• Aucun résultat trouvé

Visions Croisées dans la littérature du Grand Océan : Approche comparatiste des littératures francophones et anglophones de Polynésie

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Visions Croisées dans la littérature du Grand Océan : Approche comparatiste des littératures francophones et anglophones de Polynésie"

Copied!
15
0
0

Texte intégral

(1)

Année académique 2014-2015

Visions Croisées dans la littérature du Grand Océan :

Approche comparatiste des littératures francophones

et anglophones de Polynésie

Converging Visions in the Contemporary Literature of

Oceania: A Comparative Approach to French- and

English-Languages Literatures from Polynesia

Anne-Sophie CLOSE

Thèse présentée en vue de l’obtention du grade académique de Docteur en Langues et lettres

Sous la direction de

Madame Franca BELLARSI (directrice)

(2)
(3)

1

INTRODUCTION GÉNÉRALE

« C’est quel lagon la langue ? Et c’est quelle pirogue l’écriture ? C’est quelle terre la littérature ? » (Flora Devatine, 2006) « À travers la terre, c’est l’Homme qui apparait en filigrane »

(Bertrand Capecchi, 1994, 6)

En 1513, un conquistador espagnol, Vasco Nuñez de Balboa « découvre » l’Océan Pacifique depuis les rivages du Panama. Il le nomme alors Mare del Sur. Cet acte inaugure l’« entrée dans l’histoire » de l’Océanie, mais également l’apparition du « continent invisible »1 sur les cartes du monde.

En 1771, la publication du Voyage autour du monde de Louis-Antoine de Bougainville, deux ans après son (très) court séjour à Tahiti, marque l’entrée de la Polynésie dans les imaginaires européens, où elle s’installe ensuite durablement, jusqu’à y conserver de nos jours encore une place privilégiée, incarnation par excellence du « mythe des Mers du Sud », né avec la littérature d’exploration, étoffé par la littérature exotique, puis réinvesti avec succès par l’imagerie hollywoodienne et l’industrie touristique. Depuis 1771, la Polynésie a donc été dite par d’autres : orientalisée, idéalisée ou démonisée, mais toujours fantasmée à travers des discours étrangers, fictionnels ou non, s’étendant comme le rappelle Albert Wendt (1980, xiv) « from the hilariously romantic through the pseudo-scholarly to the infuriatingly racist ».

Il fallut attendre les années 1960 pour qu’émergent des profondeurs d’un océan d’oubli et de silence les premières voix littéraires océaniennes indigènes : les Cook Islanders Tom et Lydia Davis publièrent le premier roman polynésien – Makutu – en 1960 ; suivis par

The Crocodile, du Papou Vincent Eri en 1970. Le Samoan Albert Wendt publiait en 1973

(4)

2

Sons for the Return Home, le premier roman d’une longue série et d’une œuvre riche et

foisonnante. La même année, en Aotearoa/Nouvelle-Zélande, Witi Ihimaera publiait

Tangi, précédé en 1972 du premier recueil de nouvelles jamais écrit par un Māori, Pounamou Pounamou. Il fut suivi de près par sa consœur Patricia Grace dont le recueil

de nouvelles Waiariki parut en 1975, tandis que son premier roman Mutuwhenua : The

Moon Sleeps paraissait en 1978. Ces œuvres pionnières furent suivies par d’innombrables

réalisations, émanant de tous les recoins du Pacifique anglophone (Nouvelle-Zélande,

Sāmoa, Guam, Papouasie-Nouvelle Guinée, Vanuatu, Tonga, Hawai’i)2.

