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Perspectives et enjeux Nathalie Daley

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a diffusion des TIC et, plus particulièrement, le développement d’internet est censé transformer les règles de la concurrence dans l’industrie bancaire en modifiant, d’une part, les coûts de sortie des clients fidèles2 et en facilitant, d’autre part, la multibancarisation des ménages. Cette croyance repose sur deux arguments.

Le premier est qu’internet diminue les coûts de recherche des consommateurs. Cette gigantesque autoroute de l’information procure d’avantage d’informations aux consommateurs et leur permet de comparer plus aisément les différents produits et services bancaires. Ces derniers, auparavant biens d’expérience, deviennent des biens informationnels. Les consommateurs disposent d’information sur les attributs de chaque produit et peuvent choisir ceux qui satisfont au mieux leurs préférences. Le second argument est que les coûts de transaction des clients sont également réduits.

Les nouvelles banques virtuelles mettent en place des stratégies agressives d’acquisition de clients. D’une part, l’automatisation d’un certain nombre de

1. CERNA (Centre d’économie industrielle), Ecole nationale supérieure des Mines de Paris.

2. Les coûts de sortie peuvent être définis comme les coûts encourus par un client lorsqu’il change de banque : coûts de recherche des offres alternatives, coûts de transaction liés à la clôture et à l’ouverture de comptes, coûts psychologiques, etc.

L

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fonctions facilite le transfert d’information vers ces partenaires bancaires3. D’autre part, ces banques subventionnent les coûts de sortie des consommateurs. Elles mettent en place des départements dont la mission est de faciliter le changement et offrent parfois de l’argent pour attirer les clients.

Mais si les TIC peuvent être à l’origine d’un accroissement de la concurrence entre les banques, celles-ci peuvent également favoriser le pouvoir de marché de certaines banques traditionnelles et atténuer, in fine, les pressions concurrentielles. Ainsi, les banques traditionnelles mettent en place des stratégies multicanaux qui participent à l’accroissement des coûts de sortie de leurs clients. Les coûts de sortie sont en partie fonction du nombre de produits et de services détenus par un consommateur. En multipliant les services et en offrant des facilités de gestion identiques à celles offertes par les banques numériques, les banques traditionnelles cherchent à augmenter les coûts de sortie de leurs clients.

Les effets des TIC sur la concurrence entre firmes bancaires semblent alors contrastés : d’un côté, elles participent à l’intensification de la concurrence sur le marché bancaire en abaissant les coûts de sortie des clients et, d’un autre côté, elles offrent de nouvelles opportunités de diversification de la gamme des services à disposition de la clientèle et contribuent ainsi à renforcer le pouvoir de certains acteurs. L’objet de cet article consiste précisément à examiner les effets potentiels des TIC sur la concurrence dans l’industrie bancaire. Dans une première partie, nous rappelons les arguments des débats économiques articulés autour de l’impact des TIC sur les coûts de recherche et de transaction des clients bancaires. Dans une deuxième partie, nous proposons une méthode d’évaluation des coûts de sortie afin de répondre à la problématique de l’évolution de la concurrence dans le secteur bancaire. Enfin, dans une troisième et dernière partie, nous abordons un autre effet lié aux TIC : la multibancarisation.

Coûts de recherche, coûts de transaction et TIC : quelles relations ?

La numérisation des interfaces dans la distribution des produits et services bancaires suscite l’entrée de firmes non bancaires et de nouvelles firmes bancaires : sites d’informations financières, comparateurs de prix des produits bancaires, portails spécialisés, courtiers en ligne, banques entièrement numériques, etc. Les premières sont spécialisées dans la diffusion

3. Par exemple, les clients peuvent remplir et envoyer en ligne les formulaires de demande d’ouverture de compte.

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d’information aux consommateurs et contribueraient à la diminution des coûts de recherche. Les secondes offrent des produits bancaires à moindre coût et entraîneraient une baisse des coûts de transaction des clients. Nous allons successivement étudier ces deux arguments.

