A NNALES DE L ’ UNIVERSITÉ DE G RENOBLE
G IGNOUX
Les nappes d’eau souterraine profondes dans les alluvions des vallées alpines ; leur importance pour les aménagements hydro-électriques
Annales de l’université de Grenoble, tome 22 (1946), p. 85-98
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Les profondes dans
les alluvions desvallées alpines ;
leur importance pour
lesaménagements
hydro-électriques
par M.
GIGNOUX (*)
Les alluvions
qui remplissent
lesgrandes
vallées fluviales sont, engénéral, plus
ou moins uniformémentperméables :
elles sont doncparcourues par une nappe d’eau souterraine dont le niveau se rac- corde à celui du fleuve et
qui
s’écoule très lentement et presqueparallèlement
au cours d’eau. Lerégime
de telles « nappesphréa- tiques superficielles »
est très bien connu et a été étudié parexemple
dans les vallées de la Loire
(Val
deLoire),
du Rhin(région
de Stras-bourg),
duRhône,
etc.Dans nos vallées
alpines,
enserrées entre de hauts versants mon-tagneux
enpente raide,
lerégime
des eaux souterraines est, engéné- ral,
très différent.Remarquons, d’abord,
que nos rivières et torrentsalpins
sontbien loin d’avoir atteint leur «
profil d’équilibre )) :
c’est dire que leurprofil longitudinal
se compose d’une alternance de «rapides »
où le cours d’eau
déblaye
et creuse son lit dans lerocher,
et de«
plaines
d’alluvionnements »(« plans »
dulangage local), qu’il
remblaie
progressivement.
Mais ce remblaiement s’estproduit
icisuivant un mécanisme bien
particulier, qu’il
nous est facile dereconstituer par
l’imagination.
Représentons-nous,
eneffet, l’aspect
d’un de ces tronçons de (*) L’auteur remercie vivement les Sociétés (Société hydro-électrique de Savoie, Société hydra-électrique de la Romanche supérieure,Énergie
électrique du Briançonnais) quiont bien voulu lui fournir les renseignements utilisés ici.
vallées avant que le remblaiement ait commencé ; à ce moment, les versants
rocheux,
que nous voyons maintenantbrusquement
tranchéspar le «
plan )) alluvial,
venaient se raccorder lelong
dutalweg
rocheux,
en conservantapproximativement
la mêmepente. Et,
demême que la
partie
visibleaujourd’hui
de ce versant estparsemée
de talus
d’éboulis,
de cônes dedéjections
depetits
torrents, et decouloirs
d’avalanches,
de mêmeautrefois,
dans lapartie
actuelle-ment
noyée
sous le remblaiementalluvial,
ces versants rocheux devaient être revêtus d’une couverturesuperficielle analogue.
PROFIL TRANSVERSAL SCHÉMATIQUE ILLUSTRANT LE MÉCANISME DU REMBLAIEMENT DES VALLÉES ALPINES
Les traits horizontaux indiquent les alluvions du cours d’eau principal, ou les vases dépo-
sées dans d’anciens lacs. ’
On a laissé en blanc les éboulis, écroulements, cônes de déjections ou d’avalanches, qui
sont descendus successivement des versants au cours du remblaiement, et qui, éminemment perméables, absorbent en profondeur les eaux s’écoulant des falaises rocheuses.
Les alluvions sont généralement assez perméables, mais le cours d’eau principal les
colmate le long de son lit et ne s’y infiltre pas. Elles peuvent donc rester sèches dans leur
partie supérieure et recéler une nappe profonde NY, qu’un sondage S dans la plaine
alluviale n’atteindra qu’en n (ex. : Plan de l’Alpe du Villar-d’Arène).
. Si les alluvions comportent des couches continues de vases lacustres, totalement imper- méables, la nappe profonde peu devenir captive; et, si son niveau est suffisamment élevé,
donner des résurgences en des points tels que E, E (ex. : Plaine de l’Oisans).
