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Entre liberté et contrainte : les praticiens de l'art face au métier d'artiste

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Academic year: 2021

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Entre liberté et contrainte :

les praticiens de l’art face au métier d’artiste

Mémoire

Gabrielle Doucet-Simard

Maîtrise en sociologie

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

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ÉSUMÉ

Ce mémoire trouve son origine dans le questionnement que nous avons posé par rapport à nos propres représentations concernant la pratique de l’art lorsque nous avons pris connaissance du plan d’action Québec horizon culture et en particulier du programme de mentorat qu’il offre aux artistes et qui consistent à les jumeler avec des gens d’affaires.

Dans ce mémoire, nous avons cherché à comprendre comment les individus qui aspirent à faire de l’art subissent les injonctions du milieu artistique et les valeurs qu’il véhicule, de même que les exigences à propos de l’art véhiculées plus généralement dans la société. Notre intérêt s’est porté sur les représentations endossées par les artistes en lien avec la façon de subvenir à leurs besoins matériels. Plus particulièrement, nous avons cherché à savoir comment les programmes de mentorat auxquels prennent part des artistes participent de cet agencement et si les artistes qui manifestent de l’intérêt pour ces programmes ont une façon différente des autres d’envisager cet agencement.

Pour répondre à ce questionnement, nous avons interrogé par des entretiens semi-dirigés des praticiens de l’art mentorés et non mentorés provenant de différents milieux artistiques. Il résulte de notre enquête qu’ils n’accordent pas tous la même place à l’activité artistique dans leur vie et que seulement certains cherchent à subvenir à leurs besoins matériels par l’activité artistique. De ces deux dimensions de la pratique artistique, nous avons conclu que le sens de la pratique artistique varie d’un répondant à l’autre. Nous avons finalement dégagé quatre types de finalité de la pratique artistique : intégrée, récréative, désintéressée et instrumentale.

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ABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ ... III TABLE DES MATIÈRES ... V REMERCIEMENTS ... IX

INTRODUCTION ... 1

CHAPITRE 1 – MISE EN CONTEXTE ... 5

1.1LES PROGRAMMES DE MENTORAT ... 7

1.2LA RELATION MENTORALE ET LE DÉVELOPPEMENT DU « SAVOIR-ÊTRE » ... 8

1.3DESCRIPTION DE TROIS PROGRAMMES DE MENTORAT ... 9

SAGE – Mentorat d’affaires ... 10

Le mentorat culturel de la Chaire de gestion des arts Carmelle et Rémi-Marcoux ... 11

Jeunes volontaires ... 11

1.4FONCTIONNEMENT DES PROGRAMMES ÉTUDIÉS ... 12

CHAPITRE 2 – LA FIGURE DE L’ARTISTE ET LES REPRÉSENTATIONS SOCIALES DE L’ART ... 15

2.1L’ART AVANT L’ARTISTE... 15

2.2L’AVÈNEMENT DE L’ARTISTE : TROIS FIGURES EMBLÉMATIQUES ... 17

L’artisan ... 18

L’académicien ... 18

L’artiste indépendant ... 19

2.3L’ARTISTE CONTEMPORAIN ... 21

2.4L’AUTONOMISATION D’UN CHAMP DE PRATIQUE ARTISTIQUE ... 23

Les motivations intrinsèques ... 23

Résister aux logiques exogènes ... 24

L’œuvre désintéressée ... 25

2.5LES MYTHES : ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DE LA DÉFINITION DE L’ARTISTE CONTEMPORAIN ... 27

2.6L’ARTISTE AFFILIÉ DE NOUVEAU ... 28

La théorie du champ de l’art chez Bourdieu... 28

La théorie des mondes de l’art de Becker ... 29

2.7LA CROYANCE EN L’ART : APPRÉHENDER LE CHANGEMENTDE LA PRATIQUE ARTISTIQUE ... 30

2.8LA RÉCEPTION DE L’ŒUVRE ET LE MARCHÉ DE L’ART ... 31

CHAPITRE 3 – LA CONDITION D’ARTISTE AU QUOTIDIEN ... 35

3.1CONSIDÉRATIONS SUR LA NOTION DE TRAVAILEN REGARD DE LA RÉUSSITE ARTISTIQUE ... 35

La sociologie de l’art et le travail ... 36

Le travail artistique, source d’autoréalisation ... 37

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Le métier d’artiste... 39

3.2LA PROFESSIONNALISATION DES ARTISTES AU QUÉBEC ... 41

La formation standardisée ... 42

La reconnaissance juridique de l’artiste ... 43

3.3LES SPÉCIFICITÉS DU TRAVAIL ARTISTIQUE ... 45

L’incertitude de la carrière artistique ... 46

De l’incertitude à la précarité : l’insécurité ... 47

Un travail irrationnel ? ... 48

3.4QUELLE SOLIDARITÉ POUR LA CLASSE ARTISTE? ... 50

3.5ÊTRE ARTISTE : UN STYLE DE VIE? ... 52

3.6LES STRATÉGIES DU MÉTIER D’ARTISTE ... 53

Le travail au projet ... 53

La multiactivité ... 54

Le réseautage ... 55

3.7LA PRATIQUE ARTISTIQUE ET LA GESTION ... 56

L’organisation de base ... 56

Transformations du travail artistique ... 57

Vers une réhabilitation de la figure de l’artiste entrepreneur ... 59

Le travail de l’artiste contemporain ... 61

Question de recherche ... 63

CHAPITRE 4 – MÉTHODOLOGIE ... 65

4.1CONSIDÉRATIONS SUR L’APPROCHE MÉTHODOLOGIQUE ... 65

4.2POPULATION À L’ÉTUDE ... 67

Anonymat ... 68

4.3RECRUTEMENT DES RÉPONDANTS ... 69

4.4GUIDE D’ENTRETIEN ... 70

4.5LIMITES ET BIAIS DE LA RECHERCHE ... 73

4.6PRÉSENTATION DU CORPUS ... 74

Portrait synthétique des répondants ... 76

Les débuts de la pratique artistique ... 80

La formation artistique ... 80

Les revenus des répondants ... 81

Les revenus tirés de la pratique artistique ... 82

Les statuts des répondants et leurs sources de revenus ... 83

CHAPITRE 5 – PLACE DE LA PRATIQUE ARTISTIQUE DANS LA VIE DES RÉPONDANTS .... 85

5.1LES DIMENSIONS DE LA REPRÉSENTATION DE L’ARTISTE ... 85

L’art, un besoin ... 86

Voir autrement : l’originalité de l’artiste ... 86

Inscrire son discours dans le monde ... 87

Aller à la rencontre de l’autre ... 87

L’art : reflet de la société ... 88

L’artiste : le vrai et le faux ... 89

Le véritable succès artistique ... 90

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La relation mentorale et ses avantages ... 91

