Les fleuves dans le
récit militaire
tacitéen
Les fleuves (ou cours d'eau en général) sont des éléments non négligeables du cadre chez
Tacite;
I'auteur
fournit
parfois
surceux-ci
des renseignements àcaractère géographique,
qu'il
en
présentele
cours,
qu'il
les
utilise
comne
repères pour organiser I'espace ouqu
il
s'attache à quelquescuriosités;
et les grands fleuves apparaissenl sunout dans une fonction de frontière idéologique et matérielle(').
Nous voudrionsici
nous attacher àla
place que les cours d'eau tiennent dansle
récitmilitairc: ils
intéressent surtout Tacite dans la mesure oilils
sont liés à des éléments humains, et, comme son approche des provinces est principalement marquée par une perspectivemilitaire
(,),
il
n'est
pas étonnantque les
mentions
fluviales
relèvent souvent
d'un
contexte
gue[ier.
Nous étudierons doncici,
avec le rôle stratégique ou tactique des fleuves dans le récit tacitéen, les variations de ce topos de l'historiographie.l.
Délimitatinn du
camp,du
champ debataille
etpoint
d'appui.
-
lacrte,
sans doute, ne possède pas l'expérience
militaire d'un
César et manque depré-cision
dans les données topographiques des bataill€s (r), toutefoisil
esquisse le cadre de certaines d'entre elles, faisant comprendre globalement les avantages de telle position(').
Les cours d'eau jouent alors le rôle dedéIimilation d'un
camp (Caecina a ainsila
sagessed'établir
son camp en protégeant ses flancs par les marais du Tartarus et ses arrières par la rivière), oud'un
champ debataille:
par exemple,Civilis
avantd'affronter
l€s Romains dispose des soldats transrhénans(l)
Nous âvons analysé cette question dans lzs feuves de kt Gaule et des provinces ovoisinantes chezTocile comme éléments de défnition de I'espace, dans les actes ducol-loque La
laire
et les fleuves de la Gaule romaine et des régions voisines (Caesarodunum33-34), 1999-2000, p.431-455. I-e présent article constitue conme le second volet de
cette étude.
(2) J. cAscou, Tacirc er les provinces dans A?VRIV,
Il,
35. 5, 1991, p. 3469.(3)
M. M. SAoE, Tacitus'Historical Wotks : û Suner- and Appruisdl dans Air'RW, Il, 33.2, I99O, p.929-930 : Tacite â ure bonne connaissance géographique des
tois
Gâules etde la Narbonnaise ainsi que de la Transalpine et de la Rhénanie, mais
il
est sélectif dâns ses informations en fonction des besoins littéraires.(4)
Sur la valeur tactique de I'hydrographie chez César, cf. le relevé de R. CHEVALLIER,L'hydrcgraphie gauloise. Tactique, strutéBie et géopolitique de César dans Joumal
of
Ancient Topographyl,
1991, p. l5- 16, utilisation codifiée par les traités militaires comme celui de Végèce.LES FI-ETJVES DANS I-E RECIT MII-ITAIRE TACTTEEN 415 dans la zone [a plus proche du Rhin (H.
V
16,l)
C). Le plus souvent la topogra-phie favoriseI'un
des partis :Arminius
choisit une plaine, I'Idistavise, entre des hauteurs et la Weser, avec, en arrière, uneforêt
impénétrable (An.II,
16,l).
Ce qui importe sunout dans la narralion, dans ce cas, c'est le caractèrcterrifiant
dulieu
: la hauteur des arbres empêche la végétation de pousser dans les sous-boiset, bien plus,
la
personnihcation des
élémentsnaturels
par
le
biais
de
la métaphore semble faire du combat des hommes un double de I'affrontement de la nature, tantôt les rives cédant la place (cedunt), tanlôt les monts opposant une résistance (/esistuat). Toutefois, grâce à la prouidentia de GermaniÇus et à la &ir-/r.J de ses hommes, les Germains ne pourront pasprofiter
de I'avantage du ler-rain. Cette défaite semble stimuler les ennemis puisqu'ils recherchent à nouveau le combat, dans un raccourci narratif quifait
croirequ'ils
ne laissent aucun inter-valle entre les deux batailles. Une nouvelle fois, ce sont eux qui font le choix duliey
locumflumine
et
siluis clqusum,arta
intusplanitie
et umida (6), avec, eDplus, un marais entourant les forêts sauf sur un côté où se trouvait une chaussée.
Il
y a là tout Ie dispositif d'un piège, mais, grâce à ses informateurs, c'est en con-naissancede
cause que Germanicus se lance dans unebataille d'autant
plus achamée quele
champ clos paraît ne laisserd'aulre
altemative que vaincre ou périr, la topographie étant un facteur de dramatisation de l'épisode (An.II,
20, 3). Pas de précisions particulières,ni
d'indications
de distances, mais un cadre estfixé qui
suffrt à créer I'atmosphère propice à une geste héroique. Ceslieux
seretoument, d'ailleurs, contre ceux qui les avaient choisis, puisque l'étroitesse du cadre permet
difficilement
aux Germains de tirer parti de leur nombre et de leurs longues piques(An.
lI,2l,
1);
à nouveau,c'est
la
valeurdu
chef romain qui déjoueles
rusesde I'ennemi.
On
pourrait
mener semblable analysepour
le théâûe d'opérationschoisi
par Caratacus en Bretagne-
hauteurs renforcées,quand elles sont insuffisant€s,
par
un rempart de rochers,rivière difficilement
franchissableà
glé (An.
XII,
33);
mais
le
légat de
la
province
P
Ostorius Scapula n'en parvient pas moins, après avoir étudiéla
situation, àfranchir
sansencombres le cours d'eau et à remporter une victoire éclatante.
Tacito se sert
aussides cours d'eau
pour délimiter les
mouvements des troupes:
ainsi
les soldats deCivilis
attaquent en passantpar
surprise les uns par la montagne, les autres entre la route et la Moselle(H.
IV,77,1)
('). D'auhe
part,lors
del'offensive
de Germanicus contre les Germainsen
15 ap. J.-C., le(5)
Une légion de Vitellius et une légion d'Othon s'affrontent sur une plaine entre le Pô et lâ route(It
Il,43, l)
-
la via Postumia (cf. l'éd. des Histoires de H. HEUBT.TER.Heidelberg, 1963-1982).
(6)
Ar.
tl,
19,2:
<fermé d'ùn côté par le fleuve, de I'autre par des forêts et fornantune plaine étroite et humide". Nous citons Tâcite, sauf indicatior contraire, dans la
tra-duction de P GRTMAL, Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 1990.
(7)
Sur les problèmes posés par le texte, cf. K. Wrn-esr-ev, Tacitus, 'Histories'. A4t6
R. POIGNATJLTterritoire
des opérationsmilitaires
estdéhni
par deux cours d'eau,I'Ems
et la Lippe, ainsi que la proximité de la forêt de Teutobourg oùr perirent les légions de Varus (An.I,60,
3), comme si cette progressionvicto
euse et dévastatrice étaitun
hommage renduaux
disparuset
lavait
I'affront
de
I'anciennedéfaite:
lesfleuves
circonscriventun
espacesacrificiel
qui
aboutit
à la forêt de
sinistre mémoire, puisque le paragraphe suivant s'ouvre sur la cérémonie funérai.re dont I'armée de Germanicus honore les défuntes légions de Varus sur les lieux mêmes de la tragédie(').
Le
rôle du cours d'eau peut même être inattendu pourl'issue d'un
affronte-ment:
les soldatsd'Anlonius
Primus, poursuivis par lesVitelli€ns,
se trouvent arrêtés dans leur fuite par unrirrs
dont le pont €st rompu, le fond incertain et les rives escarpées, si bienqu'ils n'ont
plus d'auhe solution que de faire face à I'en-nemi, ce qui leur permet de remporter unevictoire qu'ils doiveît
à la necessins ou à lafttrtuna
(H. 111, 17 , 4). Le décor devientici
agent du destin des hommes. La valeur piftoresque est bien secondaire ('), comme dans l'évocation des p4len-tibus campis (<plaines ouvertes de toutes parts>) du Pô(H.
