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Impact du genre sur le diagnostic psychiatrique : une revue de la littérature

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Academic year: 2021

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HAL Id: dumas-02418286

https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-02418286

Submitted on 18 Dec 2019

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Impact du genre sur le diagnostic psychiatrique : une

revue de la littérature

Claire-Lise Alvarez

To cite this version:

Claire-Lise Alvarez. Impact du genre sur le diagnostic psychiatrique : une revue de la littérature. Sciences du Vivant [q-bio]. 2019. �dumas-02418286�

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UNIVERSITE DE BORDEAUX 2 VICTOR SEGALEN

UFR DES SCIENCES MEDICALES

Année 2019 Thèse n° 3018

Thèse pour l’obtention du

DIPLOME DE DOCTEUR EN MEDECINE

Présentée et soutenue publiquement à Bordeaux le 08 Avril 2019 par

Claire-Lise ALVAREZ

Née le 03 Janvier 1991 à Cannes

Impact du genre sur le diagnostic psychiatrique :

une revue de la littérature.

Directeur de thèse :

Madame le Professeur Hélène VERDOUX

Membres du jury :

Madame le Professeur Marie TOURNIER, Présidente Monsieur le Professeur Bruno AOUIZERATE, Juge

Monsieur le Professeur Cédric GALERA, Juge Madame le Docteur Juliette BERTHIER, Juge Madame le Docteur Christelle DONON, Rapporteur

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REMERCIEMENTS:

A ma famille : mes parents, pour votre soutien inconditionnel et précieux pendant toutes ces années, et mes trois grandes sœurs Florence, Maryse et Cécile (merci pour ta relecture !), pour avoir été une source d’inspiration et un modèle de persévérance.

A Ewen, pour ton amour et ta patience pendant ces longues années d’étude, et pour tous les projets qui nous attendent encore ensemble.

A Marie B, car notre amitié a su survivre au lycée, à la P1, à l’ECN et à la distance, et pour toutes nos aventures à venir (qui ont grandement motivé la fin de ce travail).

A mes amies Camille M et Anais, pour notre belle amitié et nos débats féministes passionnés. A Camille T, pour le féminisme, la psychiatrie et la bonne musique.

A toutes les personnes que j’ai eu la chance de rencontrer au cours de cet internat, notamment en tant que cointerne: Marie H (professeur), Claire, David (pour le doom, et Zotero), Juliette, Paul (portant avec brio la double casquette chef-ami), Adrien, Séverine, Marie-Céline, Héloise, Marie-Caroline, mais aussi tous les membres de l’APIP.

A tous les médecins et les équipes soignantes qui m’ont accueillie en stage pendant cet internat, les Dr Gorce, Theillay-Le Gall et Donon à l’UCS de Cadillac, les Dr Lengronne, Benotmane et Beylard à la PMP de Bazas, les Dr Hostache et Le Besq à Carreire 2, le Pr Galera, les Dr Jean et Albinhac au CCS et au CSMI de Pauillac, le Dr Clélia Quiles aux ECT (et notamment ta bonne humeur dès 7h30 du matin) et le Pr Verdoux au CMP, les Dr Gosse, Legrand et toute l’équipe de pédopsychiatrie à Libourne, avec une pensée émue pour Olivia, et enfin les Dr Le Bihan, Floris et Tassou à l’USIP et à l’UMD de Cadillac. J’ai eu beaucoup de chance d’avoir pu apprendre auprès de chacun d’entre vous.

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AU RAPPORTEUR

Madame le Dr Christelle DONON

Praticien Hospitalier

Centre Hospitalier de Cadillac

Je te remercie encore d’avoir accepté d’être le rapporteur de ce travail de thèse. Tu as pu voir mes premiers pas en psychiatrie lors de mon premier semestre sur l’UCS, au cours duquel tu t’es toujours montrée disponible, bienveillante et pédagogue. Ta rigueur et ton sens clinique aiguisé m’ont beaucoup inspirée dans ma pratique par la suite. Merci pour ton commentaire éclairé sur ce travail et pour l’attention que tu y as portée. Avec toute mon affection.

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AUX MEMBRES DU JURY :

Madame le Docteur Juliette BERTHIER

Assistante spécialiste pôle P.U.M.A

Centre Hospitalier Charles Perrens, Bordeaux

Merci d’avoir accepté de faire partie de mon jury de thèse. J’ai eu la chance et le plaisir de te rencontrer durant mon internat, et de te côtoyer au cours d’un semestre. Ta gentillesse et tes conseils bienveillants m’ont été très précieux! Je suis ravie et fière que tu puisses m’accompagner lors de cette soutenance.

Monsieur le Professeur Bruno AOUIZERATE

Professeur des Universités, Praticien Hospitalier, Docteur en Neurosciences,

Coordinateur du DES de psychiatrie,

Centre Hospitalier Charles Perrens, Bordeaux.

Je vous suis très reconnaissante d’avoir accepté de juger mon travail de thèse. Je n’ai pas eu la chance de travailler à vos côtés mais j’ai apprécié la qualité de votre enseignement et vos qualités humaines. Soyez assuré de ma reconnaissance et de mon respect.

Monsieur le Professeur Cédric GALERA

Professeur des Universités, Praticien Hospitalier Centre Hospitalier Charles Perrens, Bordeaux

Je vous remercie également d’avoir accepté de juger ce travail de thèse. J’ai eu la chance de pouvoir venir en tant qu’interne sur le CREDAH lors de mon premier stage de pédopsychiatrie et d’avoir pu beaucoup apprendre à vos côtés. J’ai également pu apprécier vos qualités d’enseignement dans le cadre des cours de DES. Veuillez accepter mon plus profond respect.

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A LA DIRECTRICE DE THESE

Madame le Professeur Hélène VERDOUX

Professeur des Universités, Praticien Hospitalier, Docteur en Epidémiologie,

Centre Hospitalier Charles Perrens, Bordeaux.

Je suis très honorée que vous ayez accepté de diriger ce travail de thèse et de l’intérêt que vous avez porté à ce sujet. J’ai eu la chance de passer dans votre pôle à plusieurs reprises, en tant qu’externe puis interne, et d’avoir pu bénéficier de temps de supervision avec vous lors de mon exercice en CMP. Au cours de ces semestres d’une grande richesse, j’ai pu mesurer l’ampleur de vos connaissances et de votre expérience clinique. Votre bienveillance, votre rigueur, votre disponibilité sans faille et vos conseils avisés ont été de précieux atouts lors de la préparation de ce travail. Veuillez accepter mon plus profond respect et ma gratitude.

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A LA PRESIDENTE DU JURY :

Madame le Professeur Marie TOURNIER

Professeur des Universités, Praticien Hospitalier, Docteur en Epidémiologie,

Centre Hospitalier Charles Perrens, Bordeaux.

Je vous remercie d’avoir accepté de présider ce jury de thèse. Sans avoir eu l’occasion de passer dans votre service, j’ai pu apprécier la grande richesse de votre enseignement et votre gentillesse. Veuillez recevoir ma reconnaissance et mon plus profond respect.

