HAL Id: jpa-00206480
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Submitted on 1 Jan 1967
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La découverte du spin de l’électron
S.A. Goudsmit
To cite this version:
S.A. Goudsmit. La découverte du spin de l’électron. Journal de Physique, 1967, 28 (1), pp.123-128.
�10.1051/jphys:01967002801012301�. �jpa-00206480�
MISE AU POINT
Nous sommes heureux de
présenter
au lecteurfrançais
l’essentiel du texte d’unexposé
fait par Samuel Goudsmit le 4 octobre 1965 devant la Société de
Physique
allemandequi
luia remis la médaille Max Planck. Le texte allemand de cette conférence a été
publié
dans« Physikalische Blâtter, 1965, 21, 445,
Physik Verlag
Mosbach ». La traductionfrançaise
a étéfaite
d’après
le texteanglais original
que l’auteur a mis aimablement à notredisposition.
Nousremercions l’auteur et l’éditeur d’avoir bien voulu nous autoriser à
publier
la traductionfrançaise
de ce document consacré à l’histoire de la découverte du
spin
de l’électron, découvertequi
est une des
acquisitions
fondamentales de laphysique
moderne.Le lecteur confrontera avec fruit ce texte avec la conférence Nobel de Pauli
(a)
et avecles articles de
Kronig
et de Van der Waerdenpubliés
dans le « Memorial Volume toWolfgang
Pauli »
(b).
L’article de Van der Waerden contient un extrait, traduit en
anglais,
del’exposé
fait par G. Uhlenbeck à Leiden le 1er avril 1955 en néerlandais,exposé
danslequel
celui-ci donnesa version de la découverte du
spin
de l’électron. Notons enfinl’exposé critique
de Goudsmitdans
Physics
Today(c).
A. KASTLER.
(a) PAULI Wolfgang, Exclusion Principle and Quantum Mechanics dans « Nobel lectures, Physics 1942-1962 »,
Elsevier, Amsterdam, 1964.
(b) Theoretical Physics in the Twentieth Century, A Memorial Volume to Wolfgang Pauli, edited by M. Fierz
and V. G. Weisskopf, Interscience Publishers, New York.
R. KRONIG, The Turning Point, p. 5.
R. L. VAN DER WAERDEN, Exclusion Principleand Spin, p. I99 (extrait de l’exposé de G. UHLENBECK, p. 213).
(c) GOUDSMIT S. A., Pauli and Nuclear Spin, Physics Today, june 1961, 14, n° 6, p. 18.
LA
DÉCOUVERTE
DU SPIN DEL’ÉLECTRON
Par S. A.
GOUDSMIT,
Brookhaven National Laboratory, Upton, N.Y., U.S.A.
Pendant ces dernieres
ann6es, plusieurs
de mescoll6gues
se sont int6ress6s a 1’histoire de laphysique depuis
1920. A monavis,
ceci est unsigne
devieillesse,
un d6sir de revivre les belles ann6es des decouvertes de la
physique atomique
etquantique. Malheureusement,
ces tentatives d’int6r6t
historique d6g6n6rent trop
souvent en discussions 6motionnelles - et sans int6r6t
scientifique
- sur d’irritantesquestions
depriorite.
Dans le
passe,
des historiens de la science se sontfrequemment
excites a d6terrer lespapiers
dequelque
ame obscure
qui
avaitpr6matur6ment pressenti
unegrande découverte,
maisqui
n’avait rienpublié. Je
pense
qu’un
tel cas n’estqu’une
curiositehistorique.
Une 0153uvre de science n’est
complete
que dans lamesure ou elle a ete
communiquee
a desscientifiques contemporains.
C’est la raison pourlaquelle
despr6-
curseurs obscurs ne m6ritent pas
qu’on
leur accordeun credit
scientifique.
11 arrive aussiqu’un
chercheurpublie
une idee nouvelle a uneepoque
ou sescoll6gues
ne sont pas
prepares
a l’accueillir.A une
époque ult6rieure,
la meme idee est red6-couverte et
scientifiquement
6tablie. La encore,je
suisd’avis
qu’on
ne doit pas surestimer le m6rite de la découverteinitiale,
car son auteur n’a pas reussi à convaincre sescontemporains.
