• Aucun résultat trouvé

Lourd comme un cheval mort : le récit matérialisé

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Lourd comme un cheval mort : le récit matérialisé"

Copied!
51
0
0

Texte intégral

(1)

Isabelle Demers

Lourd comme un cheval mort : le récit matérialisé

Mémoire présenté

à la Faculté des études supérieures et postdoctorales de l'Université Laval dans le cadre du programme de maîtrise en arts visuels

pour l'obtention du grade de maître es arts (M.A.)

ECOLE DES ARTS VISUELS

FACULTÉ DE L'AMÉNAGEMENT, DE L'ARCHITECTURE ET DES ARTS VISUELS UNIVERSITÉ LAVAL

QUÉBEC

2012

(2)

RESUME

Ce mémoire vient rendre compte du parcours qui m'a menée à l'exposition Lourd comme un cheval mort présentée dans la galerie de La Chambre Blanche. Ma recherche s'est axée sur l'ouverture des formes, des dimensions et des matériaux afin de faire évoluer l'oeuvre. Elle s'est de plus inspirée du cinéma pour exploiter les procédés de la narration à même un espace ouvert : celui de l'installation.

(3)

REMERCIEMENTS

Je tiens spécialement à remercier mon copain Christian Messier pour avoir su porter sur mon travail et sur ce mémoire un regard doté d'honnêteté et de respect. Il m'a permis de gagner une certaine confiance en mes créations, ce qui demeure sans doute un outil des plus précieux lorsqu'on s'engage dans une pratique artistique.

Je désire également exprimer ma gratitude envers mon directeur de recherche David Naylor. Par son implication et son ouverture d'esprit, il a parsemé ma maîtrise de discussions stimulantes et enrichissantes.

(4)

TABLE DES FIGURES

Figure 1, Isabelle Demers, Sans titre, 2009, dessin sur papier, 22 x 30,5 cm Figure 2, Vue d'ensemble de la tapisserie de Bayeux

Figure 3, Scène 18 de la tapisserie de Bayeux

Figure 4, Isabelle Demers, Sans titre, 2008, dessin et aquarelle au mur, 180 cm x 220 cm Figure 5, Isabelle Demers, Greyhound, 2008, dessin et aquarelle au mur, détail de l'installation Figure 6, Isabelle Demers, Sans titre, 2008, bois, plastique et cire, 30 x 18 x 15 cm

Figure 7, Isabelle Demers, Greyhound, 2008, cire et bois, détail de l'installation

Figure 8, Isabelle Demers, Lourd comme un cheval mort, 2010, pyrogravure sur bois, détail de l'installation

Figure 9, Isabelle Demers, Lourd comme un cheval mort, 2010, pyrogravure sur bois, détail de l'installation

Figure 10, Sergueï Eisenstein, Le cuirassé Potemkin, 1925, photogrammes Figure 11, Vincent Gallo, Buffalo 66, 1998

Figure 12, Vincent Gallo, Buffalo 66, 1998

Figure 13, Isabelle Demers, The Great Escape, 2009, graphite et cire sur papier, 120 x 205 cm Figure 14, Isabelle Demers, Sans titre, 2008, graphite et crayons feutres sur papier, extrait du

fanzine Hélène et Paul 3

Figure 15, Isabelle Demers, Cheval et frissons, 2010, pyrogravure et aquarelle sur papier, 20 x 25 cm

Figure 16, Isabelle Demers, Greyhound, 2009, cire et bois, détail de l'installation

Figure 17, Isabelle Demers, Lourd comme un cheval mort, 2010, plâtre, cire, bois, dents de requin, détail de l'installation

Figure 18, Isabelle Demers, Lourd comme un cheval mort, 2010, plâtre, cire, bois, dents de requin, détail de l'installation

Figure 19, Isabelle Demers, Lourd comme un cheval mort, 2010, plâtre, cire, bois, dents de requin, détail de l'installation

Figure 20, Isabelle Demers, Lourd comme un cheval mort, 2010, plâtre, cire, bois, dents de requin, détail de l'installation

Figure 21, Isabelle Demers, Lourd comme un cheval mort, 2010, plâtre, cire, bois, dents de requin, détail de l'installation

(5)

TABLE DES MATIERES

RÉSUMÉ II REMERCIEMENTS III

TABLE DES FIGURES IV

TABLE DES MATIÈRES V

INTRODUCTION 6

CHAPITRE 1: LE DESSIN-OBJET ET L'OBJET-IMAGE 7

1.1 LA SPATIALISATION DU DESSIN 7 1.2 LA TAPISSERIE DE BAYEUX 9 1.3 LA PICTURALITÉ DE L'OBJET 11 CHAPITRE 2: LA MATIÈRE 15

2.1 LA FACTUALITÉ DE LA MATIÈRE 15 2.2 UNE MATÉRIALITÉ PICTURALE 21 2.3 LA RONDEUR DE LA MATIÈRE 24 CHAPITRE 3: L'EXPÉRIENCE DE LA NARRATION 28

3.1. L'ÉCLATEMENT DE LA STRUCTURE NARRATIVE 28 3.2 L'INTERSTICE À L'INTÉRIEUR DU RÉCIT, À L'INTÉRIEUR DE L'INSTALLATION 31

3.3 STRATÉGIE D'INTÉGRATION DE LA NARRATION DANS L'EXPOSITION 35

CONCLUSION 40

(6)

INTRODUCTION

La réflexion sur l'art en général et principalement sur ma démarche artistique, lors de ces deux années de maîtrise, aura personnellement été significative : c'est entre autres au cours de ce laps de temps que s'est façonné mon désir de concrétiser le monde imaginaire qui m'habite par le biais de la sculpture. Ce nouveau goût pour les objets, cet éclatement de l'ordre des dimensions, m'a permis de poser un regard neuf sur ma pratique picturale et de venir l'alimenter par une pensée qui était désormais habitée par la matière, son comportement, ses effets.

En fait, ce mémoire a été pensé de la même façon que s'est amorcée ma réflexion concernant ma pratique artistique : il relate, par une chronologie approximative, le chemin m'ayant menée à l'exposition Lourd comme un cheval mort. Il a aussi été créé couche après couche, tels mes jeux de matière sur mes propres sculptures.

Ayant comme point de départ un intérêt marqué pour le dessin et la peinture, j'ai tenté d'élucider comment cette attirance est venue déterminer ma pratique sculpturale, qui elle-même est venue redéfinir ma façon de concevoir mes œuvres bidimensionnelles. La production de mon installation, forte de cette nouvelle attitude face aux objets, s'est ainsi accompagnée d'une réflexion concernant l'expérience sensible des matériaux comme éléments contribuant à l'élaboration d'une narration dans l'espace de l'exposition.

J'ai d'abord étudié la spatialisation du dessin et la picturalité de la sculpture en faisant référence à la tapisserie de Bayeux et à sa narration. Je me suis ensuite attardée sur la matière elle-même : d'une part évolutive, à la fois constituante et déstructurante de la forme, celle des couches de cire, de l'encaustique, de la pyrogravure; d'autre part ronde, exposant ce flou volontaire ajouté à la lecture de l'œuvre afin d'en faire une œuvre ouverte, comme le traite Le troisième sens de Roland Barthès. Enfin, j'ai tenté une analyse partielle de la manière dont se comporte la trame narrative présentée dans l'espace expansif de l'installation en m'appuyant sur le récit cinématographique et ses techniques de montage, particulièrement les films d'Eisenstein.

(7)

Chapitre 1

Le dessin-objet et l'objet-image 1.1 La spatialisation du dessin

Je ne pouvais passer sous silence l'importance du dessin dans l'ensemble de ma pratique artistique comme de ma vie. J'affectionne particulièrement cette technique qui me procure du plaisir depuis mon enfance et qui fut, pour moi et certes la plupart d'entre nous, le premier contact avec l'art. Le dessin est d'une simplicité désarmante, se trouvant juste à porter de mains, au bout de nos doigts et ne requérant rien d'autre que papier et crayons. Mais c'est avant tout le ravissement qui me poussa à continuer le dessin, au fil des ans, soit la satisfaction de faire naître un monde, celui qui m'habitait, à l'aide de quelques lignes, taches et masses colorées.

