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Jean-Pierre Jeancolas, historien du cinéma français ( )

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Revue de l'association française de recherche sur l'histoire du cinéma

 

84 | 2018 Varia

Jean-Pierre Jeancolas, historien du cinéma français (1937-2017)

Homage to Jean-Pierre Jeancolas, film historian Omaggio a Jean-Pierre Jeancolas, storico del cinema Michel Marie

Édition électronique

URL : https://journals.openedition.org/1895/6087 DOI : 10.4000/1895.6087

ISSN : 1960-6176 Éditeur

Association française de recherche sur l’histoire du cinéma (AFRHC) Édition imprimée

Date de publication : 1 avril 2018 Pagination : 132-141

ISSN : 0769-0959 Référence électronique

Michel Marie, « Jean-Pierre Jeancolas, historien du cinéma français (1937-2017) », 1895. Mille huit cent quatre-vingt-quinze [En ligne], 84 | 2018, mis en ligne le 01 avril 2021, consulté le 06 janvier 2022. URL : http://journals.openedition.org/1895/6087 ; DOI : https://doi.org/10.4000/1895.6087

© AFRHC

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Les Amants de demain(Marcel Bliste`ne, 1959) avec Edith Piaf et Armand Mestral

The´re`se Desqueyroux(Georges Franju, 1962) avec Philippe Noiret et Emmanuelle Riva

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Jean-Pierre Jeancolas, historien du cine´ma franc¸ais (1937-2017)

par Michel Marie

Lors du colloque « Histoire du cine´ma, nouvelles approches » (Cerisy, 1985), Jean-Pierre Jeancolas avait intitule´ son intervention « Un bilan navre´ de l’histoire du cine´ma franc¸ais », bilan en effet critique et lucide de l’e´tat de cette histoire au de´but des anne´es 1980. Il y distinguait trois e´tapes, comme autant de limites me´thodologiques : celle des pionniers – de Maurice Barde`che et Robert Brasillach a`

Jean Mitry (1935-1955) –, prisonniers de leur de´sir d’encyclope´disme, de leur me´moire et de leur travail individuel, la plupart du temps fonde´ sur l’expe´rience du journalisme et de la critique ; celle de l’expansion des approches monographiques lie´es a` la politique des auteurs au cours des anne´es 1960, enfin celle du balisage des corpus qui apparaıˆt vers 1975 avec les catalogues de Raymond Chirat pour la production franc¸aise par de´cennies a` partir des anne´es 1930 et les vastes entreprises de constitution de filmographies exhaustives, comme celles d’Henri Bousquet sur l’ensemble de la production Pathe´

des origines aux anne´es 1920. Jeancolas mettait alors l’accent sur les tentatives nouvelles qui pouvaient ame´liorer la situation de la recherche franc¸aise : l’organisation de re´trospectives permettant de de´couvrir de nouveaux films au-dela` des limites du panthe´on habituel, le travail d’inventaire, de sauvegarde et restauration des cine´mathe`ques et archives. Ce constat e´tait assez lucide, en effet, mais depuis 1985, plus de 30 ans ont passe´ et tout semble avoir radicalement change´ dans ce domaine. Cette me´tamor- phose est contemporaine de la cre´ation et du de´veloppement de l’AFRHC, cre´e´e en 1984 par le triumvirat Jeancolas-Gili-Pinel et les de´buts du modeste bulletin de l’association devenu par e´tapes une revue plus imposante, et plus encore la publication de quelques dizaines d’ouvrages qui n’ont plus a`

rougir si on les confronte avec leurs homologues publie´s par les e´ditions anglaises, ame´ricaines, italiennes ou espagnoles. Jeancolas a joue´ lui-meˆme un roˆle de premier plan dans cette redynamisation de la recherche sur le cine´ma franc¸ais comme en te´moignent ses deux livres publie´s en 1977 et 1983 et sa synthe`se didactique en 1991.

