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L’ART POUR FAIRE LA VILLE

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Academic year: 2022

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ET DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

L’ART POUR FAIRE LA VILLE

Animé par :

Ariella MASBOUNGI,

inspectrice générale de l'administration du Développement durable

Actes des

« Matinées du CGEDD » le 17 décembre 2013 à la Grande Arche de

la Défense – PARIS

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L’art pour faire la ville

SOMMAIRE

LES MATINÉES DU CGEDD...2

L’ART POUR FAIRE LA VILLE...2

1) Ouverture...2

1-1) Patrice PARISE...2

Vice-Président CGEDD...2

1-2) Ariella MASBOUNGI...3

Inspectrice générale du Développement durable...3

2) Exposés...5

2-1) Jean-Dominique SECONDI...5

Assistant à maîtrise d’ouvrage art contemporain, ARTER...5

2-2) Dani KARAVAN...8

Artiste...8

2-3) Maud le Floch’...14

Urbaniste-Scénariste, Directrice du pOlau – pôle des arts urbains...14

3) Échanges avec la salle...20

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1) Ouverture

1-1) Patrice PARISE Vice-Président CGEDD

Bonjour à tous. J’ai le plaisir de vous accueillir pour cette dixième édition des matinées du CGEDD consacrée au lien entre l’art et la ville. Ce sujet pourra vous paraître éloigné des préoccupations du conseil. Toutefois, notre propos ne vise pas à évoquer l’intégration de l’art dans la ville, mais à associer l’art et l’urbanisme en franchissant une étape supplémentaire consistant à reconnaître aux artistes un rôle dans la conception des projets de villes ou de territoires. Il y a environ quarante ans, la France avait pris une initiative forte en invitant un artiste de renom à dessiner un projet urbain de trois kilomètres de longueur, l’axe majeur de Cergy-Pontoise.

Nous évoquerons également, lors de cette matinée, les œuvres éphémères, lesquelles interrogent, bousculent les idées reçues, voire anticipent les aménagements futurs. Nous parlerons du rôle des « passeurs », ces intermédiaires entre les artistes et les maîtres d’ouvrages sans lesquels l’intuition des premiers ne pourrait pas se concrétiser dans les œuvres urbaines.

Enfin, nous débattrons de la manière dont l’artiste révèle la ville, ses usages, ses mystères et ses potentiels, au service d’un projet urbain.

Comme de coutume, trois intervenants se succéderont ce matin, dont un étranger.

Jean-Dominique Secondi est spécialiste de la maîtrise d’ouvrage en art contemporain.

Architecte de formation, il dirige depuis 1996 le cabinet Art Public Contemporain, qu’il a développé autour de grands projets de commande publique comme les berges de la Saône à Lyon ou l’insertion de tramways à Nice et Paris. Jean-Dominique Secondi conseille de nombreux acteurs de l’aménagement pour intégrer les dimensions culturelles et créatives aux projets urbains dès les premières études, comme par exemple pour la Société du Grand Paris. Il produit et scénographie de nombreuses expositions au croisement de toutes les disciplines créatives, dont notamment celle dédiée à Auguste Perret, qui se tient actuellement au Palais d’Iéna.

Nous écouterons ensuite Dani Karavan, qui nous présentera ses démarches en Israël, en France, au Japon et en Allemagne. Dani Karavan est un artiste israélien de renommée mondiale. Peintre à l’origine, il est rapidement devenu sculpteur. Très connu pour ses œuvres monumentales, il se caractérise par un rapport puissant aux sites sur lesquels il intervient. La France a eu la chance de recevoir son œuvre urbaine essentielle, qui est l’axe majeur de Cergy-Pontoise.

Enfin, nous aborderons avec Maud le Floch’, urbaniste, les interventions d’ordre plus éphémère. Maud le Floch’ est détentrice du palmarès des jeunes urbanistes. Elle a fondé le Pôle des Arts Urbains (pOlau), qui vise à créer les conditions de coopération entre les milieux artistiques et les politiques urbaines. Le pOlau développe divers programmes tels que des résidences actions, des missions de repérage, des manifestations « arts et ville » ou des accompagnements artistiques et culturels de projets urbains. Maud le Floch’ s’apprête à éditer des publications liées à ces événements.

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1-2) Ariella MASBOUNGI

Inspectrice générale du Développement durable

Cette matinée succède à une entreprise que j’avais menée il y a dix ans dans le cadre des Ateliers Projets Urbains, qui sont un peu ma marque de fabrique dans le cadre de la direction générale en charge de l’urbanisme. L’art et la ville a été le 3° épisode d’un triptyque : penser la ville par… le paysage, la lumière et l’art contemporain, chaque sujet ayant donné lieu à un ouvrage. Notre intention visait à enrichir l’urbanisme à partir de champs voisins. Notre travail sur l’art contemporain avait parfois irrité certains urbanistes, qui ne comprenaient pas pourquoi des artistes prendraient leur place ou enrichiraient le champ de l’urbanisme. Pour eux, les artistes devaient intervenir dans leurs projets, et non s’y substituer.

Depuis, les choses ont évolué. Dix ans plus tard, nous avons donc eu envie de reprendre ce thème dans le cadre des matinées, en y ajoutant une dimension en fort développement, celle de l’éphémère. De même, les démarches à grande échelle sont dorénavant plus développées. Je citerai dans ce cadre l’estuaire de Nantes-Saint- Nazaire, dans lequel la dimension artistique a été essentielle dans le cadre de la biennale de la Loire pour fabriquer du lien ou de l’identité, en mariant œuvres durables et œuvres éphémères.

Ce thème n’est pas étranger au Ministère auquel nous appartenons, anciennement Ministère de l’Équipement. Par le passé, une mission d’art urbain en faisait d'ailleurs partie, notamment au titre de la politique des villes nouvelles. Les questions de l’art et de la ville ont donné lieu à un très grand nombre de réalisations, dont la plus emblématique est évidemment celle de Cergy-Pontoise avec l’axe majeur, une aventure qui a duré près de quarante ans.

Comment l’appel à l’art contemporain et le dialogue entre urbaniste et artiste peuvent-ils donner du sens à l’espace urbain ou lui offrir une pluralité de sens, aider à retrouver des repères, conforter l’identité des lieux de vie, l’appartenance à un territoire, à une société ? Différentes échelles sont concernées, des espaces centraux aux grands ensembles, du très intime aux grands territoires, avec la question sous jacente qui est celle de comment constituer dans ces espaces périphériques une qualité urbaine bien sûr différente de celle de la ville européenne traditionnelle, mais répondant à une ambition équivalente. L’art peut, en effet, apporter un supplément d’âme dans la ville dispersée, en attente de repères et d’identité.

L’artiste contemporain se propose de « montrer » le monde, d’interpeller sa conscience, de questionner ses valeurs fondamentales. Critique, il peut révéler des fractures sociales, des contradictions, thèmes cruciaux pour la ville. Il peut se mobiliser sur des questions écologiques. Que peut l’art pour la ville : – Structurer, construire des continuités, des repères, donner sens à des termes parfois tombés en désuétude – clôture, repère, porte, frontière... – Préfigurer, initier une action, par exemple pionnière d’une nouvelle urbanisation ; Créer les monuments de notre époque, comme le démontrent l’aventure de l’Emscher Park et celle de l’Estuaire de la Loire.

La part du soft est croissante par rapport au hard, l’événementiel, la fête, la révélation d’un lieu à l’occasion d’événements tels la nuit blanche ou toutes les expériences menées par Maud Le Floch. Mais le soft remplacera-t-il totalement le hard en période d’économies croissantes ? C’est l’un des risques porté par ces démarches

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passionnantes et collectives. Et nous en débattrons avec nos trois invités.