Dessiner est devenu un réflexe qui s'immisce en tout lieu dans mon quotidien, parfois même inconsciemment. Mes idées se développent de façon intuitive, en même temps que les réseaux de lignes se tracent sur le papier. Toutes les actions que je pose sur la feuille sont alors visibles; toutes les orientations et les erreurs, tous les changements d'idées qui se présentent lors de l'acte de dessiner sont apparents. Le dessin est, se doit d'être honnête: je ne peux rien cacher, rien gommer et, si je dois le faire, les tentatives que j'aurai effectuées seront, elles aussi, perceptibles. En fait, je tiens à esquisser à la fois la présence sensible de ce que je veux représenter et celle de tout le cheminement qui m'a menée à l'œuvre finale. Sous cet angle, le dessin devient, pour moi, une trace du temps, exposant sur un même plan toutes les étapes de la création de l'œuvre.

L'acte de dessiner rend possible l'identité magique de la pensée et de l'action; parce que le dessin est le procédé le plus rapide et qu'il peut donc protéger l'intensité de la pensée. Dessiner n'est jamais qu'une transcription de la pensée (au sens d'écrire), mais plutôt une formulation ou une élaboration de la pensée à l'instant même où elle se transforme en image1.

1 FISHER, Jean, On Drawing: The State of Drawing. Gesture and Act, p.221-222, cité par Emma Dexter,

(8)

Figure 1, Isabelle Demers, Sans titre, 2009, dessin sur papier, 22 x 30,5 cm

Parallèlement à cette pratique picturale, mes recherches en atelier m'ont amenée à

développer des objets qui découlent d'une imagerie propre à mes dessins. C'est d'ailleurs

cette coprésence de figures bidimensionnelles et tridimensionnelles qui m'a conduite à la

forme installative pour l'exposition Lourd comme un cheval mort.

Je désirais qu'il y eût une résonance entre les différents éléments de l'exposition, non

seulement par le sujet, mais aussi au sein même de leur matérialité, qu'ils fussent

sculpturaux ou picturaux. Au même titre que mes sculptures sont en quelque sorte des

images en trois dimensions, je cherchais une façon de présenter les dessins qui les

(9)

rapprocherait des objets. Les figures 5 et 6 furent les premiers essais de leur mise en espace sous forme de murale. Les dessins muraux occupent en effet le lieu autrement que ceux sur papier : ils imprègnent les murs de leur présence, faisant ainsi partie intégrante de l'architecture de l'espace.

Cette nouvelle forme in situ du dessin n'est pas sans rappeler la fresque et ses propriétés, une technique de peinture consistant à appliquer des pigments, généralement terreux, sur un enduit de chaux humide. C'est d'ailleurs cet acte d'inclure à la matérialité même du support sa matière picturale qui m'a d'abord inspirée, d'où l'idée de produire un objet dont le corps inclurait le dessin. La pyrogravure possède justement cette particularité de transformer le support même, plutôt que de marquer celui-ci par ajout de matière.

1.2 La tapisserie de Bayeux

Pour arriver à l'idée de la « fresque » pyrogravée, je me suis largement inspirée de la tapisserie de Bayeux. Cette tapisserie, qui mesure 68,3 m par 50 cm, est en fait une toile de lin brodée de morceaux de laine. Elle relate la conquête normande de l'Angleterre. Le récit, composé de 72 scènes, regorge de détails intrigants et de personnages mystiques. Étant donné sa large superficie, il est impossible de la saisir d'un seul regard. Il nous faut la découvrir progressivement. L'histoire en images brodées regroupe plusieurs scènes confinées en un seul objet. L'arbre est utilisé comme signe de ponctuation, signalant le début et la fin de chacune des scènes. Toutes les actions du récit nous apparaissent graduellement dans cette succession ininterrompue d'images.

Cette saga textile médiévale, que l'on peut qualifier d'ancêtre de la bande dessinée et du cinéma de par, entre autres, ses plans cadrés, est certes riche en histoire. Mais la vue des nombreux animaux, réels ou mythiques, les transitions aux qualités fantaisistes et le cinétisme des scènes sont particulièrement marquants :

Le rythme alerte de la narration, la qualité graphique de l'alternance des scènes fixes et des scènes de mouvement, des plans moyens et des panoramiques, ne peut que séduire le spectateur dont le regard aiguillonné le plus souvent à l'horizontale

(10)

(quoique accroché par quelques verticales), est tantôt capté et retenu par une

entrevue statique à la gestuelle délibérément intense dans un univers strictement

architecture, tantôt propulsé vers l'avant (comme à l'air libre) par une cavalcade où

les jambes des chevaux arrêtées, pliées ou projetées, le guident, secondées, de ci de

là, par des jeux de pattes de chiens couranr.

Figure 2, Vue d'ensemble de la tapisserie de Bayeux

2

BRUCKMULLER-GENLOT, Danielle, Peinture et civilisation britanniques : culture et représentation,

(11)

Figure 3, Scène 18 de la tapisserie de Bayeux

Ma « fresque pyrogravée », un peu à la manière de la tapisserie de Bayeux, en plus de

mettre l'emphase sur un bestiaire parfois inquiétant et une mise en espace

surdimensionnée, est active autant par ce qui y est représenté que par sa matérialité. En

effet, la profusion des détails du dessin exige du spectateur qu'il découvre l'œuvre d'un

point de vue plus rapproché, ce qui lui permet de discerner les qualités plastiques du bois

brûlé. Le détail attire mais, surtout, retient le regard. Ainsi, la narration se trouve

concrétisée non seulement par la figure, mais bien par la matière. Cette nouvelle

matérialité du dessin s'apparente à la réalité physique des objets que je créais alors dans

mon atelier, un peu comme si je faisais vivre certains éléments de mes dessins par le biais

de la forme sculpturale.

13 La picturalité de l'objet

Cette propension au dessin a certainement eu un impact déterminant quant à la manière

dont j'ai abordé cette nouvelle pratique sculpturale. Les objets se sont développés un peu

(12)

de la même façon que mes dessins : en conservant toutes traces de mes actions pendant la conception, les objets, comme les dessins, deviennent le reflet de l'accumulation de toutes les étapes que je leur ai consacrées.

Ces sculptures sont en quelque sorte des images. Elles sont la rencontre entre une idée esquissée sur un bout de papier et les particularités de la matière plastique qui les constitue. Cette nouvelle série d'objets agit d'ailleurs en complémentarité avec les figures présentes à l'intérieur de la fresque. Or, l'aspect plastique de la cire et du plâtre me permet de montrer les figures autrement, sous un nouveau jour. Elles se dévoilent et se comprennent différemment de celles qui auraient été dessinées. Le langage de la matière vient s'imposer de lui-même, m'invitant à de nouvelles possibilités de représentation. Ainsi, chacun des éléments de l'installation contribue à communiquer une narration autant par le biais de leur représentation que par celui de leur matérialité. L'hétérogénéité des médiums utilisés complète l'ensemble en proposant plusieurs points de vue d'une seule et même figure.

(13)

r

I

I

Figure 4, Isabelle Demers, Sans titre, 2008, dessin et aquarelle au mur, 180 cm x 220 cm

(14)

__

(15)

Chapitre 2

2.1 La factualité de la matière Quand mon corps sur ton corps Lourd comme un cheval mort Ne sait pas, ne sait plus

S'il existe encore3

Le titre de mon exposition, Lourd comme un cheval mort, m'est venu alors que je flânais sur Internet à la recherche d'une quelconque inspiration. Je suis tombée par hasard sur les paroles de l'œuvre de Johnny Hallyday. Cette comparaison, « lourd comme un cheval mort », m'a particulièrement touchée, car elle semblait canaliser l'ensemble de mon installation en quelques mots. Fortement colorée et dramatique, cette image suggère d'abord l'idée d'un changement d'état (la mort) pouvant provoquer une transformation des propriétés du cheval (le poids). Elle évoque en outre pour moi le chemin qui m'a menée à la présentation de cette exposition : en transformant la physicalité de certains objets, je venais par le fait même transformer le sens émergeant de ceux-ci.