II,
19, 2),qui
sert surtout à montrer la crainte que les soldats de Spurinna,qui
ont décidé de sortir de Plaisance, éprouvent finalement d'êûe victimes d'une attaque de Caecina en rase campagne, co qui les amène à obéir à leur chef, qui voulait que ses troupes restent dans la place forte.Ailleurs,
le fleuve constitue un pointd'appui
pour les belligérants.Au
début dela
révolte deCivilis,
les Romainsfixent
l€ur ligne de bataille près duRlin,
comptant
sans doute,en vain d'ailleurs, sur les
bateauxqui
mouillent
à
cet endroit (H.IV
16) | mais ils sont yaincus en raison des défections ("').A
d'autres reprises, Tacite remarque qu'une utilisation judicieuse de laflotte
du Rhin aurait pu êtle décisiYe(").
(8)
Un fleuve peut aussi marquer la limite de I'avâncée des troupes romaines I sousClâude, les légions, dans leur lutte contre Mitlridate du Bosphore, arrivent à trois jours
de mârche du Tanaïs (Àn.
Xll,
17, 2), c'est-à-dire presque à I'extrémité du monde romain(Ci
HoRAcE, Odeilll,
lO,I
: Extremum Tarain). Les fleuves servent à plusieurs reprisesà délimiter un secteur dans la partie orientale du monde méditerranéen i le prince parthe Omospadès reçoit le gouvemement des plaines entre Tigre et Eupkate, la Mésopolamie (An.
\L,
3'1, 3) ; Vardanès soumet les nations qui s'étendenl jusqu'au Sinde, fleuve (nonidentifié) séparant les Dahes et les Ariens (An.
XI,
10,2).(9)
R. Tuncer, Tacite et les ûns plastiques dans les Hisloires dans l,aromur 44, 1985,p. 789-790, parle de "notes pinoresques qui situenl I'action et la mettent en scène darls
I'imagination du lecteuD, en reconnaissaût que..Icles lambeaux de paysages épisodiques ne sont pas valorisés à des fins pittoresques, mâis pour expliquer le déroulement des faits.
Tacite iait ceuvre d'historien militaire en I'occurrence plutôt que de peitlûe de batailles". (10) I-€ récit n'est guère précis pour localiser l'événement: la bataille doit se passer
dans l'île des Bataves, mais on ne sait
s'il
s'agit du Rhin lui-même ou du Waal.(11)
fl.
V
18,2 : si la flotte avait poursuivi les ennemis, Cérialis aurait pu metùefit
I-ES FLEUVES DANS LE RÉCIT MILITAIRE TACITÉEN 417
lnversement Ie fleuve p€ut être un lieu de
repli
des armées, car c'est souvent une zone de défense. Après une incursion contreArminius,
Germanicus, devantla
volte-face de I'ennerni,
ramène ses troupessur
l'Ems et
prend
ensuite Ie chemin du retourjusqu'au Rhin
(An.I,
63, 3). Ou encoreA.
Caecina Severus, harcelé par les Germains dans le secteur des Longs Ponts, convainc ses hommes que I'unique salut réside dans une sortie massive en direction du Rhin (An.I,67,
1),
qui,
avecson dispositif défensif, est perçu comme
sécurisant,et
définit
I'espace de la romanité('').
Le fleuve, au conûaire, peut être ce qui gêne lafuite
et entraînerla
mort:
ainsi Cérialis, chassant les Germains, les précipit€ dans le Waal (1LV
2l).
2.
I*
fleuvc
commeobjectif
militaire.
-
Il
arrive, en outre, quele
coursd'eau constitue un enjeu
militaire
en raison de sa valeur tactique, stratégique et idéologique. Pour tenter d'amêter les Vitelliens qui occupent tout letenitoire
qui va des Alpes au Pô (1Ltr,
11), Othon envoie Annius Gallus etVestricius Spudnna tenir les rives du Pô, ad occupandas Padiipas,
qui apparaissent commeI'unique
rempàrt contre le déferlement de I'ennemi.Loccupation
peut être préventive : laRétie
demeurantfavorable à
Vitellius,
les
partisansde
Vespasien dépêchentSextilius
Felix
pour
qu'il
prenneposition
surI'Inn, qui
constituela
frontière entrela Rétie et
le
Norique
(H.
III,
5, 6).
ParfoisI'enjeu
estplus
limité:
un bateau de blé ayant échoué sur le Rhin en raison de la sécheresse, les Germains et les Romains se le disputent âprement, au bénéfice des premiers (.FL [V,27,
l).
L
anecdoten'est
pas racontée pourle
seulplaisi
durécit,
mais parce que cet échec des Romains estl'occasion
d'une rébellion des soldats,qui
rendent leur légat responsable del'incident
etil
faut
attendreI'arrivée
de C.Dillius
Vocula pour que le calme soil rétabli. Ce petit rev€rsmilitaire
serait anodins'il
ne per-mettait de mettle aujour
une nouvellefois
la discordequi
règne au sein mêmede
I'armée romaine
en
raison
de
la
guerre
civile
qui
opposeVitellius
et Vespasien, dont profite le BataveCivilis.
On
peut noter encore que dans FLII,
40,
I,
les
soldatsd'Othon
sefixent
comme objectif Ie <confluent du Pô et de I' Adda,', confluentis Padi et Aduaeflu-minum
(1).II
est à remarquer en outre que Germanicus, pour diviser les forcesdispersés, occuÉs à d'auûes tâches ou saisis de
peur
, elle âurait emÉché les Germainsd'échapper à la poursuite.
(12) De même, encore, Germanicus après une offensive contre les Chatles et I'incendie
de la capitale des Mattiaques, Mattium, se replie sur le Rhin (Ar. I, 56, 4). Ou encore
I'ar-mée de L. Caesennius Paetus, vaincue par les Parthes, rejoint celle de Corbulon sur la rive
de I'Euphate (An.
XY
16, 4).(13)
l,e
nom du deuxième cou$ d'eau n'est pas sûrI
le Mediceus donne odwe ,Valmaggi conjecture Ardae iPvteol^nns Addua? i mais l'Adda
t'a
pas son confluent avecle Pô à la distance indiquée par Tacite, qui commettrait alors une erreur topographique, ce
qui n'est pas à exclurc : état de la question dans K. WELLESLÈY, Tacitus, 'Histoies'ln. 71.
418
R. POICNAULIennemies, envoie ses subordonnés dans diverses directions, demandant, en
pani-culieç
à Caecina d'atteindre, en passânt parle
territoire
des Bructères,l'Ems
(An.I,
60,2),
que lui-même gagne par d'auhes moyens :l'Ems
est lepoint
de ralliement : apud praedictum omnem conuenere (An.l, 60,2),
Signalons encore queVirdius
Geminus, envoyé conheI'affranchi vitellien
Anicetusqui
sème le trouble dans le Pont, construit à la hâte des libumes et atteint I'embouchure du Chobus oùil
amène leroi
des Sédochèzes àlui
livrer Anicetus (H.III,
48, 2). Le cours d'eau,ici,
est le point d'aboutissement de lapoursuite:
bien que Tacite ne précise pas, visiblementVirdius
Geminusva à
traversle
Pont-Euxinjusqu'à
I'embouchure du Chobus.Tacite n'oublie pas une autrc valeur
militaire
des cours d'eau : ils peuvent être utiles à I'approvisionnement des troupes en eau etil
note que les Othoniens, bien que se ûouyant dans une région riche en rivières, souffrent dela
soif en raisonde I'impéritie
de leurs
chefs(1L
II,39,3).
D'autre part,
dansla
région
deI'EuphËte,
Corbulon, pour priver
l'ennemi
d'eau,
établil
desforts
près
des sources et enfouit certains ruisseaux sous des remblais de sable(Ar.
XV
3, 2).3.
Lcfleuve
comme réceptacle; b
baindtns
leJkuve.
-
Dans certains casles fleuves servent aussi de réceptacles oùr I'on
jene
les blessés et les morts : au cours d'une mutinerie en Germanie les soldats rouent de coups les centurions et les lancent devant le relranchement ou dans les eaux duRhin
(An.1,32,
l).
On sait que le rejet 4nte acl/anr constitue une mise à l'écart radicaleloin
des cadres del'ordre
romain, etle
Rhin devient par là même une sorte denonlieu
oùl'on
exclut ceux que
I'on
yeut retrancher du corps sociali
mais comme certains des centurions sont déjà tués,le
fleuve estplutôt
assimilable à un lieud'ignominie
oùl
I'on
déyerse les suppliciés auxquels on refusela
sépulture-
rôle que joua,par exemple,
le Tibre
pour Tibériuset
Caius Gracchus('')
-,
cequi
est leurinterdire le monde même des mons.
