JEAN RUINAT DE GOURNIER
AMOUR
DE PHILOSOPHE
IJh'IiXAHDIX
DI-:SAIXT-PIKlUil':
ET FÉLICITÉ DIDOT
Ouvrage contenant 8 gravures hors texte.
PARIS
LIBRAIRIE HACHEÏTK ET C
79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79 190:
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AMOUR
DE PHILOSOPHE
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COULOMMIERS
ImprimeriePaul BRODARD.
by
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2010
witiifundingfrom
University ofOttawa
littp://www.arcliive.org/details/amourdephilosopOOruin
PORTRAIT DE FELICITE UIDOT Tiré d'un tableau de Marchais
[Àpparlient àta famille Gélis)
JEAN RUINAT DE GOURNIER
AMOUR
DE PHILOSOPHE
BERNARDIN DE SAINT-PIERRE ET FÉLICITÉ DIDOT
PARIS
LIBRAIRIE HACHETTE ET C-
79, BOULEVARD SA1NT-GER.MAI.V, 79
1905
Droitede traduclionetdâ reproductionrésorTés.
SABLE
COLLECTlOii
SABLE
AMOUR
DE PHILOSOPHE
BEllNAltUIN DE SAINT-PI E IIRE
ET FÉLICITÉ DIDOT
Depuis
plusieursannées
déjà, certains auteurs ont prisà tâche de mettreen
reliefles traitsvéri- tablesdu
caractère deBernardin
de Saint-Pierre, etd'apprécier,comme
elledoit l'être,lafaçondont
il se conduisit
avec
lesfemmes,
surtout avec Mlle FélicitéDidot
qu'il devait épouser;en un mot,
ils se sont efforcés à abattreun
piédestal sur lequel,comme une
idole, la légende,on ne
sait
pourquoi,
avait installé le vicaire havrais!Les
lettresque nous
publions aujourd'hui—
lettres écrites à
une
liancée et àune épouse —
contribueront,
en une
certainemesure,
à cette1
2
AMOUR
DE PHILOSOPHE.œuvre
:on ne
connaîtvraiment un homme que
si l'onpeut
entendre ce qu'il ditaux femmes.
Ces
lettres— que
l'on estconvenu
d'appeler deslettresd'amour,
alorsmême que
cesentiment
n'est à leur auteurqu'un
sentiment desecond
ordre, et cela parce qu'elles furentéchangées
entredeux
êtresque
devait unir,quelques mois
plus tard,un mariage
peut-être d'argentou
de 'raison— viennent
éclairer d'unjour
plus largedeux âmes,
qui, voiciquelque temps
encore, restaientdans l'ombre
et n'étaientguère connues
: l'une d'elles méritaitpourtant qu'on
la vît à la pleine lumière, jeveux
parler de celle de Féli- citéDidot.Bernardin de
Saint-Pierre avait cinquante-six ans lorsqu'ilépousa
Félicité Didot, quien
avait vingt^ Par
l'effetde
quelleétrange loi, cettegra- cieuse et « vivante »jeune
fille aima-t-elle cethomme grincheux
etâgé?
c'est làun mystère
qu'ilne
fautpointchercher à éclaircir, et ce qui vientencore
le rendre plus impénétrable, c'estque
1.FélicitéDidotétait néeledimanche7 mars 1773,à quatre heuresdusoir.Ellefutbaptiséelelendemain, enl'égliseSaint- André-des-Arts; son parrain était M. Onfroy, marchand cha- pelier, et sa marraine
Mme
DidotSaint-Marc, sa tante.BERNARDIN DE SAINT-PIERRE ET FÉLICITÉ DIDOT. 3 l'être insociable et
mécontent
qu'il avait étédurant
sa jeunesse, alors qu'il voyageait, qu'il travaillait, qu'il écrivait, resta lemême
lorsqu'il futamoureux.
Dès son
enfance'Bernardin
avaiteu
le carac- tèreaventureux. Ilvagabondait
àtraverschamps,
s'arrêtantpour
lireRobinson Crusoê ou
les Vies des Pèresdu
Désert, et,comme
saintAugustin
quidéroba
des poires etRousseau
qui vola despommes,
ilse laissaitsouvent
allerà cueillir, par- dessus lesmurs,
les figuestoutes doréesdans
les jardinsde
sesvoisins.A neuf
ans, il fuyait lemonde,
s'isolait et rêvait de devenir ermiteou
missionnaire; ce futun
adolescent quinteux; il était étrange etma-
ladif,
hypocondriaque
et fantasque,mais non
pas fou,comme
lefurentson
frèreetson propre
fils^.1. Jacques-Henri-Bernardin de Saint-Pierre était né au Havre, le 19janvier 173",ruedelaCorderie, 47.
2. 11 y a, du reste, dans l'œuvre
même
de Bernardin de Saint-Pierre, certains passagesqui ne laissentpoint de doute sur l'état nerveux et maladif de leur auteur. Voici, à titre d'exemple, quelqueslignes extraitesdu PréambuledeVArcadie Bernardin y parle en ces termes de ses propres maux : « Je fusfrappé d'un mal étrange; des feux semblables à ceux des éclairs sillonnaientma
vue. Tous les objets se présentaient à moi doubles et mouvants;comme
OEdipe,je voyais deuxsoleils. Mon cœur n'était pas moins troublé que
ma
tête;4
AMOUR
DE PHILOSOPHE.Il
ne pouvait
vivreau même
endroit, tant il était inquiet, agité : il avaitdouze
ans lorsqu'il partit à laMartinique
avecson
oncleGodebout.