TIC et coûts de recherche

Traditionnellement, le processus de collecte de l’information sur les offres d’un marché est relativement laborieux et consommateur de temps.

Les consommateurs disposent de trois sources principales d’information. La première provient de la publicité que font les firmes pour renseigner les consommateurs sur leurs produits. Elle ne résulte donc pas d’une démarche volontaire des clients. Les journaux spécialisés constituent une seconde source d’information. Enfin, les consommateurs peuvent également s’engager dans une démarche plus active et se déplacer auprès de chaque banque pour obtenir des informations sur leurs produits et services. Dans ce contexte, les informations sur les offres des banques sont dispersées. Le recueil de renseignements est par conséquent coûteux tant en termes de temps que de déplacements. L’avènement d’internet modifie ce processus.

La diffusion d’internet s’est accompagnée de la création de nouvelles firmes dont l’activité principale est de collecter l’information. On peut distinguer deux grandes catégories de firme : les portails d’informations financières et les comparateurs de prix. Les premières agrègent de l’information consultable gratuitement par les internautes. Les secondes ont des activités plus développées. Certaines d’entre elles décryptent les offres et proposent aux internautes des fiches comparatives sur les différents produits bancaires, banque par banque, ainsi que des conseils en matière de gestion financière. D’autres vont plus loin dans le processus et proposent aux consommateurs de sélectionner la banque la plus compétitive pour un type de produit. Ces firmes se substituent aux consommateurs dans leurs activités de recherche. Par exemple, un client peut s’adresser à un comparateur de prix, comme meilleurtaux.com pour obtenir des conditions de financement favorables sur un crédit immobilier. Il remplit un questionnaire unique qui permet de connaître son profil de risque ainsi que ses préférences. Le site envoie ces informations à un bouquet de banques partenaires qui en retour lui adressent leurs propositions. L’internaute peut ensuite choisir parmi deux ou trois offres celle qui lui convient le mieux. Les temps de recherche et de comparaison sont considérablement réduits, l’internaute obtient instantanément ou sous 48 heures une proposition tarifaire.

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Ces firmes issues des TIC modifient ainsi le processus de recherche d’information et sont à l’origine :

– d’un accroissement de l’information disponible sur les produits et services bancaires. Les portails décryptent le contenu des offres bancaires et conseillent les clients. Les sites d’informations financières mettent à leur disposition une information en continu sur les marchés. Les clients sont plus indépendants vis-à-vis de leur banque ;

– d’une plus grande transparence des prix : les sites comparateurs de prix mettent directement en concurrence les établissements financiers. Ils agrègent, sur une page unique, les tarifs des différentes banques pour un même produit ou encore les mettent directement en concurrence sur un client.

En première analyse, l’accès à l’ensemble des informations à partir d’un point unique d’entrée, le web, réduit considérablement les coûts de recherche des consommateurs. Cependant, cette relation n’est pas si simple.

La quantité d’information sur internet est phénoménale, ce qui pose deux problèmes. Un consommateur peut éprouver des difficultés à trouver l’information pertinente dont il a besoin. Par ailleurs, cette profusion d’information provoque des problèmes de fiabilité. Une grande partie de l’information provient de firmes nouvellement créées qui ne sont pas toujours connues du grand public. Il est donc difficile pour un internaute de distinguer les sources crédibles de celles qui ne le sont pas. Enfin, les sites délivrent des informations sous différents formats, ce qui peut complexifier la comparaison des renseignements collectés.

TIC et coûts de transaction

Comme nous l’avons rappelé en introduction, internet représente une opportunité pour de nombreuses firmes de rentrer sur le marché bancaire.

Ces banques virtuelles bénéficient d’avantages en termes de coûts fixes sur les banques traditionnelles.