Jeancolas a e´te´ professeur d’histoire en lyce´e, animateur de cine´-clubs, au sein de la Maison de la culture de Cre´teil en particulier, et il a de´bute´ comme critique dans Jeune Cine´ma, revue de la fe´de´ration Jean Vigo de 1965 a` 1971, puis Positif (depuis 1971) et enfin l’hebdomadaire Politis a`

partir de 1988. Ses deux premie`res publications sont lie´es a` des re´trospectives de la Maison de la culture de Cre´teil, « Les Franc¸ais et leur cine´ma 1930-1939 », puis « 1969-1974 », deux de´cennies qu’il approfondit dans ses deux livres publie´s chez Stock,le Cine´ma des Franc¸ais, la VeRe´publique, 1958- 1978en 1979, et15 ans d’anne´es trente : le cine´ma des Franc¸ais, 1929-1944en 1983.

Lorsque le premier est publie´ en 1979, les histoires du cine´ma franc¸ais disponibles sont rares et anciennes. C’est encore le livre de Georges Sadoul, publie´ chez Flammarion en 1962, qui est la re´fe´rence principale. Le seul titre nouveau est celui de Francis Courtadeles Male´dictions du Cine´ma franc¸ais(1978) qui peut eˆtre conside´re´ comme l’un des mode`les historiques de Jeancolas par son retour

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aux archives. Il faut remarquer que la chronologie des publications lie´es a` Cre´teil et celle des deux livres Stock est inverse´e. La plaquette initiale de 1973 est consacre´e au cine´ma des anne´es 1930, elle intervient a` l’issue d’uneCine´-cure, elle sera reprise et comple´te´e en 1983 par15 ans d’anne´es trente.

C’est le cine´ma des « anne´es Pompidou » qui est l’objet du premier livre, ce qui indique bien la continuite´ du travail de l’historien reprenant et comple´tant celui du critique dans la presse cine´philique (Jeune Cine´mapuisPositif).

Ce premier volume expose les principes me´thodologiques et propose une segmentation en pe´riodes lie´es a` la double de´cennie puisque le livre e´tudie la production franc¸aise des de´buts de la Nouvelle Vague (1958) au quatre premie`res anne´es du septennat de Giscard (1978). Le « Cine´ma des Franc¸ais », (celui de la Ve Re´publique puis celui de 15 ans d’anne´es 1930) se distingue du « cine´ma franc¸ais », syntagme plus traditionnel repris dans la synthe`se didactique publie´e d’abord par l’auteur dans la plaquette du groupement national des cine´mas de recherches puis dans le petit volume de la collection

« 128 » chez Nathan puis Armand Colin (Histoire du cine´ma franc¸ais, 1991). L’expression est tre`s claire : l’objet de l’e´tude est bien le cine´ma que les Franc¸ais voient massivement en salles, et non les quelques dizaines ou centaines de films se´lectionne´s par les critiques et les historiens. Jeancolas aborde donc le tout venant de la production, les films en teˆte du box-office mais aussi les films les plus me´diocres, tels ceux des Charlots ou les pornos soft ante´rieurs a` 1975. Il pre´cise ainsi sa de´marche dans la pre´sentation de la plaquette de 1974 sur les anne´es Pompidou :

Les pages qui suivent de´veloppent une se´rie d’articles parus dans la revue Jeune Cine´ma. Elles rassemblent les e´le´ments d’une re´flexion sur un certain nombre de films franc¸ais, qui ont tous en commun d’avoir e´te´ vus par un grand nombre de spectateurs, c’est-a`-dire d’avoir fait l’objet d’une exploitation a` Paris, dans la pe´riphe´rie parisienne, et en province. Ces films sont sortis au cours des cinq dernie`res anne´es. Je n’ai pas vu tous les films franc¸ais de ces cinq dernie`res anne´es, donc le sujet ne sera pas ici e´puise´. Il le sera d’autant moins que j’avance, il faut l’avouer, sans me´thode rigoureuse : je n’ai pas mis au point la grille-miracle qui permettrait l’approche sociologique d’un cine´ma national donne´

pendant une pe´riode donne´e. Cette approche est difficile pour une pe´riode demi-lointaine de l’histoire du cine´ma (les quatre anne´es de Vichy, par exemple), elle l’est plus encore pour une pe´riode contemporaine : les historiens ont en effet de´ja` analyse´ les grands traits de la socie´te´ de Vichy, alors que nous en sommes seulement a` des travaux de journalistes, estimables mais souvent contradictoires, pour les anne´es Pompidou.