La formation artistique et le développement d’un réseau ... 94

L’autodidaxie ... 95

Les cours de perfectionnement ... 96

Les compétences de gestion ... 96

Les regroupements d’artistes ... 97

L’adhésion à des groupes para-professionnels ... 97

5.3CENTRALITÉ RELATIVE DE LA PRATIQUE ARTISTIQUE ET LA CONCILIATION DES SPHÈRES DE LA VIE ... 98

Trouver le temps pour produire ... 99

Discipliner la pratique artistique ... 100

Se donner les moyens de produire ... 101

Concilier la pratique artistique avec les responsabilités familiales ... 103

5.4ÉVOLUTION DE LA CENTRALITÉ RELATIVE ... 104

CHAPITRE 6 – CONCILIATION DE LA PRATIQUE ARTISTIQUE ET DE LA SATISFACTION DES BESOINS MATÉRIELS ... 109

6.1MISE À L’ÉPREUVE DES ARTISTES ... 109

La relation à l’autre à travers la pratique artistique ... 110

Les enjeux financiers de l’activité artistique ... 112

La contribution sociale par la pratique artistique ... 113

6.2RAPPORT À LA VENTE DANS LA PRATIQUE ARTISTIQUE ... 114

L’attribution d’une valeur monétaire à l’œuvre ... 114

Vivre de son art ... 115

Réinvestir dans la pratique artistique ... 116

Se consacrer à une pratique artistique désintéressée ... 117

Un travail à part ... 118

Le travail artistique : un mode de vie ... 121

6.3L’IDENTITÉ D'ARTISTE ... 123

6.4LE SENS DE LA PRATIQUE ARTISTIQUE ET LES VALEURS ... 127

La typologie et ses dimensions... 129

Types de finalités de la pratique artistique ... 130

CONCLUSION ... 141

BIBLIOGRAPHIE ... 145

ANNEXE 1 : LETTRE DE RECRUTEMENT ... 151

ANNEXE 2 : GUIDE D’ENTRETIEN ... 153

ANNEXE 3 : FORMULAIRE DE CONSENTEMENT ... 155

GRAPHIQUE 1 – RÉPARTITION DES RÉPONDANTS SELON LE PLUS HAUT NIVEAU DE SCOLARITÉ ATTEINT ... 159

GRAPHIQUE 2 – RÉPARTITION DES RÉPONDANTS SELON LEURS REVENUS ET CEUX DU MÉNAGE ... 159

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EMERCIEMENTS

Je tiens à remercier chaleureusement ma directrice Madeleine Pastinelli qui a su me guider à chacune des étapes de cette recherche, en m’amenant toujours plus près de mon objectif, de même que mon codirecteur Guy Bellavance pour son soutien.

Un remerciement particulier va à Pascale Bédard qui a su, par son expertise, mais aussi son ouverture, m’aiguiller vers des lectures toujours pertinentes à mon avancement, de même que sur des pistes d’analyse qui se sont avérées fructueuses.

Une pensée particulière va à mes parents et mon conjoint, de même qu’à mes amis et collègues qui ont cru en mes compétences pour mener à bien cette recherche et m’ont été d’un grand support moral à travers ce parcours.

Finalement, je tiens à souligner la participation des répondants à cette recherche. La confiance qu’ils m’ont donnée est au cœur de la réalisation de ce mémoire.

Avec l’apport de toutes ces personnes, mon expérience de recherche a été plus riche, féconde et gratifiante.

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NTRODUCTION

Ce mémoire trouve son origine dans le questionnement que nous avons posé par rapport à nos propres représentations au sujet du milieu artistique, en particulier à la découverte de Québec horizon culture, un plan d’action visant notamment à faire collaborer par le moyen du mentorat des artistes et des gens d’affaires. L’objectif de ce plan d’action était de favoriser le développement économique de la ville de Québec. En quoi les premiers peuvent tirer profit des seconds dans la production artistique? Davantage, pourquoi le mentorat serait envisagé par les artistes? Mais plus encore, comment les préconceptions des uns et des autres sur l’art et l’artiste influencent la façon de répondre à ces questions? Nous avons élaboré ce projet de recherche afin de connaitre quelles sont les représentations de l’art et de l’artiste chez les praticiens de l’art1 et la manière dont ces représentations s’agencent en pratique avec la nécessité de satisfaire leurs besoins matériels. Plus particulièrement, nous avons cherché à savoir comment les programmes de mentorat participent de cet agencement et si les artistes qui manifestent de l’intérêt pour ces programmes ont une façon différente des autres d’envisager cet agencement.

La mise en contexte au chapitre 1 entend définir les contours d’une pratique qui connait un second souffle depuis les dernières décennies, les programmes de mentorat. Dans l’implantation de ces programmes, la relation mentorale est surtout considérée comme une façon pour l’usager de développer un « savoir-être ». Cette section permettra aussi de décrire trois programmes de mentorat que nous avons choisi d’investiguer.

Le chapitre 2 – La figure de l’artiste et les représentations sociales de l’art vise à dégager les principales idées qui sont au fondement de la définition de l’artiste contemporain. La singularité de l’artiste apparait aujourd’hui comme étalon de la valeur de l’art. Nous nous attachons en premier lieu à montrer comment l’art est devenu une activité résolument sociale. Cette section sera aussi l’occasion de présenter trois figures historiques de l’artiste : l’artisan, l’académicien et l’artiste indépendant. Partant, nous exposons ce qui qualifie l’artiste contemporain dans la littérature sur le sujet, pour ensuite décrire comment la sphère artistique est devenue un champ de pratique autonome. Nous discutons ensuite de la façon dont les mythes à propos de l’artiste s’avèrent

1 Nous avons privilégié le terme « praticien de l’art » dans le titre de ce mémoire, reprenant ainsi la formule utilisée par Pascale Bédard (2014), puisque c’est la pratique artistique des individus qui nous intéresse, qu’il y a une multitude de façons d’appréhender l’artiste aujourd’hui et que tous ceux qui pratiquent l’art ne se reconnaissent pas nécessairement comme tel. En outre, le terme permet de reconnaitre une multitude de façons de faire de l’art, quoique nous recourions aussi au terme « artiste » dans les pages qui suivent afin de simplifier la lecture.

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constitutifs de sa définition (un aspect qu’il ne faut pas écarter lorsqu’on s’intéresse à la pratique artistique), puis nous présentons les théories visant à rattacher la pratique de l’artiste au tissu social, rompant de ce fait avec une conception essentialiste de l’art. Finalement, nous émettons quelques considérations sur le marché de l’art et la place de l’artiste face à celui-ci.

Au chapitre 3 – La condition d’artiste au quotidien, nous nous intéressons particulièrement à l’artiste comme travailleur. Nous expliquons que le métier d’artiste s’est professionnalisé, mais qu’il se distingue en plusieurs points du travail salarié typique, effet des injonctions propres au milieu. Nous montrons d’abord comment le travail artistique est considéré par la littérature en sociologie du travail artistique et comment la réflexion autour de l’artiste comme travailleur demeure teintée des représentations de l’art et de l’artiste répandues dans la société, telles que la singularité de l’artiste et l’authenticité de la production des œuvres. Nous décrivons par la suite comment la reconnaissance juridique du statut de l’artiste et sa professionnalisation contribuent aujourd’hui à la reconnaissance de l’expertise de l’artiste. Nous dégageons ensuite les spécificités du travail artistique que sont l’incertitude, la précarité et la rationalité non économique. Dans la section sur la solidarité de la classe artiste, nous montrons que la situation du travail artistique est généralisée à l’ensemble des travailleurs du milieu et que son fonctionnement les amène de surcroit à se comparer les uns les autres. Nous poursuivons en nous questionnant à savoir en quoi le travail artistique donne lieu à un style de vie particulier, pour ensuite faire état des stratégies les plus utilisées dans le domaine artistique pour faire évoluer la carrière, soit le travail au projet, la multiactivité et le réseautage. Pour terminer, nous abordons la place de la gestion dans le métier d’artiste et plus particulièrement l’intérêt récent concernant l’entrepreneuriat dans la littérature sur le travail artistique, ce qui amène à repenser la définition de l’artiste contemporain.

Le chapitre 4 rend compte de la méthodologie que nous avons mise en œuvre pour mener à bien notre enquête. Dans cette section, nous étayons le choix d’une perspective compréhensive pour cerner notre objet d’étude, nous décrivons la population à l’étude, expliquons comment s’est fait le recrutement des répondants, ce que nous avons cherché à cerner par le guide d’entretien et, finalement, nous faisons une brève présentation du corpus en y décrivant la situation de chacun des répondants.

Nous avons divisé l’analyse de nos données en deux parties. Le chapitre 5 vise à rendre compte de la place de la pratique artistique dans la vie des répondants. Nous y décrivons dans un premier temps les dimensions qui composent leurs représentations de l’art et de l’artiste et, dans un deuxième temps, les diverses stratégies qu’ils adoptent, incluant le mentorat, afin de développer leur carrière artistique. Finalement, nous constatons que l’importance accordée à la pratique artistique en regard des autres sphères dans lesquelles les répondants sont engagés varie, ce qui peut s’expliquer

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3 par le concept de centralité relative. Par ailleurs, la centralité des activités artistiques change au cours de la vie des répondants. Mais pour la grande majorité de ceux-ci, au moment d’effectuer la recherche, la pratique de l’art était centrale.