Pour préserver ces avantages, leur modèle, totalement virtuel le plus souvent, implique une forte automatisation d’un grand nombre de tâches et un traitement efficace de l’information. L’interface numérique de ces banques et l’automatisation des procédures tendent à réduire les coûts de transaction des consommateurs qui changent de banque. En effet, pour contenir leurs coûts, ces firmes mettent à disposition des clients la documentation sur les produits ainsi que les contrats directement sur leur

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site. Les clients n’ont plus besoin de se déplacer et peuvent gérer un grand nombre de procédures administratives de leur domicile (ou lieu de travail).

Par ailleurs, pour faciliter les procédures administratives des consommateurs, ces banques mettent en place des cellules spécialisées dans l’assistance au changement. Elles prennent en charge des procédures administratives coûteuses en temps comme la transmission des nouvelles coordonnées bancaires aux sociétés qui prélèvent automatiquement le compte du client.

Enfin, les banques virtuelles ont des stratégies offensives d’acquisition de client et n’hésitent pas à subventionner une partie des coûts de sortie des consommateurs. Elles offrent des primes à l’ouverture de compte (100 euros par exemple pour toute nouvelle ouverture de compte) et des services gratuits la première année pour compenser les pertes liées au changement (carte Visa gratuite par exemple). Ces stratégies concourent ainsi à la baisse des coûts de transaction inhérents au changement de banque. Néanmoins, ces stratégies reposent sur l’hypothèse que l’élasticité de la demande par rapport au prix est forte. Or, selon une étude4, il apparaît que si pour certaines firmes comme Amazon, les coûts d’acquisition s’élèvent à 40 $, ils passent à 400 $ pour les courtiers en ligne. Enfin, les TIC profitent également aux banques traditionnelles et leur permet, face à cette intensification de la concurrence, d’accroître les coûts de sortie de leurs clients.

Les stratégies multicanaux des banques traditionnelles permettent de multiplier les services et d’offrir les mêmes facilités aux clients que celles qui sont proposées par les banques virtuelles. Ces stratégies défensives visent à atténuer l’impact concurrentiel des nouvelles banques et surtout à renforcer les coûts de sortie des clients. Toutes choses égales par ailleurs, plus un client détient de produits et utilise les services de sa banque, plus ses coûts de substitution sont élevés. Offrir à un client la possibilité de gérer ses comptes à distance permet non seulement de réduire son incitation au changement, mais aussi d’accroître son panier de biens et services. Les TIC permettent aux banques de recueillir plus efficacement des données sur leurs clients. Grâce au traitement des données relatives aux comptes en ligne, les banques peuvent personnaliser les relations avec leurs clients et leur proposer des produits plus adaptés à leurs besoins. Selon ce principe, les TIC favorisent l’augmentation des coûts de sortie.

4. Mc Vey (2000).

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Une première solution pour évaluer l’impact des TIC sur les coûts de sortie consiste à examiner le comportement des internautes. La figure 1 suivante indique comment se répartit l’activité des internautes dans le secteur de la finance.

34%

6%

20%

42%

0%

5%

10%

15%

20%

25%

30%

35%

40%

45%

Banque Crédit Assurance

E-brokers Informations Total finance

Source : Netvalue France

Figure 1. Répartition de l’activité des internautes dans le secteur de la finance (mars 2001) Il ressort de ce graphique que seuls 42 % des internautes français interrogent internet pour des questions financières. La principale activité de ces internautes est la consultation des sites de banque (34 %). La consultation d’information ne vient qu’en seconde position (20 %). Contrairement aux idées reçues, internet apporte relativement peu de transparence, les consommateurs préfèrent se connecter directement aux sites des banques dont ils ont connaissance. Les taux d’audience des sites liés à la finance confirment cette tendance, les sites des banques traditionnelles viennent en première position. Le classement5 des sites les plus consultés montre que ce sont des acteurs comme le Crédit Agricole, la Caisse d’Epargne et la Société Générale qui ont le taux d’audience le plus élevé. Par conséquent, si internet permet potentiellement aux consommateurs de réduire leurs coûts de recherche, il apparaît que les problèmes de certification de l’information limite cet effet. Par ailleurs, près de 24 %6 de ces internautes réalisent des

5. Ce classement est établi par Netvalue France (mai 2002). Il concerne le secteur de la banque en ligne qui inclut tous les types de banque ainsi que les sites de crédits et d’assurance.

