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Histoire du français au Congo-Brazzaville

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Jean-Alexis Mfoutou

Je an -A le xi s M fou tou

Histoire du français au Congo-Brazzaville

Chance et défi de la francophonie

Histoire du français au Congo-Brazzaville

Chance et défi de la francophonie

Histoir e du fr ançais au Congo-Br azza ville

Chance et défi de la francophonie

ISBN : 978-2-336-00698-7

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Cet ouvrage présente le français – langue de l’ancien colonisateur – comme un parler qui, au contact des langues bantoues locales et dans l’épreuve de la culture congolaise, devient parole. Il témoigne ainsi d’un rapport singulier que cette langue entretient avec le lieu et l’image que les sujets parlants ont d’elle.

Les réflexions de l’auteur sur cette langue venue d’ailleurs et qui a pris pied en terre congolaise éclairent sur sa malléabilité en tant que langage humain, sa dimension historique, philosophique, sociologique, culturelle, et ses fonctions. Il pose précisément le problème essentiel, celui de l’intériorisation du « lieu tangible », de la culture, par l’intermédiaire des pratiques langagières. Dans l’observation, la description et l’explication des faits relatifs à la pratique du français, Jean-Alexis Mfoutou est en effet conduit à considérer non seulement le langage – parce que la langue est toujours saisie dans son contexte –, mais aussi la culture des sujets parlants.

Jean-Alexis Mfoutou est linguiste, membre du laboratoire de sciences du langage, de sociologie et d’anthropologie – DySoLa (Dynamiques Sociales et Langagières) – de l’Université de Rouen où il enseigne la sociolinguistique. Il est l’auteur de nombreux ouvrages de linguistique. Ses recherches actuelles portent sur la sociolinguistique des langues en contact.

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H ISTOIRE DU FRANÇAIS

AU C ONGO -B RAZZAVILE

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Études africaines

Collection dirigée par Denis Pryen et François Manga Akoa Dernières parutions

Jean-Alexis MFOUTOU, Histoire du français au Congo- Brazzaville. Chance et défi de la francophonie, 2012

Jessica HAMADZIRIPI, Poverty eradication in Zimbabwe, Meeting the millennium development goals (MDGs) through home-grown business approaches, 2012.

Romaric Franck QUENTIN DE MONGARYAS, L’école gabonaise en questions, 2012.

Djibril DEBOUROU, La société baatonnu du Nord-Bénin, 2012.

Félix NTEP et Lambert LIPOUBOU (dir.), Repenser le marché de l’Afrique à partir du culturel, 2012.

Dianguina TOUNKARA, L’émancipation de la femme malienne. La famille, les normes, l’État, 2012

Philippe MEGUELLE, Chefferie coloniale et égalitarisme diola, Les difficultés de la politique indigène de la France en Basse-Casamance (Sénégal), 1828-1923, 2012.

Hassane GANDAH NABI, Commerçants et entrepreneurs du Niger (1922-2006), 2012

Alphonse MAKENGO NKUTU, Droit constitutionnel et pouvoir exécutif en RDC (1re et 3e Républiques), 2012.

Alphonse NKOUKA-TSULUBI, 50 ans de politique extérieure du Congo-Brazzaville, 2012.

Dingamtoudji MAIKOUBOU, Les noms de personnes chez les Ngwabayes du Tchad, 2012

Abderrahmane NGAÏDÉ, L’esclave, le colon et le marabout. Le royaume peul du Fuladu de 1867 à 1936, 2012.

Casimir Alain NDHONG MBA, Sur la piste des Fang. Racines, us et coutumes, 2012.

Boubakari GANSONRE, Archives d’Afrique et communication pour le développement, 2012.

Angelo INZOLI, Le développement économique du Burundi et ses acteurs, xixe-xxe siècle, 2012.

Djibril DIOP, Les régions à l’épreuve de la régionalisation au Sénégal. État des lieux et perspectives, 2012

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Jean-Alexis MFOUTOU

H ISTOIRE DU FRANÇAIS AU C ONGO -B RAZZAVILLE Chance et défi de la francophonie

Études africaines

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© L’Harmattan, 2012

5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.librairieharmattan.com

diffusion.harmattan@wanadoo.fr harmattan1@wanadoo.fr ISBN : 978-2-336-00698-7

EAN : 9782336006987

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« La langue qui est notre chair, ne peut pas être domestiquée. Les écrivains que j’aime ne sont pas tant ceux qui la maîtrisent, mais ceux qui parfois sont terrassés par elle, qui la combattent et sont parfois vaincus, emportés par le flot […].

