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Regards sur la variation et les représentations linguistiques au Québec et au Nouveau-Brunswick

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Academic year: 2022

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Institut des sciences du langage et de la communication

T R A V A U X N E U C H Â T E L O I S D E L I N G U I S T I Q U E

Federica Diemoz & Andres Kristol (Eds)

Regards sur la variation et les

représentations linguistiques au

Québec et au Nouveau-Brunswick

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Table des matières

 Federica DIEMOZ & Andres KRISTOL

Avant-propos --- 1-12

 Aline WIDMER

L'attitude des Canadiens francophones face à

leur langue --- 13-58

 Gaëlle TEN BROEK

L'utilisation et le jugement des dictionnaires de

français par des étudiants québécois et acadiens --- 59-85

 Lila GALLI

Les rôles des radios communautaires et de la radio publique dans le maintien et la valorisation

du français au Nouveau-Brunswick --- 87-100

 Camille VOISIN

Attitudes des francophones du Nouveau-

Brunswick à l'égard du Chiac --- 101-119

 Julie PERRET

Pratiques, attitudes et représentations

linguistiques à Riverview, Nouveau-Brunswick--- 121-139

 Simon GABAY

French & English in Dieppe, New-Brunswick --- 141-160

 Susanne BOSCHUNG

Le paysage linguistique: reflet d'une réalité bilingue à Moncton, Nouveau-Brunswick,

Canada --- 161-180

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La revue TRANEL fonctionne sur le principe de la révision par les pairs. Les propositions de numéros thématiques qui sont soumises au coordinateur sont d'abord évaluées de manière globale par le comité scientifique. Si un projet est accepté, chaque contribution est transmise pour relecture à deux spécialistes indépendants, qui peuvent demander des amendements. La revue se réserve le droit de refuser la publication d'un article qui, même après révision, serait jugé de qualité scientifique insuffisante par les experts.

Responsables de la revue

Cécile Petitjean email: cecile.petitjean@unine.ch

Etienne Morel email: etienne.morel@unine.ch

Comité scientifique de la revue

Marie-José Béguelin, Simona Pekarek Doehler, Louis de Saussure, Geneviève de Weck, Marion Fossard, Corinne Rossari, Federica Diémoz, Martin Hilpert, Hélène Carles et Juan Pedro Sánchez Méndez (Université de Neuchâtel)

Secrétariat de rédaction

Florence Waelchli, Revue Tranel, Institut des sciences du langage et de la communication, Université de Neuchâtel, Rue Pierre-à-Mazel 7, CH-2000 Neuchâtel

Les anciens numéros sont également en accès libre (archive ouverte / open access) dans la bibliothèque numérique suisse romande Rero doc. Voir rubrique "Revues":

http://doc.rero.ch/collection/JOURNAL?In=fr

© Institut des sciences du langage et de la communication, Université de Neuchâtel, 2016 Tous droits réservés

ISSN 1010-1705

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Avant-propos

Regards sur les variations et les

représentations linguistiques au Québec et au Nouveau-Brunswick.

Federica DIEMOZ & Andres KRISTOL

Centre de dialectologie et d'étude du français régional, Université de Neuchâtel Au semestre de printemps 2014, dans le cadre de nos enseignements à l'Uni- versité de Neuchâtel, nous avons proposé à nos étudiants engagés dans leur curriculum de maîtrise ("master") universitaire, l'une un séminaire de socio- linguistique consacré à la situation du français en Amérique du Nord (et en particulier au Canada), l'autre un séminaire de (méta-)lexicographie axé sur l'histoire et les idéologies véhiculées par les ouvrages dictionnairiques du français réalisés au Canada. C'est dans ce contexte que l'idée a germé d'offrir à nos étudiantes et étudiants une véritable expérience de terrain, la possibilité de réaliser un travail de recherche personnel et d'être confrontés aux exigences d'une publication scientifique, en organisant un voyage d'études au Québec et au Nouveau-Brunswick ; ce voyage a eu lieu du 21 avril au 4 mai 20141.

Ce numéro des TRANEL réunit les sept meilleurs travaux que nos étudiantes et étudiants ont réalisés sur la base des données récoltées au cours de notre – trop bref – séjour dans les deux provinces canadiennes. Nous soulignons qu'il s'agit ici de travaux d'étudiants, de leur première expérience de terrain, et le plus souvent de leur première publication. Il s'entend aussi que les deux éditeurs de ce numéro ont profondément retravaillé les différentes contributions dans de nombreux allers-retours avec leurs auteures et leurs auteurs, et qu'ils assument les imperfections inévitables qui subsistent encore dans notre démarche.

L'intérêt d'une recherche sur la situation linguistique et sociolinguistique dans les provinces francophones (ou bilingues) du Canada n'est plus à démontrer.

Or, plusieurs raisons nous ont amenés à nous intéresser à notre tour, avec et pour nos étudiants, aux réalités linguistiques d'une francophonie géographi- quement – et sociolinguistiquement – très éloignée de la nôtre, avec, en arrière-

1 Malheureusement, seule une dizaine d’étudiantes et d’étudiants ont pu se libérer pour participer au voyage.

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plan, un regard comparatif constant sur la situation analogue de la Suisse romande. C'est dans une optique bienveillante et de partage que nous avons porté notre regard externe sur les richesses des situations linguistiques et sociolinguistiques des deux francophonies canadiennes.

L'un des premiers objectifs de notre voyage a été de faire découvrir à nos étu- diants non seulement la francophonie québécoise – dont l'existence est bien connue en Suisse romande comme dans toute la francophonie – mais aussi la réalité bien différente et souvent oubliée de la francophonie acadienne du Nouveau-Brunswick, et de leur permettre de comparer les deux situations. Si la place dominante du français au Québec est bien documentée, le cas de l'Acadie – pourtant hautement révélateur d'un point de vue sociolinguistique – est moins souvent évoqué2, et ceci d'autant plus que l'Acadie linguistique ne constitue pas une unité politique et géographique précise. "C'est dans les communautés de langue française, dites acadiennes, éparpillées ça et là dans les trois provinces maritimes du Canada que prend vie le concept de l'Acadie des Maritimes."

(Boudreau 2016: 24).

Parmi les trois provinces atlantiques du Canada, Nouvelle-Écosse (3,8% de francophones), Île-du-Prince-Édouard (4% de francophones) et Nouveau- Brunswick (environ 32% de francophones), c'est cette dernière qui a été le principal objet de notre étude. Le Nouveau-Brunswick est la seule province officiellement bilingue (anglais-français) du Canada depuis 1969, mais à la dif- férence de la Suisse qui est formée d'une juxtaposition de différentes régions linguistiques possédant leur territoire historique, le Canada ne connaît pas de bipartition territoriale nette de ses différentes communautés linguistiques: ces dernières s'interpénètrent dans une réalité géolinguistique complexe. Concrè- tement, au sein de la province du Nouveau-Brunswick – majoritairement anglophone dans son ensemble –, il existe des "îlots" à nette majorité franco- phone (en particulier le Nord-Est de la province, appelé "Péninsule acadienne", avec 80% de francophones, et le Nord-Ouest, dans la région du Madawaska, à proximité du Québec, avec comme centre la petite ville presque entièrement francophone d'Edmundston), d'autres régions à nette majorité anglophone voire monolingues, et enfin des zones mixtes dans lesquelles les deux communautés sont co-présentes. C'est le cas, notamment, dans l'agglomération du Grand Moncton, au Sud-Est du pays, formée de la ville de Moncton (seule ville officiellement bilingue de la province, avec 31% de francophones) et de sa banlieue immédiate, avec la ville de Dieppe, majoritairement francophone (plus de 72%), et Riverview, majoritairement anglophone (plus de 88%).