6. Source : Netvalue France, 2001.

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connexions sécurisées7 sur les sites consultés, ce qui indique qu’ils utilisent internet pour gérer leurs finances et non pour se renseigner. Il semble ainsi qu’internet n’entraîne pas une mobilité massive de la demande et que les internautes sont relativement peu butineurs. Aussi, l’impact des TIC sur la baisse des coûts de sortie apparaît limité. D’autres données8 tendent à montrer que les internautes bancaires sont principalement les clients des banques traditionnelles. Leur proportion est supérieure à celle des clients des banques virtuelles. Par conséquent, les TIC semblent davantage jouer en faveur des banques traditionnelles, ce qui tendrait à conforter l’idée que les coûts de sortie augmentent.

Pour vérifier cette hypothèse, nous proposons une méthode d’évaluation de ces coûts. La mesure ne porte que sur une seule année et donc ne permet pas d’étudier l’impact des TIC sur ces coûts. Néanmoins, elle permet d’apprécier l’ampleur des coûts de sortie et de montrer qu’ils sont particulièrement élevés malgré le développement des TIC. Nous apporterons également quelques éléments qui permettent de confirmer que les coûts tendent à augmenter.

L’évaluation des coûts de sortie

L’évaluation des coûts de sortie est une opération complexe. Il existe très peu de travaux sur ce sujet, particulièrement en raison de l’absence de données détaillées sur l’historique des comportements des consommateurs.

Les méthodes développées, jusqu’à présent, reposent sur des données agrégées de l’offre et font appel à des modèles complexes (Shy, 2002). La méthode présentée ci-après fait exception. Elle permet de calculer les coûts de sortie à partir de données sur les parts de marché des banques et leurs prix. Avant de calculer les coûts de sortie sur le marché français, nous exposons les principes de cette méthode.

Un modèle d’évaluation des coûts de sortie

L’une des principales conclusions des modèles théoriques est que la présence de coûts de sortie confère un pouvoir de marché aux firmes sur leurs clients et que ce pouvoir leur permet de tarifer au-dessus du coût marginal. Si cette relation est avérée, les prix des firmes incorporent et

7. Les banques sécurisent les pages qui permettent aux clients d’accéder à leurs comptes.

8. Selon les données issues des communiqués des banques traditionnelles et des banques virtuelles.

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reflètent en partie les coûts de sortie. Le modèle de Shy (2002) repose sur ce principe. L’objectif de cet auteur est de développer une théorie simple qui permette de relier les prix et parts de marché aux coûts de sortie qui sont inobservables. Sa méthode se veut simple et permet un calcul direct des coûts à partir de ces deux variables. Son modèle repose sur l’hypothèse que chaque firme sur un marché maximise son prix sous contrainte que ses concurrentes n’ont pas intérêt à offrir un prix inférieur pour subventionner les coûts de sortie de ses clients.

Shy considère un marché avec 2 firmes A et B qui tarifient respectivement leur produit aux prix pA et pB. Soit S > 0, le coût de sortie, Uα

l’utilité d’un consommateur qui a acheté un produit à la firme A et Uβ celle d’un consommateur qui a acheté à la firme B. L’utilité des consommateurs à la période suivante est donnée par :

Uαdef≡ −pA

pBS

 

d' acheter à A d' acheter à B Uβdef≡ −pAS

pB

 

d' acheter à A d' acheter à B

[1]

Soit nA, le nombre de clients de la firme A et nB celui de B à la période suivante. (1) implique que :

0 si

si si

0 si

si si

A B

A A B A B S

A B A B

B A

B B A B A

A B B A

p p S

n N p S p p

N N p p s

p p S

n N p S p p S

N N p p S

+

> +

 

=  − ≤ ≤

 + < −

> +

 

=  − ≤ ≤ +

 + < −

Shy suppose que les coûts de production des firmes sont nuls. Les profits de chaque firme sont donc fonction des prix et du nombre de clients :