Le volume de 1979 reprenant cette plaquette initiale marque une nette avance´e dans la me´thode suivie. Ces anne´es Pompidou (1969-1974) sont inte´gre´es dans une pe´riode plus large qui va des anne´es 1958 a` 1978, encadrant la premie`re par les anne´es 1960 et celles du libe´ralisme avance´ apre`s 1974.

Les deux volumes de Jeancolas s’appuient sur un plan identique partant d’une mise au point sur les infrastructures et le roˆle de l’E´tat puis proposant des pe´riodisations successives et une approche des films dans ce cadre. Pour les anne´es 1958-1978, elles sont au nombre de trois : le cine´ma du re`gne, celui de De Gaulle (1958-1969), les anne´es Pompidou (1969-1974), puis Un cine´ma libe´ral avance´

(1974-1978) s’appuyant donc sur des crite`res politiques avec la succession des pre´sidences de Gaulle-

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Pompidou-Giscard. Les anne´es 1930-1944 se de´clinent en cinq phases : le passage au parlant (1929- 1932), « les anne´es me´diocres » (1932-1935), le Front populaire (1935-1937), les anne´es Daladier (1937-1940), enfin la France occupe´e (1940-1944). Ce volume affiche une the`se qui conside`re que l’anne´e 1940 ne constitue pas une rupture dans le cine´ma franc¸ais puisque, pour Jeancolas, le cine´ma de l’Occupation, dans la grande majorite´ des films re´alise´s, ne fait que prolonger celui des anne´es 1930, et justifie le titre provocateur de15 ans d’anne´es trente. D’ou` l’originalite´ de la segmentation des anne´es Daladier de 1937 a` 1940 comme pre´lude aux modifications structurelles apporte´es par les re´formes de l’industrie cine´matographique en 1940.

Le premier volume portant sur la VeRe´publique teste la me´thode. La partie introductive souligne le roˆle de l’E´tat en se re´fe´rant aux politiques mene´es par les directeurs successifs du CNC et la mise en place de l’avance sur recettes en 1959. Celle-ci aide en moyenne 40 films par an soit pre`s de 800 films pendant ces deux de´cennies. Cette politique de l’E´tat se manifeste e´galement par les mesures de censure dont Jeancolas rappelle les e´tapes avec quelques affaires successives, celle desLiaisons dange- reusesen 1960, dela Religieuseen 1966, celle d’Histoire d’Aen 1974, puis la libe´ralisation radicale de la commission de controˆle en 1974 ayant pour conse´quence le « temps des films ‘‘X’’ ». Le cine´ma de la pe´riode est analyse´ par rapport a` l’e´conomie de marche´ avec les transformations des parcs de salles, leur modernisation et l’apparition des multiplexes. Jeancolas pose alors la question du sens du succe`s d’un film en confrontant les carrie`res desChinois a` Paris, desValseuseset de la Femme de Jean, soulignant l’e´chec relatif du film de Jean Yanne par rapport a` son budget promotionnel et le nombre de salles ou` il est programme´ en premie`re semaine.

