• Aucun résultat trouvé

ARTheque - STEF - ENS Cachan | Étienne-Jules Marey, le poids des cultures familiales et scolaires dans l'itinéraire d'un chercheur

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "ARTheque - STEF - ENS Cachan | Étienne-Jules Marey, le poids des cultures familiales et scolaires dans l'itinéraire d'un chercheur"

Copied!
6
0
0

Texte intégral

(1)

ÉTIENNE-JULES MAREY, LE POIDS DES CULTURES

FAMILIALES ET SCOLAIRES

DANS L’ITINÉRAIRE D’UN CHERCHEUR

Josette UEBERSCHLAG

CRCM, Uni. Bourgogne / LDES, Uni. Genève

MOTSCLÉS : PHOTOGRAPHIE CINÉMA HISTOIRE DES SCIENCES CULTURE FAMILIALE - CULTURE SCOLAIRE - CRÉATIVITÉ

RÉSUMÉ : Dans la formation du jeune Marey et dans son itinéraire de chercheur, il convient de tenir compte d’une triple influence : celle de sa mère, personne cultivée et d’une présence constante auprès de lui, celle de son père qui a voulu qu’il soit médecin plutôt que polytechnicien et celle du Collège de Beaune où il fit ses humanités : Gaspard Monge, un des créateurs de l’école Polytechnique et élève exceptionnel de ce même Collège au siècle précédent, avait tracé la voie.

ABSTRACT : Young Marey’s formative years and his career as a scientist benefited from a threefold influence : that of his mother, a well-educated lady who was extremely nurturing, his father’s determination that his son should become a physician rather than an engineer from the Ecole Polytechnique, the atmosphere of the Collège de Beaune, the grammar school where he studied the classics. Gaspard Monge, one of the founder of the école Polytechnique and another outstanding pupil of this school seventy five years earlier, had set a precedent.

(2)

Étienne-Jules Marey, membre de l’Institut et de l’Académie de Médecine, professeur au Collège de France, est passé à la postérité pour son invention de la chronophotographie (1) appliquée à l’étude du mouvement.

1. CIRCONSTANCES FAMILIALES AYANT INFLUENCÉ L’ITINÉRAIRE DE MAREY

Étienne-Jules Marey, né en 1830, fut le fils unique de Claude Marey et de Thérèse Joséphine Bernard. Il était issu de milieu relativement modeste, du moins du côté paternel. Dans sa famille, on a retrouvé nombre de vignerons et de laboureurs, et les ascendants de la quatrième génération ne savaient ni lire ni écrire. Selon Auguste Dubois (2), son père très autoritaire, mais « énergique, laborieux et sérieux », le destinait à la médecine et aurait souhaité le voir servir le prestigieux Hôtel-Dieu de Beaune. Sa mère intelligente et douée – fille de Benoît Bernard qui fut régent dans le Collège de Beaune où Marey fit ses études – fut très attentive aux progrès de son fils. Du fait de la présence de ce grand-père maternel professeur et de cette mère cultivée, Marey connut, semble-t-il une enfance où la pensée se trouva valorisée.

2. LE TEMPS DES ÉTUDES, BERCEAU DES RECHERCHES FUTURES

Bien que d’esprit rêveur, Marey fit des études brillantes au collège public de Beaune (prix d’excellence en seconde) où son grand-père maternel exerça. À cette époque, l’esprit des Lumières et la Révolution aidant, on commençait dans l’enseignement classique à accorder davantage de place aux disciplines relatives aux “choses et à la nature”, autrement dit aux sciences, en ressassant un peu moins les éléments d’une langue morte.

Le collège de Beaune (3) où Marey fut élève, prolongeait le collège des Oratoriens qui, laïcisé sous la Révolution de 1789, compta parmi ses élèves, un illustre mathématicien Gaspard Monge : Monge dont le père n’était que marchand ambulant, fut un des fondateurs de l’École Polytechnique. Comme tous les collégiens beaunois de sa génération, Marey subit l’influence du souvenir de Monge. Quand Marey eut 17 ans, un événement local vint encore renforcé cet idéal de réussite. En 1847, les jeunes du Collège furent associés à la commémoration du centenaire de la naissance de Monge. Les collégiens y défilèrent en grande pompe, portant les œuvres de Monge couronnées de lauriers. Admirant cette grande figure des sciences, Marey aurait souhaité devenir polytechnicien. Son père en décida autrement. Mais on imagine bien comment Monge – créateur de la géométrie descriptive – inventeur de méthodes permettant de représenter sur un plan des objets à trois dimensions, fascina le futur physiologiste dans sa quête de rigueur et d’exactitude pour décrire et garder la trace des mouvements.