(

,

) et

B

(

,

)

A

p p

A B

p n

A A

p p

A B

p n

B B

π = ⋅ π = ⋅

(9)

Shy se réfère à la propriété de l’équilibre de Nash pour déterminer les prix d’équilibre. Cette propriété est satisfaite si pour pBN ( pAN) et nB ( nA) donnés, la firme A (B) choisit un prix maximum tel que :

( ) ( )

( ) ( )

U U U

B B B A A B

U U U

A A A B A B

p n p S N N

p n p S N N

π π

= ⋅ ≥ − ⋅ +

= ⋅ ≥ − ⋅ +

Aucune des deux firmes ne peut augmenter son profit en fixant un prix inférieur. Ces inégalités peuvent être transformées en égalités et résolues pour déterminer les prix d’équilibre :

( ) ( )

( ) ( )

( ) ( )

( ) ( )

( ) ( )

( ) ( )

2 2

2 2

2 2

B B A A B

A A B A B

A B A B

U A

A A B B

A B A B

U B

A A B B

p n p S N N

p n p S N N

N N N N S

p N N N N

N N N N S

p N N N N

⋅ = − ⋅ +

⋅ = − ⋅ +

+ ⋅ + ⋅ ⋅

= + ⋅ +

+ ⋅ ⋅ + ⋅

= + ⋅ +

Shy généralise son modèle à N firmes et montre que les coûts de sortie peuvent être calculés à partir de ces prix. Soit I firmes sur le marché : I > 2.

Chaque firme envisage de baisser ses prix par rapport à une seule firme à la fois. Si la condition de l’équilibre de Nash est satisfaite, la firme qui a la base de clientèle la plus large est la plus rentable. En conséquence, la plus petite firme est celle qui est le plus incitée à baisser ses prix. Les firmes sont indexées par ordre décroissant de leurs parts de marché : N1> N2> ….> NI. Soit Si les coûts de sortie des consommateurs de la firme i. S est connu des firmes et des clients. Chaque firme fixe son prix maximal pi tel que :

( ) ( )

( ) ( )

I I I i i i I

I I i i i I

I I

i i

i I

p N p S N N p N p S N N S p N p

N N

π = ⋅ ≥ − ⋅ +

⋅ = − ⋅ +

= − ⋅ +

Chaque firme i maximise son prix pi de sorte que I, la plus petite firme, n’a aucun intérêt à baisser son prix. Tous les prix sont observés, on peut

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alors résoudre pour obtenir une expression des coûts de sortie des clients de chaque firme : Si. Les coûts de sortie sont fonction des prix respectifs de i et I et de leurs parts de marché. Si on suppose que la plus petite firme I est la proie de la plus grande firme i, on peut facilement exprimer les coûts de sortie des clients de cette dernière.

( ) ( )

( )

I I I i i I i

i i

I I

I i

p N p S N N S p N p

N N

π = ⋅ ≥ − ⋅ +

= − ⋅ +

L’évaluation empirique des coûts de sortie sur le marché français

Pour appliquer la méthode de Shy sur le marché français, il est nécessaire de déterminer le prix considéré dans le modèle. A la suite de Shy, nous considérons le marché des dépôts9. Le compte courant est un produit structurant des relations entre les banques et leurs clients. Il existe des liens structurels entre les différents contrats passés entre une banque et un client et les comptes courants car la gestion de ces contrats génère des écritures sur ce compte. Ce dernier constitue donc le pivot de la production jointe de produits et services financiers. Par conséquent, nous choisissons d’évaluer les coûts de sortie liés au compte courant. En France, la tarification des dépôts est singulière. Aussi, il nous est impossible de considérer des variables comme le taux de rémunération des dépôts sur compte courant, les frais de tenue de compte10, ou encore la tarification des chèques. Etant donné le taux d’équipement des clients des banques considérées dans l’analyse, nous utilisons le prix d’une carte bancaire Visa internationale à débit immédiat11 pour évaluer les coûts de sortie. Le tableau ci-après

9. Il est possible de calculer les coûts de sortie liés à d’autres produits comme les crédits. Cependant, la mesure des coûts de sortie associés aux crédits pose d’importants problèmes de méthode. Il est particulièrement difficile d’isoler les trois facteurs considérés par les banques pour tarifer les crédits : les coûts de la banque, la prime de risque et les coûts de sortie.