De cette diversité géolinguistique, il découle aussi une hétérogénéité des ré- pertoires linguistiques à la disposition des francophones canadiens. Tout

2 Voir pourtant les travaux de Flikeid 1984, Motapanyane 1997, Wiesmath 2006 et surtout Boudreau 2005 et 2016.

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comme il n'existe pas "un" français suisse (Knecht 2000: 164s., Singy 2004), le français du Canada, issu essentiellement de deux différents mouvements de colonisation – Claude Poirier (1994: 69) parle de deux "variétés souche" à l'origine des différentes formes du français nord-américain –, est caractérisé par une importante diversité interne. Le français du Québec (et des implantations francophones à l'ouest du Québec, dans l'Ontario, l'Alberta, etc.) est essentiellement le reflet de la colonisation française de la vallée du Saint- Laurent. Le français acadien des trois provinces atlantiques, en revanche – auquel s'ajoute le français cadien de la Louisiane – , remonte en dernière ana- lyse à la colonisation française de l'actuelle Nouvelle-Écosse, profondément secouée et remodelée cependant par le "Grand Dérangement" des années 1750-1780. Mais il ne suffit pas de distinguer ces deux francophonies nord- américaines, laurentienne et acadienne, car celles-ci connaissent à leur tour une diversification interne considérable. Ainsi, il est difficile de parler du "fran- çais acadien" au singulier: au sein de la seule province du Nouveau-Brunswick nous avons rencontré au moins trois réalités linguistiques très différentes, entre le Nord-Ouest (lors d'une petite halte à Edmundston), le Nord-Est (dans la population plutôt rurale et majoritairement francophone de la Péninsule aca- dienne) et dans le Sud-Est (dans la population francophone urbaine du Grand Moncton, en situation de minorité linguistique face à l'anglais).

À la variation géolinguistique s'ajoute encore la variation sociolinguistique, et la question de la (ou des) normes du français nord-américain. Comme dans d'autres francophonies dites "périphériques" (Singy 1997: 40-43), le débat sur la qualité de la langue française au Canada est intense et dure depuis longtemps (Bouchard 1998, Maurais 1985). Dès le milieu du XXe siècle, surtout, de grands projets linguistiques ont vu le jour au Québec, notamment l'Office de la Langue française et le Trésor de la langue française au Québec (TLFQ) alors qu'en Acadie, une impulsion majeure a été donnée à partir des années 1960 par la création de l'Université de Moncton, seule université francophone monolingue canadienne hors Québec. Les recherches se sont focalisées en particulier autour de la question de la ou des normes indigènes ou exogènes du français (Boudreau & Dubois 1993, Maurais 2008): au Québec, la promotion d'une norme endogène d'un "français québécois soigné" a été menée surtout par une institution gouvernementale, le Conseil de la langue française du Québec (Poirier 1980, 1994), alors qu'en Acadie, ce sont des linguistes ou professeurs de français qui ont essayé de comprendre les enjeux des insécurités linguistiques caractérisant notamment des milieux francophones linguistiquement minoritaires (Boudreau 2016: 111-114). Le titre du récent ouvrage d'Annette Boudreau, À l'ombre de la langue légitime (Boudreau 2016), reflète bien la problématique et les conséquences des représentations linguistiques en milieu francophone minoritaire.

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Le rapport que les locuteurs francophones canadiens entretiennent avec leur langue est différent selon qu'ils proviennent d'un milieu majoritaire (au Québec et dans la Péninsule Acadienne les gens font preuve d'une plus importante confiance dans leur maitrise du français) ou minoritaire, mais il reste partout ambivalent: d'une part ils ont un sentiment d'insécurité linguistique face à la norme dite hexagonale (Bouchard 2011: 76, Remysen 2004a: 110, Remysen 2004b: 28), un "français de référence" (Poirier 1995: 26) mais d'autre part ils ont une propension à valoriser leur variété de français. En Acadie, les archaïsmes sont valorisés alors que les emprunts à l'anglais sont rejetés (Boudreau 2016:

57, Boudreau & Perrot 2010: 61-62)3. Étant donné la proximité du grand voisin américain qui risque de les assimiler, les francophones nord-américains témoignent d'une méfiance face aux anglicismes beaucoup plus prononcée que les Européens francophones. Le témoignage d'une journaliste acadienne rencontrée à Moncton nous semble parfaitement résumer la situation: "ça rentre par les pores de la peau l'anglais ici, et il faut le contrer pour arriver à bien parler français."

Comment s'opère donc l'équilibre entre fierté et insécurité linguistique au sein des populations québécoise et néo-brunswickoise ? Est-ce qu'un français

"standard" correspond toujours à un français "parisien" ou plutôt à un français exempt d'anglicismes ? Faut-il préconiser l'emploi d'un français "international"

qui ne correspond pas à l'usage local, ou faut-il au contraire favoriser et renforcer le français local (québécois et acadien) comme langue identitaire de la communauté ?

Ces questionnements se posent avec une acuité toute particulière à l'égard de la situation de contact de langues telle qu'elle se présente au sud-est de la province du Nouveau-Brunswick où la variété locale du français est fortement influencée par le lexique anglais. C'est le terme chiac, glottonyme qui a fait son apparition dans les années 1960, qui sert à identifier le vernaculaire de la région:

"le chiac constitue le lieu de toutes les revendications, stigmatisations, valorisations et dévalorisations; il est tantôt emblème, tantôt stigmate et cris- tallise tous les débats sur la langue, et ce, autant en Acadie qu'à l'extérieur."

(Boudreau 2016: 134). Les locuteurs qui se nomment eux-mêmes "Chiacs" sont conscients de parler une langue autre par rapport aux francophones des autres provinces du Canada. Après des décennies de stigmatisation de ce vernaculaire, le sentiment de fierté vis-à-vis du chiac en tant que symbole de leur identité et de leur histoire semble grandir.

3 Une attitude similaire est observée en Suisse romande où les locuteurs tendent à déprécier les dialectalismes du substrat francoprovençal et les germanismes alors qu’ils légitiment les archaïsmes de leur français régional et les innovations (Prikhodkine 2011, 2012). Il faut cependant préciser que ces tendances générales varient selon les catégories socio- professionnelles : les hommes appartenant aux "professions intermédiaires" valorisent les unités lexicales endogènes dépréciées, à la différence des femmes qui privilégient les variantes considérées comme "légitimes".

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Les thématiques étudiées

Les thématiques que nos étudiants se sont proposé d'étudier étaient axées sur différents aspects linguistiques ou sociolinguistiques touchant les réalités québécoises et acadiennes évoquées ci-dessus.

