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Rapport de mission 2016 en Australie

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Academic year: 2021

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HAL Id: hal-01603664

https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01603664

Submitted on 5 Jun 2020

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Rapport de mission 2016 en Australie

Michel Meuret

To cite this version:

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Rapport de mission en Australie

Warnti Jila (Point d’eau et colline) by Nyangami Penny K Lyons

Michel Meuret

INRA-SAD, UMR 0868 Selmet

2 place Pierre Viala, 34060 Montpellier Cedex 1

meuret@supagro.inra.fr

Mai 2016

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Sommaire

Raison, principaux correspondants, dates et lieux de mission 3 Antériorité de mes contacts 4 Le séminaire de Dubbo 6 Mes autres conférences 9 Visites d’élevages et « séjour à la ferme » 11 Un élevage et des paysages en pleine reconversion 11 Un continent desséché 12 Quelles pratiques d’élevage et de pâturage ? 14 Des relations toujours distantes et parfois violentes envers le bétail 17 Accompagnement/formation d’une éleveuse de brebis à laine en Tasmanie 22 L’élevage face aux dingos ou chiens sauvages : comme un écho d’Europe 25 Perspectives de collaborations 26 Annexes I à V 28

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1. Raison, principaux correspondants, dates et lieux de mission

J’ai été invité par l’Australian BEHAVE Consortium (voir lettre d’invitation en Annexe-I), un réseau de partage de connaissances et d’animation entre professionnels de l’élevage et scientifiques. Ce réseau a été conçu sur le modèle du réseau international BEHAVE (Behavioral Education for Human, Animal, Vegetation, and Ecosystem Management1 ) fondé en 2001 aux États-Unis par Fred D. Provenza, Pro-fesseur émérite de l’Université de l’Utah2, et dont j’avais participé aux séminaires en 2006 et 2008. C’est pour un séminaire d’une semaine organisé par le Consortium à Dubbo (Nouvelles Galles du sud) pour une soixantaine d’éleveurs venus de tout le pays, que j’ai été sollicité. L’ouvrage collectif que j’avais coédité en 2014 avec F. Provenza, The Art & Science of Shepherding : Tapping the Wisdom of French Herders3 (Ed. Acres USA), version traduite et adaptée d’Un savoir-faire de bergers (Eds. Educagri & Quæ, 2010), s’était déjà fort bien vendu en Australie. À Dubbo, et aux côtés de cinq autres confé-renciers, la demande qui m’était faite concernait donc nos analyses des pratiques de conduite des troupeaux au pâturage par les bergers. En raison de l’intérêt suscité, j’ai eu à faire trois autres confé-rences, en format réduit et au contenu ajusté aux auditoires : - Australian National University, Centre for European Studies (Canberra) ; - University of Western Australia (Perth) ; - Des éleveurs bovins du Nord-Ouest (Lyndon-Towera Station). Les fondateurs de l’Australian BEHAVE Consortium sont Dean Revell et Bruce Maynard. Le premier est un chercheur bien connu à l’INRA, et notamment à Theix, qui était jusqu’en 2014 Principal Research Scientist du CSIRO, Western Australia University, dpt. Livestock Industries. Depuis 2 ans, il a fondé avec Kathryn Morgan, anthropologue, une petite société d’études et communication, RevellScience, dont le siège est à Perth, spécialisée en accompagnement des éleveurs utilisateurs de pâturage sur parcours.4 Le second est éleveur en Nouvelles Galles du Sud. Il enseigne à titre privé le Stress Free Stockmanship, conduite et manipulation sans stress des animaux.5 Ma mission s’est déroulée du 9 Mars au 8 Avril 2016, équilibrée en temps entre, d’abord, plusieurs localités du Sud-Est (New South Wales, NSW), puis sur la côte Ouest (Western Australia, WA). Mes frais de vols depuis la France et dans le pays (n=6) ont été pris en charge par l’Australian BEHAVE Consortium, ainsi que mes frais de séjour au séminaire. Le reste du séjour a été cofinancé par le dé-partement INRA-Sad et l’UMR Selmet. J’ai séjourné successivement à (n° reportés sur carte, page suivante) : 1 – Sydney (NSW) : arrivée et gestion du jet-lag 2 – Dubbo (NSW) : séminaire au TAFE Western Institute 3 – Narromine, Eugowra et Grenfell (NSW) : élevages ovins 4 – Canberra (NSW) : conférence à l’Université Nationale d’Australie 5 – Perth (WA) : conférence à l’Université d’Australie de l’Ouest 6 – Lyndon-Towera (WA) : séjour et conférence sur cette Station d’élevage bovin 7 – Perth (WA) : siège de la société RevellScience

1 http://www.behave.net 2 https://works.bepress.com/frederick_provenza/about/ 3 http://www.sad.inra.fr/en/All-the-news/Art-Science-of-Shepherding 4 http://www.revellscience.com.au 5 http://stressfreestockmanship.com.au

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Mes lieux de séjours numérotés par ordre chronologique (contours de la France à la même échelle).

2. Antériorité de mes contacts

Chercheur INRA en pastoralisme depuis 1989, je ne m’étais encore jamais rendu en Australie. Cepen-dant, j’avais contribué en tant que co-auteur à plusieurs congrès s’y étant déroulés. Mes contributions récentes ont été un poster 2013 à l’International Grassland Congress tenu à Sydney6 ainsi que deux chapitres d’un numéro spécial 2015 d’Animal Production Science, revue du CSIRO.7 C’est la parution en mars 2014 de notre ouvrage collectif The Art & Science of Shepherding… qui a suscité l’attention, encouragée par des recensions positives dans la presse australienne (voir exemple en Annexe II). Des chercheurs australiens ont également manifesté de l’intérêt pour nos recherches à la lecture de la synthèse sur les savoirs de bergers en France comparés aux connaissances en sciences biologiques et éthologiques, parue en janvier 2015 dans Rangeland Ecology & Management.8

6

Bonnet, O. J. F., Cezimbra, I. M., Tischler, M. R., Azambuja, J. C., Meuret, M., Carvalho, P. C. F. (2013). Livestock selective behaviour in natural grasslands challenges the concept of plant preference in the elaboration of a successful diet. Proc. 22nd International Grassland Congress, Sydney, AUS (2013-09-15 - 2013-09-19) : 1171-1172. 7

Meuret, M., Provenza, F.D. (2015). How French shepherds create meal sequences to stimulate intake and optimise use of forage diversity on rangeland. Animal Production Science, 55 : 309-318. Bonnet, O. J. F., Meuret, M., Tischler, M. R., Cezimbra, I. M., Azambuja, J. C., Carvalho, P. C. F. (2015). Continuous bite moni-toring: A method to assess the foraging dynamics of herbivores in natural grazing conditions. Animal Production Science, 55 : 339-349. 8

Meuret, M., Provenza, F.D. (2015). When Art and Science Meet: Integrating Knowledge of French Herders with Science of Foraging Behavior. Rangeland Ecology & Management, 68 : 1-17.

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En mai 2015, Dean Revell me contacta en vue du séminaire BEHAVE à Dubbo. Fred Provenza, connais-sant bien l’Australie, nous a aidés à programmer l’ensemble de ma mission. En décembre 2015, j’ai accueilli Dean Revell une semaine en Provence, au cours d’un séjour familial d’un mois et demi en Europe. Je lui ai fait rencontrer des bergers et leurs troupeaux sur les Monts de Vaucluse et dans les Alpilles. Ceci complétait ce qu’il avait pu lire de nos analyses de pratiques. Ces rencontres ont été marquantes, à en juger par la façon dont D. Revell m’a présenté en tant que confé-rencier : « J’ai eu la chance d’aller dans le sud de la France en décembre. Michel nous a fait rencontrer des bergers et participer à des gardes de troupeaux. C’est incroyable comment ces professionnels par-viennent à guider leurs animaux, en douceur et très précisément. Mon fils Ben, un adolescent qui vit en ville et qui, en règle générale, ne s’intéresse ni aux moutons ni même à l’élevage, nous a dit que ces journées avec les bergers avaient été parmi celles les plus passionnantes de son séjour en Europe. » Ce qui a surtout marqué les esprits, m’ont-ils dit, c’est quand le berger, d’un simple appel, son chien resté immobile et muet à ses pieds, parvenait à faire revenir promptement mais calmement le troupeau auprès de lui, après que les brebis aient toutes disparu durant plusieurs minutes hors de la vue et de l’ouïe dans les bois. Une scène et une action apparemment assez inhabituelles en Australie.

Dean Revell, en famille, accompagnant le berger Antoine Le Gal, son chien Riot, et un troupeau de 400 brebis Mérinos et Mourérous sur des collines boisées du Vaucluse (décembre 2015) Depuis mars 2014, Fred Provenza et moi sommes également engagés dans une relation suivie d’ac-compagnement/formation à la demande de Nancy A. Bray, éleveuse et productrice de Saxon Merino fine wool en Tasmanie. Je développerai en détails à la section 6 à propos des raisons et du contenu de cette formation. Elle a abouti à ce que Nan Bray pratique aujourd’hui avec son troupeau et les res-sources de son territoire de façon très proche à ce que ferait une bergère en France.

