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Mobilités quotidiennes et crues éclair : Une rencontre à haut risque !

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Academic year: 2021

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Mobilités quotidiennes et crues éclair : Une rencontre à

haut risque !

Isabelle Ruin

To cite this version:

Isabelle Ruin. Mobilités quotidiennes et crues éclair : Une rencontre à haut risque !. Environnement et Société. Université Grenoble Alpes, 2020. �tel-03092999�

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24 novembre 2020

Mémoire présenté pour obtenir

l’habilitation à diriger les recherches

Université Grenoble Alpes

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1 Introduction 7

2 Les échelles emboîtées de l’exposition humaine aux crues rapides 11

2.1 Échelles des processus hydro-météorologiques . . . 13

2.2 Échelles d’exposition humaine . . . 19

2.3 Les pratiques de mobilité quotidiennes à la croisée d’échelles sociales,

spatiales et temporelles . . . 23

2.4 Processus décisionnels : des comportements routiniers à la mise en

pro-tection face au danger . . . 29

2.5 Synthèse . . . 40

3 Retour d’expériences et analyses couplées des processus

socio-hydro-météorologiques 43

3.1 Méthodes de retours d’expériences socio-hydro-météorologiques . . . 45

3.2 Les réponses sociales au prisme des dynamiques hydro-météorologiques 53

3.3 Synthèse et perspectives . . . 66

4 La prédiction des événements à forts impacts est-elle possible et utile ? 73

4.1 Extrêmes hydro-météorologiques et exposition des mobilités

quoti-diennes : Le model MobRISK . . . 75

4.2 Modélisation probabiliste des impacts humains des crues rapides aux

USA . . . 95

4.3 ANYCaRE : Un jeu sérieux pour comprendre les enjeux scientifiques,

opérationnels et communicationnels de la gestion de crise . . . 114 4.4 Synthèse et perspectives . . . 126

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5.1 Trajectoires de vulnérabilité aux risques hydro-climatiques : exploration

des interactions d’échelles . . . 134 5.2 Le projet “Expériences immersives et résilience comportementale” . . 144 5.3 Exploration à venir autour de la notion de services climatiques en Afrique

de l’Ouest . . . 154

Bibliographie 157

Table des figures 175

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Avant d’entrer dans le vif de mes recherches de ces 10 dernières années, il semble bon de rappeler le parcours plutôt atypique qui précéda mon entrée au CNRS et les raisons qui ont conduit à m’intéresser à la vulnérabilité humaine face aux risques naturels en me focalisant presque exclusivement sur le risque de crues rapides

Ce parcours est d’abord le fait de rencontres avec des scientifiques passionnés et passionnants et des vulgarisateurs de l’environnement. En remontant dans ma jeu-nesse, les figures de proue de mon attirance pour le risque naturel et de mon goût pour la recherche sont, pour les unes des figures charismatiques de la volcanologie comme Maurice et Katia Kraft ou Aroun Tazieff, et pour les autres des chercheurs géologues et paléontologues moins connus du grand public mais que j’ai eu la chance de côtoyer de près. Ainsi, depuis mon enfance, je suis fascinée par les images de volcans en éruption et les histoires des Hommes et des sociétés qui bravaient cette menace soit pour la science, soit au quotidien pour vivre dans un état d’équilibre fragile entre risques et aménités. Cette fascination a d’abord conduit à m’initier à la géologie au départ par le biais de chantiers de fouilles paléontologiques ouverts aux jeunes où j’ai eu la chance de mettre à jour de véritables trésors fossiles vieux de plusieurs millions d’années. Cette expérience incroyable a été d’autant plus marquante et formatrice qu’elle était accompagnée par des chercheurs enthousiastes et pédagogues (Francis Duranthon, Leonard Ginsburg pour ne pas les nommer) qui ont su transmettre leurs connaissances et planter les graines d’une curiosité et d’une méthode scientifique. Ces rencontres ont naturellement orienté mon parcours vers des études en géologie avec une spécialisation en matière d’aléas naturels. Une première expérience de 4 ans de travail comme “emploi-jeune” dans le domaine de l’éducation à l’environnement m’a ensuite fait découvrir le volet social du risque, la façon dont l’homme modèle le territoire pour en tirer profit mais en créant également les conditions de sa propre vulnérabilité. C’est ce qui m’a attiré

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vers la géographie et la reprise d’un Master dans ce domaine.

De nouvelles rencontres, celles de Céline Lutoff, Jean-Dominique Creutin, San-drine Anquetin et Eve Gruntfest en particulier ont finalement orienté mes interroga-tions vers ces objets complexes que représentent les événements de crues rapides. Je me rappelle parfaitement bien de ces quatre rencontres fondatrices. D’abord Céline Lu-toff, que j’ai découvert en suivant ces cours de DEA sur l’exposition et la vulnérabilité à l’Institut de Géographie Alpine. Sa personnalité, la clarté et la logique de son discours sur l’approche systémique par les enjeux m’ont semblé tellement lumineux que j’ai su dès lors que je voulais travailler sur ce sujet à ses côtés. Dans ma recherche de finan-cement mais également de collaborations avec les géosciences j’ai ensuite rapidement rencontré Jean-Dominique Creutin et Sandrine Anquetin. Les nombreux échanges ani-més que j’ai eu avec Jean-Dominique ont toujours été éminemment inspirants de par la profondeur de son raisonnement et la clairvoyance des questions interdisciplinaires qu’il se pose sur les phénomènes météo-climatiques. D’une grande humanité et tou-jours à l’écoute Sandrine a su m’apporter un soutien sans faille et en particulier pousser mon approche au sein de la communauté scientifique intéressée aux risques hydro-climatiques en Méditerranée. Finalement, lorsque j’étais plus avancée dans ma thèse, j’ai eu la chance de rencontrer Eve Gruntfest à plusieurs reprises, et en premier lieu dans le cadre de ma participation en 2005-06 au premier workshop “Was*Is :

Wea-ther and society Integrated studies” au National Center for Atmospheric Research (NCAR).

Là encore cette rencontre a contribué à changer le cours de ma vie professionnelle. Outre sa profonde générosité, ce qui frappe à première vue c’est son engagement et son enthousiasme à créer des interactions entre les gens et experts de différents do-maines. Cette énergie communicative, ses encouragements et son soutien à poursuivre dans la voie de l’interdisciplinarité sur le thème des crues rapides, qu’elle a elle-même grandement contribué à faire avancer, m’ont donné la confiance nécessaire pour oser postuler aux prestigieux financements post-doctoraux de l’Advanced Study Program, d’N-CAR. Sans l’aide de ces quatre personnes, il est clair que je ne serais pas chercheuse au CNRS et encore moins en train de rédiger cette HDR aujourd’hui. Il va s’en dire que ma reconnaissance va également à la commission de recrutement de la section 45 (maintenant 52) du CNRS qui a cru en mon potentiel et compris que la ligne droite n’est pas l’unique critère de motivation et de réussite.

Cette interdisciplinarité tant souhaitée et promue pendant toute sa carrière par Eve Gruntfest, qui lui a dernièrement consacré l’ouvrage “Weather and Society, toward

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Table des matières je la vis au quotidien surtout depuis mon recrutement en 2009 par une section inter-disciplinaire du CNRS au sein du Laboratoire d’étude des Transferts en Hydrologie et Environnement (LTHE), maintenant connu sous le nom de d’Institut des Géosciences de l’Environnement (IGE). L’interdisciplinarité, au contraire de ce que beaucoup sou-haiterait, ne se décrète pas, elle se pratique au jour le jour et sur le long terme. Pour se la représenter, j’aime beaucoup l’image de l’éponge ou du sachet de thé qui infuse lentement. Elle nécessite une immersion dans un milieu pour mieux en saisir les codes et les subtilités et surtout pour apprendre à développer un vocabulaire commun qui pourra conduire à construire des problématique de recherche intégrées. En utilisant les mêmes mots, on a au premier abord l’impression de parler la même langue ce qui est dans les faits rarement le cas. Il faut du temps pour apprendre à se comprendre et à entrevoir comment la science des uns peut apporter à celle des autres et vis versa. L’idée n’est pas de coller des résultats de recherche disciplinaires les uns aux autres pour en faire un patchwork mais bien de tisser les bruns faits de différentes approches disciplinaires pour en faire une tapisserie plus forte de sens. Eve Gruntfest avait lors de son séjour de recherche au National Weather Center à Norman (Oklahoma) eu le génie d’inventer l’acronyme “SSWIM : Social Science woven into Meteorology” qui me parait par-faitement représenter cette idée de tissage pouvant finalement conduire au métissage de nos recherches.