Engeneral,
ils’agit
de cas ou des faits
importants manquaient
encore pouretayer
la decouverte initiale et devenaientdisponibles
au moment de la red6couverte.
Certains historiens ont 6crit de belles et convain-
cantes histoires pour
expliquer
comment telle decou-verte aurait du etre faite.
Malheureusement,
il est peuprobable
que led6veloppement
reel ait 6t6 aussilogique
que ces histoirespostfabriquees.
La chance etle hasard
jouent
un roleplus grand
que celuiqu’on
est
pret
a admettre. D’autreshistoriens, prevenus d’avance,
arrangent les faitshistoriques
pour d6mon-trer leurs
préjugés,
attitudefrequente
dans des ques- tions depriorite.
Un autre
reproche
quej’adresse
aux historiens de laphysique
estqu’ils
font croire que laphysique
estArticle published online by EDP Sciences and available at http://dx.doi.org/10.1051/jphys:01967002801012301
124
l’0153uvre d’une
petite poign6e
degenies.
Ceci constitueune grave
injustice
a1’egard
de tous ceuxqui
ontcontribué,
par leurs travaux, a rendrepossibles
lesdecouvertes
geniales.
De tellessimplifications
d6cou-ragent
les debutantsqui
se rendentcompte qu’ils
neseront
jamais
des Einstein ou desHeisenberg.
Cettetendance a
presenter
1’histoire de la science commel’cnuvre d’un
petit
nombre de heros a ete de toute evidenceempruntee
a 1’histoireg6n6rale.
Celle-ci6ga-
lement blame ou loue un empereur ou un dictateur
Photographie prise
a Leiden en 19241 er rang de
gauche
à droite : G. H. Dieke, P. Ehrenfest, E. Fermi 2 e rang : S. A. Goudsmit, J.Tinbergen,
R.Kronig
pour tout ce
qui
arrive sous sonrègne
et passe sous silence les multitudesqui
l’ont aide.On
peut egalement
remarquer que les historiens de la science sontinjustes
a1’egard
desexpérimentateurs.
Bien que 1’evolution des idees doive retenir en
premier
lieu leur
intérêt,
ils auraient tort denegliger l’ing6-
niosit6 des
expérimentateurs
dont les d6couvertes etles verifications sont essentielles pour l’ éclosion et la confirmation des theories.
Recemment,
les historiens ont introduit la methode dite d’« histoire orale ». Ilspensent
que si nous d6sirons connaitre la science des ann6es1920,
il suffit dequestionner
ceuxqui
y ontparticipe.
Cette m6thodeest tres
sujette
a caution. La mani6re dont nouspr6-
sentons les événements d’il y a
quarante
ans est influenc6e 6norm6ment par tout cequi
est arrive aucours de ces
quarante
ann6es.Les articles
publiés
par les auteurs de d6couvertesnous
renseignent
mal sur laconception
de leur decou- verte. Le but de 1’auteurqui
6crit un article est deconvaincre le
lecteur,
et le cheminement de sapens6e
est alors rarement le meme que celui
qui
1’a conduit a sa découverte. Souvent les références citees sontdestin6es a donner du lustre a son
article,
alors que la liaison entre la reference cit6e et lapensee
de 1’auteur est souvent tres lache.Peut-etre la source la
plus
sure pour 1’histoire de laphysique
r6cente est-elle le recours a des lettres6chang6es
entrephysiciens,
depreference
des lettres manuscrites. Celles-ci sont engeneral
franches etd6pourvues
d’inhibition. Des1920,
une lettretap6e
àla machine etait
probablement
destin6e a unpublic
assez vaste et etait
composee
dans ce but.Apr6s
ces remarquescritiques
sur 1’histoire de laphysique, je
doisajouter qu’une
nouvelle tendance semble extremementprometteuse.
Leprojet «
Sourcesfor the
History
ofQuantum Physics » dirige
par le Dr Thomas S. Kuhn est en train de r6unir une foule de documentsqui pourront
servir de base a 1’61aboration d’uncompte
renduobjectif
de laperiode qui
nousinteresse.
Je
convie tous ceuxqui
ont connaissance delettres,
de notes et d’autres donn6es nonpubli6es
decoop6rer
avec ceprojet.