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Table des matières

I- Introduction ... 10

II. Méthodologie de cette revue de la littérature ... 11

III- Aspects sociaux : société, genre et santé mentale ... 11

A. Définir le genre ... 11

a. Définitions et terminologie ... 11

b. Historique de la définition du genre en sciences sociales ... 12

B. Théoriser le genre ... 14

a. Le constructivisme social ... 14

b. Les gender studies : le genre, de concept normatif à outil critique ... 16

c. Controverses et évolution ... 20

C. Les représentations sociales en santé mentale... 23

a. Généralités ... 23

b. En fonction du genre ... 25

D. Impact du genre sur les comportements de santé ... 27

IV. Aspects cliniques et psychopathologiques: impact du genre sur l’expression des troubles psychiatriques ... 29

A. Le biais du genre dans le diagnostic psychiatrique: généralités ... 29

B. La dépression ... 31

a. Théorie de l’artefact ... 32

b. Des symptômes dépressifs différents entre hommes et femmes ? ... 36

c. Un problème de seuil ? ... 39

d. Sous-détection de la dépression masculine : outils diagnostiques ... 41

e. Un biais chez les médecins ? ... 46

C. Les troubles de personnalité ... 52

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b. Une différence dans l’expression des troubles en fonction du genre ... 54

c. Un biais diagnostique chez les cliniciens ... 56

V. Discussion ... 61

VI. Conclusion ... 65

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I- Introduction

Le genre représente les rôles sociaux et les comportements considérés comme appropriés pour les hommes et les femmes, se différenciant ainsi du sexe biologique. Bien qu’étant un concept encore aujourd’hui débattu et controversé, le genre reste largement intégré dans de nombreux domaines de recherche de par le monde : depuis la fin des années 1950, de nombreuses études ont en effet participé à théoriser ce concept. Le genre représente un prisme incontournable pour l’étude des maladies mentales et de leur impact sur la vie des hommes et des femmes. Les recherches épidémiologiques en psychiatrie reposent en effet sur l’identification des prévalences des différentes pathologies en fonction du genre. Les enquêtes relèvent une prévalence plus élevée de troubles dits « internalisés », comme la dépression, les troubles somatoformes, les troubles du comportement alimentaire ou les troubles anxieux, chez les femmes et une prévalence plus élevée de troubles dits « externalisés », tels que les abus de substances, le trouble de la personnalité antisociale, le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité, ou les troubles du comportement avec agressivité chez les hommes (1).

Les concepts de genre et de maladie mentale ont souvent emprunté des chemins communs au cours de l’histoire. En prenant l’exemple du diagnostic d’hystérie, paradigme génésique de la folie féminine, la psychiatrie se situe souvent au carrefour du biologique et du social, entre contraintes politiques, économiques, sociétales et sanitaires. Au cours des siècles, la psychiatrie a également pu être instrument de pouvoir, d’exercice des normes et de légitimation des rôles sociaux. Sur ce plan, le concept de genre rejoint ainsi celui de la maladie mentale ; en effet, dans ces deux domaines, les normes sociales semblent déterminantes dans la définition du normal et du pathologique.

Dans ce travail, nous tenterons d’identifier et de comprendre l’impact du genre sur le diagnostic en psychiatrie, à travers une revue de la littérature internationale. Dans une première partie, nous aborderons les aspects sociétaux du genre et de la maladie mentale. Dans une seconde partie, nous aborderons l’impact du genre sur le diagnostic psychiatrique à travers les aspects cliniques et psychopathologiques de deux troubles très présents dans la littérature sur ce sujet : la dépression et les troubles de personnalité. Enfin, nous discuterons des solutions émergentes afin de réduire l’impact du genre sur le diagnostic psychiatrique.

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II. Méthodologie de cette revue de la littérature

Cette revue de la littérature internationale a été réalisée à partir des bases de données PubMed et Google Scholar avec la recherche des mots clés suivants : « gender » « bias » « diagnosis » « psychiatric ». Les fonctions « related articles » de PubMed et « Other articles » ont également été utilisées afin d’identifier les possibles textes additionnels. Seuls les articles écrits en français et en anglais pouvaient être inclus dans ce travail. Les articles traitant de sexe biologique ou se penchant sur des caractéristiques génétiques ou neurobiologiques ont été exclus.

Ont également été inclus des extraits de livres, des articles de presse et des documents officiels disponibles en ligne.

III- Aspects sociaux : société, genre et santé mentale

A. Définir le genre

a. Définitions et terminologie

Selon l’OMS, « Le mot "genre" sert à évoquer les rôles qui sont déterminés socialement, les comportements, les activités et les attributs qu'une société considère comme appropriés pour les hommes et les femmes », se différenciant ainsi du mot « sexe » « se rapportant à des caractéristiques biologiques et physiologiques qui différencient les hommes et les femmes » (2). En sciences sociales, il est défini en tant que catégorie d’analyse « qui rassemble en un seul mot un ensemble de phénomènes sociaux, historiques, politiques, économiques, psychologiques qui rendent compte des conséquences pour les êtres humains de leur appartenance à l’un ou à l’autre sexe » (3).

Le genre en tant que concept social n’a pas de définition propre dans les dictionnaires français (4). Dans la langue française, ce mot a d’abord eu le sens de « catégorie, type, espèce » puis le sens de « sexe », majoritairement associé au genre grammatical. En effet, selon le bulletin officiel du 22 septembre 2005 de la Commission

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générale de terminologie et de néologie : « le mot sexe et ses dérivés sexiste et sexuel s’avèrent parfaitement adaptés dans la plupart des cas pour exprimer la différence entre hommes et femmes, y compris dans sa dimension culturelle, avec les implications économiques, sociales et politiques que cela suppose. La substitution de “genre” à sexe ne répond donc pas à un besoin linguistique et l’extension de sens du mot “genre” ne se justifie pas en français ». La Commission a donc déconseillé l’extension du terme « genre » dans cette acception, réservant son emploi pour l’expression du « genre grammatical » (5).

En anglais cependant, le mot gender est utilisé de manière courante afin de qualifier les différences non biologiques entre les hommes et les femmes (6), ce serait donc via des traductions anglaises que ce terme aurait pénétré les sciences sociales françaises. Néanmoins, on retrouve des traces de l’utilisation du terme genre au sens non grammatical du terme mais bien pour désigner des différences homme/femme dans plusieurs textes français, dont certains remontant au XVIème siècle par l’écrivain Henri-Corneille Agrippa (7). Récemment, le concept de genre a fait l’objet de plusieurs débats politiques et juridiques, et d’oppositions virulentes. C’est finalement le terme d’ «identité sexuelle » et non pas celui d’« identité de genre » qui a par exemple été retenu comme nouveau motif de discrimination prohibé par l’article 225-1 du Code pénal (8).

b. Historique de la définition du genre en sciences sociales

En France, on retrouve des écrits dès le siècle des Lumières utilisant le couple sexe/genre en parallèle avec le couple nature/culture, source de débats entre physiologie sexuelle et construction sociale. Le XVIIIème siècle voit émerger une pensée féministe questionnant la construction culturelle du rôle de femme, s’opposant aux discours « naturalisants » autour de la femme, alors relayés par de nombreux médecins-philosophes.

Mais c’est véritablement en sciences sociales que ce concept a pu être théorisé : Emile Durkheim (considéré comme l’un des fondateurs de la sociologie moderne) dès 1897 dans La Prohibition de l’inceste et ses origines, met en avant les différences non biologiques entre les hommes et les femmes et tout ce que cela implique en terme de tenue vestimentaire, de fonction sociale, professionnelle, de comportement. Il y déconstruit de manière historique et anthropologique la notion d’inceste, dont la prohibition ne serait selon lui en rien l’interdiction faite à des consanguins d’entretenir des relations sexuelles mais

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l’obligation pour des individus de contracter des alliances hors de leur groupe, et donc d’exogamie, en lien selon lui avec la « crainte du sang ». Ainsi, il trouve une origine sociale à un tabou dont l’origine était jusqu’à présent comprise comme purement biologique:

« Suivant toute vraisemblance si, dans nos écoles, dans nos réunions mondaines, une sorte de barrière existe entre les deux sexes, si chacun d'eux a une forme déterminée de vêtements qui lui est imposée par l'usage ou même par la loi, si l'homme a des fonctions qui sont interdites à la femme alors même qu'elle serait apte à les remplir, et réciproquement ; si, dans nos rapports avec les femmes, nous avons adopté une langue spéciale, des manières spéciales, etc., c'est en partie parce que, il y a des milliers d'années, nos pères se sont fait du sang en général, et du sang menstruel en particulier, la représentation que nous avons dite. Non sans doute que, par une inexplicable routine, nous obéissions encore, sans nous en rendre compte, à ces antiques préjugés, depuis si longtemps dépourvus de toute raison d'être. » (9).

