Thomas Mann a été un écrivain incontes
tablement grand. Sa vie comme père de famille demeure parfaitement contestable.
Son œuvre pas.
On ne s’expose pas à un grand risque en pariant que l’on pourra trouver quelque chose à réprouver dans le parcours biogra
phique de V. von Weizsäcker. Comme mé
decin, il s’est expliqué avec un contexte so
ciohistorique autrement plus ardu et plus délétère que le nôtre.
Mais notre propre responsabilité politi
que risque de ne pas s’en trouver non plus grandement rehaussée. Si nous avons à as
sumer un engagement politique, il me sem
ble plus courageux de le faire là où notre propre responsabilité médicale est engagée : dans notre propre temps et notre propre système de santé.
Or, de façon assez interpellante, nous avons à prendre position, nous médecins en Suisse, au début du 21e siècle, à propos de questions analogues à celles avec les
quelles V. von Weizsäcker avait à s’expli
quer dans les années 30. Rappelons une question très actuelle dans notre système
de santé : quel traitement médical et social prônonsnous pour les patients qui se trouvent incapables de travailler et deman
dent une rente invalidité ? Les médecins ne s’accordent pas sur la réalité de leur mala
die. Or, V. von Weizsäcker, dans sa Patho
sophie, nous donne des indications particu
lièrement éclairantes pour aborder cette question.
Mes connaissances de l’allemand restant déplorables, je n’ai pas lu «Rentenneurose», œuvre à laquelle Pierre Baumann se réfère.
Ce qui m’a poussé à saluer la traduction de Pathosophie, c’est justement le développe
ment qu’on y trouve de la notion de dimen
sion pathique de la maladie, réalité que la médecine a parfois de la peine à recon
naître et que l’AI refuse obstinément de prendre en considération.
Cette question est au cœur de nos pro
pres débats politiques, avec la perspective de la (re)mise au travail forcée d’invalides, l’exclusion de la protection sociale pour un nombre toujours croissant de patients (trou
bles somatoformes, troubles impliquant des abus de substances, etc.).
Par rapport à l’épreuve de savoir com
ment traiter médicalement et socialement nos invalides et les différentes personnes vulnérables ou «en échec» dans notre pro
pre société, notre responsabilité de méde
cinscitoyens est engagée et notre lucidité critique, impérative.
Dans cette perspective, la lecture et la mise en discussion des textes de V. von Weizsäcker sont à mes yeux une priorité.
Ses écrits élaborent des questions d’une actualité brûlante pour notre temps. Sa pensée, sans concession quant à la rigueur pour comprendre la réalité de l’expérience de la maladie, et loin des simplifications abusives de l’AI, a de quoi mobiliser nos propres réflexions.
Nous avons à nous atteler au travail de façon plus exigeante. Nous pouvons évo
quer des défaillances historiques chez un auteur, mais pas sans mettre simultanément en cause notre engagement dans notre propre histoire en train de s’écrire.
Pr Marco Vannotti CERFASY Ruelle Vaucher 13 2000 Neuchâtel mvannotti@cerfasy.ch
La responsabilité du médecin dans son temps
Réponse du Pr Marco Vannotti
656 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 21 mars 2012
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