Pratiquer l’interdisciplinarité dans la recherche peut avoir des côtés frustrants : c’est de la science lente qui n’est pas forcément très bien reconnue par les sciences “pures”. La géographie et la géographie du risque en particulier se prête bien aux approches interdisciplinaires, même si le géographe peut avoir la tentation de traiter l’ensemble des composantes du risque qu’elles soient physiques ou sociales sans faire appel à des experts de chaque domaine. Même quand l’objet “Risque” rassemble de nombreuses disciplines qui trouvent à publier dans des journaux reconnus de chacune d’entre elles, ce n’est pas toujours l’intégration des connaissances qui est recherchée. Ma chance, en

rejoignant un laboratoire de l’INSU1spécialisé dans l’étude du climat, du cycle de l’eau,

de la cryosphère et des environnements naturels et anthropisés, a été de bénéficier d’un environnement extrêmement favorable pour développer des recherches interdiscipli-naires. L’équipe HMCI (Hydro-Météorologie, Climats, Impacts) qui m’a accueilli et a délibérément pris un S (HMCIS) pour représenter la thématique d’Interaction avec la Société que j’apportais est me semble-t-il pionnière dans le métissage SHS-Géosciences en France. Ainsi j’y ai trouvé des collègues experts de différents domaines particuliè-rement ouverts d’esprit et curieux qui ont pris le temps d’échanger et/ou de lire des

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articles en dehors de leur domaine de compétence. Ces échanges d’abord informels se sont rapidement concrétisés autour de la création dès 2010 d’un séminaire

interdisci-plinaire mensuel intitulé AMETIhST2réunissant des chercheurs en sciences humaines

et en géosciences issus initialement des laboratoires Grenoblois PACTE et IGE. De la géographie sociale, des sciences de l’atmosphère, de l’hydrologie et du climat, le cercle des compétences s’est progressivement étendu à l’économie environnementale, la so-ciologie, la sismologie, les sciences de la communication et les statistiques. Cette espace d’échange est pour moi et pour les autres participants l’occasion de découvrir et d’ap-profondir des sujets et lectures scientifiques choisis conjointement et plus éloignées de nos principaux centres d’intérêt.

Lors de mes premiers pas en recherche, je n’avais pas imaginé que j’aurais autant d’occasions d’apprendre de ces événements “extrêmes” de crues rapides. Ainsi, même si ceux-ci sont considérés comme exceptionnels, j’ai eu en l’espace de 12 ans l’oppor-tunité d’étudier 7 occurrences de ce phénomène en me focalisant uniquement sur 4 départements côtiers du Sud-Est de la France.

D’abord, l’actualité des crues majeures des 8-9 septembre 2002 a guidé mes travaux de DEA et de thèse vers le département du Gard et une problématique décelée sur le terrain post-crise. Les entretiens avec les victimes de cet épisode m’ont amené à mettre en lumière les contraintes et capacités d’adaptation individuelles face à ce type d’événe-ment insidieused’événe-ment perturbateur des routines quotidiennes, que je classifierais dans

la catégorie des “risques scélérats3” selon la définition de Dedieu [2009]. Le terme de

“risque scélérat” me semble assez approprié au cas des crues rapides dont le premier marqueur est celui d’une très forte et courte pluie d’orage, ce qui arrive couramment et semble assez bénin et ordinaire. Malheureusement dans certaines conditions (concen-tration des pluies sur un petit bassin versant à réaction rapide), cela peut vite se trans-former en ruissellements violents, destructeurs et particulièrement meurtriers. Comme je le détaillerai dans ce mémoire, la résonance entre les échelles spatio-temporelles des processus météorologiques et hydrologiques est un verrou scientifique majeur de la prédictibilité à fine échelle de ce type d’événement. Partant de ces difficultés en matière de prévision et d’alerte à la population, mes recherches se sont surtout attachées à mon-trer le lien entre ces échelles hydro-météorologiques spécifiques et celles qui touchent à l’exposition des populations de par leurs activités et mobilités quotidiennes. Ainsi, les

2acronyme des mots clefs Anticipation, Mobilité, Echelles spatio-Temporelles, Intégration,

hydro-météo, Société, Territoires définissant nos intérêts communs

3qui le définit comme un phénomène menaçant dont l’annonce passe inaperçue, parce qu’il prend

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Table des matières crues soudaines ont la capacité de faire irruption dans les espaces de vie et d’activités où l’on s’y attend le moins, car parfois bien éloignés des principaux cours d’eau, et dans lesquels l’Homme est particulièrement vulnérable. C’est ce que j’ai pu constater de fa-çon empirique lors de ma première expérience de terrain en interrogeant les victimes Gardoises des crues de 2002.

Les crues de 2005, toujours dans le Gard, m’ont ouvert aux problématiques de l’alerte et la gestion de crise avec une expérience in situ pendant près de 24h au sein de la cellule de crise en préfecture, puis le jour suivant en passant la nuit dans un gymnase sur un lit de camp au milieu des sinistrés d’Alès. Ce jour là, j’ai testé “pour de vrai” et involontairement ma problématique : suivre presque à la lettre un programme d’activités prévu de longue date au mépris des signes environnementaux. On peut dire que j’étais sensibilisée, je m’étais même informée des conditions locales, et pourtant j’ai moi aussi traversé des sections de routes inondées pour atteindre coûte que coûte le lieu de mon rendez-vous. Je crois que c’est à partir de ce moment là que j’ai été intimement convaincue que la majorité des accidents lors de ces événements ne sont pas liés à l’irrationalité des comportements ou à l’imprudence volontaire.

Dès mon retour de post-doc, j’ai eu à nouveau l’occasion de confronter mes hypo-thèses sur le terrain post-crise suite aux crues de juin 2010 et novembre 2011 dans le secteur de Draguignan, Var. Les plus récentes que j’ai étudié en utilisant une nouvelle technique d’enquête datent de l’automne 2014 dans les secteurs de Nîmes et Montpel-lier puis d’octobre 2015 suite aux événements dramatiques des Alpes Maritimes. C’est forte d’une approche inductive basée sur cette expérience de terrain que j’ai construit un raisonnement et une compréhension de l’interaction des processus

hydro-météo-socio-spatiaux à l’oeuvre. C’est surtout grâce aux nombreux habitants sinistrés ou experts qui

m’ont accordé de leur temps pour témoigner de leur expérience que j’ai pu rassembler les pièces du puzzle que je vais tenter de reconstruire dans ce document.

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Les villes et les milieux urbanisés au sens large constituent un milieu fortement an-thropisé où les dynamiques naturelles sont bouleversées par les divers aménagements. Dans ces espaces, la nature a perdu sa place dans le paysage comme dans les esprits. Les contraintes de la vie quotidienne et notamment la nécessité de mobilité pour re-joindre son lieu de travail ou de vie prend le pas sur les risques exceptionnels que peuvent représenter les phénomènes naturels. Malheureusement, les conséquences de ces phénomènes sont bien souvent aggravées par le système urbain lui-même. Ainsi, le risque hydrologique, par exemple se trouve fortement exacerbé par l’imperméabili-sation des sols qui augmente le ruissellement, par la densité humaine qui constitue un facteur d’exposition majeur, et par la concentration des ressources économiques, des centres politiques et des flux de toutes sortes.

Avec l’objectif d’une maîtrise des risques, les sociétés modernes ont mis en place des systèmes de prévention reposant sur le zonage, l’alerte et la construction d’ou-vrage de protection visant à canaliser et gérer les extrêmes pluviométriques. Ainsi le risque d’inondation lente, même s’il est toujours présent, se réduit de plus en plus à des dégâts matériels difficilement évitables. À l’inverse, les crues à dynamique rapide continuent de présenter un enjeu en termes de vies humaines puisqu’elles restent as-sociées, quelque soit le type de société, à un fort taux de mortalité [Jonkman 2005]. Ce constat paraît d’autant plus préoccupant que les changements climatiques et an-thropiques (démographie croissante, mode de vie, urbanisation...) vont dans le sens d’un accroissement du problème. Ainsi, l’étude de ce type d’événement, des vulnéra-bilités et des réactions d’adaptation qu’il suscite permet d’apporter de nouvelles clés de compréhension des interactions hommes-milieux avec pour objectif l’amélioration

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des systèmes de mitigation actuels.