La place de la pratique artistique dans la vie des répondants ayant été circonscrite, le chapitre 6 – Conciliation de la pratique artistique et de la satisfaction des besoins matériels vise quant à lui à approfondir les liens existant entre la place de la pratique artistique dans la vie des interviewés et la satisfaction de leurs besoins matériels. Il s’agit par là de comprendre comment la pratique artistique fait sens dans la vie des répondants. Pour ce faire, nous exposons premièrement les difficultés auxquelles sont confrontés tous les artistes dans la pratique de leur art, à savoir la relation à l’autre et les enjeux financiers de l’activité artistique. Nous nous intéressons ensuite à la façon dont se décline le rapport à la vente dans la pratique artistique; alors que certains répondants tentent de vivre de leur art, d’autres n’envisagent pas ainsi leur pratique. Les modalités de leur identité d’artiste en lien avec la communauté des artistes sont ensuite discutées : nous soulignons qu’alors que la grande majorité des répondants réinterprètent leur passé à la lumière de leur identité d’artiste, le sentiment d’être artiste se transforme au contact de la communauté des artistes professionnels. En outre, la certitude que l’on a d’être un artiste semble inversement proportionnelle à la volonté d’intégrer officiellement les mondes de l’art. Finalement, nous remarquons qu’il y a convergence chez certains interviewés entre la centralité des activités artistiques et le fait de tenter de vivre de l’art. De ce constat, et étant donné que l’importance de la pratique artistique dans la vie des interviewés ne peut être réduite à une plus ou moins grande valorisation de l’activité elle-même, nous proposons d’analyser le sens donné à la pratique artistique par une construction typologique recoupant les dimensions de la centralité relative et du rapport à la vente dans la pratique artistique. Quatre types de finalité de la pratique artistique émergent de cette analyse : la finalité intégrée, la finalité récréative, la finalité désintéressée et, un dernier type que nous avons déduit logiquement, la finalité instrumentale.

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HAPITRE

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ISE EN CONTEXTE

Quelques mois avant la fin de son premier mandat, Régis Labeaume, maire actuel de Québec, a lancé le plan d’action Québec horizon culture 2009-2014. Au terme du plan d’action, plusieurs missions que s’étaient données l’équipe du maire et ses partenaires ont abouti : entre autres, Québec en toutes lettres a vu le jour, le concours de design urbain pour le quartier Saint-Roch a élu un gagnant et la Maison Loyola, un organisme qui vient en aide aux jeunes de la rue, a été restaurée. Les grandes orientations de ce plan d’action sont vastes : soutenir la vitalité de la chaîne culturelle, miser sur la qualité du cadre de vie, faire de Québec la capitale de la relève culturelle et artistique et consacrer Saint-Roch comme haut lieu de créativité contemporaine (Ministère de la Culture, des communications et de la condition féminine, 2009). Ces orientations se déclinent en 41 mesures allant de l’art public à la démocratisation de la culture en passant par la restauration du patrimoine architectural.

Les intervenants du milieu culturel de Québec ont été séduits par l’initiative puisqu’ils furent plus du double d’inscrits attendus à participer au sommet du 16 février 2009 (Le Soleil, 17 février 2009). Toutefois, selon eux, la tournure de cette rencontre n’a pas été suffisamment axée sur l’échange entre les acteurs du milieu afin de connaitre leurs besoins réels, alors qu’elle avait été annoncée comme telle.

À la lecture des documents officiels, on peut s’étonner des termes empruntés au domaine économique dans la formulation de ces engagements. Mais telle est précisément la volonté de ce plan d’action : « valoriser la culture comme facteur de développement économique régional » (Le Devoir, 1er mai 2010). En outre, une partie des orientations du plan d’action concerne spécifiquement le financement privé de la culture et favorise le travail commun du secteur privé et des intervenants culturels. Ces mesures montrent également une volonté de dynamiser la culture en intéressant les entreprises privées à l’art de façon à ce qu’elles y investissent, par le mécénat notamment, mais également par leur expertise et leurs conseils. La Chambre de Commerce et d’industrie de Québec (CCIQ) a été désignée parmi les promoteurs afin de mettre en œuvre ces mesures. Que représentent les initiatives d’un plan d’action comme celui de Québec horizon culture en matière de possibilités pour la création artistique ?

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L’intérêt politique pour les arts et la culture n’est pas un phénomène récent2 et il est même généralement souhaité lorsqu’il est question de son financement si l’on pense à la mobilisation qui s’est faite dans le milieu de la culture à l’annonce des coupures dans le secteur de la culture par le gouvernement conservateur de Steven Harper (La Presse, 14 août 2008). À Québec, au niveau municipal, l’équipe de Jean-Paul L’Allier, auparavant ministre des Affaires culturelles, avait aussi accordé de l’importance à l’art et la culture dans la ville de Québec, sans compter que, comme pour l’administration du maire Labeaume, le quartier Saint-Roch était, déjà à l’époque, pressenti comme un lieu pivot pour la vitalité culturelle.

Dans le plan d’action Québec horizon culture, une démarche a particulièrement attiré notre attention; il s’agit du programme de mentorat, destiné à favoriser la rencontre entre les gens du milieu des affaires et les artistes. Le mandat est clair : « C’est important de faire le pont: d’un côté, les gens d’affaires doivent s’intéresser à la culture, mais le milieu de la culture doit aussi s’aventurer sur le terrain des affaires », soutient la responsable du plan affaires-culture de la Chambre de commerce et d’industrie de Québec (Bazzart, 2010 : 22). Mais au-delà d’une rencontre entre des milieux par ailleurs cloisonnés, c’est la vitalité économique qui est en jeu. Comme le montre la thèse de Richard Florida, l’art et la culture sont devenus des secteurs de croissance des villes. Elle force à voir une restructuration globale du développement urbain qui a pour moteur l’économie créative. Les villes se dotant d’une classe créative, et par conséquent d’un fort capital culturel, génèreraient l’attractivité et le niveau de vie s’en verrait augmenté (Tremblay et Pilati, 2008). C’est dans ce contexte que l’on voit émerger différents moyens institutionnalisés d’échange mis en place par les villes et visant à décloisonner des milieux qui n’ont a priori rien en commun. Le cadre dans lequel se déroule le programme de mentorat de Québec horizon culture semble correspondre à cette volonté. La volonté de rapprocher les deux milieux est également justifiée par une certaine ressemblance que présentent les gens d’affaires et les artistes, à savoir l’ardeur de leur investissement (Bazzart, 2010 : 22). Dans ce contexte, la création étant très sollicitée peut faire en sorte d'augmenter les opportunités de travail pour les artistes, mais leur demande aussi de se repositionner face à ces changements.

Concrètement, le bilan de l’année 2010 de Québec horizon culture indique que « 10 personnes sont entrées dans une relation mentor-mentoré grâce au travail actif de la Chambre de commerce et de la corporation SAGE » (Québec horizon culture, Bilan 2010). Nous connaissons

2 Propagande et censure en étant les deux manifestations extrêmes. Ainsi, l’histoire a montré que l’art pouvait servir des idéologies politiques, comme dans les cas où les arts ont été développés comme outil de propagande. C’est également ce qu’a permis de remettre à l’ordre du jour la récente découverte d’environ 1 500 œuvres de peintres reconnus tels Chagall ou Klee dérobés lors de l’opération « Entartete Kunst » par l’Allemagne nazie afin de prémunir le peuple contre l’art dégénéré (Le Monde, 4 novembre 2013).

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7 peu de choses sur cette initiative de la Ville puisque l’information manque à son sujet. Nous nous sommes donc demandé : qui sont les artistes qui participent à ce programme? Que désirent en retirer les participants? Et plus généralement, qu’est-ce qui distingue de leurs pairs les artistes qui y prennent part? Pour répondre à ces questions, nous nous proposons en premier lieu d’émettre quelques considérations sur le mentorat afin de situer son émergence et ses visées.