Néanmoins, il fallut attendre la publication en 1990, par une petite maison d’édition locale, du recueil de la Tahitienne Michou Chaze Vai. La rivière au ciel sans nuages et celle en 1991 de L’Île des Rêves Écrasés de Chantal Spitz – « premier roman de langue française écrit par une Tahitienne » – pour voir apparaître les débuts d’une véritable production littéraire dans le Pacifique francophone, l’une des plus récentes du monde (Mateata-Allain, 2008b, 603). Avant cette date, les réalisations demeurent éparses, voire confidentielles : les Tahitiens Henri Hiro, Hubert Brémond et Charles Manutahi, virent leurs poèmes en reo mā’ohi faire l’objet d’un numéro spécial de la revue littéraire MANA en 1979 ; Flora Aurima-Devatine, publia sous forme de polycopié et sous le pseudonyme de Vaitiare en 1980 à Tahiti un court recueil de poésie (Humeurs) ; tandis que Déwé Gorodey publia en 1985 Sous les cendres des conques, le premier recueil de poésie écrit par une femme kanak3.

Comme dans le Pacifique anglophone, ces pionniers (et surtout pionnières) de l’écriture en français ont suscité d’autres vocations, bien que la création littéraire demeure encore en Polynésie Française un phénomène incongru qu’il est nécessaire de justifier (Picard, 2008, 9), malgré les nombreuses initiatives mises en place pour favoriser tant la lecture que l’écriture (création en 2002 de la revue littéraire locale Littérama’ohi et d’un salon du livre annuel à Pape’ete par exemple). La production littéraire océanienne francophone, plus tardive, demeure aussi plus restreinte que sa consœur anglophone, en termes de nombre d’auteurs et de lecteurs potentiels, d’œuvres publiées, de maisons d’édition, mais également en termes de reconnaissance et de visibilité internationale. Cette disproportion

2 Pour un résumé de l’histoire de la publication océanienne anglophone, voir Marsh (2004, 31-52) ; Wendt (1980, xiii-xix) et (1995, 1-8) ; Arvidson (1975b et 1999).

(5)

3

s’explique par différents facteurs, dont le plus important est sans doute la différence en termes de population : la Polynésie française compte à ce jour environ 270 000 résidents, la Nouvelle-Calédonie à peine 250 000. Rien d’étonnant à ce que la proportion d’écrivains (et de lecteurs) soit inférieure à celle du Pacifique anglophone, bien plus peuplé.

Malgré une grande vitalité ces dernières années, les littératures francophones du Pacifique semblent condamnées à une forme d’invisibilité au sein des études littéraires, qu’elles soient océaniennes, postcoloniales ou francophones. Rares sont les chercheurs en effet à s’être penchés sur la question des littératures autochtones océaniennes s’exprimant en français, parent pauvre des exégètes. Boudées par la critique francophone qui les a longtemps ignorées, elles l’ont également été jusqu’il y a peu par la critique littéraire « océanienne ». Celle-ci, née dans les années 1970 avec les premières publications d’auteurs indigènes anglophones, s’est développée depuis de manière extrêmement dynamique, dans la lignée des travaux fondateurs d’Albert Wendt, Subramani, Epeli Hau’ofa, Paul Sharrad, Vilsoni Hereniko, …

Dans le premier cas, on peut sans doute pointer la survivance d’un certain mépris colonial français pour ces territoires d’Outremer si éloignés et si insignifiants, ou plus prosaïquement l’expression d’une méconnaissance du dynamisme créatif à l’œuvre en Océanie francophone qui, il est vrai, a mis un certain temps avant de sortir de ses frontières archipélagiques pour accéder à la scène littéraire internationale. Dans le second cas, la principale barrière à l’ignorance de la production francophone par les critiques océaniens réside dans la méconnaissance de la langue : la barrière linguistique suffisant très souvent aux chercheurs anglophones pour justifier leur mise à l’écart de cette production (par exemple Marsh, 2004, 22-23).

(6)

4

mā’ohi, ou encore l’ouvrage de Sylvie André Le roman autochtone dans le Pacifique

Sud : penser la continuité (2008) ; ainsi que l’un ou l’autre article isolé (Faessel, 2005 ;

Ramsay, 2008 ; Gannier, 2009)4. En dehors de ces quelques publications, un abysse

sépare souvent l’étude des œuvres polynésiennes francophones et anglophones, malgré l’intérêt profond de leur mise en relation dans l’exégèse : c’est ce gouffre que la présente étude vise à combler, en proposant une « vision croisée » de ces littératures.