On
trouve aussi,plus
nettement hyperbolique encore, chez Tacite, dans un discours de Germanicusaux
légions révoltées,I'image
rhétoriquedu
sang qui souille le camp et les fleuves(An.l,42,4),
pour susciter le remords devant ces luttes fratricides.étant
un
affluent),et
dânsl'éd.
des Histoires de Tacile parH.
LE BoNNtr:cet
J.HELLEGoUARC'H, Paris, I-es Belles L€ttres,
ll,
1989, p. 186-187, qùi se rallient à la thèseselon laquelle Tacite, dont la connaissance de la Transpadane n'est pas solide, â dû se
tromper;
P
GRTMAL, dâns son éd. de Tacite [n.6], p.
876, choisitla
conjecture deValmaggi et propose d'identifier le cou.s d'eau à l'actuel Oglio.
(14) VELLEIUS PArERcuLUs,
ll,
6,
7;
PLUTAReuÊ,Tibeius
Cracchus20,4',
Caius Gracchusl'1,6
|
ApptEN,lzs
guerres civiles à Romel,
16. I-e rejet de cadawes dans lefleuve non seulement voue le défunt à une éternité de malheur, mais encore équivaut, du moins à l'origine, à l'élimination d'une souillure et à une consécration aux
divi
lésLES FLEUVES DANS LE RÉCIT MIT-ITAIRE TACITÉEN
419
Tacile observe aussi que les bains peuvent être nocifs aux lroupes : les soldats germains et gaulois de
Vtellius,
gênés par la chaleur, se sont baignés avec excès dans le Tibre ets'y
sont ruiné la santé (H.ll,
93, 2) ; le contexte n'est plus celui,hérorque, de
I'expédition d'Alexandre, où
le
conquérant échappaità
la
mort, comme parmiracle,
après sonbain
dansle
Cydnus(''),
mais metl'accent
surI'indiscipline,
les faiblesses et I'inadaptation des barbares.Au
cours d'une anecdote romanesque à propos deI'Araxe,
onvoit
le fleuve, de réceptacle destiné à soustraireun
corps aux ennernis, devenir agent de son salut : Radamiste, enfuite,
frappe, à sa demande, mortellemenl-
croit-il
-
safemme
qui,
enceinte, ne pouvaitle
suiwe etil jette
son corps dansle
fleuve en crue afinqu'il
ne tombe pas aux mains des ennemis. Mais des bergers la retrou-vent et la soignent car ellen'était
que blessée ; la princesse est ainsi sauvée des eaux (An.XII,51),
réactualisationd'un
thème bien connu (16).4.
Lcfleuve
comme axe decirculation
-
læs cours d'eauso
souvent desmoyens de communication p€rmettant aussi bien
le
transpofi des marchandises que des hommes,On sait
qu'ils
sont souyent longés par des chemins, la voie teffestre suivant la voiefluviale
(17) et nous en trouvons lrace chez Tacite,qui
montre Hordeonius Flaccus donnant I'ordre au légat de légionDillius
Vocula de conduire ses soldatsle
long dela rive
à marches forcées, tandis que lui-même, inapte àtout effort
physique, s'embarque sur le Rhin (1LIV
24, I ).D'aufie
part, pour aller à Rome, I'arméed'Antonius
suit trois itinéraires différents, dontI'un
le
long dufleuve:
la voie Flaminia, la voie Salaria et la rive du Tibre(H.
III,
82, 4).Les fleuves permettent bien évidemment de faire passer les convois de ravi-taillement : ainsi Antonius, dans sa marche vers Rome, décide de couvrir de
con-vois de ravitaillement
le
Pôet la
mer
(I/. IlI,
52,
1),ou
encore, Germanicus envoie devant son armée des navires chargés deviwes
(ArLII,
8, 1);
inverse-ment, Ies basses eauxdu Rhin,
en période de sécheresse, rendent délicats les transpofiset
ajoutentau
mécontentement des soldats promptsà
la
mutinerie(a
lY
26, 1).La
maîtrise des voiesfluviales
est, par conséquent, un élément important dela
stratégie. Par exemple,Civilis
gêneIes
Romains dansleur
ravitaillement quandil
tient leRlin
après s'être emparé de laflottille
romaine ; ceux-ci doivent alors s'approvisionner en blé par voie de tene, convoisqui
sont attaqués par les(15) Qurr.rre-Cunce, Ilrsroires
IIl,
5-6 ; Pr-r're1.eur, Alexondre 19 ; Anruer, Ànaàase II.4,'1-ll
1 lusltN, AbréEé des Histoircs Philippiques de Trogue PompéeXI,8,3-9.
( 16) Dans un auûe registre, Tacite indique que Néron fail jeter dans le Tibre le blédes-tiné à la plèbe, car
il
ét^t
g^té (An.Xv,
18, 2) et remâque qùe cent navires qui avarentremonté le Tlbre fuient victimes d'un incendie accidentel
(iàid).
(17) Cf. R. Cutv,rr-r rra,ks
voies romaines. Paris, 1997, p. 300.4ZO R. PÔIGNATJLT
eDnemis occupant les points de passage obligés, ponis et chaussées éhoites dans les zones marécageuses (1L
IV,
35, 1-2). C'est toujoursCivilis
qui fait
parader, eny
incluant les embarcations prises aux Romains, saflotte
dans <l'espèce de bras de mer où I'estuaire de la Meuse déverse leRhin
dans I'Ocêan>(H.Y,23,
I
: spatium aelut aequoris[...],
quo Mosaeflwninis
os amnem Rhenum Oceano qdfundit). La raison de ce déploiement n'est pasla
sirnple vanité, maisil
s'agit
de semer la teneur parmi les convois venant de Gaule et de les intercepter (1L V, 23, 2). Maisil
sufût à Cérialisd'utliser
ses bateaux dans un semblant de bataille navale pour amenerCivilis
à se retirer au-delà duRhin,
chez les Frisons et les Bructères.On trouve
déjà cette tentative dejouer
surun effet
psychologique quandle
mêmeCivilis
fait
remonterle Rhin
à ses navires, déploie sa cavaleriedans
la
plaine
et
uîamque Rheni ripam,
quo îuculentior
uisu
foret,
Gennqnorum cqterui.s complet ('").
C'est surtout le
tnnsport
des hommes qui est retenu par Tacite. Parfois, c'est la voie empruntée par le chef alors que ses troupes, faute de moyens, vont à pied :ouhe I'exemple précédemment
cité
de Flaccus, quandVilellius,
aprèsla
mofi
d'Othon, redescend versI'Italie,
il
navigue surla
Saône, avec un train modeste, tandis que ses soldats cheminent surla voie
de terre (FLn,
59,2).
Ce type de déplacement n'est pas sans risque car des coups defleuve:
Cérialis, revenart en bateau d'une tournée d'inspection, accompagné de troupesqui,
sans doute, suivaient par larive
du Rhin, afailli
êtrevictime
d'une embuscade tendue par les Germains,qui,
se laissant porter parle
courant, sont parvenus, à la faveur de la nuit, jusqu'au rehanchement, massacrant les hommes et s'emparant des bateaux, y compris la trière arnirale. Cérialis ne dut son salutqu'à
sa débauche, puisque cettenuit-là
il
couchaitailleurs en
compagnie de quelque belle Lrbienne, mais ce manquemeîtmoftl
(dedecore) est àI'origine
del'incident,
caril
a favorisé, selon Tacite,le
manquede vigilance
des soldats(H.v,22).
Les fleuves permettent
le
déplacement rapide des troupes dans un pays très boisé et sans routes('').
Germanicus, en dignefils
de DrusBS, a souvent recoursà la
flotte.
C'est avec ellequ'il
descend le Rhin pour aller réprimer la rébellion des légionsV
etXXI
à Vetera et lancer une opémtion contre les Germains (An.I,
45, 2). Pour le retour,il
suit la même voie, mais pour alléger les navires à cause des bas-fonds,il
fait
passer unjour
deux légions par voie de terre, or les marées d'équinoxe engloutissent unepartie de celles-ci et les
survivants parviennent avec peine àfaire
leurjonction
avec Germanicus surle
Rhin
(An.
