• Aucun résultat trouvé

Mammographie: les explorateurs se perdent

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Mammographie: les explorateurs se perdent"

Copied!
1
0
0

Texte intégral

(1)

Curieuse charge du Swiss Medical Board (SMB) contre la mammographie de dépistage, la semaine dernière. Curieuse par son contenu, d’abord, sa forme ensuite. Mais surtout par sa radicalité, on pourrait même dire sa violence.

Quel était le but réel, peut-être caché, de cette attaque des programmes existants, impliquant des centaines de milliers de femmes ? Existe- t-il des éléments nouveaux, par rapport aux multiples études publiées un peu partout dans le monde ? Non, pas le moindre. Les cantons, romands surtout, se sont décidés sur la base de ces analyses mondiales. Ils ont suivi, comme de nombreux pays développés, la position de l’OMS, ont pris des risques, entrepris des dé- marches courageu ses, puis ont communiqué les connaissances permettant une décision éclairée aux femmes concernées. Et voilà qu’un groupement indépendant déstabilise tout cela, ridiculise les soignants et les politiciens canto- naux, sans avancer d’arguments convaincants.

Tous les spé cialistes savent que les bénéfices sont limités, mais qu’ils existent. La pesée dif- ficile, mettant en jeu des choix de société, a déjà été faite. Pourquoi donc cette bombe mé- diatique ?

Quelle cacophonie, en tout cas, ce fut, la se- maine passée, en réponse à la publication de ce rapport. Le SMB a pourtant été créé dans le but de doter la Suisse d’un classique systè- me de Health Technology Assessment (HTA).

Lancé en 2008 par le canton de Zurich, il a ensuite été pris en main conjointement par la FMH, l’Académie suisse des sciences médi- cales (ASSM) et la Conférence suisse des di- rectrices et directeurs cantonaux de la santé (CDS). Mais ses travaux semblent s’effectuer en catimini. Les institutions partenaires n’ont pas l’air de savoir ce qu’il s’y passe. La partie romande de la CDS, par exemple, a rejeté sans égard les conclusions du rapport. Plus en- nuyeux encore, l’OFSP et la Ligue suisse contre le cancer, qui ne font pas partie du SMB, ont quasi raillé la démarche en soulignant ses ca- rences. Quant aux spécialistes interrogés par les médias, ils se sont pour la plupart répan- dus en étonnement et incompréhension de- vant le manque de nuances et de propositions constructives du document.

Pourquoi le SMB s’amuse-t-il ainsi à créer du trouble sans avancer d’éléments nouveaux ? Sa procédure d’analyse est-elle en cause ? Décrite en détail sur son site internet, elle ne présente rien d’original. De l’étrange se glisse cependant, c’est vrai, lorsqu’on s’intéresse à la liste des personnes impliquées dans la recher- che critique. Première surprise : pas un seul

romand. Ce qui est fâcheux sur un plan démo- cratique et, soyons francs, gênant lorsqu’il s’agit de juger une pratique essentiellement romande. Seconde surprise : le rôle central donné au secrétariat. «La recherche et l’éva- luation bibliographiques, le traitement de fond des différents chapitres et la formulation du rapport sont effectués par l’équipe du secréta- riat» indique le SMB. Autrement dit, c’est à lui, et non au conseil d’experts, que revient le tra- vail scientifique d’analyse de la littérature. Et ce si important secrétariat, de qui est-il com- posé ? De sept membres professionnels ap- partenant à deux entités privées : l’une, Dialog Ethik, est une fondation jouant un grand rôle dans le débat éthique en Suisse alémanique, mais qui n’a aucune expertise particulière dans l’évaluation du savoir scientifique ; l’autre est Ernst Basler + Partner, une entreprise multi- nationale «d’engineering, de planning et de consulting», spécialisée dans la production d’analyses au service de l’industrie. Or, c’est Ernst Basler + Partner qui fournit la majorité des membres du secrétariat et même l’héberge dans ses locaux. D’où vient l’intrigante idée de faire de cette entreprise, dont ni la santé ni la médecine ne figurent parmi les dix «business fields», le pivot du SMB ? Mystère. Quant au conseil d’experts, on trouve parmi ses sept membres une juriste, une éthicienne, une re- présentante des soignants, un économiste de la santé, mais seulement un épidémiologue (jusqu’en été 2013) et deux médecins clini- ciens non spécialistes du domaine.