Or,
tous cesdépôts
depentes
sont éminemmentperméables;
cetteperméabilité
estfrappante
pour les éboulis et lesdépôts
d’ava-lanches et aussi pour les cônes de
déjections
accumulées aupied
desfalaises par les torrents affluents
qui
descendent en cascades desescarpements
rocheux.Au
contraire,
le remblaiement du fond de la vallée est formé par les alluvions du torrentprincipal,
àpente modérée,
oùpeuvent
se décanter les troublesargileux ;
souvent même, à laplace
de laplaine
alluviale
actuelle,
il y a eu un ancien lac où sedéposaient
desargiles
et des vases. Ce sont là des
dépôts
très peuperméables,
ou mêmeimperméables.
Bref,
nous pouvons dire que leremplissage
alluvial de nos valléesalpines
se compose d’unepartie
centrale peuperméable,
entouréesur les versants et
jusqu’au
fond par une sorte degaine
d’éboulistrès
perméable.
Et cette
opposition
se traduit par unrégime
tout à faitspécial
decirculation des eaux souterraines. Le cours d’eau
principal divague
à la surface de sa
plaine d’alluvions, qu’il
colmate. Mais les eaux de ruissellement et les torrents affluents descendant lelong
des versantsrocheux s’infiltrent
progressivement
enprofondeur
dans les ébouliset les cônes de
déjections qui garnissent
la base de ces versants ; ces écoulements affluentsn’atteignent
pas le cours d’eauprincipal,
maisvont alimenter une « nappe souterraine
profonde » qui
circule lelong
des versants, et dans le fond dutalweg
rocheux. Ce ( sous-écoulement»
(«
Undernow ))des hydrologues américains)(’) ne rejoin-
dra le cours d’eau
principal
quelorsque,
à l’aval d’un secteur rem-blayé,
on arrivera à un secteur de «rapides »
où le cours d’eaucoule directement ou presque directement sur le
rocher ;
là la nappeprofonde
ressortira sous forme de cc sources », soit visibles sur lesberges,
soit invisibles dans lesgraviers
defond,
et elle viendra ali-menter le cours
d’eau principal.
Ces considérations
peuvent
sembler bienthéoriques
ethypothé- tiques ;
mais il est aisé de seconvaincre,
devisu,
de leur réalité etde leur
généralité. Quand
onparcourt
nos valléesalpines
au débutde
l’été, pendant
lapériode
des grosses fontes deneige
de hautemontagne,
on constate que les torrents affluents que l’on voit des- cendre en cascades lelong
desparois
rocheuses seperdent
peu à peu dans les éboulis et les cônes dedéjections qui garnissent
lepied
des falaises ; leurs eaux n’arrivent
point
àrejoindre
le cours d’eauprincipal ;
elles vont donc nécessairement alimenter une nappe pro-fonde,
un « 1_lnderflô~~r » dont on soupçonne, àpremière
vue, que le débitpeut
être considérable.(1) Voir, par exemple, l’ouvrage fondamental de C. F. ToLMAN, Ground water (Mac Graw-Hill Book Cy, Inc., New-York, t()3~).
Dans les
projets d’aménagements hydroélectriques,
l’attention n’a pas été suffisamment attirée sur lagénéralité
etl’importance
de cesnappes
profondes,
c’est ce que nous nous proposons de montrer, par desexemples précisa).
(2) Voir M. GicNoux, « Les nappes d’eau souterraine profondes dans les alluvions des vallées alpines (Comptes rendus du Congrès International des Mines, de la Métallurgie et de
la Géologie appliquée, 7e session, Paris, 1935. - Section de Géologie appliquée, t. II).
Quelques-uns des exemples décrits dans ce dernier article (nappe captive de Varces, près Grenoble, source artésienne salée des Bouches-du-Loup, A.-M.) n’ont pas été repris ici,
car ils ne touchent pas à des questions d’aménagements hydroélectriques. Et inversement, j’ai pu tenir compte ici de beaucoup d’observations nouvelles.
I. - LA PLAINE ALLUVIALE D’AILEFROIDE AU PIED DU PELVOUX
(Bassin de la
Durance).
C’est dans cette
région
que l’alimentation de l’usine des Claux-en- Vallouise réalisée parl’Énergie électrique
duBriançonnais (E.
E.B.)