Les ouvrages de W. R. Hansen
[1]
sur laphilosophie
et l’histoire de la
physique
moderne s’interessent davan- tage auxconcepts qu’aux
personnes et sont de ce faitsusceptibles
de donner une vueequilibree
des 6v6ne-ments.
Je
ne me senspas capable
dejuger
si cettetentative pour atteindre
l’objectivit6
est correcte etr6ussie.
Je
voudrais aussi attirer Inattention sur les articles 6crits par MartinJ. Klein,
enparticulier
ceuxqu’il
a6crits avec finesse sur Max Planck
[2].
Il y aquelque espoir
que lescritiques
quej’ai
formuléesplus
hautdeviendront bientot
superflues.
Et
maintenant, je
vais essayer de vous raconter ma propre histoire de la découverte duspin
de l’ électron.Cette histoire est affect6e de tous les defauts que
je
viens d’6num6rer bien que
j’aie pris
soin de reliretoutes les lettres manuscrites que les
coll6gues
m’ontadressées a
1’epoque. Je
raconterai cette histoire a lapremi6re
personne, nonpoint
par manque demodestie,
mais pour bien marquer
qu’elle pr6sente
mon inter-pr6tation personnelle
telle queje
1’ai vue et vecue.Je
voudrais enparticulier eviter,
dans la mesure dupossible,
de deviner lespens6es
des autres. Et danscet ordre
d’id6es, j’avoue
queje
necomprends
pas Pauliqui,
dans son allocution de PrixNobel,
declareque sa note de 1924
[3]
sur1’interpretation
de lastructure
hyperfine
ainspire
Goudsmit et Uhlenbeckdans 1’etablissement de
I’hypoth6se
duspin
de 1’elec-tron
(1). J’ai
refute cetteinterpretation
dans un article6crit il y a
quelques
ann6es[4]. D’ailleurs,
la notede 1924 de Pauli ne
peut
nullement etre considereecomme afnrmant le
concept
despin
en tant quepropriete
fondamentale d’uneparticule
616mentaire.I1
n’y
a considere que le momentangulaire
d’unnoyau
compose
du aux mouvements orbitaux desparticules
composantes; il n’a paspredit
1’existence de la structurehyperfine
de 1’atomed’hydrog6ne
et dumoment
angulaire
duproton.
Lespin
duproton
n’a ete d6couvertqu’en
1927 et cette découverte n’a pas resulte de considerations sur la structure fine. L’exis-tence d’un
spin
du proton a eteproposee
par Hund[5]
et brillamment confirm6e par Dennison
[6]
parl’explication
que celui-ci a donnee ducomportement
anormal de la chaleursp6cifique
del’hydrogène
mol6culaire.
Je
vais raconter mon histoire dans l’ordre chrono-logique.
Lepremier
6v6nementsignificatif
de ma viede
physicien
a ete le fait d’etre introduit en 1919aupr6s
d’Ehrenfest par monprofesseur
delyc6e,
VanLohuizen, qui
avait ete lui-meme 616ve de Zeeman.En
1920, je
me visoblige d’interrompre
mes etudesa
Leyde pendant quelques
semaines pour accompa- gner monp6re
dans un voyage d’affaires aReutlingen (dans
leWurtemberg).
Ehrenfest me recommandad’en
profiter
pour rendre visite a Paschen a l’Uni- versit6 deTubingen
touteproche.
Paschen m’accueillitcomme un
coll6gue
et non comme unjeune
6tudiantde 18 ans. 11 me montra la structure fine de la
(1)
Note du traducteur : Laphrase originelle
enanglais
du discours de Pauli est la suivante : "I may include the historical remark that
already
in 1924 before the electronspin
was discovered, Iproposed
to use theassumption
of a nuclear
spin
tointerpret
thehyperfine
structure ofspectral
lines. Thisproposal
met on the one hand strongopposition
from many sides but influenced on the other hand Goudsmit and Uhlenbeck in their claim of anelectron spin" (W.
PAULI, Nobel Lecture 1945,pr6-
sentee le 13 decembre
1946).
raie 4 686
k
de I’h6liumionis6,
structurequi
confirmala brillante theorie relativiste de Sommerfeld.