La partie sur le cine´ma du re`gne, celui du Ge´ne´ral, a le me´rite de relativiser l’importance de la Nouvelle Vague et de l’inscrire dans la production globale des anne´es 1960. Jeancolas remarque qu’il n’y a pas de vrai cine´ma « gaullien » en-dehors de rares films commeBabette s’en va en guerreet deParis bruˆle-t-il ?. Il note la survivance du cine´ma de genre comme celui de cape et e´pe´e qui se prolonge avec les Ange´lique et du cine´ma d’espionnage populaire avec les Coplan et les OSS 117 puis le virage parodique du genre policier a` partir duMonocle noir (Lautner, 1961). Dans le chapitre « Le pre´sent quand meˆme », le cine´ma des guerres coloniales est aborde´ a` partir de la317esection et de la question alge´rienne. Jeancolas constate alors qu’un rapport nouveau au cine´ma apparaıˆt :

Le « Cine´ma des Franc¸ais » e´clate ; apparaissent des cine´mas et des Franc¸ais, qui parfois se rencontrent, au gre´ d’affinite´s ide´ologiques. La France officielle, c’est-a`-dire la France du pouvoir, mais aussi pendant longtemps la France des partis de gauche et des syndicats, masquait ou minimisait l’e´cho de la guerre. Les e´tudiants, les jeunes en ge´ne´ral, menace´s dans leur travail, voire dans leur vie, e´cœure´s par les informa- tions qui filtraient sur la conduite meˆme des ope´rations d’Alger a` Tamanrasset, voulaient plus. Ils e´taient une ge´ne´ration du cine´ma, et presque seulement du cine´ma. (p. 158)

D’ou` l’apparition du « cine´ma paralle`le », la diffusion de courts me´trages militants commeJ’ai huit anset d’Octobre a` Paris en 1962. Et l’auteur apporte un te´moignage personnel sur la re´ception du Combat dans l’ıˆled’Alain Cavalier, vu a` Dijon en septembre 1962 : « enfin un film qui, a` peu de choses pre`s, nous parlait de nous. » (p. 162).

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Le cine´ma des anne´es Pompidou se caracte´rise par l’effacement progressif de la cate´gorie du

« contemporain vague » propose´e pour la de´cennie ante´rieure et le cine´ma de l’Occupation. Les Franc¸ais apparaissent dans les films au cours des anne´es 1970, meˆme si le cine´ma issu des mouvements post-soixante-huitards s’efface tre`s vite. Toutes les affaires qui marquent l’actualite´ politique comme celles de la Villette ou de la Garantie foncie`re « dessinent une trame dont sce´naristes et cine´astes s’emparent de plus en plus volontiers. A` l’image des cine´mas italiens ou ame´ricains, le cine´ma franc¸ais se fait miroir de l’e´poque. Pas un tre`s bon miroir. Un miroir qui souvent re´fle´chit droˆlement, de´forme, enjolive, ou pour employer un mot qui fit fortune a` l’e´poque, re´cupe`re » (p. 183). Il oppose, dans le chapitre sur l’ide´ologie, les films proˆnant l’inte´gration, comme les come´dies de Pierre Richard ou l’He´ritierde Philippe Labro, aux films de´viants comme ceux de Bertrand Tavernier ou Jean Charles Tacchella. Plus loin, Jeancolas e´voque un cine´ma de la Ligue des droits de l’homme, tels ceux de Costa-Gavras et d’Yves Boisset et ceux du programme commun commeBeau Masque(Bernard Paul) etNada(Chabrol). Il insiste sur la repre´sentation de la France contemporaine et de son paysage social, citant celle de la province dans les films de Chabrol et la figure de Michel Bouquet comme mode`le du bourgeois de l’e´poque Pompidou. Ce phe´nome`ne va de pair avec une prise en charge de l’histoire dont te´moignent le Chagrin et la pitie´ et les films re´unis dans la mode re´tro autour de Lacombe Lucien.