C’est en 2008 que les voix littéraires océaniennes autochtones parvinrent pour la première fois jusqu’à nous et que débuta la longue réflexion qui allait mener à cette recherche doctorale. Notre analyse, au départ d’un focus sur les écrivains francophones autochtones de Polynésie Française, s’est rapidement élargie aux productions d’auteurs anglophones issus eux aussi du bassin culturel précolonial formé par le triangle polynésien.

Elle se veut novatrice dans son objet principal – l’étude d’une littérature polynésienne francophone encore méconnue – mais également dans sa démarche résolument comparatiste, faisant constamment dialoguer les œuvres écrites en français et en anglais, par des allers-retours incessants entre les sphères linguistiques. Ce comparatisme, bien que trop rarement exploité, est pourtant vivement souhaité5 par les acteurs de la création et de la recherche littéraire sur le Pacifique avec qui nous avons eu la chance de nous entretenir personnellement, qu’il s’agisse des écrivains eux-mêmes (Albert Wendt, Witi Ihimaera, Chantal Spitz, Flora Devatine) ou des chercheurs (Alice Te Punga Somerville, Selina Tusitala Marsh, Jean Anderson, Craig Santos Perez).

Le but du dialogue trans-linguistique et trans-océanique fondateur de ce travail est de repenser les textes polynésiens écrits en français dans le contexte plus large de leur ancrage polynésien. Il s’agira de questionner le réflexe typologique qui fait automatiquement de ces auteurs des écrivains « francophones », sous prétexte qu’ils usent de la langue de Molière. L’étude croisée des littératures francophones et anglophones de Polynésie soulève la question essentielle de savoir si, dans le contexte particulier des littératures du Pacifique, la langue peut être considérée comme un critère littéraire

4 Il nous faudrait citer également les travaux de Robert Nicole (2001b) et Kareva Mateata-Allain (2003, 2005, 2006, 2008, 2009) qui publient en anglais des études sur les littératures francophones de Polynésie Française, contribuant ainsi à jeter des ponts entre les langues et à créer des passages entre les deux Océanie.

(7)

5

distinctif pertinent ou bien si d’autres facteurs doivent être pris en compte dans la classification de ces écrivains. Car comme l’évoque Ari’irau (2006b, 98) :

La littérature polynésienne est atollisée par les lois de la Nature, les lois de l’Histoire et de l’autocratie de la critique littéraire. Francophone, oui, inévitablement. Mais l’atollisme la distingue des autres. La question existentielle de cette littérature polynésienne ne trouvera sa réponse que dans la littérature comparée et non pas dans la francophonie. Car aujourd’hui, ce qui unit les hommes plus que la langue, ce sont les émotions, les idées, les réflexions.

Les particularités de la littérature polynésienne en français, qui ne se veut pas

francophone, font d’elle un « cas d’école » et un terreau fertile à la réflexion.

La confrontation avec les littératures anglophones est incontournable pour répondre à ces interrogations. Elle permettra d’envisager l’inscription des littératures polynésiennes en français dans un système littéraire (Halen, 2001a) qui serait non plus francophone, mais bien « océanien » et « trans-linguistique »6, embrassant l’ensemble des productions

littéraires produites dans la zone Pacifique : en anglais, en français, mais également en langues vernaculaires7. L’existence de cet ensemble des littératures océaniennes est déjà

avérée du côté anglophone, où l’on parle depuis longtemps de South Pacific Writing (Tiffin & Tiffin, 1980 ; Arvidson, 1999) ou plus récemment de Pacific Literature8. Pour Subramani (2001, 150): « Pacific literature was imagined as a regional literature […]; its authors wrote from very different cultural and political circumstances ».