I,
7O), cet(18\ H. 1V,22,2 | <emplit de hordes de Germains les deux rives du
Rllit,
pour que le spectacle iût plùs effroyable).(19) Cf. M. tuooÉ, Mare nostrum-
Izs
infïastructures, le dispositif et I'histoirc de lLlmarine militaire sous l'empire ronain, Paris-Rome, 1986, p. 356. Sur 1â flotte du Rhin,
cf. aussi M. BorrNL I,e Jlotte
tuilitai
romane sul Reno e nel Mare del Nord. dans CLABLES FLEUVES DANS LE RÉCIT MILITAIRE TACITÉEN 421 épisode donnant lieu à une description pathétique des hommes victimes de
l'élé-menl aquatique.Le
chef romain, parla
suite, décide de recourir encore dayan-tage au réseaufluvial
et marilime pour éviter les fatiguesinuliles
à ses hommes et enÎIer plus profondément dans la Germanie (An.I1,5,2-4). Il
passe ainsid'un
fleuve àI'autre
par I'Océan, suivant les précédents d€ Drusus et de Tibere (r0).S'engageânt dans lâ fossa Drusiana (1'), par les lacs et l'Océan,
il
aboutit à I'Ems(Atr
II,
8,l)
i mais pour desmotifs
obscurs (raisons de sécurité ? désir de mani-fester par des ponts la domination romaine ?),il
laissela flotte
à I'embouchure del'Ems
sur larive
gauche etdoil
perdre du temps à construire des ponts pour faire passer ses hommes sur la rive droite (r:). Le chemin du retour est identique (An.lI,23,
1), la plupart des légions naviguant surI'Ems
et I'Océan avant d'at-teindre le Rhin. Mais Tacite ne se contente pas d'esquisser un parcours: ce quiretient
son anention,c'est
cequi
donnede
la
couleur au récit
et
montle
les humains aux prises avec les éléments : en des accentsvirgiliens
dans les images et les sonorités,il
décritla
tempêtequ'ils
subissent sur I'Océan (:r). Ce sera la demière expédition de laflotte
le long des côtes de la Germanie (r').D'autres
chefsutilisent
encoreles
fleuvespoul le
transport des hommes: ainsiL.
Apronius descendle
Rhin pour aller affronter les Frisons rebelles (An. IV, 73, 1), ou encore Corbulon fait venir des bateaux par le Rhin et d'autres voies pour mettl€fin
aux actes de piraterie du Canninéfate Gannascus conûela
côte gauloise (An.XI,
18,2)
(5).(20) Cf. vu-r-Erus PÀrERcuLùs
II,
106, 3, pour Tibère.(21) SuÉ'roNÈ, Claade
l,
2, qui parle de/orra[e][...]
Drusinae;DroN CAssrus 54, 32, 2.(22) l-,e texte
fait
d'ailleurs difficulté dansle
reproche adressé à Cermanicus par Tacite : Clajsir Amisioe <orc> relicta laeuo omne, erratumque in eo quod hon subuexit [ûansposuit] mililemde
ras inteîas
ilurum.-pour K. ME6rER, Dos Bericht des Tacitusiiber die landung des Germanicus in der Emsmiindung dais Hermes 83, 1955, p. 96-101, Amisiae
[...]
laeuo amae désigne non la rive gauche du fleuve, mais son bras gauche, etil
fart fure de transposlit le début d'une nouvelle pbrâse en opposition à la précédente :Germanicus a commis la faute de ne pas faire remonter le fleuve à ses ûoupes ; mais il a déposé sur la rive opposée ceux qui devaient aller dans des régions situées à droit€ et ils ont perdu du temps à construire des ponts; gauche et droite ne s'établisseût pâs
ici
enfonction du cours du fleuve, mais d'après la direction prise par Germanicus ; conrme il va
vers I'est, la gauche indique le rord. Pour P WUTLLEUMTER, Tacited. Ad Annales,
I-II
dansMélanges
P
Boyancé, Roùte, 1974, p.'165-766, laeuo anne signif,e plutôt <le côté gauche dulit",
il faul adopter la conjecture ore après Amisa" et suppriîter transposuit, qtli n'est qu'une glose: Germanicus, au lieu de laisser la flotte à I'embouchure, au.ait dû remorter I'Ems jusqu'au moment oùil
aurait rouvé lelit
moins large.(23) Cf. R. SYME, lacill,ls,I, Oxford, 1958, p. 357.
(24) M. REDDÉ, Mare nostrum [1. 19], p. 361, montre que la flotte ne jouera plus désor-mais qu'un rôle défensii
(25) Autres exemples d'utilisation de cours d'eau comme moyens de communication :
revenant à Rome, Pison, à partir de Namia descend le Nar puis le Tibre après la mort de Germanicus, soit pour écarter les soupçons, soit par crainte (An.
III,
9,2);
Néron,422
R. POIGNAIJI-TPour
faciliter
la circulation ou empêcher les crues, les Romains ont réalisé des aménagementsparfois
spectaculaires,dont Tacite se
fait
l'écho.
Paulinus Pompeius, dans une période où le calme règne en Germanie,fait
achever par sessoldats
qu'il
ne veut pas laisser inactifs une digue comrnencée 63 ans plus tôt par Drusus, mais surla
localisation de laquellel'historien
ne nousfoumit
aucune précision (An.XIII,
53,2);
toutefois, dans lesIlistoires
(V
19,2)
il
en signale la destruction en des termes montrantqu'elle
contenaitle
cours duRhin
sur la rive gauloise, donc le Waal (r'). Larmée est utilisée à des travaux d'intérêt publicet militaire,
cependanton
remarquera que Taciteretient
surtoutla
dimension morale, tout se passant comme si le beau-frère de Sénèque cherchait avant tout àmaintenir la
disciplira
de ses troupes, mais c'est comme un topos de I'historio-graphie.C'est aussi la même raison
qui
conduit Corbulon, àqui
Claude a donnéI'or-dre de revenir en-deçà du
Rhin,
àfaire
creuser à ses soldats un canal entre la Meuse et le Rhin sur une distance de 23milles
(Àr.
XI,20,2),
maisI'historien
y
ajoute une cause stratégique '. qua incerta Oceaniuilarentur
(").
On sait que,bien avant, Drusus, pour écourter le trajet permettant de gagner l'Ems à partir du Rhin en réduisant le parcours marin, créa la/o.s.ra qui porte son nom
iTacite
la mentionne, en précisantI'itinéraire,
quand Germanicus I'emprunte (Az.II,
8, 1).L
auteur s'anache aussi, bien sûr, aux projets contemporains de la périodequ'il
traite:
celui
deL.
Vetus en 58 est grandiose,il
consiste àrelier
par un canal la Moselle à la Saône ('*). Une telle réalisation aurait permis aux convois de passer dela
Méditenanéeà
I'Océanpar
le
Rhône,la
Saône,la
Moselle et
le
Rhin, itinéraire donné pzu Tacite, qui ajoute quelajalousie
du légat de BelgiqueAelius
Gracilisfit
avorter le projet (An.XI
,53,
2-3) ; mais ce programme,qui
auraitreconstruisant Rome après I'incendie de
g,
a recours aux navires remontant le Tibre âvecdu blé poul leur faire rcdescendre eNuite les décombres destinés aux marais d'Ostie (Ar.
XY
43, 3) ; Germanicus accomplit un voyage (touristique> en Egypte sur le Nil (An. tr, 60, l-2), Tacite nous donnant des indications suI I'itinéraire du prince et s'aÎrêtant sm descuriosités conme I'origine du nom de la ville de Canope, les principales merveilles que décou\Te Germanicus et I'insondable profondeur du Nil en certains endroits.
(26) StrI le rôle de cette digue, cf. R. Dror, Rhenus bicomis daùrs
REL42,19U,p.494-497, qui considère qu'il n'y a pas eu creusement d'un canal entre le Rhin et I'Ijssel, mais que
la
digue a permis de grossir ce coursd'ea!:
contra, par exemple, J. HARr\tAxD,L'Occident romain. PaÀs, 1960 u9901, p. 7l-72.
(27)
An.
Xl,20,2.
<pow remédier aux mouvements imprévisibles de I'Océan>. E. KoasrnrverN, Comelius Tacitus, Annalen, Heidelberg, 196'7,lll,
p. 6'1 , signale qu'ona identifié ce calal avec la Vliet, qui va de Leyde à Delft.
