par sentences. (ms BN Fr. 24285, F 228). (1)

Par exemple, dans le De Senectute, il ajoutera quelques expli-cations concises aux noms géographiques "Aetna" devient : "celle montai-gne de Sicile appelée Ethna!! etc •••

Il existe selon le recensement fait par P.Gathercole(2) et complé-té par J.Monfrin(3) 26 manuscrits du De Senectute. Deux de ces manuscrits contiennent une dédicace à Charles VI. La traduction du De Amicitia de Cicéron lui fut commandée peu après, mais à la mort de Louis de Bourbon, en 1410, Laurent n'a pas terminé son travail. Il a entre temps entrepris d'autres travaux pour le Duc de Be~j. Ce n'est qu'après 1414 qu'il re-prend le texte de Cicéron, pour l'offrir à Jean de Berry et c'est ce qui

(1) P. GATHERCOLE, '~ifteenth-Century translation : the development of

Laurent de Premierfait" in Modern Language Quarterly, no 21, 1960, pp. 365-370. (2) P. GATHERCOLE, "The manuscripts of Laurent de Premierfait' s works" in Modern Language Quarterly, no 19, 1958, pp. 262-270.

(15)

-10-explique la rédaction de deux préfaces, deux dédicaces, l'une adressée à Louis de Bourbon, 1'autre à Jean de Berry. Pourtant dans 1'esprit de Laurent, la traduction ne doit pas être séparée du texte latin. Et dans la traduction originale du De Senectute, Laurent adopte cette disposition Prologue du traducteur, texte latin, deuxième prologue, traduction. Il

faut citer ici l'ouvrage de Mademois~lleElisabeth Pellegrin(l) concernant deux manuscrits du De Senectute comprenan.t cette disposition. C'est dans la préface du De Amicitia, datée de 1416, qu'il formulera à nouveau ses théories concernant la traduction. Il écrit qu'il usera d'un vocabulaire simple pour faciliter la compréhensiono.des "lecteurs; pour la première fois il fait menti~n des sources auxquelles il a puisé les renseignements qu'il ajoutera au texte: dans le livre des Ethiques drAristote:

uEn ces choses, je useray de si appert et si commun langaige, que les hommes moyennement lettrez me entendront entierement et tost secondement, je mettray en somme et soubz brefve tout ou la plus grant partie des conclusions ou sentences mises et affermées par "Aristote en ces deux livres des Ethiques paravant nomez." (ms BN Fr. 1020). (2)

C'est toujours dans cette préface qu'il affirme la nécessité de faire des traductions: "que on doit par toutes manières ouvrir le chemin à entendre les livres," malgré la pauvreté du langage vulgaire l'mon langage vulgar qui par necessite de motz est petit et leger." (ms EN Fr. 1020, Fol. 53). (3)

(l) E.PELLEGRIN, "Note sur deux manuscrits enluminés contenant le 'De

Senectutel de Cicéron avec la traduction française de Laurent de Premierfait"

cians Scriptorium, no 12, 1958, pp. 276-280.

(2) Cf. P. GATHERCOLE, l'Fifteenth-Century translations ••• ", p. 367. (3) J.MœFRIN, "Traductions ••• ", p. 236.

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-11-Selon le recensement fait par Mademoiselle Gathercole, il existerait 14 manuscrits du De Amicitia, plus deux autres manuscrits dé-couverts récemment à la Haye et à Vienne.

C'est en 1400 qu'il aborde pour la première fois l'une des oeuvres de Boccace Le De Casibus. Il en fait une première traduction littérale, il suit de très" près le texte latin écrit en 1353. Selon Mademoiselle Gathercole, cette première version fut dédiée à Louis, Duc

de Bourbon, et datée du 13 novembre 1400.(1) Mais attiré sans doute par les possibilités didactiques du De Casibus, et considérant sa première traduction inadéquate, Laurent la reprend en 1409. Dans la préface de la seconde version, il affirme qu'il le traduit à nouveau afin de"parfaire sa première traduction : "Je doncques selon le jugement commun en amendant se je puis la premiere translation du dit livre, vueil sans riens condempner aultrefoiz, translater le dit livre ... (2) Il essaie dans la seconde traduc-tion de rendre plus clair le texte, d'o~ allongement et développement par rapport au texte original. Ces deux versions révèlent deux différentes méthodes de traduction et donnent une idée des problèmes existant pour les traducteurs de l'époque : le traducteur doit-il procéder à une traduction littérale, ou doit-il se permettre certaines libertés envers le texte, libertés tendant à clarifier le texte?

(1) P. GATHERCOLE, "Two old French translations of Boccaccio' s De Casibus virorum i11ustrium." in Modern Language Quarterly, no 17, 1956, pp. 304-309. (2) P. GATHERCOLE, Edition de la seconde version du De Casibus, basée sur le ms EN 226 : Des cas des nobles hommes et femmes, (Chapell Hill, 1968).

(17)

-12-Dans un article paru dans la revue Italia Medievale e Uma-nistica, Mademoiselle Carla Bozzolo a dressé un inventaire complet des manuscrits des traductions d'oeuvres de Boccace dans les bibliothèques de France. Elle en fait un tableau précis et donne des manuscrits une description détaillée. Cl) Ce travail de recensement a comporté en tout l'analyse de 68 manuscrits ainsi répartis:

a) 41 manuscrits de la traduction du De Casibus virorum illustrium de Laurent de Premierfait CIe version 1400, 2e version 1409). b) 7 manuscrits de la traduction anonyme du De Mulieribus Claris

de 1401.

c) 7 manuscrits de la traduction du Decameron de Laurent de Premierfait. d) Il manuscrits de la traduction 4u Filostrato de Beauvau, Sénéchal

d'Anjou.

e) 1 manusc~t et 1 fragment de la traduction anonyme du Teseida faite probablement vers le milieu du siècle.