La question économique sera évidemment au cœur de nos débats, de même que la facilité à réaliser un grand projet, alors qu’il s’est avéré extrêmement difficile de réaliser l’axe majeur. Il est aussi complexe de réaliser un projet artistique de longue durée qu’un projet urbain.

Écoutons maintenant Jean-Dominique Secondi, auquel j’ai demandé de brosser tous les potentiels possibles de l’art contemporain pour enrichir la ville.

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2) Exposés

2-1) Jean-Dominique SECONDI

Assistant à maîtrise d’ouvrage art contemporain, ARTER

Aussi loin que l’on puisse remonter, l’art a toujours été présent au milieu des hommes dès que ceux-ci se sont réunis pour créer la première ville. Sans remonter aussi loin, il fût une époque merveilleuse où l’architecte était en même temps l’artiste, si bien qu’il n’existait pas de conflit entre la pensée de l’urbaniste et celle de l’architecte.

Ainsi, la place du Capitole, réalisée par Michel-Ange, correspond à une synthèse de ce que pourrait être une œuvre totale « d’art pour faire la ville ».

Nous sommes passés de l’art dans la ville à l’art pour faire la ville. En France, il existe un dispositif particulier, celui du 1 %, autrement appelé 1 % décoratif, qui s’impose à l’État et aux collectivités locales. En général, ce 1 % était réservé aux bâtiments. Lors de la construction de la ville nouvelle de Grenoble, les responsables de l’aménagement ont proposé, après en avoir discuté avec les responsables de la culture, d’installer une sculpture à l’extérieur de l’université afin d’opérer un lien entre l’architecture et la ville.

Cette question s’est reposée à Paris dans les années 70 au moment de la construction du Centre Pompidou. Le 1 % permettra de créer la fontaine Stravinsky et la place qui jouxte le Centre. A cette même époque se construisirent en France nombre de villes nouvelles. Pour mener ces opérations, un centre a été spécialement créé. Il a eu la bonne idée de mutualiser les sommes du 1% non pour créer une œuvre par bâtiment, mais pour mener une réflexion à l’échelle urbaine. C’est probablement dans ce cadre que Dani Karavan est intervenu. De même, Nissim Merkado a créé l’œuvre « Méta » à Saint- Quentin-en-Yvelines, point source destiné à irriguer la ville nouvelle en créant un parcours dans lequel d’autres artistes ont été invités à créer des points de vue. Cette opération s’est étalée de 1985 à 1992.

Au cours des années quatre-vingt, nous avons assisté, en France, au développement de l’art in situ, commande publique qui n’est pas liée au 1 %, mais à la volonté de l’État de passer commande à des artistes in situ. La première œuvre emblématique de ce courant date de 1985. Il s’agit des deux plateaux de Daniel Buren. Toute une série de projets artistiques se sont ensuite implantés dans la ville, très souvent en lien avec des projets de développement urbain. Petit à petit, la commande publique nationale a donc participé à des opérations de requalification urbaine ou de politique de la ville.

Ainsi, l’État est également à l’origine de la mise en lumière du haut fourneau d’Uckange. L’idée de cette opération, réalisée en 2009, a consisté à remettre en valeur, tant auprès des habitants que des visiteurs, un territoire abandonné. Autour de ce haut fourneau a commencé à se reconstruire une ville. La prise en main de ce patrimoine industriel a donc constitué l’occasion de créer du projet urbain autour du site.

Parallèlement à l’évolution de cette question de l’art pour faire la ville, de nombreuses collectivités, en Europe, ont commencé à inviter des artistes pour transformer la ville. C’est ainsi qu’est née, dans les années quatre-vingt-dix, l’opération de réaménagement, en parc de loisirs, du parc industriel de l’Emscher Park, en Allemagne. De nombreux artistes ont été invités à participer à la transformation de ce

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lieu, permettant d’en révéler l’histoire et les qualités écologiques. Ce parc était totalement pollué. Sa réutilisation culturelle a permis de le dépolluer.

Barcelone constitue évidemment un exemple très démonstratif. La requalification des espaces publics a été accompagnée de nombreux projets d’artistes, notamment dans la perspective des Jeux Olympiques de 1992. L’exemple de la ville de Birmingham, en Grande-Bretagne, est également intéressant. Des artistes ont été les maîtres d’œuvre de la transformation de la place centrale de la ville. Le centre-ville était dans un état de grand délabrement. Cette opération est allée de pair avec un important effort de requalification impliquant des promoteurs. Il est très intéressant de relever que le cœur du projet urbain a été confié à un groupe d’artistes.

Dans les années 2000, les artistes ont participé à des opérations de tramways, à tel point qu’il est aujourd'hui question d’un « tramway à la française ». La réintroduction de ce mode de transport, qui avait été supprimé des villes, a constitué l’occasion de repenser la ville. Dès les premières opérations, à Rouen ou Strasbourg, des groupes de travail réunissant les maîtres d’œuvre du tramway, les responsables de l’aménagement et ceux de la culture ont été mis en place, œuvrant ensemble non pour que des artistes soient invités à décorer le parcours du tramway, mais pour qu’ils participent au projet urbain.

A Nice, des œuvres accompagnent la traversée du paysage urbain et participent à la création d’espaces de convivialité ou de lieux de rendez-vous. A Brest, l’emplacement d’une œuvre a été choisi en collaboration avec les responsables de l’aménagement de la ville. Très récemment, à Tours, Daniel Buren a redessiné une trame à l’échelle de la ville. Son œuvre se déploie sur l’ensemble du parcours du tramway. Toutes ces œuvres témoignent d’une approche chaque fois plus intégrée du rapport entre design et urbanisme.

Depuis la décentralisation, les collectivités se montrent de plus en plus autonomes dans le cadre de leurs commandes, se dotant de moyens leur permettant d’assumer des commandes artistiques, y compris à des artistes de très grande renommée. Dans le cas de Nantes, le slogan est « la ville est renversée par l’art ».

Le projet des rives de la Saône, à Lyon, n’intègre pas la dimension de l’éphémère.

Pour aménager les vingt kilomètres de la Saône, le Grand Lyon a passé commande à huit équipes d’architectes et de paysagistes, ainsi qu’à une équipe d’art public. Des artistes ont été invités à travailler avec les équipes en charge de l’aménagement des sites. Le parcours a été inauguré en septembre dernier. Ce n’est pas un parcours d’œuvres d’art, mais un parcours tout à la fois culturel, écologique et patrimonial. La dimension artistique est intégrée au même titre que le paysage ou le fonctionnel.

Les artistes ont toute leur place dans les démarches d’aménageurs en cela qu’ils apportent un autre regard sur la ville, par exemple un regard de dénonciation, voire sont porteurs de propositions différentes de celles des urbanistes.

L’art permet de mieux définir l’identité d’un territoire et d’accompagner son développement. Dans le cadre de la construction des futures gares, la Société du Grand Paris a passé commande auprès de photographes afin de disposer d’une cartographie sensible du territoire. Un film peut également constituer un outil de compréhension d’un paysage.

Évidemment, il est impossible de passer sous silence le regard des habitants. A Ivry, un projet de « haute qualité artistique » permet aux habitants, au travers de workshops, de livrer leur regard sur leur quartier en transformation.

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Les artistes contribuent également à révéler ce qu’est une ville. Très tôt, les artistes ont eu la volonté d’intervenir sur la ville et la manière dont elle se construit, l’idée étant de dénoncer la « ville financière » ou la « ville marchande ». Nombre d’œuvres proposées par des artistes deviennent des points de vue, des belvédères permettant de contempler des lieux patrimoniaux. Dans le cas des rives de Saône, une implantation choisie avec les paysagistes et la maîtrise d’ouvrage révèle un point particulier du parcours, en l’occurrence l’endroit qui permet de passer de la ville urbaine à la ville bucolique.