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3. Le séminaire de Dubbo

Du lundi 14 au vendredi 18 avril, le contenu du séminaire a été presque entièrement pensé et animé par Fred Provenza. Sa prestation condensait un 10-days Short Course qu’il donne habituellement aux Etats-Unis, à l’Université de l’Utah ou à la demande d’associations d’éleveurs ou de gestionnaires de ressources et d’espaces naturels. A Dubbo, en 34 heures de cours, il a traité 13 thèmes distribués au-près de deux groupes d’éleveurs. Le premier groupe (intitulé Main Course) comportait 42 éleveurs n’ayant jamais entendu F. Provenza. Le second (Dessert Course) comportait 21 éleveurs ayant déjà assisté à un enseignement de sa part en 2012, lors d’un précédent séminaire d’une semaine à Dubbo. Je ne suis évidemment pas en mesure de résumer le contenu et surtout la diversité des thèmes de cours de Fred Provenza. En perpétuelle mise à jour, il expose le panel des connaissances rassemblées et diffusées depuis 15 ans au sein de BEHAVE. Toutes origines de connaissances ayant droit de cité, il les met constamment en débat avec son auditoire, surtout lorsque ce sont comme ici des éleveurs. Je peux tenter de résumer son propos d’une (longue) phrase : Sachant que le changement est l’unique constante dans le Monde, comment ne plus tenter vainement de s’y opposer, mais au contraire privilé- gier imagination et créativité, en raisonnant et agissant de con-cert dans les domaines écologiques, économiques et culturels ? F. Provenza illustre chacun des thèmes par des enjeux situés et des pratiques concrètes, liés aux animaux et aux plantes en géné-ral, à l’élevage d’herbivores, sauvages ou domestiques, mais aussi aux humains, à leur alimentation et santé. Je n’ai pas pu suivre l’ensemble de ses interventions, car j’avais moi aussi à donner mes conférences, répétées auprès des deux groupes. Mais je sais que l’esprit et le contenu de plusieurs thèmes de cours s’appuient sur notre synthèse publiée en 2015 dans la revue Appetite9, et dont le résumé est reproduit en Annexe III.

Lorsque, face au changement, il s’agit de chercher à devenir plus adaptable, résilient, imaginatif et créatif, les pratiques de con- duite des troupeaux au pâturage par des bergers en France peu-vent devenir source d’inspiration. Ces savoirs sont tous issus d’expériences empiriques, mais nous leur avons donné sens, en grande partie, au regard des avancées récentes en sciences biologiques et étho-logiques. Plus généralement, nos travaux montrent le bénéfice qu’il y a, pour des chercheurs de nos disciplines, à adopter une démarche de recherche qui parte de la compréhension et modélisation de pratiques empiriques, afin de les légitimer, d’une part, mais aussi de façon à soulever des questions nouvelles et parfois fondamentales dans chacun de nos domaines disciplinaires. Groupées sur le titre général Shepherding Art, mes conférences (deux interventions de 3 h, à répéter) ont d’abord rappelé le contexte historique et évolutif des pratiques de pâturage par les bergers en France, les conditions européennes (origines, dimensions, foncier, multi-usage, politiques publiques…) étant pour le moins éloignées de celles de l’Australie actuelle. Ensuite, à la demande de Dean Revell et Fred Provenza, j’ai développé le pourquoi et le comment des premières rencontres et des collabo-rations poursuivies avec des bergers et chevriers sur parcours. J’ai précisé que ceux-ci étaient souvent réticents, si ce n’est farouchement opposés, à toutes connaissances issues des sciences, en raison de la disqualification durant des décennies de leurs pratiques jugées trop « subjectives » par les sciences animales et agronomiques traditionnelles. J’ai ensuite présenté en détails le modèle conceptuel d’action de berger publié en 2015 dans Range-land Ecology & Management (Annexe IV). Il représente les quatre processus enchainés d’une relation

9

Provenza, F.D., Meuret, M., Gregorini, P. (2015). Our landscapes, our livestock, ourselves: Restoring broken linkages among plants, herbivores, and humans with diets that nourish and satiate. Appetite, 95: 500-519.

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dynamique entre berger, troupeau et ressources pastorales, depuis l’échelle des années et des ap- prentissages à organiser pour les jeunes animaux ainsi que pour des animaux adultes mais naïfs à de-voir parfois associer à un troupeau, jusqu’à l’échelle des jours et des minutes du séquençage des offres alimentaires au cours des circuits de pâturage. J’ai conclu par les principaux enjeux et questions restées ouvertes, et qui invitent à poursuivre les échanges entre chercheurs et bergers. J’ai insisté sur le fait que mes conférences ne consistaient pas en des prescriptions pour l’action. Seuls les grands prin-cipes qui sous-tendent ces savoir-faire pouvaient, du moins nous l’espérions, constituer une source d’inspiration. En ef-fet, dès le premier jour du séminaire, et donc bien avant ma première intervention, un des éleveurs du Main Course, âgé d’environ 65 ans, m’avait pris à part et déclaré : « J’ai lu

votre livre, qui est fascinant. Mais j’ai 70.000 moutons, des clôtures électriques gérées par robots et ordinateurs, et il est hors de question que je recrute des bergers. J’ai d’ailleurs vu des bergers au Moyen-Orient. Ils n’ont qu’une centaine de moutons à faire pâturer et ils n’ont surtout rien d’autre à faire de leur journée. Tout ce que vous racontez dans votre livre est inapplicable en Aus- tralie. » Or, durant mes conférences, cet éleveur s’est placé au premier rang et il a conclu publique-ment par : « C’est certain qu’il y a là des talents que nous n’avons jamais eus. » Si j’en juge par les questions posées en séance, les interpellations et commentaires hors conférences, et les impressions recueillies par Fred Provenza et Dean Revell, je peux dire que mes conférences ont été fort appréciées. Face aux demandes individuelles de copie de mes diaporamas, les organisateurs ont décidé de les distribuer à tous. Qui plus est, chaque participant s’est vu offrir un exemplaire de The Art & Science of Shepherding… Pour autant, je me suis vite rendu compte aussi à quel point certains de mes témoignages, analyses et documents photos, pouvaient être parfois dérangeants pour ces éleveurs. Un cas typique est la photo ci-dessous : une femme (ici, Marie Labreveux, bergère du Diois), son chien de travail tenu en laisse, suivie par des brebis calmes et consentantes. C’est l’antithèse du mode actuel de conduite des trou-peaux en Australie : un homme, à cheval, en quad ou à moto, accompagné ou non de plusieurs chiens agressifs, qui pousse vigoureusement le bétail (voir illustration typique, page suivante). J’y reviendrai…

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Éleveur en Polaris® qui pousse un lot de brebis galopant dans la poussière : une image typique et revendiquée de l’élevage australien, utilisée ici en couverture du dossier Qantas News, mensuel de la compagnie nationale aérienne (mars 2016)

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Les autres conférenciers, tous australiens, se sont réparti 12 heures d’intervention : Dean Revell, chercheur, ex-UWA/Csiro, RevellScience.com – plan d’intervention (5 h) : Plant behaviour in Australia ; Diverse diets in Australian grazing systems ; Behaving in Australia, Practical adapta-tions, and Self herding ; Animals on the move ; Mums and coaches. Charlie Massey, éleveur ovin (NSW), intervenant à l’ANU sur les Sustainable Rural Systems ; ex-Chair-man ou Directeur de : Merino Gold ; CAMBIA (Centre for the Application of Molecular Genetics to International Agriculture) ; International Wool Secretariat ; Australian Wool Research and Promo-tion Board ; auteur de l’ouvrage grand public Breaking the Sheep’s Back, où il donne son point vue sur les raisons du rapide déclin de l’industrie lainière australienne – plan d’intervention (2 h) : Buil-ding Resilience through Regenerative Agriculture via Gaining Ecological Literacy ; Complex Adaptive Systems ; States and Transitions in Ecosystems ; The Five Landscape Functions Model ; The Impor-tance of Ecological Literacy. Matt Cawood, fils d’éleveur bovin (WA), journaliste agricole, contributeur à Australian Geographic, concepteur et co-animateur du Good Land Project10 – thème (2 h) : nos relations aux connaissances et technologies en agriculture, comparaisons entre les approches conservationnistes, notamment celles des biens d’environnement, l’agriculture fortement technologisée et artificialisée, ainsi que l’agroécologie (ma traduction). Greg Bennan, fils d’éleveur ovin (NSW), éleveur ovin et cultivateur de céréales, fondateur de la Coo-pérative Grass Merinos, Consultant à titre privé pour des mixed farmers, Agricultural advisor for the Aboriginal Development Commission, puis étudiant l’Université de Western Sydney, d’une part en sciences sociales (collaboration avec, entre autres, Ray Ison), mais aussi en nutrition animale ; re- cruté jusqu’en mars 2015 au WA Department of Agriculture in Food, Grazing innovation (Range-lands) – intitulé (3 h) : « Fifty Shades of Grazing Management. »