La spécificité des crues rapides réside dans les échelles spatiales et temporelles et la gamme d’intensités mobilisées. En effet, les processus hydrologiques se produisent aux mêmes échelles spatiales et temporelles que les précipitations intenses qui les gé-nèrent [Kelsch et al. 2001, Anquetin et al. 2004]. Ces caractéristiques ont plusieurs conséquences en termes d’impacts. Du point de vue de la prévision, la conséquence de l’évolution rapide des systèmes précipitants sur des bassins rapides au fonctionnement hydrologique complexe font des crues rapides un phénomène qui reste particulière-ment compliqué à prévoir, de façon précise, dans l’espace et dans le temps. Dans le cas des bassins versants de petite taille, le temps nécessaire pour alerter et susciter une réponse appropriée de la part du public est généralement beaucoup plus long que le laps de temps séparant le début de la pluie de l’occurrence des crues résultantes [Kelsch

et al. 2001]. Ainsi celles-ci sont souvent accompagnées d’un effet de surprise renforcé

par la soudaineté et l’intensité de l’élévation du niveau des cours d’eau. Ceci a de fortes conséquences en termes de mobilités avec près de la moitié des décès survenant lors de déplacements (majoritairement en voiture mais aussi à pieds). Mes travaux de thèse ont ainsi identifié les pratiques spatiales quotidiennes comme facteur important de vulné-rabilité aux crues rapides. Deux causes à cela : des représentations spatio-temporelles éloignées de la réalité du risque, d’une part ; un manque de flexibilité et d’adaptabilité des pratiques individuelles quotidiennes, d’autre part. Ces résultats reposent principa-lement sur des enquêtes d’intention dont les mises en situation restent virtuelles. En effet, ces mises en situation font appel aux représentations individuelles qui peuvent s’avérer très éloignées des situations réelles vécues en temps de crise.

Dans ces circonstances, une des plus grosses difficultés réside précisément dans l’évaluation de la situation, d’autant que dans le cas de crue rapide celle-ci peut évoluer extrêmement rapidement. Une même décision peut s’avérer bonne à un instant donné puis inadaptée cinq minutes plus tard. La qualité de la décision dépend donc de son adéquation temporelle avec la dynamique du phénomène, mais aussi de sa compatibilité avec le contexte géographique. Par exemple, surveiller l’évolution du cours d’eau peut s’avérer efficace dans le cas d’une rivière importante dont le temps de montée est de plusieurs heures, mais extrêmement dangereux pour des ruisseaux de petites tailles réagissant en moins d’une heure. Ainsi, face à une situation où les signes avant-coureur du danger ne sont pas clairement identifiables, il peut être difficile de faire la part des choses entre une perturbation de la normalité qui demande une adaptation à la marge et des circonstances exceptionnelles qui nécessitent de changer radicalement de mode

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Chapitre 1. Introduction comportemental.

La compréhension des processus à l’origine de la transition entre comportement routinier et comportement de mise en protection nécessite d’observer la succession des décisions dans le contexte de l’évolution des situations vécues et perçues par les individus. Ainsi mes travaux ce sont attachés à appréhender, aux échelles allant de l’in-dividu aux organisations sociales de méso-échelles (cellule familiale, groupe scolaire, communauté locale...) l’ensemble des comportements et stratégies d’action mises en oeuvre dans l’espace et dans le temps à l’occasion de perturbations environnemen-tales bruenvironnemen-tales. L’étude des modes d’adaptation des pratiques aux situations de crise doit permettre de comprendre comment différentes entités sociales font face à leurs obligations quotidiennes au regard de la dégradation des circonstances environnemen-tales. Ces explorations empruntant différents angles d’approches ont confirmé l’intérêt de ne pas faire de dichotomie entre pratiques quotidiennes et pratiques de crise mais bien d’étudier la continuité et l’imbrication spatio-temporelle de ces différentes pra-tiques qui se conditionnent les unes aux autres. Ces événements, touchant des échelles hydrométéorologiques peu explorées (bassins non jaugés), interagissent avec les socio-dynamiques quotidiennes sur lesquelles l’alerte officielle a bien du mal à agir. Ainsi, mes travaux s’inscrivent également dans une démarche de modélisation couplée des pro-cessus socio-environnementaux afin de permettre la prédiction des impacts humains en intégrant les dynamiques de vulnérabilité humaine qu’elles soient de l’ordre de l’ex-position ou de la réponse comportementale en situation de crues rapides. Dans cet objectif, mes travaux ont permis de :

• Considérer les pratiques de mobilité et les programmes d’activités individuels comme les éléments indispensables à la compréhension de l’exposition aux risques hydrométéorologiques à dynamique rapide ;

• Etudier en quoi les dynamiques spatio-temporelles liées aux phénomènes d’inon-dations rapides influencent le rythme d’adoption de pratiques de protection ; • Identifier les facteurs cognitifs, situationnels et les seuils gouvernant la transition

entre un mode de fonctionnement quotidien routinier et un mode de fonction-nement adapté à une situation de crise ;

• Modéliser la variabilité inter-individuelle de l’exposition des mobilités quotidiennes et des comportements de protection lors de crues rapides ;

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• Envisager la prédiction d’événements hydro-climatiques à forts impacts humains par une modélisation croisée des dynamiques socio-hydro-météorologiques. Dans le cadre du chapitre 2 de ce mémoire, j’examine l’exposition humaine aux crues rapides en termes d’échelles spatiales et temporelles. Le chapitre suivant s’attache à présenter les méthodes de retour d’expérience post-inondation que j’ai développées et les leçons qu’elles m’ont permis de tirer pour l’analyse couplée des processus socio-hydro-météorologiques. Le chapitre 4 est consacré aux questions de modélisation et de prédiction des événements à forts impacts sociaux. Le dernier chapitre revient sur les verrous scientifiques, les pistes et projets de recherche de ces derniers développements soulèvent.

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Collaborations:

A l’IGE : S. Anquetin, B. Boudevillain, L. Creton-Cazanave, J.-D. Creutin, G.

Del-rieu, J. Jeuring (CDD).

A l’extérieur : C. Lutoff (PACTE), M. Borga (Univ. Padova, IT), E. Gruntfest

(Univ. of Colorado, Colorado Springs, USA), A. Scolobig (Istituto di Sociologia Internazionale di Gorizia, IT).

Programmes de recherche: EU FP6 FLOODsite, Advanced Study Program

d’NCAR, ANR Retour Post-Doc ADAPTFlood, ANR MobiClimEx

Publications: Ruin et al. [2008, 2009], Creutin et al. [2009], Ruin et al. [2012],

Creutin et al. [2013], Lutoff et al. [2016]

Ce chapitre s’intéresse aux problèmes d’échelles que posent les événements de crues rapides. Cette appréhension par les échelles est née de collaborations avec mes col-lègues hydro-météorologues. En effet, pour eux les dynamiques des processus atmo-sphériques et hydrologiques ont des caractéristiques identifiables en termes d’espace et de temps. Ces caractéristiques conditionnent notamment les moyens d’observation de ces phénomènes et dictent les choix de modélisation permettant de les simuler et donc de les prévoir. Mes recherches explorent l’hypothèse que ces échelles physiques,

com-prises entre 2 et 2000km2 pour une gamme de temps allant de la minute à quelques

heures, peuvent entrer en résonance et impacter les pans de nos activités humaines caractérisés par les mêmes gammes d’échelles spatio-temporelles.

Une premières analyse des conséquences des crues des 8-9 septembre 2002 dans le Gard a permis d’explorer les impacts humains des crues rapides au regard des échelles

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des bassins versants à l’origine d’accidents mortels [Ruin et al. 2008]. Encouragés par la découverte d’un lien entre échelles physiques et caractéristiques socio-démographiques des victimes, je me suis attachée à élaborer une stratégie d’observation et de modélisa-tion des réponses humaines aux aléas hydro-météorologiques afin de situer les acmodélisa-tions humaines dans l’espace et dans le temps, permettant ainsi de les “raccrocher” à un contexte environnemental précis.