La langue est belle d’être sauvage encore, de ne pouvoir être asservie. Je me sens très peu l’ouvrier de la langue, son manipulateur – mais plutôt celui qui la creuse, son terrassier. »

Valère Novarina, Devant la parole, Éd. P.O.L, 2010, p. 78.

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Abréviations de mots

Ant. antonyme.

chap. chapitre.

Coréf. coréférent.

dir., direct.

fém., féminin.

indir., indirect.

intr., intransitif.

loc., locution.

masc., masculin.

n., nom.

nom., nominal.

pers., personnel.

plur., pluriel.

précéd., précédent.

prép., préposition.

pron., pronom.

pronom., pronominal.

sing., singulier.

suiv., suivant.

Syn. synonyme.

tr., transitif.

v., verbe.

V., voir (indication de renvoi).

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Introduction

On ne saurait guère choisir – pour inaugurer la réflexion sur l’histoire du français au Congo-Brazzaville –, d’expression plus remarquable, à tous égards, que celle de « chance et défi de la francophonie ».

Sous ces termes apparemment anodins, sont rassemblées tant de questions qui concernent une langue venue d’ailleurs, son introduction, son apprentissage, sa diffusion, son appropriation, autant que – parce que cette langue venue d’ailleurs n’atterrit pas en terrain vierge – les modifications qu’entraîne son contact avec les langues endogènes. La question de son contact et de ses rapports avec les langues locales est assurément des plus passionnantes, puisque son identité individuelle semble désormais assurée par la parfaite liaison avec le lieu. Cette langue, peut-elle devenir une force sans emprunter, au moins partiellement à la société globale – médias, instances éducatives et culturelles, etc. – ses moyens d’action et son instrumentalisation ? Ce lieu où elle prend pied – chance et défi – devient à n’en point douter la pierre de touche de la vigueur même de la langue. Quand ce lieu n’est pas son tombeau, la langue se maintient en s’enrichissant de toutes les formes littéraires et artistiques vivantes, de l’emploi des médias, et finit par s’imposer dans les usages officiels et quotidiens.

La question qui se pose ici est celle de l’évolution, voire de la vie même du français en terre congolaise. Comment en effet, cette langue venue d’ailleurs est-elle parlée ici ? Les Congolais la parleraient-ils tel que le parlent les locuteurs natifs communiquant entre eux dans la vie quotidienne ? Si ce n’est pas le cas, pourquoi il n’en n’est pas ainsi ? Qui la parle et dans quel contexte ? Sachant qu’il est courant qu’une langue dise « la même chose » de plusieurs façons, le français dirait-il ici – en contexte plurilingue – la même chose différemment que dans le

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pays qui l’a vu naître ? Il sera donc abordé dans ce livre la question – bien déroutante – des variations de la parole dans l’espace communicationnel congolais ; car qu’est-ce le langage – que nous ambitionnons d’étudier ici –, si ce n’est un moyen pour traduire du sens sous une forme linéaire ? Comment le recours au français quand un choix différent est possible, s’intègre-t-il dans ce processus ? Comment les locuteurs s’appuient-ils sur les ressources des langues en présence pour certaines fonctions ?

Le lecteur comprendra que cette étude – on ne saurait sérieusement esquiver la dimension sociale de la langue – est ouvertement tournée vers le contexte social en ce que son objet est le français tel qu’on l’emploie au Congo-Brazzaville, au sein d’une culture spécifique. Les changements que connaît le français ici sont-ils entièrement dysfonctionnels comme on pourrait le penser ? Nous répondrons à cette question en montrant comment ces inflexions, ces innovations, ces évolutions s’insèrent dans le contexte social congolais et comment elles se trouvent activées à certains moments et en certaines circonstances. Nous voulons en effet tirer profit des changements linguistiques actuels qui nous entourent de toute leur richesse. Ainsi, nous tenterons de montrer qu’entre la langue et la société, il y a communauté de destin, puisque toutes deux s’influencent mutuellement, puisque – traduisant la tension et la profondeur de la société –, la langue se présente comme la mémoire de ce qui constitue l’essentiel du lieu où elle est parlée, du sujet parlant.