Un premier angle d'approche était la question de la ou des normes du français nord-américain, et des attitudes des populations québécoise et acadienne à leur égard. Ces attitudes se ressemblent-elles ou divergent-elles ? La norme endogène d'un français nord-américain (québécois) cultivé qui a émergé à partir des années 1970 a-t-elle été adoptée aussi au Nouveau Brunswick, ou du moins y exerce-t-elle une certaine influence ? Les deux populations entretiennent-elles le même rapport face aux anglicismes ?

Deux travaux de ce volume abordent cette thématique à travers des études de nature lexicologique et métalexicographique. Aline Widmer, "L'attitude des Canadiens francophones face à leur langue", cherche à évaluer les jugements que portent les deux populations, québécoise et acadienne, sur un corpus de particularités lexicales caractérisant les deux régions: dialectalismes, phénomènes de maintien (souvent appelés "archaïsmes", même s'ils n'ont rien d'"archaïque" pour les populations qui les utilisent), innovations linguistiques et anglicismes. Gaëlle Ten Broek, "L'utilisation et le jugement des dictionnaires de français par des étudiants québécois et acadiens", s'intéresse, quant à elle, à la perception de la lexicographie francophone, européenne et québécoise, par des utilisateurs "ordinaires". Alors qu'en règle générale, les dictionnaires d'usage sont évalués – et critiqués – par des spécialistes du métier, elle a choisi d'interroger les étudiants des différents établissements scolaires visités sur les dictionnaires disponibles sur le marché et recommandés par leurs enseignants.

Quels sont les dictionnaires les plus souvent utilisés et les mieux appréciés par un public non spécialiste du Québec et du Nouveau-Brunswick ? Comment jugent-ils le contenu des différents ouvrages dictionnairiques qui sont à leur disposition ? Nous pensons que les résultats de cette enquête pourraient apporter matière à réflexion aux concepteurs de dictionnaires européens et nord-américains, ainsi qu'aux enseignants qui s'en servent avec leurs élèves.

En ce qui concerne les aspects sociolinguistiques, les nombreuses questions que suscite la situation des francophones en milieu urbain et périurbain de Moncton ont été étudiées par Simon Gabay, assistant doctorant dans notre Université ("French & English in Dieppe, New-Brunswick"), ainsi que par Julie Perret ("Pratiques, attitudes et représentations linguistiques à Riverview, Nouveau-Brunswick"), dans un chassé-croisé d'enquêtes dans les banlieues francophone et anglophone de Moncton. Quelles sont les attitudes et les pratiques linguistiques des francophones et des anglophones en milieu majoritaire et minoritaire dans les deux villes ? Comment les habitants des deux

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villes perçoivent et vivent-ils leur situation linguistique particulière ? Que pensent-ils du bilinguisme officiel de leur province ?

La situation linguistique particulière du sud-est du Nouveau-Brunswick est également à l'origine de l'étude de Camille Voisin, "Attitudes des francophones du Nouveau-Brunswick à l'égard du chiac". Quelle est la place, quel est le statut de ce vernaculaire sur le marché des langues à Moncton ? Fierté ou stigmatisation ? Comment ses propres locuteurs le perçoivent-ils ? Et quelles sont les réactions à son égard parmi les habitants de la Péninsule acadienne, qui le pratiquent beaucoup moins ou pas du tout ?

Différentes études, par le passé (notamment Boudreau 2005), se sont pen- chées sur le rôle des médias locaux et leur action dans la valorisation du français local – et du chiac – au Nouveau-Brunswick. Lila Galli, "Les rôles des radios communautaires et de la radio publique dans le maintien et la valorisation du français au Nouveau-Brunswick" nous offre ici une nouvelle "photo instantanée" quant aux attitudes adoptées par les protagonistes de différentes radios francophones de la province, et l'impact de leur activité sur la population acadienne. Quelle est l'influence exercée par les radios communautaires locales sur les représentations linguistiques des Acadiennes et Acadiens ? Comment cela se traduit-t-il dans leurs pratiques? Et quelles sont les idéologies linguistiques et les stratégies adoptées par la station locale de Radio-Canada, la radio francophone publique, dans la lutte pour la valorisation et le maintien du français dans la situation minoritaire qui le caractérise au Nouveau- Brunswick ?

Moncton, seule ville officiellement bilingue du Nouveau-Brunswick, offre un champ d'investigation particulièrement intéressant pour une étude consacrée à la question du "paysage linguistique". Comment la ville se présente-t-elle à l'œil d'une observatrice venue de l'extérieur ? Anglophone ? Francophone ? Réellement bilingue ? C'est la question abordée par Susanne Boschung, "Le paysage linguistique: reflet d'une réalité bilingue à Moncton, Nouveau-Bruns- wick", à travers un "reportage photo" et une étude consacrée à l'affichage public dans la rue principale de la ville, la "rue Main". Comment le paysage linguistique monctonien se dessine-t-il? Et présente-t-il des similitudes ou non avec celui de la principale ville officiellement bilingue de Suisse, Biel/Bienne ?

Les méthodes de travail

Comme le déplorent à juste titre Gadet et Guérin (2015), trop souvent, dans des travaux sociolinguistiques qui analysent des données recueillies par le chercheur lui-même, nous n'apprenons rien des réflexions préalables et sous- jacentes qui préparent un projet de terrain: "la question du terrain, des méthodes pour son approche, et de ce que l'on vise à en extraire n'est que marginalement posée, et les analyses qui s'ensuivent ne mentionnent au mieux que certaines

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caractéristiques des données, comme si celles-ci pouvaient être détachées de leur modalité d'obtention et des objectifs de ce qu'il s'agit de faire." (Gadet et Guérin 2015: 8).

Pour répondre aux thématiques de recherche présentées ci-dessus, lors de nos cours nous avons d'abord réfléchi avec nos étudiants aux techniques d'enquête les plus appropriées selon les recherches visées et les objectifs attendus (voir notamment Blanchet 2012; Gadet 2003; Gasquet-Cyrus 2015). Quels sont les avantages et les inconvénients de l'emploi d'un questionnaire ? Ne faudrait-il pas préférer des entretiens semi-dirigés voire même libres ? Qu'en est-il de l'observation participante ? Quel est l'apport de l'approche ethnographique en sociolinguistique ? S'agissant de données orales à recueillir sur le terrain, quels sont les avantages et les inconvénients de l'enregistrement sur support électronique ?

Dans un deuxième temps, nous nous sommes appliqués à la préparation con- crète des principales thématiques que nous souhaitions aborder. Comment peut-on élaborer un questionnaire le mieux possible adapté à la réalité qu'on veut étudier ? De toute évidence, la réalité sociolinguistique et la situation des langues en contact en Suisse (voir en particulier Lüdi et al. 1997) ont été le point de départ tout trouvé pour les étudiants, auquel s'est rajoutée la comparaison avec d'autres recherches similaires. C'est en retravaillant quelques rares questionnaires publiés, tels que ceux de Kristol & Wüest (1993) et de Singy (1997), que nous avons défini les principales questions à soumettre à nos informatrices et informateurs. La reproduction systématique des questionnaires utilisés en annexe aux contributions publiées ici répond à ce besoin que nous ressentons de mettre à la disposition de la communauté scientifique les outils de récolte des données qui jouent un rôle essentiel dans les résultats obtenus (nous savons à quel point la manière de poser une question peut être problématique ou révélatrice).