Cette « littérature du Pacifique » – ou plutôt ces littératures du Pacifique – sont donc par définition « atollisées », multiples et kaléidoscopiques, embrassant la diversité des langues et des contextes (historiques, socio-politiques, culturels). Rien n’indique – au contraire – que les littératures écrites en français ne pourraient appartenir à cet ensemble certes protéiforme, mais uni paradoxalement par cette diversité constitutive et par une

6 On préfèrera l’adjectif « trans-linguistique » à « pluri-linguistique » car le préfixe trans- permet de penser la continuité, le passage et le dialogue plutôt que la simple coexistence : il s’intègre donc mieux à la « pensée en réseau » qui informe ce travail.

7 Notons que ce déplacement du questionnement permet par un effet de retour de questionner justement la constitution d’un champ littéraire « francophone », basé uniquement sur la langue et qui ne peut donc prendre en considération d’autres dimensions.

(8)

6

profonde conscience régionale : celle d’appartenir à la « mer d’îles » (sea of islands) évoquée par Epeli Hau’ofa (1994).

À travers la confrontation d’œuvres littéraires issues de deux champs linguistiques différents mais profondément ancrées dans les particularités de la région qui les a vu naître, notre travail ambitionne donc de « jeter des ponts » (selon le mot de Kareva Mateata-Allain, 2008a) entre les archipels, les œuvres et les langues afin de déterminer ce qui unit, ou au contraire distingue, les auteurs francophones de leurs confrères anglophones, mais également afin de dynamiser ce dialogue interrégional et trans-linguistique qui fait toujours cruellement défaut actuellement.

Le corpus que nous avons choisi d’étudier est composé d’œuvres contemporaines (1972-2011), écrites en français ou en anglais, par des écrivains dits native/indigenous

writers, originaires des Sāmoa (Albert Wendt, Sia Figiel), de Nouvelle-Zélande (Witi

Ihimaera, Patricia Grace, Alan Duff) et de Polynésie Française (Chantal Spitz, Flora Devatine, Michou Chaze, Ari’irau, Moetai Brotherson, Titaua Peu, Taaria Walker, Jean-Marc Pambrun, Patrick Amaru, etc.)9.

À ce stade de l’introduction, il convient de préciser le sens que l’on accorde à la notion d’ « identité autochtone », qui a constitué dès le départ un critère discriminant dans la sélection des écrivains que nous désirions « en contact des langues et des cultures », à la fois intimement liés à leur héritage ancestral polynésien et ouverts aux flux culturels du monde contemporain. Cette notion d’identité, concept problématique et paradoxal, doit être ici comprise au sens de « rattachement identitaire ». Nous nous inscrivons donc dans une conception constructiviste de l’identité autochtone, qui est envisagée non plus comme un état donné et invariable mais comme la perception que les individus ont d’eux-mêmes et de leur peuple. L’autochtonie sera dès lors comprise dans ce travail selon l’angle anthropologique, internationalement admis, qui fait d’elle « la qualité des femmes et des hommes perçus par ceux qui les entourent et qui se perçoivent eux-mêmes comme installés sur un territoire de longue date, éventuellement avant d’autres populations » (Saura, 2008, 438). Cette conception dialogique est ouverte à une dimension optative

(9)

7

(voire stratégique) de l’identité : la perception de soi-même comme « autochtone » peut résulter du choix conscient et personnel des écrivains pour la plupart métissés de s’identifier à leur « part polynésienne », prioritairement à toute autre.

La sélection de ces écrivains s’est opérée selon plusieurs critères. La volonté d’exhaustivité est bien présente concernant les auteurs polynésiens français – mā’ohi – qui demeurent le centre névralgique de l’analyse et dont nous avons voulu pouvoir dresser un portait le plus complet possible, tant diachroniquement que synchroniquement. Un patient travail de recherche a permis de répertorier les onze écrivains polynésiens francophones formant le cœur du corpus, soit que le français soit leur principale langue d’écriture ; soit qu’ils se définissent comme des auteurs bilingues10, maniant tant la langue

de Molière que le reo mā’ohi11. À ces onze écrivains, il faut rajouter la figure hybride de Célestine Hitiura Vaite, tahitienne francophone émigrée en Australie qui a choisi d’écrire en anglais, reflétant ainsi les dynamiques migratoires multiples et l’hybridité culturelle constitutive du Pacifique contemporain.