Le français n’est pas – ici – au bout du voyage qu’il a commencé. Mais en même temps et paradoxalement, il est ici au début d’un voyage, d’un autre voyage dans un autre monde, où il apparaît que la langue n’est pas seulement un objet de mots, mais un lieu d’énergie, et une constante relance de la créativité. Car, « travaillé », mieux « retravaillé » en permanence, le français semble le labeur du locuteur congolais qui – créant sans cesse – assume et s’approprie ainsi cette langue. Oui, il est ici un autre usage du français – comparé au français dit de « référence » – qui ramène à l’ici et au maintenant du locuteur congolais. Oui, le français amorce ici un rapport vrai, direct avec le lieu, un rapport quasi non médié, en ce qu’il révèle un accès direct aux choses d’ici. Que peut le lieu

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à l’encontre de cet emballement du langage qui, d’un grand réalisme – s’effaçant pour laisser la parole au lieu lui-même –, se densifie ainsi ? Peut-il seulement, pas plus que ne le peut le langage à son encontre, lui dire : « Noli me tangere »1 ?

1 Paroles de Jésus ressuscité à Marie-Madeleine, signifiant : « Ne me touche pas », Jn 20, 17.

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Chapitre 1 Quelle histoire !

Liée au fait colonial, l’introduction du français au Congo remonte à la fin du 19e siècle lorsqu’en 1880, Pierre Savorgnan de Brazza, qui venait de s’ouvrir une voie de passage en remontant l’Ogoué depuis l’embouchure, fonda Franceville et décida de s’engager en pays Téké à la tête de son expédition essentiellement composée de tirailleurs sénégalais, dont le célèbre sergent Malamine. S’engageant plein Est par voie de terre, la colonne de de Brazza remonta la Léfini, affluent de droite du Congo. Le roi Makoko envoya à sa rencontre un émissaire pour le conduire à Mbé, sa capitale, où il séjourna un peu plus de trois semaines, après avoir obtenu de son hôte l’apposition d’un signe sur un traité que de Brazza présenta à son gouvernement comme l’acceptation de Makoko de placer son royaume et ses dépendances sous la protection de la France.

Poursuivant son chemin, De Brazza descendit le fleuve Congo et arriva le 3 octobre à Ncouna, important marché d’échange où les Téké et autres indigènes échangeaient volontiers des denrées comme le poisson séché ou fumé, la viande de buffle ou d’hippopotame, le cabri, le mouton avec les étoffes et autres articles de traite. C’est non loin de là, à Mfoa, qu’au nom de la France et des droits qui lui furent conférés le 10 septembre 1880 par le Roi Makoko que De Brazza décida de prendre possession, le 3 octobre 1880, du territoire qui s’étendait entre la rivière du Djoué et Impila. En présence de quelques vassaux de Makoko, à qui il distribua des pavillons français afin qu’ils les arborassent sur les villages en signe de prise de possession de leur territoire par la France. Le 1er juillet 1881, la Société de Géographie et le Comité Français de l’Association Internationale Africaine décida de changer le nom de la station française de Ncouna en Brazzaville

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qui devint, de 1880 à 1930, la capitale de l’Afrique Équatoriale Française (A.E.F.).

L’arrivée des premiers colons à partir du 23 mai 1884 – parmi lesquels Albert Dolisie, Le Briz, Jacques de Brazza, Cholet, Brusseaux, Charles de Chavannes2 – eut des conséquences sur la pratiques langagières le long du chemin de fer Congo-Océan – construit entre 1921 et 1934 – reliant Brazzaville à Pointe-Noire, d’autant plus qu’entre temps – en , la Conférence de Berlin avait fixé, en 1886, les zones d’influence française et belge de part et d’autre du fleuve Congo, et que le 27 avril de cette même année avait été créé le « Congo-Français », sous l’autorité de Pierre savorgnan de Brazza.