Ilrevint à
Caen pour
se prépareret entrer à l'Ecole desPonts
et Chaussées, et,en
1760, il étaitnommé
officier d'artillerie.Mais
cet insociable, ce sauvage, était-il capable demener
la vieen commun,
de s'entendreavec
ses collègues? ilfut destituéparce qu'il étaitirascibleetinsubordonné.
dans le plus beau jour d'été, je ne pouvais traverser la Seine en bateau sans éprouver desanxiétés intolérables, moi qui avaisconservé le calme de
mon
âme dans une tempête du cap de Bonne-Espérance, sur un vaisseau frappé de la foudre.Si je passais seulement dans unjardin public, près d'un bassinplein d'eau,j'éprouvais des mouvements despasme et d'horreur. Il y avait des moments où je croyais avoir été mordu, sans le savoir, par quelque chien enragé. 11 m'était arrivé bien pis :jel'avais été parlacalomnie.
Ce qu'il y a de certain, c'estque
mon
mal neme
prenait quedanslasociétédes hommes;il m'étaitimpossiblederester dans un appartement où il y avait du monde, surtout si les portes en étaientfermées. Je ne pouvaismême
traverserune allée de jardin public où se trouvaient plusieurs personnes rassemblées. Dès qu'elles jetaient les yeux sur moi, je les croyais occupées à en médire.... Lorsque j'étais seul,mon
malse dissipait;il se calmait encore dans les lieux où jene voyaisque des enfants....Ce futà Jean-Jacques Rousseau que jedus le retour dema
santé. J'avais lu dans ses immortels écrits, entre autres vérités naturelles, que l'homme est faitpourtravailler, etnonpour méditer.Jusqu'alors j'avaisexercé
mon âme
et reposémon
corps;jechangeai de régime:j'exerçai le corpset je reposai l'âme. »ET FÉLICITÉ DIDOT.
Il quitte alors la France,
voyage,
parcourt l'Europe avec l'idée de fonderune
coloniemo-
dèle, séjourne
en Hollande en
qualité de journa-liste,
en
Russiecomme
capitaine d'artillerie,en Pologne comme amoureux, en
Autriche,en Allemagne, s'embarque pour
llle deFrance* avec une
situation d'ingénieur qu'ilne
peut conserver à cause deson
caractère quirend
tout rapport impossible avecl'ingénieuren
chef et lecommis-
sairede lamarine, et,
en
1771, sansun sou dans
sa poche, il revientdans son
pays.Mais
cet inquiet, cevagabond, dont
l'œuvre littéraire esten
désaccordcomplet avec son
carac- tère, étaitun
sensitif etun
sentimental, d'unmot un
« féministe »,en voulant
dire ainsi celui quisisouvent
futun amant, voulut épouser
toutes les héritières dela \'û\g deRennes
etne
craignit point de semarier deux
fois. Il aimait la nature, lamer,
la forêt, lescouchers de
soleil,mais
sur- tout lesfemmes,
auxquelles il dédiaPaul
et Virginie,en
les appelant « les fleursde lavie ».Il fut
— mais
ce point n'est pas bien certain—
1, L'îleMaurice.
6
AMOUR
DE PHILOSOPHE.l'amant de la
grande
Catherine deRussie
;en Pologne,
il eutune
liaison,dont Aimé Martin
fit
un
véritableroman, avec
la princesseMarie
Miesnik, qu'il quitta le24 mai 1765
parce qu'ellene
voulait pas l'épouser; aussi cedédaigneux
tout gonflé d'ambition refusa-t-il—
sans doute parce qu'elles étaientpour
l'amant des reines et des princesses de troppetitesdemoiselles—
deprendre
lesjolies
mains que
lui offrirent, à Saint-Péters-bourg,
la niècedu
généraldu Bosquet,
àAms- terdam,
la belle-sœur deMustel
le journaliste, à Berlin, lafilledu
conseillerTaubenheim.
Mais,
en
1771, tandis qu'il songeait àson Voyage à
ViledeFrance
et qu'il fréquentait chez les philosophesauxquels d'Alembert
l'avait pré- senté,comme
ilvivait, sans le sou, des libéralitésque
lui faisaient ses amis, cet égoïste qui n'avaitjamais aimé que pour lui-même pensa que dans un mariage
riche il trouverait peut-être dequoi
satisfaire ses goûts et
son ambition
: il semit
alors à courir la dot.La sœur d'un
de ses amis,Mlle
Girault, etMme
Delaville-Jehannin, qui habitaitRennes, voulurent
l'aider à se marier;mais
les jeunes provinciales étaient difficiles, leBERNARDIN
ET FÉLICITÉ DIDOT.prétendant trop exigeant, aussi
ne
trouva-t-il point la fiancée de ses rêves, et sa colère futgrande
contre les Rennaises.Ilparlamême
de «se rabattre» surlesveuves,etilfallutque
Mlle Girault intervîntplusieursfoispour
l'enempêcher.
Sa
tristessecependant augmentait chaque
jour.Il se brouilla
avec
les «philosophes
», cessa de fréquenter chez Mlle de Lespinasse et chezMme
Geofîrin; et lebaron
de Breteuil,en
qui ilavait
mis son
dernier espoir, luienvoya
ce billet qui leblessaprofondément
: « ...Vous
n'êtes pasgentilhomme,
jene
puis rien fairepour
vous. » Ils'en futalorsdans
sasombre
retraitede
la rueSaint-Etienne-du-Mont,
etcomposa
lesEtudes
de la Nature. Elles furent publiéesen
1784, et atti- rèrent aussitôt l'attentiondu
public sur leur auteur. Trois ans après,en
1787,quand
parutPaul
et Virginie., il fut célèbre et populaire; desjeunes
filles alors offrirent de l'épouser, car leroman
tournait bien des têtes; je citerai MllesBauda
deTalhouët,
Lucette Chapelle,Audouin
dePompéry,
de Constant, de Kéralio etPinabel
; ilpréféra lafilledeson
éditeur,Mlle Féli- citéDidot.AMOUR
DE PHILOSOPHE.Bernardin de
Saint-Pierre devaitbeaucoup
de reconnaissance à Pierre-François Didot.Ignoré du
public,âgé
déjà, il cherchaitun
éditeurpour
sesEtudes
et n'en trouvait point, lorsque lemanuscrit tomba
entre lesmains d'un jeune homme, A.