Mademoiselle Gathercole a évalué à 65 le nombre total des manus-crits du De Casibus existant en France, en Autriche, en Allemagne, en Suisse et aux Etats-Unis. (2)

En 1411, Jean de Berry lui demande de traduire pour lui le

Deca-~ ou Livre des Cent Nouvelles. Il ne terminera sa traduction qu'en 1414. Comme il le dit dans la préface, il ne connait pas l'italien, et a

(1) C. BOZZOLO, '~uscrits des traductions françaises d'oeuvres de Boccace dans les Bibliothèques de France, Il dans ltalia Medievale e Umanistica,no 8,

1968, pp. 1-69.

(2) P. GATBERCOLE, 'Manuscripts of Laurent de Premierfait' s warks" in Modern Language Quarterly, no 19, 1958, pp. 262-270.

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-13-recours, pour traduire le texte du "langaige f1ourentin" en latin, aux services d'un frère de l'ordre des Cordeliers, '~istre Anthoine de Areshe, homme tr~s bien sai chant vu1gar florentin et langage latin." Il précise :

"Je Laurens, assistent avec lui, ay secondement converty en françoiz le langage latin receu:du dit ~F.r~re Anthoine ou au moins mal que j'ay peu ou en gardant la verité des paroles et sen-tences, mesmement selon les deux langages, forsque j'ay estendu le trop bref en plus long, et le obscur en plus cler afin de 1egierement entendre les matieres du livre.".

Il veut donc traduire au plus pr~s du texte, mais il se per-mettra quelques remarques qui pourront l'ec1aiTér.

Il existe un nombre relativement petit de manuscrits du D~cameron. Mlle Gatherco1e en a compté 15, dont 7 en France, décrits d'une mani~re tr~s

détaillée par Mlle Bozzo10.

En France, ce sont: les ms no 5070 (Bibliothèque de l'Arsenal),

no 129 (B.N.), no 239 (B.N.), no 240 (B.N.), no 1122 (B.N.), no 12421 (B.N.), le manuscrit de Limoges; à l'étranger: Le British Museum en a deux;

Oxford en possède un exemplaire; et d'autres exemplaires se trouvent en Italie, à Vienne, à la Haye, à la bibliothèque Palatine.

On doit aussi à Laurent de Premierfait la revision de la traduc-tion faite par Oresme des Economiques d'Aristote, travail entrepris à la requête de Simon du Bois, valet de chambre de Charles VI et terminé le 1er février 1418. Il en existe sept manuscrits. La traduction du

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-14-De quatuor virtutibus (1403), que le Moyen Age a mis sous le nom de Sénèque, est attribuée à Laurent de Premierfait. Mais certains manus-crits donnent Jehan Courtecuisse'comme étant le traducteur, et d'autres mentionnent le nom de Laurent. Mais selon Mlle Gathercole, le prologue ressemble aux autres préfaces de Laurent. Le traducteur flatte son pa-tron le Duc de Berry, et expose ses théories didactiques. Il y discute du processus de la traduction et admet qu'il n'aura peut être pas tout compris à cause de l'ambiguité du texte (ms BN 1020, F.123 a)

"Les sentences sont moult haultes et eslevees et las estraint souvent de grandes sentences en peu de paroles."O)

Certains critiques ont attribué à Premierfait la traduction du De Claris Mulieribus, terminéeen 1401. Mais la question n'est pas encore réglée. Ainsi H.Hauvette(2) affirme que cette attribution est très discutable, car le style est très différent de celui que l'on discerne dans les autres traductions. Certains manuscrits français donnent Laurent comme traducteur, et d'autres manuscrits que l'on trouve à Londres par exemple, le mentionnent aussi. mais sans aucune certitude ni preuve.

Il existe selon P.Gathercole, 11 manuscrits du Des Cleres et nobles femmes, manuscrits qui se trouvent surtout en France mais

aussi à Bruxelles, à Vienne et à Londres. S'il est évident qu'un texte souvent copié est un texte qui a eu du succès et l'influence, on peut

(1) P. GATHERCOLE, ''Fifteenth-Century translation ••• ", p. 369.

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-15-c)

conclure à la grande popularité de Laurent de Premierfait. D'apr~s l'étu-de l'étu-de Mlle Gathercole, on peut fixer à 158 le nombre de manuscrits exis-tant. Laurent fut un des traducteurs les plus importants du XVe si~cle.

Il fut le premier à présenter en France, un texte complet de Ciceron et de Boccace. Il fut aussi l'un des premiers en France à penser à l'art de la traduction et à exprimer ses théories à ce sujet. Il développe l'art de la traduction durant toute une période et ses travaux sont intéressants non seulement parce qu'ils nous éclairent sur les méthodes de traduction employées à la fin du Moyen Age, mais aussi parce qu'ils sont un témoi-gnage vivant de l'esprit français du XVe si~cle. Il fut l'un des pre-miers à souligner l'importance du texte original et à faire en sorte de n'en rien changer.

En Juin 1418, les Bourguignons entrent dans Paris. Laurent de Premierfait, comme d'autres humanistes, périt dans les massacres qui désolèrent la capitale.

(21)

III. L'influence de la traduction du Décameron en France

La traduction du Décameron faite par Laurent d~ Premierfait fut hautement appréciée surtout dans les milieux littéraires de l'époque. En permettant la diffusion de Boccace en France, Laurent a joué un rôle important dans le développement de la nouvelle française au

XVe

si~cle.

Les nouvellistes du XVe et XVIe si~cle se sont inspirés bien souvent de Boccace pour créer à leur tour des oeuvres telles que Les Cent Nouvelles, Les Joyeux Devis, ~Heptaméron, Le Grand Parangon des nouvelles nouvelles, etc., car pour les auteurs de ces textes, le Boccace était bien sûr le Boccace de la traduction française. Pourtant lè fait même de cette in-fluence italienne sur la prose narr.ative du XVe a donné lieu à des opi-nions très divergentes auprès des critiques modernes.

Le critique italien P.Toldo~l) étudiant le rapport entre la nouvelle italienne et la nouvelle française, la caractérise comme "née en bonne partie de l'imitation des italiens, plus particulièrement de Boccace." Il s'est proposé de prouver dans son ouvrage cette dépendance, dépendance admise en général, mais qui n'avait pas été étudiée de très près. Toutefois, dans le chapitre intitulé :'~a nouvelle française du XVe et XVIe si~cle, Il du recueil de littérature du Moyen Age, Gaston

Paris(2) nie cette dépendance, et essaiera de prouver par des exemples

(1) P. TOLDO, "Contributo allo studio della novella francese deI XV et XVI . secolo, considerata specialmente nelle sue attinenze con la litteratura italiana. Rome,1895.