La durée de notre séjour étant limitée à 12 jours, nous avons été contraints à certains choix. Même si nous étions conscients des limites des enquêtes par questionnaire, et en particulier du recours à des questions fermées, c'est cette méthode qui a été le plus utilisée. Évidemment, nous n'avions pas la possibilité de réaliser une pré-enquête préparatoire qui aurait été souhaitable, mais nous avons tout de même eu la possibilité de tester nos questionnaires lexico- graphiques et sociolinguistiques avec des locuteurs franco-canadiens résidant en Suisse et par correspondance – les nombreux échanges avec Mme Miche- line Sirois du Comité d'éthique de la recherche avec des êtres humains du Collège communautaire du Nouveau-Brunswick ont été particulièrement pré- cieux – afin d'améliorer le libellé de certaines questions.

D'autres travaux, en revanche, dont celui consacré à l'étude sur les rôles des radios (Galli, dans ce volume), ont été réalisés sur la base d'entretiens semi-

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directifs avec des intervenants de différentes radios communautaires et publi- que. Cette approche ethnosociologique (Blanchet 2012), a donné des résultats très convaincants grâce à la collaboration et à la complicité de nos interlocuteurs qui étaient heureux de partager leur expérience avec nous.

Parallèlement à la mise au point des méthodes de récolte des données, nous nous sommes penchés sur la question du positionnement du chercheur sur le terrain: quelle légitimité peuvent avoir des étrangers, des chercheurs venant du dehors, à réaliser des enquêtes sur un terrain qui ne leur est pas familier ? Comment vont-ils être accueillis ? Il est bien connu (voir Kaufmann 2004) que l'engagement de l'enquêteur et de l'enquêté sont très importants pour la réussite du travail de terrain. Toujours par rapport aux relations entre l'observateur et l'observé (Gadet 2003), nous nous sommes demandé quelles pouvaient être les conséquences de nos recherches sur les locuteurs canadiens (voir Boudreau 2016: 76): allions-nous contribuer à stigmatiser certaines pratiques ou représentations ? C'est à ce propos qu'il nous a paru important, lors des enquêtes dans les écoles, d'expliquer les raisons de notre visite. L'un de nous a donc régulièrement présenté aux élèves participant à l'enquête et à leurs enseignants d'une part la situation du français en Suisse romande et les principales caractéristiques de notre français régional, et d'autre part les raisons de notre présence sur les terrains québécois et acadien, l'intérêt scientifique de notre démarche et les méthodes de recherche utilisées, en mettant bien en évidence les éléments de partage entre les francophonies suisse et canadienne.

Notre expérience sur place a montré que les locuteurs se livraient assez faci- lement aux enquêteurs venus de l'extérieur et qu'ils en disaient beaucoup sur leur vécu, sur l'histoire et sur des événements significatifs qui ont marqué leur communauté. Comme le souligne aussi Boudreau (2016: 95), certains détails n'auraient probablement pas été racontés à un enquêteur "local", interne à la communauté, qui connaît très bien le contexte. En revanche, nous n'avons bien sûr pas pu obtenir l'effet de connivence qui aurait pu s'établir avec des enquêteurs "internes".

Pour ce qui est du travail concret de récolte des données, il est important de rappeler que pour tous les étudiants il s'agissait de leur première expérience de terrain. Un défi important que tous les participants ont dû relever a été de se mettre en jeu, avec plus ou moins de facilité, afin d'aller à la rencontre des gens, de leur poser des questions et de s'adapter aux différentes circonstances de l'enquête (disponibilité et intérêt des gens, fatigue des interviewés, contextes de réalisation de l'enquête, etc.). Les enquêtes ont en effet été réalisées dans différents espaces: publics (dans les rues et dans les magasins de Québec ville, à Caraquet et dans le grand Moncton), scolaires (au Cégep de Sainte-Foy, Québec, dans un cours universitaire de traduction à l'Université de Laval, sur

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les deux sites du Collège communautaire de la Péninsule acadienne, à Shippagan et à Caraquet, et au Collège communautaire de Dieppe).

Si notre recherche sur les terrains québécois et acadiens n'a pas la prétention de répondre à des questionnements complexes, nous pensons tout de même apporter quelques résultats significatifs et contribuer ainsi de manière modeste à l'observation des réalités linguistiques étudiées: "C'est dans le foisonnement des différentes subjectivités que surgira peut-être une interprétation signifiante – non pas représentative ni généralisable – qui donnera un aperçu de la situation linguistique en question" (Boudreau 2016: 106).

Nous pensons ainsi que les travaux de Simon Gabay et de Julie Perret peuvent ajouter quelques informations utiles de nature qualitative aux indications statistiques très complètes, mais purement quantitatives issues des recensements réguliers de Statistique Canada. Lila Galli actualise certains résultats obtenus par Annette Boudreau (2005) quant à l'impact des radios communautaires et publique du Nouveau-Brunswick sur les représentations linguistiques de la population acadienne et sur la consolidation de l'usage du français dans le domaine public. Camille Voisin documente l'évolution plutôt positive du statut sociolinguistique du chiac depuis les travaux pionniers de Perrot (1995, 2005). Quant au regard sémiotique sur le paysage linguistique de Moncton de Susanne Boschung, il actualise à son tour les observations de Boudreau et Dubois (1993) sur l'affichage public à Moncton.

Si la majorité des travaux de ce volume sont spécifiquement consacrés à la francophonie acadienne, les enquêtes de nature lexicologique et métalexico- graphique d'Aline Widmer et Gaëlle ten Broek intègrent la dimension compa- rative entre les francophones acadiens et québécois. Leurs travaux confirment ainsi une constatation de Corbeil (1991) selon laquelle " les Québécois et les Acadiens sont dans le même bateau canadien", malgré certaines différences très voyantes dans les représentations linguistiques des deux populations et des revendications identitaires très clairement exprimées par leurs interlocu- teurs acadiens, désireux de maintenir le "grand frère" québécois à distance.

Mais le principal mérite des deux travaux, à notre avis, est de s'être intéressé non seulement aux futurs spécialistes du langage tels que les étudiants du curriculum de traduction et terminologie de l'Université Laval, mais aussi aux locutrices et locuteurs "ordinaires", rencontrés dans la rue ou dans les écoles de formation préuniversitaire ou professionnelle: leur regard sur les réalités linguistiques dans lesquelles ils vivent – et leur regard sur les ouvrages dictionnairiques qui leur sont proposés – ont beaucoup à apprendre aux linguistes que nous sommes.