Les objets que j ' y ai présentés n'étaient au départ que de simples essais techniques. Ils sont au final le résultat des expérimentations qui se sont révélées les plus concluantes. J'ai utilisé les mêmes objets du début à la fin de la conception de l'exposition, les faisant transiter d'une matière à une autre. Je les ai observés longuement, sous leurs nouvelles apparences, voyageant du polystyrène au papier mâché, de la cire au plâtre. Ils se métamorphosaient ainsi continuellement sous le poids de l'ajout de matière, transfigurant ce qui était à l'origine des têtes d'ours ou de loups en quelque chose d'autre. Ils ne représentaient plus des formes fixes et reconnaissables, mais plutôt des créatures étranges, voire incertaines.

En altérant ainsi les objets, je m'intéressais aux répercussions, à l'impact que la matière ajoutée pouvait avoir sur la forme. Je voulais « densifier » les têtes d'animaux de sorte qu'en les rendant moins facilement identifiables, l'interprétation qu'on leur porterait

3 HALLYDAY, Johnny, « Que je t'aime », Que je t'aime, album live, 1969.

(16)

pourrait se brouiller au contact de la matière ou, plutôt, que le sens pourrait se dérober sous cette même matière.

La cire possède ce pouvoir de mystifier le sens d'un objet par son apparence lourde et pâteuse. J'avais déjà utilisé la cire pour réaliser des tableaux à l'encaustique. Cette technique de peinture m'intéressait particulièrement puisque qu'elle me permettait d'appliquer une succession de couches que je pouvais ensuite retravailler en grattant ou en modelant. Ce qui est fascinant de la cire, c'est qu'elle porte en elle-même un paradoxe : elle est bien connue pour sa permanence, sa stabilité dans le temps (protection de toiles), mais doit par contre être travaillée rapidement puisqu'elle n'est pas résistante d'un point de vue mécanique et demeure sensible à la chaleur. Je considère que cette opposition entre, longévité et brièveté, force et fragilité, demeure un angle intéressant d'analyse que j'ai exploité en jouant avec la malléabilité de la matière non pas pour faire durer l'oeuvre dans le temps, mais bien pour la modifier, lui amener une lecture nouvelle.

J'eus l'idée de chauffer la cire une fois appliquée pour la liquéfier, ce qui eut pour effet de venir enfouir le sujet dans la matière. Il en résulta une sorte d'apparition brouillée, une silhouette fantomatique se situant entre les diverses couches. L'objet final nous apparaissait flou, convoquant toutes les strates de matières translucides pour les mettre sur un même et unique plan.

L'encaustique est un médium qui se situe à mi-chemin entre la peinture et la sculpture. Déjà, cette façon de peindre laissait présager une pratique sculpturale à venir. Utilisée lorsqu'elle est fondue, la peinture est alors plus chaude que la surface sur laquelle elle est appliquée. La peinture se solidifie donc au contact de la surface, figeant le geste dans une traînée de matière épaisse. Voyageant aisément de l'état solide à l'état liquide, la cire fixe l'instant de prise en captant, au sein de sa matérialité, la présence physique du moment de la création. Dans son texte Morceaux de cire, Didi-Huberman explore d'ailleurs les qualités plastiques de la cire dans leurs contextes d'instabilité :

Plasticité, dès lors, ne veut plus seulement dire passivité. Le morceau de cire reste bien sûr docile dans ma main, mais il prendra la forme de mon « dessein » prescrit; mais il gardera aussi, sans même que je l'aie pensé ni voulu,

(17)

l'empreinte de mes doigts et les traces de mes mouvements les plus insus. La docilité du matériau est si entière qu'à un moment elle se renverse et devient puissance du matériau4.

Cette puissance que Didi-Huberman confère à la cire, il la définit par la notion de viscosité. Selon le Larousse, la viscosité désigne la résistance d'un fluide à son écoulement uniforme et sans turbulence. Le caractère de la cire, dans cet état de viscosité, entre l'état solide et l'état liquide, la rend malléable à tout ce qui l'entoure.

J'ai utilisé la cire dans un premier temps pour recouvrir des assemblages (fig. 6), puis pour en faire des moulages (fig. 7). Je me suis vite rendue à l'évidence, même lorsque j'utilisais un moule, que la cire ne se laissait pas contenir : elle coule, déborde et s'infiltre dans les joints, venant dès lors créer une tout autre forme que celle que j'avais anticipée. Comme si celle-ci était pourvue d'une autonomie propre, elle se frayait un chemin et venait largement défigurer l'image de base que je tentais de reproduire à partir du moule. La matière n'était plus uniquement la constituante de la forme passive de la forme moulée, elle est originaire.

La réalité du matériau s'avère plus inquiétante : c'est qu'il possède une viscosité, une sorte d'activité ou de puissance intrinsèque, qui est une puissance de métamorphisme, de polymorphisme, d'insensibilité à la contradiction (notamment à la contradiction abstraite entre forme et informe)5.

Cette prise de conscience de la matière à la fois comme constituante et déstructurante de la forme a été pour moi la base d'une logique de travail. C'est à partir de celle-ci que j'ai abordé la conception des figures sculpturales et de certaines images que j'allais réaliser en pyrogravure.

4 DIDI-HUBERMAN, Georges, « Morceaux de cire », Définitions de la culture visuelle, III : art et philosophie. Actes du colloque tenu au Musée d'art contemporain de Montréal les 16, 17 et 18 octobre

1997, Montréal, Musée d'art contemporain, 1998, p. 63. 5 Id, ibid.

(18)
(19)

Figure 7, Isabelle Demers, Greyhound, 2008, cire et bois, détail de l'installation

Le travail de l'artiste consiste en quelque sorte à valoriser les matériaux en explorant leurs

particularités et qualités intrinsèques. La matière est signifiante par elle-même. On ne peut

modifier celle d'un objet sans en changer le poids, la couleur, l'aspect et, par conséquent, le

sens, la signification et sa lecture : « Les matières de l'art ne sont pas interchangeables,

c'est-à-dire que la forme, passant d'une matière donnée à une autre matière, subit une

métamorphose

6

. » Dans le cas de l'œuvre d'art, cette transposition irait même, à mon avis,

au-delà de la métamorphose : elle modifierait complètement l'œuvre pour en faire vivre

une nouvelle, tout à fait différente. « La forme n'est qu'une vue de l'esprit, une spéculation

sur l'étendue réduite à l'intelligibilité géométrique, tant qu'elle ne vit pas dans la matière .»

La première étape de la réalisation de mes sculptures fut de mouler des formes de base

d'animaux avec du papier mâché. Il en résulta des formes molles, presque abstraites et

fragiles, qui perdirent une partie de leurs détails au profit d'une nouvelle facture. Le papier

mâché étant flexible et malléable, je pouvais ensuite aisément lui faire subir quelques

6

FOCILLON, Henri, Vie des formes, Paris, Presses Universitaires de France, 1943, T édition, 1981, p. 55.

7

Id., ibid, p. 50.

(20)

transformations, y découper une bouche, déformer la mâchoire inférieure ou ajouter des sourcils. C'est en faisant transiter les formes d'une matière à une autre qu'apparurent certaines particularités de la matière ; celles-ci m'ouvrirent des chemins sur lesquels je n'avais pas envisagé d'aller. La matière est donc, de ce point de vue, productrice de sens au même titre que la représentation.

J'essaie à cet égard de rester continuellement à l'écoute de ces surprises de la création et de laisser les matériaux que j'utilise exprimer leur propre langage. Je me suis particulièrement intéressée à ces petites imperfections qui naissent dans le processus de moulage : j'ai voulu amplifier ces déformations en utilisant les formes obtenues comme matrices, les nouveaux objets s'éloignant ainsi de plus en plus du modèle original. J'en ai sélectionné quelques-uns, appartenant à chacune des étapes de leur conception, justement pour venir illustrer les différentes phases de la mutation de la forme.