Les torrents de Celce-Nière et de Saint-Pierre sont dérivés en Pi et P2 par de petits
barrages superficiels fondés sur les alluvions de la plaine d’Ailefroicle et alimentant
l’Usine des Claux. - Dans le tréfonds de cette plaine (à une profondeur de plus de
100 m.), circule une nappe souterraine profonde. Dans le torrent de Saint-Pierre, une partie de cette nappe ressort en amont du barrage sous forme de sources S, S ;.de sorte
que le débit dérivé est ici relativement important (n/t5 1/s). - Mais la plus grande partie de ce sous-écoulement passe sous les barrages de prise et ne vient ressortir que
plus en aval, dans la région où le bed-rock (granite imperméable, figuré en hachures obliques), se rapproche du fond de la vallée. 0
Le total de ces émergences perdues atteint 3g5 1/s, alors que le débit dérivé n’est que de 260 1/s.
m’a montré pour la
première fois,
en’932, l’importance
de cesnappes
profondes.
La
petite plaine
alluvialed’Ailefroide,
entourantl’extrémité
Estdu
Mont
Pelvoux,
est parcourue par les torrents de Celse-Nière et deSaint-Pierre, qui
confluent à son extrémité aval pour donner letorrent d’Ailefroide. On avait installé sur chacun de ces torrents une
prise
d’eau dérivée par unpetit barrage superficiel,
fondé àquelques
mètres de
profondeur
sur les alluvions. De laprise
deCelse-Nière,
un canal de dérivation
superficiel
conduit à laprise
deSaint-Pierre,
d’où la dérivation continue ensouterrain
pour aller alimenter les conduites forcées descendant à l’usine des Claux-en-Vallouise.Les
premières études avaient
été faites par uneentreprise locale ;
mais les
emplacements
desprises
étant difficilement accessibles enhiver,
on s’était contenté de faire lesjaugeages
bien enaval,
dans letorrent
d’Ailefroide,
àproximité
del’usine,
lasuperficie
du bassinversant étant sensiblement la même pour ces deux
régions.
Or,
au moment de la mise en service del’usine,
les débits d’hiver donnèrent lieu à des constatations inattendues.Citons, par
exemple,
les chiffres relevés le ig avril1932.
Cejour-là,
laprise superficielle
de Celse-Nière ne donnait que 15l./s.,
preuve que le débit du bassin versant devait presque totalement
passer
par la nappe
profonde,
sous lebarrage.
Laprise
de Saint-Pierre débitait 260l.~s. ;
et defait,
il existe à l’amont de cetteprise,
sur letorrent de
Saint-Pierre,
depetites
sourcesqui
ramènent au torrentune
partie
de la nappeprofonde. Enfin,
entre l’extrémité aval de laplaine
alluviale et l’usine desClaux,
le torrent d’Ailefroide couleplus
ou moins directement sur le
rocher;
on voit donc ressortirlà,
sous forme de sources, la totalité de la nappeprofonde,
de sorte que ledébit
de ce torrent en amont de l’usineatteignait 3g5 l.~s.,
c’est-à-dire un chiffre bien
supérieur
au débitdérivé ;
et ils’agissait
làd’eaux
d’hiver,
lesplus
intéressantes.Pour
récupérer
ces eauxperdues,
l’E. E. B.envisagea
alorsl’éventualité de pompages aux
emplacements
desprises superfi-
cielles,
pour ramener dans cesprises
les écoulementsprofonds qui passaient
sous lesbarrages.
Consulté surl’épaisseur probable
desalluvions en ces
points, j’estimai qu’elle
devait être certainementsupérieure
à 100-15o mètres etje suggérai
uneexploration
par son-dages électriques.
Cesderniers,
effectués en novembre1932
par la«
Compagnie générale
deGéophysique
», montrèrent que laprofon-
deur du socle
granitique
sous les alluvions(éboulis, moraines, etc.)
devait,
eneffet,
être de l’ordre de i 5o à 200 mètres auminimum,
avec
même, localement,
une sorte d’entaille descendant bien au-des-sous de 200 mètres.
Ces données suffisent à montrer que toute tentative de pompages serait ici
pratiquement irréalisable,
d’autantplus
que ces pompagesdevraient
puiser
exactement dans lapartie
laplus profonde
du tal-weg
rocheux, point
extrêmement difficile àpréciser.
