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C. Les troubles de personnalité

V. Discussion

A travers cette revue de la littérature, nous avons tenté de définir, de comprendre et d’évaluer la relation entre genre et pathologie psychiatrique, et son impact sur le diagnostic. Cette relation est complexe, le genre intervenant dans le diagnostic à plusieurs niveaux. Du côté du patient, les normes sociales liées au genre interviennent dans son rapport au soin,

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dans son statut social (via des notions de pouvoir inhérentes au genre), et donc dans sa façon d’exprimer certains symptômes face à une souffrance psychique ou des traits de personnalité. Du côté du clinicien, le genre intervient à la fois dans la catégorisation des diagnostics psychiatriques, dans les représentations sociales du patient présentant une pathologie psychiatrique mais aussi dans le jugement clinique de certains symptômes exprimés par le patient.

Plusieurs auteurs suggèrent des solutions afin d’éviter ce biais diagnostique, qui peut avoir de lourdes conséquences. En effet, comme évoqué précédemment, la sous-détection de la dépression masculine pourrait par exemple avoir pour conséquence un taux plus élevé de suicide dans cette population. De même, un diagnostic de trouble antisocial, de trouble borderline ou de trouble histrionique n’aura pas forcément les mêmes conséquences en termes de soins et de parcours de vie (incarcérations, hospitalisations).

Dans son travail sur les biais ethniques et de genre impliqués dans le diagnostic des troubles de personnalité, la philosophe Delphin (114) propose un engagement des cliniciens dans une pratique cognitive spécifique, qui leur permettrait d’accéder à une réflexion consciente sur leur compétence et sur le processus cognitif impliqué dans leurs prises de décision. Elle liste certaines questions que les cliniciens devraient se poser lorsqu’ils prennent une décision diagnostique : « Quels sont les stéréotypes communs ou généraux associés à l’ethnicité, le genre ou le statut social de cette personne ? Mes perceptions de ce patient/cette patiente sont-elles similaires ou différentes de ces stéréotypes ? La présentation clinique de ce patient est-elle impactée par des influences culturelles ? Quelle fonction pourraient avoir ces symptômes chez cet individu ? Cette fonction est-elle adaptée ou inadaptée ? ». Elle cite également, comme plusieurs autres auteurs(98, 111), l’intérêt de la mise en place d’« équipes thérapeutiques », dans lesquelles deux cliniciens ou plus s’accorderaient sur un diagnostic avant qu’il ne soit posé.

Dans une étude sur les différences en fonction du genre dans la dépression (68), les auteurs mettent également l’accent sur l’intérêt d’incorporer la théorie intersectorielle dans les études sur le genre. Cette théorie étudie le mécanisme par lequel les multiples identités sociales (comme le genre mais aussi le statut social, l’ethnie, l’orientation sexuelle) convergent pour produire plusieurs combinaisons de privilèges ou d’oppression chez un individu, et ainsi accentuer les inégalités.

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Plusieurs auteurs, comme évoqué précédemment, récusent en partie la catégorisation de certains symptômes dans le DSM, et revendiquent une adaptation des critères en fonction du genre, afin d’éviter toute tendance à étiqueter comme pathologiques des comportements genrés extrêmes. Le Cultural Formulation Interview (CFI) du DSM V (115) peut être un outil intéressant pour intégrer le genre dans le diagnostic psychiatrique. En effet, ce questionnaire propose plusieurs abords diagnostiques : la définition culturelle du problème, la perception culturelle des causes, du contexte et du soutien, les facteurs culturels influençant le coping et la recherche d’aide antérieure, et les facteurs culturels influençant la recherche d’aide actuelle. Le rôle de l’identité culturelle est ainsi mis en avant dans la définition du problème avancé par le patient, ce qui pourrait permettre de limiter les biais diagnostiques liés aux conceptions stéréotypées du clinicien.