Cette approche constructiviste sera reprise par de nombreux sociologues du siècle suivant, agrémentée des recherches de l’anthropologue Margaret Mead, qui promeut dès 1935 le concept de « rôle sexué », ancêtre du genre (10) et des écrits du psychologue John Money en 1955 qui introduit le concept de « rôle de genre » :

« Le terme de rôle de genre est utilisé pour désigner tout ce que dit ou fait un individu pour se dévoiler […] comme ayant, respectivement, le statut de garçon ou d'homme ou bien de fille ou de femme. Il inclut, sans y être limité, la sexualité au sens de l'érotisme » (11).

Le concept d’ « identité de genre » quant à lui est introduit dans les années 1960 par le psychanalyste Robert Stoller pour désigner « le sentiment qu'on a d'appartenir à un sexe particulier ; il s'exprime cliniquement par la conscience d'être un homme ou un mâle par distinction d'être une femme ou une femelle », notamment afin de comprendre la séparation chez certains patients entre corps et identité, de là l'idée qu'il n'existe pas une réelle correspondance entre le genre (masculin/féminin) et le sexe (homme/femme) (12). En 1972, John Money considère, de manière convergente, que « le rôle de genre est l'expression publique de l'identité de genre et l'identité de genre, l'expression privée du rôle de genre » (13). En parallèle, la sociologue Ann Oakley en 1972 se rapprochera plutôt de l’articulation entre nature et culture de Claude Levi-Strauss afin de renvoyer le genre au culturel et le sexe au biologique (14).

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C’est à partir des années 1980, sous l’influence de la pensée de Michel Foucault, que le genre est étudié dans son rapport au pouvoir et aux normes sociales. On retrouve alors de plus en plus d’ « études de genre » (gender studies), au-delà du champ de la sociologie et notamment en histoire.

Enfin, le genre et son « injonction normative » sont à la base des réflexions de Gayle Rubin et Judith Butler à partir des années 1990 dans leurs études sur les minorités sexuelles.

B. Théoriser le genre

a. Le constructivisme social

« On ne nait pas femme, on le devient » (Simone de Beauvoir, Le Deuxième sexe,

1949).

Discuter de l’impact du genre nécessite d’en expliquer le modèle théorique en sciences sociales. Le constructivisme social a été théorisé pour la première fois en 1966 par Berger et Luckman dans leur essai La Construction sociale de la réalité (15). Cette approche

permet d’envisager la réalité sociale et les phénomènes sociaux comme étant « construits », c'est-à-dire créés, institutionnalisés et, par la suite, transformés en traditions. L’idée est que « l’ordre social ne fait pas partie de la “nature des choses”, [et qu’il] ne peut pas être dérivé

des “lois de la nature” ».

En s’inscrivant dans une perspective phénoménologique (partir des individus et de leurs interactions dans un système donné) et s’appuyant sur les écrits d’Emile Durkheim et du sociologue et philosophe Alfred Schütz (fondateur de la sociologie phénoménologique dans la première moitié du XXème siècle, et qui a notamment introduit le terme de typification), les auteurs introduisent le concept de construction sociale et en décrivent les différentes étapes :

- La typification : le fait d’ériger en type les différents aspects du monde social. Schütz prenait l’exemple des catégories socio-professionnelles : la typification permet d’associer un rôle et une fonction à un avocat, un facteur ou autre, et donc de situer l’inconnu dans l’édifice social, et d’adopter une conduite à son égard. Selon Schütz, la typification est très fortement entrelacée au langage (16), et constitue un « stock de connaissances sociales ». Il illustrera ce concept dans

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15

son essai « L’Etranger » en 1944-45, basé sur sa propre expérience d’immigration : l’étranger ne possède pas ce stock, et toutes ses significations du monde social sont à reconstruire (17).

- La transmission des typifications, qui s’effectue donc grâce au langage.

- L’institutionnalisation, qui « se manifeste chaque fois que des classes d’acteurs

effectuent une typification réciproque d’actions habituelles [...]. Chacune de ces typifications est une institution ».

- Et l’extériorisation, qui se réalise par la légitimation et la socialisation.

La légitimation contient 4 niveaux, allant des objectivations linguistiques (l’usage et l’évolution d’une langue) à la construction d’univers symboliques. Ainsi s’intègrent des notions de pouvoir :

« La confrontation des univers symboliques alternatifs implique un problème de pouvoir : quelle est celle qui, parmi les définitions conflictuelles de la réalité “collera” à la société ? Deux sociétés s’affrontant avec des univers conflictuels développeront toutes les deux des machineries conceptuelles destinées à maintenir leurs univers respectifs. [...] La victoire de l’une ou de l’autre, cependant, dépendra plus du pouvoir que de l’innocence théorique des légitimateurs respectifs. »

Concernant la notion de socialisation, les auteurs en nomment deux types, primaire et secondaire : si la socialisation primaire consiste en l’appréhension du monde social en tant que réalité signifiante (durant l’enfance, dépendante de la condition sociale, de l’éducation, etc.), la socialisation secondaire permet à l’individu, déjà socialisé, d’absorber de nouvelles réalités liées à son investissement dans de nouveaux secteurs de la vie sociale : «La socialisation secondaire est l’intériorisation de “sous-mondes” institutionnels ou basés

sur des institutions ». Les auteurs soulignent cependant la relative autonomie du sujet

concernant ces processus de socialisation secondaire : le sujet peut en effet s’approprier ses expériences et créer ses propres modalités de socialisation. Ce processus varie donc d’un individu à l’autre et n’est pas d’emblée déterminé. Ils notent également la possibilité de « socialisation ratée » (terme qui sera par la suite repris par d’autres auteurs afin de le rendre moins normatif, mettant plutôt en avant l’aspect pluriel des mondes que le sujet rencontre) entrainant des questionnements identitaires, « quand il y a absence de continuité

et de cohérence dans la construction du monde intériorisé par le sujet », faisant ainsi le lien

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Cette approche, permettant l’étude des mécanismes de construction et de reproduction sociale, a été reprise par de nombreux sociologues, historiens et philosophes afin de mieux appréhender des phénomènes sociétaux et particulièrement la question du genre.

b. Les gender studies : le genre, de concept normatif à outil critique

C’est à la fin du XXème siècle qu’un nouveau champ de recherche voit le jour, principalement aux Etats-Unis et en France. Porté par l’essor de la French theory et la naissance du poststructuralisme, le genre devient une catégorie d’analyse à part entière intéressant plusieurs domaines : c’est la naissance des gender studies.