II. - LA NAPPE PROFONDE DU « PLAN DU LAC n,
VALLÉE DU VÉNÉON
La
plaine
dite cc Le Plan du Lac » a étéremblayée
par leVénéon,
en amont de
Bourg-d’Arud.
A l’extrémité aval de cetteplaine,
la« Société
Hydroélectrique
de Savoie » a édifié unpetit barrage superficiel
deprise,
d’oùpart,
sur la rivedroite,
une dérivation ensouterrain
passant
au-dessus duvillage
deBourg-d’Arud
et allantalimenter l’usine de
Pont-Escoffier,
située à l’extrémité amont de laplaine
duBourg-d’Oisans,
où le Vénéon sejette
dans la Romanche.La formation de ce « Plan du Lac » est facile à
expliquer.
Eneffet, entre cette
plaine
etBourg d’Arud,
s’étale sur la rivegauche
du Vénéon un immense
éboulis, appelé
« Le GrandClapier )) ;
il ya eu
là, peut-être
auxtemps historiques,
ungigantesque
éboulementdescendu des
parois
rocheuses de la rivegauche,
cequi
a barré lavallée et déterminé
probablement
la formation d’un lactemporaire qui,
actuellementcomblé,
est devenu le « Plan du Lac )). Defait,
en fondant les ouvrages dedérivation,
on a rencontré,quelques
mètresau-dessous des
graviers
et cailloutissuperficiels
duVénéon,
desargiles plastiques qui
nepeuvent
être que desdépôts
lacustres.Ainsi le
barrage
deprise
nepouvait
être fondé sur le rocherqui,
à
première
vue, doit se trouver ici à au moins 100 mètres deprofon-
deur. On s’est donc contenté d’un
barrage
de dérivationsuperfi-
cielle
qui,
bienentendu,
laisse passer au-dessous de lui la nappeprofonde
circulant sous le remblaiement alluvial du Plan du Lac.Dans la traversée du
Clapier,
et surtout versl’aval,
letalweg
rocheux se
rapproche
peu à peu de lasurface ;
la nappeprofonde
ressort alors dans le lit du Vénéon par une série de
résurgences ;
cesrésurgences
étaient pour laplupart
invisibles avant les travaux, mais elles ont apparu nettementaprès
dérivation du cours d’eau. C’est ainsi que le 8 mai1946,
le débit du Vénéonsuperficiel
était seule-ment de 25
l./s.
à 25 mètres à l’aval du rideau depalplanches
avalprotégeant
les ouvrages dedérivation ;
et tout à fait à l’aval du Cla-pier, près
dupont
deBourg-d’Arud,
cedébit,
alimenté par les résur- gences successives de lanappe profonde,
était de320 l./s.
Ce chiffre donne une idée de
l’importance
des eaux ainsiperdues,
eaux
précieuses puisqu’il s’agit
de débitsd’hiver,
maispertes qu’il
n’était pas
possible
d’éviter : on nepouvait
que lesprévoir
et entenir
compte
pour les conditionsd’équipement
etd’exploitation
dela chute. ~
.
De
fait, cet équipement
a étébasé,
très correctement, sur les résultats desjaugeages
du Vénéonsuperficiel
effectués au Plan duLac,
àl’emplacement
même de laprise.
III. - LES NAPPES PROFONDES DE LA
VALLÉE
DE LA ROMANCHE 3~ Cette
vallée,
lelong
delaquelle
se succèdent de nombreux aména-gements hydro-électriques
réalisés ouprojetés,
va nous fournir desexemples
très variés des diverses manifestations de ses nappes pro- fondes : nous les étudierons de l’amont à l’aval.1° Le
plan
del’Alpe
du Villar-d’Arène.Ce ((
plan » qui,
sur 2 ooo mètres delongueur,
remonte douce-ment de 1
96o
à 2050représente
laplus
élevée desplaines
alluvialesremblayées
par laRomanche,
et que nous décrirons dans les para-graphes
suivants. Elle constitue un sitemagnifique
pour un immensebassin de retenue à haute altitude. La « -Société-
Hydro-électrique
dela Romanche
supérieure » (S.