10. Seule la Poste tarifie des frais de tenue de compte.

11. Les résultats de l’estimation font apparaître le niveau de coût moyen des clients d’une banque. Pour limiter les biais, nous utilisons le prix des cartes pour deux raisons. La première est qu’il est nécessaire de prendre en considération un produit détenu par l’ensemble des clients. Or, les clients des banques considérés détiennent en moyenne une carte. La seconde est que la méthode suppose que les coûts sont nuls. Ce produit est tarifé ad valorem. Ce mode de tarification ne repose pas sur les coûts marginaux des banques, mais sur la valorisation des clients pour les services.

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présente les données utilisées pour l’estimation. Quatre banques traditionnelles (« Banque ») ainsi que quatre banques virtuelles généralistes (« Virtuelle ») sont incluses dans le calcul. Nous considérons les prix payés par les clients à l’année. Lorsqu’un client change de banque, il ne devrait pas comparer le prix à l’année d’un produit, mais la somme actualisée de ce prix puisque généralement le changement n’a lieu qu’une fois à cause des coûts de sortie. Nous actualisons cette somme sur la base d’un taux de 4,7 %.

Banque 1 Banque 2 Banque 3 Banque 4 Virtuelle 1 Virtuelle 2 Virtuelle 3 Virtuelle 4 Comptes fin

(2001) 5 300 000 4 400 000 4 200 000 588 373 240 000 200 000 160 000 70 000 Prix

actualisé 674 660 681 637 479 617 511 159

Source : Données des banques et calculs de l’auteur

Tableau 1. Nombre de comptes et prix actualisé des banques

Les résultats confirment que les coûts liés au compte courant sont élevés aussi bien pour les clients des banques traditionnelles que pour ceux des banques virtuelles. Pour les banques traditionnelles, ils s’élèvent en moyenne à 657 euros, ce qui équivaut à 11 % du solde moyen détenu sur compte courant. L’élasticité de la demande par rapport au prix est faible. Or, la rentabilité des nouveaux entrants dépend étroitement de leurs capacités à capturer des clients. En conséquence, le niveau de coûts de sortie des clients des banques traditionnelles explique en partie la faiblesse des résultats de ces firmes. Mais, il faut noter que la méthode utilisée donne le niveau moyen de coûts de sortie des clients d’une banque. En réalité, les clients d’une même banque ont des coûts hétérogènes et par conséquent des sensibilités au prix différentes, ce qui permet quand même aux banques virtuelles d’attirer certains d’entre eux.

Banque 1 Banque 2 Banque 3 Banque 4 Virtuelle 1 Virtuelle 2 Virtuelle 3 Virtuelle 4 Coûts de

sortie (€) 672 657 678 621 443 576 462 0

Source : Auteur

Tableau 2. La mesure des coûts de sortie

Les résultats montrent également que les coûts de sortie des clients des banques virtuelles sont élevés et se montent en moyenne à 370 euros. Ce résultat suggère que les TIC n’entraînent pas une baisse de ces coûts et que

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ces banques ont également un pouvoir de marché sur leurs clients. La banque virtuelle 4 fait exception. L’absence de pouvoir de marché de cette banque peut s’expliquer par les problèmes de confiance des clients qui créent un coût de sortie non calculable directement. Cette dimension de la relation bancaire est très importante, les clients confient difficilement leur argent à des firmes inconnues. Or, la banque virtuelle 4 est la seule banque de l’échantillon qui ne soit pas rattachée à une marque connue, ce qui peut expliquer qu’elle soit dans l’obligation de subventionner d’autant plus les coûts de sortie des clients en pratiquant des prix très bas pour les inciter à changer. Etant donné que dans cette méthode les coûts sont estimés à partir des prix, il est naturel que les coûts de sortie des clients de cette banque soient très faibles ou nuls.