(28) Le fior Arorim, absent du plus ancien manuscrit, supprimé daDs le manuscrit de
læyde,
â
été rajouté par Puteolanus aux!'
siècle pour des misons de cohérence:LES }-LEUVES DANS LE RÉCIT MII-ITAIRE TACITÉEN
été_d'un intérêt majeur après la conquête de la Bretagne, a dû aussi se heuner, en réalité, à de graves problèmes techniques (r").
Dans les zones marécageuses aussi c,est par des
fayaux
que I,armée réussit às'assurer
un
passage:
Tacite
dr€sse
un
tableau
sinistre
de
la
région
de Teutobourg, où les marais rentlent trompeuses les limitesenûr
terre eteau;
les Romains doivent recourir à des ponts et à des chaussées, et les souvenirs de la défaite de Varusqui
hantent I'armée rendent encore plus terribles leslieux,
oùl'onirique
semble prêt à côtoyerle
réel, oùr,la
description prenant un tour poé_tique, règne la confusion du chaos car l,ordre romain n,a pàs pu
s'y
établir (AraI,
61,l).
Ailleurs,
quelque part à I'ouest de I'Ems,A.
Caecina Severusdoit
pas_ser par les Longs Ponts
-
chaussée aménagée parDomitius
Ahenobarbus aumilieu
de marais pleins de vase oir se masquent des ruisseaux (An.I,63,
3-4).Tacite
foumit
aussi des renseignements sur les bateauxqui circulent
sul ces fleuves. Dansla
Germenie,il
présente laflotte
des Suions, dont les navires ont une proue à chaque extrémité, cequi
leur
donnela possibilité
d'aborder d,un côté ou del'autre
;ils
ont aussi des rames mobiles, qu'on peut manceuvrerd'un
côtéou
deI'autre
(C.
44, 2)(\').
Tacitedécrit
encorela
flotte
queCivilis
fait
parader devant les Romains (1L V, 23, 1) er en fait ressortir I'aspect hétéroclite etbigané,
birèmes, bateaux àun
seul rang de rameurs (quod biremium quaequesimplici ordine
agebantur),
grosses barques(lintrium)
innombrables
d'une capacitéde 30
à40
personnes(r'),
équipees comme des llbumes(an
tnmentaLibumicis solita),
el
grosses barques (rr) prises aux Romains, avec des sayons multicolores en guise devoiles;
maisI'efficacité
de cetteflotte
n'est que dans I'oslentation.Tacite ne
s'intéresse pas seulementà
ce que
peuventavoir d'insolite
les navircs des barbares.il
donne aussi des indications sur laflotte
romaine.S'il
si-gnale, en remarquantqu'ils
sont adaptés à des types de navigation différents, les trirèmes et autresnavies
(triremes , ceteras nauium) de Corbulon qui coule des(29) E. KoESTERMANN,
irtd
Tacite évoque un autre projet de canal avoné, sous Néron,en Italie, qui devait aller du lac Aveme jusqù'aux bouches du Tibre, mais renconfta des
difficultés insurmontables en nison du terain et du manque d'eau pour I'alimente. (A/r.
XY
42). Cette entreprise est fustigée par l'historien comme étant à la fois trop difficile etsans fondement, relevant, de lâ part des ârchitectes Severus et Celer, du désir injustifié de
forcer la natue au risque de ruiner les finances publiques, et. manifestant de la démesure de la part du prince. On trouve le même lype de critique chez SLÉroNE, N1lorl
xx)C,
5-7, qui meûtionne loutefois que le canal aurait permis d'éviter un
fajel
ûaritime (i. e. les dangers du cap Misène) pour se rendre de Campade à Ostie.(30) Rames p€rmettant d'avancer dans les deux sens ? ou pouvanl être employées
indifféreûment sur un bord ou un autre ?
(31) Le texte de Tacite est corrompu et n€ permet pas de savoir si ce nombre conceme seulement les soldats ou inclut les rameurs ; le verbe/erunt n'est pas certain : M. REDDÉ,
Mate nostrum [n.
l9],
p. 109.(32) C'est le même terme, lirlres, qui est employé.
424
R. POICNAULTbarques (lurrrib&s) ennemies (An.
XI,
18, 2),il
s'attache davantage à laflotte
(")
deèermanicus,
instrumentimportant
dela
progressiondu
général versI'est'
Cefieflotle,
créée par Drusus, est entièrement reconstruile par sonfils'
qui enhe-prend la réalisation demille
navires.L
importance du chantier n'a d'égal quela
iapidlte
ct
I'exécution.
Lhistorien
donnealors
(An'
Il,
6,2)
une description assez précise des différents types de bateaux, chacun répondant à un usagespé-cihque:
les uns sont destinés à supporter les vagues, d'autres sont adaPtés aux bas-ionds, d'autres, grâce à la présence de deux gouvernails, peuvent inverser le sensde
la
navigation, d'auhes encore
sont
conçus
pour
le
transport
des machines, des chevaux, du ravitaillement. On voit que I'armée romaine emprunteici
aux Germains(pour
les navires à deux proues)(r') ou
aux Celtes (pour les navires à carène plate) (rt). Ce passage technique, même si Tacite n'est Pas tout àfait
aussi détaillé, n'est pas sans rappelerla
démarche de César décrivant les navires de guene des Vénètes(BC
III.
l3),
mais évoque surtout, parla
densité de son énumération,la
détermination et Ia Puissance romaines, sobre catalogue des vaisseaux conûibuant à la dirnension éPique des exploits de Germanicus ('o).5.
It
fleuve
comrne obst4cle.-
S'ils
peuvent aiderà
la
progression deshommes, les fleuves, quand
ils
ne
sont pas aménagésou
quandon
arnis
les ouvrages hors d'usage, sont souvent, au contraire, des obstacles.Agricola, cherchant à exciter I'ardeur guerrière de ses ûoup€s avant la bataille décisiv€ du mont Graupius, évoque toutes les difficultés
qu'ils
ont ensemble vail-lamment surmontées par le passé et, en particulier, les fatigues occasionnées parles
marais,les
montagneset
les
fleuves
paludes montesue etflumina
(Agr 33,5),
qui
apparaissent comme les éléments du paysage les plus délicats pour une armée.Outre les problèmes que pose, dans des conditions normales,
le
franchisse-ment des fleuvesen
I'absence de ponts, les crues sontfon
gênantespour
les troupes.A
I'approche deI'hiver, le
Pô
étanten
crue, les troupesd'Antonius
doivent se mettre en marche en laissant leurs bagages(H.
III,50, l).
Les pluies répétées de l'équinoxefont
déborder le Rhin dansl'île
des Bataves que Cérialis élait en train depiller
et sos campements sont emportés par les eaux, les Romains se laissantainsi
surprendrepar
des conditions clirnatiquesqu'ils
connaissentmal.
La
situation auraitpu
être dramatiquesi
lesememis
ayaientprohté
des(33) An. 1, 45, 2 : 60, 2 : 63, 3.
(34) G. 44,2.
(35) Suetonius Paulinus fait aussi fabriquer des bateaux à fond plat pour aborder
l'île
de Mona : An.
X[V,29,3.
(36) Tacite décrit assez lorguemert dans H.