Puis, j'ai recouvert ces têtes de cire. Pour certaines sculptures, j'ai appliqué seulement quelques couches afin de dissimuler la couleur du papier mâché, alors que, pour d'autres, j'en ai appliqué de plus épaisses, rendant les formes denses et saturées. La cire bouleverse tout. Elle coule le long du museau en remplissant les cavités oculaires, elle s'infiltre dans les fissures tout en amplifiant les déformations causées par le papier mâché. Les différentes couches de couleurs se fondent les unes dans les autres en une teinte brouillée et incertaine. La forme devient le prolongement de la substance, la conséquence des effets sensibles de la cire. Avec cette accumulation de la matière, le sens de la sculpture semble se déplacer vers une certaine ouverture. La forme s'éloigne de la représentation littérale d'un animal reconnaissable, par exemple un chien, pour devenir justement un peu plus générique, un peu plus animale. L'animalité du chien prend donc le dessus. Elle se donne en quelque sort en s'affranchissant de son sens figuré initial.

La sculpture de plâtre illustrant deux chiens se bagarrant suggère, elle aussi, que le sens de la sculpture est engendré par la rencontre entre la figure du chien et sa matière. Toutefois, le travail effectué n'était plus de l'ordre de l'ajout de matière sur une forme, mais de l'exploitation directe de la matière. La réalisation de cette sculpture fut somme toute assez

(21)

semblable à celle de la série des têtes d'animaux : je moulais des formes qui existaient déjà. Celles des coyotes étant assez imposantes, j'ai dû concevoir les moules en plusieurs parties, ce qui eut comme conséquence directe de multiplier les imperfections. Après avoir assemblé les pattes, le corps et la tête de la première bête, je me suis retrouvée devant une créature alourdie par d'épaisses couches de plâtre agglutinées aux joints que j'avais dû colmater afin de faire tenir les parties ensemble. Je trouvais que ces amoncellements de plâtre autour du corps et de la tête de l'animal ajoutaient une charge émotive à la bête et lui conféraient une personnalité vraiment singulière. Ce surplus de matière faisait en outre écho aux sculptures de têtes d'animaux que je fabriquais simultanément. Le lien entre tous les éléments de l'installation était désormais clair : dans tous les cas le sens narratif est réactualisé par la matérialité active des éléments du récit.

2.2 Une matérialité picturale

Alors que mon travail sculptural fonctionne selon une logique d'accumulation de couches de matière formant des masses, le dessin pyrogravé est quant à lui constitué de plusieurs séries de traits répétés. Chaque section est en soi un système de lignes propre à ce qui est représenté. En fait, j'ai brûlé des chevauchements de petites lignes délicates pour les poils de chiens, des grasses et espacées pour les poils de chevaux, des courtes et délicates pour l'herbe. Ces systèmes, constituant l'ensemble du dessin pyrogravé, ne sont perceptibles que d'un point de vue rapproché par rapport à la fresque. De loin, ces ensembles de lignes forment les zones claires et obscures du dessin. Je souhaitais que l'expérience de la fresque s'apparente un peu à ce que l'on peut ressentir devant un paysage composé de plaines verdoyantes. La vue d'une vaste étendue, présentant au loin une uniformité de tons, se clarifie peu à peu alors qu'en foulant la plaine, on se rend compte que des millions de brins d'herbe se donnent distinctement en spectacle sous nos yeux. En s'approchant ainsi de l'œuvre, le spectateur devient aussi, dès lors, un sujet actif. Le mouvement créé afin de mieux voir incite à mieux comprendre non seulement le dessin, mais la technique et la matière utilisée.

Or, la pyrogravure se différencie d'autres techniques de dessin du fait qu'elle n'est pas une

(22)

matière appliquée sur une autre, mais plutôt le résultat d'une transformation de la matière

dont le support est constitué. La chaleur de la pointe du pyrograveur transforme la couleur

du bois ou du papier. Elle peut aussi, parfois, le trouer, laisser des halos tels des effets de

fumée en bordure des traits. Les nuances de brun et de noir, qui forment les lignes et

masses du dessin, sont en réalité divers changements d'état de la matière. La chaleur brûle

et laisse des dépôts de carbone à quelques endroits sur l'image. Les lignes obtenues sont

donc, forcément, irrégulières et floues. Le dessin, par le biais de la pyrogravure, change à

la fois d'aspect et de mode d'être : la chaleur du pyrograveur creuse des truchements dans

la matière, l'épaisseur du cadre en bois l'éloigné du mur, sa présence dans l'espace

s'accentue, la figure dessinée tend à devenir un objet...

(23)

Figure 9, Isabelle Demers, Lourd comme un cheval mort, 2010, pyrogravure sur bois, détail de l'installation

(24)

2.3 La rondeur de la matière

Une œuvre d'art a toujours représenté, pour moi, le chemin sinueux entre une intention et l'objet qui en résulte. L'œuvre ne donne pas tout au spectateur, elle se laisse découvrir, voire désirer. L'artiste complexifie les signes, offrant à l'observateur une grappe de sens dont la signification semble éternellement se dérober sous ses yeux, comme si elle était là, tout près, à la limite de sa compréhension. C'est aussi à mon avis ce qui la rend intéressante puisqu'elle vient habiter le spectateur d'une mystérieuse sensation et que cet effet persiste au-delà du contact physique avec l'œuvre.

Cette sensation, cet étrange effet, Roland Barthès tente de l'expliquer dans Le troisième sens. Ce texte m'aura accompagnée tout au long de ma maîtrise et continue encore de m'inspirer dans mon travail d'atelier. Barthès y précise ce qui surgit en amont de l'œuvre d'art et vient parasiter le sens désiré. En se référant aux photogrammes du cinéaste russe Eiseinstein, particulièrement ceux du Cuirassé Potemkine, il relève trois niveaux de sens :

le premier, l'information, est celui dont la raison d'être est de porter une signification, de communiquer une donnée, de rendre un message intentionnel de l'auteur;

le deuxième, la signification en strates symboliques, provenant également de l'intention de l'auteur, englobe un ensemble de codes et de symboles, conférant ainsi à l'œuvre une charge symbolique, « un sens qui part du film et qui va au-devant de moi, le

(25)

sens obvie »8;

le troisième, la signifiance, implique une résistance qui se manifeste dans le détail qui retient l'attention flottante ou distraite pour la faire glisser ailleurs.

Ainsi, le sens obtus, ce troisième sens, n'est ni de l'ordre de la communication ni de l'ordre de la symbolique, mais réussit à capter le regard du spectateur sans que ce dernier puisse mettre le doigt sur la source de cette attraction. Le troisième sens est indifférent au récit. En se basant à partir des photogrammes extraits du Cuirassé Potemkine de Eisenstein, Barthès démontre comment ce troisième sens existe indépendamment du récit :

Car tout est là : l'indifférence, ou liberté de position du signifiant supplémentaire par rapport au récit, permet de situer assez exactement la tâche historique, politique, théorique, accomplie par Eisenstein. (...) la présence d'un troisième sens supplémentaire, obtus -ne fût-ce que dans quelques images, mais alors comme une signature impérissable, comme un sceau qui avalise toute l'œuvre -et tout l'œuvre- , cette présence remodèle profondément le statut théorique de l'anecdote : l'histoire (la diégèse) n'est plus seulement un système fort (système narratif millénaire), mais aussi contradictoirement un simple espace, un champ de permanences et de permutations ; elle est cette configuration, cette scène dont les fausses limites multiplient le jeu permutatif du signifiant9.

Il réfère plutôt à un sens inattendu de l'œuvre, celui qui vient en trop, en surplus, un peu comme s'il venait brouiller les pistes de lecture de l'œuvre. Selon Le Robert, le mot obtus vient du latin obtusus qui signifie « émoussé, affaibli, assourdi ». Ce sens, donc, est flottant autour de l'image, mais dans un lieu qui ne peut être circonscrit.

C'est en fait par ce troisième sens que Barthès tente de définir tout ce qui entoure l'œuvre d'art, mais qui demeure fuyant devant une tentative d'explication :

Le sens obtus est un signifiant sans signifié; d'où la difficulté de le nommer : ma lecture reste suspendue entre l'image et sa description, entre la définition et l'approximation. Si l'on ne peut décrire le sens obtus, c'est que, contrairement au

8BARTHES, Roland, L obvie et l'obtus, Paris, Seuil, 1982, p. 45

9 Id., ibid., p. 55

(26)

sens obvie, il ne copie rien : comment décrire ce qui ne représente rien10?