Bien qu’il n’en ait jamais parlé de manière directe, les écrits de Michel Foucault ont inspiré de nombreux chercheurs sur la question du genre, de par son approche que l’on peut qualifier de poststructuraliste (qui considère que les sciences humaines sont instables, due à la complexité des humains eux-mêmes, et les phénomènes sociaux sont impossibles à étudier sans les dissocier de leur structure, par exemple le langage). Dans son ouvrage

Histoire de la sexualité (19), publié entre 1976 et 1984, le philosophe questionne et analyse

ainsi les notions de pouvoir entrant en jeu, tant sur le plan religieux que politique, autour des questions de sexualité. En relisant plusieurs auteurs anciens (Aristote, Saint François de Sales, Galien et autres), il discute comment le droit et la morale ont contribué au cours des siècles à élaborer une norme du masculin et du féminin. Il introduit ainsi les notions de « biopouvoir » et de « micropouvoir » (produisant des discours permettant de contrôler qui est ou non dans la norme), « qui, silencieusement, inventent les formes de domination »:

« Le problème à la fois politique, éthique, social et philosophique qui se pose à nous aujourd'hui n'est pas d'essayer de libérer l'individu de l'État et de ses institutions, mais de nous libérer, nous, de l'État et du type d'individualisation qui s'y rattache. Il nous faut promouvoir de nouvelles formes de subjectivité. » (Le Sujet et le Pouvoir, 1982 (20)).

Foucault aborde également le thème de la psychanalyse et de la santé mentale, notamment dans son ouvrage Histoire de la Folie à l’âge classique, par une approche à la fois historique et épistémologique.

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17

C’est en reprenant ces concepts que se positionnent plusieurs auteures féministes : le genre est alors utilisé pour désigner des rapports sociaux entre les sexes et une manière d’indiquer des constructions sociales.

En anthropologie, Ann Oakley en 1972, défend le primat du déterminisme culturel sur le déterminisme biologique dans une perspective constructiviste qui veut que « les

enfants se transforment ainsi en adultes qui sont non seulement conscients de leurs rôles de sexe mais aussi qui, au fil de longues années d’apprentissage, les assimilent et en font une part de leur personnalité » (14). Elle s’intéresse à la biologie humaine, s’opposant

notamment aux idées reçues sur le rôle des hormones dans les comportements féminins, et au domaine de la psychiatrie, en démontrant que la diversité culturelle des comportements sexuels est surtout liée aux valeurs et aux normes sociales, et ainsi avoir une approche critique des théories freudiennes. Plus tard, en 1996, l’anthropologue Françoise Héritier (21), en s’intéressant aux systèmes de parenté, introduit la notion d’ « universalité » de ce qu’elle nomme « la valence différentielle » des sexes. Pour elle, toute pensée de la différence est aussi une classification hiérarchique, et cette « valence universelle » résulterait d’une « volonté de contrôle de la reproduction de la part de ceux qui ne disposent pas de ce

pouvoir ». Cette approche structuraliste peut être opposée à celle de Pierre Bourdieu (22)

qui préfère le terme de « domination masculine » (intégrant des notions de pouvoir) au terme de « valence différentielle ».

L’apport de l’histoire a également été déterminant dans la théorisation du genre. L’historienne Joan W. Scott, dans son article « Genre : une catégorie utile d’analyse

historique » (1988) (23) permet d’affiner la théorisation du genre par l’historicisation. Elle y

reprend différentes théories avancées par les historiennes et les discute :

- La théorie du patriarcat, qui met en évidence la domination sexuelle des hommes sur les femmes, avec un phénomène de « réification sexuelle » qui serait « le

processus primaire de l’assujettissement des femmes ». Pour Scott, cette théorie a ses limites

dans le fait qu’elle reste basée sur des différences physiques, revêtant ainsi « un caractère

universel et immuable » : « elle présuppose un sens permanent ou inhérent au corps humain ».

- Les féministes marxistes, qui stipulent que le capitalisme entraine avec lui l’oppression des femmes, comparant la position des femmes par rapport aux hommes à la position des ouvriers par rapport aux patrons, mettant ainsi l’accent sur la causalité

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économique et politique des inégalités de genre. C’est dans cette perspective que s’inscrivent l’économiste féministe américaine Heidi Hartmann (24) mais également la sociologue féministe française Christine Delphy, qui va plus loin dans cette théorie en créant en 1975 le « féminisme matérialiste » (25) (en référence au matérialisme historique de Karl Marx) : l’accent est mis cette fois sur le fait que l’émancipation des femmes ne passerait pas uniquement par l’abolition du capitalisme seul (dont découlerait directement le patriarcat selon les thèses marxistes) mais que le patriarcat et le capitalisme agissent bien en interaction pour créer et transformer les systèmes de genre, et doivent donc être combattus simultanément. Les limites de ces théories selon Scott résideraient dans le fait que les rapports de sexe ne seraient ainsi fondés que sur des rapports de production, et qu’ainsi « le

genre n’a pas son propre statut d’analyse ».

- La théorie psychanalytique, qui s’intéresse aux processus par lesquels est créée l’identité de genre dans les premières étapes de développement de l’enfant. Selon les écoles, ces théoriciens mettent en évidence soit la relation d’objet, l’influence de l’expérience concrète et par là, le système de parentalité (comme Nancy Chodorow (26)), soit, par une approche plutôt poststructuraliste, le rôle central du langage dans la communication, l’interprétation et la représentation du genre (s’inspirant alors plutôt des théories Lacaniennes). La réserve de Scott sur la théorie de la relation d’objet est que le concept de genre serait limité à la sphère de la famille et à l’expérience domestique, ce qui ne permettrait pas à l’historien de lier ce concept à d’autres systèmes socio-économiques, politiques ou de pouvoir. Elle trouve plus intéressante l’attention aux systèmes symboliques et notamment au langage (qui est, selon la théorie lacanienne, la clef de l’accession de l’enfant à l’ordre symbolique). Le parallèle fait entre la menace de castration et le rapport de l’enfant à la loi ferait postuler que l’imposition des règles de l’interaction sociale est sexuée de manière inhérente et spécifique. Mais, comme les mots eux-mêmes, l’identification de genre serait en fait extrêmement instable, et cette théorie permettrait ainsi d’introduire la notion de « conflit permanent entre le besoin qu’a le sujet d’une apparence de totalité et

l’imprécision, la relativité de la terminologie et sa dépendance à l’égard de la répression ». En

ce sens, le sujet se trouverait « dans un processus constant de construction ». Elle reste cependant sceptique concernant la tendance qu’a la théorie lacanienne « d’universaliser les

catégories et le rapport entre masculin et féminin. […] Elle ne permet pas d’introduire une notion de spécificité et de variabilités historiques. Le phallus est le seul signifiant ; le

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19 processus de construction du sujet genré est […] prévisible puisque toujours le même ». Ainsi,

l’antagonisation sexuelle revêt une dimension « éternelle », qui peut mener selon Scott à des extrapolations (en citant les travaux de Carol Gilligan, Lawrence Kohlberg et l’éthique du

care (27)) menant à définir les catégories homme/femme comme « une opposition binaire qui s’auto-reproduit ».

Ainsi, selon Scott, « le genre est un élément constitutif de rapports sociaux fondés sur

des différences perçues entre les sexes et le genre est une façon première de signifier les rapports de pouvoir ». Le genre implique selon elle 4 éléments : des symboles, des concepts

normatifs (exprimés par des doctrines), des aspects politiques, et un aspect d’identité subjective, qu’elle théorise en s’inspirant des travaux anthropologiques de Gayle Rubin et de la théorie lacanienne qui permettent « une description de la transformation de la sexualité

biologique des individus au fur et à mesure de leur acculturation ». Elle conclut sa théorie par

un fait :

« Nous ne pouvons écrire l’histoire de ce processus [politique] que si nous reconnaissons qu’ « homme » et « femme » sont à la fois des catégories vides et débordantes parce que, même quand elles semblent fixées, elles recèlent malgré tout, en elles-mêmes, de définitions alternatives, niées ou réprimées » (23).