Didot, qui était attaché à la librairie deson
père; ilparcourut l'œuvre
eten
parla àM.
Bailly; celui-ciqui avaittoute la confiance deson
patronen
ditquelques mots
à ce dernier, et l'impression fut décidée.Bernardin
vint alorssouvent
chez Pierre-FrançoisDidot;
etquand,
après avoir publiéPaul
et Virginie, il futun
auteuràlamode, quoique beaucoup
de salons lui ouvrissent des portes qui jusque-làs'étaienttenuesfermées pour
lui, ilcontinua
de fréquenter quai desGrands-Augustins,
d'autant plus volontiers qu'ily
rencontrait Mlle Félicité Didot.Épouser
la fille de l'éditeurconnu, dont
ilavaitreçu de fortes
avances en
argent, cette idée devait bientôtgermer dans
lecerveau
de cecou-
reur de dot qui désiraittoujours semarier
riche-ment,
et qui, à la fin de laChaumière
Indienne \faisait dire
au Docteur
répétantune
des trois réponsesdu Paria
surla vérité ; «On
n'estheu- reux
qu'avecune bonne femme.
»Comment
cethomme âgé
de plus decinquante ans
sut-il se faireaimer
d'unejeune
fille qui avait à peine vingt ans, préféra-t-elleen
lui, à d'autres préten- dants, l'auteurde Paul
et Virginieou l'amoureux
passionné d'elledont
il aimait àjouer
leperson-
nage, ce sont là des questions qui devaient plus tard faire couler bien de l'encre etdonner
nais- sance à des procèsnombreux.
M. Fernand Maury, dans
la thèsede
doctorat qu'il a consacrée àBernardin de
Saint-Pierre^
a dépeinten
cestermes
lajeune
Félicité : « ... elle, la suave fisrure de châtaine timide et tendre. J'aivu son
portrait,une
exquise miniature, quime
semble
flatter,mais
point mentir,dans
la teinte d'une de cesrosesd'automne qu'un peu
debrume
décolore.
La
voilà bien telle qu'elle adû
être, cette craintive Félicité, songeuse^un peu penchée
1. Elleparut en 1790.
2.FernandMaury:Étudesurla vieetlesœuvres de Bernardin de Saint-Pierre, 1892, Paris, Hachette.
10
AMOUR DE
PHILOSOPHE.sur
son
métier à tapisserie : lescheveux
fins, le visage enfantin et charnu, le front uni, lesyeux
bleus, longs, très espacés et caressants, le petit
nez aux
narines écartées et ouvertes, la boucheà
peine malicieuse, lementon
partagé d'une large fossette, lecou noyé dans
deslignesflottantes'.... »M. Maury
afait làdeux
portraits, l'un physique,l'iautre
moral, en
lesquels jene veux
pas croire^.L'auteur, se
souvenant
sansdoute que
lajeune femme
étaitmorte
poitrinaire, adû
la rêversem-
blable àlamaîtresse deLamartine, avec un
front très pâle etde «beaux yeux
battus »; il avu son
visage, flatté lui semble-t-il, surune
miniature,au
traversd'une
petiteglace,dans un
cadre léger, et les traits se sontaffinés, se sont fondus, sesont émaciés,dans
ladouceur
despâtes, surla tonalité trèsneutred'un
vieil ivoirejauni. Tel n'étaitpas, tout à fait, le portraitphysique
de Félicité; je puis le dire, car ilm'a
étépermis de
voir, chezM.
etMme
Gélis,un
tableau oii figure lajeune
fille et
un
buste qui lareprésente.1. Maury, p. 199.
2. Nous avonsmis enitalique les termes qui nous ont paru inexacts.
La
toile,due au pinceau de
Marchais, élève de Lépicier, rappelleune
partiede campagne
: la familleDidot achève
dedéjeuner souslesombrages de grands
arbres'. Félicité, assise sur l'herbe, est vêtue d'une robe gris bleu, couleur fleur de lin, lataille serréepar un long ruban
paille; elleporte des souliers d'unjaune
terne,bordés
d'étoffe rouge, et des bas clairs; surson
corsage, très décolleté, la gaze transparente d'un fichu Marie- Antoinettemet une
note légère et gaie; elle a le teint rose et délicat, desyeux
très bleus,une bouche
fraîche, souriante, rouge, etson
nezmignon
luidonne un
petit airmutin
et décidé;elle a les
cheveux
poudrés, encercléspar un ruban
paille
semblable
àceluide sa ceinture.Son
buste(faitpar
samère,
qui sculpta d'autresœuvres avec un
certain talent) date, m'a-t-on dit,d'après
son mariage
; ilne
luidonne
pointune
autrephysionomie
et précisemême
certains détails quiéchappent
lorsqu'on regarde la pein-1. Toute la famille Didot jeune est représentée sur ce tableau: Pierre-FrançoisDidot,le père,et sa secondefemme, néeAnneTravers,avecses deuxfillesSophieetFélicité, et ses quatre fils : Pierre-Henri Didot, Neuilly Didot, Léger Didot, Saint-MarcDidot.11y alàaussiunfilsdu premierlitdupère:
Nicolas-FirminDidot.
12
AMOUR
DE PHILOSOPHE.ture.