(2) G.PARIS, Mélanges de littérature française du Moyen Age,~ textes publiés par Mario Roques (1966, Paris, Champion), pp. 630-676.

(22)

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-17-précis l'autonomie et l'originalité de la nouvelle française. S'il est vrai, dit-il, quI il y ait eu influence italienne, M.Toldo en a exagéré

l'importance, car la nouvelle

a

ses racines loin dans le temps, dans les fabliaux, dans une tradition orale commune, qui ont pu être aussi la source des sujets traités par Boccace lui-même, et le fait qulun mêm~

conte se retrouve dans deux recueils, l'un italien, et l'autre français, ne prouve pas la dépendance de l'un vis-à-vis de l'autre, car il existe en Europe un fondsde contes plaisants qui circulent depuis des si~cles

dans des lieux divers, et clest cette tradition orale qui serait à

l'origine de la nouvelle italienne ou française. Gaston Paris sIest pro-posé d'étudier dans les recueils de nouvelles les plus importantes du XVe et XVIe si~cle, les nouvelles qui présentent un rapprochement avec les "novellieri" italiens, plus particuli~rement avec Boccace, et à vérifier leurs points communs.

Les cent nouvelles nouvelles attribuées à Antoine de la Sale tout d'abord, ont subi sans "doute 11 influence du Décameron. L'auteur (que G.Paris croit être Antoine de la Sale, ce que la critique a depuis démenti) y traite comme i l le dit dans son prologue "Cent histoires assez semblables en mati~re, sans atteindre le subtil et très orné langage du livre des Cent Nouvelles. Il Mais selon G.Paris, l'auteur sIest abstenu

dl emprunter à Boccace aucun récit;_ les nouvelles appartiendraient à un fonds traditionnel commun. G.Paris ne nie pas qu'il ait eu une certaine "influence du Décameron dans les nouvelles 78 (La lampraie) ou 98; mais

(23)

C

i.,

~,l

-18-nouvelles nouve,lles. Pourtant selon la thèse de M.Hauvette(l) Les Cent nouvelles nouvelles n'ont pas seulement emprunté au Décameron leur titre, mais aussi la composition, la mise en vedette de la dernière

nouvelle, l'atmosphère générale, et souvent le style: répétitions variées, synonymes, formules d'introduction, etc.

Le grand Parangon des nouvelles nouvelles. Comme l'auteur de l'ouvrage précédent, Nicholas de Troyes met ses nouvelles dans la bouche de personnages dont les uns sont réels, d'autres empruntés à la littéra-ture. Pour ce recueil de nouvelles, alors que P.Toldo en attribue l~

source à d'autres nouvellistes italiens de l'époque, Gaston Paris admet uniquement l'influence du Décameron sur Nicholas de Troyes. Il aurait probablement eu connaissance de la présente traduction, (traduction que Gaston Paris dit étrangement introuvable) et s'en serait inspiré pour écrire son recueil. Selon des recherches faites par E.Mabille,(2) un tiers des nouvelles sont empruntées à~peu près textuellement au Décameron, d'autres aux Cent nouvelles nouvelles, mais d'autres lui sont très per-sonnelles et font preuve d'un esprit purement français.

Madame Kasprzyk(3) a consacré à Nicholas de Troyes une étude très détaillée. Dans son ouvrage, elle étudie les sources qui ont pu influencer Nicholas de Troyes. Boccace y a une part importante, mais il

(1) H. HAUVETTE, De Laurentio de Primofato, (Paris, 1907).

(2) E. MABILLE, Le grand Parangon des nouvelles nouvelles, (Paris, 1869), cité par G.Paris dans Mélanges ••• p. 636.

(3) Ch. KASPRZYK, Nicholas de Troyes et le genre narratif en France au XVIe. (Paris, Klinckneck 1963).

(24)

..

-19-convient d'admettre ici l'influence du folklore, et du fonds traditionnel commun qu~ a pu jouer dans la composition de ce recueil.

L'HeptamérozJl) Là encore, G.Paris admet qu'il Y ait eu in-fluence de Boccace sur l' Heptaméron. Marguerite de Navarre déclare elle-même qu'elle écrira un recueil de contes divisé en dix jours, analogue à celui de Boccace, mais qu'il différera de 1'ancien "en un point : "c' est de n'escripre nulle nouvelle qui ne soit veritable histoire. Il En effet,

"à Boccace elle empruntera le cadre de son livre, en réunissant dix de-visants qui obligés par un accident de séjourner ensemble hors de chez eux, se divertiront en racontant dix jours durant, chacun une histoire par jour. Comme dans.le Décameron, les devisants commentent l'histoire qui vient d'être dite et annoncent en même temps celle qui va suivre. Tous les critiques ont admis que l'Heptaméron était une oeuvre inachevée,

la reine étant morte trop tôt pour terminer ce qui devait être son Déca-meron. Pourtant alors que P.Toldo s'est attaché à prouver la dépendance

de Marguerite de Navarre à l'égard de Banaello, autre nouvelliste italien, G.Paris adémontré que Marguerite de Navarre, si elle a subi l'influence de Boccace

quant à la forme et à l'inspiration même du livre, s'est efforcé de ne mettre en scène que des personnages réels, vivant dans son entourage, et dont les noms supposés dissimulent l'identité. Elle affirme dans sa préface que les récits sont véritables, chacun des devisants s'étant en-gagé à rapporter ce qu' il aura vu ou entendu à "quelque homme digne de foi."

(1) Marguerite de NAVARRE, ~'L' Heptaméron" édité par Michel François, (Ed. Garnier, Paris, 1967).