Parmi les œuvres des « onze + un », il a été choisi de n’opérer aucune sélection générique, et ce afin de correspondre à la volonté d’exhaustivité ambitionnant de dresser le portrait d’une littérature méconnue, mais également par souci de fidélité envers la nature même de cette production protéiforme, où un écrivain peut être tour à tour poète, dramaturge, essayiste, nouvelliste ou romancier.

Du côté des écrivains anglophones, nous avons d’abord choisi de retenir les figures « pionnières » les plus emblématiques, et les plus représentatives des deux contextes de production : Witi Ihimaera et Patricia Grace pour Aotearoa/Nouvelle-Zélande et Albert Wendt pour Sāmoa. Ensuite, nous avons retenu, pour chaque lieu de production, une figure appartenant à la seconde génération d’écrivains (Sia Figiel pour Sāmoa et Alan Duff pour Aotearoa). Nous avons toutefois choisi de nous limiter à l’étude des textes de fiction (romans et nouvelles), laissant de côté la poésie, car notre expertise linguistique personnelle limitée et notre manque de formation universitaire angliciste n’auraient pas permis une analyse à la hauteur des ambitions d’une étude doctorale. La sélection des écrivains anglophones est stratégique. Elle se veut le miroir de l’offre littéraire mā’ohi et

10 Selon la typologie d’Anne-Rosine Delbart (2005).

(10)

8

permet ainsi de mettre en parallèle le parcours et l’évolution de ces auteurs anglophones avec ceux de leurs confrères et consœurs francophones, tant en synchronie qu’en diachronie. La production littéraire des uns comme des autres s’échelonne ainsi des prémisses des littératures océaniennes jusqu’à l’heure actuelle, où la plupart des écrivains dits « pionniers » continuent de créer et de produire.

Il est ainsi possible de distinguer trois « vagues » s’échelonnant des années 1960 à la première décennie du 21e siècle. Selon l’excellent résumé de Selina Tusitala Marsh (2004, 52) :

The first wave of writing largely represented a « cultural clash » which produced confrontational writing. Colonialism, foreigners, their lifestyle and religions, were in irreconcilable opposition to indigenous ways. In the second stage of writing, indigenous and foreign cultures began to integrate. It produced anger and lament over those of certain aspects of culture, and a critique of neo-colonialisme as well as other internal oppressions such as those of gender inequality. The third wave leans towards the exploration of multi-cultural identities and pan-pacific nationalities as mobility increases throughout the Pacific, and as the Pacific emerges in world affairs. […] Of course, like literal waves, these figuratives waves flow in, through, over and under each other, surging backwards and forwards. Les littératures polynésiennes, creuset créatif fertile et condensé, embrassent ces trois vagues non-exclusives, souvent perceptibles au sein de l’œuvre d’un même écrivain. Elles s’inscrivent en partie dans une démarche de reconquête de la parole sur soi et dans une volonté de légitimation culturelle et identitaire face à un « Autre » souvent perçu comme aliénant et dominateur. Si cette démarche d’affirmation de son droit à la parole et de sa singularité a profondément marqué les premières tentatives littéraires autochtones dans le Pacifique, elle se voit aujourd’hui complétée par une volonté de ne plus s’inscrire dans le paysage littéraire en opposition/réaction à cet « Autre » mais au contraire de développer les imaginaires et les réseaux de significations, de formes, de styles, au sein du système littéraire pan-pacifique, dont cette étude postule l’existence.