IIl,47,3,
les <camares' (cazrarar)utili-sées par les barbares daos la région du Pont : elles
ort
des bordâges étroits, une coque large que I'on peut rehausser en foncûon des vagues, et elles sont dotées aussi d'uûeLES FLEUVES DANS LE RÉCIT MTLITAIRE TACNÉF,N
ctconstances pour atlaquer, mais la diplomatie de Cérialis a su diviser les
bar-ba.res et les amener à reddition
(H-V,23,3:24,
l).lÆs
crues peuvent, inverse-ment, être provoquées par les hommes et utilisées comme moyen de défense: c'est ainsi que les Chérusques détoument dansla
vallée toutes les eaux venantdes hauteurs afin d'inonder la région des Longs Ponts par laquelle passe Caecina. I-€s eaux détruisent tous les travaux de consolidation de la chaussée entrepris par les Romains et
il
faut touteI'exÉrience
et la bravoure de Caecina pour réussir àtirer d'affaire
les troupes (An.I,
64-68).Le
fleuveoffre
ainsi souvent une barrièrequi
constitue une ligne de défenseprivilégiée. C'est un
argumentutilisé
dansla
rhétorique des Bretonsqui
s'en-couragentà la
révolte conûe les
Romains:
ils
font valoir le
précédent des Germains (avec la révolted'Arrninius
en 9 ap. J.-C.) qui ne bénéficiaient que dela
protectiond'un
fleuve,
tandis qu'eux-mêmes p€uyent compter sur l'Océan (AS,:XY
4). Et
cenains peuples germains sontdits
n'être
protégésde
leurs voisins que par des cours d'eau ou des forêts (G. 40, 1).Si, en bordure de fleuve, on monte
la
garde de manièrevigilante,
l'éloigne-ment par rapport aux rives peut entaîner une chute de I'attention par un excès de confiance dans cette ligne de défense : lesflbiens,
population germanique alliée aux Romains, dans le bourg de Marcodurum (r?) relâchent leur surveillance4zia
procul ripa
aberantel
sont victimes deCivilis
(H. IV,
28, 2). Tacile ne précise pas de quel fleuveil
parle,la
nla
symbolisantla
ligne de démarcation entre le zone relevant de Rome et le territoire des barbares.La ligne de défense de certains fleuves est le plus souvent
I'objet
du soin des chefs.Vitellius
avait préposé à la rive du RhinC)
ou du moins dans un secteur déterminé-
le Trévire Julius Tutor, mais celui-ci participa à la révolte de 70 quivisait à créer un empire des Gaules. Sa mission dans la rébellion semble
n'avoir
guère changé puisque sonrôle
était de superioremGerlntniqe ripam
et ardua Alpium praesidiis claudere(3e)-Les fleuves sont,
p
conséquent, dotés de gamisons, de forts ou devilles
for-tifiées pour assurer au mieux la défense. Suelonius Paulinus pense que le Pô ainsique les
villes
fortifiées
de la
région
constituentun
rempart solide
pour
les Othoniens contre lesVitelliens
(1LIi,
32, 4). Tacite nous rappelle ailleurs que Crémone a été fondée au cours dela
deuxième guerre puniquepour
servir de bastion contre les Gaulois établis del'autre
côté du Pô et contre touto tentatived'invasion
de
I'Italie
après franchissementdes
Alpes
à
I'instar
d'Hannibal(H.
lll,34,2).
Dansle
cas dela
Germanie, les forteressesne
se trouvent pas seulement surle Rhin
:
Germanicus va défendreùî
cqstellum assiégé,qui
est(37) Ce boulg est généralement identifié avec Diiren sur la Roer.
(38) 11'
IY
55, 2 : Tutor ipae Rheni a Vtellio praefectus.(39)
H.
IY
70,I
:
<occuper la rive de la GermaniesuÉrieue
et de bloquer, en yplaçant des garnisons, les hauteurs des Alpes>.
426
R. POIGNAULTplacé sur la
Lippe
(An.11,1,
l),
sans doute lefort
d'Aliso
('"), que Tacite signale un peu plusloin
en disant que Germanicus met en état de défense toutle
pays situé entre lefort d'Aliso
et leRhin
(An.n,
7, 3)C):
Germanicus établit donc un glacis protecteur au-delà du Rhin. Plus tard, Claude demande au gouverneur de Parmonie de rassembler des troupespro
ripa, le long
dela rive
du Danube, pour protégerla fuite
duroi
suève Vannius et arrêterl'élan
de ses poursuivants (An-XlI,29,2).ll
s'agit d'assurer le salut d'un souverain établi par les Romains,mais
qu'ils n'ont
pasjugé bon de
soutenir dansune révolte inteme
à
sonroyaume. Devant
I'afflux
des
ememis de
Vannius, Claude
fait
preuve
deprouidentia
en
prévenanttoute velléité
d'incursion sur
le
territoile
româin. Vannius va se réfugier auprès de Iaflotte
romaine qui I'attend sur le Danube etlui facilite
le passage du fleuve(").
Inversement, un cours d'eau peut aussi
baner
la route à unfugitif:
I'ancienroi
des Parthes Vononès ne peuts'enfuir
deCilicie
oùil
a été relégué car les riverains ont volontairement rompu les ponts sur le Pyrame, si bien que le fuyard est repris sur la rive du fleuve (An.II,
68, 1).D'auhe
part, dans soneffroi
aprèsla
découverte dela
conjuration de Pison, Néronfait
bloquerla
mer et le Tibre, tenant laville
comme en prison, pour éviter que ses ennemis puissentlui
échap-per (An.XY
58, 1).Les ennemis des Romains usent également des fleuves pour leur protection.
Civilis
se retire à un moment dansl'île
des Bataves caril
sait que les Romains, manquant de bateaux pour établfu un pont, nepouront
pasl'atteindrc
(H.V
19,l).
Mieux
encore,il
détruit une digue réalisée par Drusus, ce qui inonde la rive gauche du Rhin en séparant davantage Romains et Bataves, et assèche presque lebras
septentrionaldu Rhin, facilitant
les
cornrnunicationsentre
Germains et Bataves (FLV, 19,2).
Voilà
qui
ruine lesefforts
que Drusus en9
av. J.-C. et Pompeius Paulinus qui termina l'ou\Tage en 55, avaient déployés pour accroître le volume d'eau dans le brus septenffional du Rhin afin de renforcer la frontière.Civilis
était
coutumi
de I'utilisation
tactique
du Rhin
puisque, quelquetemps
auparavant,addideret
Ciuilis
obliquam
in
Rhenummolem("):
celle mesure a pour effet d'inonder la plaine, ce qui gêne les Romains, qui ont peur de nager etn'ont
pas de gués sûrs, alors que leurs ennemis sont à I'ais€ sur ce lype deterrain; Civilis
vante, d'ailleurs, à ses homrnes, pour les inciter au combat, sa(40) E. KoESTERMANN. Cornelius Tacitus lt\. 2'7 L l, p. 269.
(41) Et cuncta inter castellum Alisonem ac Rhenum nouis limitibus aggeribusque
per-mrrila
(<<Puis toute la zone ente le fon d'Aliso et le Rhin fut fortifiée par de nouvelles routes stratégiques et des levées de tene)).(42) La défense du Danùbe était d'ordinaire assurée par la flotte et des légions
sta-tionnaient au bord de la Drau (E. KoESTERMANN, Comelius Tacitus [n. 27],
IlI,
p. 156).(43)
H.Y,14,2:
<Civilis y avait ajouté une digue oblique âllantjusqu'au Rhin". Cettedigue ne devait pas barrer complètement
le
fleuve:
G.E.
F. Cqu-ven,A
HistoticalLES FLEUVES DANS LE RÉCIT MILTTAIRE TACNÉEN
427
prouidentiq,
qui
lui
fait tirer le
meilleur
parti
deslieux
(FLy
17,2).
Des Bructèresutilisent
mêmela
digue pourtlaversff le
fleuve àla
nage et attaquer Ies Romains (H.V
18, 1).Les fleuves de la partie orientale de
l'empirejouent
aussi le même rôledéfen-sif
: à propos de la destruction d'Uspé, Tacite énumérant ce qui d'ordinaire con-stitue des obstacles pour les ennemis : armes,fortifications, lieux
difEciles d'ac-cès ou sur des hauteurs,villes,
y
inclut,
bien évidemment, les fleuves (An.XII,
17,
2).
Séleucieest
présenléecomme
protégéepar un
fleuve
et un
rempart (Atr.XI,
8, 3) ; Tigranocerte est défendue par des murailles dont unegande
par-tie
est baignéepar le
Nicephorius, large cours d'eau,et
le
restepar un
fossé (An. XY,4,2).
Abdagèse conseille à Tiridate de se retirer en Mésopotamie pourjouir
de la proæction du fleuve(i.
e. le Tigre)afin
de reconstituer de nouvelles forces contre Artaban (An,YI,
44, 4). Gotarzès, de même, attendant des renforts,utilise
comrne rempartun
cours d'eau,le
Corma (An.XII,
14, 1);
Corbulon, d'auhe part, laisse certâines de ses troupes en Syrie pourtenir
lesfortifications
surI'EuphËte
(An.XY,
12,l).
6.