En somme, l'œuvre d'art informe, communique un message et touche tout à la fois. Mais ce qui la rend unique, fascinante, c'est justement ce dernier élément. Elle touche, elle émeut. Elle se laisse désirer, saisir tout doucement par couches de sens, sans jamais se dévoiler pleinement.

Or, en enrobant mes propres sculptures de couches de cire, je tentais à mon tour d'ajouter des couches de sens, un surplus, de sorte de créer un effet inattendu, de venir brouiller les pistes de lecture. Les formes ne sont plus aussi précises, elles ne représentent plus simplement la tête de loup originale. L'objet ainsi créé évoque plus qu'il ne représente un animal puisqu'un flou volontaire a été ajouté à la lecture de l'œuvre afin d'en faire une œuvre ouverte.

J'essaie ainsi de faire planer un doute autour de mes objets de telle sorte que l'on ne puisse y coller une signification univoque. Sans prétendre avoir réussi à montrer ce troisième sens dans mes œuvres, je tente sciemment de brouiller le signifiant de la forme pour que quelque chose de nouveau puisse en surgir. Le surplus de matière de mes sculptures est par conséquent un moyen de détourner l'objet de ce à quoi il réfère afin de bouleverser ce rapport signifiant-signifié.

Même si l'analyse de Barthès se rapporte à des photogrammes, je considère que l'idée de son sens obtus en tant que « signifiant sans signifié » peut très bien s'appliquer à mon rapport à la matière à cause du sens non fixé de celle-ci. J'y dresse aussi un parallèle avec le concept de double réserve établi par Heidegger dans son Origine de l'œuvre d'art. Pour lui, le sens de la matière (vérité) vient se dérober lorsque l'on vient lui appliquer une tentative d'explication. L'interprétation de l'œuvre dans son apparaître se fait toujours par les effets de la matière qui, elle, ne peut être circonscrite :

La couleur irradie, et ne peut qu'irradier. Si nous la décomposons, par une

(27)

intelligente mesure, en nombre de variations, alors elle a disparu. Elle ne se montre que si elle reste non décelée et inexpliquée. La terre fait ainsi se briser contre elle-même toute tentative de pénétration. Elle fait tourner en destruction toute indiscrétion calculatrice1 '.

Cette vérité de la matière qui se détourne lorsqu'on lui colle du sens vient parasiter la relation entre le signifié et le signifiant dans l'œuvre d'art. Cette impossibilité de traduire exactement la matière par les codes du langage fait planer un doute autour de l'œuvre qui ne peut être résolu. Les couches de cire et de plâtre que j'ajoute à mes sculptures de même que les couches de lignes brûlées dans mes fresques amènent, selon moi, le sens à se dérober. Mes objets ne sont pas porteurs d'un message ou d'une signification : ils sont eux-mêmes; ils sont leur propre monde. Par conséquent, le sens de l'art se situerait-il à l'extérieur des deux premiers niveaux de sens, informatifs et symboliques? Je suis d'avis qu'il ne touche plutôt que ce qui arrive en surplus, quand l'idée, justement, rencontre la matière.

11 HEIDEGGER, Martin, « L'origine de l'œuvre d'art », Chemins qui ne mènent nulle part, Paris, Gallimard,

1962, p. 50.

(28)

Chapitre 3

L'expérience de la narration

3.1. L'éclatement de la structure narrative

Dans un roman, comme dans toute œuvre écrite ou racontée, la narration se veut non seulement le récit d'une histoire, mais la structure même de cette histoire. Son usage dans le langage plastique, bien que plus limité, n'en demeure pas moins présent, entre autres dans la bande dessinée et les installations vidéo. Je considère aussi que mes dessins, mes sculptures et mes installations sont en quelque sorte des bricolages utilisant des éléments narratifs. En collant et en assemblant des moments, des fragments d'histoires, je tente de créer quelque chose d'autre, quelque chose qui dépasse, même, le fait de raconter un événement. Au même titre que le bricolage fonctionne selon une méthodologie de la découverte, la trame narrative présente dans mes installations se concrétise par la juxtaposition de sculptures et de dessins. Le récit n'est donc pas préétabli, mais il survient par la rencontre des différents éléments de l'installation. Le but n'est pas de présenter un récit complet et achevé, mais de produire un effet narratif, une histoire qui ne vit que par sa potentialité. En fait, je rassemble des fragments de ce qui m'entoure au quotidien pour construire un univers singulier formant la trame globale de mon processus créateur.

L'installation vient rompre le caractère habituellement linéaire de la narration. Le spectateur adopte ainsi une position dynamique devant l'œuvre puisqu'il ne peut, à l'instar de la tapisserie de Bayeux, percevoir l'installation dans son entièreté à l'intérieur d'un même champ visuel. Par le choix de l'étendue et de la configuration de l'installation dans l'espace, j'impose un point de vue selon lequel il est impossible au spectateur de tout voir en même temps. C'est par son déplacement qu'il pourra découvrir les différents éléments constituant l'œuvre. Ainsi, il est non seulement actif face à l'œuvre, mais devient aussi une composante de celle-ci : en adoptant d'abord une certaine vision d'ensemble, close par la réalité de l'espace, le spectateur doit ensuite compléter le parcours duquel jaillissent les différentes situations représentées. Ces éléments de l'installation sont alors perçus tels des plans images d'un film, ayant chacun leur spécificité, leur rôle et leur autonomie, qui

(29)

pointent vers les moments saillants du récit. Chaque scène a alors sa propre valeur tout en étant un fragment fondamental de la cohérence au sein de l'histoire élargie.

Je conserve ce désir de raconter quelque chose tout en étant consciente que les installations narratives, du moins celles que je mets en scène, ne sont plus organisées autour de la fluidité ni de la linéarité de l'histoire. C'est par le déploiement dans l'espace des différents éléments actifs de l'histoire que la trame narrative tend à se désagréger, à se morceler et à se muter dans le devenir d'une nouvelle structure. Je viens ainsi reconstruire l'ordre préalablement établi dans l'organisation du récit qui, lui, est restructuré dans un contexte beaucoup plus global, où l'ordre dans lequel les éléments seront perçus n'a plus réellement d'importance. Ce que cette non-linéarité interroge vraiment, c'est en fait le rôle de l'introduction et de la conclusion propre à la narration classique.

Le récit classique se construit autour d'une organisation composée d'un début, d'un événement déclencheur, d'un déroulement et d'une situation finale. Mais qu'arrive-t-il lorsque, dans l'installation, ne cohabitent que des fragments, des péripéties? Dans son texte L'analyse structurale du récit, Roland Barthès affirme que « [l]e sens n'est pas au bout du récit, il le traverse »12. Le rôle des composantes de la trame narrative serait-il, de ce point de vue, intrinsèquement modifié si celles-ci n'étaient plus articulées en vue de l'avènement de la cristallisation du récit? La fin serait certes maintenue dans un suspense éternellement retardé car, selon cette nouvelle perspective, le récit ne se préoccuperait plus de faire converger tous ses éléments structurants vers une situation finale.

Lorsque les situations initiale et finale de la structure narrative sont retirées, la résolution de l'intrigue, au sens de la solution à trouver, se voit non plus seulement retardée, mais complètement écartée. Or, comme dans un récit à suspense, il s'y déploie une tension qui n'est non pas obtenue par une succession d'événements, mais plutôt par la coprésence simultanée d'éléments narratifs. La forme installative permet justement une structure narrative où toutes les composantes se retrouvent à la fois présentes et sur le même plan. Il en résulte, globalement, une ambiance fictionnelle de l'ordre de la sensation, au détriment

12 BARTHES, Roland, Analyse structurale du récit : poétique du récit, Paris, du Seuil, 1977, p. 15.

(30)

de celui de l'entendement.