4. Mes autres conférences

4.1 Conférence au Center for European Studies, Australian National University, Canberra (29 mars) Katherine Daniell, chercheuse australienne à l’ANU, en partie formée en France (AgroParisTech) et aujourd’hui spécialiste des approches participatives pour la conception et l’évaluation des politiques publiques11 , m’a invité, sur proposition de Bernard Hubert (PR Agropolis), à faire une courte interven-tion auprès de ses collègues du Centre for European Studies de l’Université Nationale d’Australie. Mon auditoire, tout à fait différent de celui de Dubbo, était composé exclusivement de chercheurs en sciences politiques et sciences de gestion, tous déjà très au fait des politiques de l’UE en matières agricole et environnementale. En raison de leur intérêt pour les approches participatives et les poli- tiques publiques, j’ai centré ma conférence sur les modalités de rencontres et de partages de connais-sances entre chercheurs et bergers, ainsi qu’autour des relations entre pratiques pastorales et enjeux de conservation de la biodiversité. Les questions, au cours des 20 minutes allouées, ont été focalisées sur la reconnaissance et la légitimation scientifique des savoirs de bergers et sur l'attention à porter au risque de traductions trop appauvrissantes dans les cahiers des charges de politiques publiques.

10 http://goodlandproject.com.au 11 https://researchers.anu.edu.au/researchers/daniell-ka

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4.2. ‘Public Lecture’ à l’Université de Western Australia, Perth (31 mars) Ma conférence d’une heure, co-signée cette fois avec Fred Provenza (retourné à cette date aux États-Unis), était intitulée : When Animal Scientists Meet and Work with Herders …in France. Dean Revell et son plus proche collaborateur à l’UWA, Philip Vercoe, Deputy Director of the Institute of Agriculture and Professor, School of Animal Biology, m’avaient demandé d’insister sur nos démarche, dispositif et méthodes de recherche avec des bergers, associant tout un panel d’approches disciplinaires, depuis les sciences biologiques jusqu’aux sciences sociales. Comment tenter de comprendre et modéliser cer- taines pratiques, et identifier ensuite des questions originales à traiter en sciences animales et agro-nomiques ? Face à ce public d’universitaires, dont plusieurs chercheurs en sciences animales, j’ai présenté aussi quelques résultats marquants sur les modalités et conséquences du pilotage de l’appé-tit chez le ruminant en troupeau. L’auditoire a été très intéressé, si j’en juge par l’abondance des questions et commentaires, y compris et surtout après la courte séance. Cette Public Lecture étant d’accès libre et bien annoncée sur le cam-pus, nous avons compté dans l’auditoire une dizaine de Postgraduate students, ainsi qu’une vingtaine de scientifiques, dont : - PR Kadambot Siddique, Director of the UWA’s Institute of Agriculture ; - PR Graeme Martin, School of Animal Biology, UWA – reproductive physiology and endocri-nology, farming systems ; - PR Associé Dominique Blache, School of Animal Biology, UWA – reproduction, welfare, ethics ; - PR Assistants – Dr David Masters (ex-CSIRO) & Dr Bruce Macintosh ; - Consultant (Animal nutrition) - Dr John Milton ; - Chercheurs au Department of Agriculture and Food de WA - Dr Perry Dolling ; Dr Tony Schlink ; - Dr Gus Gintzburger, ex-INRA, ex-CIRAD-Econap, ex-Icarda, aujourd’hui Badia Consulting. 4.3. Conférence auprès d’éleveurs bovins du Nord-Ouest WA, Lyndon-Towera (3 avril) J’étais cette fois sur un ranch à bovins (Lyndon-Towera Station : 450.000 ha12, 8000 têtes, dont 3500 mères à veaux), dans l’Outback du Nord-Ouest de WA, et toujours en compagnie de Dean Revell. Un groupe d’éleveurs, dont nos hôtes Sean & Cath d’Arcy, y tenait une réunion de concertation entre voisins. À cette occasion, nous leur avons proposé deux petites conférences enchaînées. La mienne : Shepherding Art in France : How to take full advantage of forage diversity ; puis celle de D. Revell : Rangeland Self Herding : Positively influencing grazing distribution to benefit livestock, landscapes and people. Je précise que le plus proche voisin venait de 50 km (1 heure de route par la piste en terre), et les autres d’encore plus loin. La réunion se tenait en début d’après-midi (40°C à l’ombre), dans un local ouvert mais « rafraichi » par un ventilateur industriel. Je crois qu’il fallait bien la motivation de la réu- nion entre voisins pour assister à nos conférences… La difficulté à motiver des réunions et débats col-lectifs avec les éleveurs, en raisons des très grandes distances à parcourir, de la chaleur et des journées courtes à hauteur du Tropique, est une contrainte forte pour les chercheurs et conseillers d’appui à l’élevage australien. Sean et Cath d’Arcy ont dit leur intérêt pour ma petite conférence particulièrement illustrée, de même que quelques éleveuses ou épouses d’éleveurs. L’une d’entre elles m’a dit : « Je saisis très bien le bé-néfice du shepherding tel qu’il se pratique en France. Moi-même, lorsque je vais voir mes vaches, je les siffle et elles viennent toutes vers moi. C’est pratique. [Avec un sourire] Mais mon époux ne procède pas du tout comme ça, et il se moque d’ailleurs parfois de moi. ».

12 À titre de comparaison : les départements du Vaucluse et du Gard font respectivement 356.700 et 585.300 ha.

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5. Visites d’élevages et « séjour à la ferme »

En Nouvelles Galles du Sud, j’ai fait deux visites d’une journée chacune dans des élevages ovins (Eugo-wra et Grenfell), suivies d’un séjour de 4 jours dans un élevage mixte (Narromine). Dans l’Outback, au nord de l’Australie de l’Ouest, j’ai également passé 2,5 jours sur une Cattle Station (Lyndon-Towera). Que retenir de ces visites ? Bien sûr, et malgré mes expériences déjà acquises au Brésil, à l’Ouest des Etats-Unis, et parfois aussi en Afrique sub-saharienne, vient en premier la perception de l’immensité des espaces consacrés à l’élevage ainsi que du nombre de têtes de bétail. C’est un fait que les éleveurs australiens m’ont répété : « L’Australie : 23 millions d’habitants, 75 millions de moutons et 30 millions de vaches » (chiffres confirmés par la FAO).13 Et pourtant, j’ai aussi perçu que, surtout chez les éleveurs ovins, la déprime et parfois le découragement occupaient les esprits. Au cours de mes visites, j’ai été convié à visiter les bâtiments et équipements de tri pour la tonte, la plupart datant des grands-parents, ou arrières grands-parents, et tous aujourd’hui en ruine quasi complète. Un élevage et des paysages en pleine reconversion Depuis la fin des années 1980, le marché de la laine austra-lienne s’est effondré. En raison notamment de l’apparition sur un marché devenu mondialisé de la Chine et de l’Inde, producteurs de laine brute nettement moins chère. En 1991, les stocks de laine australienne avaient atteint 1,1 million de tonnes et il a fallu plus de 10 ans pour les écouler au prix bradé de 0,7 à 0,8 €/kg. Aujourd’hui, l’Australie reste le pre-mier producteur au monde (480.000 tonnes en 2015), suivi par la Chine (240.000 t) et les USA (150.000 t). La laine brute australienne est exportée à 70 % vers la Chine. Dans les éle-vages, les adaptations ont été diverses et parfois dras-tiques : 1. Réduction des effectifs ovins toutes catégories (effectif national divisé par deux depuis les années ’90) ; 2. Conversion de tout ou partie des troupeaux Mérinos à laine vers l’élevage ovin viande, à partir de croisements avec des races anglaises (Suffolk, Dorset, Coop-worth…) ; 3. Conversion vers l’élevage bovin viande ; 4. Sélection intensive des Mérinos pour produire de la laine « ultra-fine », vendue aujourd’hui 10 à 12 €/kg ; 5. en NSW (Murray Basin : 1 million km2), conversion des pâturages en monocultures continues de céréales, riz et coton GM, au détriment du système ovins-céréales. Ainsi, j’ai pu parcourir dans le Sud-Est de vastes paysages (les trajets se comptent toujours en heures), où les fermes ovines, la plupart converties en production d’agneaux, se retrouvaient comme des îlots ceinturés par de grandes cultures irriguées (pompages dans les quelques cours d’eau actifs et nappes aquifères) où les arbres et les haies avaient été tous arrachés, hormis réglementairement aux bords des cours d’eau. Les éleveurs se voient alors confrontés à deux phénomènes : une parfois brutale ra-réfaction de l’eau des nappes dans leurs excavations et systèmes de pompages pour l’abreuvement du troupeau ; un envahissement par les kangourous (souvent plusieurs centaines par ferme) venus se réfugier sur ces terres d’élevage où ils trouvent encore nourriture et abris, surtout les points d’eau et l’ombre aux pieds des eucalyptus ou des pins. Tout au long de la côte intérieure de l’Ouest (carte page 4, n° 5-6-7), j’ai pu observer grâce à deux vols de 2,5 heures à faible altitude, commentés par Dean Revell, que la situation était différente. Une fois quittée au nord de Perth la région agricole de WA, qui comprend beaucoup de cultures irriguées et encore environ 1 millions d’ovins, le paysage change brutalement. C’est l’espace pastoral de l’Outback australien (80 % de la surface du pays), entrelacé de rivières à sec et de dunes fossilisées. Vu d’avion,

13 A titre de comparaison, nous avons aujourd’hui en France 67 millions d’habitants, 5,5 millions de brebis (lait et viande) et 19 millions de bovins – Source : Webagri 2015.