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Remerciements

Lors de notre voyage, nous avons réalisé des travaux de terrain en ville de Québec, à Caraquet et à Shippagan (Péninsule acadienne) et dans la région de Moncton (Dieppe, Moncton et Riverview). Nous avons été généreusement accueillis par des collègues des Universités de Laval, de Moncton et de Sher- brooke, ainsi que par les enseignants de plusieurs établissements scolaires: le Cégep de Sainte-Foy (Québec) et le collège communautaire du Nouveau- Brunswick (CCNB) à Caraquet, Shippagan et Dieppe. Nous tenons à remercier chaleureusement les collègues lexicographes et sociolinguistes qui nous ont présenté leurs recherches lors de notre passage ou qui nous ont aimablement ouvert les portes de leurs cours, pour interroger leurs étudiants: Claude Poirier, ancien directeur du TLFQ, Marie-Hélène Côté, Aline Francœur et Jean-Pierre Gendreau-Hétu (Université Laval), Annette Boudreau et Karine Gauvin (Université de Moncton), Hélène Cajolet-Laganière et Serge d'Amico (Dictionnaire Usito, Université de Sherbrooke). Toute notre équipe garde un excellent souvenir des rencontres et des échanges scientifiques extrêmement enrichissants dont nous avons pu profiter. Nos remerciements vont également à M. Jean-Étienne Poirier qui nous a accueilli dans une de ses classes au Cégep de Sainte-Foy, Québec, et à Mme Micheline Sirois, coordinatrice du Comité d'éthique de la recherche avec des êtres humains du CCNB – elle nous a fait découvrir la rigueur des comités d'éthique canadiens – pour sa disponibilité et son soutien dans les démarches assez lourdes pour l'obtention de l'approbation de ce comité en vue de nos enquêtes dans les écoles du Nouveau-Brunswick.

Enfin, nos remerciements tout particuliers vont à notre chère collègue de l'Université de Moncton, Annette Boudreau, qui a aimablement accepté de relire toutes les contributions présentées ici. Son expertise a contribué subs- tantiellement à améliorer leur qualité.

Notre voyage et les travaux de terrain ont été rendus possibles grâce au soutien financier de la Faculté lettres et sciences humaines de l'Université de Neuchâtel, l'Organisation Internationale de la Francophonie, ainsi que l'Asso- ciation William Pierrehumbert (Neuchâtel). Que les responsables de ces diffé- rentes instances soient ici chaleureusement remerciés.

Bibliographie

Blanchet, P. (20122): La Linguistique de terrain. Méthode et théorie. Une approche ethno- sociolinguistique de la complexité. Rennes (Presses Universitaires de Rennes).

Bouchard, C. (1998): La langue et le nombril. Histoire d'une obsession québécoise, Montréal (Fides).

— (2011): Méchante langue. La légitimité linguistique du français parlé au Québec. Montréal (Les Presses de l'Université de Montréal).

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Boudreau, A. (2005): Le français en Acadie: maintien et revitalisation du français dans les provinces Maritimes. In: A. Valdman, J. Auger & D. Piston-Hatlen (éds.): Le Français en Amérique du Nord (état présent), Québec (Les Presses de l'Université Laval), 439-454.

— (2016): À l'ombre de la langue légitime. L'Acadie dans la francophonie, Paris (Classiques Garnier).

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Corbeil,J.-C. (1991): L'aménagement linguistique en Acadie du Nouveau-Brunswick. In: C. Phlippon- neau (éd.): Vers un aménagement linguistique de l'Acadie du Nouveau-Brunswick. Moncton, 18- 28.

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L'attitude des Canadiens francophones face à leur langue

Aline WIDMER

Université de Neuchâtel aline.widmer@bluewin.ch

In diesem Beitrag untersuchen wir die Einstellungen der frankophonen Bewohner Québecs und der Akadier in New Brunswick zu ihren regionalen Formen des Französischen. Wir fragen uns, ob unsere Informanten Ausdrücke aus dem kanadischen Französisch als solche erkennen. Das Hauptziel unserer Arbeit ist zu bestimmen, ob und wie die französischsprachigen Kanadier ihre eigenen Sprachformen in Bezug auf das (europäische) Referenzmodell des Französischen positionieren. Die Analyse erfolgt gemäss drei verschiedenen soziolinguistischen Parametern:

Schulniveau, Herkunftsregion und Geschlecht der Auskunftspersonen. Unsere Ergebnisse weisen darauf hin, dass Quebecer und Akadier den Anglizismen gegenüber eine unterschiedliche Haltung einnehmen. Sie zeigen auch, dass das Französische in New Brunswick keine grösseren lexikalischen Unterschiede zum Französischen von Québec aufweist.

1. Introduction

Notre étude a pour but d'apporter un éclairage sur l'évaluation du français par un petit échantillon – aussi représentatif que possible – de la population québécoise d'une part et acadienne du Nouveau-Brunswick de l'autre. Elle vise à estimer à quel point les Canadiens francophones se sentent à l'aise dans l'emploi de leur langue et dans quelle mesure, comme de nombreux autres francophones "périphériques" par rapport au centre idéalisé du monde francophone – Paris – ils montrent des signes d'insécurité linguistique1.

Les recherches menées jusqu'à présent ont décelé une insécurité linguistique chez les Québécois et Néo-Brunswickois francophones qui résulte d'un sentiment d'infériorité à l'égard du français parlé en dehors de leur région (Bouchard 2011: 76; Remysen 2004a: 110; Boudreau & Dubois 1993: 151).

Les Canadiens francophones comparent leur propre variété de français au français décrit dans les dictionnaires normatifs – ce français qu'ils estiment

"universel", "compris par tout le monde" (Remysen 2004b: 28) – et rejettent ainsi de nombreux québécismes et acadianismes au profit des unités lexicales d'un français plus normé, que nous appellerons, à l'instar de Claude Poirier (1995: 26), "français de référence". Un sentiment identitaire fort et une volonté d'indépendance linguistique les poussent cependant à privilégier certaines de

1 Le sentiment d'"insécurité linguistique" peut être compris comme l'écart qui existe entre l'image qu'un locuteur se fait de la norme et l'auto-évaluation de sa propre façon de parler. Plus cet écart est grand, plus l'insécurité linguistique est importante (Labov1976:183).

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leurs propres unités lexicales du français (Bouchard 2011: 164; De Pietro &

Matthey 1993: 127; Maurais 2008: 39; Remysen 2004a: 111). Notre recherche visera donc à comprendre comment s'opère l'équilibre entre fierté et insécurité linguistique au sein des populations québécoise et néo-brunswickoise.

Notre enquête se base uniquement sur les particularités lexicales de nos informateurs. C'est l'origine des unités lexicales testées qui jouera un grand rôle dans nos interprétations. Nous prêterons une attention particulière à l'attitude des Québécois et des Acadiens du Nouveau-Brunswick face aux anglicismes. Les francophones nord-américains témoignent en effet d'une méfiance face aux anglicismes beaucoup plus prononcée que les Européens francophones (Meney 1994: 930). Il faudra garder à l'esprit que la plupart des locuteurs francophones reconnaissent en tant qu'anglicismes avant tout les mots anglais utilisés tels quels en français, soit les anglicismes intégraux (BDL: consulté le 02.03.15). Les anglicismes hybrides, morphologiques et sémantiques2 sont moins bien reconnus comme anglicismes par les locuteurs, et de ce fait également moins souvent rejetés (Maurais 2008: 40). Nous avons donc intentionnellement sélectionné d'une part des anglicismes très voyants, tels que fun ou luck "chance", et d'autre part des emprunts plus cachés, tels que bâdrer ou houquer "crocheter"3, afin de mieux déterminer l'évaluation des anglicismes par nos informateurs.