(11)

9

années de réflexion à l’élaboration d’une méthodologie et d’un cadre conceptuel que nous avons voulus aussi innovants et originaux que les littératures polynésiennes elles-mêmes. Notre travail sera divisé en quatre grandes parties qui se répondent et s’éclairent mutuellement, à l’image de la figure tutélaire de la spirale, modèle de la réciprocité et de l’interconnexion.

La première partie de ce travail doctoral (partie I), intitulée « Cartographie d’un océan en friche », retrace le long cheminement réflexif et les obstacles épistémologiques qu’il a fallu surmonter avant de parvenir à l’élaboration d’une méthodologie et d’un cadre conceptuel satisfaisants.

Le premier chapitre – « Préludes à l’exploration » – revient dans un premier temps sur l’épineuse question de la nature du corpus et sur les implications que sa complexité intrinsèque possède : d’une part dans la construction du cadre méthodologique, et d’autre part dans la définition de la position épistémologique du chercheur occidental face à un corps de littératures dites « indigènes ». Riche des réflexions soulevées par ces premiers points, ce chapitre inaugural présente dans un second temps la « déclaration d’intention méthodologique » dont le contenu guidera l’ensemble de la recherche.

Le second chapitre – « Autour de la spirale : circonvolutions réflexives » – développe une réflexion autour de la figure écologique et culturelle de la spirale comme incarnation des principes méthodologiques développés dans le premier chapitre. La spirale, modèle dynamique de la relation et de la réciprocité, de l’ouverture et du retour, a été retenue comme figure tutélaire de cette recherche, car elle incarne plus que tout autre la possibilité de ces « visions croisées » dont nous nous faisons le porte-parole. La spirale sera ainsi considérée d’abord comme un support conceptuel et comme une métaphore de la navigation méthodologique, avant d’être utilisée comme une aide structurelle, incarnation cyclique de la transversalité. Les fondements de l’ossature de la thèse et du déploiement thématique des analyses textuelles seront ici explicités en détail.

(12)

10

productions littéraires étudiées. Approche encore presque totalement inédite dans le domaine des études littéraire francophones12, le courant écocritique – ou plus justement

les courants écocritiques – représente une niche foisonnante et dynamique de réflexions

visant à relier littérature et environnement.

Ce troisième chapitre exposera l’historique, les fondements et les diverses orientations de cette approche novatrice du texte littéraire, qui à nos yeux comme pour Scott Slovic réside autant dans « the study of explicit environnemental texts by way of any scholarly approach » que dans « the scrutiny of ecological implications and human-nature relationships in any literary text, even texts that seem, at first glance, oblivious to the nonhuman world » (in COUPE, 2000, 160).

L’étude écocritique des textes permet d’aborder un aspect central de l’originalité des littératures autochtones produites dans le Pacifique : celui du rapport à l’environnement, c’est-à-dire à la « terre » au sens d’oikos. À côté de la question du temps et de l’histoire – brillamment étudiée par Stéphanie Vigier (2008) – celle de « l’espace » représente un enjeu tout aussi important dans les littératures océaniennes. Les représentations de l’espace insulaire, la question du sentiment d’appartenance au lieu, ainsi que la négociation des rapports entre « nature » et « culture » sont tout aussi cruciales que les questions de la quête mémorielle et de la reconquête de sa propre histoire, auxquelles elles sont intrinsèquement liées.

La question de la terre, celle de la redéfinition de son espace, contribuent à inscrire les œuvres littéraires dans les enjeux environnementaux, fonciers, et identitaires qui agitent les populations indigènes du Pacifique Sud, dont elles constituent un reflet très personnel (car toujours expression de la voix originale de l’écrivain) autant qu’un outil de légitimation et d’affirmation. À la fois héritage, objet de (re)conquête et enjeu politique, tant dans les imaginaires que dans les faits, la problématique de « la terre », envisagée sous l’angle d’une écocritique se voulant postcoloniale, constitue un point de départ pertinent pour une étude comparée des productions littéraires anglophones et francophones en Polynésie, qui offrent au lecteur un autre point de vue sur le monde.