La
chemise,ornée
d'une dentelle, estouvertelargement
sur lagorge
; lecou
est rond, gras et court; lementon
petit, assez volontaire,avec une
fossette; les lèvres sont épaisses, et si celle d'en
haut
n'avançaitun peu
sur la lèvre inférieureon
dirait
que
labouche, mignonne,
est faitepour
le baiser.Le
nezest petit, assez large, et lesnarinessemblent humer
l'air; l'œil est rond, vif, point timidedu
tout,nullement
innocent, plutôt hardi etprovocant;
le front estbombé;
lescheveux,
ceintsd'un ruban
quiforme bandeau,
sontgroupés au sommet
de la tête etretombent, en
nattes, sur lecou;
la figure ronde,poupine
et joufflueest celle d'unecampagnarde
grassouillette etsensuelle.Quant
àl'idéeque
jeme
suisfaitedu
caractère de FélicitéDidot en parcourant
les lettres qu'elle a écrites, elle est tout l'opposé de la conception qu'en a eueM. Maury,
et je fus trèsétonné
delire le portrait
—
quine me
paraîtpoint exact—
où
lajeune
fillenous
estmontrée
timide, tendre et suave, craintive etsongeuse avec son
regard caressant. Telle, peut-être, fut-elle aprèsson
mariage, quelque temps avant que
latubercu-
ET FÉLICITÉ DIDOT. 13 lose
ne
l'emportât; mais,jeune
fille, elle dut être très gaie, très matérielle, légère et inconséquente, sentimentalenéanmoins
etprofondément roma-
nesque, capable d'aimeravec
passionetde donner,en
cachette, des baisers éperdus,ayant
des senssuffisamment
éveilléspour
accepter les caresses d'unamant,
sinonpour
lesprovoquer;
peut-être,mais
j'endoute, aurait-onpu
la séduire, etjene
croispas— quoiqu'on
l'aitprétendu — que
Ber- nardin de Saint-Pierre ait étéjusque-là.Félicité
Didot
avait vingt-ans lorsqueBer-
nardin, quien
avait cinquante-six, l'épousa ledimanche 27
octobre1793
'.Un échange
continu de1. Nous avons connaissance de celtedate, parune lettre de Bernardin aucitoyenDidot-Autran.Elle estdatéedu25octobre, qui était un vendredi, et il y est écrit que le mariage aura lieu : dimandteprochain, il a donc été célébré le 6brumaire an II. Voici du reste l'acte de mariage de Bernardin et de Félicité, extrait du registre des actes de l'état civil de la
commune
d'Essonnes.Ilestàremarquer quecetacte renferme uneerreur, relative àl'âge de Bernardin de Saint-Pierre; l'acte de naissance de celui-ciyestmentionné
comme
étantdaté du20janvier 1137:cela estexact, mais alorsBernardin, le 27 octobre 1793, était
14
AMOUR
DE PHILOSOHPE.lettres avait
eu
lieu entreeux longtemps avant
âgé de 56ans et 9mois, etnon de 55 ans 9 mois,
comme
leditl'actede mariage quevoici:
«Aujourd'hui, sixième jourdu deuxièmemois deladeuxième année républicaine une et indivisible, heure de midi, par- devant moi, Claude Villmer, officier public de la
commune
d'Essonnes, pour rédiger les actes destinés à constater les naissances, mariages et décès des citoyens, sont comparus dans lamaison
commune
pourcontractermariage, d'unepart, Jacques Bernardin Henry de Saint-Pierre, âgé de cinquante- cinq ans neuf mois,homme
de lettres etcultivateur,domicilié dans la municipalité d'Essonnes,district de Gorbeil, départe- mentde Seine-et-Oise; entre Félicité Didot, âgée devingt ans septmois, fille mineure dePierre FrançoisDidot, propriétaire de lapapeterie, établià Essonnes, et de Marie AnneTravers, tous deuxprésents, lesquels futurs conjoints étaientaccompa- gnés de Jean Honoré Larivière, âgé de trente ans, serrurier à Essonnes,etde Jacques Meunier, charpentier, âgé de soixante- deux ans, demeurant en cette commune, amis du futur. Et Pierre François DidotetMarieAnne Travers,père et mèrede la future, présents, domiciliés audit Essonnes; moi, Claude Villmer,officierpublic,aprèsavoirfaitlectureen présence des parties et desdits témoins de l'acte de naissance de Jacques Bernardin Henry de Saint-Pierre, en datte duvingt janvier mil septcenttrente-sept, paroisse deNotre-Dame du Havre de Grâce, département de Seine-Inférieure, fils de Nicolas de Saint-Pierre, directeur de la messagerie de la villedu Havre, et de Catherine Godebout,du légitimemariage des cy-dessus dénommés; del'acte de naissancede Félicité Didot, en datte du huit mars mil septcent soixante-treize, paroisse deSaint- André-des-Arts àParis,fille dePierre FrançoisDidot, proprié- taire de la papeterie, établi à Essonnes; et de Marie Anne Travers, ses père et mère cy-dessus dénommés; de l'acte de publicationdepromessedemariageentrelesfuturs conjoints, dressé par moi, Claude Villmer, le vingt octobre etaffiché lemême
jourà laporte de lacommune
d'Essonnes; après aussi queJacques Bernardin HenrydeSaint-Pierre et FélicitéDidot ontdéclaréà hautevoix se prendremutuellement pour époux.« J'ai prononcé, au
nom
de la Loi, que Jacques Bernardin Henry de Saint-Pierre etFélicité Didot sont unisen mariage,l'époque de ce
mariage S avant que Bernardin
eûtdemandé
lamain
de lajeune
fille à ses parents,une
partiemême
de cettecorrespondance
futenvoyée
à l'insu de ces derniers. Félicité voyait souvent, quai desGrands-
Augustins, l'écrivain célèbre et applaudi de cePaul
et Virginie, à la lectureduquel
elle avaitpleuré chezMme Necker;
elle aimait à s'entretenir
avec son
auteur favori, s'intéressaitau
sort de sesœuvres,
et lui écri- vait : «Monsieur,
tout letems que
je fusau magasin, vos ouvrages
ont toujourseu
le succès qu'ils mérittent, et jene
douttespas que
cene
soit toujours de
même-.
»Peu
àpeu
Félicité s'éprit deBernardin
; elle l'aimaavec
cette sorteetj'ai rédigé le présent acte que les parties ont signé avec moi.
« Fait en la maison
commune
d'Essonnes, lesdits jours, moiset anque dessus.Signé enfin: De Saint-Pierre, Félicité DiDOT, P. F. DiDOT,M. A. Travers, Labivière, Meunier etVill- MAiR, officierpublic.« Ces présentes, certifiées véritables par nous, secrétaire greffierdelamunicipalitéd'Essonnes,soussigné, êtreconformes aux minuttes du greffe decettecommune.