C’est dans ce contexte en effet, au hasard des contacts entre colonisateurs et autochtones, que les Congolais se mettent à apprendre le français, cet idiome étranger qui pour des raisons militaires et politiques, assume très vite des fonctions sociales considérées comme supérieures, l’armée de conquête formée de cadres métropolitains (officiers et sous-officiers) mais aussi d’hommes de troupe originaires d’autres pays d’Afrique noire (les fameux « tirailleurs sénégalais »), utilisant cette langue – à vrai dire une variété de français pidginisée qui avait cours à l’intérieur de cette armée – dans ses rapports avec les populations indigènes.

C’est le fameux « français militaire » ou « français tirailleur » employé alors non seulement au Congo, mais en Afrique Équatoriale ou plus généralement en Afrique noire francophone.

Ce « français militaire », ce « français tirailleur », qu’était-il ? Un français appris sur le tas, un français à visée utilitaire immédiate.

Ce « français militaire » donc voit désormais son usage déborder le cadre restreint de l’armée coloniale et s’employer comme langue de communication dans l’administration, le commerce, voire dans le travail salarié d’autant plus que, une fois démobilisés après quinze, vingt ou vingt-cinq ans de service, la plupart des anciens soldats des troupes coloniales (africains mais aussi européens) se trouvaient recrutés comme agents de l’administration coloniale (à

2 Charles de Chavannes construisit à Brazzaville, le 30 septembre 1884, la première maison de type colonial, en face de l’ancien Palais du Gouverneur Général de l’A.E.F. (actuel Palais du Peuple).

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titre de commis, d’interprètes, voire de maîtres d’école), comme traitants dans les factoreries ou comme chefs d’équipe (les fameux

« capita ») sur les chantiers et dans les plantations. Notons que cette nouvelle fonction les plaçait en position d’intermédiaires obligés entre la puissance coloniale et la masse des colonisés dont le seul contact avec le français était réduit à la fréquentation de ces anciens soldats et de leur variété de français. Cette variété de français devait d’ailleurs, du moins à l’origine, bénéficier d’un certain prestige puisque, choyés par l’administration coloniale qui voyait en eux ses plus fidèles soutiens, ses locuteurs jouissaient à leur retour au village d’un statut social élevé lié à leur expérience, à leur aisance matérielle (pension régulière), prestige lié aussi à la faveur clairement manifestée des autorités. La citation suivante d’un ancien combattant résume bien, à notre avis, ce que nous venons de dire en ce qu’elle nous présente un échantillon de ce

« français militaire », ce « français tirailleur », en même temps qu’elle rend compte du programme des anciens soldats des troupes coloniales :

[po//twajanabosɔldakamaRad//kontanesalawisi

venã//venãtɛ:Rmintwaãko:Rnganze//venãtɛ:Rmine//twa jana paRtivilaჳ//]

« Repos ! Tu es un bon soldat, camarade. Continue ton service jusqu’à la vingtième année. Puis réengage-toi pour vingt ans encore. Ces derniers vingt ans terminés, rentre au village. »

Voilà ce qu’est ce « français militaire ». Si l’on s’en réfère aux témoignages des administrateurs et des missionnaires comme l’abbé Walker, ce français appelé encore « français approximatif »,

« français écorché » ou encore « français de milicien », a connu une assez grande extension, avant la seconde guerre mondiale.

Dans une contribution à l’étude des langues indigènes en A.E.F., l’abbé Walker (1938) écrit notamment : « Le français écorché », ou « français de milicien » est « parlé dans les villages les plus reculés ».

Après la seconde guerre mondiale, commence à se dessiner autre chose : l’émergence d’un nombre croissant de

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locuteurs congolais ayant suivi un cursus scolaire (en français bien sûr puisque c’est l’unique langue d’enseignement) a fait apparaître la discordance flagrante entre le « français tirailleur » et le français dit « commun » et qui n’était autre que le français appris à l’école.

Cette discordance entre le « français tirailleur » et le « français commun », le « français des lettrés », fait du premier une source de plaisanteries (plaisanteries clairement illustrée d’ailleurs par la célèbre chanson de Zao appelée justement « Ancien combattant »3) :

[mwaãgazemilitεRε//mwaãgazemilitεRε //

mwapabezwegalo// zutemwadyri//

sεRჳãmasamba//trjajœRmwangasa//kaporaRmitsoso//

lagεRεpamwajepursεRsebosoro//]

« Moi engazé militairè, moi engazé militairè Moi pas besoin galo, zoutez-moi du riz