Seuls les artistes sont en mesure, dans un projet urbain, de rendre visible l’invisible.

Alors que le visuel est devenu prépondérant par rapport aux autres sens, les artistes nous aident à révéler d’autres dimensions, qu’elles soient olfactives ou sonores.

Beaucoup d’artistes travaillent sur la question du son de la ville, et plutôt que de parler de nuisances sonores, il est question des qualités sonores d’une ville. En Angleterre, un artiste a travaillé sur le bruit de la mer. A Amsterdam, un artiste est intervenu sur les bruits de la terre.

Beaucoup d’œuvres ont une dimension mémorielle, en particulier dans les pays anglo-saxons. Certaines de ces œuvres marquent un territoire de manière assez définitive. C’est notamment le cas du monument contre le fascisme installé à Hambourg.

Les artistes aident également à opérer un dépassement de fonction. En participant à des discussions très fonctionnelles, ils « fabriquent » de la ville. Ainsi, à Lyon, un cratère s’est transformé en terrain de jeu pour enfants.

Enfin, l’éphémère est devenu un véritable vecteur d’appropriation de la ville. Il est utilisé par les politiques et les aménageurs pour tester la transformation de l’espace public.

Ariella MASBOUNGI

Après ce panorama à la fois rapide et complet, l’artiste Dani Karavan va maintenant nous présenter ses œuvres. Son rapport puissant au paysage et à la ville est peut-être lié au fait qu’il ait vécu son enfance à Tel Aviv à l’époque où cette ville se fabriquait. Dani Karavan a tout de suite été intéressé par cette question de la ville « qui se fait ».

Son intervention à Cergy-Pontoise a été déclenchée par Michel Jaouën, alors très jeune urbaniste à l’Etablissement public en charge de la réalisation de la Ville Nouvelle, qui a eu cette intuition formidable à la lecture d’un article consacré à une œuvre réalisée par Dani Karavan à Florence. Michel Jaouën s’est rendu à Florence pour lui proposer de dessiner un projet urbain. C’est ainsi qu’une magnifique histoire, plus complexe qu’il n’y paraît, a commencé.

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2-2) Dani KARAVAN Artiste

Je vous remercie de m’avoir invité. Je vais tenter, dans mon français

« bricolé », de vous présenter mon travail, qui consiste à réaliser des œuvres spécifiques à chaque site. Je ne sais jamais ce que je vais faire avant de m’être rendu sur place. Ce n’est qu’à ce moment-là que je peux me rendre compte de ce que le site accepte ou pas, en termes de formes ou de matériaux.

Dans les années 60, j’ai commencé à travailler dans le cadre de commandes publiques. J’avais notamment réalisé un bas-relief dans le Palais de Justice de Tel Aviv. En effet, peintre à l’origine, j’ai étudié l’art de la fresque à Florence. Je pense d’ailleurs que mon attrait pour les lieux publics vient de mon éducation socialiste et du fait que j’ai vécu dans un kibboutz dans ma jeunesse.

En 1963, j’ai commencé à travailler sur mon premier monument, dans le désert du Néguev, inauguré cinq ans plus tard. C’était ma première expérience d’un projet d’une telle dimension. Ce n’était d’ailleurs pas de mon initiative. On m’a demandé de réaliser un mémorial pour la guerre d’indépendance de 1948, pour rendre hommage à la brigade du Negev du Palmach qui était stationnée à proximité de la petite ville de Beer Sheva, que l’on pourrait qualifier de ville nouvelle. J’ai d’abord voulu utiliser la base abandonnée comme site pour mon projet, mais cela m’a été refusé.

J’ai alors cherché un autre site. Peu après, j’ai trouvé une colline qui dominait toute la vallée et qui, dans la Bible, est tenue pour le lieu où Abraham s’est établi, donnant à la ville de Beer Sheva le surnom de « Puits du serment ».

J’ai alors commencé à élaborer des maquettes et visité le site à plusieurs reprises. J’ai cherché à réaliser un monument qui donnerait envie aux gens de s’y rendre plus souvent qu’une fois par an. Je voulais que les enfants viennent y jouer. Mon travail a été influencé par ce qu’il s’est passé pendant la guerre, mais également par un village arabe abandonné, composé d’habitations traditionnelles en terre. À la vue de mes maquettes, j’ai été traité de fou. Il faut savoir qu’à cette époque, le type d’œuvre que je proposais n’existait pas.

J’ai souhaité installer cette œuvre hors de la ville. Depuis, la ville s’est étendue et s’est rapprochée du monument, mais j’ai obtenu que l’on empêche de construire autour de celui-ci afin qu’il continue à émerger du désert. Aujourd’hui, le monument est devenu le symbole de Beer Sheva. Il y vient beaucoup de visiteurs, y compris de l’étranger.

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Les éléments sont disposés selon le mouvement de rotation de la terre, autour d’une tour. L’élément vertical tranchant avec le plan horizontal, a fait partie de toutes mes propositions pour ce projet. Elle peut rappeler le minaret d’une mosquée. Pour moi, c’était plutôt un point de vue duquel on pouvait contempler l’ensemble de l’œuvre, mais aussi le désert et la ville de Beer Sheva.

Je n’y avais pas pensé alors, mais le tunnel peut apparaître comme le négatif de la tour. Cet élément a été intégré pour cadrer la vue, avec d’un côté la ville et de l’autre le désert. L’arbre qui apparaît côté ville n’était pas prévu. Il a sans doute pensé que c’était le meilleur endroit pour pousser, alors nous avons choisi de l’y laisser. Il s’intègre parfaitement en tant qu’élément structurel, au même titre que le béton, l’eau, la lumière du soleil et le vent.

J’ai permis aux gens de monter sur la sculpture. Peu après l’inauguration, j’ai reçu des appels affolés des responsables du site, m’informant que des visiteurs se promenaient sur le monument. Ils me demandaient comment réagir. Je leur ai dit de les laisser faire. À l’époque, cela ne correspondait pas du tout à l’idée sacralisée que l’on avait d’une sculpture. Toutefois, l’œuvre avait bien été conçue afin que les visiteurs puissent marcher dessus. En effet, l’orifice que l’on peut voir sur le tunnel est une sortie d’escalier. Les visiteurs deviennent ainsi des acteurs du monument.

Deux ensembles de murets forment une ligne, qui figure un cours d’eau.

Cette eau s’engouffre, par un passage très serré, vers une coupole. À l’intérieur de cette dernière sont inscrits les noms des soldats de la brigade tombés pendant la guerre. Des orifices percés dans les parois de la coupole permettent à la lumière du soleil d’y entrer. Parfois, un rayon éclaire directement l’un des noms inscrits et c’est alors très touchant. Avec cette réalisation, j’ai compris que je pouvais utiliser la lumière du soleil comme élément d’une sculpture, qui aurait la particularité d’évoluer tout au long de la journée et de l’année.

Entre 1977 et 1988, j’ai créé à Tel Aviv le projet Kikar Levana –White Square - Tel Aviv est la ville où je suis né et où j’ai grandi. J’ai assisté à sa construction, à son émergence. Son architecture « internationale » fait partie de mon vocabulaire. Kikar Levana est une place aménagée dans un parc public. L’on y retrouve une tour, comme dans le Monument du Néguev. Elle présente de nombreux interstices : le vent qui souffle au travers produit de la musique. Intégrer le son était pour moi une évidence, qui relève de mon rapport avec la nature. J’ai d’ailleurs utilisé le son, différemment, dans nombre de mes œuvres. Ici, j’ai conçu la tour en collaboration avec un expert en orgues. Les interstices sont placés de telle façon que le vent produise un accord. Pour l’anecdote, j’ai rencontré le

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compositeur Luciano Berio à Florence. Je lui ai parlé de cette œuvre, ce qui lui a donné l’idée de travailler à une pièce utilisant des sons produits par le vent.