Je
fusprofondément impressionne
etje
mis monpoint
d’honneur aapprofondir
mes connaissances decette fameuse raie
spectrale.
L’année suivante(1921), je
retournai aTubingen
pour y passer les moisd’6t6,
et Paschen m’initia
personnellement
auxtechniques
de la
spectroscopie.
Paschen etait ungrand physicien
et une
personnalit6
attachante. C’est cette ann6e(1965)
le centenaire de sa
naissance,
mais lesphysiciens
1’ontoublie et les historiens
l’ignorent. Cependant,
sonoeuvre fut fondamentale pour le
d6veloppement
dela
physique atomique.
Plustard, j’eus
1’occasion deretourner a
Tubingen
pour continueraupr6s
de Backmon
apprentissage. Apr6s
ledepart
de Paschen pourBerlin,
son successeur Gerlach avait a coeur de conti-nuer la tradition
d’hospitalit6
deTubingen.
En
1921, je
crus avoir trouve une formule « relati- viste » pour les doublets desspectres atomiques,
for-mule
analogue
a celle de Sommerfeld pour les doublets de rayons X. Ehrenfest m’avouaplus
tardqu’il
etaitpersuade
que ma formule etaitincorrecte,
mais surle moment il ne me
decouragea
pas. Il me proposa depublier
une breve note dansNaturwissenschaften
etun
long papier
dans les Archives des Sciences exactes et naturelles[7], périodique
hollandais édité enlangue française
et devenupratiquement ignore
du mondescientifique.
Personne ne lut monpapier,
maisj’en
6tais tres fier.
Trois ans
plus
tard(1924),
la meme formule fut retrouvee par Lande et par Millikan et Bowen[8].
Leur conclusion etait fond6e sur un
grand
nombre dedonn6es
expérimentales;
mon proprepapier
n’avaitete
qu’une
heureuse divination. Mais il eut le merite de fixer mon attention pourplusieurs
ann6es a venirsur le
probl6me
des doublets etplus
tard sur celuides
multiplets.
Ehrenfest
qui,
vers1924,
avaitcompris que je
n’etaispas un vrai
theoricien,
me trouva uneposition
dansle laboratoire de Zeeman a Amsterdam. Pendant une
moiti6 de la
semaine, je
me muai ainsi en unspectros- copiste experimental,
1’autre moiti6 de la semaineje
travaillais a
Leyde
dansl’équipe
d’Ehrenfest. C’estpendant
ces ann6es queje r6digeai plusieurs
articlessur les spectres
complexes
et leur effet Zeeman.J’6crivis
unpapier
avec Coster sur les intensites des raiesX,
etj’6tablis
avecKronig
-qui
visita lesPays-Bas
en 1924 - des formules d’intensite pour lescomposantes
Zeeman. C’était de ladevinette,
car lamecanique quantique
n’6tait pas encore n6e. Nousnous contentions de
manipuler,
avec un peu d’intui-tion,
les nombresquantiques
et les «r6gles
de somme »pour deviner les formules correctes.
Ceci eut
l’avantage
de me familiariser avec lesr6gles
de nombresquantiques
queje
connaissais main- tenant au bout desdoigts.
Mais cela m’amena aussi àcommettre une grave erreur de
jugement :
carje m’imaginais
que ce formalisme etait 1’essentiel de laphysique théorique.
Ehrenfest me fitcomprendre plus
126
tard que mes connaissances en
physique theorique
6taient tout a fait insuffisantes. Heureusement
j’etais
tres au courant de 1’ensemble des donn6es
exp6rimen-
tales sur les
spectres atomiques
et les faits connexes. Lasituation ressemblait alors aux
speculations
actuellesdu
type
SU(6)
enphysique
desparticules
elementaires.Mais en 1925 les donn6es
experimentales
etaientplus
etendues et
plus pr6cises qu’actuellement
etpermet-
taient une confrontation avec lesspeculations
th6o-riques.
Au d6but de mai
1925, je publiai
un article[9]
danslequel je
montraiqu’il
etaitpossible
desimplifier
considerablement
l’application
duprincipe
d’exclusion de Pauli auxspectres
en utilisant les nombres quan-tiques
ml et mg de Lande a laplace
de ceux de Pauli.De cette
mani6re,
il devenaitpossible
de determiner imm6diatement la structuremultiplet
des niveauxd’6nergie atomique.