«
A
Essonnes,leseptièmejourdelapremière décade du deuxième mois deladeuxièmeannéerépublicaine.« Pasquier. » 1.Certainessonten effetdatées du moisd'août1792.
2. Voirlettre1.
16
AMOUR
DE PHILOSOPHE.de tendresse respectueuse et
soumise qu'éprouve une
enfantpour un
maître : celui-ci étaitbourru
et pédant,
mais
elle le croyaitamoureux.
Amoureux
: l'a-t-il été? il a sucomme
toutrêveur murmurer
kl'oreilled'une jeune
filleémue
des choses très
douces
qu'ilne
pensait peut-être pas;ilapu comme
touthomme
delettres écrire àune femme
de jolies phrases et dire d'aimables pensées, qu'il entendaitsonner
très faux. N'était-il pas
du
reste entraîné à cettegymnastique amoureuse,
à cette acrobatiedu cœur,
lui qui avaitpu
redireaux jeunes
filles deRennes
les paroles qu'il avait chantées à des princesses polo- naises?Et comment
Félicité, qui n'étaitqu'une
enfant, pouvait-ellene pas
se laisserprendre
à ce verbiage et le croire sincère,puisque
bien d'au- tres avantelle, et des plus averties,y
avaient ététrompées?
Mais que Bernardin dans
ses lettres saitmal
cacher savéritable nature!Ilveut
paraître tendre, délicat,amoureux,
sincère, il se révèleencore
icice
que
toujours il a été : insociable, onctueux, faiseur de déplorablesjeux de
mots, patelin et surtout égoïste;quand
il écrit à sa fiancée : to?iET FÉLICITÉ DIDOT. 17 bonheur, il se
reprend
aussitôt s'apercevant qu'il s'oublie, rature, corrigeetmet
notrebonheur
*;s'ilpouvait, sans être impoli, dire
simplement mon
bonheur, il l'écrirait! Il
ne songe
qu'à lui, etun an avant
sonmariage
il déclare à celle qu'il pré- tendaimer
: c< Je suis trèstouché
desmalheurs
de cebon
et infortuné Neuilly. siquelque
consi- dérationpouvoit tempérer
votre douleur, cest le succès demes
affaires*. » Ilveut imposer
ses idées, ses plans,ne
s'inquiète pas des désirsque
pourrait avoir Félicité; il parle à tout instantde
sasanté, de ses déboires, deson
argent; il veut,pour
des raisons étranges,que son mariage
reste secret^; il fautque son beau-père
lui achèteune
île à
Essonnes, où
il fera construireune maison
et
où
il ira vivre, car ilne peut
se passer de lacampagne,
et il contraindra samalheureuse femme
ày
rester, ày
mourir. Il avaitune âme
de pion^ et
quand
il rencontraune
intelligencejeune
et libre, il rêva de s'enemparer, pour
la pétrir à sa manière, l'enfermerdans
desbornes
1. Lettre38.
2.Lettre 18.
3. Lettre6.
18
AMOUR
DE PHILOSOPHE.étroites, la faire
semblable
àlui-même —
ce qui lui paraissait la plus désirable des choses—
pareilà ces oiseleurs qui crèvent lesyeux
des rossignolspour
le plaisirde
les entendremieux
chanter. Il conseille, iléduque
FélicitéM
IIveut
lui faire
apprendre
la botanique, « étudierle sys-tème
de Linncpus »; il lui dit de s'occuper àréformer son
orthographe,que
ses fautessont de petites taches, et,en
écrivantcela, le ridiculepro- fesseurmet deux
t à petites etune
seule h horthographe!
ilveut
qu'elle soigne ses expres- sions, car ose-t-il écrire, lui : « laparole estl'habit de la pensée; lamauvaise ortographe
estpar
raport à elle cequune
déchirureestàun
habit^», Il se fait aussi le conseiller intime de lajeune
fille; il craint qu'elle n'engraisse et lui dit de
manger un peu moins
^; est-elleenrhumée
: elledevra
garder lachambre
etmême
lelit*; ellene
doit pointveiller, ni lireau
milieu de la nuit, car lesommeil
seul«rafraîchitle teindes bergères"'»;1.Lettres 10 et 17.
2.Lettre 10.
3. Lettre 14.
4. Lettre 19.
5.Lettre 20.
ET FÉLICITÉ DIDOT.
il ne faut pas, enfin, qu'elle porte des toilettes
voyantes
quipeuvent
attirer les regards des pas- sants'!Car
il estjaloux, ce vieillard, et serend
ainsi plus ridicule encore; il craint d'êtrebafoué pour
avoir, à cinquante-sixans,
épousé une
petite fillequi
en
avait à peine vingt; ilcherche dans
l'his toire desexemples connus
qui l'aideront à seper-suader que de
tellesunions
furent desunions
heu- reuses, il cite Socrate, ilinvoque Sénèque
^.Et malgré
cela, il apeur
:peur que
cemariage ne
se fasse pasou peur
d'êtretrompé;
il désire qu'en redoublant de confiancepour
lui Félicitédiminue
«
un peu avec
les autres de cette familiaritéque
le cousinage, l'enfance, levoisinage rendent sans
conséquence pour une ame
indifférente,mais
quine
lesontpas pour
celle quiaime'
»;un jour
ilse rappelle des «
marques
de familiarité » qui luiparurent
«signifiantes»etil se croitoublié*;dans une
autre lettre, il la laisse libre de recevoir les visites d'un ami,mais
conclutsèchement
: « cest1. Lettre 13.
2. Lettre 9.
3. Lettre 14.
4.Lettre 17.