H. E. R.S.)
étudie ainsi actuelle- ment, à l’extrémité aval de cetteplaine, l’implantation
d’ungrand barrage
de retenue.Il est
possible qu’ici,
comme au Plan duLac,
le remblaiement ait été causé par unbanrage
naturel dû à des écroulements et ébou- lements descendus de la rivegauche-;
defait,
à l’aval du Plan del’Alpe,
la Romanche seprécipite
dans la zone derapides
dite « Pasde l’Ane à
Falque » ; là,
elle coule d’abord au milieu d’éboulis à blocs énormes,puis
àl’aval,
à mi-chemin desrapides,
on la voit(3) On trouvera une brève description géologique de la vallée de la Romanche en aval
’
du Chambon dans l’ouvrage suivant : M. GIGNOUX et L. MORET, Géologie Dauphinoise, ou
Initiation à la Géologie par l’étude cles environs de Grenoble (Arthaud, Grenoble-Paris, 1944).
93
tomber en cascades directement sur le
rocher ;
làapparaissent quelques
sources,résurgences
de la nappeprofonde qui
circule sousles alluvions du Plan.
Ici, heureusement,
et contrairement à cequi
se passe au Plan duLac,
laprofondeur
dutalweg
rocheux àl’emplacement
dubarrage projeté
n’est pasexcessive,
etpermettra
de descendre les ouvragesjusqu’au
bed-rock. Onpourrait
penser à édifier ici unedigue
enterre ou en enrochements fondée sur
alluvions ;
mais dès ledébut,
j’ai
attiré l’attention desingénieurs
surl’importance probable
de lanappe
profonde
et sur la nécessité de la barrer par un écran étanche.Aussi cette nappe a-t-elle fait
l’objet
d’études très intéressantes de la S. H. E. R. S.On a
d’abord
fait despuits
etsondages
dans laplaine alluviale
on a constaté ainsi que la Romanche
superficielle
colmatait son lit :des
puits
creusés àquelques
mètres seulement de distance horizon- tale de ce cours d’eau sont descendus àsec jusqu’à plus
de 10 mètresde
profondeur ;
et c’est seulement à 12-15 mètres sous laplaine
queces
puits
ont rencontré une nappeprofonde
absolumentrégulière,
sans aucune relation avec la Romanche
superficielle.
Puis, sur mes
conseils,
des déversementsde .fluorescéine
ont étéeffectués dans l’un de ces
sondages,
avec le concours du Laboratoire d’essais del’École
desingénieurs-hydrauliciens
de Grenoble. La nappeprofonde
affleurait dans lesondage
à la cote1948,
soit13 mètres de
profondeur;
on y déversa 4kilogrammes
de fluores-céine,
en deuxtemps,
l’un aujour
J à 18heures,
l’autre aujour
J -t- i à 4 heures. En
aval,
lesjours
J + ~ t et J + 2, desprélève-
ments furent faits dans les
rapides
du Pas de l’Ane àFalque,
enamont de la cascade sur rocher
(cote
i85oenviron)
en despoints qui
s’échelonnent entre les cotes1940-1915 (points A,
B,C, D) et
188o-i86o
(points E, F, G).
Le colorantapparut
dans tous lespré-
lèvements ;
mais,
faitremarquable,
lejour
J -+- i ce furent lespré-
lèvements aval
(E, F, G) qui
montrèrent le maximum de colora-tion,
tandisqu’aux prélèvements
amont(A, B, C, D) ce
maximumne fut atteint que le
jour
J --~- 2. Cela montre que la nappe chemineplus rapidement
dans lespanties profondes
que dans les zones super-ficielles,
fait bien en accord avec leprincipe général
énoncé audébut de cet
article,
à savoir que lesremplissages
alluviaux de nosvallées
alpines
sontplus perméables
dans leur tréfonds que dans leursparties superficielles.
Il resterait à évaluer le débit de cette nappe
profonde ;
cela pour-94
rait être
tenté,
soit par desjaugeages superficiels
instantanés enamont et en aval des
résurgences,
soit par la méthode du « nuage desel » ;
par un déversementprolongé
de sel dans la Romanchesuperficielle
au Plan del’Alpe,
on arrivera à avoir audépart
un titreconstant, et des
prélèvements
faits à l’aval desrésurgences permet-
tront d’estimer le débit de la nappe
profonde.