A Duisbourg, où j’ai réalisé, entre 1996 et 1999, le Jardin du Souvenir – dans l’Emscher Park - se trouve le plus grand port intérieur du monde, le projet urbain étant conduit par l’architecte Lord Norman Foster. Une partie de ce port a été requalifiée en parc. L’idée initiale était de raser tous les entrepôts et immeubles de bureaux. J’ai proposé de garder certains éléments de l’héritage architectural, des fragments d’entrepôts traités comme des sculptures qui viennent enrichir le site. J’ai demandé à construire une tour, mais c’était impossible, par manque de budget. J’ai alors repéré un immeuble voué à démolition et j’ai demandé à ce que soit épargnée la cage d’escalier. Ainsi, ai-je obtenu ma tour. Détail amusant, j’ai fait installer un arbre au sommet de la tour. En fait, j’ai profité de l’occasion pour donner ma version d’une tour que j’aime beaucoup, située dans la ville de Lucca, en Italie, et qui comporte aussi un arbre planté sur son toit sans toutefois demander la permission.

Si je conservais cet élément, il était alors logique que j’en conserve un maximum d’autres, comme autant de traces du passé du site. Par exemple, j’ai fait ériger des murets à ras du sol qui retracent les contours des entrepôts détruits. On peut aussi rencontrer des rangées de colonnes blanches, figurant la structure des bâtiments démolis. Alors que les aménageurs voulaient même se débarrasser des fondations des entrepôts, j’ai proposé de créer un jardin par-dessus. J’ai aussi sauvegardé des petits bâtiments qui accueillent à présent une galerie d’art et un atelier de musique.

J’ai presque provoqué un scandale : on voulait éliminer du paysage les ruines de la seconde guerre mondiale et moi je déclarais que l’on allait s’en servir ! J’ai dû me rendre à plusieurs reprises à Duisbourg pour rencontrer les donneurs d’ordre et leur expliquer ma démarche. Ils m’ont finalement suivi et depuis, le parc connaît un très grand succès.

A Sapporo, au Japon, j’ai créé entre 1992 et 1999 un projet que j’appelle Le Chemin vers le Jardin Secret - Way to the Hidden Garden en anglais. Sapporo est une ville située sur l’île d’Hokkaido, dans le nord du Japon. Dans le musée d’art de Sapporo on trouve un gigantesque parc dédié à la sculpture. Les responsables m’ont approché pour y créer une sculpture environnementale et j’ai décidé de créer une promenade qui débouche sur un jardin caché.

Le projet dialogue avec son site et l’histoire de cette région très préservée du Japon. L’œuvre est un parcours composé de différents éléments. Le premier est une porte, qui signale l’entrée de la promenade.

Puis on passe devant deux dômes de terre engazonnée, un cadran solaire,

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une suite de sept fontaines et un cône relié à une dernière porte posée sur un bassin, par une rigole qui serpente entre une succession de plans inclinés. Au-delà de la porte, il y a un bosquet, au milieu duquel se trouve une petite clairière, où sont disposés huit cubes. C’est le « Jardin Secret ».

À l’intérieur du cône se trouvent des haut-parleurs qui diffusent les sons enregistrés par des micros disséminés dans chacun des éléments. Cela crée une sorte de musique, spécifique au lieu.

En 2005, à Regensburg en Allemagne, j’ai créé le projet Mizrach. Des archéologues avaient mis au jour, dans le centre-ville, les ruines d’une synagogue détruite au XVIe siècle au cours d’un pogrom. Les services culturels m’ont commandé une œuvre qui serait installée à l’emplacement même des ruines. J’ai décidé de reproduire les ruines retrouvées, en béton blanc et avec des formes épurées, toutes simples. Les gens peuvent y circuler, s’y asseoir. Cela a donné à la ville une autre identité.

A Nuremberg, j’ai créé le Chemin des Droits de l’Homme. La ville des lois racistes de 1935 est ainsi devenue la ville des droits de l’homme. Mon œuvre est composée de 30 colonnes correspondant chacune à un paragraphe des droits de l’homme.

Revenons à Tel Aviv, où j’ai réalisé récemment le projet du Square de la Culture dans le quartier d’Habima, qui est assez proche du quartier où j’habite. On y trouve le pavillon Helena Rubinstein pour l’Art contemporain, l’Auditorium de l’orchestre Philharmonique d’Israël et le théâtre national Habima. On m’a demandé de réaménager la place qui servait alors de parking et qui était extrêmement laide. Au début, je ne voulais pas intervenir sur ce site, parce qu’il était trop proche de mes souvenirs. Il faut dire que ce lieu a une histoire pour moi : c’était le jardin d’une ferme éducative et quand j’étais petit, j’allais souvent y admirer les fleurs.

À côté de cette place, il y a un jardin public, Gan Yaacov, conçu par mon père, qui était le paysagiste de Tel-Aviv. Dans ce jardin, il avait conservé un sycomore vieux de 400 ans. J’ai donc planté un autre sycomore dans le Square de la Culture, en écho.

J’ai travaillé avec un paysagiste sur l’infrastructure, car ce n’est pas mon métier.

Maintenant, à chaque fois que je traverse cette place, j’y remarque un détail déplaisant qui ne correspond pas à mes objectifs pour l’œuvre.

Les travaux ont été, en effet, mal exécutés, et nous avons dû replacer toutes les dalles de béton qui avaient été posées. J’admets qu’il est difficile de travailler avec moi : je ne supporte pas que les entrepreneurs décident

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seuls de s’éloigner de mon concept initial. Entre autres raisons, dès lors que je travaille grâce à l’argent public, j’estime que je dois au contribuable de lui livrer le meilleur rendu possible. Je n’avais encore jamais eu à déplorer qu’une réalisation soit aussi peu fidèle au projet initial.

Venons-en maintenant à Cergy-Pontoise et son Axe Majeur. Michel Jaouën, urbaniste, m’a contacté en 1980 après avoir vu le catalogue de mon exposition à Florence. J’ai d’abord été sceptique, puis j’ai accepté de voir le site qui était vierge. De retour à Florence, j’ai commencé à réaliser une maquette. Pour cela, je n’ai demandé que 1 000 dollars, alors que le projet s’élevait à 180 millions de francs. Ma maquette a été approuvée. Je pensais que le projet durerait quatre ou cinq ans et je me suis installé en France avec ma famille. Entre temps, beaucoup de choses ont changé. Le projet s’est retrouvé bloqué à plusieurs reprises. J’ai donc dû lutter pour continuer à le réaliser. Mais encore aujourd’hui le projet n’est toujours pas achevé…

Je n’ai pas mené ce projet seul. J’étais entouré d’un groupe de personnes. J’ai dû me montrer patient. J’étais bloqué par des règles d’urbanisme, par exemple la limitation des hauteurs à 8 mètres, mais je sentais que la nature me demandait d’élever le sol face à la boucle de l’Oise. J’ai même menacé d’abandonner le projet.