Nous nous intéresserons également à l'attitude de nos informateurs face aux innovations du français nord-américain, soit face aux nouvelles formes lexicales créées sur le territoire québécois et acadien4. Parmi les innovations que nous avons choisies, nous avons pris soin d'en sélectionner certaines – telles que courriel "e-mail", stationnement "parking" ou traversier "ferry-boat" – qui font concurrence à des anglicismes du français de référence. L'attitude de nos informateurs face à ces innovations apportera un éclairage à notre analyse du rapport aux anglicismes de notre échantillon.

Les dialectalismes du français québécois et acadien seront également considérés pour notre étude. Nous entendons par dialectalismes les formes lexicales originaires de l'un ou l'autre des dialectes ou des parlers régionaux des premiers colons français qui ont survécu dans l'usage linguistique des Québécois et des Acadiens. Il convient de noter que la définition de dialectalisme est vague et problématique (Poirier 1995: 39; Guiraud 1968: 5).

En effet, l'appellation dialectes renvoie non seulement à des usages proprement dialectaux, mais également à des variétés de français régionales

2 Les anglicismes hybrides correspondent à une forme nouvelle construite en empruntant à l'anglais un mot auquel on ajoute un élément français. Les anglicismes morphologiques sont des traductions littérales en français d'expressions anglaises. Dans le cas des anglicismes sémantiques, un sens anglais est donné à une forme déjà existante en français (BDL: consulté le 02.03.15).

3 L'ensemble des anglicismes employés pour notre enquête se trouve dans l'annexe I.

4 L'annexe II présente les différentes innovations de notre corpus.

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et populaires (Poirier 1995: 39; Mougeon & Beniak 1994: 19). C'est pourquoi nous regroupons, à l'instar de Claude Poirier (1995: 39), sous l'appellation dialectalismes, "les emplois qu'on relève dans les parlers de France, qu'on les appelle patois, dialectes ou parlers".

Finalement, nous analyserons l'attitude de notre corpus d'informatrices et d'informateurs face aux conservations5, c'est-à-dire face aux formes lexicales qui ont appartenu au français de référence et qui sont aujourd'hui, selon les dictionnaires français, désuètes ou sorties de l'usage, bien qu'elles restent tout à fait vivantes au Québec et en Acadie. La séparation des conservations et des dialectalismes en deux catégories distinctes n'échappe donc pas à un certain arbitraire et peut s'avérer trop rigide. Nous ne saurions en effet définir si une conservation encore vivante dans la langue québécoise ou acadienne dérive directement du français du XVIe siècle ou si elle a été maintenue par l'intermédiaire d'un dialecte (Poirier 1980: 58; Rodriguez 2006: 153; Bouchard 2011: 17). La brève description lexicographique que nous avons donnée dans nos annexes pour chaque lexème vise justement à nuancer la rigidité de nos catégorisations.

Soulignons que notre enquête s'inspire d'une étude analogue qui a été menée en Suisse romande par Alexei Prikhodkine (2011).

2. Méthode et déroulement de l'enquête

2.1 Le questionnaire

Notre questionnaire comprenait cinq parties. Dans la première partie, nous avons recueilli les données personnelles des informateurs afin de pouvoir évaluer leurs réponses en fonction des paramètres sociolinguistiques habituels (âge, sexe, statut social, etc).

Dans la deuxième partie de notre questionnaire nos informateurs ont dû dire, parmi une liste de mots proposés, quels étaient ceux qu'ils estimaient relever de la langue française du Canada. Afin d'établir la conscience du trait régional, nous leur avons posé la question suivante: "Parmi les mots que vous connaissez, lesquels estimez-vous être propres à la langue française du Canada ?".

La troisième partie comprenait des questions relatives à l'utilisation du vocabulaire québécois et acadien. Nos informateurs devaient choisir – entre un terme québécois et/ou acadien et son équivalent du français de référence – quelle était l'unité lexicale qu'ils estimaient la plus correcte. Si le répondant ne connaissait pas l'un des mots utilisés, il devait passer directement à la question suivante. Les instructions suivantes leur étaient données: "Il s'agit de

5 L'annexe IV présente les différentes conservations de notre corpus.

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dire quels sont, selon vous, les mots les plus corrects. Si vous ne connaissez pas l'un des mots, ne répondez pas à la question et passez directement à la suivante".

Ces instructions trouvaient intentionnellement un écho dans la consigne de la partie suivante: "Il s'agit maintenant de dire quels sont, selon vous, les mots que vous préférez utiliser. Si vous ne connaissez pas l'un des mots, ne répondez pas à la question et passez directement à la suivante". Les troisième et quatrième parties étaient donc étroitement liées. La partie III s'intéressait au rapport normatif que peuvent entretenir nos informateurs avec leur variété de français, alors que la partie IV devait faire ressortir le rapport affectif de nos informateurs à leur langue.

Avec l'analyse des réponses des parties III et IV de notre questionnaire, nous espérions déceler une potentielle insécurité linguistique chez nos répondants, puisque nous leur demandions, d'une part, quelle était l'unité lexicale qu'ils préféraient habituellement utiliser et, d'autre part, quelle était celle qu'ils estimaient la plus correcte (Labov 1976: 297). Cependant, parce que le corpus des unités lexicales figurant dans la partie III n'est pas le même que celui de la partie IV, la validité de nos résultats est largement diminuée. Pour pouvoir calculer avec efficacité le taux d'insécurité linguistique des étudiants interrogés, nous aurions dû employer les mêmes lexèmes pour nos deux parties (Prikhodkine 2011: 35).

Finalement, la dernière partie s'intéressait aux éventuelles unités lexicales québécoises et acadiennes inusitées par nos répondants. Nos informateurs devaient noter s'il y avait des mots qu'ils n'employaient pas parmi ceux proposés. Chacun des mots inusités devait être reporté dans un tableau qui servait à indiquer la ou les raisons du rejet de l'unité lexicale. Ce tableau donnait cinq possibilités de raison de rejet (cf. tableau annexe VI, Q44):

• Mot d'autrefois (vieilli)

• Mot (trop) régional

• Mot (trop) familier

• J'évite les anglicismes

• Autre raison (à préciser)

La donnée de la consigne souligne bien le caractère fermé de notre question:

"Parmi les mots du tableau précédent que vous connaissez, y en a-t-il que vous n'employez pas? Si oui: indiquez le mot dans la liste ci-dessous et cochez la ou les raisons particulières pour lesquelles vous ne l'(les) employez pas?" Nous avons préféré ne pas poser une question ouverte – telle que

"Pourquoi n'employez-vous pas ces mots?" – afin de ne pas effrayer et décourager nos informateurs. Il nous semblait préférable d'avoir une réponse moins développée et plus dirigée plutôt qu'aucune réponse. En outre, la dernière case du tableau – "autre raison (à préciser)" – permettait à nos

(21)

informateurs de s'exprimer librement s'ils le souhaitaient.