Par ailleurs, l'éclatement de la structure narrative permet aussi d'exploiter la structure spatiale. Dans le texte de présentation du catalogue de l'exposition Explorations narratives13, du Mois de la photo à Montréal, Marie Fraser développe à cet effet un questionnement sur la métamorphose du récit dans une perspective non linéaire. Cette problématique, qui se concrétise par l'absence d'une direction unique de la trame narrative vers une situation finale, incarne en quelque sorte le noyau de ma recherche et alimente mon désir d'explorer la mise en place de l'expérience narrative à même les éclatements temporel et spatial de l'installation. C'est en effet par le biais de l'installation et de la polymorphic des supports que j'ai l'intention d'activer autrement le dessin et la sculpture afin de dynamiser l'expérience narrative.

Or, comment la trame narrative se comporte-t-elle si elle n'est plus motivée par la résolution de l'élément perturbateur? On remarque, dans les pratiques contemporaines littéraires, cinématographiques et artistiques, que la fluidité et la linéarité ne se présentent plus comme étant des preuves de l'autonomisation du récit. Les limites de la représentation narrative tendent actuellement à se diffuser et à s'ouvrir vers de nouvelles possibilités. Dans le catalogue de l'exposition Raconte-moi, qui a eu lieu au Musée national des beaux-arts du Québec en 2006, Marie Fraser affirme que les œuvres présentées lors de cette exposition « cherchent autant à générer du récit qu'à lui faire entrave, c'est-à-dire qu'elles explorent différentes façons de raconter, tout en reformulant les principes de la narrativité »14. Même si la structure se retrouve chamboulée, cette appropriation par les artistes du concept de narration participe à la faire évoluer vers des espaces ouverts et multiples en mettant l'accent sur l'action même de raconter. Il en résulte de nouvelles formes de récit dont le sens n'est donné que partiellement, permettant alors une multiplicité de significations.

FRASER, Marie et collab,. Explorations narratives/ Replaying narrative- Le mois de la photo à Montréal, Montréal, 2007, 394 p.

14 FRASER, Marie et alii, Raconte-moi/Tell Me, Québec, Musée national des beaux-arts du Québec, Casino

(31)

3.2 L'interstice à l'intérieur du récit, à l'intérieur de l'installation

C'est en lisant Le troisième sens abordant les photogrammes issus des films Ivan le Terrible et Le cuirassé Potemkin d'Eisenstein que j'ai découvert le travail de ce cinéaste. J'ai constaté de nombreuses ressemblances entre la façon dont Eisenstein organise les possibilités narratives dans le récit et celle dont je tente de faire vivre l'histoire à l'intérieur de l'installation. Il n'était d'ailleurs pas rare à cette époque que les cinéastes utilisent, comme lui, le médium cinématographique pour exploiter les phénomènes spécifiques émergeant de ce médium en plus de raconter une histoire. En analysant ses films, particulièrement Le cuirassé Potemkin, j'ai pu déceler plusieurs liens avec ma propre pratique artistique, surtout en ce qui concerne l'utilisation de l'image fragmentaire et indépendante dans sa relation avec le tout qu'est le récit filmique ou, dans mon cas, l'installation narrative.

Certains films d'Eisenstein semblent, en effet, s'articuler autour d'une succession de plans et de photogrammes semblables à des tableaux. Ces différents plans images ont une valeur autonome, tout en jouant un rôle indéniable sur les autres segments du film dans la compréhension de l'histoire. Eisenstein juxtapose les plans, les images, comme je combine les sculptures, les dessins : avec, tous deux, cet objectif de la mise en place d'une logistique narrative et signifiante. Le spectateur se retrouve alors à saisir l'idée globale du film par la compréhension des différentes scènes, par une « prise de conscience du général dans le particulier »15. L'espace cinématographique propre au cinéaste, à l'instar de l'espace installatif, rassemble dans un lieu donné des univers particuliers pouvant à la fois être compris de façon autonome et contribuer à la formation d'un tout.

Le processus d'élaboration d'une narration devient tout aussi important que ce qui y est raconté. Au cinéma, on utilise les techniques de montage afin de moduler le récit pour laisser émerger bien plus que l'événement représenté : on use d'ellipses, d'analepses; on allonge ou raccourcit une scène afin de moduler les représentations temporelles et de les

15 ALBERTA, François, introduction de Sergueï EISENSTEIN, Cinématiste, peinture et cinéma, Bruxelles, Complexe, 1980, p. 8.

(32)

faire converger vers un sens précis. Dans une installation, tout comme en peinture ou en littérature, le montage vient, en fait, ajouter un impact émotionnel. Dans son livre Réflexions d'un cinéaste, Eisenstein dresse à cet égard une analogie entre la peinture de Léonard de Vinci et le cinéma :

On tient ici un éclatant exemple du fait que, dans la « coprésence » simultanée et apparemment statique des détails sur une toile immobile, joue exactement le même procédé de montage, le même tri, le même rigoureux enchaînement de la juxtaposition des détails que dans les arts du temps.

De même, pour Deleuze, la narration émerge du mouvement, mais ce sont précisément les techniques de montage colligeant les différentes images-mouvements qui font émerger le sens général du film. Il accorde ainsi une importance non négligeable aux techniques de montage :

Si l'on assimile l'image-mouvement au plan, on appelle cadrage la première face du plan tournée vers les objets, et le montage l'autre face tournée vers le tout. D'où une première thèse : c'est le montage lui-même qui constitue le tout, et nous donne ainsi l'image du temps. Il est donc l'acte principal du cinéma. Le temps est nécessairement une représentation indirecte, parce qu'il découle du montage qui lie une image-mouvement à une autre. C'est pourquoi la liaison ne peut pas être qu'une simple juxtaposition : le tout n'est pas plus une addition que le temps une succession de présents16.

La célèbre scène des escaliers d'Odessa dans Le cuirassé Potemkin exprime bien comment, par une maîtrise des techniques de montage, le réalisateur a su amplifier une émotion déjà présente dans le temps de l'histoire. La scène montre une foule réunie célébrant le départ du bateau des insurgés. Un sentiment d'euphorie est bien sûr palpable, mais ce sentiment est brutalement renversé par le massacre de la foule orchestré par les gardes du tsar. Ce revirement soudain de situation à l'intérieur d'un même lieu entraîne, par le fait même, un retournement des émotions chez le spectateur. La série de plans images est soulignée par la répétition de gros plans de la mère affligée, alternant avec les plans généraux de la foule paniquée et ceux de l'escalier, lieu de la tragédie. La scène se déploie sur une durée considérablement plus longue que la durée réelle de l'événement. C'est un temps qui

(33)

s'étire, mais dont l'allongement est nécessaire : il permet l'amplification de la relation

entre l'histoire illustrée et les émotions du spectateur.

- * • ' _ _ _

Figure 10, Sergueï Eisenstein, Le cuirassé Potemkin, 1925, photogrammes

Les techniques de montage utilisées par Eisenstein demeurent, encore aujourd'hui, de bons

outils pour orienter le parcours du spectateur dans la conception et la mise en espace d'une

œuvre narrative, telle l'installation. Je les transpose pour ma part dans mon travail en

jouant, par exemple, sur les variations de l'échelle des dessins, le phénomène attractif de la

couleur, retirement ou la répétition d'éléments de l'installation. Ces accentuations sont à

même de diriger les déplacements du spectateur en lui indiquant une certaine hiérarchie des

objets de l'installation, en lui proposant un parcours, un guide pour apprivoiser

l'expérience narrative.

Comment faire pour intégrer le mouvement et la temporalité à l'image fixe? Comment

engendrer un effet de mouvement alors que tous les éléments de l'installation ont cette

particularité commune d'être des instants arrêtés, figés à la fois dans l'espace et dans le

temps? Une piste de réponse se trouve vraisemblablement à même le spectateur. C'est par

et en lui que se construit réellement le récit. C'est par son déplacement dans l'espace qu'il

compose, à l'aide des images et des vides entre les images, un mouvement virtuel, une

temporalité décalée.

C'est donc par son interprétation des non-dits que le spectateur occupe une place

(34)

essentielle au sein de l'installation. Il comble les interstices par son imaginaire, guidé par l'ordre de présentation des éléments dans l'espace que l'artiste a choisi. Il est par conséquent toujours dans une position active, comblant les vides entre les images, les séquences, les situations.

La « spécificité » des installations serait à cet égard d'exacerber cette propriété dans leur forme même: l'installation serait elliptique non seulement par la fragmentation de son contenu, par son morcellement matériel, mais aussi par son dispositif signifiant pluriel, polyphonique, incarnant des significations dans plus d'un code, dans plus d'un langage17.