L’axe Majeur est composé de 12 stations : La Tour Belvédère, au sommet de laquelle il est possible de voir la silhouette de Paris ; Le Verger des Impressionnistes – Camille Pissarro, qui rappelle les peintures de paysage des impressionnistes dans les vallées de l’Oise ; L’Esplanade de Paris, qui est devenu un lieu où l’agglomération de Cergy-Pontoise organise fréquemment ses évènements culturelles; Les 12 Colonnes ; Le Jardin des Droits de l’Homme qui descend vers l’Oise; L’Amphithéâtre – Gérard Philipe, lieu de spectacles, qui a déjà accueilli plusieurs fois des concerts de musique et des pièces de théâtre ; Le Bassin, relié directement à l’Oise ; La Passerelle, qui part de l’amphithéâtre et enjambe l’Oise. Elle devait, dans mon projet, être prolongée jusqu’à L’île Astronomique, mais ça n’a pas été fait par manque d’argent tout comme l’île astronomique qui reste à accomplir. La Pyramide, située dans l’étang, est devenue un espace pour les oiseaux migrateurs ;

Pour finir, Le Carrefour de Ham-Porte de Paris où le Rayon Laser, partant de la Tour Belvédère, trouve son point d’aboutissement.

J’ai beaucoup de plaisir à revenir sur l’Axe Majeur de Cergy-Pontoise car c’est un lieu que les habitants se sont appropriés. Ils y viennent souvent le week-end pour se promener en famille.

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Ariella MASBOUNGI

Merci beaucoup. J’ajoute qu’une anthropologue, Caroline de Saint- Pierre, a écrit un livre sur l’axe majeur. Elle a mené des enquêtes auprès des habitants de Cergy-Pontoise, dont la majorité voit l’axe majeur comme un lieu imminent d’identité et de vie, ce qui démontre que l’axe majeur fait aujourd’hui partie intégrante de l’identité de Cergy-Pontoise.

Nous allons maintenant donner la parole à Maud Le Floch’ sur les questions d’identité, d’éphémère, de participation des habitants et de révélation des lieux.

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2-3) Maud le Floch’

Urbaniste-Scénariste, Directrice du pOlau – pôle des arts urbains

Je suis très honorée de me retrouver à la même table que Dani Karavan.

Il m’a été demandé de dresser un panel de ce qui se joue aujourd’hui entre la création artistique et l’espace urbain. Ce qui vous a été présenté jusqu’ici est de l’ordre de l’art contemporain. Pour notre part, nous avons créé le Pôle des Arts Urbains, une structure qui s’intéresse autant à l’art contemporain, aux arts de la rue, aux arts en espace public, à l’art contextuel, l’art in situ, et d’une façon générale à l’art qui frotte avec une ville, un territoire ou un espace vécu.

Nous avons créé le pOlau avec le soutien du Ministère de la Culture il y a maintenant plus de cinq ans. Il a été lauréat du palmarès des jeunes urbanistes en 2010. Son objet vise à lier les démarches et les dynamiques artistiques avec la fabrique urbaine. Pour cela, le pOlau met en place différents outils tels que des résidences d’artistes, des manifestations, des programmations, mais aussi des études urbaines spécifiques. Tout cela constitue de la ressource « arts et ville -nouvelle génération ».

Nous travaillons dans une logique de chaînage : des équipes qui sont en résidence un moment donné peuvent se retrouver, quelques années plus tard, intégrées à une étude urbaine. C’est là où, en étant urbaniste de formation et en ayant rencontré très tôt le milieu de la création artistique hors les murs, l’on s’aperçoit qu’il existe des vocabulaires qui créent de l’incompréhension. Par exemple, dans le jargon culturel, une résidence vise à accueillir un artiste pour qu’il puisse élaborer sa création sur un temps court, alors que dans un projet urbain, une résidence d’artistes est un bâtiment en dur construit pour héberger des artistes. Même chose avec le terme « programmation » . Il y a quelques réglages à faire avant d’envisager des coopérations.

Davantage que « l’art pour penser la ville », j’ai eu envie de vous proposer la notion de « logiciel artistique pour repenser l’urbain », avec toute une série d’outils et de concepts qui sont détenus par certains artistes de l’urbain, qu’ils soient de l’art contemporain, des arts de la rue ou de l’art éphémère. Il existe des méthodes, (repérages, protocoles, événements, marquages urbains et résidences in situ) et des concepts actifs que l’on trouve dans ce monde des arts urbains. Par exemple, nous y avons extrait la notion de ville foraine. qui rejoint d’une certain façon la notion de talents hybrides « voyeur-voyant-voyou » ; des ressources nouvelle pour le génie urbain.

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Traditionnellement « l’art et la ville » s’illustrent par l’art monumental et ornemental, la sculpture urbaine classique. Comment parler de l’art et la ville - nouvelle génération ? A Nantes, par exemple, durant Estuaire 2007, la déesse commerce de la fontaine Place Royale (statuaire traditionnel) a été investie, par Tatzu Nishi, un artiste japonais qui l’a transformé en chambre d’hôtel éphémère simulant par un jeu d’échafaudage et de palissades, des travaux de réfection. L’art ornemental devient une expérience. Cette chambre était louée 69 euros la nuitée pendant trois mois.

Il était ainsi possible de dormir en compagnie de la déesse du commerce.

Je parlerai volontairement d’équipes artistiques, et non d’artistes, car aujourd'hui, dans ce contact à la ville et aux territoires, les créateurs sont de plus en plus pluriels, composites. Ils jouent de l’association de compétences - dramaturges, plasticiens, scénographes, graphistes, paysagistes...

Laurent Petit, dramaturge et metteur en scène, a créé l’ ANPU, l’Agence nationale de psychanalyse urbaine avec un architecte. L’objet consiste à diagnostiquer les villes et les territoires, à examiner les endroits qui présentent des symptômes, un traumatisme. Cette opération de psychanalyse urbaine a été menée sur le territoire tourangeau, révélant un point névralgique, le Point Névro-Stratégique Urbain, le Point Zéro, qui a fait l’objet d’un marquage physique d’une pile de l’autoroute A 10. Une œuvre a résulté de ce travail de psychanalyse urbaine. Il s’agissait de désigner l’endroit où le développement urbain « coinçait ». Le Point Zéro a été inauguré par deux élus, la sénatrice-maire de Saint Pierre des corps, et une adjointe au maire de Tours. Cette inauguration était placée sous le signe de la « réconciliation urbaine et universelle ». Nous développons également cette approche aménagiste par l’éphémère sur la requalification de notre équipement de 3500 m2, le point HAUT, situé à Tours - Saint Pierre des corps.

Nous nous appuyons sur la réhabilitation de notre lieu situé en zone industrielle pour nous saisir artistiquement et culturellement de l’ensemble des thématiques qui touchent à l’acte de construction : la dépollution des sols, la construction en zone inondable, l’accessibilité des personnes à mobilité réduite, la sécurité d’un chantier, etc.

Pendant les 18 mois du chantier, nous invitons les différents publics à rencontrer ainsi le process d’une construction dans cet environnement urbain. Il en découle une série de rendez-vous, de visites, de conférences, de performances artistiques, de workshops et d’événements. Récemment une conférence en actes a porté sur la dépollution des sols par les plantes en présence de Liliana Motta, artiste botaniste.

En 2012, nous avions invité des artistes à créer sur le thème du risque inondation à l’occasion de la révision du PPRI de l’agglomération

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tourangelle. Ce Plan prévoit de grands bouleversements en matière de constructibilité dans l’agglomération. Des bandes de 300m situées le long de la Loire, du Cher et de l’ancien canal seront déclarées inconstructibles.

Peu de citoyens et de politiques ont appréhendé ce changement, qui transformera pourtant le visage de l’urbain. L’équipe artistique – la Folie Kilomètre - a mis en place une dramaturgie, autour d’un Jour inondable.

Pendant 24h, le public a arpenté la ville de Tours, allant jusqu’à dormir dans un gymnase d’évacuation. 24h, 24 actions qui ont permis d’éprouver intellectuellement, sensiblement autant que physiquement le sujet. Ce type d’expérimentation, qui oscille entre le sérieux et le ludique, est, de mon point de vue, un outil de sensibilisation complet.