Pour les parties II et V de notre questionnaire, une mise en contexte était donnée pour chaque unité lexicale, afin d'éviter toute incompréhension du terme étudié. Nos informateurs devaient nous signaler lorsqu'ils ne connaissaient pas l'un des mots que nous leur soumettions. La consigne suivante leur était donnée: "Parmi ces mots, y en a-t-il que vous ne connaissez pas? Si oui, encerclez ceux que vous ne connaissez pas". Il convient de relever que la dernière partie de notre questionnaire a été passablement biaisée par la difficulté de nos interlocuteurs à faire la différence entre la connaissance et l'emploi d'un terme. En effet, nombreux sont nos répondants qui, bien qu'ayant annoncé ne pas connaître un terme, ont expliqué pourquoi ils ne l'employaient pas. Pour ces cas incertains, nous avons décidé de considérer le terme comme connu.

Le questionnaire que nous avons élaboré pour mener notre enquête se composait de 58 unités lexicales, à savoir 13 anglicismes, 14 dialectalismes, 16 conservations et 15 innovations. Il a été élaboré sur la base d'un dépouillement de la Base de données lexicographiques panfrancophones (BDLP), du Dictionnaire québécois d'aujourd'hui (DQA) et du Dictionnaire historique du français québécois (DHFQ). Afin de valider la pertinence de notre sélection, nous l'avons faite relire par une amie montréalaise, par un collaborateur québécois de l'Université de Neuchâtel et par la responsable du comité d'éthique du Collège Communautaire de la Péninsule acadienne. Nous tenons ici à remercier ces personnes pour leur précieuse aide.

Pour chacune de nos parties, nous avons employé un corpus d'unités lexicales différent. L'annexe V présente nos quatre corpus d'unités lexicales.

Les corpus ont été créés de manière à avoir au moins deux représentants de chaque origine lexicale (anglicismes, innovations, dialectalismes, conservations) dans chaque partie. Nous avons également pris soin de mélanger les termes québécois et acadiens. Les unités lexicales ont été disposées de telle sorte qu'aucune suite logique ne puisse être décelée.

Nous avons distribué le même questionnaire à tous nos informateurs, afin d'obtenir un point de départ homogène et de faciliter ainsi nos analyses.

2.2 L'échantillon

Notre échantillon se compose de quatre "populations" différentes et complémentaires (cf. tableau n° 1).

35 questionnaires en tout ont été remplis par des passants et commerçants de tout âge de la ville de Québec. Ces questionnaires, bien que très riches en informations et en commentaires, représentent un échantillon peu homogène.

C'est pourquoi nous n'utiliserons pas directement les réponses de ces informateurs pour notre étude, mais nous les emploierons pour étayer certains

(22)

de nos arguments. Ensuite, nous avons distribué notre questionnaire dans deux classes du Cégep6 Sainte-Foy de Québec. À cela s'ajoute une classe d'étudiants en traduction de l'Université Laval – donc de futurs professionnels de la parole, hautement conscientisés à l'égard des questions de langue et de norme. Il faudra sans doute tenir compte du profil très particulier de cet échantillon dans l'évaluation de ses résultats.

En Acadie, nous avons été reçus par le "Collège communautaire du Nouveau- Brunswick de la Péninsule acadienne"7 (CCNB) qui nous a laissé intervenir dans deux de ces classes: une à Caraquet et la seconde à Shippagan.

L'effectif de la classe de Caraquet est faible. Nous avons donc regroupé leurs questionnaires avec les questionnaires des étudiants de Shippagan pour pouvoir en tirer des résultats significatifs.

Nous tenons à remercier ces trois écoles et leurs enseignants pour leur généreux accueil. Nous adressons des remerciements tout particuliers à Monsieur Jean-Étienne Poirier qui nous a spontanément invités à venir interroger ses étudiants du Cégep.

Femmes Hommes

Ville de Québec 14 21

Cégep (Québec) 23 14

Université Laval (Québec) 14 4

CCNB (Acadie) 16 7

Total 67 46

Table 1: Ensemble de l'échantillon

Le tableau n°1 rend compte de l'ensemble de nos informateurs. Nous notons que les classes de Laval et du CCNB ne comptent, respectivement, que quatre et sept hommes. Il faudra donc toujours rester prudent dans l'analyse des résultats obtenus pour ces catégories.

Parmi les étudiants québécois que nous avons interrogés, nous avons compté sept étrangers: quatre Françaises (une est au Cégep, les trois autres étudient à l'Université Laval), un Français (Cégep), une Thaïlandaise (Laval) et un Haïtien (Cégep). En outre, nos informateurs de la ville de Québec comprennent une Française, un Français ainsi qu'une Colombienne. Nous

6 Le Cégep correspond partiellement au lycée ou gymnase suisse. Cette école propose un enseignement général, mais aussi professionnel. Elle offre des formations aussi bien techniques, sur trois ans, que pré-universitaires, sur deux ans (Les Cégeps du Québec, URL:

http://www.cegepsquebec.ca, consulté le 22 mars 2015).

7 Ce collège offre un enseignement supérieur qui présente des "programmes de formation axés sur les compétences en lien avec le marché de l'emploi" (Collège Communautaire du Nouveau- Brunswick, URL: http://ccnb.ca/le-ccnb/philosophie,-mission-et-resultats-strategiques.aspx, consulté le 22 mars 2015).

(23)

n'analyserons pas directement leurs réponses dans notre étude, mais nous les utiliserons pour étayer nos résultats.

Nous nous intéresserons à deux facteurs sociolinguistiques en particulier:

l'école et le genre. Il convient de noter que le facteur "école" cache en fait plusieurs facettes. Il permettra d'abord de dégager une tendance géographique, soit de différencier les écoles de Québec de celles d'Acadie. Il ne faudra pas perdre de vue que l'opposition entre le Québec et l'Acadie cache également une opposition entre ville et campagne. Nous ne pourrons malheureusement pas différencier ces deux variables et devrons les considérer comme un ensemble Québec-ville contre Acadie-campagne. Le facteur "école" comprend également une facette qui concerne le degré d'études des personnes interrogées, puisque les étudiants de Laval suivent une formation universitaire, alors que les étudiants néo-brunswickois et les Cégépiens sont dans une filière de formation professionnelle supérieure. Une comparaison sur le plan universitaire ne sera donc pas possible.

Avant d'entreprendre l'analyse proprement dite de nos données, nous soulignons qu'il nous a paru nécessaire de vérifier statistiquement la pertinence de nos résultats. Nous avons employé le test du khi carré afin de contrôler la validité de nos hypothèses. Notre seuil de significativité a été placé à 5%, selon la convention établie par la communauté scientifique (Moliner, Rateau & Cohen-Scali 2002:185).

3. Conscience des québécismes et acadianismes

Nous nous intéresserons d'abord au caractère conscient de l'emploi des unités lexicales québécoises et acadiennes par nos informateurs. Il s'agira de déceler quels sont les mots reconnus majoritairement comme des unités lexicales du français québécois et acadien et lesquels se fondent – au regard de nos informateurs – dans le français de référence.

Il convient en premier lieu de noter que les mises en contextes que nous avons données ne correspondaient pas toujours aux emplois de nos informateurs, comme en témoigne la remarque d'un élève de Shippagan:

"plusieurs mots son utilisé8 pour d'autre situation ou autre contexte" [S_06].

L'orthographe des mots a en outre été remise en question par une Cégépienne:

Nous utilison les mêmes sens de mots mais l'on ne l'écrie par pareil comme le lavier pour nous c'est l'évier et bien d'autre cela est dû, à mon avis, de notre éloignement [QC_36].