Lcfmnchissement
dulleuve,
-
Les cours d'eau, pour être des obstacles,n'en
sont pas pour autant infranchissables.La
haversée des fleuves est un élé-ment important del'action militaire
et la colonne Trajane, par exemple, ne com-prend pas moins de sept scènes de ce type pourexalt
les exploits de I'armée romaine(*).
Et le
motif
du franchissement dufleuve
estun
véritable topos de I'historiographie, comme de la poésie épique vantant les hauts faitsmililaires,
sil'on
encroit Pline le
Jeune,qui
imagine
les nouos pontes f'luminibus iniectos (<nouveaux ponts lancés sut les fleuves>("))
qui prendront place dans le poème que Caninius projette d'écrire pour célébrer les guerres daciques de Trajan. Les modalités du passage sontfonction
des circonstances et de la configuration deslieux,
et Tacite rend compte de cette diversité.Les généraux sont attentifs à I'agencement des itinéraires
:
ainsi, partant en campagne contre les Chattes, Germanicus laisse <L. Apronius pour aménager les routes et les rivières> ('6), af,n de préparer les voies du relour, car les conditions ne seront plus celles deI'aller,
oùl les Romains bénéficient de basses eaux qui leur permettent d'avancer facilement. Ces disposilions concernent aussi le fran-chissementdes cours d'eau
par
des ponts, colnme,
un peu
auparavant, en Pannonie, où des manipules sont détachés à Nauport oàitizera
et pontes etalios
(44)
Ct
M. Gtr,rNttn,ln
colonne Trajane:
images et imdgi aire de la frontière dàîs Frontières terrcstres, frontières célestes dans I'Antiquté,A.
RoussEI-t-E éd., Peqpignan, 1995, p. 2'1 4.(45) PLTNE, -ap. VtrI, 4, 2, traduction d'A.-M. GU[.I-EMIN, Les Belles Lethes. (46)
An.l,
56,1 : L. Apronio ad munitiones uiarum et fluminum relicto.428
R. POIGNAUUT,rjrs
(1?), etTibùe
termineI'important
réseauroutiff
mis en place par Auguste dans ce secteur.Parfois le franchissement est signalé sans
qu'il
y
ait récit particulierni
même qu'on puisse savoir quel moyen a été utilisé, soit que Tacite ne dispose d'aucune information, soit que la ftaversée en elle-mêmen'offre
aucun intérêtnanatif.
On apprend, entre autres, que le légat Munius Lupercusfait
passer ses hommes dansl'île
des Bataves (1LIV,
18, 1) ; que des troupes deCivilis
franchissent la Meuse pour aller harceler les peuples du nord-ouest de la Gaule (1LIY
28'
1) ; ou queL.
Domitius
flumen Albim
transcendit, longius Penetrata Germania
quam quisquqmpriorum,
easqueob
res insignia
triumphi
a.deptus zst (a3):
ce
quiimporte alors, ce n'est
ni
la
manièreni
le
lieu
du passage, mais I'avancée des légions. On apprend ailleurs que Caecinafranchit
le Pô(It
II,
20,4),
qu'après son échec devant Plaisance,il
repasse le fleuve(/L II,
22, 5) pour se didger vers Crémone, ce double mouvement révélant son impuissance ; auparavant, Tacite amonhé toute I'importance symbolique du Pô pour les soldats barbares en souli-gnant que les Bataves et les Transrhénans de
Vitellius
traversent le fleuve en face de Plaisance etqu'ils
sont stimulés par la vue du Pô, comme sil'Italie
leur élait ouverte (FL 11, 17,4), I'historien
faisant amèremenlallusion
sans doute à un passé révolu où les Romains,loin
de s'adjoindre des barbares pour attaquer leur patrie, repoussaient les Cimbres à Verceil.Assez souvent
toutefois
l'historien
nous donne des renseignementssw
le frânchissement. Quand le cours d'eaus'y
prête, c'est le gué qui est la solutionla
plus simple. Tutor, ayant coupé dans son repli le pont sur la Nava, se croyaittran-quille
àBingium
en Germanie supérieure, mais les troupes de Sextilius Felix, ayant découvert un gué, purent le battre(H. IV,'1O,4).
Quandil
lui
faut tlaver-ser la Wetlaver-ser alorsqu'Arminius
se trouve en face, Germanicus, pour ne pas fairecourir
de risques à ses légions,qui
ontbesoir
de ponts pourfranchir le
fleuve, choisit de faire passer sa cavalerie par divers gués de manière à diviser I'ennemi et Tacite décrit assez longuement les exploits du Bataye Chariovalde, au service des Romains, quijaillit
là où le courant est le plus rapide et périt en essayant de forcer les Chérusques(Ar.
II,
ll).
Dans d'autres cas, les fantassins franchissentcomme
les
cavaiiers des gués pour toumer
l'ennemi:
ainsi
l'aile
des Canninéfateset
les
fantassins germainsauxiliaires de
L.
Apronius
dans les lagunes des Frisons, à I'embouchuredu
Rhin
(An.
IY,73,2),
alorsqu'il
faul établir des ponts et des chaussées pour les lroupes plus lourdes.La
sécheresse peut favoriser la progression des hommes en rendant les cours d'eau guéables :Germanicus en profite en 15 dans sa campagne contre les Chattes (An.
I,
56, 2) ;inversement,
ce peut être
un
inconvénient quandelle facilite
les
incursions(4'7)
4n.1,20,I
: (pour les chemins, les ports ef d'aures $ches>.(48) An. IV, 44, 2 :
il
(franchit l'Elbe et Énétra en Germaûie plus profondément queLES FLEUVES DANS LE RÉCIT MILITAIRE TACITÉEN
429
ennemies etqu'il
faut protéger par des postes les endroils devenus accessibles (H.rv,
26, t) .Le
franchissementd'un
fleuve
s'effectue parfois grâce à des embarcations :Tacite
soulignela
rapidité d'exécution de Martius Macer
qui fait
passer sesgladiateurs
de I'autre côté
du
Pô
(H.
ll,
23,5).
Mais le
franchissement esrperilleux
dans certainscas:
desgladiateus
essayant de traverserle
Pô sur des barques sont massacresin
ipsoflumine
par les cohones adverses qui doivent les attendre de pied ferme sur la rive(H.
ll,
43, Z).Les passages les plus spectaculaires sont ceux qui s'effectuent à la nage, et qui semblent une specialité des Bataves
('"),
dont les cavaliers peuvent traverser un fleuve en conservant leur ordre, sans lâcher leurs armesni
leurs chevaux (FL fV,12,3)
(s). I-es Germains aussi, grâce à leur capacité de nager avec aisance, peu-vent surprendr€ I'ennemi el l'attaquer sur ses arrières au bord de la Meuse(IL
ry
66, 2) Cr). Mais la traversée à la nage est âussi parfois la voie du salut pour des soldatsqui fuient
:Civilis,
moins chanceux que Tutor et Classicus,qui
peuventutiliser
des barques,doit, pour
échapperaux
Romains,franchir
le
Wââl
enaageant(H.Y,21,2).
C'est le même moyen qui permel aux Chattes en traversantI'Adrana
(i.
e.I'Fier)
d'échapper à I'avancéeéclair de
Germanicuset
d'em-pêcher les Romains de construire un pont(4r,.
I,56,
3). Mais lafuite
à Ia nage toume au tragique pour les Chérusques,qui
trouventla mon,
emPortés par le courant, atleints par les projectiles romains, ou écrasés par la masse des fuyards et l'écroulement des rives (Ân.ll,
17, 6). Parfois c'est la présomption des soldatsqui
entraîneleur
perte;
ainsi
desBakves
de Germanicus sont engloutis dans I'estuahe deI'Ems,
surpris par les vagues alorsqu'ils
voulaient faire montre de leur habileté de nageurs (ArLII,
8, 3).On a vu que les nageurs sont parfois en concunence avec des
navires;
mais,le plus
souvent,ceux-ci
sont uûlisés pour constituer des ponts de bateaux (5'), Tacite signale assez fréquemmeni l'établissementde
ponts,qu'il
s'agisse de ponts de bateaux ou de ponts endur
Dans plusieurs casI'historien
se contente(49) Sous Hadrien, par exemple, on a plusieurs attestations de ce type de prouesses par
les cavalien bataves : DroN CAssrus 69. 9. 6 .
CIL.ll,3676.