~° Le
barrage
du Chambon et l’usine du Pont-Sainte-Guillerme.On sait que pour asseoir le
barrage
du Chambon sur lerocher,
ona été conduit à faire des fouilles extrêmement
profondes
du côté duparement
amont(’) ;
car letalweg
rocheuxprésentait
là une contre-pente
et s’abaissaitrapidement
vers l’amont. Bien que ces fouilles dans les alluvions aient été effectuées enpériode d’étiage hivernal,
leur
épuisement
a été très difficile. Dupoint
de vuequi
nousoccupe, il est intéressant de noter que les venues d’eau les
plus impor-
tantes ne
provenaient point
de la Romanchesuperficielle,
ni mêmedes zones
supérieures
duremplissage alluvial,
mais bien des zonesprofondes
du cône dedéjections
du torrent du Mont deLans,
ici affluent de rivegauche
de la Romanche. Nous retrouvons donc là un nouvelexemple
du mode d’alimentation de la nappeprofonde qui
icicirculait dans les alluvions de la
plaine
duChambon, plaine
devenuemaintenant le bassin de retenue.
Notons enfin que l’usine du
Pont-Sainte-Guillerme,
alimentée par lebarrage
duChambon,
a été édifiée sur unepetite plaine alluviale,
encore très
étroite,
où coule ici la Romanche.Malgré
ses dimensionstrès
exiguës,
ceremplissage
alluvial sufl’it à donner asile à une nappeprofonde indépendante
de la Romanchesuperficielle ;
car unpuits
creusé à côté de
l’usine,
pour avoir de l’eaupotable,
bien que situé àquelques
mètres du coursd’eau,
n’a trouvé de nappe souterrainequ’à 4
ou 5 mètres en dessous du niveau de celui-ci.3" La nappe
captive
de laplaine
duBourg-d’Oisans.
L’origine
de la vasteplaine
alluviale de l’Oisans est bien connue.A son extrémité
aval,
versLivet,
la Romanchereçoit
deuxgrands
ravins
affluents,
l’Infernet sur la rivegauche,
la Voudaine(~) Voir M. GicNoux et L. MORET, « Les conditions géologiques du barrage du Cham-
bon-Romanche » )) (Travaux du Lab. de géol. de l’Univ. de Grenoble, t. 23, rg/2).
sur la rive
droite,
par oùpeuvent
dévaler des massesénormes de débris
rocheux,
soit paravalanches,
soit par crues tor- rentielles dues â des orages d’une violenceexceptionnelle. Lorsque,
par une coïncidence heureusement fort rare, ces deux redoutables affluents débitent à la
fois,
ilspeuvent
accumuler dans le fond de la vallée des amas de matériaux formant unbarrage
naturel, enamont
duquel
laplaine
de l’Oisans se trouvetemporairement
transformée en un immense lac. Un tel
phénomène
s’estproduit plusieurs
fois au cours despériodes historiques
et, pour la dernièrefois,
en 1666(d’après
RaoulBLANCHARD).
Il n’est donc pas étonnant de constater que le sol de notre
plaine
est formé par des vases lacustr°es
argileuses’ et
très peuperméables
suffisamment
homogènes
et continues pour maintenir souspression
les eaux souterraines
qui,
conformément à notrerègle générale, imprègnent
la base duremplissage alluvial,
formant ainsi une« nappe
captive
»qui
n’a évidemment aucunrapport
avec laRomanche
superficielle.
C’est ce
qu’ont
bien démontré une foule desondages
artésiensqui, après
avoir traversé sur 10-la mètresd’épaisseur
lesargiles
lacustres,
ont trouvé des eauxjaillissant
au-dessus du niveau de laplaine.
’
Mais,
sur lesbords,
aupied
des falaises rocheuses, lesplacages
d’éboulis très
perméables permettent parfois
aux eauxprofondes captives
de remonterjusqu’à
la surface, en s’insinuant entre la rocheen
place
et lesargiles
du milieu de laplaine.
Ainsiapparaissent
desémergences
dont lesplus
célèbres sont les fameuses « sources de la Rive » onappelle
ainsi unemagnifique rivière,
aux eauxtoujours
claires,
à débit relativement constant,qui prend
naissance par un groupe de sources aupied
même des falaisesgranitiques
de la rivegauche,
en dessous de la nouvelle route duBourg-d’Oisans
au Vil-lard-Notre-Dame. De là la Rive gagne le milieu de la
plaine
où ellecoule alors
par-dessus
lesargiles lacustres,
et vient finalement sejeter
dans la Romanchesuperficielle.