Il se r6v6la dans lasuite,
commeconsequence
laplus importante,
que le nombre msprenait toujours
les valeurs +1/2
ou-1/2. J’aurais
du des ce moment-la songer a un
spin
de1’electron,
mais comme
j’etais
un pur formaliste une telle inter-pr6tation physique
ne me vint pas a1’esprit.
Je
dois mentionner ici quej’avais envoy6
uneepreuve
de cepapier
aCopenhague. Kronig,
avecqui j’avais
travailléquelques
anneesauparavant
sur les formulesd’intensite,
m’accusareception
de cepapier.
Dans sa
longue lettre,
il discuta surtout unpapier
deHeisenberg
engestation
et meparla
de ses propres etudes sur les intensites sans faire allusion a unspin.
C’est alors
qu’Uhlenbeck
entra dans mon histoire.George
Uhlenbeck avaitinterrompu
ses etudes aLeyde
pour devenirprecepteur
des fils de 1’ambassa- deur desPays-Bas
a Rome. Il yapprit beaucoup
dechoses en
physique classique,
mais il ne sutpratique-
ment rien du
d6veloppement
florissant de laphysique atomique
et desspectres. Je
me souviensqu’il
meparla
de Volterra et deLevi-Civita,
nomsqui
ne medisaient alors rien. Mais
je
dois vous dire une choseimportante qu’il
fit pour laPhysique
modernependant
son
sejour
a Rome. Ehrenfest lui avait demand6 des’occuper
d’unjeune physicien
nomme Fermiqui
avait
deja
fait despublications pleines
de promesses.C’etait le moment ou Fermi revenait de
Gottingen, d6courag6
etpersuade qu’il
ne deviendraitjamais
unbon
physicien.
Uhlenbeck insistaaupr6s
de lui pourqu’il persevere
etqu’il accepte
d’allerauprès
d’Ehren-fest. Heureusement pour 1’avenir de la
Physique,
Fermi suivit ce
conseil,
etje
le rencontrai lapremiere
fois
qu’il
vint aLeyde,
en 1924. Les encouragements d’Ehrenfest remirent Fermid’aplomb.
Ainsi d6butasa brillante carriere.
Vous avez du remarquer que
jusqu’a present j’ai davantage parl6
d’Ehrenfest que despin.
Quand
Uhlenbeck retourna aLeyde,
Ehrenfest nousdemanda de travailler ensemble
pendant
les vacancesde 1’ete 1925.
Je
devaisenseigner
a Uhlenbeck lesmerveilles du calcul
magique
des vecteursquantiques,
et en
6change
il devaitm’apprendre
de la vraiephysique.
La mani6re fraiche dont Uhlenbeck
attaqua
lesprobl6mes atomiques,
ses nombreuses remarquessceptiques,
sesquestions
avis6es nous conduisirent vers des resultats nouveaux etsignificatifs.
Et tout d’abordvers une
interpretation
entièrement nouvelle de lastructure fine de l’atome
d’hydrog6ne [10]. Je
necomprenais
pas enti6rement le raisonnement d’Uhlen- beck fond6 sur unpapier
de Wentzel.J’étais
fascin6par le fait que dans la nouvelle mani6re de voir le
spectre
del’hydrogène apparaissait
comme un casparticulier
des spectres des alcalins ou desspectres
derayons X. La vieille formule « relativiste » apparut
comme une
consequence
naturelle de notre mod6le.J’étais particulièrement
heureux de constater que nous arrivions aexpliquer
unemyst6rieuse composante
destructure fine de la raie 4 686
A
de I’h6lium que Paschen avaittrouv6e,
maisqui
aurait du etre « interdite »dans la theorie de Sommerfeld. Uhlenbeck et moi donnions cette
explication
dans un article dePhysica
6crit en hollandais. Sans doute ne nous rendions-nous pas
compte
del’importance
de ce r6sultat. Par contre,nous
envoyions
a laZeitschrift für Physik
unpapier
surle
couplage
des vecteursquantiques
et sur les fac-teurs g de Lande. Vers la meme
epoque, Slater,
auxEtats-Unis [11],
arrivaindependamment
de nous aumeme resultat concernant le spectre de
I’hydrog6ne.