Les artistes ont à dire à l’urbain. Le logiciel artistique a à dire au logiciel urbain. Partant de ce constat, j’ai imaginé, il y a quelques années, une expérience dans 13 villes françaises, « Mission repérage(s), un élu-un artiste ». Pendant une journée entière, un élu et un artiste, extérieur à la ville partageaient leurs visions sur la ville. En arpentant la ville, selon leurs parcours respectifs, ils devaient restituer dix impressions, dix photos et dix fantasmes. Il en a résulté un ouvrage, qui retrace ces expériences. Ces rencontres ont été intenses. Elles n’ont pas débouché sur des projets concrets, ce n’était d'ailleurs pas le but, mais elles ont permis de développer des idées-concept, dont certaines ont été reprises par les villes en question.

Aujourd'hui, le pOlau-pôle des arts urbains développe des méthodologies d’accompagnement artistique et culturel de projets urbains.

Pour les Hauts de Montreuil, nous travaillons pour le compte de l’aménageur à un programme que nous tramons dans le projet urbain, à différentes étapes : au moment de la concertation, pendant la phase chantier, lors de la communication du projet et lors des premières appropriations. Il ne s’agit pas de poser une œuvre d’art, mais d’introduire des actions artistiques, sensibles et créatifs, dans la maille du projet urbain.

Nous les éditorialisons pour les mettre en résonance avec les différents temps du projet urbain. Pour cela, nous disposons d’une gamme d’outils : résidences, événements, rendez-vous, tatouages territoriaux. L’approche par l’action artistique peut être intéressante pour le projet urbain, par exemple en intervenant au moment du diagnostic par des détections de signaux faibles. Elle sert possiblement de préfiguration et peut inspirer la ville pérenne. Le « software » artistique a également une fonction attente.

Par l’occupation intremédiaire, il donne le signe de la présence publique.

L’action artistique permet des raccordements inédits en connectant des unités urbaines disjointes, voire conflictuelles. Elle a une fonction de porte- voix et de sensibilisation par la capacité à ’interpréter des enjeux, de mettre les choses en public. Elle a une fonction repère, une fonction attraction,

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une fonction curiosité, une fonction assouplissement et par voie de conséquence une fonction économique.

Sur ce dernier point, l’introduction de l’art dans l’urbain ne coûte pas plus cher. Au contraire, l’art présente un effet « deux en un » sur les sujets tel que la lumière, la dépollution des sols ou la signalétique. Au pOlau, lorsque Patrick Bouchain invite des artistes à participer au traitement de la pollution des sols par le biais de la phyto-remédiation, c’est par le biais d’un 1 % artistique. Autrement dit, une économie qui n’a aucune commune mesure avec le coût d’une évacuation et d’un traitement des terres polluées.

De la même manière, en investissant le thème de l’éclairage public, un artiste peut générer tout un processus dans la ville, par exemple de raccorder une place publique à une maternité, faisant en sorte qu’à chaque naissance, une impulsion lumineuse soit donnée par les lampadaires L’économie d’un tel projet est avant tout de créer du collectif, de la créativité urbaine et du processus intégré.

Depuis 15 ans nous travaillons à partir de ces expériences et de cette connaissance du champ artistique. Des artistes se frottent avec agilité à l’espace urbain. Ils composent avec ses multiples variables et sont dans la mobilité et dans l’appropriation éphémère des lieux. Leur approche peut être qualifiée de foraine. Ce sont des artistes forains.

Nous développons actuellement un projet d’exposition, soutenu par le Ministère de la Culture, sur ce thème de la ville foraine. Différentes valeurs se cachent derrière ce terme : la ville de la mobilité, de l’éphémère et polysensorielle, autant de sujets sur lesquels travaillent urbanistes et aménageurs.

La ville foraine est porteuse de promesses et de dangers. En devenant foraine, la ville s’assouplit et s’enchante. Elle y est agile, rusée, alerte dans les entre deux. A l’inverse elle porte des valeurs précaires, de la ville flexible et risque ainsi de mal assoir son assurance. La portée de ce concept émergent est politique. La ville foraine interroge les fonctions urbaines traditionnelles. Habiter, travailler, se divertir…

A Paris, un habitat en chrono-location a été créée par le groupe Ici même, permettant de vivre en Algeco en pleine rue pour une durée de deux heures à deux mois en payant au moyen d’un parcmètre. Cette expérience a engendré un vaste débat public. D’autres expériences artistiques, de maison qui marche ou d’habitat flottant se développent selon des modalités éphémères ou nomades.

La fonction environnement a également été traitée par un certain nombre d’artistes, qui se sont notamment intéressés à la consommation de déchets produits par une ville ou au risque inondation. Le champ de la mobilité a été investiguée par les arts de la rue, qui ont notamment

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réhabilité temporairement la mobilité sur l’eau ou encore le transport en taxis collectisf.

Le forain gagne également les lieux culturels eux-mêmes. Le Centre Pompidou mobile représente la ville foraine par excellence. Un musée a été créé sur des principes de nomadisme et d’éphémère. De la même manière, une structure gonflable permet de créer un espace culturel très rapidement.

L’ arène métallique démontable de la Compagnie Off accueille un opéra, etc. Ces lieux sont à temporalité réduite : ils créent l’évènement dès qu’ils jaillissent dans l’espace urbain.

L’urbain est ainsi réinvesti par des lieux et des pratiques plus souples, voire plus moelleux. Par le détournement, certains artistes redonne une deuxième vie aux objets urbains : une benne transformée en piscine instantanée, une gare réinvestie temporairement en hôtel à l’occasion de Lille 2004, des sirènes de ville transformée en instrument octophonique, des containers d’eau recyclés en briques d’architecture, etc.

Il existe aussi des dispositifs de rencontres qui permettent de réinvestir la rue de façon originale et spontanée (terrasses, lieux dépliables…) Réinvestir la ville et ses fonctions passe aussi volontiers par le jeu - manège, ascenseur, toboggans urbains plus ou moins licites, trampolines -, par des machines et des baraques - par exemple des constructions « pop- up ».

Tout cela n’est-il que lubie d’artistes ou représente un potentiel de réinitialisation de la ville pérenne ? Assurément, un certain nombre de process et d’objets inspirent les créateurs et incidemment la ville de demain. Les espaces publics gagnent ainsi en dynamique car ils ont été conçus avec la possibilité être activés par les usagers eux même (miroir d’eau, éclairage public interactif…). Les architecture entresort, les infrastructures phénomènes, les mises à l’épreuve du corps, les mobiliers ludiques et polysensoriels, ou encore les conceptions hybrides - crèche ambulante, résidence étudiante en container, bibliothèque hors les murs…

sont autant de germes pour faire la ville sur la ville, la ville avec la ville.

Toutes ces références sont réunies dans l’exposition F-City.

Ariella MASBOUNGI

Avant de donner la parole à l’assistance, j’aimerais que Dani Karavan réagisse à cette présentation, d’une nature extrêmement différente de sa propre production.

Dani KARAVAN

Je suis très étonné. Cette création requiert une énergie énorme. Cet exposé était très intéressant. Je suis même triste que certains projets restent à l’état éphémère. J’ai vécu la même expérience à Florence, lorsque j’ai

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créé un grand projet éphémère à base de laser. Ce projet devait durer 4 mois, puis être démonté. Je voulais qu’il subsiste. Beaucoup de monde était triste de la disparition du laser dans le ciel de Florence.

En tout cas, cet exposé était très intéressant. Le travail qui a été présenté est tout simplement extraordinaire. Il est dommage qu’il ne soit pas entré dans les consciences du public.

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3) Échanges avec la salle Ariella MASBOUNGI

La parole revient maintenant à l’assistance.