Pour Eisenstein, c'est la rencontre entre les différents plans qui produit l'idée, c'est cet espace limite qui active le déroulement des différentes scènes. Il travaille entre la jonction et disjonction des scènes. Il vient même, dans les plans continus et séquences filmées, disjoindre les séquences pour les déstabiliser et, ainsi, activer la dynamique du film. L'écran dynamique, selon Eisenstein, devient le liant des diverses temporalités du film à l'intérieur d'une seule et même temporalité, imposée par celui-ci. L'écran figé cinématographique s'impose alors comme fixité, tout en référant à d'innombrables lieux temporels ouverts. En russe, le terme obraz signifie « image globale » et vient clarifier l'idée de l'installation comme étant un tout, une expérience intégrale :

L'« obraz », image globale, permet la saisie du thème, du contenu idéologique : naissant de l'organisation d'images partielles, analogiques (de fragments) -es représentations -, l'image globale se construit dans la tête du spectateur au terme d'un mouvement supporté par la composition (du film, de poème, du tableau). « Invisible », elle totalise, reprend l'ensemble des représentations en passant à un niveau supérieur, celui de la saisie globale : idéologique18.

Le fragmentaire permet la saisie d'un message intégral, d'une ambiance globale, mais il demeure que c'est par l'interaction entre les différentes situations que se crée une tension interne, génératrice de sens nouveaux. À la lumière de ces propos, je constate que ces

17 LOUBIER, Patrice, « L'idée d'installation : essai sur une constellation précaire », dans L'installation : pistes et territoires, Québec, Centre des arts actuels SKOL, 1997, p.35

(35)

interstices, ces moments de silence qui réunissent les dessins et les sculptures qui composent mes installations, deviennent tout aussi importants que les éléments qui y sont représentés. Ce sont des facteurs venant ponctuer et orienter la lecture de l'installation par le spectateur. Le récit s'ouvre alors sur un autre monde : il demeure potentiellement actif, à l'état virtuel, et se construit dans l'imaginaire des spectateurs.

3.3 Stratégie d'intégration de la narration dans l'exposition

Dans l'exposition Lourd comme un cheval mort, deux systèmes cohabitent au sein de deux espaces, à la fois séparés et communs. Je tenais à créer deux logistiques narratives qui prendraient place à l'intérieur de microcosmes différents, mais qui se répondraient tout de même par leurs correspondances à la fois plastiques et thématiques. À partir du concept de narration que je voulais exploiter, je devais me munir d'une stratégie pour faire vivre cette narration dans l'espace de l'exposition.

Or, afin d'établir cette mise en place narrative dans le contexte de l'installation, je me suis d'abord renseignée sur les médiums dont la fonction première était de raconter. J'y ai principalement étudié leur façon de structurer la narration. Le cinéma, le roman et la bande dessinée ont été, pour moi, une grande source d'inspiration dans le montage de cette exposition.

Après avoir écouté une multitude de films qui utilisaient des stratégies narratives intéressantes, je me suis interrogée sur la manière dont les cinéastes faisaient vivre une histoire dans le temps filmique, en m'attardant principalement sur les techniques de montage qu'ils avaient utilisées. Certaines propositions ont particulièrement retenu mon attention et ont grandement influencé les décisions que j'ai eues à prendre au moment de concevoir l'installation.

Par exemple, dans le film Buffalo 66, le réalisateur Vincent Gallo travaille avec le temps de l'histoire en l'étirant et en le modulant pour accentuer certains moments-phares de la narration. À quelques reprises, il fait cohabiter à même l'espace de l'écran deux scènes

(36)

appartenant à deux moments distincts de l'histoire. Le temps passé et le temps présent se

déroulent simultanément dans le même espace. Ce chevauchement temporel fait vivre aux

spectateurs des émotions différentes relatives à deux moments distincts d'une même

image.

Figure 11, Vincent Gallo, Buffalo 66, 1998

(37)

Un autre exemple ayant influencé mon travail porte sur le procédé que le réalisateur Paul-Thomas Anderson a utilisé dans son film Magnolia. Ce film de type « chorale », où l'on traite la plupart des personnages en protagonistes principaux qui s'entrecroisent sans se connaître et dont les destins vont converger vers une finalité commune, fait évoluer les protagonistes individuellement alors qu'une tension ambiante généralisée s'installe. C'est en fait l'autonomie des protagonistes au sein d'une narration commune qui m'a inspirée, plutôt que le principe même de chorale. Dans Lourd comme un cheval mort, il y a bien la représentation de deux scènes principales, mais elles ne pointent pas vers une situation commune : elles évoluent indépendamment l'une de l'autre. Je perçois ces deux espaces de l'exposition comme deux tableaux principaux qui sont séparés par une grande ellipse narrative.

La galerie de La Chambre Blanche est naturellement constituée en deux espaces distincts. Exploiter cette particularité pour y exposer deux pièces, ayant chacune une structure interne bien différente l'une de l'autre, est d'entrée de jeu concevable. Il demeure néanmoins que les deux systèmes devaient être reliés au sein d'une même narration, sans que le sens fut donné, afin de rester en suspens. Seulement quelques indices de l'existence d'une histoire commune s'y trouvent : la répétition des figures animales, la surabondance de la matière sur les sculptures. Le traitement singulier des figures contribue aussi à créer un rapport de réciprocité entre les deux scènes.

D'un côté de la galerie trône cette grande fresque d'une forêt pyrogravée où un drame semble être en train de se dérouler. Son vaste déploiement impose un déplacement. Au cours du cheminement au-devant de l'œuvre, ce qui a été vu précédemment disparaît peu à peu pour laisser place à l'œuvre dans son ampleur. L'œuvre, malgré son unité physique, ne peut être découverte que par fragments : elle est à la fois étendue et sectionnée. À l'intérieur de ce paysage encadré se trouvent une multitude de signes du drame : des loups courent dans tous les sens, attaquent un cheval; des tentes sont vides et abandonnées; une femme pointe sa carabine vers une menace qui est invisible au spectateur. Devant cette fresque se dresse par ailleurs une sculpture imageant une bataille entre deux créatures,

(38)

chien, mi-loup, englouties sous des couches de plâtre épais et coulant. Cette sculpture donne l'impression d'être extraite de la fresque, tel un élément venant à la fois brouiller et éclaircir ce qui y est représenté. Bien qu'elles soient formellement différentes, la fresque et la sculpture forment un tout autonome mettant en scène une série d'événements narratifs.

La deuxième section de l'exposition est pour sa part habitée par une meute d'animaux englués qui se dirigent vers un hibou qui, lui aussi, semble crouler sous le poids de la matière trop importante. Ces têtes d'ours, de renards, de marmottes, composées de papier mâché et de cire, sont déposées sur une table et donnent l'impression d'émerger d'une rivière dense et obscure. Ici, les deux composantes sont intimement reliées dans une plasticité exagérée : les deux éléments ne pourraient être exposés individuellement. Les têtes d'animaux semblent fuir quelque chose et se retrouvent face à ce mystérieux hibou flottant dans l'espace. C'est à l'intérieur de cet espace vide, entre le hibou et les têtes, que semble se créer une sensation narrative, ouverte sur plusieurs sens.

Le même phénomène se produit entre la sculpture de chiens et la fresque, mais également entre les deux parties de la galerie : c'est un espace libre, entre des éléments signifiants, qui permet un temps de repos, de réflexion; c'est dans cet espace interstitiel que vient se former le germe d'une narration construite par le spectateur. Une évolution narratrice trop évidente et facilement compréhensible ne rendrait possible, au final, cette participation active et involontaire du spectateur qui, à partir d'objets représentant les indices d'une histoire, tend à créer du sens, son propre sens.

(39)

CONCLUSION

Ce mémoire ne signale pas la fin de ce projet, il rapporte plutôt où j'en suis rendue dans ce processus d'approfondissement de mon travail. Ce qui était flou et flottant dans ma pratique artistique constitue aujourd'hui les assises sur lesquelles je peux travailler.