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les traces d’élevage se limitent aux points d’eau artificiels (forages ou impluvium) et surtout à chacune de leurs « zones blanches » en périphérie, une expression des éleveurs pour qualifier les espaces très fréquentés et le plus souvent surpâturés autour des points d’eau. Avec de la chance, dans ces immen- sités ocres et grises, on aperçoit parfois une piste, rouge également, et encore plus rarement des bâ-timents d’élevage, reconnaissables par les quelques grands arbres et jardins irrigués ...donc verts. Mais j’ai surtout été frappé par un « ratissage » quasi-complet de ce paysage d’Australie de l’Ouest par des pistes généralement droites et perpendiculaires, grises cette fois, et souvent au nombre de 3 à 4 en parallèle. Une énigme à première vue, aucun débarquement d’Alien n’ayant été signalé. Il s’avère que ce sont là des prospections minières, datant pour la plupart de moins de 10 ans, qui investissent tout l’intérieur du pays, de même que le Brésil et certains pays d’Afrique, à la recherche de minerai de fer, charbon, bauxite, aluminium, uranium, diamants, or et terres rares. L’une des quatre sociétés dominantes, Rio Tinto Ltd, ayant tout comme ses concurrents la Chine pour principal client, rémunère actuelle-ment ses chauffeurs de camions avec des salaires plus élevés que ceux des cher- cheurs de l’Université de Perth. C’est la rai-son du boom immobilier récent à Perth, avec des terrains et des habitations princi-pales ou de villégiature dont les prix ont été multipliés par 4 ou 5 en 10 ans. Prospections minières et élevage pastoral font ils bon ménage ? Pas toujours, car les éleveurs non Aborigènes des Sheep Station et Cattle Station de l’Outback ne sont pas propriétaires de leurs pâtu- rages. Les terrains leur ont été cédés par le Commonwealth (bail renouvelable suite à évaluation an-nuelle de leur gestion pastorale). Or, la loi australienne autorise les sociétés minières à prospecter ces terrains et à y tracer les pistes pour les engins, après simple information écrite transmise aux éleveurs. Lorsqu’une ressource minière intéressante est trouvée, elles sont autorisées à ouvrir une mine, géné-ralement de taille très conséquente et à ciel ouvert, sans se soucier des nuisances pour les éleveurs et leurs animaux, et le plus souvent sans aucune forme de compensation14. Vu les trafics d’engins qui génèrent continuellement du bruit et de la poussière, les éleveurs choisissent de clôturer à distance toute la périphérie du terrain perdu. Un continent desséché À hauteur du tropique du Capricorne et plus au sud, le climat de l’Australie est désertique ou semi-aride. Les précipitations annuelles se situent entre 0 mm (fréquent au centre du pays) et 400 à 600 mm (plus près des côtes), avec un régime saisonnier variable et surtout devenu de plus en plus impré-visible : parfois pluies d’hiver, parfois pluie d’été. Plusieurs études ont tenté d’analyser les raisons de la désertification de l’Australie, certaines ayant été attribuées à l’arrivée d’Homo sapiens et de ses pratiques de brulis il y a 50.000 ans. Plus récemment, en raison du phénomène climatique El Niño, ce continent est confronté depuis 10 ans à une sécheresse prononcée. Sans oublier les vents parfois cy-cloniques, ainsi que les orages qui provoquent de gigantesques incendies dans l’Outback, mais aussi jusqu’aux abords des villes du Sud (par exemple : 71.000 ha incendiés en janvier 2016 au sud de Perth). L’eau est donc la ressource-clef, et elle se raréfie. Cette préoccupation s’est exprimée au cours de toutes mes visites d’élevages. Pourtant, en mars et début avril, soit seulement en « début de saison sèche », j’ai vu combien la sécheresse était déjà forte, et les ressources pastorales encore vertes très

14 Sur son site, la société Rio Tinto Ltd met aujourd’hui en avant des formes de mitigation liées à l’eau, à la biodiversité,

ainsi qu’aux peuples Aborigènes (http://www.riotinto.com/australia/rio-tinto-in-australia-9664.aspx). Selon D. Revell, les éleveurs ovins et bovins de l’Outback, non Aborigènes, ne sont pas concernés, ou rarement.

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disséminées ou quasi-absentes. Les bergers à qui j’ai montré mes photos en France m’ont déclaré : « Incroyable, on se croirait sur les coussouls à la fin juin ? » (date à laquelle les coussouls (steppe) de Crau, desséchés, ne sont plus pâturés, les troupeaux étant partis en transhumance d’été). Le bétail avait-il l’air de pâtir de la sécheresse ? Apparemment pas. Je ne suis pas en mesure de ré-pondre assurément pour les ovins, car les brebis et leurs agneaux ne m’ont toujours été visibles que de loin. Mais je peux affirmer que les bovins visités au Nord-Ouest (Lyndon-Towera Station), et qui ne recevaient en complément du pâturage que du sel et de l’eau, me sont apparus en bon état corporel et de santé (photo ci-dessous : jeunes animaux prêts à être vendus). Il est vrai que leur race est appelée Droughtmaster (‘maitre de la sécheresse’), issue de croisements initiés durant les années 1930 dans Queensland entre des Zébus brahmanes et des bovins anglais Hereford et Devon.15 Il est vrai aussi que leur éleveur, Sean d’Arcy, se préoccupait attentivement de la qualité sanitaire de ses points d’eau, ainsi que du bon fonctionnement de ses pompes : éoliennes traditionnelles ou panneaux solaires et batte-ries. Un jour, nous l’avons accompagné pour une tournée de vérification de six de ses points d’eau, sur les 75 au total de la Station : 6,5 heures d’activité, dont plus de 90 km de trajets sur piste.

15 Voir : http://www.droughtmaster.com.au/

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Quelles pratiques d’élevage et de pâturage ? Vu les conditions rigoureuses de climat et de ressources, quels sont les calendriers d’élevage et les pratiques de pâturage ? Brossé ici à grands traits, car je n’ai pas eu l’occasion d’aborder ces questions en détails avec les éleveurs16, il m’est apparu que seul l’élevage ovin viande de Mike Rosser, à Eugowra (NSW), considérait avec grand soin l’allotement du troupeau, et pratiquait un pâturage en rotation, pensé selon les catégories d’animaux, leurs besoins alimentaires, et la présence ou non des béliers auprès des femelles en âge de reproduire. Mike et Lucy Rosser, qui sont également gestionnaires de Argyle Station (45.000 ha et 5.000 brebis, à Wanaaring, dans l’Outback de NSW), ont à Eugowra une ferme bien plus modeste17 et surtout plus arrosée par les pluies. Elle est située dans un massif gréseux fait de collines boisées et de petites vallées (on se croirait en Lozère). Elle appartenait avant à une communauté de huit familles de colons irlandais.