Le cine´ma libe´ral avance´ qui de´bute en 1974 est un cine´ma paradoxal car il conjugue une augmentation du nombre de films produits, pre`s de 1 000 longs me´trages entre 1974 et 1978 dont la sortie commerciale est de plus en plus courte et dont la plupart ont bien du mal a` trouver un public suffisant. Le nombre de premiers films explose e´galement avec 190 nouveaux re´alisateurs en six ans de 1970 a` 1975. Le phe´nome`ne est accentue´ en 1975 avec le de´ferlement des films pornographiques poste´rieur au triomphe commercial d’Emmanuelle(1974) et celui d’Exhibition(1975), diffuse´s dans les circuits prestigieux jusqu’a` la re´forme fiscale qui introduit la classification « X ». Mais le cine´ma libe´ral avance´ est aussi celui des come´dies militaires dont la re´surgence est spectaculaire a` partir desBidasses en folie(Claude Zidi) avec les Charlots en 1975 et des se´ries de Robert Lamoureux commela Septie`me Compagnie au clair de lune, des « films de vieux », selon Jeancolas, avec des acteurs comme Pierre Mondy, Pierre Tornadre, Jean Lefebvre ou Lamoureux. C’est aussi un cine´ma d’acteurs autour d’Annie Girardot et d’Alain Delon que l’on retrouve de films en films deMourir d’aimer (Cayatte, 1970) a`Tendre Poulet(de Broca, 1978) pour la premie`re, et dela Race des seigneurs(Granier-Deferre, 1974) a`Mort d’un pourri(Lautner, 1977) pour le second. Ce cine´ma libe´ral e´voque tous les proble`mes de socie´te´, les questions sociales, comme le choˆmage ou le suicide, les questions fe´minines, les proble`mes d’ame´nagement du territoire, de l’urbanisme, le sort des e´migre´s.

Ces analyses sont accompagne´es de soixante filmographies de cine´astes donne´es de la page 293 a`

474 allant de Rene´ Allio a` Henri Verneuil, te´moignant encore de la rarete´ de ces re´fe´rences dans la documentation cine´matographique en 1983, ce qui n’est e´videmment plus du tout le cas depuis les sources nume´riques et internet.

Ce premier livre est marque´ par l’influence de la de´marche critique et la pre´dominance de l’approche socio-e´conomique ; il te´moigne e´galement de l’absence du recul historique ne´cessaire a` la synthe`se et a` l’interpre´tation des donne´es. C’est pour cette raison que le second livre de Jeancolas

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consacre´ au cine´ma des Franc¸ais de 1929 a` 1944 fait preuve d’une capacite´ analytique mieux maıˆtrise´e et plus approfondie.

Quand il e´tudie la pe´riode qui va des de´buts du parlant a` la Libe´ration apre`s cinq anne´es d’Occupation, Jeancolas n’est pas dans la meˆme position de chercheur que lorsqu’il aborde les anne´es Pompidou. Ne´ en 1937, il n’a pu voir les films de cette pe´riode que lors de projections re´trospectives et non au rythme de leurs sorties initiales. Il be´ne´ficie e´galement des e´tudes de ces quinze anne´es e´labore´es par les historiens ge´ne´ralistes dont il connaıˆt bien les travaux, tels Pascal Ory pour les anne´es 1930 ou Robert Paxton et Stanley Hoffmann pour l’Occupation, mais aussi des historiens du cine´ma qui l’ont pre´ce´de´, comme Georges Sadoul, Raymond Borde, Francis Courtade, Jacques Siclier et quelques autres. S’il a vu les films de 1958 a` 1978 semaine apre`s semaine, il a be´ne´ficie´ des pro- grammations desCine´-cures, des cine´mathe`ques et des festivals qui ont permis de rede´couvrir un tre`s grand nombre de films retrouve´s et restaure´s de cette pe´riode dont la production totalise 1 525 films environ. Il peut s’appuyer e´galement sur les travaux filmographiques de Raymond Chirat auquel il ne manque pas de rendre hommage dans son livre. Les recherches comme celles de Roger Icart lui permettent d’analyser en de´tails les conditions de passage au parlant au sein du cine´ma franc¸ais dans sa partie introductive consacre´e aux infrastructures, de de´crire la strate´gie de la Paramount a` Joinville et ses impasses, et l’efficacite´ de celles des producteurs et techniciens allemands qui de´veloppent les tournages et les co-productions avec le cine´ma franc¸ais, comme la Tobis a` E´pinay et l’ACE a` Paris.