C’est dans la continuité et en parallèle de ces théories que s’inscrit Judith Butler. La philosophe américaine, dans son essai Gender Trouble, Feminism and the Subvertion of

Identity (1990) (28), s’écarte de la notion d’identité de genre introduite par John Money,

considérant que « la femme » est une catégorie complexe (à cause de l’interaction entre l’ethnie, la classe sociale, la sexualité et d’autres facettes de l’identité). Elle ajoute que le genre est « performatif » : il n'y a pas d'identité derrière les actes censés « exprimer » le genre et ces actes constituent - plutôt qu'ils n'expriment - l'illusion d'une identité de genre stable. Ainsi, constitué par la réalisation de performances, le genre « femme » (comme le genre « homme ») reste sujet à interprétation et "re-signification". C’est par ce biais qu’elle s’intéressa particulièrement à la théorie queer et aux transgenres : « les transgenres

manifesteraient, par excellence, un «trouble dans le genre»: c’est qu’ils ou elles (…) peuvent rendre visible la norme, habituellement invisible, à force d’en jouer, voire de s’en jouer pour se l’approprier ». Elle promeut ainsi la subversion, puis la déconstruction du genre,

notamment dans Défaire le genre (2004), où elle adopte un discours plus politisé et où elle critique vivement les théories de John Money à la suite de l’affaire David Reimer (connu sous

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le nom de « cas John/Joan ») : David était un garçon qui, à la suite d’une circoncision ratée visant à traiter un phimosis, subit une penectomie à l’âge de 8 mois. Sur les conseils de John Money, alors considéré comme un psychologue pionnier du développement sexuel, ses parents acceptèrent de lui retirer chirurgicalement ses testicules à 22 mois et de l’élever comme une fille qu’ils nommèrent « Brenda ». Il suivit des séances régulières avec le psychologue, qui comptait alors prouver que l’identité sexuée était essentiellement due à l’éducation. Cependant, David ne s’étant jamais considéré comme une fille voulut, à l’âge de 15 ans, retrouver son identité masculine. Il publia son histoire afin de lutter contre les réassignations sexuelles non consenties, et finit par se suicider à l’âge de 38 ans. Pour Butler, cette histoire révèle « la brutalité et la violence des chirurgies imposées aux enfants

intersexes » et amène à réfléchir à la façon dont les normes de genre sont produites,

internalisées et utilisées (29).Dans ses ouvrages, elle propose également une relecture des écrits de psychanalyse, notamment ceux de Freud et de Lacan, dans une logique similaire à celle de Joan Scott.

Ainsi, de très nombreux travaux voient le jour, dans des domaines aussi variés que la médecine, l’économie, la géographie… et progressivement la sphère politique. Le genre questionne, il provoque, mais il dérange aussi.

c. Controverses et évolution

Après l’essor des gender studies, le mouvement perd en effet de son intensité à la fin du XXème siècle. Le débat sur le genre prend un aspect plus politisé, perdant, selon Judith Butler, son caractère critique et son empreinte féministe (30). Le genre est souvent confondu avec le sexe biologique, notamment dans les articles universitaires scientifiques.

« Alors que nous approchons de la fin des années Quatre-vingt dix, le « genre » semble avoir perdu sa capacité à nous étonner et à nous provoquer. Aux États-Unis, il fait désormais partie de « l’usage ordinaire » : on le propose couramment comme synonyme de femmes, de différence entre les sexes, de sexe. Parfois, il signifie les règles sociales imposées aux hommes et aux femmes, mais il ne renvoie que rarement au savoir qui organise nos perceptions de la « nature ». […] En réalité, bien des chercheuses féministes qui utilisent le mot « genre » rejettent en même temps explicitement la prémisse qui considère « hommes » et « femmes » comme des

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21 catégories historiquement variables. » Joan W.Scott, Gender and The Politics of History (31).

Questionnée sur l’évolution du concept de genre en France et dans le monde, Judith Butler ajoute :

« Si l’on s’interroge sur comment le « genre » voyage à travers des frontières nationales, ou plus spécifiquement, sur lesquelles, il faut alors se demander comment il change de sens et de force du fait de cette traversée. Il se trouve inévitablement pris dans la politique de l’immigration, de race et de classe, des flux et des blocages du capital, et en ce sens, il ne sera aucunement compréhensible sans recourir à la carte politique plus large sur laquelle il s’inscrit et qu’il peut brouiller – ou pas ». (30)

L’usage médiatique du mot contribue à en brouiller la définition : le genre devient un courant de pensée, une revendication militante, une cause politique (32) .

Accompagnant cette expansion et au fur et à mesure de l’entrée de la notion de genre dans les universités, plusieurs sociologues commencent à s’intéresser à la question du genre masculin, gardant un point de vue féministe, ou non : les men’s studies. La sociologue australienne Raewyn Connell dans son ouvrage Masculinities en 1995 (33), développe par une approche matérialiste le concept de « masculinité hégémonique », gardant pour pierre angulaire l’idée féministe fondamentale que les relations entre les sexes « impliquent l’oppression et la domination », et questionnant les rapports de domination entre groupes d’hommes, par exemple entre homosexuels et hétérosexuels. Les études franco-québécoises de Dagenais et Devreux (34) questionnent les transformations dans les pratiques et les représentations masculines qu’ont pu engendrer l’essor du féminisme, critiquant l’ « immobilisme » de Pierre Bourdieu et soulignant l’ambiguïté de certains auteurs qui « [se

perdirent] souvent dans les méandres d’états d’âmes d’hommes mal dans leur peau d’oppresseur ».

Le début du XXIème siècle voit naître le masculinisme : partant d’une hypothèse de « crise de la masculinité » contemporaine, où les hommes se trouveraient diminués ou discrédités sur le plan social et intime, ce qui porterait atteinte à l’ « identité » et la « condition masculine », plusieurs auteurs et politiques se positionnent dans une idéologie ouvertement patriarcale et anti-féministe (35). Cette idéologie est combattue par de nombreux auteurs contemporains dont Le Feuvre, Neveu, Thiers-Vidal et Dupuis-Deri, qui

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appelle plutôt les hommes à « s’engager dans un processus de disempowerment […] et d’une

mise à disposition pour les féministes dont ils se constituent auxilliaires » (36).

En France, le genre s’est longtemps heurté à des résistances. L’ouvrage de Judith Butler par exemple, n’a été publié en Français qu’en 2005. C’est à la fin des années 1990 que le genre a pris une place plus importante sur le plan politique, engendrant plusieurs débats, depuis la loi sur le PACS, la question du « voile islamique » jusqu’à, plus récemment, le harcèlement sexuel. Un nouveau mouvement voit le jour en 2011, accompagnant une rumeur d’introduction du genre dans les manuels scolaires et alors que le débat sur la loi pour le « Mariage pour tous » débute. Le 7 décembre 2012 est reçue à l’assemblée nationale une demande de commission d’enquête signée par plusieurs députés « Sur l’introduction et la diffusion de la théorie du gender en France » (37) . Plusieurs voix s’élèvent donc contre ce que les opposants au genre nomment alors « la théorie du genre » : ce terme permet en effet de discréditer les travaux autour du concept de genre, le rendant ainsi « théorique », et donc soumis à un positionnement idéologique (voire politique) discutable. Certains parleront en effet « d’idéologie de genre », et le pape François de « colonisation idéologique » (38). Ce discours réactionnaire, en réalité d’origine religieuse car introduit initialement par l’église catholique et par le Vatican dès les années 1990, veut faire « la promotion de la différence et de la complémentarité entre les sexes comme fondement de l’humain » (39). En publiant en 2003 (en italien) puis en 2005 (en français) le « Lexique des termes controversés sur la

famille, la vie et les questions éthiques », le Vatican préfère promouvoir alors une « égalité dans la différence », parlant de « génie féminin », en insistant sur la « complémentarité des

sexes » et prêchant l’ « égale dignité ». Le but majeur est de présenter cette « théorie du genre» comme une tentative de « débiologiser » l’être humain, et de gommer les différences biologiques entre les sexes, non pas en séparant le naturel du culturel, mais bien en niant le naturel. Le prêtre et psychanalyste Tony Anatrella l’explique ainsi en préface du Lexique :