(25)

û

-20-C'est seulement pour l'un de ses contes qu'elle avoue s'être inspirée d'une source écrite, -un ancien récit du Moyen Age: La Chatelaine de Vergio

(1)

Les contes du monde aventureux, dont l'auteur n'a pas été iden-tifié ont paru en 1555. P.Toldo s'est attaché à montrer les emprunts que l'auteur aurait fait au Décameron et à d'autres "novel1ieri" italiens. Là encore, G.Paris, tout en admettant l'influence du Décameron quant à la forme, soutient que les sujets sont tirés soit de la tradition orale commune (tel le conte de Frère Cippollo, VIe journée, conte 10) soit empruntés à d'autres nouvellistes français de l'époque.

Les nouvelles

réc~éations

et joyeux devis(l) publiés en 1558 après la mort de l'auteur Bonaventure de Periers, rapportent les propos tenus par des hommes généralement graves, mais qui en leurs heures de récréation, échangent de joyeux récits. Alors que P.Toldo affirme que "les sujets comme les types de ces contes sont italiens;:" G.Parls les désigne comme produits éminement français. Les personnages : paysans, bourgeois, prélats, etc ••• , font partie du folklore français, l'esprit y est français, et la peinture des moeurs qui s'y révèlent y est typiquement française.

De cette étude de Gaston Paris, il ressort très nettement que l'influence du Décameron de Boccace a été prépondérante sur le développe-ment de la nouvelle française au XVe et XVIe siècle. L'Heptaméron, les

(1) L. SOZZI, :Les contes de Bonaventure de P~rlers,- (Turin Giappi-cheUi, 1965) •

(26)

---C)

(J

-21-Cent nouvelles riouvelles, et les autres recueils ont voulu donner en langue française un pendant au recueil de Boccace. Dans tous ces recueils, l'in-fluence italienne s'est surtout exercée sur la forme des récits, par

l'adop--'

tion du genre même de la courte narration en prose, par le cadre, souvent par l'esprit qui anime ~es récits, ou la morale qu'en tirent les conteurs.

La prose française du XVe si~cle a été aussi l'objet d'une étude faite par M. Jens Rasmussen. L'auteur s'est surtout attaché à faire une analyse stylistique de la prose de l'époque et y distingue quatre cou-ches stylistiques: celle de l'époque, celle du genre, celle de l'oeuvre, celle de l'auteur, qu'il étudie très attentivement. L'auteur définit le XVe siècle français comme le siècle des grandes innovations littéraires en littérature française : création de la nouvelle, création de la prose littéraire, création du roman en prose, formation d'un style. M.Rasmussen cite le R-oman de ,"Jehan de Saintré, comme le premier roman original ayant été écrit dans la littérature française~l) Il parle des rédactions en prose du Roman de Lancelot, comme de créations mineures, alors que Knud Togeby(2) dans son article sur la prose française du XVe, les considère comme l'origine de l'expression littéraire française, de la prose narra-tive. Alors que Rasmussen reproche à ce roman son manque de cohésion, Togeby au contraire affirme que la "Queste du graal et la mort Artu

cons-tituent bel et bien des romans au sens le plus moderne du terme : thème

(1) J. RASMUSSEN, La prose narrative française du XVe siècle- : Etude esthétique et stylistique (Munsksgaard, Copenhague, 1958), p. 11.

(2) K. TOGEBY, '~_a_J'_~s~ __ fF~Ç~~~~u_xv.~_siècle'LlOrbis Litterarum, no 14, 1958, pp. 174-183.

(27)

o

o

-22-central, composition serrée, et rôle dominant de la religion et de la destinée. ,,(1)

Autre assertion de M. Rasmussen, il n'y aurait eu aucune tradition stylistique, aucun mod~le de style narratif en prose dont

auraient pu s'inspirer les nouvellistes du XVe si~c1e. L'influence 1itté~

raire de Boccace aurait été presque nulle et le seul mod~le en aurait été le style des "exemp1a", le style curial de l'époqûe. Pourtant, nous pouvons admettre avec M. Togeby que de telles théories d'une création littéraire sortie du néant ne peut, à l'extrême rigueur, être possible que pour les chansons de geste, les toutes premi~res oeuvres de la 1itté-rature française. M. Rasmussen fait de la traduction "du Décameron par Laurent de Premierfait "une réplique faible et délayée" de façon que le" style de Boccace n'aurait pu jouer un rôle au XVe si~c1e en France. (2) Pourtant nous savons par la présente traduction que Premierfait a tout traduit et n'a laissé de côté aucune nouvelle. Il a fid~lement rendu fonds et forme, comme nous pouvons le constater ici même, par l'étude de son manuscrit, et il ne s'est permis que très rarement de faire que1-ques modestes commentaires.

La prose narrative du XVe siècle a donc pris ses racines dans la" tradition orale, dans les fabliaux, dans les t"~S de Marie de France

(1) K. TOGEBY, "La prose •••••• ", p. 181. ( 2) J. RASMUSSEN, ''La prose ••• ", p. 176.

(28)

-23-(dit Togeby) mais il est incontestable que Boccace a influencé de façon certaine les nouvelles du XVe siècle. Cette influence s'est exercée sur la forme des récits, sur la conception même de la nouvelle, même si par les sujets traités et les personnages mis en scène, elle reste profon-dément originale et française. Mais cette influence s'est fait sentir bien avant les nouvelles du XVe siècle. Christine de Pisan écrivit le Livre de la cité des dames entre 1404 et 1405. Dans ce livre elle fera appel à des témoignages généralement tirés de l'histoire pour affirmer

la supériorité et la vertu des personnes de son sexe. Mais c'est dans le De C1aris Mu1ieribus de Boccace qu'elle ira puiser de nombreux exem-pl es de personnages féminins illustres. Dans UL' article paru dans la revue Romania, A.Jeanroy(l) a entrepris d'étudier dans quelle mesure le De C1aris Mu1ieribus fut la source essentielle du Livre de la cité des dames.