Il peut faire le point sur le processus de de´composition des socie´te´s G.F.F.A. et Pathe´-Natan jusqu’a`

leurs faillites au cours de la de´cennie. L’E´tat intervient le moins possible dans la vie e´conomique des films et ne s’en pre´occupe que pour controˆler les contenus du point de vue politique et moral.

Jeancolas de´montre comment le parlant a permis la re´novation du parc de salles et a stimule´ la production de films de premie`re partie, courts me´trages musicaux comme des courts films de fiction et des documentaires. Il de´crit fort bien la production des actualite´s filme´es et leur programmation dans les circuits de salles spe´cialise´es comme les Cine´acs qui les passaient en boucle. L’un des points forts de son livre est un de´pouillement minutieux de la presse de l’e´poque, tant les publications corporatives que ge´ne´ralistes, qui lui permet d’apporter de nombreux te´moignages sur la xe´nophobie et l’antise´mitisme quasi ge´ne´ralise´s des professions cine´matographiques. En ce sens, il est vrai que le cine´ma des anne´es 1930 pre´figure la politique de collaboration mene´e par le COIC et les lois antise´mites de l’E´tat franc¸ais du Mare´chal. Dans le chapitre consacre´ aux anne´es qu’il qualifie de me´diocres, autour de 1932 a` 1935, il de´crit un cine´ma qui reprend et de´veloppe les the`mes antiparle- mentaristes de la presse de droite et appelle a` l’homme providentiel et au pouvoir fort, avec des films commeCes Messieurs de la sante´(Pie`re Colombier, 1933),la Banque Nemo(Marguerite Viel, 1934),le Pe`re Lampion (Christian-Jaque, 1934) et plus encore Je´roˆme Perreau roi des barricades, film d’Abel Gance avec Georges Milton en vedette.

La seconde partie du livre, « Le Cine´ma franc¸ais et la guerre », va de 1937 a` 1944, des anne´es Daladier a` la France occupe´e : « Les anne´es 1937 a` 1939 sont une avant-guerre qui sent de´ja` la guerre, la mort et la fin de la civilisation », comme l’exprimerala Re`gle du jeua` la veille du conflit au cours de l’e´te´ 1939. Meˆme si le cine´ma est un sismographe imparfait, car manipulable et lent pour des raisons de fabrication : « il lui faut du temps pour inscrire sur les e´crans la trace tremble´e d’un bouleversement

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profond » (p. 203). Le cine´ma est alors de plus en plus controˆle´, notamment les actualite´s. Les films militaires et coloniaux permettent de relier l’Empire a` la ligne Maginot dans un imaginaire se´curisant, comme en te´moignentTrois de Saint CyretDouble crime sur la ligne Maginotou` le nazisme n’est jamais e´voque´ en tant que tel, ce qu’explicite un documentaire comme Sommes-nous de´fendus ?, film quasi officiel re´alise´ par le directeur des actualite´s Pathe´, Jean Loubignac.Le cine´ma de la droˆle de guerre est, quatre ans apre`s le Front populaire, le cine´ma de la restauration comme l’illustreles Musiciens du cielde Georges Lacombe que Jeancolas qualifie de « grand moment d’ide´ologie punitive, de mace´ration expiatoire. Triste comme un discours de Philippe Pe´tain dans le dur hiver de 1940. » (p. 252).

La chute de la IIIe Re´publique et les pleins pouvoirs au Mare´chal ame`nent le vote d’une loi concernant l’organisation de la production industrielle et la cre´ation d’un comite´ d’organisation qui, pour le cine´ma, sera le COIC, mis en place tre`s rapidement pour entraver la tutelle de la Propaganda Abteilung du docteur Dietrich. Le Comite´ d’organisation de l’industrie du cine´ma est installe´ par de´cret le 4 novembre 1940 et Guy de Carmoy nomme´ commissaire du gouvernement aupre`s de celui-ci.