L’ouvrage de référence de Mike Rosser, évoqué aussitôt

notre arrivée, est celui d’Allan R. Savory (Holistic Manage-ment: A New Framework for Decision Making, Island Press

1999). Écologiste originaire d’Afrique du Sud, A. Savory a fondé en 2009 et préside Savory Global, une fondation et un réseau international populaire chez les éleveurs anglo-saxons pour ce qui a trait aux principes et à la gestion des pâturages en milieux secs, ainsi que la lutte contre la déser-tification.18 Les murs du bureau de M. Rosser sont d’ailleurs tapissés de photos aériennes, cartes et Grazing Control

Charts, calendriers de pâturage informés au jour le jour, où

sont calculés chaque mois les bilans d’effectifs par catégo-ries d’animaux dans les parcs, les pressions de pâturage, ainsi que les précipitations du mois et du même mois de l’année précédente. Seuls M. Rosser et son employé travail-lant sur la ferme, ces enregistrements leur servent à ajuster le pâturage tournant ainsi que la pression de pâturage. Il est à noter que M. Rosser pratique de même à Argyle Station, un élevage aux dimensions bien supérieures (45.000 ha) et nettement plus habituelles en Australie. Dans les autres élevages visités, ovins ou bovins viande, les pratiques me sont apparues pour le moins différentes. J’ai eu l’impression que prévalait avant tout la règle de la simplification maximale du travail et, en corolaire, de l’attention portée au troupeau en dehors des moments de « récolte » des produits, animaux prêts à la vente. Comme le signale Vincent Bellet (Idele), suite à sa mission 2012 en Australie19, lorsque le pâturage tournant ou d’autres actions de gestion des ressources pastorales ne sont pas prévus, les interventions sur un troupeau ovin sont limitées à quatre par an : • la tonte des brebis viande (généralement en été, février) ou celle des Mérinos (jusqu’à 3 tontes par an), toujours avec main-d’œuvre spécialisée et recrutée à la journée ; • les interventions groupées sur les agneaux, 6 à 12 semaines après l’agnelage, avec le tagging (marquage), la castration, l’équeutage, le museling (retrait de la peau autour de l’anus afin de limiter les myiases), et parfois une vaccination ;

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Les discussions entre les éleveurs et Dean Revell, la plupart menées au cours des longs trajets en 4x4 sur piste, se dérou-laient dans un anglo-australien rapide et truffé de jargon. Elles ne m’ont pas toujours été ‘traduites’ ensuite par Dean dans en anglais plus courant. Au retour à la ferme, le soir, nous étions le plus souvent fatigués, assoiffés, et couverts de pous-sière. Je n’avais alors pas le courage de reposer toutes mes questions notées en chemin. 17 Eugowra Farm au moment de notre visite : 1350 ha, 96 parcs, 3200 brebis Dorper et leurs 1800 agneaux, ainsi que 1100 agneaux Mérinos achetés et à revendre en fonction des prix du marché. 18 Voir : http://savory.global 19 Bellet V., 2010. Aperçu de l’élevage ovin viande australien : présentations du séminaire Agribenchmark et visites en Wes-tern Australia (Juin 2012), doc. Idele, Paris : 22 p.

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• le crutching (6 mois après la tonte, en hiver, d’août à octobre), qui consiste à enlever la laine et les crottes à l’arrière-train de l’animal afin de se prémunir contre les myiases cutanées ; • Le sevrage, avec, supposons-le, les premières options de sélection, côté mâles comme côté femelles. Dans cette logique de minimiser surveillance et travail, après sélection des brebis ayant réussi à s’adap-ter, il n’y a pas de parage d’onglons. Ceux d’une brebis ayant de bons aplombs doivent s’user de façon équilibrée et les brebis ayant de mauvais aplombs ne sont pas conservées. Enfin, ce qui m’a particuliè-rement surpris lors de mes visites, c’est le peu d’attention accordé aux brebis venant de mettre bas, alors même que nous étions en début de saison sèche et qu’il y avait parfois des agneaux doubles. Les brebis ne voyant pas souvent leur éleveur, ni d’autres employés de l’élevage, elles mettent bas parfois au milieu du troupeau, mais aussi et plus souvent à l’ombre, abritées sous les arbres et les buissons. Et lorsqu’il est question de déplacer un des lots de brebis d’un parc dans l’autre, j’ai vu à plusieurs reprises, depuis le véhicule, des brebis à la traine par souci de leurs agneaux nouveau-nés. À la question de savoir s’il ne serait pas judicieux de charger ces quelques agneaux à l’arrière du pick-up, la réponse a généralement été : « Non, je les retrouverai dans quelques jours à la porte du parc. » A une occasion, elle me fut complétée par : « …espérons que le renard ne viendra pas cette nuit. » V. Bellet (Idele) signale d’ailleurs que, dans les documents zootechniques australiens en élevage, le lambing rate (taux de mise-bas) est en réalité un tagging rate (taux de marquage des agneaux), ce dernier n’étant réalisé que 6 à 12 semaines après l’agnelage, donc parfois après plusieurs passages de renards, d’aigles, ou de chiens sauvages. J’ai constamment croisé (de loin) des agneaux de tous âges, et y compris quelques nouveaux nés. Nous étions en période d’agnelage de rattrapage à l’automne (avril-mai), l’agnelage principal se déroulant en hiver (juillet-août). En théorie, l’objectif des éleveurs est d’augmenter leurs chances de finition des agneaux au pâturage, grâce à des poids plus lourds au sevrage. Mais en raison de la « loterie des

pluies » (expression d’éleveurs) vécue depuis 10 ans, la pratique s’oriente chez la plupart vers une présence permanente de béliers dans les lots. Cette option, qui me fut parfois qualifiée de « Laissons faire la nature ! », s’avère peu rentable les années où, les nébulosités augmentent, les températures changent, mais les pluies demeurent rares ou inexistantes durant plusieurs semaines ou mois. Lorsque la période de production d’agneaux se trouve décalée par rapport à la pousse ou repousse de l’herbe, ceci entraine bien évidemment des coûts importants et imprévus pour la complémentation des brebis en céréales et graines d’oléo-protéagineux. Je ne m’aventurerai pas à exposer ici les différents prix de vente des agneaux australiens, selon leurs états, sachant que les pratiques de finition sont apparemment très variées et variables. Les Wether

lambs (mâles castrés de 18 mois, Mérinos ou croisés) sont exportés vivants et principalement au

Moyen-Orient. Les autres agneaux croisés partent sous forme de carcasses vers une multitude de des-tinations (Chine, USA et Papouasie Nouvelle-Guinée, en tête)20, à partir de prix payés aux producteurs (agneaux lourds) qui fluctuent autour de 2 €/kg (5 à 7 €/kg lors de leur vente au détail en France). Si on ajoute à cela qu’un éleveur australien de brebis viande croisées peut, au mieux, espérer obtenir 45 à 50 € pour de jolies femelles reproductrices âgées de 3 ans et en excellent état21, à savoir la moitié du prix pratiqué en France pour des races du sud du pays (Mérinos d’Arles, Mourérous, Raïole…), on com-prend mieux aussi pourquoi les éleveurs appliquent ici la règle du « travail minimum », et donc des coûts minimum, et jouent la carte des gros effectifs qui compenseront tout ou partie des pertes de brebis adultes ou d’agneaux en cours d’années. Pour ce qui concerne l’élevage bovin viande dans l’Outback, et sachant que je n’ai visité qu’un seul élevage (vol et route compris, plusieurs jours à y consacrer…), j’ai compris que les interventions au troupeau consistaient surtout en une séance de mustering par mois (rassemblement et tri des animaux

20 France AgriMer, 2015. Marché mondial de la viande : un commerce en mutation. Les synthèses de France AgriMer, 22. 21 Enquête personnelle faite le 21 mars à Dubbo, au cours des enchères hebdomadaires sur l’un des quatre marchés au bé-tail du pays.

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jugés prêts à la vente). Il faut ajouter à cela les vérifications de clôtures et de points d’eau, ces derniers étant le principal si ce n’est l’unique moyen de pilotage des animaux au pâturage. Ponctuellement, il est question aussi de réapprovisionner les distributeurs de compléments minéraux ou de céréales en libre-service. Vu les longs trajets à faire, toutes ces activités occasionnent de l’attention, de l’anticipa-tion, et en fin de compte du travail en abondance. Sur la Lyndon-Towera Cattle Station (8000 bovins), travaillent 6 adultes en permanence, plus une en-seignante à demeure pour la scolarité des 8 enfants et adolescents (dont 2 Aborigènes adoptés). Il y avait également 5 employés saisonniers, dont deux woofers venus d’Europe. J’ai eu la chance d’être présent la veille (dimanche) et le jour de départ d’une opération mensuelle de mustering, pour laquelle sont arrivés dans la nuit 5 autres adultes recrutés pour l’occasion. En quoi consiste un mustering ? Sur ces 450.000 ha, il s’agissait d’abord de consacrer une pleine jour-née à préparer les camps, véritable transhumance à disperser par groupes vers différents secteurs du territoire. Ensuite, rassemblements et tris des animaux jugés prêts à la vente, ces derniers étant à récupérer pour finir à côté des parcs de tri par les Train trucks (camion-trains) à bétail de l’acheteur. L’opération était prévue pour durer 10 jours et une armada d’engins à moteurs était mobilisée : un petit avion (piloté par Sean d’Arcy, l’éleveur), deux bétaillères, 5 à 6 véhicules 4x4 pick-up, une bonne dizaine de quads (ici appelés Polaris®) et l’équivalent en nombre de motos tout terrains (pas de che-vaux ou d’hélicoptère utilisés sur cet élevage). J’ai senti à quel point cette opération engageait tout le monde. Elle était préparée de façon similaire à celle d’une cordée d’alpinistes s’apprêtant à conquérir une montagne difficile : avec joie mais aussi un peu d’appré-hension. L’un des préparatifs était d’ailleurs de vérifier le bon fonctionnement des moyens de communication. Lorsqu’on se retrouve blessé dans l’Outback, ou mordu par un serpent, et sachant que l’hôpital le plus proche est ici à trois heures de vol du petit avion, mieux vaut être en mesure de communiquer vite et sans la moindre difficulté. C’est notamment à l’occasion des mustering que l’éle-veur en profite aussi pour jeter aussi un coup d’œil, vu d’avion, à l’état des ressources de ses parcs, sachant que la plupart font plusieurs milliers d’hectares. Il m’a assuré qu’il complétait par des visites au sol, sur certains lieux-témoins, notamment ceux particulièrement sensibles à la sécheresse et au surpâturage. J’ai compris qu’il n’y avait qu’un mode principal d’ajustement : décider de retirer ou de rajouter des animaux dans un parc, puisque quasiment tous les parcs étaient continuellement pâturés.