Une étude de 2005 (116) se penchait sur l’intérêt d’obtenir de meilleurs outils diagnostiques pour les troubles de personnalité, pouvant relever d’une pratique diagnostique basée sur les preuves. Leur étude testait une procédure en deux étapes : en premier, un auto-questionnaire permettant d’alerter sur la potentielle présence de traits de personnalité pathologiques, puis un entretien semi-structuré était utilisé pour vérifier et documenter leur présence. D’après plusieurs études citées par les auteurs, les entretiens semi-structurés permettraient en effet d’obtenir un diagnostic plus fiable comparé aux entretiens non structurés, qui omettent fréquemment plusieurs critères diagnostiques dans le cas des troubles de personnalité (117). Le diagnostic de ces troubles serait sous tendu par un processus hiérarchique (110), analogique (en exagérant la similitude entre deux symptômes une fois qu’un trouble est suspecté) (118) voire même des intérêts idiosyncrasiques (119) (selon les impressions des cliniciens, les pathologies qu’ils connaissent le mieux) . La fiabilité du diagnostic reposerait autant sur l’outil diagnostic utilisé que sur la validité de critères spécifiques (120).Peu de diagnostics psychiatriques aujourd’hui reposent sur des données systématisées et des outils de mesure reproductibles et objectifs, hormis les diagnostics de retard mental et des troubles des apprentissages. C’est pourquoi l’APA (American Psychiatric Association) et le groupe de travail sur la nomenclature du DSM 5 du National Institute of Mental Health avaient recommandé davantage d’outils d’évaluation structurés pour l’identification des critères diagnostiques dans le DSM 5 (121). Cependant, les cliniciens sont souvent réticents à utiliser les entretiens semi-structurés, qui omettraient en partie la complexité des troubles de personnalité, en fonction notamment de l’histoire du

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patient ou de son rapport au thérapeute. Les auteurs rappellent donc qu’un outil diagnostique au moyen d’entretiens non structurés aurait fait ses preuves en matière de fiabilité diagnostique dans les troubles de personnalité : le SWAP 200 (Shedler-Western Assessment Procedure 200) (122). Cet outil « s’efforce de prendre en compte toute la richesse et la complexité des constructions et formulations psychanalytiques sans négliger la rigueur empirique », au moyen de 200 items classés par le clinicien, inspirés de la littérature psychanalytique des troubles de personnalité. Concernant les auto-questionnaires, les auteurs rappellent l’intérêt d’avoir des grilles de lecture permettant au clinicien de prendre en compte les éventuels biais de réponse dus aux troubles de la personnalité recherchés, et notamment prendre en compte les biais de genre très présents dans le cas de ces questionnaires.

Afin de lutter contre le biais de genre, il est également important d’intégrer le rôle des politiques de santé mentale. L’OMS a publié en 2011 un « Guide pratique à l’usage des

administrateurs de la santé pour prendre en compte les considérations de genre » afin

d’éveiller et former les administrateurs de la santé à l’analyse des spécificités liées au genre et à la planification basée sur cette analyse. Au cours de son comité régional de l’Europe en 2016 (123), axé sur la santé des femmes, l’OMS suggère que : « Les systèmes de santé

doivent veiller à ce que les besoins différenciés des femmes soient intégrés dans toutes les politiques et stratégies nationales de santé (…) en renforçant les connaissances, les aptitudes et les compétences du personnel de santé afin d’agir sur les interactions entre la biologie, le genre et d’autres déterminants sociaux de la santé et leur impact sur la santé et le bien-être des femmes ; et en luttant contre les stéréotypes liés au genre susceptibles d’établir une discrimination directe ou indirecte contre les femmes en matière d’accès aux services de santé et de soins de santé ».

Il est à noter que, dans cette revue de la littérature, une grande partie des auteurs d’études et d’ouvrage portant sur le genre sont des femmes. On remarque en effet qu’historiquement, le concept de genre a pu faire émerger des notions de pouvoir et de discrimination envers les femmes, faisant donc partie intégrante du combat féministe, qui vise à l’égalité et l’équité entre les sexes. Cette lutte semble ainsi portée majoritairement, malheureusement, par des femmes. Concernant l’impact du genre sur la santé, les préoccupations internationales portent également essentiellement sur la santé des femmes, ayant globalement moins accès aux structures de soin de par le monde. Un des aspects les

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plus inquiétants réside dans le fait que pendant de nombreuses années (et encore aujourd’hui), les femmes étaient majoritairement exclues des études cliniques et des tests thérapeutiques, pour des raisons parfois obscures (124). Cependant, depuis plusieurs années, la question de l’impact du genre sur la santé masculine se pose également. Comme décrit à travers l’étude de la dépression, les normes hégémoniques masculines ont également des effets néfastes sur la santé des hommes. Certains auteurs évoquent une « bénédiction mitigée », les hommes se sentant davantage encouragés à s’engager dans des activités professionnelles ou des comportements à risque pour « prouver leur masculinité », entrainant notamment une mortalité plus précoce (125). Les normes hégémoniques, dans le sens d’un homme « fort », « sans émotions », et « supérieur » sont également à l’origine de violences envers les femmes, notamment domestiques, impactant donc aussi la santé mentale et physique de celles-ci (126).

Pour toutes ces raisons, la pensée féministe actuelle, bien que toujours source de débats, tend de plus en plus à « Défaire le Genre », dans un objectif non binaire, afin de mieux lutter contre ces rapports de pouvoir délétères et libérer l’individu des normes sociales liées à son identité.

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