1.1 Les programmes de mentorat

Le mentorat sous forme de programme a un caractère formel, structuré. Mais l’échange de connaissances auquel s’apparente le mentorat n’est pas nouveau ainsi que la mythologie grecque le rappelle. Dans l’Odyssée d’Homère, Mentor est celui qui veillera à l’éducation de Télémaque, le fils d’Ulysse qui dû partir pour Troie. Ulysse reconnait en Mentor une sagesse et des habiletés qui feront grandir Télémaque en son absence. Par la discussion, Mentor amène Télémaque à trouver la force d’accomplir son dessein (Atramenta, 2014).

Le mentorat institué sous forme de programme est relativement récent. L’étude menée par la fondation de l’entrepreneurship (2003), quoiqu’un peu datée, nous indique que l’intérêt pour la relation mentorale connait un regain de popularité depuis le début des années 1980 aux États-Unis, et quelques années après au Canada, le phénomène ayant pris de l’ampleur depuis dans une multitude de milieux et de domaines. Ce recueil des meilleures pratiques de mentorat dans le monde du travail laisse croire qu’il existe des liens entre l’économie d’une province et la nature de ses programmes et permet de remarquer un engouement considérable pour le perfectionnement professionnel en entreprise et la réussite en affaire. Le fait qu’il y ait peu de mentorat lié à la culture au moment de l’étude3 ne signifie cependant pas que de tels programmes dans ce secteur aient été inexistants au moment de l’étude.

L’aspect proprement administratif des programmes de mentorat n’est pas l’objet principal de notre intérêt, mais la configuration de ceux-ci nous informe sur ses visées générales. D’emblée, il faut mentionner que le mentorat ne concerne pas de domaine particulier et vise à développer différentes aptitudes chez ceux qui y participent. Le démarrage d’un projet ou d’une carrière a une dimension éminemment sociale comme le montre la thèse de St-Jean (2009), car elle implique de développer ou de mobiliser des liens à différents niveaux : les contacts sont utiles pour acquérir des informations et les bases pour s’implanter dans un milieu, tandis que les relations solides confèrent

3 Un seul programme de mentorat dans le secteur des arts et de la culture y a été relevé et concerne la production cinématographique au Nouveau-Brunswick.

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la force de passer à travers les épreuves rencontrées sur le chemin d’une carrière pérenne. C’est donc davantage que le projet qui est en jeu dans la recherche d’aptitudes professionnelles à travers le mentorat, c’est la vie des participants dans leur intégralité (Fondation de l’entrepreneurship, 2003 : 400). Aussi n’est-il pas nécessaire de faire face à une impasse pour s’investir dans une relation mentorale.

Élaboré à la suite de l’analyse des programmes de mentorat québécois, le modèle de base pour l’implantation d’un tel programme proposé par la Fondation de l’entrepreneurship devrait tenir compte des éléments suivants: cibler des objectifs clairs qui permettent d’identifier une clientèle qui en ressortira avec des acquis repérables; encadrer la relation mentorale en offrant un suivi aux participants; évaluer les activités du programme, permettant d’offrir un soutien toujours mieux adapté (Fondation de l’entrepreneurship, 2003). En fait, les programmes de mentorat ne seraient ni plus ni moins qu’une forme organisée de transmission du savoir expérientiel. Contrairement aux formations pédagogiques offertes dans les institutions d’enseignement, le mentorat n’est pas accrédité et s’apparente en ce sens à l’apprentissage dans une relation maître-élève. Il existe une multitude de désignations possibles passées dans le langage commun pour parler de la transmission de l’expérience entre l’individu novice et celui expérimenté : le parrainage par exemple, ou encore le coaching. Nous nous sommes intéressés au mentorat dans sa forme institutionnalisée, ce qui le rend plus facile à circonscrire. Le phénomène nous semble particulièrement intéressant puisqu’il semble connaitre un regain d’intérêt, dans le milieu de la culture notamment, si l’on en croit Québec horizon culture.

1.2 La relation mentorale et le développement du « savoir-être »

La littérature qui provient du milieu de l’entrepreneuriat est très claire : le mentorat ne doit pas être amalgamé au coaching, lequel est surtout utilisé et dispensé en vue de compétences spécifiques et mesurables (St-Jean, 2009), ni à la formation qui concerne l’acquisition de savoirs. La particularité du mentorat tient beaucoup au rôle joué par le mentor, qui agit auprès du mentoré à titre d’accompagnateur et de motivateur et non comme un consultant (Fondation de l’entrepreneurship, 2003). Plus âgé, Mentor est représenté comme un homme de raison dans l’Odyssée. « Dans notre monde contemporain, un mentor est généralement une personne possédant certaines qualités ou qui est en position d'autorité et qui veille de façon bienveillante sur un individu plus jeune, lequel bénéficie des conseils et du soutien de son mentor » (St-Jean, 2009 : 9). Le

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9 mentoré se définit par rapport au mentor comme une personne pouvant bénéficier de l’expérience de ce dernier.

Les aptitudes que cherchent à développer les programmes de mentorat chez ses usagers concernent le développement global de ces derniers afin de leur permettre de poursuivre leur projet de vie. C’est en ce sens qu’on peut davantage parler d’acquisition d’un être que d’un savoir-faire concernant le mentorat. Si l’on tient à faire ce genre de distinction dans le domaine de l’administration, il s’agit plus d’un effet de jargon puisque le « savoir-faire » et le « savoir-être » se complémentent dans la pratique : développer des compétences en vue de réaliser des tâches spécifiques (le «savoir-faire ») se conçoit dans l’horizon d’un environnement (professionnel ou autre) à part entière, mais aussi le « savoir-être » doit-il rester lié à un certain nombre de compétences spécifiques. Par ailleurs, il n’existe pas de normes standardisées pour le déroulement d’une relation mentorale sauf celles d’être généralement confidentielle, volontaire, basée sur un engagement mutuel et souple (Fondation de l’entrepreneurship, 2003 : 13); autrement dit, c’est aux deux parties de convenir d’une forme d’échange. Le programme se doit d’être structuré sur le plan de son administration, mais libre et peu contraignant pour ses participants. Il parait évident que, d’un point de vue sociologique, et en marge du langage entrepreneurial et administratif, le mentorat, le coaching et la formation ont beaucoup en commun ne serait-ce parce qu’ils sont des moyens d’acquérir des compétences pour celui qui s’y adonne.

1.3 Description de trois programmes de mentorat

Les programmes de mentorat offrent aux artistes la possibilité d’acquérir un « savoir-être » mobilisable pour la suite de la carrière et sollicitent le travailleur qui sommeille en eux par son aspect entrepreneurial. Cette section présente sommairement trois programmes de mentorat québécois auxquels des artistes peuvent participer : SAGE – Mentorat d’affaires à Québec, le mentorat culturel de la Chaire en gestion des arts Carmelle et Rémi-Marcoux affilié à HEC Montréal ainsi que le mentorat du programme provincial Jeunes volontaires. Nous nous sommes intéressés à SAGE – Mentorat d’affaires en premier lieu pour son rôle dans le plan d’action Québec horizon culture; cependant celui-ci est ouvert autant aux artistes qu’à tout autre type de travailleur, comme l’est également Jeunes volontaires. Le mentorat de la Chaire de gestion des arts à HEC s’adresse quant à lui uniquement aux travailleurs du milieu culturel. Nous avons choisi ces programmes pour leur accessibilité de même que par la difficulté, au moment de la recherche, de

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trouver des programmes de mentorat uniquement destinés aux artistes. Il faut ajouter à ce sujet que, depuis le début de cette recherche, plusieurs programmes de mentorat artistiques ont vu le jour.

SAGE – Mentorat d’affaires

SAGE – Mentorat d’affaires, basé à Québec, a été fondé en 1985. Comme son nom l’indique, ce programme s’adresse aux entrepreneurs et leur offre un service payant d’accompagnement personnalisé, peu importe le domaine d’activité. La mission principale de cet organisme à but non lucratif, est de soutenir le développement économique de la Capitale-Nationale en aidant les entrepreneurs à développer des aptitudes entrepreneuriales qui leur serviront pour la suite de leur parcours.