(13)

11

Aussi, les trois grandes parties d’analyses textuelles formant le cœur de cette recherche doctorale abordent chacune des aspects particuliers de la « terre polynésienne », dont la logique structurelle et le contenu seront détaillés dans le chapitre deux consacré à la spirale.

La partie II (chapitres IV, V et VI) observe la terre en tant qu’« espace physique et fictionnel » et explore les modalités de négociation entre référent et représentation, mais également l’influence des intertextes sur les représentations de « la terre ». S’enracinant davantage dans les épistémologies polynésiennes (en tant que manières d’être et de connaître), la partie III (chapitres VII et VIII) revient sur les aspects de la terre polynésienne perçue comme « entité vivante et signifiante », explorant la manière dont les textes négocient le rapport entre l’humain et le non-humain. Enfin, la partie IV (chapitres IX et X) aborde quant à elle les traumatismes que la colonisation, la militarisation, l’urbanisation et la globalisation ont provoqués sur l’environnement et les hommes en contexte polynésien, avant d’examiner les dynamiques de résistance et de reconquête que proposent et incarnent les récits de fiction.

Face à la multiplicité des œuvres et dans une optique de comparaison constante entre les textes et les contextes, notre démarche naviguera de l’étude textuelle individuelle à des considérations d’ordre général portant sur l’ensemble littéraire préalablement circonscrit. Elle s’efforcera néanmoins d’éviter les écueils d’une trop facile et dangereuse tendance à l’homogénéisation/généralisation. Devant affronter un grand nombre de textes proposant une multitude d’illustrations possibles, nous appuierons nos propos ponctuellement sur des œuvres choisies pour leur caractère emblématique, tout en conservant la dynamique comparatiste entre les langues et les contextes de production.

Par le choix de son objet autant que par celui de sa méthode, notre étude se veut doublement novatrice. Elle embrasse plusieurs objectifs :

- Premièrement, faire connaître une production littéraire francophone largement méconnue, issue d’une aire géographique et culturelle spécifique (la Polynésie). - Deuxièmement, renforcer le dialogue trans-océanique grâce à la confrontation des

(14)

12

- Troisièmement, usant des apports de ce dialogue et des outils proposés par l’analyse écocritique, poser la question de l’existence ou non d’un univers littéraire trans-linguistique et océanien.

- Quatrièmement, contribuer à enrichir et éclairer les théories littéraires écocritiques grâce aux spécificités et aux problématiques soulevées par les littératures polynésiennes.

Œuvres littéraires et méthode critique s’inscrivent donc dans un processus d’échanges et de retours constant et dynamique, s’éclairant réciproquement afin de parvenir à une compréhension mutuelle plus profonde et – nous l’espérons – féconde de nouvelles possibilités.

(15)

Références

Documents relatifs

Le séminaire entend développer une réflexion critique sur la longue durée et mettre à jour une « archéologie » (M. Foucault) de la pensée orientaliste qui nous permettra

La première conférence des Nations Unies sur le droit de la mer s’est tenue à Genève du 24 février au 29 avril 1958. Elle a réuni 86 Etats, qui ont adopté quatre

Pour conclure, les littératures francophones, si elles restent marginales dans les enseignements de lettres à l’université française occupent en revanche une place

Cedergren et Premat: Le Nord dans les littératures francophones – Interactions entre les espaces littéraires francophones et scandinaves IV.. français, ont vu le jour pour éclairer

« Internet 2 » ou diffusées au contraire par l'entremise de disquettes informatiques ou de disques compacts optiques, ce sont des sources d'information nouvelles, qui commencent

Océan Indien Océan

La chenille d Argema mittrei, atteignant jusqu'à 15 cm de long, peut être nounte jusqu'à la nymphose sur des j èuilles d Eucalyptus gunnii (Cliché H. Les couLeurs n 'étaient

Un roman en large partie autobiographique dans lequel l’auteur revient sur son enfance à Tripoli et dresse, à la hauteur d’un regard d’enfant, une galerie de portraits de