Cette instance de re´gulation et de controˆle administratif, envisage´e de`s 1936, va imposer des re`gles plus rigoureuses et une certaine transparence dans la gestion qui va se re´ve´ler positive. Pour Jeancolas,

« le COIC est un des produits du Vichy des polytechniciens et des grands commis de l’E´tat, des gestionnaires et des technocrates, qui n’e´taient pas force´ment antire´publicains mais que la de´faite avait de´livre´ des proce´dures scle´rose´es et de l’immobilisme politique ». Cependant le re´gime a une face moins honorable, celle de toutes les censures et de l’antise´mitisme institutionnalise´. A` partir du 3 octobre 1940 et la loi portant sur le statut des Juifs, ceux-ci sont chasse´s des professions cine´mato- graphiques, les contraignant a` la fuite ou a` la clandestinite´, mutilant une part importante de la richesse du cine´ma franc¸ais.

De`s novembre 1940, les Allemands cre´ent une socie´te´ de production, la Continental, ge´re´e par Alfred Greven, socie´te´ de droit franc¸ais, e´manation de la UFA qui va produire 30 longs me´trages entre 1941 et 1944, del’Assassinat du pe`re Noe¨l(Christian-Jaque) auxCaves du Majestic(Richard Pottier) sur un total de 220 films franc¸ais produits pendant les 50 mois d’Occupation. Mais, pour Jeancolas, le cine´ma de Vichy commence avant Vichy et il prend comme exemple de cette hypothe`se la Loi du printemps (Jacques Daniel-Norman, 1942), avec sa de´marche nataliste et punitive,le Voile bleu(Jean Stelli, 1942) etl’Empreinte du dieu(Le´onide Moguy, 1941), un de ces films qui chevauchent la de´faite, commence´ sous Daladier et sorti sous Pe´tain. Toutefois selon lui, seuls une dizaine de films sont directement rattachables a` la « Re´volution nationale ». Les re´alisateurs les plus productifs sont Richard Pottier, Jean Boyer (sept films chacun), suivis de Jean Dre´ville, Georges Lacombe, Christian-Jaque, Henri Decoin (six films), puis Marc Alle´gret, Jacques de Baroncelli, Andre´ Berthomieu, Jean Delan- noy, Maurice Tourneur (cinq films). Tous ont commence´ leur carrie`re des anne´es auparavant. Les nouveaux re´alisateurs sont d’anciens techniciens comme Gilles Grangier, Jean Faurez, Pierre de He´rain on Roland Tual. Les personnalite´s qui e´mergent alors sont Cayatte, Yves Alle´gret et quatre cine´astes majeurs : Bresson, Becker, Autant-Lara et Clouzot qui re´alisent des films importants commeles Dames du bois de Boulogne,Goupi Mains rouges,Douce etle Corbeau. Cependant, Jeancolas ne se limite pas aux seuls longs me´trages de fiction et de´montre a` quel point la propagande de l’E´tat et celle de l’occupant ont pu se manifester a` travers une production de documentaires et de films de courts

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me´trages tre`s abondante et massivement distribue´e en salles a` plus de 500 copies par titre (les Corrupteurs, Pierre Ramelot, 1941 etForces occultes, Jean Mamy, 1943).

Jeancolas termine son livre par une image, celle du tournage deFalbalasde Jacques Becker, en aouˆt 1944, dont le directeur de la photo, Nicolas Hayer, et son assistant, Jacques Lemare, tous deux responsables syndicaux clandestins, re`glent les e´clairages de la maison de couture de Raymond Rouleau et pre´parent les came´ras et la pellicule de´tourne´e depuis des semaines. Ils vont entreprendre le tournage dela Libe´ration de Paris. « Pendant un bref instant, au moment ou` l’histoire va de nouveau basculer, deux cine´mas cohabitent sous les charpentes de fer du vieux studio parisien, rue Francœur.Falbalasest celui de la continuite´. Le film de la libe´ration de Paris est celui de la rupture ». Mais pour Jeancolas, quelles que soient les qualite´s du second, c’est le premier qui renvoie a` la vraie nature du cine´ma franc¸ais. Il est vrai que Becker et son sce´nariste propose, avecFalbalas, une magistrale me´taphore de l’industrie du cine´ma franc¸ais en repre´sentant celui de la haute couture : deux industries de luxe qui ont continue´ malgre´ les contraintes de l’Occupation et la guerre.