Comme l’indique le site web de l’organisme, son instigateur, Monsieur Paul-Arthur Fortin, désirait en créant son organisme offrir un service d’aide aux gestionnaires et entrepreneurs et ainsi contribuer à contrer les faillites dues aux lacunes de gestion et à l’absence de perspectives de développement qui en résulte. Les retombées espérées d’un tel programme sont multiples: cibler les besoins des entrepreneurs, maintenir les entreprises, créer des emplois en leur sein. L’organisme présente d’ailleurs des chiffres nettement supérieurs à la moyenne provinciale concernant la longévité des entreprises. Depuis 2009, SAGE– Mentorat d’affaires est par ailleurs membre officiel du Réseau M de la fondation de l’entrepreneurship qui regroupe les programmes de mentorat de la francophonie.

Chez SAGE, une relation mentorale bénéfique n’est pas nécessairement le fruit d’une rencontre entre deux personnes issues du même milieu, le jumelage étant plutôt centré sur la complémentarité. Pour assurer un jumelage approprié pour les deux parties, les mentors et mentorés sont invités à remplir un formulaire de participation décrivant le secteur et la nature des activités, leur motivation à participer, leur parcours et leurs attentes. Tous les participants sont également rencontrés pour une entrevue individuelle. C’est l’organisme qui assure le jumelage des participants. Selon le rapport annuel 2011-2012 de l’organisme, en date du 31 mai 2012, les mentorés étaient principalement issus du milieu des services, des nouvelles technologies et du commerce de détail, les secteurs d’activités industrielles, du tourisme et des arts et de la culture comprenant le moins de participants. À cette même date, c’est un total de 14 mentorés du milieu artistique et culturel qui ont participé ou participent au programme.

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11 Le mentorat culturel de la Chaire de gestion des arts Carmelle et Rémi-Marcoux

La Chaire de gestion des arts Carmelle et Rémi-Marcoux offre quant à elle un programme de mentorat culturel depuis 2012. Implanté au sein de HEC Montréal, ce programme est en fait la seconde mouture d’un programme de mentorat dirigé par Art-Expert. Contrairement à SAGE, ce programme concerne uniquement le domaine culturel et vise plus particulièrement la gouvernance, la diffusion et le rayonnement, le financement, les ressources humaines et l’éthique. Deux fois par année, le comité consultatif reçoit et traite les demandes qui lui sont acheminées. Pour les mentors, on demande un curriculum vitae et une lettre de motivation décrivant l’expérience antérieure dans ce domaine, la perception du mentorat et les valeurs personnelles et professionnelles; les mentorés sont également invités à fournir un résumé de leurs expériences ainsi qu’une lettre exprimant leurs besoins et le profil de mentor recherché. Les mentors invités à participer sont des directeurs d’organismes ou d’entreprises à vocation culturelle ayant cumulé environ 10 ans d’expérience dans le domaine; les mentorés doivent quant à eux provenir d’organismes culturels à but non lucratif. Suite à la création de la dyade, les deux parties sont invitées à établir ensemble une entente dans laquelle seront stipulés les objectifs généraux guidant la relation ainsi que la fréquence et la durée des rencontres.

Jeunes volontaires

Finalement, le programme Jeunes volontaires administré par Emploi-Québec propose différentes mesures d’aide à l’insertion en emploi (que ce soit dans le cadre d’un premier emploi ou pour un retour sur le marché du travail), dans le cadre desquelles viennent s’inscrire les activités de mentorat. Dans le cas de Jeunes volontaires, ce sont les jeunes de 16 à 29 ans qui sont invités à participer au programme afin de mettre en forme une idée, un projet, quelle que soit sa nature. Les entrepreneurs et travailleurs autonomes étant particulièrement visés par le programme, on souhaite y former une relève aux compétences durables pour non seulement acquérir un travail, mais se maintenir en emploi.

Parmi les conditions à respecter, les participants doivent consacrer au moins 20 heures par semaine à leur projet pour une durée de 9 à 52 semaines et ne pas travailler plus de 20 heures par semaine dans un emploi; de plus, les étudiants à temps plein sont inadmissibles. Ceux qui aspirent à participer au programme doivent le faire par le biais d’un centre local d’emploi. Si le projet soumis est dûment approuvé par le comité chargé d’évaluer les demandes, le jeune participant doit

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obligatoirement s’associer à un mentor pour la durée du projet. Il est de la responsabilité du participant de conclure cette alliance, que le mentor agisse à titre individuel ou au nom d’une entreprise ou d’un organisme. La demande de projet doit toutefois spécifier les attentes par rapport au mentor et ce dernier est invité à remplir un questionnaire sur ses motivations à participer, les moyens mis en place pour soutenir le participant dans sa démarche et les ressources matérielles et financières à investir. Dans ce cas précis, c’est l’ensemble du projet et des mesures mises en place pour l’atteinte des objectifs (incluant notamment le mentorat) qui sont prises en compte; contrairement aux deux programmes de mentorat évoqués précédemment, la formation de la dyade est donc uniquement assurée par les participants.

1.4 Fonctionnement des programmes étudiés

Nous constatons par leurs objectifs généraux que les programmes de mentorat décrits précédemment visent tous à professionnaliser leurs mentorés et, dans une certaine mesure, qui est plus affirmée chez Jeunes volontaires, à former une main-d'œuvre. Particulièrement, on cherche à développer chez les bénéficiaires de ces programmes des aptitudes de gestion utiles à la prospérité économique. On peut aussi remarquer que ces programmes n’ont pas été implantés au sein d’entreprises ou d’organisations pour combler les besoins de ses membres comme le ferait une école pour ses étudiants ou une entreprise pour ses employés, mais constituent plutôt des initiatives ouvertes qui acceptent les demandes selon certains critères. Si l’identité des mentors des deux premiers programmes est accessible au public, les données sur les bénéficiaires sont quant à elles confidentielles. Si l’on s’en remet aux témoignages publiés sur les sites web de ces programmes, ils semblent permettre avant tout aux mentorés d’acquérir des habiletés et connaissances que leur parcours ne leur a pas permis jusque-là de développer.

La participation bénévole des deux parties est non seulement une condition à l’inscription dans ces programmes, mais fait partie de la nature de l’entente. La participation vise surtout à faire bénéficier le novice pour la suite de sa carrière, l’argent n’étant pas a priori impliqué par la relation, exception faite chez Jeunes volontaires; dans ce dernier cas, les participants peuvent demander des subventions pour des besoins matériels précis (comme de l’équipement, fournitures de bureau, téléphone, frais de déplacement, etc.), mais aussi pour des formations, pour autant que ces dépenses soient justifiées et approuvées. Dans les trois programmes, la participation des deux parties est donc volontaire et libre et consiste en un échange effectué sur la base des besoins des participants mentorés : chez SAGE, la dyade est formée par l’organisme; à la Chaire de gestion des arts, cette

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13 donnée n’est pas spécifiée; chez Jeunes volontaires, c’est au participant de choisir son mentor, qui doit être approuvé par le comité chargé d’évaluer son projet.

Dans le cas particulier de la Chaire Carmelle et Rémi Marcoux, les deux parties doivent conclure une entente sous la forme d’un contrat visant à baliser le déroulement des rencontres. Il n’en tient qu’à elles d’en régir le déroulement, que ce soit la fréquence, le lieu de rencontre, la durée et autres modalités. Préalablement, le mentor et le mentoré se seront engagés à respecter les valeurs du programme lors de l’inscription individuelle (Chaire de gestion des arts Carmelle et Rémi-Marcoux, 2014):

- Participer au moins une fois à une rencontre de démarrage ou d’accompagnement - Préserver la confidentialité des rencontres avec les mentorés\ le mentor

- Parapher un engagement avec le mentoré\ le mentor choisi et le déposer auprès de la Chaire - Communiquer les informations essentielles à l’évaluation du projet

- En respectant les principes de la confidentialité, témoigner de son expérience de mentor\ le mentoré dans le but de valoriser le mentorat culturel.

Chez SAGE – Mentorat d’affaires, la participation est moins contraignante, bien que balisée également par des formulaires d’inscription et des séances d’informations permettant de cerner adéquatement l’expertise et les besoins de chacune des parties.