I1
publia
sonpapier
un peuplus
tard que nous, en novembre 1925.Un beau
matin,
vers la fin de 1’6t61925, je parlai
àUhlenbeck du
principe
dePauli,
utilisant pour ce faire les nombresquantiques ml
et ms’ Il me fit remarquer immediatement que celasignifiait
que tous les elec-trons
poss6daient quatre degr6s
delibert6,
comme sichaque
electron etait dote d’unspin.
Arrive a ce
point,
il est bon quej’insiste
sur ladifference entre nous deux comme
physiciens. Je
peux l’illustrer le mieux par1’exemple suivant,
sch6matis6 :Lorsque je parlais
a Uhlenbeck du facteur deLand6,
il me
demanda,
a masurprise :
«Qui
est Lande ? »,et
lorsqu’il
meparla
desquatre degr6s
de liberte de1’electron, je
lui demandai : «Qu’est-ce qu’un degre
de liberte a »
Apr6s
sa remarque concernant le «spin
», nouscomprenions
sans reservepourquoi
ma nepouvait prendre
que les valeurs +1/2
et- 1/2,
nous saisissionsqu’il
etaitpossible
du meme coupd’expliquer
tous leseffets Zeeman en attribuant a 1’electron un moment
magnetique 6gal
a unmagneton
entier de Bohr et quenotre nouvelle
interpretation
du spectre del’hydrogène
entrait bien dans le cadre du mod6le de
spin. J’arrivais plus
tard a deviner la formule correcte de structure fine en combinant lesexpressions
relativistes de Sommerfeld avec1’expression
connue des doubletsd’alcalins et de rayons X.
Pour
moi,
c’était la fin duprobl6me.
Le modele duspin
avait considérablementsimplifié l’interpr6tation
des vecteurs
quantiques
et leurs relations avec lesspectres,
cequi
etait mon domaine enphysique.
MaisUhlenbeck est un vrai
physicien.
11prit
le modèle aus6rieux,
et il essayad’approfondir
la theorie des corpscharges
tournants, th6orie alaquelle je
necomprenais
que peu de choses. Ehrenfest attira notre attention sur un vieux
papier qu’Abraham
avait 6crit sur cesujet
en 1903.
Nous venions de
r6diger
une courte notepr6limi-
naire sur l’id6e de
spin [12]
et nous 1’avions transmise a Ehrenfest pour etreenvoy6e
aNaturwissenschaften.
Peu
après,
les 6tudes d’Uhlenbeck - comme ill’a dit-et ses discussions avec Lorentz le
d6courageaient
tellement que nous decidions de retirer le
papier.
MaisEhrenfest dit a Uhlenbeck
qu’il
etait troptard,
lepapier
etaitenvoy6. Je
ne merappelle
rien de toutcela. C’est arrive sans doute
pendant
lapartie
de lasemaine que
je passais
a Amsterdam.Je
necomprenais
pas les arguments
d’Uhlenbeck;
de monpoint
de vue6troit,
le concept despin
meparaissait
correctpuis- qu’il
cadrait siparfaitement
avec mon formalisme desvecteurs
spectroscopiques. Je
merappelle
Ehrenfestme disant : « L’idée de
spin
estpeut-etre
une erreur,mais
qu’importe,
vous n’avez pas encore dereputation
et vous n’avez rien a
perdre
en vouscompromettant. »
Ehrenfest m’avait donne encore un autre conseilimportant,
celui de m’assurer que dans nospublica-
tions communes le nom d’Uhlenbeck soit cite le
premier.
Commej’avais publié plusieurs
articles surles
spectres,
ilcraignait
que les lecteurs ne retiennent que mon nom et oublient celui de monpartenaire.
Et
apr6s
tout, c’6tait Uhlenbeckqui
avait eu l’id6edu
spin.
Ehrenfest avait raison : dans certaines pre- mi6res mentions de notretravail,
le nom d’Uhlenbeck avait ete effectivementomis,
etaujourd’hui
encorel’ordre se trouve souvent inverse.