« La théorie du genre laisse entendre que chacun construit son « identité sexuelle » et que l’on peut même en changer en fonction des fluctuations de ses tendances, c’est-à-dire ses désirs » (32). La Vatican invite ainsi à une « renaturalisation » de l’humain, encourageant les

rassemblements en ce sens (d’où le terme de « croisade anti-genre », titre du livre de Sara Garbagnoli (39)). Ainsi, en Italie surtout, des « conférences anti-genre » sont organisées au sein des salles paroissiales, puis en France entre 2011 et 2013, où ce mouvement prend

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particulièrement de l’essor et gagne la rue avec la « Manif’ pour tous », en opposition à la loi en faveur du mariage homosexuel.

On repère ainsi que le genre a été l’objet de nombreux débats mais fait également partie intégrante de la société, du façonnement des individus et donc des représentations qui peuvent les accompagner.

C. Les représentations sociales en santé mentale

a. Généralités

Au cours des siècles, la pathologie mentale a fait l’objet de représentations variées et multiples, toujours en lien avec le modèle sociétal d’une époque. Ayant largement inspiré le domaine artistique, on retrouve la thématique de la folie dans de nombreuses œuvres littéraires, picturales, et aujourd’hui cinématographique, gagnant également de plus en plus la sphère médiatique. Ainsi, les représentations de la pathologie mentale dans la population générale sont multiples, souvent stigmatisantes et encore aujourd’hui parfois très écartées des conceptions médicales psychiatriques.

En sociologie, le concept de représentation sociale peut être défini ainsi : « une forme

de connaissance, socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social » indiquant ainsi que « toute réalité est représentée, c’est-à-dire appropriée par l’individu ou le groupe, reconstruite par son système cognitif, intégrée dans son système de valeurs dépendant de son histoire et du contexte social et idéologique qui l’environne » (40). Ce concept s’inscrit dans la thèse

constructiviste, basée sur les écrits de Durkheim puis Moscovici en 1961. Les travaux sur les représentations sociales des maladies montrent en effet qu’il existe une pensée « profane » sur la maladie, distincte de ce qu’en disent les « experts ». La maladie est à la fois une réalité décrite, expliquée et traitée par la médecine et une expérience individuelle avec ses retentissements. C’est ainsi que les travaux d’anthropologie médicale ont repris les termes anglosaxons de la maladie afin de différencier « illness » (maladie-du-malade, ou vécu subjectif du malade), « disease » (maladie-du-médecin, objectivée à partir des altérations biologiques), et « sickness » (maladie socialisée, abordée comme charge symbolique pour

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l’ensemble du groupe social). Les auteurs de l’enquête « Santé et représentations sociales » de 2009 (41) proposent un schéma systémique intéressant regroupant ces éléments :

Figure 1- « Maladie et société » d’après le modèle proposé par Jeoffrion, 2009

Aborder les maladies sous l’angle des représentations permettrait donc de comprendre les comportements qui y sont associés : en effet, selon l’anthropologue Marcel Mauss : « Nous ne sommes surs qu’il y a représentation que quand il y a comportement » (42).

L’étude « Santé et représentations sociales » compare des représentations sociales en santé chez les professionnels de santé et les non professionnels de santé, par le biais d’association de mots à plusieurs termes proposés (par exemple le terme de « maladie »). Les auteurs retrouvent des associations communes entre les deux groupes, mais également des spécificités liées à un ancrage professionnel distinct : les professionnels de santé étaient essentiellement centrés sur des aspects descriptifs alors que les non professionnels de santé focalisaient plus leur attention sur les aspects affectifs et le vécu (40).

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25

Une étude publiée en 2010 réalisée en France entre 1999 et 2003 par le CCOMS et la DREES interrogeait 36 000 personnes sur leurs représentations de la maladie mentale à travers trois archétypes fabriqués historiquement, socialement, culturellement et médicalement : le « fou », le « malade mental » et le « dépressif » (43). Dans leur article publié dans l’Encéphale, les auteurs retrouvaient que 75% des enquêtés associaient les termes « fous » et « malade mental » à des comportements violents et dangereux (comme commettre un viol, un inceste ou un meurtre), ayant ainsi des barrières très floues avec la criminalité et la délinquance.

Les auteurs de cet article mettent en lien ces représentations avec le fait que la problématique de la déviance est inhérente à celle de la maladie mentale : en effet, les comportements attribués au fou, au malade mental sont aussi considérés par les enquêtés comme anormaux, créant ainsi le processus de stigmatisation (en effet, rappellent les auteurs, dans le dictionnaire Larousse, le nom et adjectif « anormal » est défini par « déséquilibré, fou ») (44). La cause supposée d’un trouble est également pointée : pour le fou, il s’agirait de sa nature même, pour le malade mental d’un processus endogène et pour le dépressif de causes environnementales, donc moins stigmatisant, ce qui expliquerait la stratégie employée par de nombreux patients et psychiatres « se dire dépressif, soit fréquentable ».

b. En fonction du genre

De nombreux travaux ont tenté de déterminer en quoi ces représentations varient en fonction de l’ethnie, du genre ou de l’âge de la personne souffrant de troubles mentaux. Des études récentes montrent par exemple que les femmes sont plus souvent représentées dans les médias comme faibles et vulnérables alors que les hommes sont plus souvent renvoyés à une image agressive et insensible (45).

Dans le traitement des faits divers criminels, les médias dresseraient plus fréquemment un portrait sympathique et compatissant des femmes auteures comparées aux hommes qui sont décrits comme menaçants et pourvus de motivations malsaines. Ce phénomène découlerait de ce que plusieurs criminologues ont appelé « l’hypothèse chevaleresque » (« Chivalry hypothesis ») (46), qui serait le produit d’une société patriarcale dont les membres de justice et de police sont essentiellement de genre masculin et seraient

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donc tentés d’adopter une approche plus protectrice et compatissante envers les femmes criminelles. Une étude canadienne en 2014 a exploré si ce phénomène était actif dans les articles de presse traitant de pathologie mentale : après comparaison d’articles canadiens traitant de crimes commis par des hommes et des femmes atteints de pathologie mentale, les auteurs retrouvaient un contenu stigmatisant avec une thématique du danger significativement plus importante dans les articles traitant d’hommes et des thèmes significativement plus positifs (intégrant les notion de guérison, de contexte et plus focalisés sur l’étiologie des troubles) dans ceux traitant de femmes(47). Les auteurs notent que cette représentation est subtilement communiquée à travers le ton et l’orientation des articles de presse autant que par l’inclusion thématique de certaines variables, incitant à plus d’empathie et de compassion envers les femmes. Ils remarquent également que le genre semble médier la relation entre le contenu stigmatisant et le reste du contenu de l’article, et que cette association n’est présente que dans les articles traitant de femmes. Néanmoins, la majorité (70%) des articles traitaient de faits divers commis par des hommes (en lien avec leur fréquence) et les faits comparés n’étaient pas forcément de la même nature entre homme et femme.