Les programmes de mentorat connaissent un regain d’intérêt depuis les dernières années. Leur structure a été constituée dans le but de favoriser le savoir-être chez ses bénéficiaires, une attitude leur permettant de poursuivre leurs projets de vie. Dans le cas particulier du plan d’action Québec horizon culture, le mentorat est une initiative de l’administration municipale de la ville de Québec. On peut donc se demander dans quelle mesure cette opportunité qui s’offre aux artistes, et qui correspond à une vision de l’art comme moteur du développement économique, correspond à leurs besoins. Trois programmes de mentorat qui s’adressent à des clientèles diversifiées, mais auxquels peuvent prendre part des artistes ont été investigués : SAGE – Mentorat d’affaires, la Chaire de gestion des arts Carmelle et Rémi-Marcoux et Jeunes volontaires.

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C

HAPITRE

2 –

L

A FIGURE DE L

ARTISTE ET LES REPRÉSENTATIONS SOCIALES

DE L

ART

« En entendant la notion d’art (…) nous pensons tous la même chose, mais nous ne nous accordons pas sur sa définition » (Château, 2008 : 12). C’est parce que les mondes de l’art se constituent logiquement selon un fonctionnement qui leur est propre qu’on peut les intégrer et participer à leur perpétuation. Dans la section précédente, nous avons montré que le monde politique a aussi son idée sur ce que devraient faire les artistes; c’est ainsi que le mentorat, initiative d’une institution politique, est d’abord vu comme un levier facilitant pour les artistes le développement de leur carrière. Pour comprendre ce que sont les enjeux de la rencontre de ce type d’opportunité avec les mondes de l’art, il nous faut maintenant nous intéresser à ce qui caractérise les mondes de l’art.

L’artiste, auquel différentes institutions offrent la possibilité de participer à un programme de mentorat afin d’acquérir une autonomie économique, n’est pas le seul à avoir une vision de l’art et à donner une valeur à celui-ci : c’est d’abord la société dans son ensemble qui détermine ce qu’est l’art et ce qu’est sa valeur. Dans ce chapitre, nous tracerons, dans les grandes lignes, les moments et les idées qui ont mené aux rôles qui sont revêtus par l’art et l’artiste aujourd’hui. La démarche nous permettra d’aborder l’histoire de la figure de l’artiste et, pour ce faire, nous comparerons les deux figures de l’artisan et de l’académicien afin de dégager les éléments au fondement de la représentation de l’artiste d’aujourd’hui. L’autonomisation d’une sphère artistique, fonctionnant selon ses propres logiques, demeure largement tributaire de la rupture opérée avec les étapes historiques auxquelles appartiennent les figures de l’artisan et de l’académicien. En ce sens, on ne doit pas chercher à occulter l’imaginaire entourant les valeurs artistiques qui composent les représentations artistiques, mais les mettre au centre de notre compréhension puisqu’il contribue activement à orienter les actions des acteurs qui y participent. Il semble par ailleurs que la lecture du processus d’autonomisation du champ artistique et de l’artiste singulier qu’en font les théories sociologiques contribue d’une certaine manière à perpétuer cet imaginaire puisqu’elles peinent à montrer la spécificité de la pratique artistique.

2.1 L’art avant l’artiste

La finalité de l’art est ce au service de quoi il est conçu et également au nom de quels desseins il est supporté collectivement. Cette finalité est une question négociée par toutes les

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sociétés et constamment réaffirmée au fil de l’histoire. L’art fait notamment l’objet d’un plus ou moins grand financement public, et ce soutien prend différentes formes. La chaine d’actions en vue de le produire témoigne néanmoins de son caractère fondamentalement social, qu’elle passe par la distribution de matériaux destinés à la fabrication des œuvres, de comités pour l’attribution de bourses à la création ou la vente de billets de spectacles, par exemple. La coopération, comme la nomme Becker (1988), au sein d’un monde artistique forme cette situation d’interdépendance entre les acteurs qui y prennent part. L’artiste ne produit donc jamais seul puisque plusieurs personnes sont impliquées à différents niveaux dans la chaine de production de l’art, de sa conceptualisation à sa réception. Précisons la notion de monde :

La métaphore du monde (…) contient des gens, toutes sortes de gens, qui sont en train de faire quelque chose qui leur demande de prêter attention les uns aux autres, de tenir compte consciemment de l'existence des autres et de donner forme à ce qu'ils font en conséquence. Dans un tel monde, les gens n'agissent pas de manière automatique en réponse à de mystérieuses forces extérieures qui les entourent. Au lieu de cela, ils développent graduellement leurs lignes d'activité, prenant note de la façon dont les autres répondent à ce qu'ils font, et en ajustant ce qu'ils vont faire de manière à essayer de faire en sorte que cela convienne à ce que les autres ont fait et vont probablement faire. (Becker, 2006 : 168)

C’est ce qui fait notamment que l’œuvre n’a pas de caractère définitif et que sa valeur esthétique en soi n’est pas sociologiquement intéressante, si ce n’est de comprendre comment les critères esthétiques s’établissent. L’art existe parce que les sociétés ont opéré des classements entre des objets auxquels on attribue une valeur esthétique et les autres types d’objets. L’artiste quant à lui, ne peut donc préexister à l’art, et ce n’est que graduellement qu’on lui a attribué un rôle social et que son activité a été reconnue à part entière.

Lorsqu’on se tourne vers le passé, il faut se garder de faire une lecture contemporaine de l’art. Selon Château (2008) il appert par ailleurs que c’est toujours par rapport à la façon dont on reconnait l’art ou l’artiste aujourd’hui que l’on peut reconnaitre ce qui, déjà en Grèce antique, précèderait à l’avènement de la singularité de l’artiste contemporain. Ceux que nous qualifions aujourd’hui comme des artistes grecs étaient alors tout au plus des artisans, créateurs d’artefacts, bien qu’entre eux ils puissent par ailleurs avoir reconnu une valeur supérieure à certaines productions de même qu’à leurs auteurs, ce que l’on pourrait notamment supposer par la sélection de ces productions à cette époque et qui ont été conservées au fil de l’histoire pour parvenir jusqu’à nous. Du reste, l’absence d’une sphère artistique autonome nous empêche de voir chez les Grecs une activité artistique qui visait la production d’un art tel que les sociétés contemporaines le conçoivent aujourd’hui, largement tributaire de la recherche de l’avant-garde. Or, il y aura bien chez ces derniers une activité productrice d’objets qui, si elle ne fait pas l’objet d’une réflexion sur

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17 les conditions de sa production, se répercute dans la production d’objets autonomes. En effet, c’est le déplacement d’une production « auparavant [attachée] à des tombes ou à des murs, vers un lieu d’exposition » (Château, 2008 : 16), qui donne sa dimension sociale à l’art; elle est uniquement possible lorsque l’artisan maîtrise complètement le support par lequel il s’exprime. Par là même nait l’idée du public.

À cette époque, il semble que ce soit avant tout des préoccupations esthétiques qui guident les artisans grecs. Aucun standard ne préexiste à l’activité et seul l’usage d’une technique permet de les identifier : dans ce contexte, c’est par l’agôn, l’esprit de compétition qui les anime, que la pratique se reproduit (Château, 2008 : 20). Du reste, on ne peut observer de distinction nette parmi les artisans eux-mêmes, ni attribuer leurs productions aux différents domaines que sont devenues par la suite la peinture, la sculpture et la poterie. Les différents médiums se recoupent et conservent souvent une valeur utilitaire à cette époque, ce qu’il est possible de voir avec la peinture sur poterie, par exemple (Château, 2008 : 17).

2.2 L’avènement de l’artiste : trois figures emblématiques

Sur un support autonome, l’art devient un objet à vocation particulière et le statut social de l’artiste peut dès lors être appréhendé. Pour comprendre comment l’art s’est construit en champ de pratique autonome et obéissant à des logiques qui lui sont endogènes, on peut le comparer avec le travail d’artisanat qui consiste de manière générale en la production d’objets utiles. C’est un processus de reconnaissance de la singularité de l’artiste qui caractérise le passage de l’artisan grec à l’artiste contemporain. Dans l’objectif de comprendre à quelles dynamiques obéit la forme d’organisation sociale artistique dans laquelle s’insère ce dernier, un retour sur les figures de l’artisan du Moyen-âge, de l’académicien de la Renaissance et de l’artiste indépendant est nécessaire. C’est en particulier à Raymonde Moulin que nous devons ce découpage, issu d’un travail de recherche historique. Dans cette section, il sera plus spécifiquement question de ces transformations historiques à travers la valeur sociale accordée à la création et la compétence mobilisée dans l’activité artistique.