20
AMOUR
DE PHILOSOPHEVOUS
seule quipouvés
connoître le degré et la nature de lafîection qu'il apour
vous'. »Quelle
âme
d'ange, d'enfant,ou
quelle résigna- tion avait-elledonc
cettefemme
délicieuse,ou
de quelle passion sesaimables yeux
bleus étaient-ils aveuglés,pour
qu'ellene
vît pas, d'après ces lettres...d'amour,
quel infernalmari
ferait cetamoureux
pitoyable etmorose?
elle ignorait, sans doute, qu'il lui donnait là le plus joli deson
caractère, et ellene
se doutaitpas— mais
quellefemme veut
le savoir— que pour
apprécierun
mari, il faut l'estimer fortau-dessous
de ce qu'il sait semontrer
lorsqu'il est fiancé. Elle croyait tout ce qu'il condescendait à lui dire, et,comme
son
regard étaitému
et troublépar
les quel-ques mots d'amour
qui se trouvaientdans
les lettres, elle n'a pointdû pouvoir
lire les lignesoù son ami
semontrait
si insupportable. Elle fitabnégation
de sa personnalité, elle eutpeur
de déplaire, elle obéit, et setrouva
trèsheureuse
lorsque leprofesseur ditàl'élève :je suiscontent.Il lui adresse
une
lettre-,dans
laquelle il la prie1. Lettre 19.
2. Lettre3.
ET FÉLICITÉ DIDOI. 21 de
ne
plus l'appeler «Monsieur
», de lui écrirelonguement pour que son âme
se repose sur la sienne «comme un voyageur
surun gazon
frais », de chercherune chaumière où son
«cœur
res- serré s'épanouira », et cela suffîtpour
la trans- porterde
plaisir et lui faire écrire à la finde
la missive : «Reçu
le22
août.Jour heureux pour
Félicité ». Elle pleure de joie
en
lisantles lettres deBernardin
et luidemande
des conseils, elle voudrait être toujours à ses côtés et déplore les absences, elleconsent à
vivre à lacampagne
etpour
plaire semet
à la lecture, elle écrit longue-ment
et se révèle, toute, telle qu'elle est, simple-ment
et sans affectation,ne
craignant pasde
direson amour,
doutantseulement de ne
pointemployer
destermes en
rapportavec
les senti-ments
qu'elleéprouve
: c'estune amoureuse
qui a foien
l'avenir et qui croitau bonheur —
n'avait- elle pointl'âge des illusions?A
l'approchedu jour
deson
mariage, lajeune
fille
— nous nous en doutons
seulement, ses der-nières lettres n'étant pas
parvenues
jusqu'ànous
—
dut crier trèshaut
sa joie, toutheureuse de
voir se réaliser sesvœux
les plus chers, tandis22
AMOUR
DE PHILOSOPHE.que
lesauvage que nous
connaissons, qui s'étaitvu
refuser parson beau-père
lapromesse
de tenir cetteunion
secrète, envoyaitune
lettre de fairepart, unique,au
citoyen Didot-Autran, lettre d'un fantasque et d'un extravagant: «Jem'adresse
à vous, Citoyen,comme
à l'aîné des enfantsdu
citoyen Didot,pour vous annoncer
l'allianceque
je contracteavec
votre famille,en épousant dimanche prochain
votreaimable sœur
Félicité Didot.Comme
je n'ai ni letemps
ni lesmoyens d'envoyer
suivant l'usage des lettresimprimées pour
prévenir lesparents etamis
demon
mariage»je
vous
prie de vouloir bienen
faire part, ainsique
de la satisfactionque
j'éprouve à resserreravec eux
les liens de l'amitié parceux
de la parenté. Jem'en
féliciteen
particulier par raport à vous. Jevous
présente ainsi qu'àeux
les assu- rances demon
amitié fraternelle'. »i. J'ai trouvé cette lettre citée (p. 198) dans la thèse de M. Maury,quiécrit, en note : « Lettre inédite de Bernardin de Saint-Pierre au Citoyen Didot-Autran, 25 octobre 1792, l'an 11 de la République. C'est évidemment 1793 qu'il faut lire. Celte lettre est en possession de la petite-fille de Ber- nardin deSaint-Pierre,
Mme
Destiker, qui a eu lagracieuse obligeancedeme
lacommuniquer. »Telle est,
en quelques
mots,l'histoiresentimen-tale
d'un homme âgé
et d'uneamoureuse,
qui écrivirent, avant leur mariage^ les lettresque nous
présentons aujourd'huiau
publicdans
lapremière
partie de cet ouvrage.Quelques-unes
d'entre elles, écrites par Bernardin, ont été publiéespar Aimé
Martin,en
1826,dans
le troi-sième volume de
la CoiTespojidance deBernardin
de Saint-Pierre (Paris,Ladvocat,
in-8); d'autres ont été citées*, par fragments,dans une
plaquette d'unM. Meaume-, dans
la thèse deM. Maury
et
dans un
article deM. Largemain^; nous
les publions, toutes,en
entier, avec lesnombreuses
lettres de
Bernardin
et de Félicité qui étaientencore
inéditesavant
lespublicationsque nous en avons
faitesdans
laRevue
desDeux Mondes du
15mai 1904
etdans
laRevue Hebdomadaire du
15 octobre1904 \
1. Lescitationssontsouvent reproduites inexactement.
2. Élude sîij' la vie privée de Bernardin de Saint-Pierre (1792-ISOO), parE. Meaume, président de l'Académie de Sta- nislas(Nancy,18oG).
3. Revue d'Histoire litlérairedelaFrance,1902, p. 271.
4.Nous avonslaissé aux lettres publiéespar nous dansla
24
AMOUR
DE PHILOSOPHE.Les
lettres échangées, avant leur mariage, parBernardin
et Félicité,ne
sont pas les seulesque nous
possédions;Aimé
Martin,en
1826,dans
laCorresjwndance
deBernardin
de Saint-Pierre,en
aimprimé
plusieursque
celui-ci écrività safemme.