Certains de´veloppements des livres de Jeancolas ont e´te´ repris, approfondis, discute´s et parfois remis en cause par des travaux intervenus depuis leurs dates de publications. Le passage au parlant a e´te´

e´tudie´ dans ses aspects techniques et esthe´tiques par Martin Barnier (En route vers le parlant, 2002), le contexte e´conomique du cine´ma franc¸ais des anne´es 1930 par Jacques Choukroun (Comment le parlant a sauve´ le cine´ma franc¸ais, 2007) et plus largement pour la pe´riode qui va de 1940 a` 1959 par Laurent Creton (Histoire e´conomique du cine´ma franc¸ais, production et financement, 2004).

Noe¨l Burch et Genevie`ve Sellier ont e´tudie´ les rapports entre hommes et femmes de 1930 a` 1956 en re´futant la continuite´ propose´e par Jeancolas dans 15 ans d’anne´es trente, analysant l’anne´e 1940 comme une rupture dans les repre´sentations et la Libe´ration comme un retour a` l’avant-guerre par sa misogynie exacerbe´e (la Droˆle de guerre des sexes du cine´ma franc¸ais, 1996). Pour les pe´riodes suivantes, Sylvie Lindeperg a e´tudie´ celle des anne´es 1944 a` 1969 dansles E´crans de l’ombre,la Seconde Guerre mondiale dans le cine´ma franc¸ais(1997), et celle des anne´es 1960 a` 1980 l’a e´te´ par Yannick Dehe´e dans lesMythologies politiques du cine´ma franc¸ais de 1960 a` 2000(2000) ; Pierre Billard et Jean Michel Frodon ont publie´ deux gros volumes de synthe`se historique sur les cine´mas franc¸ais dits « classiques » et « modernes » a` l’occasion du centenaire du cine´ma en 1995 (l’Aˆge classique du cine´ma franc¸ais du parlant a` la Nouvelle Vague, de 1929 a` 1958 ;l’Aˆge moderne du cine´ma franc¸ais de la Nouvelle Vague a`

nos jours, de 1959 a` 1995). Rene´ Pre´dal a publie´50 ans de cine´ma franc¸ais(1996), qui va de 1945 a`

1995, puis plus re´cemment uneHistoire du cine´ma franc¸ais des origines a` nos jours(2013), et Jean-Luc Douin un Cine´ma franc¸ais (2014). Christian-Marc Bosse´no et Yannick Dehe´e ont dirige´ un gros Dictionnaire du cine´ma franc¸ais populaire en 2009, sans oublier The French Cinema Book (2004) coordonne´ par Michael Temple et Michael Witt, parmi de nombreuses e´tudes en langue anglaise.

Cette liste non exhaustive indique bien que depuis les deux volumes de Jeancolas publie´s en 1979 et 1983 les e´tudes historiques du cine´ma franc¸ais ont connu une de´veloppement conside´rable mais c’est le petit livre de synthe`se publie´ par l’auteur en 1995 qui reste encore la meilleure introduction bre`ve autant que stimulante a` notre cine´ma national. Elle a d’ailleurs connu des re´e´ditions successives jusqu’a` aujourd’hui.

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Jim la Houlette(Andre´ Berthomieu, 1935) avec Fernandel et Marguerite Moreno

J’e´tais une aventurie`re(Raymond Bernard, 1938) avec Edwige Feuille`re

La Re`gle du jeu(Jean Renoir, 1939) avec Carette et Dalio

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Le Corbeau(Henri-Georges Clouzot, 1943) avec Pierre Fresnay

Falbalas(Jacques Becker, 1945) avec Raymond Rouleau

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