Sean d’Arcy s’est également montré très en colère envers les contrôleurs de l’État de WA, venant chaque année évaluer sa gestion pastorale : « Ils me critiquent sur mon chargement parfois excessif, alors qu’ils ont des bases de données sur la ‘Carrying capacity’ qui datent de 30 ou 40 ans, et surtout qu’ils ne visitent que quelques pourcents du terrain ! » Il n’y a pas de P.A.C. en Australie, mais les rela-tions aux contrôleurs me semblent parfois de même nature qu’aujourd’hui en France. Ici, l’enjeu est de renouveler ou non le bail du terrain entre le Commonwealth et l’éleveur, ce qui n’est pas anodin. Retirés des pâturages de l’Outback, les jeunes bovins et broutards vendus « maigres » sont pour la plupart envoyés dans l’un des 450 feedlots australiens, un secteur d’activité en pleine croissance.22 Au total, malgré les sécheresses imposant le déstockage au pâturage, l’Australie, avec le Brésil, l’Inde et les États-Unis, domine toujours le marché mondial de la viande bovine.

22 http://feedlots.com.au/industry/feedlot-industry/about/

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Des relations toujours distantes et parfois violentes envers le bétail Depuis 35 ans que je fréquente des fermes d’élevage, en Europe ou ailleurs, j’apprécie toujours d’es-sayer de passer un peu de temps auprès des animaux, brebis, chèvres ou vaches, que ceux-ci soient à l’étable, au pré ou en pleine nature. N’étant ni éleveur ni berger, j’y trouve un intérêt professionnel d’éthologue de terrain, mais aussi et surtout une occasion de communiquer par la voix et le regard, si ce n’est par le toucher. Comme le savent mieux que moi les bergers et éleveurs, ceci procure souvent une forme de sérénité. Parfois les choses se passent mal, par exemple lorsque des brebis ou des vaches, malgré tous mes patients efforts, refusent ma présence à moins de 50 mètres, après avoir pourtant vérifié que je n’étais pas accompagné d’un chien. Le plus souvent, les choses se passent très bien, et je suis alors en mesure de prendre d’abondantes photos. Or, d’Australie, je n’ai rapporté aucune photo de brebis vues de près, mises à part celles tassées dans les enclos du marché au bétail de Dubbo. Dans les élevages, j’accompagnais l’éleveur, en voiture, au-cun chien n’étant au dehors ni même à l’intérieur du véhicule, mais les brebis fuyaient toutes à notre approche. J’avais alors le sentiment désagréable que ces brebis se considéraient face aux humains, éleveur compris, comme des proies. Je n’avais encore jamais vécu pareille expérience, ni au Brésil avec les gauchos, ni aux Etats-Unis avec les cow-boys, au comportement pourtant « rude » envers le bétail, ni même dans les Réserves de faune sauvage en Afrique du Sud. A ce stade de mon rapport, je juge utile de rendre compte, par un récit assez détaillé, d’évènements survenus au cours de mon séjour sur l’élevage de Bruce Meynard (Narromine, NSW). Ce dernier est, rappelons-le, l’éleveur m’ayant invité en titre au titre de l’Australian BEHAVE Consortium (voir en tout début de rapport) et enseignant de Stress Free Stockmanship.

Mercredi 23 mars vers 11 h, B. Meynard m’a proposé de l’accompagner en voiture pour vérifier l’état d’un de ses points d’eau. A notre arrivée, nous avons trouvé, à côté du point d’eau presque à sec, environ 300 brebis et agneaux à l’ombre et au repos, qui n’étaient pas sensés se trouver là. À environ 200 mètres, une grosse branche d’eucalyptus s’était brisée et avait en partie couché la clôture de 5 rangs d’épais barbelés (voir photo ci-contre), ce qui avait probablement permis aux brebis de passer d’un parc dans l’autre. Ayant décidé de les re-conduire aussitôt dans leur parc d’origine, l’éleveur a commencé à les pousser, en zigza-guant à l’arrière du troupeau avec son véhicule (il n’a pas de chien de travail). Après quelques minutes, il m’a demandé de descendre du véhi-cule afin d’aller pousser également à pieds, sur l’un des côtés du troupeau qui risquait de con-tourner le véhicule. J’ai poussé, calmement, avec les deux bras tendus et en parlant aux bre-bis. Tout m’avait l’air de bien se passer. Seul problème : au vu des lieux, je ne compre-nais absolument pas où l’éleveur désirait faire repasser ses brebis. Nous partions à l’opposé de l’endroit où la clôture avait été en partie cou-chée, poussant les brebis vers un coin du parc où les barbelés étaient toujours tendus, et sans porte de communication. A un moment, les brebis se sont d’ailleurs elles aussi senties coincées, car elles se sont toutes retournées et m’ont fait face, oreilles dressées. Depuis le véhicule, l’éleveur m’a fait des grands gestes pour m’inciter à les pousser davantage. C’est alors que j’ai vu non loin de là, au coin du parc, un cadavre frais de brebis écartelé dans les barbelés, et déjà à moitié dépecé par les corbeaux.

Jugeant que j’y allais de façon vraiment trop timorée, l’éleveur est descendu de voiture et il a commencé à pousser à son tour, mais de façon nettement plus radicale que moi. Les brebis ont commencé à passer à travers les 5 rangs de barbelés, certains étant moins tendus, d’abord une à une, puis par paquets entiers.

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Plusieurs se sont retrouvées accrochées au dos ou aux pattes, certaines sont tombées puis se sont rele-vées, et toutes se sont engagées de façon de plus en plus précipitée, si ce n’est paniquée, piétinant parfois des agneaux au passage.

A ma remontée dans le véhicule, j’ai d’abord dit à l’éleveur que, comme il ne m’avait rien précisé, je n’avais pas compris la manœuvre d’avoir à faire passer les brebis dans ce coin de parc et à travers les barbelés. Il m’a répondu qu’il était bientôt midi, et qu’il n’avait plus le temps de les ramener où elles étaient probablement passées, et encore moins de les pousser plus loin, vers une porte. Je suis resté muet, mais il a bien évidemment compris que je n’avais pas du tout apprécié la séance.

Dans l’après-midi, nous sommes retournés dans les parcs pour réparer des portes et des portions de clôtures (cet élevage dispose d’un total de 100 km de clôtures, barbelés et/ou grillages métalliques). En passant avec le véhicule, nous avons croisé un autre lot de brebis et d’agneaux qui n’était pas là où il était prévu qu’il soit. Cette fois, l’éleveur est d’abord allé en voiture tout au fond du parc, ouvrir deux battants de porte métallique. Puis nous sommes revenus pour pousser les brebis vers cette porte. Ceci nous a pris un moment, car il y avait en-viron 800 mètres à parcourir et que plu-sieurs brebis avaient un ou deux agneaux ayant du mal à suivre.

Arrivés à l’approche de la porte, dont les deux battants n’étaient pas complète-ments ouverts, toutes les brebis se sont arrêtées. L’éleveur a recommencé à faire des zigzags pour pousser avec la voiture, tout comme le ferait un chien de trou-peau. Mais, rien à faire : ces brebis ne se décidaient pas à passer la porte. Il est possible qu’elles ne souhaitaient pas re-tourner dans le parc d’où elles venaient de sortir d’elles-mêmes.