La littérature classique, à travers notamment les œuvres de Shakespeare, nous offre une vue intéressante des représentations de la folie et de l’impact du genre. Pour l’auteur Harper (45), les personnages d’Hamlet et d’Ophelia préfigurent la construction genrée de la maladie mentale : alors qu’Hamlet incarne la folie associée à une forme de génie intellectuel et imaginatif et donc sous contrôle, Ophélia sombre dans la folie alors que son désir sexuel est contrarié (repoussée par Hamlet), renvoyant aux conceptions de l’hystérie de l’époque et à l’érotomanie. Les comportements du personnage sur scène incarnent la négation de la féminité, apparaissant cheveux hirsutes, chantant des chants paillards, jetant ses fleurs (symboliquement se déflorant), tant que son rôle fut partiellement censuré au cours du 18ème siècle. Sa folie la mène à la mort par noyade, ayant inspiré de nombreuses œuvres picturales car représentant le personnage romantique par excellence. La folie de ces deux personnages peut se résumer à « Hamlet pense trop alors qu’Ophélia ressent trop ; elle se noie dans un excès de sentiments » (48).

Dans son ouvrage, Harper note également que dans le domaine cinématographique, et plus particulièrement dans le genre des comédies romantiques américaines, la maladie mentale des hommes est souvent représentée comme pouvant être « soignée par l’amour »,

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comme dans les films Mr Jones, Shine, She’s so lovely où, malgré leurs troubles, les personnages masculins parviennent à accéder au succès amoureux. Chez les personnages féminins, la folie revêt plus fréquemment une dimension soit tragique et désespérée (en prenant pour exemple les adolescentes des séries comme Dawson, The OC), soit passionnelle et transgressive (comme dans les films Thelma et Louise, Crazy/Beautiful ou

Mad love). Dans les biopics, Haper identifie une influence importante des stéréotypes de

genre sur la manière de dépeindre les personnages atteints de maladie mentale : lorsque pour les personnages masculins il s’agit d’un combat héroïque aboutissant à une forme d’accomplissement de soi (comme par exemple dans les films A beautiful mind ou Pollock), le combat intérieur des personnages féminins est empreint d’une vision plus tragique et sombre, aboutissant fréquemment à la mort (comme dans The Hours, Sylvia ou Iris de Richard Eyre) (45).

Ces conceptions genrées de la pathologie mentale peuvent être rapprochées de l’analyse de la sociologue britannique Joan Busfield dans Men, Women and Madness en 1996 (49) : les « perturbations » ou troubles comportementaux des hommes sont plus souvent rattachés à une conception de pouvoir, de contrôle et donc de responsabilité alors que chez les femmes, ces troubles sont plus souvent assimilés à une perte de contrôle, niant ainsi toute sorte de pouvoir.

D. Impact du genre sur les comportements de santé

C’est à travers ces représentations que se construisent les comportements de santé de chaque individu, et notamment en matière de recherche de soin. Régulièrement, l’OMS publie des programmes de santé visant à diminuer les inégalités d’accès au soin dans le monde : en 2009 est publié le rapport intitulé « Les femmes et la santé », qui met en avant les besoins spécifiques des femmes en matière de santé mais également comment les inégalités d’accès et de qualité de soins sont encouragées par la discrimination liée au sexe et leurs impacts socio-économiques. Concernant la santé mentale, les auteurs pointent que le suicide reste une des principales causes de décès chez les femmes de 20 à 59 ans, et ce partout dans le monde, et que les comportements suicidaires et la dépression restent un problème majeur en santé publique chez les adolescentes et les jeunes femmes. Ils mettent en évidence que « si une santé mentale précaire a des causes variables selon les individus, le

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28 statut inférieur de la femme dans la société, la charge de travail et les violences qu’elle subit sont certainement des facteurs aggravants ». (50)

Les comportements en matière de recherche de soin dépendent de plusieurs paramètres : les moyens financiers, l’accès aux soins, mais aussi la pression sociétale et les représentations des maladies, corrélées au potentiel stigmatisant ou non d’une telle démarche.

Concernant les moyens financiers, les femmes dans le monde sont plus à risque d’être dans des situations de précarité compte tenu de leur proportion élevée au chômage, à temps partiel ou occupant des postes à faible rémunération car ayant souvent moins accès aux études supérieures. Mais, dans les sociétés occidentales notamment, les femmes sont également les plus à même à rechercher des soins en santé mentale, rendant ainsi leurs dépenses dans ce domaine plus importantes. Paradoxalement, ce sont également les femmes qui sont les plus nombreuses à dispenser des soins de santé.

La propension des femmes à rechercher des soins en santé mentale reste sous-tendue par plusieurs phénomènes : la représentation du genre féminin qui veut que les femmes aient moins le contrôle de leurs émotions et donc doivent rechercher de l’aide pour les gérer et la moindre stigmatisation chez les femmes quant à l’expression et la verbalisation de leurs émotions. Ce phénomène s’applique dans le cadre des pathologies mentales mais on peut observer l’effet inverse concernant certaines pathologies somatiques comme la tuberculose (51): en effet, et particulièrement dans les pays où les inégalités en matière de sexe sont importantes, les femmes sont souvent diagnostiquées plus tardivement que les hommes concernant les maladies somatiques, par manque de connaissances médicales sur les signes devant amener à consulter, par manque de moyens financiers, mais aussi par peur des conséquences socio-économiques d’un éventuel rejet de la part de leur mari ou de leur famille.

Chez les hommes, la recherche de soin en santé mentale est souvent plus faible, en lien avec des stéréotypes masculins hégémoniques de force, d’indépendance, et de responsabilité. Ce phénomène est, selon certaines études, également présent pour la recherche de soins en général, mais les données concernant le taux de consultation en médecine générale (plus élevé chez les femmes) pourraient être faussées par les consultations en lien avec la contraception et la reproduction. Certaines études suggèrent également un rôle de l’organisation des cabinets médicaux qui seraient considérés «

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male-29 unfriendly » : réceptionnistes majoritairement femmes, prépondérance de documents

explicatifs sur la santé des femmes et des enfants dans les salles d’attente (52). Courtenay questionne ce comportement comme était à la base de la masculinité : quand un homme déclare « je n’ai pas été consulter un médecin depuis des années » il se positionne automatiquement dans une condition masculine (53). Une étude écossaise de 2005 interrogeant 55 patients hommes à propos de leurs comportements en matière de recherche de soins retrouve ces conceptions de la masculinité chez la majorité des participants, en particulier les plus jeunes (les sujets plus âgés ayant en partie expérimenté de graves problèmes de santé les ayant amenés à reconsidérer leurs positions). Le fait de « souffrir en silence » et d’endurer les problèmes, surtout émotionnels, faisait partie intégrante de leurs conceptions de la masculinité, la recherche de soin se présentant donc comme une menace directe envers celle-ci. Le rôle de leurs conjointes était fréquemment mis en avant dans les arguments les ayant fait consulter (en ayant légitimé la démarche), assimilant la recherche d’aide à un comportement féminin. Les auteurs relèvent cependant une certaine « hiérarchie des menaces envers leur masculinité » : les symptômes pouvant relever de consultation médicale, selon les sujets, sont la douleur (à partir d’un certain point) et, plus globalement, une entrave à une action. Ainsi, un pompier déclare qu’il n’a pas de difficulté à consulter pour préserver sa santé afin de pouvoir continuer à exercer son métier, qui est renforçant en terme de masculinité. De même, la dysfonction sexuelle était considérée par tous les participants comme un motif de consultation relativement urgent. Le syndrome de fatigue chronique était également considéré comme motif relevant d’une consultation médicale car à visée « restauratrice de leur identité masculine » (54).