Ces résultats suggèrent que, contrairement aux idées reçues, les TIC sont à l’origine d’un accroissement des coûts de sortie et non d’une baisse.

L’étude des tarifs bancaires pour les années 2002 et 2003 révèle que les prix des banques traditionnelles évoluent à la hausse alors que ceux des banques virtuelles sont constants. Or, si les coûts de sortie ont effectivement baissé, on peut s’attendre à ce que cette baisse soit reflétée dans les nouveaux prix des établissements traditionnels. Cette tendance à l’accroissement des prix confirme donc que les coûts de sortie n’ont pas diminué au contraire.

Cependant, il est difficile de conclure que la concurrence ne s’intensifie par sur le marché bancaire de détail. Si les TIC ne réduisent pas les coûts de sortie, elles peuvent favoriser les comportements multibancaires des clients.

TIC et multibancarisation des clients

On parle de multibancarisation lorsqu’un client disperse ses produits bancaires et qu’il entretient des relations avec plusieurs établissements. La multibancarisation n’est pas un phénomène nouveau, mais les TIC sont un facteur potentiel d’accroissement des comportements multibancaires. Cette intuition est liée aux performances des banques numériques spécialisées et des courtiers en ligne. Par exemple ING Direct, spécialisée dans l’épargne, compte 240 000 clients après deux ans d’existence pour 5 milliards d’euros de dépôts sur les seuls livrets d’épargne. De même, les 19 membres de l’association des courtiers en ligne gèrent 670 000 comptes (fin septembre 2002), ce qui représente 13 % des ordres exécutés sur le marché français.

Ces exemples suggèrent que le développement d’internet s’est accompagné d’une augmentation de la multibancarisation des ménages. Or, étant donné l’organisation industrielle française dominée par les banques généralistes, la relation monobancaire, une seule banque par client, devrait

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dominer. La consommation jointe de produits permet de minimiser les coûts de transaction et de gestion d’autant plus que les liaisons entre les produits bancaires sont particulièrement fortes. Un client qui se multibancarise supporte par conséquent des coûts plus élevés. Il subit des coûts de transfert d’une banque à l’autre pour gérer ses différents produits. Malgré ces coûts, le taux de multibancarisation augmente (2,1), ce phénomène semble lié aux TIC.

Nous avons vu au début de cet article qu’avec internet les consommateurs ont accès à plus d’information, ce qui tend à réduire leurs coûts de recherche. Cette diminution des coûts de recherche peut potentiellement inciter des clients auparavant monobancaires et peu informés à adopter des comportements multibancaires. Les clients auparavant multibancaires bénéficient également d’opportunités supplémentaires de rémunération de leurs liquidités. Une étude récente d’Accenture12 montre que près de 30 % des clients aisés (revenus personnels supérieurs à 91 000 euros) entretiennent des relations avec plus de trois banques. Ce phénomène est d’autant plus probable qu’internet agit sur d’autres sources de coûts faisant partie intégrante de l’utilité de l’épargnant.

L’utilisation d’internet réduit également les coûts de transaction des clients.

Ils peuvent, sans se déplacer, consulter l’ensemble de leurs comptes, les gérer et contracter des produits d’épargne à tout moment. Ces nouveaux services facilitent le suivi et les transferts entre les comptes et produits situés dans différents établissements. Par ailleurs, les banques virtuelles participent activement à la baisse des coûts de transfert en prenant en charge une partie de ces coûts. Elles ne tarifient pas les flux sortants des clients vers leurs autres partenaires bancaires.

Dans le cas particulier des courtiers, les coûts sont d’autant plus réduits.