Serzant masamba, trialleur mwangasa, caporar mitsoro La guère pas moyen pour serser bosoro »

Trop éloigné de la norme scolaire et parce que ses locuteurs ont comme une répugnance à parler français devant les locuteurs lettrés, le « français tirailleur » n’en est pas moins appelé à disparaître avec ses derniers usagers, car si la capacité de s’exprimer en français authentifie le droit qu’a le Congolais de prétendre aux privilèges attachés au fait de parler français, sa manifestation n’est désormais tenue pour légitime que pour autant que le locuteur atteste d’une certaine correction du parler reconnue aux « lettrés ». Faute de quoi, il est taxé de « vantardise ». On voit à quel point les représentations normatives des locuteurs sont fondamentales : la façon dont les membres d’une communauté linguistique perçoivent la réalité des pratiques langagières et la façon dont ils caractérisent ces mêmes pratiques sont aussi importantes que la réalité linguistique objective, pour autant qu’on y ait accès.

On voit dans le « français ancien combattant », à des degrés divers et selon des proportions variables, selon les locuteurs et les circonstances de l’acte de communication, l’ensemble des

3 Ancien Combattant, CD, Black. M., 1999

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traits qui caractérisent les parlers endogènes. Le fonctionnement du

« français ancien combattant » est simple dans son principe : Toutes les syllabes ont tendance à être ouvertes, c’est-à- dire du type CV (consonne + voyelle). Lorsqu’une voyelle est fermée (CVC), celle-ci est en effet ramenée à une suite CVCV en ajoutant une voyelle après la dernière consonne. Ainsi militaire [militεR] donne militéré [militεR], guerre [gεR] donne guéré [gεRe], cadavre [kadavR], donne cadavéré [kadaveRe].

Non attestées dans les langues endogènes, les voyelles nasales du français [ɛ̃̃], [œ̃], [ɔ̃], [ã] sont réalisées orales : [ɛ], [e], [ɔ], [a]. Ainsi, besoin [bəzЧɛ̃̃] est réalisé [bəzwɛ], lundi [lœ̃di] est réalisé [lendi], galon [galɔ̃] est réalisé [galɔ], engagé [ãgaჳe] est réalisé angaze [angaze].

Les timbres consonantiques du français (C1) non attestés dans le système phonématique des langues bantoues congolaises (C2) sont transformés en timbres attestés par ces dernières. C1 se transforme en C2 si C1 et C2 partagent :

- soit le même mode d’articulation : la fricative sourde [∫] comme dans chercher [∫ɛR∫e] est réalisé [s] comme dans [sɛRse], la fricative sonore [ჳ] comme dans sergent [sεRჳã] est réalisé [z]

comme dans [sεRza] ;

- soit le même point d’articulation. Ainsi, la vélaire (orale) [g]

donne la vélaire prénasalisée [ng] comme dans engagé [ãgaჳe] est réalisé angaze [angaze]. À l’exception de l, R, w, j, toute consonne orale précédée d’une voyelle nasale en français dit de « référence » est ici prénasalisée : - Ṽ C - → -VnC- . La tendance est donc de reporter la nasalité perdue par la voyelle sur la consonne qui la suit immédiatement. C’est ce qui se passe dans la chanson « Ancien combattant » lorsque Zao dit : « Ton père cadavéré », réalisé [tɔmpeRekadaveRe]. Ainsi les consonnes prénasalisées mb, mp, nd, nz, ng apparaissent chez le francophone congolais à la place des consonnes orales françaises leur correspondant, lorsque celles- ci sont précédées d’une voyelle nasale en français dit de

« référence ». Ajoutant cependant que ce trait de prénasalité désormais vérifiable dans le contexte ci-dessus défini n’apparaît ici que comme un fait redondant puisqu’il ne change en rien le sens du message en français. Une consonne orale réalisée prénasalisée

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n’est jamais en opposition avec une autre consonne orale ou nasale en un point donné d’un mot.