IV. Aspects cliniques et psychopathologiques: impact du genre sur l’expression des troubles psychiatriques

A. Le biais du genre dans le diagnostic psychiatrique: généralités

« Le genre en soi, facteur intime et personnel, a souvent été utilisé comme une

variable explicative, bien qu’elle soit fréquemment confondue avec des facteurs situationnels, comme le statut et le pouvoir ». Wallston & Grady, 1985 (55)

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Le genre est actuellement un objet de débat dans de nombreux domaines de la médecine : la mise en évidence du sous-diagnostic des pathologies cardio-vasculaires chez les femmes a notamment souligné l’impact important des biais diagnostiques en fonction du genre. Plusieurs études ont en effet montré que les hypothèses diagnostiques en médecine et les attitudes thérapeutiques différaient souvent d’un patient à l’autre avec un impact important du genre, indépendamment de facteurs biologiques (56). Pour Brewer (57), les catégories utilisées dans la perception sociale suivraient une hiérarchie et le genre, avec l’âge, ferait partie des catégories supérieures intervenant dans le processus de catégorisation ou de typification d’un individu.

En psychiatrie, la prévalence des troubles varie beaucoup en fonction du genre. Ainsi, plusieurs auteurs se sont intéressés, particulièrement depuis les années 1970, à l’influence du genre dans le diagnostic psychiatrique. Kaplan (58) mettait en évidence l’impact de l’utilisation du système de santé, la différence d’expression des symptômes, mais aussi, aux côtés de Chesler (59), le biais de genre inhérent à la description de certains diagnostics psychiatriques selon le DSM. L’étude de Broverman (60) en 1970 reflétait cette théorie : il était demandé à des cliniciens de décrire, sur le plan de la santé mentale, un adulte sain, un homme sain et une femme saine au travers d’une même liste de comportements. Les auteurs retrouvaient que la conception d’un homme sain et d’un adulte sain ne différaient pas, mais qu’en revanche, il existait des différences significatives entre les conceptions d’une femme saine et des deux autres catégories, congruentes aux stéréotypes de genre : une femme saine était alors décrite comme plus soumise, moins indépendante, moins agressive, moins compétitive et plus excitable et émotionnelle qu’un adulte sain. Une seconde étude (61) reprenant la même méthode quinze ans plus tard ne retrouvait cependant pas les mêmes résultats, impliquant un probable impact générationnel.

Une étude de 1984 (62) avait pour but d’évaluer s’il existait une différence entre hommes et femmes dans la prise en charge d’une détresse émotionnelle rapportée par le patient en entretien médical, en utilisant le National Amublatory Medical Care Survey, aux Etats-Unis. Il était retrouvé que les femmes et les hommes rapportaient aussi fréquemment un problème mental comme motif de consultation. Ils étaient également aussi fréquemment diagnostiqués comme souffrant d’un trouble mental comme diagnostic principal, avec cependant des différences en terme de trouble (névrose et psychose affectives chez les femmes, schizophrénie, trouble de la personnalité, alcoolisme et trouble psychosomatique

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chez les hommes). Lorsqu’ils se plaignaient d’un problème mental, les hommes étaient plus fréquemment diagnostiqués dans ce sens que les femmes. Les auteurs repéraient également que les femmes rapportaient davantage un problème mental en termes somatiques et un problème somatique en termes « mentaux » ; ainsi, davantage de symptômes somatiques chez les femmes amenaient à un diagnostic de trouble mental et davantage de symptômes mentaux amenaient à un diagnostic de trouble somatique.

En 1991, une étude australienne (63) avait étudié l’impact du genre dans la détection d’une détresse émotionnelle. Cette étude utilisait une comparaison entre le General Health Questionnaire (GHQ) de patients et les observations de 55 médecins généralistes, après la consultation, concernant le niveau de perturbation émotionnelle ou psychologique de ces patients. Les auteurs ne retrouvaient pas de différence significative entre hommes et femmes sur les scores au GHQ. Cependant, les femmes étaient significativement plus fréquemment identifiées comme ayant des troubles psychologiques, tant sur le plan clinique que sub-clinique. 77% des médecins interrogés relevaient des perturbations psychologiques chez davantage de femmes que d’hommes. Cette étude était par la suite répliquée chez des internes (dans l’hypothèse d’un biais générationnel) et les résultats étaient similaires. Les auteurs avançaient l’hypothèse que les médecins adopteraient un comportement plus empathique envers les femmes. Cela ne serait pas en accord avec l’étude précédente qui retrouvait que chez des patients rapportant une détresse psychologique, les psychiatres diagnostiquaient davantage les hommes que les femmes. Les auteurs évoquent également une différence en terme de niveau d’éducation et d’emploi ou un effet statistique : les femmes étant statistiquement plus fréquemment atteintes de troubles mentaux, cela serait donc considéré comme une norme par les psychiatres et les médecins, à travers un processus stéréotypé sous-jacent, rejoignant les conceptions de Broverman.

Nous allons nous intéresser dans les sections suivantes à deux types de troubles psychiatriques pour lesquels l’impact du genre sur le diagnostic a fait l’objet de nombreux travaux de recherches dans la littérature internationale : la dépression, puis les troubles de personnalité.

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Les études épidémiologiques dans le monde s’accordent pour identifier une prévalence plus élevée de dépression chez les femmes : d’après l’OMS, elle est en effet deux fois plus élevée que chez les hommes. La dépression est également la première cause d’incapacité dans le monde, et ses conséquences en terme de mortalité en font un problème de santé publique, le suicide étant la deuxième cause de mortalité chez les 15-29 ans (64). Ce sex-ratio varie cependant en fonction de l’âge : dans la période pré-pubertaire, la dépression est plus fréquemment rencontrée chez des garçons, puis la tendance s’inverse à partir de la puberté jusqu’à la ménopause chez la femme, où on observe alors une réduction de l’écart entre homme et femme (65). Les chiffres peuvent également varier en fonction des ethnies, de la période ou des populations étudiées : une étude réalisée aux Etats-Unis dans les années 1970 retrouvait en effet une différence significative de prévalence de la dépression en fonction du sexe chez les individus caucasiens mais ne retrouvait pas cette différence dans les populations afro-américaines (66). Plusieurs études suggèrent également que la prévalence de la dépression et des autres troubles internalisés serait en augmentation chez les hommes (67). Certains auteurs mettent également l’accent sur le fait que les troubles dépressifs et anxieux restent néanmoins les troubles mentaux les plus fréquents chez les hommes (plus de 14%) et ne doivent donc pas être négligés dans cette population (68).

Plusieurs hypothèses ont depuis été avancées pour tenter d’expliquer les déterminants de ce sex-ratio, a priori ubiquitaire : de nombreuses études suggèrent que la dépression aurait une prévalence similaire chez les hommes et les femmes (car les symptômes dépressifs sont ubiquitaires dans la population) mais aurait tendance à être sur-diagnostiquée chez les femmes et sous-sur-diagnostiquée chez les hommes, notamment du fait de plusieurs biais dans le processus diagnostique, que nous allons détailler dans les sections suivantes.

a. Théorie de l’artefact

L’auto-rapport des symptômes dans les études épidémiologiques serait impacté par un biais de mémorisation : les femmes exprimeraient plus facilement leurs émotions que les hommes, car cela serait plus acceptable socialement, et la dépression chez les hommes serait plus fréquemment « masquée » par des troubles externalisés comme le trouble de

Figure

Figure 1- « Maladie et société » d’après le modèle proposé par Jeoffrion, 2009

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