(50) Des auxiliaires de l'armée romaine choisis avec soin par Agricola abordent à la
nage
l'île
de Mona en affrontaût les flots marins, ce qui décontenânce les ennemis (A8x18, 5) ; de même, lors de la tentative de prise de l'île par Suetonius Paulinus des cavaliers étaient passés à gué, ou, quand les fonds étaient trop profonds, à la nage (An.
XlY,29,3).
Sur un fleuve,le
Pô, les Germains de vitellius, disputant une île aux Othoniens qui essaiefi d'y accédei par bateau, les devancent à la nage et emponent la décision (FL[,
35).(51) Nous avons vu plus haut que les Bructères aussi traversent le Rhiû à la nage en
pafiânt d'une digue pour venir attaquer les Romains (H.
Y
18,l).
(52) Sur le rôle de la flotte dans le ftanchissement des fleuves soit par la construction
de ponts de bateaux soit €n délogeant I'ennemi sul la rive opposée, ct. M. REDDÉ. Mare nostrum [n.
l9],
p. 358.430
R. POIGNAULIde mentionner la construction ou la destruction de ces ponts, parfois même
il
estelliptique
àI'extrême:
pourftanchir
la Weser, Germanicus a sans doule établi plusieurs ouvrages après le passage à gué de la cavalerie dont nous avons parlé, mais Tacitedit
seulement Caesa4 transgressus \4surgim(Ar.
II,
12, 1);
il
estvrai
que peu auparavantil
a rappelé que I'armée avait besoin de ponts pour tra-verser(Az.
tr,
11,
l).
En
14 Germanicus lance unpont
surle Rhin
pour faire marcher ses troupes àl'ennemi;
si
Tacite indiquele
nombre de soldatsqui
y passèrent,il
ne révèle rien de I'emplacement de I'ouvrageni
de sa construction(An.1,49,4).Partois
les ennemis essaient d'empêcher l'établissement d'un pont, qui constitue une menace pour eux, comme c'est le cas de l'ouvrage commencé par les Romains surle Rhin
à Batavodurum (I1.V
20, 2). Certains textes con-cement la construction ou de la destruction de ponts enItalie,
Ies procédés dela
guerrecivile
ne différant pas de ceux des guerres étrangères : ûois cohortes ont établiun
pont surl'Adige
à ForumAlieni
(1L
I,
6, 6),qu'elles
coupent pour barrer la route à leurs ennemis flaviens (1LIII,
6,
l0)
; ou encore, les soldats de Caecina, révoltéscontle leur chef,
abandonnentleur
camp et rompentle
pont (suf le Tartarus ou le Pô("))
pour protéger leurs anières(H.
III,
l4).
Il
est toutefois deux ponts qui retiennent davantagel'attention
de Tacite. Dansle
cas dela
guerrecivile,
il
donne des précisions surla
constructiond'un
pontsw le
Pôpar
Caecinaet
Fabius Valens(H.
II,
34) (5').Il
s'agit
d'un
pont
de bateaux reliés par des poutres ;ils
font face au courant, sont rnis àl'ancre,
mais avec des câbles suffisarnment longs pour que leur niveau puisse s'élever en fonc-tion des crues, l'enhée du pont étant défendue par ulle tour oùl'on
a installé des instrumentsdejet.
La place accordée au pont dans la narration est à la mesure de safonction
pour Caecina et Valens,qui
enfont,
sans doute, un leurre destiné àpersuader leurs adv€rsaires que c'est à cet endroit
qu'ils
veulent traverser (55). En outre, même si le texten'a
pasl'ampleur
de celui où César décrit son pont per-manent surle Rhin
(BGIV,
17),il
esttout
àfait
symptomatique quela
seule description technique d'un pont chez Tacite conceme le Pô, dans une luttefiatri-cide entre Romains ; on ne manque pas de supposer chez
le
lecteur un réflexe d'intertextualité I'amenant à une comparaison avec le pont de César, qui souligne durement queI'ingéniosité
des légions est désormais mise au servicenon
de I'expansion romaine, mais d'une guerre intestine.(53) On trouvera un état de la question dans l'éd. des
llisroirel
de H. HEUBNER [n. 5],ln,
1972, p. 42-43, et dans l'éd. de J. HELLEco(rARc'H et H. LE BoNNrEclll.
l3]l, p.267 |les commentateus sont partagés eûtre le Tdtarus et le Pô ; ceux qui penchent pour le Pô
font valoir que le camp était situé entle le Tartarus et Hostlia. (54) Cf. aussi
tL
II. 41,l.
(55) Si c'est lâ thèse de la simulation qui prévaut naiDtenant, certains critiques peûsent
que les VitellieN étaient déterminés à franchir le fleuve en cet endrcit: cf. l'état de la question donné par J. Hulr,tjcou,\Rc'n [n.
l3],p.
181,etparH.
HEUBNER[n.5],
,1968, p. 128-133.LES FLEUVES DANS LE RÉCIT MILITAIRE TACITÉEN 431
L
autre épisode remarquable concemela
défensed'un
pont
surle Rhin
àCqsta
Vetera par Agrippine : alors que les soldats romains voulaient le rompre, alarmés par I'aruronce de I'arrivée des Germains et croyant le reste delcur
pro_ pre armée encerclé, la jeune femme parvient à le conserver grâce à son énergie. L historien ensuitecite
Pline montrantAgrippine
accueillant les légions à leur retour (An.I,69, l-2).
Si Tibère interprète à mal cette conduite, commeI'indice
de I'aspiration à une popularité dangereuse pourlui,
on peuty
vob
comme unefigure
inversée dela
tradition
héroi:que,Agrippine n'est-elle
pasqualifiée
de femina ingens animl($)
7 Alors qu'Horatius Coclès, un homme, rendait possiblela desfuction
du
pont
Sublicius pour
sauverI'yrâs et
soutenaitle
choc
des assaillantsà
l'entrée de
I'ouvrage (5r),Agrippine, une
femme,
empêche la destructiond'un
pont,pour la gloire
de Rome, et, àI'enûée
decelui-ci,
salue I'arméequi
revient de campagne et à laquelle elle permet d'entrer sans encom-bre dans l'espace romain. L épouse de Cermanicus a,elle
aussi, sa dimension hérorque.Plusieurs textes concement le franchissement de fleuves dans la partie
orien-tale
du
bassinméditenanéen:
Vitellius
et
Tiddate
traversentI'Euphrate
au moyend'un
pont de bateaux, après des sacrificesrituels
-
respectivement unsuovetaurile et
I'immolation d'un
cheval-
pour que Tiridate aille prendrepos-session de son trône parthe après la destitution
d'Anaban
(An.YI,
37, 2-3) : onvoit,
ailleurs, les
arméesde Gotazès et
Vardanès sedisputer
le
passage deI'Erinde (An.
XI,
10,2);
Taciteindique,
d'autre part, quela
situationde
son camp a été judicieusement établie par C. Cassius Longinus près de Zeugma, làoùr I'Euphrate offre I'accès le plus facile pour conduire le nouveau roi des Parthes pressenti, Méherdate, auprès des nobles parthes
qui
I'avaient envoyé chercher àRome (An.
XlI,
12,2);
Néron projetant une guerre contre les Parthesfail jeter
des pontssw I'Euphrate:
ces ouvrages appaniennent aux préparatifs militaires destinés à permettre une invasion en territoire ennemi (An.XIII,
?,l)
; ou encore,pour
franchir I'Araxe,
Corbulon, aulieu
du chemin le plus rapide, un Pont trop exposé,choisit
un gué à quelqu€ distance (An.)
I,
39,6).
Une action retient davantage I'attention de Tacite, et elle conceme un général de premier plan : Pourprotéger la conshuction
d'un
ponl, Corbulonutilise
des bateaux énormes reliés entre eux par des poutres et portant des catapultes: Tacite décritici
de manière précise les opératons de franchissement: le général défend les travaux de con-struction du pont en éloignant les ennemis grâce à des machines considérables, puis, unefois
I'ouvrage réalisé,il
occupe descollines
situées enface:
Tacite insiste sur la rapidité de cette action et sur le déploiement de forces imponantes Ilonta
celeritate et ostentationeuirium
(An.XV, 9,
1-2). Dansun
cas, au con-traire, la consûuctiond'un
pont par les Romains s'effectue non pâs en signe deAn.l,69,l:
*femrne au gmnd courageo.TITE-LrVE
II.
10.(56) (57)