C’est alors que j’ai posé la question de savoir pourquoi ne pas plutôt y aller à pieds, ouvrir plus complètement les bat-tants de cette porte, puis appeler le trou-peau ? B.Meynard m’a alors expliqué d’un ton docte que : « Nous avons tous

un instinct de prédateur, et nous sommes donc enclins à contourner et pousser les animaux ». « Qui ça, nous ? » lui ai-je demandé. Il m’a répondu : « Tous les humains, c’est notre instinct ! » J’ai lui alors dit

que je connaissais des humains, dont plusieurs bergers, et y compris moi, qui n’avions pas cet instinct et qui apprécions que des brebis ou des vaches viennent vers nous à notre appel. « Foutaise ! » m’a t-il répondu, « Lorsqu’on fait comme ça, on brise la structure sociale du troupeau ! » Voyant mon air dubitatif, il n’a pas souhaité poursuivre et, comme les brebis étaient toujours bloquées, en tas, devant la porte, il est sorti du véhicule et a hurlé sur elles en faisant de grands gestes avec les bras. Toutes sont aussitôt parties en se bousculant à travers la porte.

Le surlendemain, vendredi 25 mars, il était prévu que B. Meynard me conduise au sud de Canberra, chez trois éleveurs ovins, dont deux ayant été présents au séminaire de Dubbo. Mais il a jugé préfé-rable de me déposer sans m’avertir devant un hôtel du centre ville, ayant payé pour 4 nuits à mon nom, et d’annuler ainsi tous mes autres rendez-vous. Il est probable que B. Meynard, enseignant le Low Stress Stewardship, n’ait pas voulu prendre le risque que je témoigne auprès de collègues au sujet de sa pratique de conduite des brebis, qui contraste avec le contenu de ses enseignements. Je n’en avais bien entendu aucune intention. Cette expérience fut-elle purement conjoncturelle, suite à un état de fatigue chez cet éleveur ? Était-il stressé par une série de problèmes sur sa ferme, à commencer par l’assèchement de ses points d’eau et l’état assez poreux de ses clôtures ? Après enquête, il semblerait que non. La conduite violente du bétail reste en effet une affaire courante en Australie, mais elle est désormais prise en considération.

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Preuve en est l’abondance des offres de formations professionnelles ayant pour but, depuis le milieu des années 1990, à « déstresser » les animaux, ou à réduire leur stress, lors des regroupements, tri et transports. Ces formations sont inspirées de celles initiées aux États-Unis et au Canada, suite aux tra-vaux précurseurs de Temple Grandin, mais aussi d’un éleveur et formateur de l’Alberta, Bud Williams.23 Elles m’apparaissent ici promues au regard du souci des pertes économiques liées aux animaux stres-sés et contusionnés, dont la viande perd en qualité, ou qui parfois aussi décèdent durant les transports, plutôt qu’en raison du welfare chez les animaux d’élevage. En Australie, le précurseur a été un éleveur du Queensland, Jim Lindsay, ayant fondé en 1992 et avec plusieurs collègues des écoles de Low Stress Stockhandling (LSS) ainsi que des formations de chiens de troupeau.24 Aujourd’hui, des sessions de formations pratiques sont également proposées aux éleveurs et à leurs employés par les organismes d’enseignement agricole des États, tel le Muresk Institute en WA.25 Je me suis aussi rendu compte, ceci m’ayant été confirmé ensuite par Dean Revell et par d’autres cher- cheurs d’Universités, combien dominait en Australie un modèle de conduite d’animaux particulière-ment rude et presque exclusivement masculin (voir illustration à la page 8). « Nous (les humains) avons tous un instinct de prédateur ! » Cet argument de Bruce Meynard est semble-t-il partagé avec résolu-tion et fierté par beaucoup d’éleveurs australiens. C’est la raison du succès rencontré par la pratique du mustering à l’aide d’hélicoptères ayant à compléter le rôle de rabat-teurs des humains à cheval ou en quads. Elle a été introduite en Aus-tralie à la fin des années 1970 par des vétérans de la guerre du Viet-nam. C’est également la raison pour laquelle la plupart des chiens de troupeau, Australian Kelpie, bou-viers et autres, se retrouvent avec une muselière aussitôt quittée la ferme. Ils sont en effet dressés à se comporter avec une constante agressivité envers le bétail, et sont presque uniquement utilisés pour les opérations de tri, de tonte et de transport. Ceci, du fait que leur apparition, généralement à plusieurs, provoque souvent la panique chez des animaux même habitués (voir photos aux deux pages suivantes). Au cours du séminaire de Dubbo, et ensuite lors d’échanges complémentaires par mails, des éleveurs, et plus particulièrement des éleveuses, m’ont confirmé que : « Il est vrai que nous travaillons le plus souvent avec nos chiens comme dans (le film) Mad Max. » Vincent Bellet (Idele) décrit également12 des brebis australiennes relativement « sauvages », ainsi que des chiens qu’il juge « peu efficaces ». Dans ce pays de colonisation européenne somme toute récente, ne serait ce pas là aussi les consé-quences de générations d’éleveurs de grands troupeaux de brebis à laine, où seules les opérations de tonte rythmaient les rares contacts entre humains et bétail ? Ces éleveurs, convertis depuis en pro-ducteurs d’agneaux ou de vaches à viande, n’auraient pas encore reconsidéré toutes leurs pratiques… Des éleveuses australiennes, ou épouses d’éleveurs, lorsqu’elles n’ont pas choisi elles mêmes d’adop-ter le herding-style du stéréotype masculin, tentent aujourd’hui de réinterroger, mais discrètement, les pratiques violentes envers le bétail. Suite à leur lecture de notre ouvrage collectif sur les savoirs et pratiques de bergers en France, certaines ont tenu à m’en faire écho, mais tout en me demandant de ne surtout pas les citer nominativement.

23 http://stockmanship.com 24 http://www.lss.net.au/training.htm 25 http://www.dtwd.wa.gov.au/trainingproviders/mureskinstitute/shortcourses/Pages/Low-stress-livestock-handling---Handle-livestock-using-basic-techniques.aspx

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Par contraste, j’ai été heureux de constater à Lyndon-Towera Station, lorsque nous avons accompagné l’éleveur dans une tournée de vérification de ses points d’eau, que ses bovins couchés et ruminants à l’ombre des arbres ne se levaient même pas à l’approche du véhicule (voir photo ci-dessous). Au total, nous avons croisé 6 lots de vaches, veaux, taurillons et génisses, tous autour de leurs points d’eau respectifs. Dans le silence d’un Outback surchauffé et sans vent, ces animaux nous avaient certaine-ment entendu venir de loin. Ils reconnaissaient ce véhicule, ainsi que son chauffeur. Comme aucune distribution d’aliment n’était attendue, je n’ai perçu aucun stress, y compris chez les veaux, juste un peu de curiosité à notre égard. Sean m’a précisé qu’il n’utilisait plus de chiens, « qui sont vraiment trop brutaux. » Mais il m’a dit aussi (avec un large sourire) : « Après-demain, pour le mustering, ça se passera un peu différemment ! » Faisons l’hypothèse que ces animaux discernent sans peine entre le son d’un unique véhicule et celui de toute une armada d’engins : avion, camion(s), quads et motos.

6. Accompagnement/formation d’une éleveuse de brebis à laine en Tasmanie

Vue d’Australie, la Tasmanie, c’est la porte à côté. Mais il m’aurait fallu une semaine de plus pour me rendre jusqu’à Oatlands, chez Nancy A. Bray, avec qui Fred Provenza et moi avons des échanges suivis depuis 2014. Son mode d’élevage n’est pas ordinaire. Elle est engagée, comme je l’ai indiqué à propos de mes contacts antérieurs (page 4), dans des innovations tout à fait intéressantes. D’origine nord-américaine, Nan Bray était une scientifique réputée en physique marine et océanogra-phie. Elle a d’abord travaillé à l’Université de Californie San Diego, puis elle a été Chief of CSIRO Marine Research. Reconvertie en 2010 dans l’élevage de brebis à laine fine, elle était depuis lors en contact avec F. Provenza. En 2013, elle avait co-signé avec lui et Dean Revell un article dans Rangelands, à propos des approches scientifiques et de gestion des processus complexes et dynamiques, tels les « comportements de paysages » ou l’environnement et ses ressources.26

26 Provenza F.D., Pringle H., Revell D., Bray N.A., Hines C., Teague R., Steffens T., Barnes M., 2013. Complex Creative Sys-tems: Principles, Processes, and Practices of Transformation. Rangelands, 35: 6-13.