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L’artisan

Le modèle de la corporation, dont on voit les débuts en 1391 à Paris avec la recognition du métier de peintre et de tailleur d’images (Moulin, 1992 : 250), régissait autrefois le fonctionnement des ateliers de maîtres, mais également les rapports qu’ils entretenaient entre eux puisque c’est à travers elles que se fixaient les commandes provenant généralement d’institutions religieuses. Réelles entreprises du beau, l’organisation des ateliers au Moyen-âge répondait aux critères de quelques riches personnes; la production artistique était motivée par le désir d’autres personnes de se l’approprier. On reconnaissait alors la valeur des œuvres produites par le fait qu’elles correspondaient aux attentes fixées par la commande. Les activités dites mécaniques, auxquelles participait l’artisan, lequel était contraint à travailler de ses mains pour vivre, demeuraient cependant largement dévaluées par rapport aux activités libérales, qui renvoyaient à cette époque à la connaissance fondamentale encyclopédique (Le Coq, 2002 : 59).

Au Moyen-âge, l’artisan travaillait pour le maître qui fixait la nature et les exigences auxquelles devait obéir la production, qui elle-même obéissait à des critères esthétiques stricts. Il devait surtout satisfaire au critère esthétique de virtuosité : la qualité de son travail se mesurait par la capacité à reproduire ce travail (mimésis), les connaissances techniques requises pour cela s’acquérant auprès du maître (Becker, 1988). Les ateliers étaient donc marqués par une forte division du travail dans laquelle l’artisan demeure simple exécutant et dont la qualité du travail était reconnue par la maîtrise d’une technique (Greffe, 2012). Par conséquent, le savoir-faire mobilisé par l’artisan était réglementé par un apprentissage sanctionné d’étapes lui permettant de se perfectionner (Moulin, 1992 : 250); seul celui qui parvenait à se montrer à la hauteur des standards esthétiques de l’époque obtenait le statut d’artisan.

L’académicien

Le modèle de l’académie4 à la Renaissance sera quant à lui caractérisé par la reconnaissance de l’artiste par les pouvoirs publics. L’Académie du dessin de Florence verra le jour en 1563 et l’Académie royale de peinture et sculpture à Paris en 1648 (Moulin, 1992 : 252). L’État participera à leurs fondations, assurera d’autre part la subsistance de l’artiste (Heinich, 1996) et régulera la production de manière à ce que ces derniers ne puissent en faire un commerce leur profitant à eux

4 Le modèle académique prend son origine dans l’Academia de Platon, d’abord lieu et ensuite école où ce dernier promulguera ses enseignements à un petit nombre d’étudiants.

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19 seuls. « Le nombre des académiciens n’est pas limité – encore que jusqu’à la Révolution, il n’ait pas dépassé cent membres, peintres, graveurs et sculpteurs auxquels s’ajoute une trentaine d’agrégés » (Moulin, 1992 : 252). Tandis que le marché conférait à l’artisan et son maître l’excellence de leur travail, on verra chez l’artiste de la Renaissance un déplacement de la reconnaissance du travail de création vers le créateur lui-même, cependant que ce dernier traduit les canons esthétiques de l’époque.

En marge des universités, le modèle académique valorisait quant à lui une compétence professionnelle chez l’artiste en offrant un enseignement théorique standardisé. « L’académie sélectionne une élite non plus sur le critère de la maîtrise du métier, mais par cooptation en évaluant le capital de connaissances, nouvel indicateur de l’excellence » (Le Coq, 2002 : 61). L’artiste académicien pratiquera désormais un art libéral au sens qu’il n’est plus assujetti aux contraintes des corporations, bien que celles-ci perdureront jusqu’en 1795 (Moulin, 1992 : 252). En fait, c’est sa qualité de professionnel, par distinction d’avec l’artisan, qui fera sa particularité. Le savoir qui sanctionne la compétence de l’artiste de la Renaissance alliera l’imitation et les connaissances scientifiques modernes. Bien que l’artiste académicien gagne en autonomie face au marché, son activité servira avant tout l’intérêt public (Le Coq, 2002 : 61). Les fruits de son travail demeureront largement tributaires d’une qualité technique reconnue par les pairs.

L’artiste indépendant

D’un artisan de métier faisant preuve d’une compétence technique irréprochable et dont l’apport demeurait dilué dans l’ensemble de la production de l’œuvre, à l’artiste professionnel plus à même d’imposer son esthétique et produisant en son propre nom, succèdera la figure de l’artiste indépendant tourné vers la recherche artistique (Moulin, 1992 : 253). La forme du régime institutionnel néo-académique, plus rigide et plus élitiste que le modèle académique classique, tend notamment à favoriser la dissolution de la classe artiste :

Ce régime cumulait en effet une organisation institutionnelle très fermée, au service d’un petit nombre de privilégiés, avec le statut informel, ouvert et non protégé qui était celui de la masse des autres peintres. C’était donc un mélange de protectionnisme institutionnel et de libéralisme juridico-social, dans une situation de forte concurrence due au décalage entre le nombre d’impétrants et les possibilités du marché public et privé (Heinich citée par Le Coq, 2002 : 62)

Jusque-là, nous avons pu voir que l’artisan du Moyen-âge et l’artiste de la Renaissance étaient inscrits dans un système social où s’organisent leurs pratiques en amont et en aval, par la

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commande d’œuvres fondée sur des critères esthétiques partagés. En opposition à la rigidité du modèle académique, en particulier avec l’avènement de l’Académie des Beaux-arts qui succédera à l’abolition des Académies royales, les artistes seront poussés à produire en marge du système, à chercher leur indépendance. Plus particulièrement, le régime de reconnaissance professionnelle académique s’avère trop impersonnel: il laisse peu de place à l’expression personnelle des créateurs et se montre réfractaire à toutes autres propositions artistiques. Au courant des années 1870-1880, en alternative au Salon annuel des Académies qui carbure au prestige et aux honneurs s’implantera le Salon des refusés, qui verra naitre l’impressionnisme (Le Coq, 2002 : 80).

La période de la bohème est caractéristique de la rupture avec les traditions recherchée par les artistes et se traduit dans la recherche constante de l’avant-garde par les artistes.

Pour Sell (2007), l’avant-garde et la bohème doivent être considérées de concert puisqu’ils émergent en même temps : c’est précisément en réaction à une culture consensuelle et pour offrir une lecture de l’histoire alternative en revalorisant les moments occultés que la bohème s’est forgée une conscience du souvenir. La bohème en France a notamment servi à protéger les intérêts des personnes marginalisées, mais ce sont surtout les Roms qui ont territorialisé le concept. Comme le montre Sell par son analyse historique de la genèse de la bohème, la contestation de l’autorité a favorisé le mode de vie bohème :

(…) bohemia is, in many respects, a seedbed for the very concept of culture. Bohemia developed at a time when Western European authorities and their rebellious subjects were suddenly and sharply hungry for a concept of culture – not in the "high culture" sense (the sense preferred by 19th-century European elites), but rather a concept of culture that would provide the means to effectively counteract the guerrilla insurgencies, ultraconservative rural enclaves, and urban-dwelling subalterns who were causing perennial consternation among the ruling elite. (Sell, 2007: 44)

Les valeurs supportées par un groupe sont aussi génératrices d’attitudes qui prennent forme dans des comportements observables, comme en témoigne la position avant-gardiste supportée par la bohème. Les bohémiens sont alors reconnus pour leur habileté à trouver de nouvelles façons de vivre en évitant de confronter l’autorité, et c’est aussi dans ce contexte que la culture de l’avant-garde peut émerger. « The avantl’avant-garde has often been creator and advocate of new ways of thinking about the interconnections of ontology, representation, and place-putting those thoughts into action. (…) vanguard communities have consistently performed the processes and possibilities of minoritization, doing it for, with, against, and as minorities themselves. » (Sell, 2007: 53) C’est précisément en vivant en marge que l’idéal d’authenticité a pu alors émerger et prendre forme à travers une culture. Cette idée de l’authenticité s’exprimera en particulier à travers ce que Sell a

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21 qualifié par le terme de théâtralité, une attitude de rébellion où la marginalité s’expose à travers des choix vestimentaires et à laquelle on amalgamera les saltimbanques, performeurs itinérants.