La reconstitution de ce contexte m’apparait essentielle pour envisager les circons-tances physiques, perceptives et informationnelles immédiates dans lesquelles ont été prises les décisions en réponse à une situation potentiellement dangereuse. Néanmoins ces facteurs situationnels ne doivent pas faire oublier que les décisions individuelles sont également le fruit de processus cognitifs de plus long terme impliquant une re-présentation des facteurs aussi bien physiques que sociaux pesant sur l’action fina-lement mise en oeuvre. Cette approche scalaire a reposé sur les apports théoriques issus du courant de pensée de la Resilience Alliance initié dans les années 70 par Holling [1973, 2001]. Pour permettre de mieux cerner la complexité des systèmes sociaux et envisager les interactions d’échelles qui pouvaient être à l’origine des problématiques homme-environnement, d’autres types d’échelles comme celles proposées par Cash

et al. [2006] et Grossetti [2011] ont également été mobilisées.

Enfin, ce chapitre fait également appel aux apports de la Time-Géographie, de la géographie des mobilités et de la psychologie sociale et cognitive afin d’examiner les liens d’échelle entre les réactions plus ou moins réfléchies face au danger et les pratiques routinières du quotidien.

Cette lecture des processus physiques et humains par les échelles est celle que je propose de résumer dans ce chapitre. Ainsi je m’intéresse d’abord aux processus hydro-météorologiques en identifiant les différentes échelles qu’il nous a semblé utile de mobiliser au regard des impacts humains des crues rapides. La deuxième partie s’in-téresse aux échelles de l’exposition humaine aux inondations. Les sections suivantes mobilisent plus avant certaines théories des sciences sociales qui me semblent parti-culièrement pertinentes pour mieux comprendre la transition entre comportements routiniers ancrés dans le quotidien et réponses aux circonstances dangereuses induites par l’irruption perturbatrice des phénomènes de pluies-inondations.

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Chapitre 2. Les échelles emboîtées de l’exposition humaine aux crues rapides

Les travaux fondateurs d’Orlanski [1975] en météorologie, ont montré que les pro-cessus atmosphériques suivent une loi de puissance reliant une gamme d’extensions spatiales à une gamme de durées caractéristiques. Ce lien d’échelle permet de différen-cier plus précisément ces phénomènes les uns par rapport aux autres. Trois gammes d’échelles sont particulièrement pertinentes pour caractériser les précipitations. Ainsi les phénomènes de convection profonde peuvent être catégorisés dans les processus de plus petites échelles relevant d’une gamme d’extension spatiale située entre 2 et 20 km pour une gamme de durées situées entre la minute et l’heure. L’échelle inter-médiaire comprise entre 20 et 200 km est associée à des durées de l’ordre de l’heure à plusieurs heures, comme dans le cas des orages localisés et des systèmes convectifs de méso-échelle (SCME) souvent responsables des épisodes cévenoles les plus étendus. L’échelle la plus grande au delà de 200 km concerne des objets météorologiques tels que les fronts et les ouragans qui durent généralement plusieurs jours.

Les hydrologues ont également montré que les processus hydrologiques répondant aux précipitations opèrent à des échelles d’espace et de temps similaires aux processus à l’origine de ces précipitations mais avec un délai de réponse plus ou moins important selon la taille du bassin versant [Pearce et al. 1986, Blöschl et Sivapalan 1995, Creutin

et al. 2013]. En effet, la réponse des bassins versants aux différents objets précipitants

n’est pas linéaire. Dans le cas des épisodes orageux à l’origine des crues soudaines, l’in-tensité des pluies est souvent très hétérogène au cours d’un même épisode. Ainsi, il n’est pas rare, comme le montre l’exemple du bassin de Saint Martin d’Ardèche, d’observer une réponse du bassin en deux temps correspondant à des dynamiques hydrologiques bien différentes (Figure 2.1). La réponse lente, qui s’étale sur plusieurs jours, est due aux transferts souterrains dont les vitesses sont bien moindres que celles de surface. Elle apparait en réaction aux précipitations qui durent sur l’ensemble de l’épisode, et comprend des processus d’évaporation entre sol, végétation et atmosphère [Creutin 2001]. Au contraire, la réponse rapide suit de plus près les pics de pluie présentant des intensités très fortes mais de courtes durées. Le temps de réponse du bassin (durée séparant le pic de pluie du pic de crue) est liée au temps de transfert, s’opérant à des vitesses de l’ordre du mètre par seconde, des eaux de ruissellement dans le réseau hy-drographique. Ce temps de réponse est du même ordre de grandeur que le temps de montée au pic de l’hydrogramme unitaire résultant du pic de pluie.

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hydro-Figure 2.1— Evolution temporelle des pluies moyennes horaires et des débits lors de

l’épisode pluvieux d’octobre 1993 ayant affecté l’Ardèche à Sauze Saint Martin (2450 km2) (Thèse I. Zin, 2002). Le rectangle et la courbe bleu clair désignent respectivement les pluies moyennes et la réponse lente de la rivière. Les rectangles et courbes bleu foncé indiquent les pics de pluies conditionnant la réponse rapide du débit. [Creutin 2001]. logiques est l’asynchronie de la réponse des bassins au cours d’un même événement pluvieux. En effet, la réaction des bassins versants va également dépendre de la dis-tribution spatio-temporelle des pluies. Les bassins de petites tailles (quelques dizaines

de km2) vont être sensibles à l’occurence de cellules convectives isolées, intenses et

de courte durée dont les maxima de pluie sont centrés sur ces bassins. Ainsi des ruis-sellements violents et dévastateurs peuvent apparaitre soudainement à l’occasion d’un orage isolé dans des zones à la topographie peu contrastée mais néanmoins capable de concentrer les eaux. Les cours d’eau drainant des surfaces de quelques centaines

de km2 sont moins sensibles à ce type de pluies très localisées [Creutin et al. 2013].

Leurs réactions sont conditionnées par l’occurence de phénomènes météorologiques de plus grande échelle tels que des systèmes convectifs de méso-échelle. Lors d’un même événement, sous l’effet de l’emboitement des tailles de bassins versants et de la distribution spatio-temporelle des pluies, un territoire situé à la confluence d’un petit et d’un grand bassin versant peut se retrouver inondé par deux pics de crues décalés dans le temps. Cet étagement des temps de réponses au sein d’un même bassin versant composé de sous-bassins versants de tailles plus réduites est illustré par la figure 2.2).

J’ai pu constater cet asynchronisme des débordements à Remoulins lors des crues des 8-9 septembre 2002 dans le Gard [Ruin 2007a, Ruin et al. 2009, Creutin et al.

2013]. Lors de cette crue historique, l’Est de la ville a d’abord été inondée par un

affluent du Gardon, la Valliguière drainant un bassin de 93 km2 et répondant à un

premier orage localisé. Douze heures plus tard, le Gardon dont le bassin s’étend sur

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Chapitre 2. Les échelles emboîtées de l’exposition humaine aux crues rapides

Figure 2.2 — Exemple de débits spécifiques mesurés dans le bassin versant de la

ri-vière Fella (Italie) lors de l’épisode pluvieux du 29 août 2003 pour 3 sous-bassins de

tailles différentes : (- - -) Bassin de Cucco (0.65 km2) ; (—) Rivière d’Uqua à Ugovizza

(24 km2) ; (- - -) Rivière Fella à Pontebba (165 km2) [Creutin et al. 2009].

Ouest cette fois, en réaction à un ensemble de cellules orageuses plus larges, de niveau régional. Comme j’ai pu le constater à travers les témoignages post-crue cette double montée des eaux a surpris les habitants et les autorités qui étaient loin d’imaginer une telle situation.

Sur la base de données d’observation pluie-débit d’événements majeurs de crues rapides en Europe, Creutin et al. [2013] ont montré qu’il existait une relation mathé-matique entre ces deux variables. Cette relation suit une loi de puissance qui indique qu’il y a un rapport constant (la pente de la droite en log) entre l’ordre de grandeur de la surface du bassin et l’ordre de grandeur du temps de réponse, le temps de réponse diminuant avec la surface du bassin versant (Figure 2.3). Cet article confirme l’exis-tence d’un point d’inflexion de cette relation linéaire à partir des bassins de l’ordre de

350 km2, ce qui indique que les bassins inférieurs à cette taille ont un temps de

ré-ponse qui diminue d’autant plus avec la surface du bassin. Cette relation entre surface et temps de réponse permet de caractériser la vitesse de survenue d’une crue sans avoir recours à des mesures de débit in situ, ce qui, dans le cas de petits bassins pour la plupart non-jaugés, est très pratique.