(3)

Bachelier en 1849, Marey s’installa à Paris pour y poursuivre des études de médecine selon le vœu de son père. Reçu premier à l’Internat des Hôpitaux de Paris en 1854, il soutint en 1859 sa thèse dont le titre fut « Recherches sur la circulation du sang à l’état sain et dans les Maladies ». Cette thèse lui donna l’occasion de montrer son ingéniosité dans la mise au point d’appareils mécaniques. Il procéda à des relevés “graphiques” du battement du pouls artériel en confectionnant un sphygmographe, inspiré de celui de Vierordt. Il mit au point la méthode de recherche qu’il allait pratiquer sa vie durant : montage d’une expérimentation à l’aide d’un appareillage approprié permettant l’enregistrement graphique et/ou photographique, puis recueil et enfin traitement des données graphiques. Marey devenu médecin et non polytechnicien comme il l’eût souhaité, cultiva tout au long de sa vie, son penchant pour l’ingénierie. « Je suis ingénieur de la vie », se plaisait-il à dire. “La passion de la trace” (4) ne le quittera plus. Une fois son devoir de fils accompli (devenir médecin), Marey allia la mécanique à ses connaissances médicales, en inventant des dispositifs enregistreurs adaptés à la question physiologiste à étudier.

3. L’ESPRIT DE SES RECHERCHES

Pour Marey, voir l’imperceptible, pouvoir en conserver une trace visuelle comme preuve irréfutable, constituent les mobiles de ses investigations scientifiques. Sa quête de scientifique n’a aucunement cherché à s’aventurer sur les chemins de l’art. Et pourtant…

En 1882, Marey débute la série de ses chronophotographies sur plaque sensible. Il abandonne alors la méthode graphique pour la photographie. Ayant eu connaissance des travaux de l’Américain Muybridge sur le galop d’un cheval – il l’a d’ailleurs reçu chez lui le 26 septembre 1881 – Marey débat avec lui du bien-fondé scientifique de la méthode photographique : Marey ne l’estime “scientifique” qu’à condition de garder le même emplacement de prise de vue et de se limiter à un seul appareil photographique (5). C’est pourquoi il décide de mettre au point son fusil photographique sur le modèle du revolver de Janssen (6), en vue d’enregistrer le battement des ailes d’un oiseau.

Depuis les débuts de ces recherches, il ne cessera de répéter que « la physiologie [doit] donner la main aux autres sciences » et prétendre « à la même rigueur que celle des physiciens. » (Physiologie expérimentale. Travaux du laboratoire de M. Marey. Année 1875, p. I). De plus selon lui, le véritable caractère d’une méthode scientifique est de suppléer à l’insuffisance de nos sens. Défier l’inattention de l’observateur, tel est bien la justification de la méthode graphique d’abord, puis chronophotographique ensuite. Transgressant continuellement les limites de sa spécialité (la physiologie), Marey, dans toutes ses communications à l’Académie des Sciences, explique la scientificité de ses méthodes. Il en ressent d’autant plus la nécessité que, traçant son sillon sans se préoccuper de ses pairs, comme le dit Thierry Lefebvre (7), il est entraîné beaucoup trop loin au

(4)

regard de la science. Il s’en explique dans une des premières communications sur la chronophotographie à l’Académie des Sciences :

« J’ai fait autrefois certaines expériences […] dont on n’a pas manqué de contester les résultats en disant que “la trajectoire obtenue n’était pas celle qu’eût donnée un oiseau libre”. La méthode photographique me semble être à l’abri de reproches semblables : aussi ai-je entrepris de l’employer [pour enregistrer le déplacement d’un animal en mouvement] sans altérer en rien la liberté de ses allures » (CRAS, compte rendu à l’Académie des Sciences du 7 août 1882).

Par conséquent, Marey cherche à asseoir constamment son statut de physiologiste positiviste, mais ne dévie aucunement de la ligne tracée. Il sait qu’il outrepasse les limites de sa spécialité universitaire, mais « l’ingénieur de la vie » n’écoute pas les rumeurs. Pour lui, le but ultime de la science reste le progrès.

4. QUAND LA SCIENCE DEVIENT DE L’ART

Pour Marey, tout bascule dans le passage de « la mécanique de l’enregistrement » (4, p. 25) à la chronophotographie. À son corps défendant, sans doute ! Le dispositif photographique oblige à des mises en scène. La photographie réintroduit le point de vue, c’est-à-dire le regard du photographe sur l’objet photographié. Les chronophotographies nous parlent, nous les interrogeons. Se rapportant à l’humain et à l’art, elles ouvrent un dialogue entre elles et nous.