Autant dire que les forces scientifiques du SMB se montrent bien légères pour prétendre dé- couvrir de nouvelles chausse-trappes dans l’une des analyses du savoir médical les plus difficiles que l’on puisse imaginer. Mais il n’y a pas seulement un problème de compétence scientifique. Il y a aussi un doute sur la culture qui sert de base à l’analyse. Au lieu d’être de plain-pied avec celle qui a présidé à l’élabo- ration des études scientifiques, donc une ap- proche médicale complexe, réunissant de nom breuses spécialités, elle s’appuie sur des méthodes du consulting industriel. Certes, pré- cise le SMB, des «spécialistes du thème» choi- sis par la FMH – selon quels critères ? – sont aussi mis à contribution. Mais qui les interroge, qui leur pose les questions difficiles, qui re- cueille leurs doutes et cerne leurs conflits d’in- térêt ? Le comité scientifique ? Non. «Ils sont interrogés au cours d’une discussion par deux représentants de l’équipe du Secrétariat». Au- trement dit, avant tout par les représentants d’Ernst Basler + Partner. Est-ce sérieux de dé- léguer ainsi à une agence commerciale non

spécialisée l’enquête servant à déboulonner un grand programme national de prévention ? Il faut bien avouer que non.

Difficile donc, pour le SMB, s’il veut gagner en crédibilité, de continuer avec ce bricolage. Mais quelles pourraient être les voies de réforme ? D’abord, renforcer ses liens avec les autres or- ganisations de HTA au niveau mondial. Nul be- soin de refaire de A à Z certaines analyses. Il pourrait donc se borner à constituer des comi- tés pour valider ou adapter les conclusions des autres centres. Mais il pourrait aussi déci- der de développer une véritable compétence dans le domaine. De lancer, autrement dit, un système indépendant comme l’a fait la Grande- Bretagne avec le NICE, qui lui-même fait appel à l’expertise d’institutions autonomes comme le «National Clinical Guideline Centre». Mais la Suisse n’est-elle pas trop petite pour cela ?

Pour le moment, en six ans d’existence, le SMB a produit onze rapports. Rythme ridi- cule, face à une médecine qui grouille de nou- veautés et de questions. Il lui faudrait élargir son champ, traiter non seulement de procé- dures médicales, ou de prévention, mais aussi – les enjeux éthiques et les gains possibles sont encore bien supérieurs – de manières d’organiser le système de santé. Il devrait aussi s’intéresser à ce qui se passe dans les sys- tèmes de managed care, dans les nouvelles entreprises de cabinets de groupe qui s’éten- dent à travers le pays et amènent de nouvelles pratiques. Est-ce un gain en termes d’efficien- ce ? Quelles sont les conséquences pour les patients et les soignants ?

Enfin, le plus important : il est temps d’en finir avec les approches paternalistes. Le SMB de- vrait s’inspirer du NICE britannique, qui prend en compte la vision des patients et du public avant de faire des recommandations. «En im- pliquant les gens qui sont réellement concernés par les directives, nous plaçons les besoins et les préférences des patients et du public au cœur de notre travail» explique l’institution. Elle a même créé un «Conseil des citoyens» qui peut commenter les questions difficiles abor- dées par NICE mais aussi critiquer les prin- cipes utilisés pour décider de l’efficacité ou de la rentabilité d’interventions.

Bref, les patients et la population au centre.

Pour le SMB, que de chemin à parcourir !

Bertrand Kiefer

Bloc-notes

416 Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 12 février 2014

Mammographie : les explorateurs se perdent

48.indd 1 10.02.14 12:40

Références

Documents relatifs

8 Si une prestation de sortie est apportée, un rachat effectué, si un cas de prévoyance survient, si des prestations en capital sont fournies pour le finance- ment de

A mon avis, Joshua Fishman (1991) a raison quand il pense qu'il faut distinguer deux étapes dans le rétablissement d'une langue menacée: une première étape doit mener à

Quand l'entretien d'accompagnement est organisé en groupe (apprentis alémaniques et romands ensemble) les modalités interactives de son déroulement changent

D : Les sommes partielles et la somme totale de leurs ˆ ages permettent d’obtenir tous les entiers compris entre 1 et 121

Depuis plusieurs années, la DRTEFP Rhône-Alpes, la Direction des Risques Professionnels de la Santé au Travail de la Cram Rhône-Alpes et ARAVIS mènent ensemble de

la cinquième édition de ces rencontres sera l’occasion de nous interroger sur « le désir d’enfant et les maladies génétiques » et sur « la place des proches et des aidants

C’est la raison pour laquelle nous parlerons plus volontiers, avec les nuan- ces précitées, de perte de confiance pour le monde anglo-saxon, et ce, même si le développement de

Au XVII e siècle, différents spectacles relatifs au martyre des Thébains sont encore mentionnés en Suisse alémanique — par exemple le Mystère de Ste Vérène à Zurzach —,