D’autres
émergences,
bienplus modestes, apparaissent
aussi enface,
sur l’autrerive,
aupied
des falaises rocheusesqui
dominent laroute nationale immédiatement en aval du Pont-Sainte-Guillerme.
Nous ne savons rien sur les exutoires que
peut
avoir cette nappe de l’Oisans versl’aval,
à Livet, à l’extrémité de laplaine.
96
f~°
Lesbarrages
de dérivation entre lesplaines
duBourg-d’Oisans
et de Vizille.
Dans ce secteur
qui correspond
à une suite de «rapides »
se suc-cèdent en cascades d’anciennes usines
hydroélectriques,
alimentéespar de
petits barrages superficiels
dedérivation,
dont aucun n’est fondé sur le rocher.Nous savons seulement que, lors de la construction des
premiers
de ces
barrages,
on s’attendait à desépuisements importants
dansles
fouilles
descendant au-dessous du niveau de la Romanclae super-ficielle.
Ces craintes ne se sont pas réalisées et les fouillespurent
êtreeffectuées en
grande partie
à sec, cequi
fut alors une source de bénéfices pour lesentrepreneurs. Ainsi,
là encore, il doit y avoirdes nappes
profondes,
circulant tout à faitindépendamment
du tor-rent de
surface, lequel
colmate son lit.Cette situation est
particulièrement
t nette à l’usine laplus
enaval,
celle deNoyer-Chut,
où laplaine
alluviale commence à s’élar-gir :
on m’a affirméqu’un puits
d’alimentation en eaupotable
decette usine
atteignait
une nappeprofonde captive qui, parfois,
enpériode
de fonte deneiges,
déborde par lamargelle
dupuits,
àplu-
sieurs mètres au-dessus du niveau de la Romanche.
5" La
plaine
de Vizille et les sources du Château de Vizille.J’ai été amené à étudier
l’hydrologie
souterraine de laplaine
deVizille à l’occasion d’un
projet d’aménagement hydroélectrique
dece tronçon inférieur de la vallée de la Romanche.
Ce
projet prévoyait
une dérivation sur la rive droite à Séchi-lienne,
en amont deVizille,
et une chute en aval de cette ville. Ainsi la Romanchesuperficielle,
dans sa traversée de laplaine
deVizille,
aurait été (( court-circuitée » et
partiellement
asséchée.Or,
immédiatement en amont deVizille,
sur la rivedroite,
émer-geant
de laplaine,
les fameuses « sources du Château )) donnent naissance à une véritable rivièrequi agrémente
le parc du Châteauet y alimente un établissement de
pisciculture.
Beaucoup
d’habitants de larégion
et enparticulier
lesdirigeants
de l’établissement de
pisciculture croyaient
à ce moment que lessources du Château étaient alimentées directement par des
infiltra-
tions de la Romanche
superficielle
à son entrée dans laplaine
deVizille,
en amont des sources. Onexprima
donc la crainte quel’aménagement hydroélectrique projeté,
tarissant la Romanchepré-
cisément dans cette
région,
fit larir les sources eu mêmetemps.
Pour trancher la
question, je
conseillai de creuser deuxpuits d’épreuve
dechaque
côté de la route nationale à son entrée dans laplaine,
au droit d’unéperon
rocheux de la rivedroite,
et dudépart
du « Canal des Martinets » dérivé de la Romanche. L’un de ces
puits
se trouvait entre la route et les sources lesplus
en amont,l’autre entre la route et la Romanche. Or, même dans ce dernier
puits, qui
n’étaitpourtant qu’à quelques
mètres de distance de larivière,
la nappe souterraine ne fut rencontréequ’à 3-4
mètresau-dessous du niveau de la Romanche.
Il
s’agissait
donc bien là d’une nappeprofonde,
d’un « sotis-écou- lement)) sans relation directe avec la Romanchesuperficielle.