Le client peut librement suivre l’évolution de son portefeuille et des marchés et surtout acheter et vendre en temps réel ses actions, ce qui n’est pas le cas lorsque les ordres sont passés en agence. Les agences regroupent l’ensemble des ordres avant de les passer, le client ne peut donc pas dénouer sa position en tant réel, ce qui peut jouer sur le prix de revente ou d’achat. Les coûts de passation d’ordres sont également réduits suite à l’entrée de courtiers en ligne qui offrent des tarifs plus compétitifs que les banques traditionnelles.

Ces courtiers proposent également un accès permanent à des informations, des conseils financiers, des cours boursiers actualisés, des analyses graphiques, voire des conseils juridiques ou fiscaux. Les coûts d’information

12. « La population aisée et la banque : le dernier enjeu de la banque de particuliers », Accenture, mars 2002.

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des épargnants diminuent considérablement. Ils bénéficient d’information et d’outils d’aide à la décision auparavant réservés à des professionnels.

Ces changements se traduisent par une démocratisation des produits actions. Après avoir stagné durant les années 90, le nombre de détenteurs d’actions augmente de 17 % sur la période 1999/200113. Cette baisse des coûts encourage des ménages à moyens revenus à diversifier leur portefeuille en actions. Le taux de détention en actions de cette catégorie passe ainsi de 13,8 % en 1999 à 17,2 % en 2001. L’engouement pour ces produits financiers s’accompagne, dans le même temps, d’une multibancarisation d’une partie des clients : 13 % des clients recourent exclusivement aux courtiers en ligne et 16 % d’entre eux utilisent à la fois les services de leurs banques et des courtiers. Les modifications des préférences des particuliers révèlent donc une certaine élasticité de la demande par rapport au prix en produits d’épargne. Cette sensibilité au prix est liée à l’augmentation des taux de rémunération des comptes épargne et à la baisse des coûts de transaction et de gestion.

Enfin, ces comportements multibancaires sont facilités par la baisse des coûts d’interconnexion des produits dispersés auprès de plusieurs établissements bancaires. De nouveaux logiciels apparaissent sur le marché qui restituent les avantages associés à la monobancarité. Ils permettent aux clients d’agréger l’ensemble des positions de leurs produits et de leurs engagements sur une page internet unique. Le client peut ainsi visualiser l’ensemble de ses placements de la même manière que s’il entretenait des relations avec une seule banque. Ces logiciels sont encore peu proposés en France14 car les banques traditionnelles s’opposent à leur diffusion. Il est donc difficile d’estimer le taux d’adoption des clients. Ils devraient, néanmoins, remporter un certain succès, en premier lieu auprès de la clientèle déjà multibancaire, mais pourraient également inciter de nouveaux clients à se multibancariser, la gestion des produits étant largement simplifiée par ce type de logiciels.

Conclusion

Contrairement aux idées reçues, les TIC n’entraînent pas une baisse des coûts de sortie. Ces coûts sont élevés que ce soit pour les clients des banques

13. On compte 6,1 millions de détenteurs d’actions cotées en 2001 (Taylor Nelson Sofres). 11 % de ces détenteurs utilisent internet pour gérer leur portefeuille et 7 % pour réaliser des transactions.

14. Aux Etats-Unis 1 million de clients utilisent déjà les services d’agrégation.

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traditionnelles ou ceux des banques virtuelles. L’accès à l’information et la baisse des coûts de transaction ne se traduisent pas par une mobilité accrue des ménages. Cependant, l’impact des TIC sur les relations bancaires est loin d’être nul. La numérisation participe activement aux comportements multibancaires. Elle agit principalement sur les limites de ces comportements : les coûts de multibancarisation. Non seulement elle rationalise ces comportements, mais elle incite un plus grand nombre de clients à se multibancariser. Les consommateurs sont de mieux en mieux informés à moindre coût et peuvent simplifier la gestion de leurs produits financiers en les gérant via internet. Ces résultats ne permettent pas à ce stade d’inférer quelle influence ont ces comportements sur l’intensité concurrentielle sur le marché bancaire de détail. Il serait donc intéressant de prolonger cette recherche pour examiner plus finement à qui profite la multibancarisation des ménages.

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Références

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