Sur la base de ces considérations d’échelles, nos réflexions interdisciplinaires nous ont conduit à examiner de plus près les échelles caractéristiques des crues rapides, beaucoup plus meurtrières que les crues lentes [Jonkman 2005], pour voir en quoi celles-ci pouvaient conditionner une forme d’exposition et de vulnérabilité humaine particulière. Notre raisonnement se base sur le lien entre temps de réponse des cours

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Figure 2.3— Relation entre la surface du bassin versant et son temps de réponse. La

droite marque la limite inférieure de la relation et indique clairement le point d’inflexion

de cette relation à partir d’une surface de bassin d’environ 350 km2, [Creutin et al.

2013].

d’eau aux sollicitations pluvieuses et surface des bassins versants, faisant l’hypothèse que plus ce temps de réponse hydrologique est court, plus la capacité d’anticipation et de réaction des populations est faible.

Il est évident que la sensibilité des très petits bassins aux orages constitue un chal-lenge en termes de prévision et d’alerte. Cela nécessite de prévoir avec précision la lo-calisation spatio-temporelle des précipitations ce qui n’est possible que pour un temps d’anticipation très court. De plus, la vitesse de réaction des bassins à partir de l’oc-curence des pluies (de l’ordre de la dizaine de minutes) demandent aux territoires et personnes exposées de s’organiser et se mettre en protection au moins au même rythme que celui de la montée des eaux. Sachant tous les freins cognitifs et sociaux contraignant la réponse sociale, déjà largement documentés dans la littérature [Mileti 1995, Lindell et Perry 2003], il ne semble pas surprenant que les crues rapides restent des événements particulièrement meurtriers malgré les progrès technologiques (et notamment l’arrivée du radar météorologique) et communicationnels de ces dernières décennies.

Questionnés par cette surmortalité des personnes lors de crue rapide, nous avons choisi d’interroger les circonstances socio-démographiques et hydrologiques ayant concouru à l’occurrence d’accidents fatals lors des crues de septembre 2002 dans le Gard en nous servant de la relation [surface des bassins versants-temps de réponse] pour reconsti-tuer les dynamiques hydrologiques [Ruin et al. 2008]. Dans le cadre de cette étude, une première difficulté a consisté à récupérer des informations précises sur la

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locali-Chapitre 2. Les échelles emboîtées de l’exposition humaine aux crues rapides sation, l’heure et les circonstances des accidents ainsi que les caractéristiques person-nelles (principalement le genre et l’âge) des victimes. Ce travail fut laborieux car ce

type de donnée n’est pas collectée de façon centralisée1 et il faut avoir recours à

dif-férentes sources qu’elles soient médiatiques ou officielles, qu’il faut ensuite recouper et confirmer par quelques visites de terrain et témoignages de première main. Ensuite, nous avons cherché à associer ces accidents avec une taille de bassin versant et donc une dynamique de crue. Il ressort de cette première analyse exploratoire basée sur 17 accidents que la répartition des caractéristiques des 20 victimes et des circonstances accidentelles ne sont pas uniformément réparties à travers les échelles mais qu’elles se distribuent en deux groupes bien distincts qui reflètent chacun une forme d’exposition et de vulnérabilité particulière (Figure 2.4).

La première forme de vulnérabilité est associée à de grands bassins versants

(supé-rieur à1000 km2) dont les temps de réponse dépassent 9h (selon la formule proposée

par Creutin et al. [2013]). Les victimes associées ont des profils correspondant aux critères de vulnérabilité bien identifiés dans la littérature traitant de vulnérabilité so-ciale [Cannon 1994, Cutter et al. 2003, Wisner et al. 2004]. Elles sont relativement âgées

1A l’heure actuelle, il existe une base de données rassemblant les informations sur les victimes et les

circonstances des accidents mortels lors de crues rapides dans le Sud de la France depuis 2000, mais la maintenance de celle-ci et la poursuite de la collecte n’est pas encore organisée à l’échelle institutionnelle

Figure 2.4 — Échelles spatio-temporelles des bassins versant meurtriers pendant les

crues de septembre 2002 dans le Gard. Les courbes rouges représentent les relations

empiriques pour les bassins inférieurs et supérieur à 350 km2selon Creutin et al. [2013].

Les triangles et losanges représentent le croisement entre la taille des bassins versants responsables d’accidents fatals, la catégorie d’âge des victimes et le lieu de l’accident. Les objets atmosphériques en cause, tels que définis par Orlanski [1975], sont figurés par des cercles gris. Source : [Ruin et al. 2008, Ruin 2015].

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(âge médian : 72, âge moyen : 71) et dans la quasi-totalité des cas ces victimes ont péri chez elles en fin de soirée ou dans la nuit. De nombreux auteurs ont depuis longtemps mis en évidence une vulnérabilité spécifique liée à l’âge qui confère non seulement une certaine fragilité physique et donc une difficulté à fuir mais également une forme de marginalisation sociale entrainant un manque d’information et notamment d’accès à l’alerte [Clark et al. 1998, Cutter et al. 2003, Chakraborty et al. 2005, Azar et Rain 2007]. La deuxième forme de vulnérabilité concerne des victimes, principalement en

si-tuation de mobilité, dans des très petits bassins (inférieur à 20 km2) dont le temps de

réponse, selon la formule ad hoc, est inférieur à 30 minutes. Ce profil de vulnérabilité n’était jusqu’alors pas identifié dans la littérature consacrée. Il compte principalement des personnes d’âge moyen (médiane : 46, moyenne : 43) et en plus grande proportion de genre masculin.

Si à l’époque de cette réflexion certaines études avaient déjà mis en avant l’usage d’un véhicule motorisé comme une cause majeure de mortalité lors d’inondation [Staes

et al. 1994, Coates 1999, Jonkman et Kelman 2005, Drobot et al. 2007, Ashley et

Ash-ley 2008, Maples et Tiefenbacher 2008], aucune d’entre elles n’avait réellement fait le lien entre les circonstances des accidents, le profil des victimes et les dynamiques hy-drologiques. A la lumière de nos résultats, il semble donc que les bassins à dynamique rapide posent principalement problème aux personnes dans la force de l’âge, spécifi-quement en situation de mobilité à l’extérieur, alors que les bassins lents affectent en particulier les personnes âgées et de plus faible mobilité à l’intérieur de bâtiment. Ce premier résultat assez qualitatif, car basé sur peu de données, sera confirmé par la suite par plusieurs études aux USA, en Australie et en Europe [Sharif et al. 2012, Diakakis et Deligiannakis 2013, Doocy et al. 2013, Spitalar et al. 2014, Haynes et al. 2017, Terti

et al. 2017*].

Faut-il interpréter ce résultat préliminaire comme une forme de résonance entre échelles des processus physiques et échelles d’exposition humaine ? C’est en tout cas une des questions qui a fortement influencé la suite de mes recherches. Ainsi, en quête de cette forme de résonance, je me suis ensuite attachée à mieux cerner les échelles d’exposition des populations que ce soit du fait de décisions individuelles, d’interac-tions plus collectives ou de choix sociétaux. La section suivante propose de mobiliser de façon complémentaire d’autres types d’échelles plus adaptées à l’appréciation des actions humaines.

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Chapitre 2. Les échelles emboîtées de l’exposition humaine aux crues rapides

Cette approche scalaire des phénomènes naturels et sociaux a conduit à m’intéresser aux travaux développés par Holling et ses collègues [Holling 2001, Gunderson et Hol-ling 2001] autour des questions de complexité et de résilience des socio-écosystèmes. Le concept de “hiérarchie” (initialement proposé par Simon [1974]) définit des ni-veaux semi-autonomes, formés des interactions entre des variables partageant des vi-tesses et des attributs spatiaux similaires. Chaque niveau communique en partie avec les niveaux inférieur et supérieur fonctionnant à des vitesses et sur des échelles d’es-pace différentes. Selon Simon [1974] chaque niveau d’une hiérarchie, de quelque na-ture qu’elle soit, sert deux fonctions : i) celle de maintenir et stabiliser les conditions environnant les niveau inférieurs (de plus petite taille et vitesse plus grande), ii) de favo-riser l’innovation au sein de chaque niveau. Holling [2001] propose une représentation d’exemples de hiérarchies écologiques positionnées sur un diagramme spatio-temporel au même titre que les processus atmosphériques auxquelles elles sont sensibles (fi-gure 2.5a). Cette approche scalaire des socio-écosystèmes complexes m’a encouragée à examiner les processus sociaux impliqués dans les événements de crues rapides en m’intéressant aux interactions entre variables situées sur un même niveau de l’échelle spatio-temporelle mais également en envisageant la façon dont les processus de petites échelles interagissent avec ceux de plus grandes échelles.