Comme les sources de la Rive dans la
plaine
duBourg-d’Oisans,
lessources du Château de Vizille sont des
résurgences
d’un « Under-flmy )) alimenté par les écoulements lointains descendus des ver-
sants sur une
grande
distance en amont.IV. - RÉSUMÉ ET CONCLUSIONS GÉNÉRALES
Les
ingénieurs,
soucieux avant tout de réalisationspratiques
etimmédiates, se contentent d’ordinaire
d’apporter
tous leurs soins àla solution de
problèmes particuliers,
considérés isolément. Lesgéologues
aucontraire,
de par leur formation(et parfois
leur défor-mation)
intellectuelle etscientifique
cherchenttoujours
à établir desrègles
et desprincipes généraux ;
car ils estiment «qu’il n’y
a deScience que du
général
». Mais lesproblèmes
degéologie appliquée
à l’art de
l’ingénieur
ne conduisent que bien rarement à l’établis-sement de lois ou de
règles
tant soit peugénérales
etqu’il
est sou-vent
dangereux
de vouloirappliquer
sans discernement à tel ou telcas
particulier.
Lesproblèmes
étudiés ici constituent à cepoint
devue une rare et heureuse
exception,
et c’estpourquoi je m’y
suisattaché avec une
complaisance qui
apeut-être
lassé mes lecteurs.Et’j’en dégagerai
les conclusionsgénérales
suivantes :10 Nos vallées
alpines
montrent une succession de bassins rem-blayés
ou «plans
» alluviauxséparés
par des zones de «rupides
».Les extrémités aval de ces «
plans »
constituent naturellement des98
emplacements
toutindiqués
pour ledépart
de dérivations utilisant les chutes des «rapides » (").
20 Ces masses de remblaiement sont
schématiquement
constituées par deuxparties
deperméabilité
très différentes :a)
unepartie centrale,
axiale, peu.perméable,
formée par les allu- vions du cours d’eauprincipal, généralement
colmatant.1))
une «gaine
d’éboulis » et de cônes dedéjections, qui
revêt lesversants
rocheux
etdescend jusqu au
bed-rock dutalweg ;
ces maté-riaux, beaucoup plus perméables,
donnent asile à une ct nappe pro-fonde
», à un « sous-écoulement » totalementindépendant
du coursd’eau
principal qui
circule sur laplaine alluviale
et alimenté par desapports, parfois
trèslointains,
descendus des versants.3" Le débit de cette nappe
profonde peut être,
en certaines sai-sons, du même ordre que celui du cours d’eau
supernciel ;
il est entout cas
beaucoup plus régulier
et moins affecté par lesétiages
d’hiver.
f~° Si le
barrage prévu
à l’extrémité aval duplan
alluvial est unouvrage en
maçonnerie fondé
sur le rocher, ou unedigue
en terreou en enrochements avec un masque étanche descendant
jusqu’au
rocher, alors l’existence de la nappe
profonde
ne pose aucun pro- blème : elle sera barrée et dérivée.5" Mais si on se contente d’un
simple barrage
de dérivation.fondé
sur les alluvions et laissant passer en dessous de lui la nappeprofonde,
alorsl’équipement
etl’exploitation
de la dérivationdevront être basés sur des
jaugeages
du cours d’eausuperficiel
effec-tués à
l’emplacement
même de laprise
d’eau, et non enaval,
ni nonplus
sur desstatistiques pluviométriques
du bassin versant.6"
Si,
avec un telbarrage,
onenvisage
une retenue, même defaible hauteur
(5-10
mètres parexemple),
ons’expose
à noyer la base des éboulisperméables qui
revêtent les bords de laplaine alluviale,
au-dessus de la surface de
celle-ci ;
ces zones d’éboulis ainsinoyées
constitueront alors des voies
(I’iiï lii-alion particulièrement
aiséespour les eaux de la retenue,
qui risqueront donc,
même sous unetrès faible
charge,
de s’écoulerfacilement,
par cette «gaine
», dansla nappe
profonde
et de court-circuiter lebarrage.
(’~) Sur les cartes géologiques au T/8oûoû ces « plans )) alluviaux sont indiqués en
({ alluvions modernes » (lettre a2 et teinte très claire) ; un simple coup d’0153il sur ces cartes
permet donc de repérer immédiatement les emplacements qui se prêteraient ainsi à la
création de bassins de retenue.