Pour concrétiser ce nouveau mode d’enregistrement du mouvement obligeant à des mises en images des sujets d’expérience qui sont de véritables mises en scène, Marey conçoit un dispositif scénique qui sera la station physiologique du Parc des Princes de Paris. Traiter la photographie comme un graphique, se révèle être le but de Marey. Il décide donc de vêtir les figurants de noir (après les avoir habillés de blanc dans les premiers temps de ses essais) et de marquer les mouvements par « d’étroites bandes de métal brillant qui, alignées le long de la jambe, de la cuisse, et du bras, signalent assez exactement la direction des rayons osseux des membres » (Marey, 1883, CRAS, p. 1828). Les articulations et la tête sont marquées par de gros boutons blancs. Ainsi évite-t-il le flou des images. Les épreuves obtenues sont de véritables épures en traits blancs sur fonds noir « très fantomatiques et inquiétantes, car le corps qui les supporte disparaît presque totalement » (8). Les chronophotographies renferment en elles le regard de celui qui les a fait naître. Pour Marey, c’est l’espace traversé par le temps. “Marey fait du Marey”. Il n’est plus seulement chercheur scientifique, mais aussi artiste. Sa production scientifique se trouve transfigurée au moment où elle est la plus aboutie et où, dans l’écriture même du mouvement, Marey révèle sa propre perception du mouvement. Marey est un visuel qui semble avoir été fasciné par les images. À côté de cette passion, il cherchera toute sa vie à justifier rationnellement sa position de membre de l’Institut et de professeur au Collège de France. Jusqu’à faire taire son plaisir.

(5)

Marey, avec ses chronophotographies, a influencé la peinture contemporaine et moderne. Soit en produisant des repentirs : chez Meissonnier par exemple qui tenait à l’exactitude de ce qu’il peignait. Soit en influençant les peintres futuristes et surréalistes du XXe siècle, ainsi que tout l’art cinétique qui suivra. Marey, en effet, apporte des réponses en termes graphiques, au dynamisme vital. Aussi l’inspiration des artistes par l’œuvre de Marey n’est-elle nullement fortuite. Elle est nourrie « par une problématique du rythme en tant que mouvement ordonné en séquences, pulsations, et amplitudes » (9).

BIBLIOGRAPHIE

(1) Chronophotographie : plusieurs vues photographiques successives prises à intervalles de temps égaux décomposant un mouvement sur l’axe du temps.

(2) Auguste Dubois était en 1953 maire de Beaune et organisateur du centenaire de la naissance de Marey.

(3) Établissement secondaire qui devait être assez exceptionnel puisque sur une dizaine d’années, il a donné trois membres à l’Académie des Sciences : le physiologiste Marey, l’astronome Félix Tisserand et le polytechnicien, ingénieur des mines, le Vicomte de Vergnette.

(4) DAGOGNET F., Étienne-Jules Marey, la passion de la trace, Paris : éd. Hazan, 1987, 140 pages, coll. 35/37.

(5) Muybridge dispose douze appareils photographiques en batterie, voire vingt-quatre.

(6) Janssen avait conçu son revolver photographique pour enregistrer le passage de la planète Vénus devant le Soleil.

(7) LEFEBVRE T., La chronophotographie à l’aune des médias. Les publications de Marey (1881-1894), in Lettres d’Étienne-Jules Marey à Georges Demenÿ, 1880–1894, co-auteur MANNONI Laurent, Paris : éd. AFRHC/BIFI, p. 22, 1999.

(8) FRIZOT Michel, 1984, in Catalogue de l’exposition de Beaune, Marey, pionnier de la synthèse

du mouvement, 1995., p. 96.

(9) TUROWSKI Andrej, Étienne-Jules Marey et l’utopie de la biomécanique ou machine du corps

enveloppée », in Catalogue de l’exposition Marey, pionnier de la synthèse du mouvement, 1995,

(6)

Figure

Illustration de la station physiologique du Parc des Princes

Références

Documents relatifs

Les Structures Mobiles d’Urgence et de Réanimation (Smur) ont pour mission d'apporter 24 heures sur 24, sur décision du médecin régulateur du Samu (Service d’Aide Médicale

Le dépôt institutionnel est l'obligation faite par un établissement de recherche à ses agents de déposer un ou plusieurs exemplaires des documents scientifiques

ORGANISATION DU COURS : Ce cours de paludologie est organisé par le Centre de Recherche Médical et Sanitaire (CERMES) en collaboration avec le Programme National de

Certains liquide sont miscibles, leur mélange est homogène. Dans celui qui est vide, verse un peu d’eau boueuse. En laissant reposer un certain temps ce tube, on obtient le tube

Dans sa trousse, il dispose d’un crayon de papier, d’une gomme, d’un compas en acier, d’un surligneur en plastique et il a dans son cartable son goûter emballé dans une

- par exemple, dépistage d’un bloc phrénique avec le bloc interscalénique, bloc moteur d’un. membre inférieur nécessitant un béquillage... Ces éléments faisant partie

Or, le droit au procès équitable a connu une évolution qui n’est pas sans rappeler celle du droit à la procédure régulière en droit colombien : le champ d’application du droit

L'homme du XXe siècle vit dans une société où les réalisations tech- niques les plus utiles et les plus spectaculaires sont souvent considérées comme