Une des premières difficultés de cet exercice a été de qualifier les processus sociaux en terme d’espace au sens métrique du terme. Ainsi s’il est facile d’analyser les pratiques de mobilités en terme de kilomètres parcourus en un temps de donné, il y a beaucoup moins de sens à parler de l’application d’une politique publique en terme de kilomètre carré. En fonction de la densité de population ou de la nature du découpage adminis-tratif, une même surface en kilomètre carré peut concerner une quantité de personnes ou un type de territoire totalement différent. Ainsi selon Westley et al. [2001] si l’espace et le temps sont des dimensions importantes de l’organisation sociale, la dimension symbolique est celle qui caractérise spécifiquement les systèmes sociaux. La capacité des humains à produire du sens via la communication, le langage et les symboles leur permet d’inventer un ordre qui fait sens pour eux et d’agir en accord avec ce monde inventé. C’est par exemple le cas des lois qui sont un construit et peuvent évoluer dans le temps par l’action d’une société, au contraire des lois de la physique sur lesquelles l’homme a peu de prise. D’après Westley et al. [2001] “sense making and signification not

only provide a powerful shaping force, they also provide a third hierarchy, equal to space and time, for structuring social system dynamics” [Westley et al. 2001, p. 108].

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Figure 2.5 — a) Echelles d’espace et de temps caractéristiques d’un exemple de

hié-rarchies constituant l’écosystème des Everglades [Holling 2001] ; b) Echelles de masse et de temps caractéristiques de la hiérarchie institutionnelle composée d’un ensemble de règles propres aux sociétés humaines. A la différence des hiérarchies écologiques, celles-ci sont construites sur la base du nombre de personnes impliquées dans la consti-tution de ces structures et du temps de renouvellement de celles-ci [Westley et al. 2001, Gunderson et Holling 1995].

Gunderson et Holling [1995] représentent la hiérarchie des structures de significa-tion en les replaçant sur l’échelle de temps à laquelle ils font correspondre une échelle quantitative figurant le nombre de personnes impliquées (Figure 2.5b). Comme pour les processus physiques, cette représentation suggère qu’il y a un lien entre le nombre de personnes impliquées dans le processus et la durée de celui-ci. Ainsi même si la capacité des hommes à communiquer entre eux à distance sur un temps très court est facilitée par les nouvelles technologies, le temps de la négociation pour arriver à un accord, sur les termes de la loi par exemple, et de sa mise en oeuvre serait d’autant plus long qu’il implique un grand nombre de parties.

Cash et al. [2006] proposent également d’autres types d’échelles pour mieux saisir et identifier les problèmes d’interactions homme-environnement pouvant mettre en péril la résilience de ces systèmes. Les auteurs distinguent ainsi l’échelle juridiction-nelle, proche de l’échelle spatiale, mais permettant de définir clairement les limites des différents niveaux territoriaux et administratifs comme par exemple pour la France les arrondissements, communes, cantons, départements, régions. Elle se différencie de l’échelle institutionnelle, relative à la hiérarchie des lois et règles collectives (i.e. règles, lois, directives, constitution). L’échelle de management est proposée pour dif-férencier une hiérarchie de niveaux permettant la planification d’actions allant de la

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Chapitre 2. Les échelles emboîtées de l’exposition humaine aux crues rapides

Figure 2.6— Echelles et niveaux critiques pour l’analyse des interactions entre crues

ra-pides et processus de mobilités quotidiennes et résidentielles [Lutoff et al. 2016, 2018].

tâche à la stratégie en passant par le projet. L’échelle de réseau (network scale) se ré-fère à certaines interactions qui ne relèvent pas directement de considérations spatiales ou juridictionnelles (politique), comme les marchés, les réseaux communautaires (reli-gieux par exemple), les réseaux professionnels ou associatifs. Enfin, Cash et al. [2006] proposent une échelle de connaissances (knowledge scale) qui permet de différencier des systèmes de connaissances qui sont rarement connectés tels que la connaissance scientifique d’un côté et les savoirs fondés sur l’expérience, dits parfois “profanes”, de l’autre.

Sur cette base, les réflexions conduites dans le cadre du projet ANR MobiCLIMeX (2013-17), nous ont permis d’identifier différentes échelles et niveaux d’analyse perti-nents pour comprendre les interactions entre crues rapides et mobilités résidentielles et quotidiennes [Lutoff et al. 2016, 2018]. La figure 2.6, montre en particulier que du point de vue des échelles de temps et d’espace, les crues rapides et les mobilités quoti-diennes mobilisent toutes deux des niveaux de petite échelle. Les mobilités profession-nelles se cantonnent généralement à l’échelle locale (par exemple dans le Gard, l’analyse des données de navettes domicile-travail de l’INSEE indiquent, qu’en 2006, 91% des actifs travaillaient dans leur département d’habitation) du fait des contraintes tempo-relles imposées par les rythmes de travail et les durées de déplacements. Une faible proportion de personnes effectuent cependant des trajets plus longs qui nécessitent une adaptation de la fréquence de déplacement, qui sort ainsi du cadre quotidien, et du mode de transport impliquant une vitesse de déplacement très élevée (TGV, avion).

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Les mobilités résidentielles concernent tous les niveaux de l’échelle spatiale pour des durées de résidence qui sont généralement au minimum de l’ordre du saisonnier et pouvant aller jusqu’au décennal.

Les échelles juridictionnelles (relatives aux décisions politiques) et institutionnelles (marquant la hiérarchie des normes) impliquées dans les trois phénomènes observés sont assez proches. Certaines décisions politiques et normes règlementaires concer-nant la gestion des crues rapides et la mobilité quotidienne sont issues de directives européennes, transposables au droit français, dans le respect de la constitution. Il s’agit en particulier de la directive européenne Inondation promulguée en 2007 et transposée dans le droit français à travers la loi du 12 juillet 2010 (dite Grenelle 2), comportant six chantiers dont un sur la prévention des risques. Ces dispositifs réglementaires ont per-mis de définir la Stratégie Nationale de Gestion des Risques d’Inondation (SNGRI), promulguée en octobre 2014, et d’identifier des Territoires à Risques d’Inondation (TRI) au sein desquels doivent être définis des Plans de Gestion des Risques Inonda-tion (PGRI) à l’échelle des districts hydrographiques (ou grands bassins, au nombre de 8 en France métropolitaine). La mobilité quotidienne et les déplacements relèvent également de directives européennes visant, depuis les années 1970 la réduction des gaz à effets de serre [Hugrel et Joumard 2006]. Leur mise en application en France passe également par les lois Grenelles I et II de 2009 et 2010 qui ont conduit à l’éta-blissement de Plans de Déplacements Urbains dans les agglomérations françaises et la définition de Zones d’Actions Prioritaires pour l’Air (ZAPA) sur certains territoires expérimentaux. La mobilité résidentielle repose principalement sur des décisions prises à l’échelon national ou local, pour contribuer notamment au développement d’habita-tions à loyers accessibles pour tous. C’est le cas par exemple de la loi MOLLE (loi de Mobilisation pour le Logement et la Lutte contre l’Exclusion) du 25 mars 2009.

Enfin, l’échelle de réseau (ou d’interactions entre individus) met en évidence les positionnements différenciés des trois processus à l’étude. En effet, les interactions impliquées au cours d’un événement hydrométéorologique s’étendent de la cellule fa-miliale (échelon le plus important lors de décision d’évacuation notamment) à la so-ciété, lorsque l’événement est suffisamment fort pour mobiliser les individus bien au delà des cercles de connaissances directes comme dans le cas d’associations de sinistrés par exemple ou de l’aide internationale apportée aux pays subissant des catastrophes majeures. Sur cette échelle, la mobilité quotidienne est principalement modelée par les activités des membres de la cellule familiale et de l’entourage proche : le voisinage par exemple, au travers du développement du co-voiturage. La mobilité résidentielle enfin

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Chapitre 2. Les échelles emboîtées de l’exposition humaine aux crues rapides implique généralement la seule cellule familiale, sauf lorsqu’il s’agit du déplacement de groupes de population tout entiers, comme c’est le cas de crises migratoires.