A.Jeanroy va plus loin; le Livre de Boccace fut plus qu'une source. Christine de Pisan a sans scrupules utilisé des passages entiers, cédant à la tentation de trouver sans doute un travail qui lui aurait coû-té bien des recherches. Elle emprunta, selon Jeanroy, près de trois quart des exemples; quant à Mlle Bozzo10,(2) elle a étudié en particulier dans quelle mesure le Décameron a influencé l'oeuvre de Christine de Pisan, et en particulier dans trois de ses contes, celle-ci emprunte à Boccace et au Décameron trois hérofnes qu'elle introduit dans sa galerie de portraits.

(1) A.JEANROY, Boccace et Christine de Pisan: l'Le De C1aris Mulieribus,"

principale source du '~;~ . .de_.!a,_ci~~_.4e~ ~~.II Romania 1922, No 48,pp.93-105. (2) C.BOZZOLO, Il l'Decameron" come fonte de1 l'Livre de la cité des dames"

di Christine de Pisan, in Miscellanea di studi e ricerche sul "400" francese. Turin 1967.

(29)

---~~

-24-Griseldis, héro!ne de la Xe nouvelle, Xe journée idont E.Golenistcheff Koutouzoff (1) a raconté la fortune en France), devient la femme de Bernabo le Genevois. Christine cite elle-même ses sources pour trois de ses nouvelles: De la femme de Berna\)èJ, le Genevois, de Scismonde fille du Prince de Salerme, du dit de Lisbeth et d'autres amantes en les introduisant par "Boccace raconte ou ·livre des Cent Nouvelles que

...

,

"

ou : "Derechief compte Boccace oudit livre des Cent Nouvelles ••• "

L'influence de Boccace ne s'est pas seulement fait sentir aux XVe et XVIe siècle. Le Dé cameron , par son réalisme, par la variété de ses thèmes, a continué a exercé son influence au-delh des frontières, et au-delà des siècles. Le prosateur a non seulement retenu l'attention des romanciers mais aussi des poètes. A plusieurs reprises des poètes attirés par le contenu poétique de cette prose ont écrit sur les sujets traités. L'influence de Boccace sur La Fontaine, Chancer, Musset, etc •• a été prouvée. Signalons à ce sujet un article de Marie-Thérèse Maiorana,(2) où elle traite d'un conte de Boccace (Le pot de basilic, Ve nouvelle, IVe journée) source d'inspiration d'un poème de Keats: Isabella, et d'une poésie d'Anatole France: Le Basilic. Les deux auteurs ont repris partiellement le thème de la nouvelle, tout en introduisant des variantes personnelles; les deux imitateurs maintiennent cependant la puissance du fonds original.

(1) E.GOLENISTCHEFF-KOUTOUZOFF, ··L' Histoire de Griseldis en France au XIVe et au XVe siècle. Paris,1933.

(2) M. T. MAIORANA, ''Un conte de Boccace repris par Keats et Anatole France" dans: Revue de Littérature Cbmparée, no 37, 1963, pp. 50-67.

(30)

o

-25-Le Décameron a joué un rôle important dans le développement de la nouvelle française. Nous citerons pourtant pour clore une étude qui reste encore à faire dlune mani~re plus approfondie llavia de Henri Weber, dans une étude sur les Cent nouvelles nouvelles: liCe sont dl ailleurs

les facéties latines, celle du Pogge, connues et diffusées par manuscrits avant même dlêtre publiées, qui plus directement que le Décameron, ont fait naltre la nouvelle en France, en particulier les Cent nouvelles nouvelles, composées entre 1456 et 1467, à la Cour du Duc de Bourgogne. La facétie latine avec tout 11 esprit humaniste dont elle est chargée est à notre avis ce qui en France détermine le passage du fabliau à la nou-velle proprement dite, même si dans leur rudesse et quelquefois leur lourdeur narrative, les Cent nouvelles nouvelles paraissent assez éloi-gnées de 11 élégante brièveté du Pogge. Il (1)

(1) H. WEBER, IILes facéties et le bon mot du Pogge a Des Periersll dans

Humanism in France at the Middle Ages and in the early Renaissance. (Manchester University Press, New York, 1970, pp.82-l05).

(31)

\

_./

.,

.1

IV. Le manuscrit français B.N. 129

Le manuscrit français 129 de la Bib1ioth~que Nationale que nous avons pris comme manuscrit de base a été décrit par Mlle Carla Bozzo10. (1)

Il est fait sur velin, premier quart du XVe si~c1e. Il com-prend 296 folios numérotés de 1

A

296 (+ 1f 149 bis). Chaque folio com-prend 2 colonnes de 48 lignes : 420/s x 280/smm; surface écrite : 260 x 18Omm.

Deux peintures au folio 1r, et f4 r. Celle du f4 r, représente Jean de Berry recevant le livre des mains du traducteur. Le blason du duc est au dessus de lui. Il y a un encadrement de fleurs, de rinceaux, et grotesques. Les initiales sont peintes et dorées, la reliure est en maroquin rouge aux armes royales.

Le manuscrit est ordonné comme suit :

- Prologue du tras1ateur (ici dédicace de Laurent de Premierfait que nous pouvons lire au début de notre édition).

- Prologue de Boccace :

"Cy commence le prologue de Jehan Boccace."

- Les journées :

"Cy commence la première journée

"

(32)

o

-27-Conclusion :

"Cy fine le livre appelé Décameron ••• et qui nageres a été translaté premi~rement en latin et secondement en françois ~ Paris en llostel de Bureau de Dampmartin ••• par Laurent de Premierfait, familier du dit Bureau.

Lesquel-les deux translacions par trois ans faictes furent accomplies le XVe jour de juing, llan mil

ccce

et XIV. Cy fine le livre des Cent Nouvelles racomptees en dix journêes par sept dames et trois jouvenceaulx de la cite de Florence."

(33)

,,-V. Confrontation de la traduction de Laurent de Premierfait avec l'original

Laurent de Premierfait a essayé de rendre fidèlement le texte de Boccace. Il s'est attaché comme nous avons pu le constater au cours de notre travail ~ procéder ~ une traduction littérale. Il s'est permis pourtant quelques interventions rares et modestes que nous avons tenu

~ rapporter ici.

Commentaires géographiques

Ile nouve11e,124:'Origina1 : Ad Arno

Ve nouvelle,S3

Laurent'comp1ète: La rivière de l'Arne qui court parmi Florence .