2.3 L’artiste contemporain

Le mythe de la bohème et de ses artistes serait au fondement de la représentation de l’artiste contemporain. Plus particulièrement, l’identification de celui-ci demeure dépendante de la valorisation de la marginalité et de la recherche de l’innovation qui caractérise la modernité artistique. Ainsi le mythe s’avère-t-il efficient, créateur de réalités. Voyons comment celui-ci prend part à l’identification de l’artiste contemporain qui demeure largement imprégné par l’idée d’indépendance : en tant qu’il serait désaffilié de toute chaine de production, le talent de l’artiste tiendrait du génie.

L’exacerbation du processus de désaffiliation de l’artiste, qui a été précédé du long chemin vers la reconnaissance de sa compétence intellectuelle et non plus seulement technique, a abouti à son repli sur lui-même. C’est ce que Heinich (1996) a décrit comme le passage d’un régime professionnel du temps des académies à un régime vocationnel avec la période romantique instiguée par une bohème alors marginale. Ce régime prendra place dès les années 1830 et deviendra par la suite la norme structurant le fonctionnement du champ artistique en ce qu’il en est le mythe fondateur. Le recours au langage de la vocation, et qui n’est évidemment pas l’apanage du domaine artistique, fait ici référence à une pratique artistique qui cherche à se perpétuer en dehors des structures traditionnelles : en rupture avec une création artistique tournée vers la recherche de profits, les artistes romantiques sont guidés par leur inspiration et la création originale. La vocation est aussi un terme employé dans le domaine religieux pour faire référence au moment de l’appel; celui qui est « appelé » n’a d’autre choix que de poursuivre dans cette voix. Max Weber parle alors d’un « fondement indispensable naturel de la vie dans la foi » (Weber, 2008 : 91). C’est la nécessité de mener sa vie en conformité avec ses aspirations qui apparait ici comme le point de liaison à la vocation.

L’individualisation de la pratique artistique se développe surtout dès la période romantique et se constate à l’importance accordée au nom de l’artiste.

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Historiquement, la signature progressive des œuvres offre un matériel tangible de la montée du sujet artiste. Selon Heinich, nous devons remonter à l’époque médiévale pour voir apparaitre les premières signatures, mais c’est à partir du 18e siècle que le phénomène prendra de l’expansion. C’est en devenant des objets dignes de devenir œuvres d’art que les artistes commenceront à signer leurs tableaux (Heinich, 1996), marquant par le fait même la hiérarchie des genres. L’artiste devenant de plus en plus indépendant de tierces personnes dans son travail, sa signature constitue le sceau d’authentification de l’originalité de la création (Heinich, 1991), résultante de son savoir-faire. Au 19e siècle, le phénomène se généralisera. Aujourd’hui, « (…) [la signature] n'a jamais été aussi importante, dans un contexte où il existe une définition tautologique de l'art contemporain : est art ce que l'artiste déclare art et qui est avalisé par le milieu » (Lamoureux, 2007).

Elles-mêmes symptômes de l’importance accordée au nom de l’artiste dans la considération des œuvres, Kris et Kurz, dans L’image de l’artiste. Légende, mythe et magie, se sont quant à eux attardés à la façon dont on traite des biographies d’artistes. Émergeant à la fin du Moyen-âge (Kris et Kurz, 2010 :27), les biographies laissent entrevoir l’attitude de la société face à l’artiste. Les auteurs y montrent la récurrence de certains thèmes, qui forment ensemble « la légende des artistes ». Mentionnons seulement ici pour les biens de notre propos, le recours à l’anecdote pour évoquer l’enfance des artistes; elles révèlent qu’ils sont découverts tôt, souvent par hasard et procèdent comme « [des] présages de son accomplissement futur et l’on considère que ce sont là les preuves de sa nature unique » (Kris et Kurz, 2010 :38).

Suite au rejet du régime strict de professionnalisation par la bohème, la représentation de l’activité de l’artiste contemporain porte à son apogée la dénégation de l’aspect technique de la production artistique, désormais résolument rattachée aux activités libérales (de l’esprit). Dans le régime de singularité décrit par Heinich, c’est au génie seul qu’on attribue la création des œuvres originales : « [l’artiste] est dispensé de production, il lui suffit d’être » (Le Coq, 2002: 66). L’œuvre est précisément « géniale » puisqu’elle n’est pas le fruit d’apprentissages accessibles à tous, mais correspond plutôt au talent inné de son producteur. Les réalisations des artistes sont le résultat d’une condition naturelle qui s’apparente au don, une notion largement propagée par Kant, pour qui le génie était une disposition innée de l’esprit (Greffe, 2012: 216).

La représentation des artistes contemporains justifierait que leurs œuvres atteignent des sommes faramineuses sur le marché de l’art (Moulin, 1992). C’est à la fois l’indétermination du parcours des artistes (puisque ce n’est pas leur histoire familiale qui les envoie sur le chemin de l’art, mais bien la vocation) et la désaffiliation qui en découle puisqu’ils apparaissent par le fait même comme les seuls garants de leur destinée qui fait la valeur de leurs œuvres. Au temps de

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23 l’artisan ou de l’académicien, les objets d’art avaient pour fonction d’embellir les intérieurs en plus de témoigner d’un statut social privilégié chez ceux qui se l’approprient. Depuis longtemps dans le monde occidental, l’art a été destiné à la consommation de l’élite et il y a lieu de croire que tel est le cas encore aujourd’hui, même si l’art s’est par ailleurs démocratisé. Cependant, c’est le caractère exceptionnel de l’art qui justifie aujourd’hui sa valeur sociale, et corolairement ses prix, fruits d’un travail de comparaison et d’évaluation collective où interviennent de nombreuses institutions, des collectionneurs, des artistes, etc.

2.4 L’autonomisation d’un champ de pratique artistique

La constitution d’une sphère artistique autonome, fonctionnant selon ses propres logiques, demeure héritière de la rupture qui a été opérée par l’artiste romantique au temps de la bohème d’avec le modèle professionnel qui prévalait au temps des académies. Le concept d’autonomie de Bourdieu permet de comprendre comment tous les acteurs qui prennent part à l’édification de l’œuvre d’art, de sa fabrication matérielle à son exposition ou sa vente, contribuent également à établir sa valeur à partir de référents partagés. Surtout, l’autonomisation de la sphère artistique s’est construite en opposition à la culture de masse en établissant des codes et normes à l’intérieur du monde de l’art et pour ce monde (Bédard, 2014: 258). En considérant l’art comme produit d’un champ culturel autonome, l’intérêt n’est pas tant dans ce qui est retenu ou rejeté par le champ de l’art, le débat, voire la controverse faisant partie de l’art moderne, mais plutôt la dynamique propre à laquelle participent ses acteurs.

Les motivations intrinsèques

Nous avons vu précédemment que l’activité de l’artisan du Moyen-âge et de l’artiste de la Renaissance se fait en réponse à une demande qui provient de l’extérieur de son milieu. Que ce soit pour l’artisan ou l’académicien, les motivations qui les guident sont alors extrinsèques, c’est-à-dire qu’elles ne proviennent pas de lui, et ne sont pas non plus orientées pour lui-même. À l’inverse, il semblerait que ce soient des motivations intrinsèques qui, selon la littérature, guident l’artiste dans sa pratique aujourd’hui.

Chiapello dans son article intitulé « Les organisations et le travail artistiques sont-ils contrôlables? » (1997) a défini les motivations intrinsèques comme une forme d’autocontrôle de la

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