Par
elles,par
d'autres lettres, inédites,— nous
lespublions toutes
dans
notreseconde
partie,—
et lesrenseignements que nous donnèrent
les bio- graphes,nous pouvons
connaîtrel'épiloguede
ceroman
: ilest très triste.Félicité
ne
fut point heureuse. Ellemena une
vie
de dévouement
etd'amour pour un homme
qui
ne
sutmême
pass'enapercevoir; lanaissanced'une fille* et de
deux
fils-,dont
l'unmourut
très jeune,
n'égaya que peu
detemps
la triste mélancolie deson
séjour à lacampagne;
elle sedonna
toute à l'éducation de Virginie etde
Paul, mais,restantde longues journées
trèsseule, Revue Hebdomadairela qualification ({'inédites, parce qu'elles ontparurécemment,etqu'ellessontinéditesenvolume,comme, dureste,les lettrespubliéesparlaRevuedesDeuxMondes. Mais pour cesdernières nous avons indiqué les numérosquileur avaientété donnés dans cette revue.1.VirginiedeSaint-Pierrenaquitle29août1794, àEssonnes.
2.Le premierfils, Paul, ne vécut que sixmois; il était né le 3 juin 1796 (25 prairial anIV). Le second fils, qui fut, lui aussi,appelé Paul,naquit le3 avril 1798(16 germinal anVI).
ET FÉLICITÉ DIDOT.
car
Bernardin
s'absentait souvent, ellelaissalibre cours à ses rêveries, etdut
avoird'amers
regrets.Elle aimaitpourtant toujours
son
mari, bien qu'il s'occupâtpeu
d'elle, et lui écrivait encoreen
l'an
IV
de tendres lettres, pleines d'affectionpour
lui etses enfants*.
Ses
frères qui déjà se querel- laientavant son mariage,
ainsiqu'en témoignent
plusieurs lettresoù
elle le dit à Bernardin-, con- tinuèrentleurs disputes qui labouleversaient pro-fondément;
enfinson
pèreDidot
lejeune mourut en décembre 1795 ^ La
succession embrouilléefut difficile àliquider et ses frèresne
laissèrent pointéchapper
cetteoccasion nouvellede
discussions et de récriminations;Bernardin
dut intervenirpour
défendre la partde
safemme,
et de tout ceci lapauvre
Félicité souffritdavantage. Elle s'étiola, etdans
safroidemaison d'Essonnes
lesgermes
de la tuberculose qu'elle avaiten
ellene
tardèrentpas
à sedévelopper —
de cettetuberculose qui avait tué déjà Sophie, sasœur,
à l'âgede dix-huitans\
1. Voirlalettre 53.
2. Voirla lettre 3G etsurtout lalettre 35.
3.Verslemilieu defrimairean IV.
4. SophieDidot, scuur ainée deFélicité, étaitnée le l"sep- tembre1768;elle mourutle 14janvier 1786. Elle avaitquatre ans deplusquesasœur.
26
AMOUR
PHILOSOPHE.C'est alors
que
sesbiographes
se trouvaientembarrassés
parune
question qu'ilsne pouvaient
trancher:Félicité a-t-ellevoulu
divorcer? Certains l'affirmaient, d'autres le niaient, et cette questionne
pouvait sortirdu domaine
de l'hypothèse,puisqu'on
épiloguait surune
lettre, inédite, qui, paraît-il, avait disparu.Eh
bien! celaest vrai : il a été question de divorce entre lemari
et lafemme
;le
document
qui leprouve
n'est pas perdu,ilnous
estaujourd'hui
donné
delepublier: c'estune
lettrede Bernardin
de Saint-Pierre à sa belle-mère,Mme Didot mère;
elle est datéedu
6 ventôsean
VII, c'est-à-diredu 24
février1799
(dimanche).Quoi
qu'ilen
soit, Félicitérenonça
àson
projet;elle
continua
de dépérir',minée
par le terrible1. Voici, à tilre de curiosité, une lettre, inédite, écrite à Félicitéparsamère,un mois avantsamort. Cette lettredatée du
n
jjruraaireanVIII,c'est-à-dire du8 novembre 1799 (ven- dredi), se trouve à la Bibliothèque du Havre (dossier 157, p. 132, M. 63).A
la Cituyenne de St-Pierre.« Tu
me
demande des nouvelles dema
santé,ma
bonnefille, puige
me
bien porté et te savoir malade ne crois pas que leloignenient fait que je loubliejai eut de tes nouvelle trois fois depuis tout départ.« tu
me
faitdes plainte de ton docteur, cest une grande négligencedesa part si Lu ne lapas vue depuis ton retour d'Essonne, je n'ivois un seul moyencela ceroit île lui Écrire l'état ou tu te trouve présentement et le désire quetu aurois^
BERNARDIN DE SAINT-PIERRE
mal auquel son mari semble ne
pas avoircru, et à vingt-sixans
elle s'éteignit, après sixannées de
mariage, le 18décembre
1799'. Bernardin, resté de le voir, je crois qu'il ne manqueroi pas de venir, étant assuré d'avoir laConfiance de sa malade, cest sûrement la lemotif de son peut déxactitude.
—
« quoique tu ne mest pas demandé ta grande Bergèrejai prie sur moi de te l'anvoyer, Croyant te faire plaisire, et réparé la sotisede nos deux pauvres d'esprit.
« la fin de la lettre
me
fait de la peine, tu Grain de men- nuyer de ton bavardage, queje dois être bientranquil dètre debarassé de tout tout trio, bonne amie tu ne connois pas lecœurde ta mère, les moyens
me
manqueprésentement pour te prouvécequeje ressaut pour toi, il viendra un tant plus heureux ouje pouraime
faireconnoitre,mais pourle presant ce qui mocupe le plus cest de savoir tout rétablisement,ne temest nul inquiétude dans lesprit, prend donc une ferme resolution surtoit même, et soitsur que celte fièvre qui est nerveusese dissipera, le grand Médecin cest DieuElaive tonamcvers ton créateur de mande lui dans lesprière laforce et le courage de supporté ton mal avec passiance cest la le vraix moyen de trouvé du soulagement et dela Consolation dans toutce qui nous arrive.