Original : ".Mugello

Traduction Un village assez près de Florence nommé Mùstellon

VIle nouvelle, 27: Original ten::a.~ di Prato

Traduction En le comté 'de Florence est une ville nommée le Pré

Probablement fautes du manuscrit

VIle nouve11e,:8: Original Modificare (10 statuto) Traduction moderer l'estatut

lXe nouvelle, :51.: Original : E per cio che egli a1quanto tenea det:· l'oppinione deg1i epicuri ••• ,

Ici Et pour ce qu'il tenoit aucunement l'op-pinion des Egiptiens ••• ,

(34)

C

·

!

l

'.

-29-Commentaires

Ve nouvelle, 2.4: Original lia qualunque . deI Baronci Il

Traduction ••• quelconque homme des Baronçoys (dont la nouvelle Llle parlera tout à

plain).

Ve nouvelle, 50: Original Messire Forese et Giotto •••

Traduction Un docteur en 10ix, un excellent peintre.

Quelques interprétations légèrement différentes de l'original Ve nouvelle, 55: Original Traduction VIle nouvelle,37:0riginal Traduction Xe nouvelle, 144: Original Traduction

" ••• in quegli tempi di state che le ferie si celebran par le corti ••• " (à l'époque où les tribunaux font re-lâche)

••• les feriez de Panthecoustes quant l'en fait es cours des seigneurs festes et esbatemens.

". •• la quaI cosa Rinaldo veggendo, turbato forte, appena.del correr loro addosso e d'uccidergli' si retenne, e se non fosse che di se mede'imo dubitava ••• Il

(Rinaldo doute de ses forces, c'est ce qui le retient de tuer sa femme) •

••• et a paine il peust refraindre et actrem-per son ire qu'il ne voulsist selon celui estatut veoir de sa femme la mort •••

(il préfère laisser à la loi le soin de con-damner sa femme à mort).

"tutte in vento'· convertite ••• Les tenta-tives du valet n'aboutissent à rien, il n'obtient rien de la jeune fille •

••• ses paroles et promesses retournoient en vent et a neant car il ••• poait très pou· donner.

(35)

o

-30-Quelques comparaisons ou détails gui n'existent pas ~~s le texte original: VI, 80.

le nez môult large comme un auvent ••• le nez tortu comme un ongle de vautour.

Ils ont le menton tr~s saillant et recoquillé en haut telle-ment que a paine ilz peuent humer ne boire.

Malgré ces quelques rares interventions, la traduction de Laurent de Premierfait reste presque littérale, et est très fidèle au texte.

(36)

()

'.

LE DECAMERON VIe joumée

(37)

""""~ -"....,-_.

-PROLOGUE

Il.r.1 Prologue du translateur du livre des Cent Nouvelles de Jean Bocace de Certald

A tres exellent, puissant et noble prince Jehan filz de Roy de France, Duc de Berry et d'Auvergne, Conte de Poictou, d'Estempes, de Boulongne et dl Auvergne , selon justice, user de vos dignitez et puissance mondaines, obtenir desure victoire de voz ennemiz magnifestes et caichez, surhabondance de vertus divines et humaines, et a vous comme seigneur 5 et prince obaissance entiere de moy Laurens, votre humble clerc e~

sub-giect voluntaire.

Aprez long pensement et secret envers moy, ay advisé vrayement que Sire Adam et Dame Eve, premiers parens de tout humain lignage, furent

en l'estat de innocence si comblez et farciz de tous dons et prerogatives 10 de graces celestes et humaines, que ainsi comme lIen croit, ilz furent

immortelz jusquez a celui dampnable mouvement ouquel ils enfreignirent la loy donnee a eulx de par Dieu leur createur et prince de toutes choses. L1enfrainte du mandement divin bestourna et perverty au regard des hommes

tous profiz en dommages: amour en hayne, pitié en cruaulté, joye en' 15 tristesse, sceurté en cremeur, oysivetez en cusançons. Et outre plus, les hommes entre .CM. autres dommages devindrent enfermes et mortelz, ignorans, cusançonneux, pensifz, dolens et subgiez aux tournoyemens de fortune. Or. est tres vraye chose et qui est incongneue a tous forsque aux sages que tous

javelotz de fortune troublent la pensee des folz, mais les sages ne se 20

(38)

-33-o

changent pour quelconque!l.v.! visage que fortune leur monstre. Pour secourir doncques aux turbacions et mouvemens des folz hommes, jadiz fu et est licite et permis aux sages hommes de fetEmesmement soubz fic-tion aucuns livres en quelconque honneste langaige, parquoy les hommes

perturbez et esmeuz pour aucuns cas, prengnent en lisant ou enescoutant 25 aucun ~oulaz et leesse;· pour hors chasser du courage les pensemens qui

troublent et empeschent les cueurs humains. Pour monstrer ceste chose, il me souvient avoir leu es prologues des six comedies de Terence que il escrivi en vers comiques, et lesquelles contiennent six moult artificiel es fables qui apporterent jadis grant delectation et joie au peuple rommain 30 et autres escoutans, afin et pour sousleger et admoindrir les griefs et

continuelz labours que les· hommes populaires en leurs ouvrages serviles soustenoient incessaument exceptez les jours festables. Esquelz afin

.

,

de ostex occasion de fetardie et oysivecte mauvaise, ilz ~e assembloient

en'publique theatre pour escouter les fables representans le vray miroer 35 et la forme de toute vie humaine. Par celles comedies racomptees es

jours festables les hommes populaires estoient solaciez en courage et retraiz de faire ou dire chose touchant mauvaise oysiveté. rlz aussi oyent compter en personnages les pertinens Manieres de tous estas de gens baz et moyens.

Aux nobles et divins poetes en leur temps furent a bon droit rendues dignes honneurs publiques et provisions! de choses neccessaires a leur vie, afin que par reddicion de publique honneur et de condigne emo-· lument chacun poete s'esforçast surmonter les autres poetes de son temps.