Le
jour
meme ou notre noteparut, Heisenberg
m’6crivit une lettre dans
laquelle
ilparlait
de « notecourageuse » et me demanda comment nous nous
6tions d6barrass6s du facteur 2. Nous etions
perplexes, quel
facteur 2 ? La lettre deHeisenberg
mentionnaegalement
une formule pour l’intervalle de doublet mais sans demonstration. Dans toutes nosconsidera- tions,
nous n’avionsjamais essay6
de deduire du mod6le despin
la valeur absolue de la structurefine,
la difference
d’6nergie
entre«spin
up » et «spin
down »par
rapport
a l’orbite. Nous 1’avionsnegligee
pour la bonne raison que nous ne savions pas comment la calculer.Je pensais
que leprobl6me
etait tres difficileet
qu’un jour
unphysicien
bien savant s’enoccuperait.
J’etais persuade qu’il
trouverait alors la valeur cor-recte, c’est-h-dire la formule du doublet de rayons X.
Bon,
cetteprediction
devaits’accomplir plus
tard !Mais si nous avions su calculer l’intervalle de doublet de la manière
traditionnelle,
nous aurions trouve unevaleur double de la valeur
exp6rimentale.
Pour notre
bonheur,
Bohr et Einstein vinrent àLeyde juste
a cemoment-1h,
au d6but de d6cem- bre1925,
pour assister a la celebration du 50e anniver- saire de la soutenance de these de Lorentz. Nouseumes avec eux de nombreuses discussions au domicile d’Ehrenfest.
Finalement,
nous fumes touspersuades
que le concept de
spin
etaitvalable,
mais le facteur 2restait
myst6rieux.
Uhlenbeck et moi-memepreparames
alors une seconde note
[13] qui incorporait
au concept despin
notreinterpretation
duspectre
deI’hydrog6ne,
en vue d’une
publication
dans Nature(voir fig. 1 ) .
Bohr commit alors une erreur. Au lieu d’inviter
Uhlenbeck,
il m’invita a venir aCopenhague.
Pendantenviron six
semaines,
enjanvier
et fevrier1926,
ilessaya de
m’inculquer
en vain lesprobl6mes
soulev6sFIG. 1. -
Comparaison
entre la notation ancienne(Sommerfeld)
et la notation nouvelle(spin)
duniveau n = 3 de l’atome
d’hydrog6ne. Aujourd’hui
on
emploie
les nombresquantiques
I = k-1 = K - 1/2 et j = ] -1/2.
par le
spin,
enparticulier
laseparation,
difficile acomprendre,
entre niveaux desingulet
et detriplet
dans le
spectre
de l’helium neutre. Ceproblème d6passait
debeaucoup
mescapacités
et Bohr merenvoya dans mes
foyers.
Heisenberg
revint bientotapr6s
aCopenhague,
eton sait que sa
magnifique
solution de ceprobl6me
conduisit a des
consequences profondes
et degrande port6e.
Pendant mon
sejour
aCopenhague,
L. H.Thomas, qui
etait venu deCambridge,
avait etecharge
d’exa-miner le
myst6rieux
facteur 2. Dans un travailconnu
[14],
il r6ussit a montrerqu’une precession purement relativiste,
que d’autres avaientneglige
deprendre
enconsideration,
donnait exactement le resultat voulu. Bohr me demanda de m’arreter àHambourg
sur mon chemin de retour deCopenhague,
afin
d’essayer
de convaincre Pauli de la validite duconcept
despin. J’echouai
dans cette tentative.J’etais incapable d’expliquer
correctement le travail deThomas,
et Pauli etaitpersuade
que 1’effet Zeeman duspectre
deI’hydrog6ne
ne cadrait pas avec notreinterpretation.
Plustard, lorsqu’il
eut 6tudi6 le travail128
de Thomas en
detail,
il m’ecrivit une cartepostale
dat6e du 13 mars 1926 dans
laquelle
il retirait toutesses
objections.
Ceci devrait 6tre la fin de mon histoire. Mais il faut que
je
dise encorequelque
chose des rumeursqui
ontcircul6
pendant
des ann6es.La situation de fait
qui engendra
ces rumeurs estd6crite dans une lettre que
je
requs de L. H. Thomas deCopenhague
en mars1926, apr6s publication
denos notes sur le
spin.