De la salle

Je suis architecte-urbaniste. Tous ces projets sont merveilleux. Ils montrent une énergie fantastique, mais d’où vient cette énergie ? Vient-elle de vous ou du maître d’ouvrage ? Comment vendez-vous cette énergie au maître d’ouvrage ? Il a assez peu été question du maître d’ouvrage, autrement dit des villes et des porteurs de projets qui viennent vous chercher.

De la salle

Je suis étudiant en architecture. Le pOlau collabore-t-il avec le Fourneau à Brest ou avec la cité des arts de la rue ? Si oui, de quel ordre sont ces collaborations ?

De la salle, Isabelle Massin

J’ai été maire de Cergy, ainsi que membre du conseil d’administration de l’établissement public lorsque Claude Robert en était le directeur. Il faut être conscient que Saint-Christophe, où est implanté l’axe majeur, est le quartier le plus réussi, sur le plan urbanistique, de Cergy-Pontoise. C’est également celui qui pose le plus de problèmes sociaux. La qualité de l’urbanisme et l’art dans la ville sont très importants, mais cela ne règle pas les problèmes sociaux. L’axe majeur est certes une œuvre fantastique, mais je suis moins optimiste que Caroline de Saint-Pierre quant à son appropriation par tous. L’axe majeur est un lieu important de convivialité et de mixité. De nombreuses personnes le visitent. Pour autant, je ne suis pas certaine que tous les habitants de Saint-Christophe se le soient appropriés.

Anne-Marie Idrac était directrice de l’établissement public lorsque l’axe majeur a été relancé, après une période de moindre activité. Je l’ai emmenée voir l’axe majeur et la passerelle, qu’elle ne connaissait pas.

Nous nous sommes alors fait la réflexion que tout cela n’avait été possible que parce qu’il y avait eu l’établissement public d’aménagement. Il s’agissait d’une grande opération d’aménagement, le financement étant en partie assuré par la contribution des différents quartiers. Le dynamisme des maîtres d’ouvrage de l’axe majeur doit beaucoup à l’établissement public en tant qu’aménageur d’un projet global.

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Ariella MASBOUNGI

Saint-Christophe était une opération assez étonnante d’invention des immeubles de ville et de retour à la rue. Le dérapage ne me semble pas du tout lié à la qualité architecturale, mais plutôt à l’attribution des logements à des populations en-dessous du seuil de pauvreté.

De la salle, Isabelle Massin

Non, ce n’est pas un problème d’attribution des logements. Le projet a été construit selon un certain mode de financement, mais qui n’était pas pérenne. Il s’agit donc d’un problème de modification du financement de la construction.

De la salle

Je suis artiste et urbaniste. Ma question porte sur les enjeux urbains contemporains que représentent les questions sociales et de logement. Quel est votre avis sur le sujet ? Il faut également se poser la question de la gentrification. Dans quelle mesure ces interventions artistiques dans l’espace public y contribuent-elles ?

De la salle

Je suis membre du CGEDD et élu local d’une petite commune de la région parisienne. Je me demande comment générer une démarche artistique dans ma commune, et avec quels moyens. Comment le faire avec les habitants et les artistes locaux ?

Par ailleurs, ce qui n’est pas éphémère laisse des traces. Or les œuvres d’art peuvent mal vieillir. Comment prévenir ces phénomènes d’obsolescence ?

De la salle

Je travaille pour une agence d’urbanisme, d’architecture et de paysage.

En début de matinée, vous avez évoqué la crainte des urbanistes de se faire prendre leur place. Au sein de notre agence, nous avons mené des collaborations avec des artistes, notamment autour des tramways de Tours et de Brest. Comment se passent les collaborations avec les architectes urbanistes paysagistes ? Ce lien ne pourrait-il pas permettre d’aboutir à des pérennisations intéressantes ?

De la salle

Je suis architecte et ancien directeur d’une agence d’urbanisme. Ma question porte sur la gouvernance éphémère dans la cité. Comment réintroduire de la versatilité, du changement ou de l’éphémère dans la gouvernance du territoire ?

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Ariella MASBOUNGI

Jean-Dominique Secondi, qui joue un rôle de passeur entre la maîtrise d’ouvrage et les artistes, me paraît tout indiqué pour répondre à la question sur l’énergie et le rôle de la maîtrise d’ouvrage.

Jean-Dominique SECONDI

J’ai la chance de travailler avec des maîtrises d’ouvrage qui lancent des commandes. Je n’ai donc pas besoin de susciter de l’énergie. En revanche, je travaille avec des maîtrises d’ouvrage qui sont volontaires et qui mettent en place des processus et des démarches intégrés. Depuis dix ou quinze ans, les maîtrises d’ouvrage se dotent, en interne, de personnes capables de porter leur volonté d’intégrer l’art à l’aménagement. Par exemple, le Grand Lyon s’était mis en ordre de bataille politique et administratif avant même de lancer le projet, afin de pleinement jouer son rôle de maître d’ouvrage.

Le Grand Lyon a été capable d’exposer son projet politique pour l’aménagement des rives de Saône. Les architectes, les urbanistes, les paysagistes et les artistes ont ensuite été capables de travailler ensemble sur un projet commun et partagé.

Ce projet a des chances d’être pérenne car il répond à la demande de la maîtrise d’ouvrage, qui a encadré la demande. Dans ce cadre, le sujet de la pérennisation était essentiel. Toutefois, l’obsolescence ne renvoie pas seulement à la pérennisation. Elle renvoie également à la tenue d’un projet dans le temps. Un projet créé aujourd'hui dans un contexte particulier, avec un art de plus en plus in situ, tiendra-t-il dans le temps ? Pour ne pas courir le risque de se retrouver uniquement avec de l’art éphémère, il faut accepter que les actions artistiques puissent être remises en question. Cela oblige la maîtrise d’ouvrage à dialoguer avec les artistes afin qu’il soit possible de trouver une solution si une œuvre ne prend pas sa place.

Ariella MASBOUNGI

Dans notre ouvrage, nous avions inclus une annexe très importante sur la commande d’art urbain et la manière de déclencher une action artistique.

Ce que nous avons écrit est-il toujours d’actualité ? Si tel est le cas, c’est une aide considérable.

Jean-Dominique SECONDI

Malheureusement, des mécanismes qui existaient il y a dix ans se sont appauvris. Je pense notamment aux aides publiques. En revanche, le reste n’a pas évolué.

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Ariella MASBOUNGI

Nous allons donc enlever ce qui n’est plus d’actualité et diffuser le reste.

J’aimerais maintenant que Dani Karavan nous explique de quelle manière il travaille avec la maîtrise d’ouvrage et comment il voit la pérennité des œuvres.

Dani Karavan

Normalement, je reçois des commandes directes. J’ai plus rarement participé à des concours. J’aime dialoguer avec ceux qui me demandent un travail. Dans le cas de Cergy-Pontoise, le projet qui a été approuvé n’est pas exactement celui qui a été réalisé. J’ai été obligé de changer certaines choses. L’artiste doit être flexible, mais sous certaines limites. Il n’est pas toujours possible de faire des compromis. Parfois, le résultat est meilleur et plus fort que le projet initial. En outre, il arrive que les réalisations soient soumises aux aléas économiques.

Rien n’est plus important que l’entretien d’une œuvre. Daniel Buren a pu forcer la ville à entretenir ses œuvres. C’est également mon cas à Tel Aviv. Ce n’est pas simple. En cas de changement, les nouveaux arrivent avec leurs propres projets ou monuments. Il est vrai que tout le monde n’est pas enthousiaste à Cergy-Pontoise. C’est normal. Le contraire aurait été anormal.