Cette première exploration des échelles proposées par Cash, nous a permis d’iden-tifier une à une certaines échelles d’intérêt pour examiner les déterminants de la mo-bilité et ceux du risque de crue rapide en France. Pour comprendre en quoi les crues rapides sont particulièrement dangereuses pour les personnes en situation de mobi-lité, il semble maintenant important d’identifier les interactions entre échelles (cross-scale) et entre niveaux (cross-level) qui peuvent être à l’origine de problèmes pendant l’événement. La question qui se pose alors est de conceptualiser les impacts sociaux des événements hydro-météorologiques en adoptant une perspective où les processus comportementaux et environnementaux sont en continuelle émergence et interaction à travers différentes échelles de temps et d’espace. Cette conceptualisation sert de base à la définition d’une méthode d’observation des comportements d’adaptation aux chan-gements environnementaux que nous avons appliquée dans le cadre de cas d’études post-événement appelé Retour d’expérience socio-hydro-météorologique dont je reparlerai au chapitre suivant.

Cette section est le fruit d’une réflexion collective initiée il y a déjà plusieurs années dans le cadre du projet ANR Retour Post-doc ADAPTflood (2009-13) que j’ai co-ordonné à mon retour en France et qui portait sur les dynamiques d’adaptation des mobilités quotidiennes aux situations de crises hydro-météorologiques. La revue de lit-térature réalisée alors et non publiée à ce jour [Jeuring et al. 2013]* que je reprends ici s’est révélée particulièrement fondatrice de notre façon d’aborder l’observation des comportements individuels d’adaptation aux situations de crues rapides décrites dans

[Ruin et al. 2014].

Notre réflexion prend ses origines dans l’idée que la distinction entre normalité et crise, une dichotomie permettant de distinguer les situations ordinaires des catas-trophes [Helsloot et Ruitenberg 2004, Powley 2009, Garreau et al. 2009, Sorensen 1991, Drabek 1999, Patterson et al. 2010], limite notre connaissance actuelle des

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comporte-ments face au risque. Cette dichotomie ne nous semble pas pertinente lorsqu’il s’agit d’aborder le comportement humain comme un processus dynamique dans lequel la continuité du quotidien tient une place centrale. Nous pensons donc que pour mieux appréhender les comportements humains pendant les épisodes de crues rapides, il faut s’intéresser à la façon dont la vie quotidienne des individus est construite et concep-tualiser la capacité à faire face au risque de la même manière. Ainsi, il semble important de s’intéresser aux motivations et aux obligations de la vie quotidienne, à la façon dont elles sont construites et entrent en compétition les unes avec les autres au fur et à mesure de leur émergence à travers le temps et l’espace. Ainsi, les décisions prises pendant le temps court caractérisant les phases de pluie et d’inondations rapides sont imbriquées dans une séquence continue d’activités dans laquelle les individus s’orga-nisent, font sens de la situation, agissant et réagissant de façon simultanée pour s’ac-commoder de perturbations d’intensités variables. C’est cette imbrication d’activités dessinant un continuum entre activités routinières et réactions aux circonstances plus ou moins extrêmes auxquelles les individus sont confrontés qu’il nous semble impor-tant de documenter et de comprendre ces événements socio-hydro-météorologiques, notamment en s’appuyant sur l’observation.

Pour documenter ces interactions entre les dynamiques comportementales et envi-ronnementales, nous avons d’abord essayé de comprendre comment se construisent les pratiques quotidiennes et quoi celles-ci sont le fruit de décisions hiérarchiques.

Anderson [1995] identifie de nombreuses caractéristiques propres aux activités de la vie quotidienne. Selon lui, elles peuvent être mondaines ou communes mais sur-tout elles requièrent peu d’efforts cognitifs car elles sont exécutées sur la base d’ex-périences passées. Elles sont surtout en perpétuel recommencement, se chevauchant, se contredisant et interagissant les unes avec les autres de façon non-linéaire. Cela im-plique que les individus sont en constante négociation sur ce qu’ils doivent faire, te-nant compte du passé, du présent et de leurs projets futurs. Même si nombre de ces activités paraissent simples en elles-mêmes, leur exécution requière néanmoins beau-coup de connaissances et de compétences car elles ne sont pas uniquement répétitives mais peuvent être constituées de nouvelles activités ou circonstances qui demandent un effort cognitif croissant et une adaptation incessante. La vie quotidienne est donc rythmée au fil des routines et des habitudes, perpétuellement intercalées de ruptures, suspensions, interférences et d’actions réparatrices [Trentmann 2009].

Selon Van Acker et al. [2010] les comportements quotidiens sont le résultat d’une structure de décision hiérarchique allant des décisions de court terme relatives aux

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Chapitre 2. Les échelles emboîtées de l’exposition humaine aux crues rapides

Figure 2.7 — Modèle conceptuel des processus de décision à l’origine des pratiques

quotidiennes selon Van Acker et al. [2010] .

activités quotidiennes, de moyen terme relatives aux choix résidentiels et de long terme relatives au style de vie. Ces auteurs proposent ainsi un modèle conceptuel plaçant les comportements individuels au centre de réseaux d’influences raisonnées et non-raisonnées qui forment un ensemble également soumis aux opportunités et contraintes présentes dans l’environnement social et spatial (Figure 2.7).

Sur le temps court, c’est à dire aux échelles de temps qui résonnent particulièrement avec celles des crues rapides, les travaux de la Time-geography, initiés dans les années 70 par Hägerstrand [1970], nous informent sur les caractéristiques spatiales et tempo-relles des activités quotidiennes. La réalisation de ces pratiques est le fait de la co-occurence de ressources matérielles/biophysiques, cognitives (volonté, connaissance, perception...) et socio-culturelles (règles et lois propres à la société dont l’individu fait part) [Hägerstrand 1970, 1985, Chardonnel 2007]. La Time-Geography s’est dotée d’un système de représentation graphique qui, à la différence des échelles spatio-temporelles utilisées par les physiciens, représente les trajectoires individuelles dans un cube dont deux dimensions représentent l’espace géographique sous forme de plan (pour suivre les déplacements d’un point A à un point B) et la troisième dimension, celle du temps, est représentée par un axe chronologique vertical. Un autre mode de représentation utilise la notion de prisme spatio-temporel journalier figurant la quantité d’espace-temps qu’un individu passe en dehors de son domicile. Ce volume, conditionné par

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les horaires de départ et de retour au domicile, considère la portion d’espace maximale accessible pendant le temps passé hors domicile. Celui-ci prend donc en compte à la fois la vitesse de déplacement lié aux moyens de transport utilisés et la nécessité de visiter certains endroits spécifiques à des moments précis de la journée. Dans l’objectif d’analyser les comportements individuels, la Time-Geography s’intéresse également aux trois types de contraintes qui influencent les trajectoires individuelles : i) les contraintes de capacité associées aux limites physiologiques qui nous obligent à prendre le temps de dormir, manger et se soigner, ii) les contraintes de couplage relative à la nécessité d’interagir avec d’autres individus (dans le cadre du travail ou de l’organisation familiale par exemple), iii) les contraintes d’autorité qui régissent l’accès dans le temps et dans l’espace aux lieux d’activités.

Dans notre quête d’approches pour comprendre comment les personnes construisent les trajectoires spatio-temporelles qui rythment le contenu de leur vie quotidienne, nous avons également besoin de nous focaliser sur les projets qui constituent des motiva-tions à l’action. Ainsi ces projets peuvent être de court ou de long termes comme pour la récupération d’un enfant à l’école ou pour son éducation à plus longue échéance [Chardonnel 2007]. La réalisation de ces projets passent par la structuration de sé-quences d’activités spécifiques requérant des ressources temporelles et spatiales qui sont parfois incompatibles à la réalisation de plusieurs projets à la fois. L’intérêt de se concentrer sur le projet à l’origine d’un comportement particulier à l’instant t est d’expliciter la façon dont les individus définissent leur priorité entre plusieurs projets souhaitables et donc plusieurs objectifs. En négociant de façon permanente entre leurs projets et les contraintes spatio-temporelles qui leurs sont imposées, ils définissent un certain ordre qui leur permet de maintenir la continuité de leurs activités quotidiennes à travers l’espace et le temps. Ainsi, prioriser et basculer d’un projet à l’autre caractérise la façon dont les individus s’adaptent aux circonstances changeantes.