—
« jai attendue tout cesjours si notre ami St-Pierre ayant promiqu'il viendroitdans huit jours, letant est passé, je ne sait aquoi attribué son relard, fait lui mille amitiér de
ma
part embrasse le pour moi ainssi que mesdeux beaux petit Enfans quejaime de tout
mon
cœur.« V° DiDOT. "
« ta tante charpentier a été sansible a ton bon souvenir elle
ma
chargé de mille amitiér desapart.« jalant toujours que l'on
me
livremon
blé mais je vois qu'il fautprendremon
partie de man passé,jen suis toutes consolé,dans lespérancedelevoir plutôt queje le Croyoit.« tu recevra une petite anguille et un petit brochait cest de lapaiche deMongeron. »
du
n
Brumaire anS'^.1. 27 frimairean VIII.
—
Ellemourut à Parischez sa mère.28
AMOUR
DE PHILOSOPHE.veuf avec deux
enfantsS
n'a pointdû
souffrir de lamort
de safemme
^; il avait été trop dési-reux
de semarier pour renoncer
àun
tel projet aprèsl'essai qu'il venait de réaliseren compagnie,
il est vrai, d'une
femme
qui avaittout faitpour
le rendreheureux
etquiavait été sa servante; aussi, bientôt après, recommençait-il,avec
des expres- sions identiques, à écrire des lettresd'amour,
toutes semblables à cellesque
l'onva
lire,pour
1. Safilleavaitcinq ans, et sonfils dix-huitmois.
2.Voici unelettre,inédite, écriteàBernardin après lamort de Félicité, parsa belle-mère,
Mme
Didot. Cette lettre, datée du 20nivôse anVIII,c'est-à-diredu10janvier 1800 (vendredi), se trouve à la Bibliothèque du Havre (dossier 137, p. 141, B. 12).Aux
Citoyen de St-Pierre« Beaucoupdafaire très désagréable mavoit fait oublierque je suis forcéd'allerà Essonne,ainssibonneami, vous prendre
le jourquilvous cera le plus comode pour partir ensemble
et revenirde même.
—
« Votreinvitationhonaitedallerdîner chez vous auxquelles je suisdes plus censible, il ne mestpaspossible de laccepté- je parle a
mon
ami,etjelui parle avectoutes lasincérité demon
ame.nom
je neme
sans pasla force de pouvoir vincre les ydé triste aux quelle je ne ne pourois surmonté, jevite autantquil mestpossible cette Cruelle maladie de Nerfdont je suis présentement très tourmenté, cènes donc quavec le tant etle secourdeDieu,queje prie tous les jours deloigné demoise tableauaffiigan dema
pauvre fille qui mest conti- nuellement présente amamémoir, nemen
voulé pas plaigne moi, oui plaignemoi,si cestunefauteque jefait jatant tout de votre sancibilitépourme
pardonné..- V. DinoT. » 20Nivosse an8'.
ET FÉLICITÉ DIDOT.
Mlle Désirée de Pelleporc, qu'il avait rencontrée
dans une
institution de jeunes filles dirigée parMme
de laMaisonneuve.
Ilavait soixante-trois ans lorsqu'il l'épousa,en brumaire an IX
' : ilregretta, jecrois, lapauvre
Félicité!Il s'éteignit le 21 janvier 1814, à
Eragny-sur-
Oise, et,comme
il avait sansdoute
converti safemme
àsespropres théories sur lemariage, elle épousa,en secondes
noces,Aimé
Martin', le secrétaire deson mari
défunt. Celui-ci consacra toute sa vie à la publication et à la glorification desœuvres
deson
maître, à ladéfense aussi de samémoire,
etil euten
cela fort àfaire, car elle futvivement
attaquée.*
Les
originaux des lettresque nous
publions se trouvent, les uns,au nombre
de seize, àlaBiblio-thèque du Havre,
les autres,de beaucoup
les1. Octobre-novembre 1800.
2. Martin (Louis-Aimé), littérateur, né à Lyon, en 1786, mort, à Paris, le 22 juin 1847; d'abord professeur d'histoire littéraire de la France desxu%xiii"et xiv^ siècles,à l'Athénée, en 1813; secrétaire-rédacteur de la Chambre des Députés en 1815, et, peu de temps après, professeur de belles-lettres, de moraleet d'histoireàl'Écolepolytechnique, en remplacement d'Andrieux; destitué en 1831 et
nommé
conservateur à la Bibliothèque Sainte-Geneviève.30
AMOUR
DE PHILOSOPHE.plus
nombreux, dans
la collection deM.
Pierre Gélis-Didot.Aimé Martin
futpendant longtemps
dépositaire de ces dernièreslettres; ellesapparte- naient à Mlle Virginie de Saint-Pierre, fille de Bernardin, qui avaitépousé
le général deGazan.
Lorsque Mme
deGazan
fut morte, le général les conserva, etquand, en
1849, ilsuccomba au
choléra, ellesfurentvendues
avec sa bibliothèque et achetées parun
collectionneurdont
j'ignore lenom. Paul
de Saint-Pierrene
se porta pas acqué- reurà cettevente;ilne
pouvait, étant fou,songer
àlamémoire
deson
père. Je retrouve ceslettres àNancy, en
1856, entre lesmains de M.
E.Meaume,
avocat, puis juge, auteur de diversesbrochures
etprésidentdel'Académie
de Stanislas.Comment
les a-t-ileues?
«par un heureux hasard
», voilà tout ce qu'il dit. Je perds alors la trace de ces lettres etne
les retrouveque
chezM.
Pierre Gélis-Didot, l'architectebienconnu,
qui estlepetit-neveu deBernardin
;ilachetaune
partie de ceslettresdans une
vente publique,en
février 1887,etcompléta
cette trèsbelle collection,dont
il estdemeuré,
depuis lors, l'heureuxpropriétaire*.1. C'estM. Pierre Gélis-Didotqui m'aautorisé à publierces