Je peux travailler sur les dimensions, la matérialité et la narration. Ma propension pour la sculpture est d'ailleurs venue de pair avec un nouvel intérêt pour des matériaux comme la cire, le plâtre, le papier mâché, qui sont des matières transformant le sens même de ce qui est représenté. J'ai voulu exploiter cette sensibilité engendrée par la matérialité en exagérant les effets obtenus, tout en laissant émerger les propriétés intrinsèques de la matière. Or, cette présence forte ne déforme pas le sens, mais métamorphose l'expérience de l'œuvre, allant même jusqu'à établir une narration.

La narration et son positionnement dans l'espace m'auront aussi permis de me tourner vers le cinéma et son montage. Je souhaite conserver cette idée de vouloir créer des œuvres narratives et de les faire vivre par la cohabitation de différentes figures, mais aussi par leur matérialité, tout en explorant d'autres aspects de l'univers cinématographique afin de m'en inspirer et de les transformer dans un langage plastique qui m'est propre.

Enfin, tout comme il est d'avis que le rôle de l'introduction et de la conclusion propre à la narration classique n'est plus de mise aujourd'hui, la narration des œuvres d'art tend de nos jours à s'ouvrir. L'œuvre dans ma propre démarche artistique tend vers l'ouverture des

procédés, de la matière, de la dimension, du sens, de la narration, de l'espace... Cette appropriation du concept de narration dans des espaces ouverts et multiples met l'accent sur l'action même de raconter. Il en résulte de nouvelles formes de récit dont le sens n'est donné que partiellement, permettant alors une multiplicité de significations.

Reste, toujours, le rôle du spectateur. Il se doit de rester ouvert à ces nouveaux espaces, à ces nouvelles narrations, à ces nouvelles matières, à réflexion ou non, à émotion ou non. L'éclatement de la structure narrative et celui de l'espace d'exposition sont peut-être, en fait,

(40)
(41)

BIBLIOGRAPHIE

AUDET, René et al., Jeux et enjeux de la narrativité dans les pratiques contemporaines,

Paris, Dis voir, 2006, 127 p.

BARTHES, Roland et al., Poétique du récit, Paris, Seuil, 1977,180 p. BARTHES, Roland, L'obvie et l'obtus, Paris, Seuil, 1982, 282 p. BARTHES, Roland, La chambre claire, Paris, Seuil, 1980, 192 p.

BENJAMIN, Walter, « Le conteur » tiré d'Œuvres 3, Paris Gallimard, 1936, pp. 114-151 DELEUZE, Gilles, L'image-temps, Paris, Les Éditions de Minuit, 1985, 378 p.

DELEUZE, Gilles, L'image-mouvement, Paris, Les Éditions de Minuit, 1983, 297 p. EISENSTEIN, Sergui, Cinématiste, peinture et cinéma, Bruxelles, Complexe, 1980, 311p.

FOCILLON, Henri, Vie des formes, Paris, Presses Universitaires de France, 1943, 7e édition, 1981,

FRASER, Marie et collab,. Raconte-moi/Tell me, Québec, Musée national des beaux-arts du Québec ; Casino Luxembourg- Forum d'art contemporain, 2005, 123 p.

FRASER, Marie et collab,. Explorations narratives/ Replaying narrative- Le mois de la

photo à Montréal, Montréal, 2007, 394 p.

LEBLANC, J et al., Iconicité et narrativité, Toronto, Les éditions Trintexte, 1998, 408 p. LOUBIER, PATRICE, « L'idée d'installation. Essai sur une constellation précaire », tiré de, L'installation. Pistes et territoires, Québec, Centre des arts actuels SK.OL, 1997, 255 p.

METZ, Christian, Le signifiant imaginaire, Paris, C. Bourgois éditeur, 2002, 370 p. PARENTE, André, Cinéma et narrativité, Paris, L'Harmattan, 2005, 194 p.

(42)

.!

/

r

/

(43)

Figure 14, Isabelle Demers, Sans titre, 2008, graphite et crayon feutre sur papier, extrait du fanzine Hélène et

Paul 3

(44)
(45)

Figure 16. Isabelle Demers, Greyhound, 2009. cire et bois, détail de l'installation

(46)

Figure 17, Isabelle Demers, Lourd comme un cheval mort, 2010, plâtre, cire, bois, dents de requin, détail de

l'installation

(47)

Figure 18, Isabelle Demers, Lourd comme un cheval mort, 2010, plâtre, cire, bois, dents de requin, détail de

T installation

(48)

Figure 19, Isabelle Demers, Lourd comme un cheval mort, 2010, plâtre, cire, bois, dents de requin, détail de

l'installation

(49)

Figure 20, Isabelle Demers, Lourd comme un cheval mort, 2010, plâtre, cire, bois, dents de requin, détail de

l'installation

(50)

Figure 21, Isabelle Demers, Lourd comme un cheval mort, 2010, plâtre, cire, bois, dents de requin, détail de

l'installation

(51)

BIBLIOGRAPHIE

AUDET, René et al., Jeux et enjeux de la narrativité dans les pratiques contemporaines,

Paris, Dis voir, 2006,127 p.

BARTHES, Roland et al., Poétique du récit, Paris, Seuil, 1977,180 p. BARTHES, Roland, L'obvie et l'obtus, Paris, Seuil, 1982,282 p. BARTHES, Roland, La chambre claire, Paris, Seuil, 1980, 192 p.

BENJAMIN, Walter, « Le conteur » tiré d'Œuvres 3, Paris Gallimard, 1936, pp. 114-151 DELEUZE, Gilles, L'image-temps, Paris, Les Éditions de Minuit, 1985, 378 p.

DELEUZE, Gilles, L'image-mouvement, Paris, Les Éditions de Minuit, 1983, 297 p. EISENSTEIN, Sergui, Cinématiste, peinture et cinéma, Bruxelles, Complexe, 1980, 311p.

FOCILLON, Henri, Vie des formes, Paris, Presses Universitaires de France, 1943, 7e édition, 1981,

FRASER, Marie et collab,. Raconte-moi/Tell me, Québec, Musée national des beaux-arts du Québec ; Casino Luxembourg- Forum d'art contemporain, 2005, 123 p.

FRASER, Marie et collab,. Explorations narratives/ Replaying narrative- Le mois de la

photo à Montréal, Montréal, 2007, 394 p.

LEBLANC, J et al., Iconicité et narrativité, Toronto, Les éditions Trintexte, 1998,408 p. LOUBIER PATRICE, « L'idée d'installation. Essai sur une constellation précaire », tiré de, L'installation. Pistes et territoires, Québec, Centre des arts actuels SKOL, 1997, 255 p.

METZ, Christian, Le signifiant imaginaire, Paris, C. Bourgois éditeur, 2002, 370 p. PARENTE, André, Cinéma et narrativité, Paris, L'Harmattan, 2005, 194 p.

Figure

Figure 16. Isabelle Demers, Greyhound, 2009. cire et bois, détail de l'installation

Références

Documents relatifs

Higher levels of hypervigilance to pain, fear of pain, and catastrophizing have been found to be significant predictors of increased pain in this population, whereas greater

The PMS is based on the defi- nition of Key Performance Indicator (KPI) in a crisis situation. 2) During these previous steps a Simulation & Perfor-

Partant de là, je voudrais faire jouer un jeu d'opposition entre la pensée de la mort impliquée par ces trois dimensions de la médecine et trois pensées philosophiques de la mort

Esta lenta perda de umidade, acredita-se ser em virtude da variação de temperatura e umidade do ambiente, pois as sementes tendem a entrar em equilíbrio higroscópico,

Keywords: Renormalized solutions; transport equations; stability estimates; multilinear singular integrals..

fonctionnement, c’est non l’hypothèse mais l’ultériorité dans le passé ; la représentation ramifiée du temps concerne tant le futur que le conditionnel ; elle s’origine,

Moi je suis comme ça, et alors, il faut me prendre comme je suis, Avec mes qualités d’abord, et mes défauts aussi.. Moi je suis comme ça et alors, moitié soleil,

10 C’est toujours le jardinage comme élément fort de la constitution de soi qui représente, pour les plus fervents des jardiniers, la ressource principale mise en avant dans le