(39)

o

-34-Celui est noble labour, celui debat est juste, celle envie est saincte. 45 par lesquelz homme s'esforce estre le plus exellent"en vertu. Le seul

noble couraige entreprent surmonter les autres non pas par fiction, mais par oeuvre tres clere.

Pourtant Jehan Bocace de Certalde, en son temps noble citoien"

fI ourent in , homme bien enseigné en scien~e et histoires divines et humai- 50 nes, considera comme dit est, que nos premiers parens et nous descenduz

d'iceulx en lieu de cent mil biens, avons encouru cent mil malheures et dommages, entre lesquelz sont paour et douleur par qui- tous au~res biens mondains sont effacez et destruis; et"ces deux dommages sont communement

si enracinez es hommes que' ch:..tout ils ne peuent estre esrachiez. Il 55 suffist ou peut suffire que par aucun temps ilz puissent estre souspenduz

ou admoindriz par quelconques honnestes delectacions et joies sans offen-dre Dieu ne homme.

Jehan Bocace doncques, acteur de cestui livre, voyant et

co-gnoissant que en son temps estoit advenue une si generalle et si grant 60 mortalité sur hommes et sur toutes autres bestes habitans sur la terre

que a paine de cent hommes _Aémourerent dix en vie, cause de ceste mor-talité fu la disproportion et le desvoyement des quatre ellemens, c'estas-savoir Terre, Eaue, Air et Feu qui furent lors alterez par les

disconve-nemens regars de tous

12.r.1

les corps celestes par l'influence desquelz 65 la vertu du baz monde est toute gouvernee. Notre acteur Jehan Bocace,

pour le confort et soulaz des survivans pour lors qui neantmoins en grant paour actendoientla mort en chacune heure de jour, et qui moult dolens

(40)

{ ,r.-.•... , r ."

o

-35-estoient de leurs parens, amis e~ compaignons mourans soudainement et

mi-serablement, il compila et escrivi en langage flourentin, soubz grant 70 et bel atournement de paroles, ung volume qu'il nomma ''Decameron, Il

autre-ment appellé: ''Le Livre des Cent Nouvelles'.' qui en dix jours, par sept femmes et trois hommes florentins furent, comme il appe rra , comptees en egal nombre, c'estassavoir par chacun jour X •• nouvelles par dix

person-. .

nes racomptans l'une aprez l'autre. ~t combien que selon lehastif ju- 75 gement de celui ou de ceulx qui, sans precedente et longue consideracion,

dient et pronon~ent leur sentence, les cent nouvelles semblent plus ser-vir a delectacion que au commun ou particulier prouffit, neantmoins l'es-couteur ou liseur, qui longuement et meurement advisera le compte de

cha-cune nouvelle, il trouvera es histo!res racomptees plus profit que de- 80 lict. Car illec sont tous vices morsillez et reprins, et les vertus et

bonnes meurs y sont admonnestees et loees en autant et plus de maines comme est le nombre des nouvelles. Et assez aussi appert, que cestui li-vre des Cent Noovelles est moult autre et different des fables des poetes,

soient comiques ou satiriques ou tragiques, qui seulement servent aux 85 delitz ou prouffisl des personnes populaires a par soy ou aux reprouches

ou diffames des personnes haultains ou moiens, a par soy ou en commun; car en general les cent nouvelles meslees ensemble raisonnent des empereurs, des souldans, des roys, des ducs, des contes et autres princes et

sei-goeurs terriens et hommes et femmes de tous estatz, soient crestiens, 90 juifz ou sarrasins, nobles ou innobles, ecclesiastiques ou la!z ou soient

(41)

Q'

-36-Pourtant doncques, exellent, noble, puissant Prince et Duc que a votre notice est parvenue la renommee du livre des Cent Nouvelles qui

comme j1ay dit est escript en langaige florentin par Jehan Bocace, acteur 95 aussi du livre des malheureux cas des nobles hommes et femmes, contenant

seulement histoires approuvees et choses serieuses, lequel livre de votre commandement nagueres fut translaté par moy Laurens dessusnommé, et lequel livre comme je croy avez begninement reçeu et coloqué entre voz autres

,

,

nobles et precieux volumes. Tous nouvelement, avez delibereement fichié 100 votre honneste plaisir a lire ou escouter le dessusdit livre des Cent

Nouvelles, et icelui avoir par devers vous et deffendre les envieux et maldisans injustement et sans cause. Et si avez eu agreable le long et grief labour de la translacion qui surmonte les forces de mon engin et

industrie. Et cestui est que pour, mon delict privé ne pour mon singulier 105 plaisir, je ne mis oncques le fardel sur

12.v.1

mes epaules de translater

ledit livre, mais pour hors tirer et expreindre par moien et aide de la

,

gràcé de Dieu, aucun proffit et honneste delectacion.

Je Laurens, dessus nommé, ay appliqué mon engin tel quel a con-vertir et muer en langaige françoiz pertinemment demené selon la vraye matiere le dessus dit livre des Cent Nouvelles extraictes du langaige fl ourent in. Je, qui congnoiz votre acceptacion honneste et qui scay celle saincte constitution, parquoy Saint Jaque en sa canonique epistre commanda moy estre subgiect au roy comme prince exellent et aux ducs comme a ceulx qui du roy sont envoiez et connus, je homme populaire et de petite science, suis droictement obligié de servir a vous, en une si

110

(42)

o

-37-honneste acceptacion, comme est de me avoir commandé, ou avoir agreable que je aye nouvelement translaté en paroles et sentences françoises le livre devant nommé, par le moien duquel vou!'l, Seigneur et Prince, et

chacun liseur ou escouteur, pourra rapporter et acquerir trois protiffiz 120 meslez de trois plaisirs honnestes: premierement vous, Duc, Prince et

Seigneur d'une grant et notable partie du monde, emploiez votre corps et engin en haultes et diverses besongnes touchans vous, voz amis et aussi vos subgiez. Chose expediente est oyr ou lire'escriptures meslees de

choses serieuses ou soulacieuses vo~ cusançons mondaines. Secondement, 125 selon ordre de nature aprez griefves et pesantes besongnes traictees par

labour corporel ou par subtilité d'engin, il ai~iert que chacun homme! refreschisse les forces ou par confort de viandes ou par aucune honneste leesse enquoy l'ame prengne delectacion. Tiercement, puisque vous et

au-tres princes terriens portez la representacion et figure de puissance et 130 magesté divine, je di que ainsi comme devant Dieu celeste et tout puissant

doivent estre chantees ou dictes loanges de cueur joieux et esbaudi, aussi devant les princes licitement peuent estre racomptees nouvelles soubz gra-cieuses manieres et honnestes paroles pour lee8~ et esbaudir les esperitz

des hommes. Car pour plus amplement meriter envers Dieu, il est permis 135 aux princes et aussi a tous hommes alongner leurs vies par toutes voies

consones a Dieu et a nature acompaignee de raison.