Les recherches sur les programmes d’activités (activity-based approach) et les budgets-temps ont produit de nombreuses connaissances sur les trajectoires spatio-temporelles des individus ainsi que sur la construction de routines à plus grande échelle [Kitamura 1988, Jones et Clarke 1988, Axhausen et al. 2002, Gärling et Axhausen 2003, Ettema

et al. 2007, Neutens et al. 2011]. De telles études utilisent des méthodes longitudinales

de collecte de données telles que les enquêtes “emploi du temps” (diaries) permettant d’observer la distribution temporelle des activités sur plusieurs journées. Ce mode de collecte permet à la fois d’envisager la façon dont sont construites les séquences d’ac-tivités routinières mais également de comprendre dans quelles circonstances les

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indivi-Chapitre 2. Les échelles emboîtées de l’exposition humaine aux crues rapides dus s’éloignent de leur emploi du temps habituel ou prévu. Ces travaux montrent que les individus organisent leurs activités quotidiennes différemment selon les jours de la semaine et du week-end et identifient trois principales catégories de facteurs influen-çant cette organisation :

• Les facteurs liés aux caractéristiques socio-démographiques de l’individu (l’âge, le genre, la profession...) et au cycle de vie du ménage (le nombre d’enfant, le statut familial, le nombre de voiture par ménage) [Lu et Pas 1999, Ettema et Lippe 2009, André-Poyaud et al. 2016],

• Les facteurs liés au contexte environnemental, tel que l’accessibilité spatiale (confi-guration du réseau et condition du trafic) et temporelle (horaires d’ouverture et de fermeture des services/commerces/emplois) des lieux d’activités [Fosset et al. 2016].

• Les facteurs liés à la flexibilité des activités : [Damm et Lerman 1981] définissent la flexibilité d’une activité comme le degré auquel l’implémentation de l’activité peut être modifiée du point de vue spatial (changement de lieu d’activité) et tem-porel (horaire et durée de l’activité). Ainsi, certaines activités sont plus prioritaires que d’autres et sont alors planifiées en premier lieu et peuvent difficilement être modifiées ou annulées. Selon Cullen et Godson [1975] les contraintes tempo-relles sont moins flexibles que les contraintes spatiales. De plus, certaines activités telles que le travail sont moins flexibles et agissent comme des ancrages (“pegs”) autours desquels d’autres activités peuvent être arrangées selon leur flexibilité. Si les pratiques du quotidien sont le résultat de décisions de court-terme concer-nant la participation à différents types d’activités, elles sont aussi dépendantes de choix de moyen terme concernant le lieu de résidence ou de travail. Ainsi, les opportunités d’activités sont fonction de leur disponibilité spatiale et temporelle dans un périmètre autour des lieux de vie. Si les activités disponibles ne répondent pas aux besoins des individus ceux-ci peuvent ainsi remettre en question leur choix de lieu de vie. C’est par exemple le cas lorsque les enfants grandissent en même temps que leurs besoins de mobilité, ce qui conduit parfois les parents à se rapprocher des centres urbains mieux desservis par les transports en communs. Ce type de décision de moyen-terme est généralement bien réfléchi et mis en oeuvre uniquement lorsque les ajustements de court-terme ne sont pas soutenables. Evidemment, ce changement de lieu de vie mo-difie en profondeur les caractéristiques spatio-temporelles des pratiques quotidiennes. Des études récentes montrent ainsi que les choix résidentiels ne sont pas seulement

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influencés par des préférences en termes d’environnement construit mais également en termes d’activités et de transport [Mokhatarian et Cao 2008].

Finalement, s’il est important d’envisager les pratiques quotidiennes comme une déclinaison à plus petite échelle de choix résidentiels de moyen terme, celles-ci s’ex-pliquent également par des décisions de plus long terme ayant trait au style de vie Salomon et Ben-Akiva [1988]. Selon Van Acker et al. [2010] (citant Ganzeboom), les individus affirment leur position sociale à travers un patron de comportement déter-miné par leur style de vie. Le style de vie comporte trois dimensions : i) économique, ii) culturelle, iii) une dimension correspondant à la phase ou cycle de vie (telles que dé-finie par des variables socio-économiques qui évolue au cours d’une vie : profession, composition du foyer, âge...). Ces dimensions, internes à l’individu et non observables, conditionnent néanmoins les orientations sur le plan familial, professionnel, résidentiel, de la consommation et des loisirs qui s’expriment dans les comportements du quoti-dien. Cependant, si le concept de style de vie possède un certain pouvoir explicatif, il semble être moins influent que certaines variables socio-économiques et démogra-phique [Van Acker et al. 2010].

Les approches issues de la Time-geography sont parfois critiquées car trop focalisées sur les patterns spatio-temporels et les contraintes imposées par l’environnement phy-sique laissant ainsi de côté les aspects cognitifs contribuant à la priorisation d’un projet plutôt qu’un autre. Ainsi l’observation des trajectoires spatio-temporelles peine à ex-pliquer pourquoi les individus ont choisi un itinéraire plutôt qu’un autre, pourquoi ils ont pris le vélo plutôt que la voiture ou dans le cas des crues rapides pourquoi ils retardent, anticipent ou annulent leurs déplacements habituels. Pour comprendre comment les individus jonglent entre différents projets dans un environnement mar-qué de constantes perturbations, il faut s’intéresser aux processus cognitifs permettant la prise de décision et l’ordonnancement des différentes activités de la vie quotidienne et la priorisation des actions en situation d’urgence. Comme nous allons le voir dans la section suivante cette question s’intéresse aux deux modes comportementaux évoqués précédemment : les comportements raisonnés et non raisonnés et à la façon dont ceux-ce sont liés aux perceux-ceptions et représentations mentales de l’individu vis à vis de son environnement, de ses projets, et de l’efficacité des différentes options qui s’offrent à lui.

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Chapitre 2. Les échelles emboîtées de l’exposition humaine aux crues rapides

Les routines et les rythmes de la vie quotidienne se construisent en directe interaction avec l’environnement social et physique dans lequel ils prennent place. Les actions mises en oeuvre sont ainsi le fruit d’un processus complexe et continu visant avant tout la continuité des activités de la vie quotidienne malgré la part discontinue et im-prédictible qui caractérise les dynamiques de l’environnement physique et social dans lequel elles prennent place [Henry 2011, Shove et al. 2009]. Selon [Muhren et al. 2008] (citant Karl Weick), la discontinuité est la règle et la continuité l’exception. C’est ce qui rend la limite entre normalité et crise diffuse et difficile à déterminer. Ainsi, même si la dichotomie entre situations “normales” et de “crises” parait attractive pour classi-fier les situations à risque, elle est plus problématique lorsqu’on adopte une approche dynamique du sujet.

Cette dichotomie implique qu’il y a un changement soudain et radical de la situa-tion, un moment qui découpe le temps continu d’un événement en un “avant” et un “après” sur la base d’un incident fondateur qui défini l’instant de référence des actions d’adaptation. Pour certains aléas naturels dont la survenance est instantanée, brutale et imprévisible, tels que les séismes, l’instant fondateur à l’origine du changement de situation est plus facile à établir même si la survenance de répliques plus ou moins intenses vient compliquer le problème. Dans le cas des crues rapides comme d’autres types d’événements plus progressifs, la détermination du moment qui caractérise le dé-but de l’événement est particulièrement difficile pour plusieurs raisons qui tiennent à la fois à la complexité du phénomène (qui est le fruit de la distribution spatio-temporelle des pluies et de la réponses différenciées des bassins versants selon leurs tailles) et à la sensibilité perceptive intrinsèque des observateurs humains et leur disponibilité d’esprit selon l’activité en cours. C’est pourquoi il est également important de s’intéresser aux multiples échelles des perturbations imposées par les phénomènes de crues rapides pour envisager la façon dont celles-ci sont perçues et prises en compte de manière dynamique pour maintenir la continuité des activités quotidiennes.

Avoir la capacité d’adapter son quotidien aux circonstances changeantes (de dé-velopper une routine résiliante) est une obligation quelque soit le niveau de l’action étudiée. Par exemple, Ingold [2011] décrit les capacités qui sont selon lui nécessaires pour réaliser une action aussi simple que scier une planche en bois :

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