Le recours à ces traits tend visiblement à réduire le coût de l’intercompréhension en face d’un interlocuteur qui possède lui aussi les langues endogènes et quelques bribes de français. Les procédés employés pour cela visent à alléger en quelque sorte le fardeau de la mémoire, à expliciter autant que possible le contenu référentiel du message, à privilégier l’intention sémantique aux dépens des fonctions expressive et de l’appareil grammatical :

« […] Le coq ne va plus coquer cocorico. La poule ne va plus pouler, pouler les œufs. Le footballeur ne va plus footer, pousser le ballon ». Les phrases, dont la succession reproduit l’enchaînement des idées ou le déroulement des événements évoqués, sont construites sur un modèle uniforme, par juxtaposition de propositions – à l’imitation de ce qu’on trouve dans les langues endogènes – répondant elles-mêmes à un petit nombre de schèmes syntaxiques, d’où l’impression de monotonie énumérative que donne souvent le discours : « […] Ma femme bombée. Les taximan bombé. Les hôpitaux bombés. Les malades bombés. Les bébés bombés. Le poulailler bombé. Mes coqs bombés. Mon chien bombé. Les écoles bombées. Ma poitrine bombée. Tout le monde bombardé […]. » Les formes du « français ancien combattant » tendent donc à l’invariabilité, chaque signifié se trouvant porté par un signifiant toujours semblable à lui-même. C’est en quelque sorte la syntaxe des langues endogènes – une façon pour le français dit de « référence » de laisser parler le lieu – qui est ici exploitée et mise en œuvre : une syntaxe du percevoir, de l’advenu, qui est immédiate, sans cheville. On est dans une parole qui semble abandonnée ou laissée au lieu, comme si celui-ci parlait seul. Et nous voyons comment le français dit de « référence » qui voulait conquérir le lieu et le locuteur congolais est conquis par eux. Ce que viennent attester les énoncés suivants tirés de Le fou4, une chanson du même auteur : « j’avais commandé médaille »,

« j’avais commandé magie ». Ce que viennent encore confirmer

4 Le Fou, Double album de Zao : Moustique & Patron (Congo), 2010, Label Buda Musique, Copyright (C), Buda Musique.

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les paroles d’Apartheid5 : une autre chanson de Zao dont le texte s’apparente à un exercice structural. Dans cette chanson, cet ancien instituteur – et donc « gardien » et premier médiateur du langage à sa manière – dit notamment : « y’a école pour noir, y’a école pour blanc », « y’a diplôme pour noir, y’a diplôme pour blanc », « y’a maison pour noir, y’a maison pour blanc », « y’a salaire pour noir, y’a salaire pour blanc », « y’a hôpital pour noir, y’a hôpital pour blanc », etc. On aurait envie de réviser la grammaire française, mais ici elle prend une coloration négative. Ses mots ne savent dire. Sa syntaxe semble ne parler que d’autre chose. Il y a en effet ici une autre évidence, nourrie par d’autres langues, celles d’une autre culture, de l’exister quotidien – la vie comme on l’assume jour après jour – qui en sont la seule substance.

L’énonceur psychosocial commence alors par se défaire de la relative rigidité des règles du français dit de « référence » – expérience de la défaillance du sens et du vertige de la langue – pour accéder au soulèvement et une intensification de la parole. Il rejette cette espèce de « mauvaise présence » de la grammaire du français de « référence » – la parole tend alors à se simplifier – qui consisterait en quelque sorte à troquer ce qui est contre ce qui n’est pas et à s’abandonner à du conformisme. Qu’est-ce que, après tout, que la langue, même bouleversée de mille façons, auprès de l’expansion et de l’infini du réel ? Recentrement sans cesse renouvelé sur le réel, retour à la réalité, éveil à une expérience de l’instant, révélation des richesses du monde.

Nous retiendrons qu’en fait le sujet parlant recourt ici à des stratégies d’expression fondées sur des caractéristiques inhérentes au langage humain et qu’ainsi, il procure une référence commune aux locuteurs contraints de communiquer dans une langue en laquelle ils sont diversement incompétents. Les structures très élémentaires – proches à la fois du français et des langues endogènes – sur lesquelles le « français ancien combattant » prend appui restent compréhensibles par tous.