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Après achat de 1600 Australian Saxon Merino,27 N. Bray a d’abord testé toutes les formes habituelle-ment recommandées de gestion du pâturage : division de ses 390 ha en 14 parcs clôturés, estimation de la carrying capacity de chacun selon les saisons pour organiser un pâturage tournant, ajustement des pressions de pâturage, mise en culture d’une parcelle de luzerne. En Tasmanie, elle a subi de plein fouet plusieurs années consécutives de forte sécheresse, ce qui l’a obligé à annuler certaines saisons de reproduction, puis à réduire de moitié l’effectif de son troupeau. Réussissant à produire néanmoins une laine fine de qualité, bien valorisée via internet sous forme de pelotes teintées, elle avait le senti-ment que ses brebis n’étaient jamais satisfaites, surtout dans les parcs hétérogènes où elles avaient tendance à pâturer continuellement sur les mêmes secteurs, en dépit de ses rotations de parcs. Au fil des années, ce comportement, ainsi que les sécheresses, réduisaient parfois considérablement la qua-lité et quantité de ses ressources. En 2014, N. Bray a lu notre ouvrage en anglais sur les savoirs et pratiques de bergers en France. Cela l’a enthousiasmé. Elle y découvrait autant les pratiques de bergers que notre travail de scientifiques visant à mieux les comprendre et à les modéliser. Elle a donc décidé de s’en inspirer, et a entrepris, avec notre aide directe par nombreux échanges de mails, de tenter de pratiquer des Shepherding cir-cuits (circuits de gardiennage) quotidiens, ce qui impliquait de modifier de fond en comble sa relation au troupeau et son usage des ressources sur le territoire. Le pari était risqué. En effet, nous partions d’une relation déjà établie et stable entre un humain, son troupeau et ses chiens (Border-Collies, ou croisés Kelpie), reproduisant les pratiques usuelles en Aus-tralie : humain constamment motorisé, apparaissant ponctuellement afin d’ouvrir ou fermer les portes des parcs, et chiens uniquement habitués à foncer sur ordre vers le troupeau afin de le rabattre vers une porte entre parcs, ou dans un enclos. L’enjeu était d’autant plus complexe qu’il s’agissait de réussir à modifier des relations de travail sur un territoire déjà bien connu des brebis, qu’elles considéraient comme le « leur », et non pas sur un nouvel espace, avec un autre humain et d’autres chiens.28 L’une des clefs de la réussite de Nan Bray a été de « dédoubler l’humain » en deux personnages aux comportements distincts et aisément identifiables par le troupeau, même vu de loin. D’une part, l’éle-veuse déjà connue, habillée de même, au volant de son Polaris®, agissant comme à son accoutumée. Et d’autre part, un autre jour, apparition d’un nouveau personnage, circulant cette fois à pieds, habillé différemment (chapeau, bâton et sac à dos), et surtout utilisant un artéfact sonore inédit en tant qu’identifiant de ses attitudes nouvelles envers les brebis. L’autre clef de réussite a été de travailler au repérage des possibles « guides » du troupeau, au sens des bergers en France, à savoir des brebis qui étaient à la fois : i/ curieuses et visiblement enclines à répondre plus volontiers aux sollicitations origi-nales de l’humain et de ses chiens ; ii/ susceptibles d’acquérir du « charisme », pour que le reste du troupeau accepte de les suivre. Il a d’ailleurs été intéressant de voir à quel point ceci a provoqué des désaccords, parfois même des conflits, avec les habituelles brebis « leaders » du troupeau, celles qui officiaient avant, lorsque le troupeau était laissé au pâturage sans berger. Signalons aussi que le dé-sapprentissage, suivi du réapprentissage des trois chiens, n’a pas été l’opération la plus aisée. Après 6 à 8 mois d’observation, de patience et d’ajustements, Nan Bray a réussi son pari. Depuis, elle mène ses brebis sur des circuits de pâturage (par demi-journées), appuyés sur les « biais » du troupeau et du territoire, enchainant différents secteurs complémentaires, provoquant des synergies entre res-sources, tout comme le fait une bergère expérimentée en France. Elle le décrit sur son blog29 , abon-damment illustré de photos (voir exemples page suivante), qui bénéficie de 960 abonnés. Cette pratique a modifié son rapport aux ressources autant qu’au troupeau. Elle laisse à présent grandes ouvertes la plupart de ses portes de parcs, puisqu’elle cherche avant tout à tirer profit des complé-mentarités sur son territoire plutôt que de l’offre fourragère spécifique sur telle ou telle parcelle.

27 http://catskill-merino.com/saxon-merino-sheep 28 Voir à ce propos : Despret V., Meuret M., 2016. Composer avec des moutons : lorsque des brebis apprennent à leur berger à leur apprendre. Cardère Ed., Coll. Hors les Drailles, Avignon, 149 p. 29 http://whitegumwool.com.au/blog/ & http://whitegumwool.com.au/category/shepherding/

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Avant :

l’humain, motorisé, ouvre et ferme les portes des parcs, et les brebis se tiennent à distance.

Après :

l’humain, à pieds, organise les circuits de pâturage, et les brebis le suivent en confiance.

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7. L’élevage face aux dingos ou chiens sauvages : comme un écho d’Europe

L’affaire est compliquée, notamment sur le terrain taxo- nomique. S’agit-il de loups ou de chiens ? Tous les austra-liens rencontrés m’ont parlé des « dingoes or wild dogs ». S’agit-il d’un fâcheux amalgame, notamment de la part des éleveurs qui, plus ou moins ouvertement, continuent à pourchasser ces prédateurs par tous les moyens : fusil, pièges létaux et poison30 ? Il apparaît que non, car l’origine de ces animaux reste confuse et controversée, certains scientifiques affirmant qu’il s’agirait de chiens domes-tiques introduits il y a 4.000 ans en Asie du sud-ouest et en Australie, puis ensauvagés. Les choses se compliquent encore, analyses ADN à l’appui, car il se confirme aujourd’hui que les dingos s’hybrident aussi avec des chiens d’origine européenne. L’IUCN est est bien consciente, ayant classé en 2008 Canis lupus spp. dingo et Canis familiaris subsp. dingo sur liste rouge, statut VU (vulnérable). Une « barrière à dingos » (Dog fence) de 5.400 km (2 m de haut et enterrée de 0,3 m) a été construite à partir de 1880 autour des États de Nouvelles Galles du Sud, Victoria et de la partie ouest de l’Australie du Sud. Malgré d’énormes coûts d’entretien, elle est aujourd’hui devenue poreuse. De plus, dans l’iso-lement de l’Outback, les éleveurs sont pour la plupart toujours aussi déterminés à lutter contre ces prédateurs de brebis, veaux, jeunes génisses et parfois mêmes dromadaires. C’est pourquoi, depuis une vingtaine d’années, et de façon plus abondante suite au classement par l’IUCN, ont émergé en Australie des associations de défense, certaines pratiquant l’élevage de dingos en vue de repeupler des parties du pays. La Dingo Foundation affirme que le dingo est « an iconic native Australian animal which is loved by a huge majority of the populace. »31, postulat qui est à considérer avec beaucoup de

précaution selon Dean Revell. Il n’en demeure pas moins qu’une Australie, aujourd’hui nettement moins rurale qu’au 19e siècle, voit d’un œil plus amical, et aussi moins directement concerné, ces « icones nationales ». Mais il resterait néanmoins à savoir si ce sont là de pure dingoes ou des hybrides, les chiens autant que les chats sauvages ayant toujours aussi mauvaise presse en Australie. Dès mon arrivée à Dubbo, le dimanche 13 mars au soir, j’ai été questionné par des éleveurs au sujet de la situation de leurs collègues français confrontés aux loups. J’ai eu du mal à résumer les faits, no-tamment à propos des politiques européennes et nationales : Directive habitat, Convention de Berne, etc. Ces éleveurs m’ont fait répéter trois fois l’information selon laquelle, en France, il n’était généra-lement pas autorisé de se défendre, au fusil, dès l’apparition des loups auprès d’un troupeau et surtout avant leur première attaque. « Alors, ces éleveurs sont fichus ! » ont-ils conclu. J’avais bien entendu évoqué les moyens de défense préconisés, chiens de protection, parcs de nuit, etc. Mais j’en ai égale-ment profité afin de questionner ces éleveurs au sujet de l’efficacité des Australian Foxlights (lampes clignotantes), vantées en France et en Suisse comme technique d’éloignement des loups. Ils m’ont répondu : « Ça marche plutôt bien ! » « Pour les dingos ? » ai-je demandé. Grands éclats de rires, l’un des éleveurs me précisant alors le pourquoi de cette hilarité : « Comme leur nom l’indique, les foxlights sont pour les renards. Ils ne sont d’aucune utilité pour les chiens sauvages et les dingos, ni certainement pour vos loups ! » Y aurait-il, en France, tromperie sur la marchandise ? À Dubbo, j’ai été interviewé par Matt Cawood, et ceci a donné lieu à publication dans l’hebdomadaire agricole national The Land (voir Annexe V). J’ai ensuite été contacté par Greg Misfud, ayant lu et bien apprécié l’article. Travaillant pour le Invasive Animals Cooperative Research Centre, à Toowoomba (Queensland), G. Misfud est le National Wild Dog Facilitator. Nous sommes restés en contact depuis (voir section suivante).

30 Précisons que l’usage des poisons est courant en Australie, y compris dans les Parcs nationaux, contre les espèces de mammifères ‘non indigènes’… 31 http://www.dingofoundation.org

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