La mécompréhension d'une question ou d'un mot a donc pu entraîner des réponses faussées qu'il conviendra de nuancer. En ce sens, il est important de

8 Nous citons les remarques recueillies dans nos questionnaires telles quelles, sans la moindre intervention orthographique de notre part.

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0 10 20 30 40 50 60

Unité lexicale québécoise et/ou acadienne

souligner que nos informateurs nous ont fait remarquer que certaines questions n'étaient pas claires, ainsi qu'en témoigne le commentaire suivant:

Je dois remarquer que certaines questions pouvaient porter à confusion. J'étais incertain de leur interpretation. Je crois que c'est du a mes origines canadiennes française [QV3_10].

Il est intéressant de noter que, dans les deux commentaires ci-dessus, nos informateurs soulignent les difficultés qu'ils ont rencontrées, sans jamais remettre en cause notre questionnaire, mais en plaçant leurs incompréhensions sur le compte de la différence entre leur variété de français et la nôtre. Ces commentaires soulignent une remise en question de la part de nos informateurs de leur propre variété de français et mettent en avant une certaine insécurité linguistique.

Figure 1: Reconnaissance des québécismes et acadianismes: résultat par unité lexicale

La figure n°1 rend compte de la fréquence des unités lexicales reconnues comme des québécismes ou des acadianismes. Il apparaît que les résultats diffèrent énormément selon le terme étudié. Ainsi, notre étude vient appuyer celle menée par Annette Paquot au Québec dans laquelle l'auteure affirme que "le caractère conscient des canadianismes est éminemment variable"

(Paquot1988:39).

Nous remarquons que sept lexèmes sur quinze sont reconnus comme des canadianismes par la moitié au moins de nos répondants. En font partie des dialectalismes (baboune "lèvre", bardasser "manipuler sans ménagement", mouillasser "bruiner"), des conservations (garde-robe "placard, penderie", pogner "prendre, saisir, attraper") et des innovations (poudrerie "fine neige tourbillonnante", tire "confiserie à base de sirop d'érable"). Il convient de tenir compte du fait que certaines unités lexicales, notamment le dialectalisme calouetter "cligner (des yeux)" et l'innovation zigoune "cigarette" sont connues

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par peu de nos répondants. Ainsi le nombre d'étudiants les ayant reconnues comme des régionalismes québécois et acadiens est logiquement diminué.

Nous avons donc décidé d'ordonner les items testés selon leur pourcentage de reconnaissance (cf. tableau n°2).

Nbre d'étudiants reconnaissant l'unité lexicale comme propre à sa langue / Nbre d'étudiants connaissant l'unité lexicale

n %

Cégep (N=34)

Laval (N=14)

CCNB (N=22)

Total (N=70)

Cégep (N=34)

Laval (N=14)

CCNB (N=22)

Total (N=70) pogner "prendre,

saisir, attraper" 27/34 12/14 11/22 50/70 79.4 85.7 50.0 71.4 tire "confiserie à

base de sirop d'érable"

25/34 11/14 12/22 48/70 73.5 78.6 54.5 68.6

bardasser "mani- puler sans ménagement"

10/28 14/14 12/22 36/64 35.7 100.0 54.5 56.3

mouillasser

"bruiner" 12/29 10/13 12/22 34/64 41.4 76.9 54.5 56.3 poudrerie "fine

neige

tourbillonnant"

16/34 10/14 13/22 39/70 47.1 71.4 59.1 55.7

baboune (Qc)

"lèvre" 17/29 9/10 4/15 30/54 58.6 90.0 26.7 55.6 garde-robe (Qc)

"placard, penderie"

17/34 10/14 11/22 38/70 50.0 71.4 50.0 54.3

écureux

"écureuil" 2/8 6/7 4/14 12/29 25.0 85.7 28.6 41.4 dispendieux (Qc)

"cher" 9/34 6/14 13/22 28/70 26.5 42.9 59.1 40.0 agenda (Qc) "pro-

gramme d'activités"

8/34 5/14 13/22 26/70 23.5 35.7 59.1 37.1

macaron (Qc) "in- signe pour manifester ses opinions"

5/33 4/14 11/22 19/69 15.2 28.6 50.0 27.5

autographier (Qc)

"dédicacer" 4/33 4/14 11/22 19/69 12.1 28.6 50.0 27.5

(26)

Nbre d'étudiants reconnaissant l'unité lexicale comme propre à sa langue / Nbre d'étudiants connaissant l'unité lexicale

n %

Cégep (N=34)

Laval (N=14)

CCNB (N=22)

Total (N=70)

Cégep (N=34)

Laval (N=14)

CCNB (N=22)

Total (N=70) acter "agir" 2/28 2/9 11/22 15/59 7.1 22.2 50.0 25.4 calouetter (A) "cli-

gner (des yeux)" 1/1 0/0 1/7 2/8 100.0 0.0 14.3 25.0 zigoune (Qc)

"cigarette" 0/7 1/2 0/3 1/12 0.0 50.0 0.0 8.3 Table 2: Reconnaissance des québécismes et acadianismes (par ordre décroissant du pourcentage):

résultats par école

Il est intéressant de noter que les deux anglicismes de notre corpus (acter

"agir" et agenda "programme d'activités") sont reconnus par peu de nos informateurs comme des formes appartenant à leur propre variété de français.

Agenda "programme d'activité" a été identifié comme régionalisme du français nord-américain par 37.1% des répondants concernés, alors que seuls 25.4%

de nos informateurs ont noté que acter "agir" appartenait à leur propre variété de français.

Il est probable que la plupart de nos informateurs n'ont pas conscience du caractère nord-américain du lexème agenda "programme d'activités" à cause de son rapprochement avec le français de référence agenda "carnet sur lequel on inscrit jour par jour ce qu'on doit faire". Acter "agir" renvoie plus facilement à une consonance anglaise que l'anglicisme sémantique agenda "programme d'activités". Il semble d'ailleurs que ce soit le caractère exogène de cette unité lexicale qui explique le peu d'informateurs l'ayant classée comme un mot propre à la langue française du Canada. Il convient dans ce sens de noter que les enquêtes menées dans la ville de Québec ont fait surgir des remarques dans lesquelles apparaissait une certaine réserve face à acter "agir". Un des hommes interrogés (QV3_12) a en effet noté ne pas utiliser acter, bien qu'il le connaisse. Un autre (QV3_11) a écrit dans la marge, à côté d'acter:

"anglicisme". Il semble ainsi nous signifier qu'acter est un anglicisme et n'appartient pas, de ce fait, au vocabulaire propre au français nord-américain.

Nous notons également sur le tableau n°2 des différences importantes entre les réponses recueillies dans les différentes écoles. Premièrement, nos informateurs de l'Université Laval reconnaissent comme canadianismes en moyenne plus de mots que les répondants des autres écoles. Les étudiants universitaires interrogés paraissent donc avoir une plus grande conscience de leur propre variété de français que nos autres informateurs. Ensuite, nous remarquons que les deux anglicismes – acter "agir" et agenda "programme d'activités" – sont en moyenne plus souvent considérés comme des expressions propres à la langue française du Canada par les étudiants du

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