Voici le texte d’unparagraphe
de cette lettre :
«
Je
pense que vous et Uhlenbeck avez ete bien chanceux de voir votrespinning
electronpublié
etdiscute avant que Pauli n’en ait eu vent. Il y a
plus
d’un an,Kronig
avait conqu 1’61ectron tour- nant et avaitd6velopp6
sonidee;
Pauli fut lapremiere
personne a
laquelle
il montra cela. Pauli tourna1’affaire en ridicule a tel
point
que lapremiere
per-sonne fut aussi la derni6re. Tout cela montre que 1’infaillibilite de Dieu ne s’6tend pas a celui
qui
s’estnomme son vicaire sur terre. »
Kronig
etait retourne a l’Universit6 Columbia etavait
publié
a la fois dans Nature et dansProceedings of the
National
Academy
unpapier [15]
tendant à prouver queI’hypoth6se
despin
nepouvait
6tre correcte. L’un deses arguments etait le meme que celui
qui
nous futobjecte
par Lorentz : uneinterpretation
litt6rale duspin
conduit pour 1’electron a un mod6leclassiquement impossible.
Un autre argument deKronig
etait que le noyauatomique
devait contenir des electrons etqu’il
devait en r6sulter pour les noyauxatomiques
desmoments
magn6tiques
d’unemagnitude
incorrecte.Kronig
n’etait pasimpressionne
par le fait quedepuis qu’il
avait conqu son idee la nouvelleinterpretation
du
spectre
deI’hydrog6ne
et l’introduction des nom-bres ml
et ms en relation avec leprincipe
de Pauliavaient
apporte
unsupport
favorable auconcept
despin.
Il est vraiqu’au
debut de 1925 leprincipe
d’exclu-sion n’avait pas encore ete
publié,
bienqu’il
aitdeja
6t6discute entre inities. En
janvier 1925,
Lande m’avait informe par une cartepostale
que Pauli etKronig
6taient a
Tubingen, engages
dans des discussionsint6ressantes,
mais il ne fit pas mention dusujet
trait6. Le
point
de vue deKronig
est admirablement racont6 dans son article Theturning point [16].
Bichowsky
etUrey publiaient egalement
un pa-pier [17] indiquant qu’eux
aussi avaientenvisage
unspin
de 1’electron maisqu’ils
avaient obtenu un resultatincorrect pour l’intervalle de doublet. Ils ne s’etaient 6videmment pas rendu compte du « facteur 2 de Thomas ».
Il est tout a fait certain que
beaucoup
dephysiciens,
avant Uhlenbeck et
moi-meme,
ont du penser a unspin
de 1’electron. Notre chance fut que l’id6e nousvint au moment
precis
OÙ nous 6tions satures d’une connaissance detaillee desspectres atomiques,
ou nousvenions de
comprendre
lasignification
des doubletsrelativistes,
etjuste
au moment ou nous venions detrouver
l’interprétation
correcte duspectre
de1’hydro- g6ne.
Nous 6tions ainsi en mesured’etayer
notrehypothese
par desarguments
solides. Mais le facteur essentiel fut1’encouragement
que nousprodigua
Ehrenfest.
Voila tout ce que
je puis
vous dire sur la découverte duspin
de 1’electron.Je
doute d’ailleurs fort de la valeur d’une telle micro-histoire. Sans doute les d6butantspeuvent-ils
en tirer laleçon qu’il
n’est pas necessaire d’etre ungenie
pourapporter
une contri- bution a laphysique,
bien que celapuisse
6tre d’uncertain secours. Toute
contribution,
tout acte cr6ateurvous donne une enorme satisfaction. La
port6e
d’unecontribution
n’apparait
souvent, meme a son auteur, quebeaucoup plus
tard.Je
pense que leconcept
despin,
avec ses nombreuses ramifications enphysique nucléaire,
enphysique
desparticules
et, de nosjours,
en
technologie,
est une desacquisitions
fondamentales de laphysique
moderne.Je m’empresse d’ajouter qu’en
1925 niUhlenbeck,
ni moi afortiori,
n’etionsconscients de la
port6e
de notre travail.Je
suisconvaincu que
beaucoup
de d6couvreurs ont fait desexperiences
similaires.Manuscrit reçu le 8
juillet
1966.BIBLIOGRAPHIE
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