Et se ypocrisie doree par dehors et au dedens fangeuse et orde, opposoit par adventure contre les Cent Nouvelles qui,comme dit est,

(43)

-38-peuent aux oreilles des princes et autres hommes apporter delectacion plus grande que ne font les Cent Nouvelles ou autres histoires humaines, je confesse ceste chose, mais que la Bible en son droit sens feust plaine-menteDtendible a tous comme sont·autres plusieurs histoires et

escrip-tures. Car je congnoiz par moy et aussi par oy dire a hommes sages et aUctorisez que entre lectrez françoiz ne advint oncques si grant abus ion ne si reprouvee maniere comme d'avoir translaté en langaige vulgar la Saincte Bible escripte artificielement par sains docteurs latins.

Les translateurs, quelz-qu'ilz soient, ont comis !3.r.!

sacri-145

lege en desrobabt, ravissant et ostant la beaulté et 1'atour du tres pre- 150 ciz langaige et la mages té des sentences, et par entremesler impertinens

et malsonans paroles.,:?arqu!lY ilz comme folz cuiderent ouvrir, mais ilz cloyrent les celestieez secretz et les divins misteres a ceulx qui n'ont sciences infuses ne acquises.

Et ainsi raisonnablement il loist et est permis translater 155 seulement en vulgar celles histoires ou escriptures qui ont ungseul sens

et entendement simple selon la pure lectre. En oultre aussi je di que ja soit ce que aucun prince ou autre homme eust avec soy et entendist, ne me chault en quel langaige, la Saincte Bible, toutesvuoies ne porroit-il

continuelement lire ne escouter celle saincte ··escripture, car humainement 160 il desireroit soy retraire a aucune joieuse et honeste matiere pour

aucu-ne foiz soulacer et conforter son engin,. ses esperiz, et aussi son estu-de. Certes engin humain est naturelement comparé a ung arc entezé et tendu, combien qu'il soit bien poly et bien cordé, neantmoins il ne peult

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o

-39-continue1ement traire ne desocher les f1esches, ains le convient d'esten- 165 dre et abatre la corde et drecer le fust afin que par aucun re1aiz, il

retourne en sa premiere force et roideur. Ceste chose j'ay veue et es-prouvee es esco11es de toutes genera1es estudes, car les maistres et docteurs ou milieu de leurs leçons racomptent aux esco1iers aucunes

fa-bles ou nove11es joyeuses afin que par interposees paroles de honnestes 170 sou1az et esbatement les liseurs! et escouteurs resvei11ent et

rafres-chissent leurs sens et entendemens a viguereusement lire et escouter le remenant des leçons ordinaires.

Vray est aussi, tres exe11ent, tres noble, et tres puissant

Prince, que Nature, maistresse des choses, habilita par plumes plusieurs 175 oyseaux a voler en l'air et les bestes sauvages et privees a marcher sur

terre ou tost ou lentement. Et neantmoins oyseau1x armez de plume ne exercent pas tousdiz leurs ae1es en volant, ains se perchent par branches ou logent en les nyz. Et les bestes aussi soient lentes ou 1egieres ne

cheminent pas toujours maiz se reposent et sou1acent selon temps et lieux 180 distinctes par nature, car chose longuement ne dure qui n'a repoz, de1ict,

pasture.

Aussi je di que changement de viande refreschit et suscite appetit naturel. Les estomacz actetnez et dangereux, et combien aussi

que or et argent soient deux plus precieux metau1x entre les sept, neant- 185 moins plomb ne estain ne sont pas dampnez ne des~sab1es; ains retient

chacune chose son pris et sa valeur selon le plus et le moins. Et pour ce que je suis françoiz par naissance et conversacion, je ne scay

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p1ai-

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nement 1angaige florentin qui est le plus preciz et plus es1eu qui soit

en Italie, je ay convenu avec ung frere de 110rdre des Cordeliers nommé 190 maistre Anthoine de Aresche homme tres bien sai chant vu1gar florentin et

1angaige latin.

Cestui Frere Anthoine bien instruit en deux 1angaiges maternel et latin, pour condigne et juste salaire translata premierement le dié

livre des Cent/3.v./ Nouvelles de florentin en 1angaige latin, et je 195 Laurens, assistent avec lui, ay secondement converty en françoiz le

1an-gaige latin reçeu du dit Frere Anthoine, ou au moins mal que j1ay peu ou en gardant la verité des paroles et sentenses, mesmement selon les deux langages forsque j1ay estendu le trop bref en plus long, et le obscur en

plus cler afin de 1egierement entendre les matieres du livre. 200

Et ainsi, a deux longs et griefz labours, je ay par devers moy le livre des Cent Nouvelles en latin et en françoiz. Et pour ce que la despence de cestui livre ainsi deux foiz translaté estoit griefve et importable a moy, je en la confiance de votre 1ibera1ité qui vault et

peu1t et sceit rendre condigne et juste loyer aux ouvriers selon leurs 205 bons merites, je qui depuis longtemps suis demourant avec noble homme

Bureau de Dampmartin, escuier conseiller du roy et citofen de Paris, re-qùis et demanda y au dit Bureau secours et provision pour ceste chose faire, et il de joieux visage administra au dit frere et a moy toutes

neccessitez tant en vivres comme en que1c~nques autres choses convenables 210 pour despense et salaire de nous deux qui, comme dit est, trans1atasmes

Figure

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