Objectivement, le « français ancien combattant » – approximations moins lointaines à la fois du français et des langues endogènes – est un parler auquel on recourt lorsque les circonstances l’exigent ;

5 Apartheid, Double album de Zao : Moustique & Patron (Congo), 2010, Label Buda Musique, Copyright (C), Buda Musique.

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personne, sinon par jeu comme Zao, ne parle uniquement cette variété de français après l’indépendance du Congo en 1960. Le recours au « français ancien combattant » est plutôt l’exception que la règle. Il n’est probablement pas le « français congolais », mais une manière particulière de parler français des locuteurs congolais

« non-lettrés » et des « tirailleurs sénégalais ». Il se passe que lorsque la pression normative se relâche, tout système linguistique tend à se simplifier, la simplification pouvant être définie à la fois comme une résurgence des structures élémentaires du langage humain, et comme un processus tendant à augmenter l’efficacité de la langue dans sa fonction de communication. Ainsi que le relèvent Manessy G. et Wald P. (1984 : 40-41), « Cette hypothèse d’une résurgence possible de structures élémentaires du langage humain permet de rendre compte de deux faits au moins. Le premier est l’efficacité pratique des « sabirs » : tout se passe comme si les locuteurs en y recourant se rapprochaient d’une sorte de commun dénominateur syntaxique, de telle sorte que le seul obstacle, aisément surmonté, à l’intercompréhension résidât dans la discordance des lexiques et des habitudes de prononciation. C’est en ce sens que la « simplification » (terme impropre pour désigner cette référence aux universaux du langage) peut être conçue comme une fonctionnalisation. D’autre part, l’existence même de continuum devient intelligible : l’apprentissage naturel d’une langue est conçu comme une succession de tentatives, d’essais, l’apprenti construisant à partir de ces structures élémentaires (et non pas directement à partir des structures élaborées de sa langue maternelle) des « systèmes approximatifs de communication » de plus en plus semblables à celui de la langue-cible. Or, selon toute apparence, ces étapes successives ne sont pas effacées et subsistent dans le répertoire du locuteur qui peut y recourir en cas de besoin.

Ainsi s’explique l’étendue de la compétence d’Africains qui, ayant acquis une bonne connaissance du français standard, n’en demeurent pas moins capables d’interpréter correctement le contenu d’énoncés « incorrects », incompréhensibles pour le locuteur métropolitain. C’est parce que les systèmes approximatifs de communication sont logiquement ordonnés entre les deux pôles constitués par les structures élémentaires du langage et la norme académique que le continuum « français d’Afrique » se présente

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comme un tout cohérent et non pas comme un chaos d’usages individuels. »

D’autre part, l’emploi du français impliquant une revendication de pouvoir, il devient présomptueux, impertinent, arrogant d’y recourir dans une situation où l’on n’est pas en mesure de soutenir son rôle – en présence d’un supérieur par exemple. La qualité de la langue utilisée sert désormais à juger si la compétence du locuteur est à la hauteur de ses prétentions qui peuvent toujours être contestées par des interlocuteurs plus savants, en l’occurrence les « lettrés » dont le parler est marqué par une certaine préciosité, voire un certain pédantisme. Réduit à un enchaînement de formules hétéroclites portées par une syntaxe recherchée, le français paraît à la fois rigide et ampoulé. Tout se passe comme si l’important n’était pas que le message fût énoncé en français, mais que celui-ci – par référence sans aucun doute à sa fonction sociale – en portât de façon explicite la trace et la marque.

D’où des pratiques langagières « anxieuses » de la part de ceux qui parlent le « français ancien combattant », du fait de l’importance de l’enjeu que comporte la pratique du français et par l’absence de repères susceptibles de les guider. Dans de telles conditions, où la vigilance du locuteur doit sans cesse être en éveil, parler français engendre un intense sentiment d’insécurité. L’inférieur ne recourt plus alors au français que par nécessité pour communiquer avec son supérieur, sans que la réciproque – sauf pour affirmer son pouvoir – soit vraie. Le locuteur congolais, peu assuré de ses compétences en français, préfère s’exprimer dans une langue endogène, même dans des situations réservées d’ordinaire au français. Ce qui finit par réduire cette langue à n’être – pour un temps – qu’un instrument de communication6.

Ainsi donc, après l’élection présidentielle de Fulbert Youlou en 1960, et la proclamation de l’Indépendance du Moyen- Congo qui devient la République du Congo le 15 août de cette même année, la première Constitution de la République du Congo dans son article 1, accorde-t-elle au français le statut de langue officielle. Le statut officiel et les avantages de toutes natures liés à la connaissance du français étant autant de facteurs qui favorisent

6 Voir chapitre 5.

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