Ariella MASBOUNGI

Dans le cas de Nice, les œuvres liées au tramway ont désormais le statut de collection. Un commissaire d’exposition est en charge de la gestion de ces œuvres. C’est une innovation très importante.

Jean-Dominique SECONDI

Cette initiative est pratiquement unique. Il existe un conservateur de la collection et un responsable technique chargé de veiller au bon fonctionnement et à l’entretien des œuvres. C’est également une réponse à la question sur la gouvernance éphémère, puisque la structure proposée résiste aux changements politiques, alors qu’il arrive que certaines œuvres ne soient plus du tout entretenues en cas de changement important.

Maud le FLOCH’

Nous travaillons parfois avec l’équipe du Fourneau à Brest, même si cette équipe est plus ancrée dans les arts de la rue. Toutefois, elle travaille de plus en plus en lien avec l’urbain.

Les formes temporaires et intermédiaires ne correspondent pas à des commandes de 1 % ou à de la demande publique traditionnelle. Nous

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sommes en amont. Tout cela doit provenir du désir d’un maître d’ouvrage ou d’une collectivité publique. Introduire une dimension culturelle, ça n’est pas que faire du bon, du beau ou du moelleux. Il s’agit également d’introduire de la stratégie, parfois même de la tactique, qui peut rejoindre des intérêts divers, notamment la gentrification. L’artistique et le culturel génèrent souvent u processus de gentrification, autrement appelé requalification urbaine dans son versant positif. Comment faire pour que ce génie ne serve pas seulement d’outil à la ségrégation spatiale ? C’est là que le politique intervient.

La maîtrise d’ouvrage doit être au point sur ce qu’elle souhaite : entre réintroduire du sens, des clés symboliques, du commun et du plaisir, et éloigner les indésirables, ce n’est pas pareil. Le forain est d'ailleurs utilisé pour cela.

La dimension artistique et culturelle peut faire l’objet d’une stratégie, mais comme toute stratégie, elle doit débuter par une phase de diagnostic et de conception. Nous sommes sur des métiers qui s’inventent. Aux Etats- Unis et en Grande-Bretagne, ces métiers d’urban curators existent déjà. Il s’agit de commissaires artistiques urbains dans des opérations privées.

Ce n’est pas tout à fait cela qui se joue en France, où nous avons une autre politique publique en matière d’art et de culture.

Il est toujours intéressant d’inviter de nouveaux talents dans le bal du projet urbain et de pouvoir les transformer en compétences. Cela se joue entre le commanditaire et le commandité. Une structure comme le pOlau- pôle des arts urbains sert précisément à cela, à fabriquer ce tissage.

Ariella MASBOUNGI

Avez-vous des contacts avec la presse ? Maud le FLOCH’

Cela arrive. En général, nos opérations ont un côté créatif. Un certain nombre de démarches surfent sur ce courant. La ville créative ne pourra pas se faire sans la création. Le créatif n’est pas la création. La presse s’intéresse à l’originalité, à l’inédit, aux nouveaux jeux qui s’installent. Au- delà de l’évènementiel ou de ce qui peut jaillir en immersion, une certaine presse, très urbaine, commence doucement à s’y intéresser. Même des quotidiens et des hebdomadaires grand public commencent à y prendre goût.

Ariella MASBOUNGI Y a-t-il d’autres questions ?

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De la salle

Je travaille pour le CGEDD. Je trouve qu’il n’a pas été assez question, ce matin, de la maîtrise d’ouvrage. Un maître d’ouvrage, qu’il soit élu ou président d’établissement, qui souhaite utiliser l’art comme dimension pour fonder un quartier ou une ville doit faire preuve d’un grand courage. Une œuvre d’art ne peut pas être anodine. Si elle fait consensus immédiatement, il y a tout lieu de penser qu’elle aura été oubliée cinq ans plus tard. Une œuvre d’art, pour marquer un territoire, doit être fondatrice. Les gens n’ont pas forcément les références pour comprendre et imaginer tout ce que cette œuvre anticipe. Dès lors, elle fait polémique, et parfois fortement.

Il nous est très facile, aujourd'hui, de contempler le double plateau de Buren au Palais Royal, mais en son temps, cette œuvre a fait polémique.

C’est un sujet fondamental : pour qu’une œuvre dure, elle doit être fondatrice, donc, d’une certaine manière, choquer. Il ne faut surtout pas qu’elle doit anodine, sinon ce n’est plus de l’art, mais de la décoration.

Ariella MASBOUNGI

D'ailleurs, à Saint-Nazaire, le maire a fait preuve d’un courage et d’une anticipation incroyables. Plus que la maîtrise d’ouvrage, c’est le courage du maire qui est en jeu.

De la salle

Je suis un ancien urbaniste de Saint-Quentin-en-Yvelines. Cette ville comprend 83 œuvres sculpturales. C’est beaucoup. Cette aventure a débuté en 1974, puis s’est terminée vingt ans plus tard avec l’œuvre de Dani Karavan dans le cœur de la ville.

La commande a évolué. Il ne s’agit plus d’insérer une œuvre dans un espace public. Le travail est à présent totalement conjoint entre l’urbaniste, l’architecte et l’artiste. Toutefois, cela ne se passe pas toujours facilement.

En 1981, les urbanistes avaient imaginé relier l’étang de Saint-Quentin à la vallée de la Bièvre par un canal urbain. Le but était de travailler le thème de l’eau dans la ville. Les élus n’ont pas voulu autoriser cette liaison. Pour autant, l’art était devenu consubstantiel à l’espace urbain.

Aujourd’hui, pour des raisons financières, le corps politique ne veut plus de ce canal. Ce ne sont plus seulement les œuvres, mais leur support qui pose problème. Ces œuvres ont pourtant été réalisées par des artistes de renommée mondiale, qui ont donné leur talent car le support de leur art était à la dimension de cet art. Au nom de la tarte à la crème du développement durable, il est maintenant question de transformer ce canal en petit ruisseau bucolique. Je suis favorable au développement durable, mais à certains moments, trop c’est trop. L’environnement de l’art, donc l’art lui-même, est parfois dévoyé.

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Ariella MASBOUNGI

S'agissant de la gentrification, il est vrai que lorsque des artistes s’installent et fécondent un territoire, ils font grimper les prix. A Birmingham, les aménageurs privés ont estimé que la valeur du sol était liée à la présence des artistes. En France, nous n’en sommes pas encore à nous dire que la valorisation apportée par la présence d’artistes mérite que nous fassions un effort pour les garder.

De la salle

Nous pouvons nous demander si cela va dans le bon sens.

Jean-Dominique SECONDI

La question est globale. Elle n’est pas simplement liée au fait d’inviter des artistes. Très souvent, les premiers à entamer des démarches dans des quartiers à requalifier sont des collectifs d’artistes auxquels est offert un terrain d’expérimentation.

De la salle

Avez-vous une posture par rapport à cela ? Ariella MASBOUNGI

Votre question est très complexe et très large. Elle interroge les politiques publiques.

Maud le FLOCH’

L’artiste participe à la requalification. Il désigne, il pointe du doigt un lieu, une attitude de la modernité. Il se situe en amont des choses. La valeur qu’il donne se transforme, selon l’opérateur, en valeur ajoutée, relationnelle ou publique, en bien commun. L’artiste peut générer du sens ou produire du bien commun. Il peut également jouer une autre carte. Si les intérêts des uns et des autres ne sont pas garantis, par exemple par la puissance publique, alors oui, il y a de quoi être inquiet de la présence de l’art dans l’urbain.

Ariella MASBOUNGI

A cet égard, l’expérience barcelonaise est très intéressante car l’art dans la ville a fait partie du travail sur l’espace public, y compris dans les quartiers difficiles, et cela n’a pas entraîné de gentrification. La politique publique de cette ville était forte et égalitaire.

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