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INVENTAIRE DU DROIT POSITIF

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Gilbert Guillaume

INVENTAIRE DU DROIT POSITIF

Au X/Xe siècle, le droit international reconnaissait largement les interventions humanitaires des Etats. Aujourd'hui, ce même droit leur est beaucoup moins ouvert, contrairement aux impressions que peuventlaisserdes opérations du type«sacs de riz» en Somalie ou la multiplication des interventions militaires dites«humani- taires )) - comme en Yougoslavie. En fait, un débat s'est engagé, surtout en France, autour de la notion du «droit d'ingérence humanitaire )). A l'initiative de Bernard Kouchner et du doyen Mario Bettati, une conférence internationale fut organisée à Paris en janvier1987et adopta une«Résolution sur la reconnais- sance du devoir d'assistance humanitaire et du droit à cette assistance )).

Ledébat, néanmoins, resteouvert et ilestsouventconfus. LaRevue tente, modestement, d'en dégager, avec un souci de clarté, les points essentiels.

Comme le montre, à travers une analyse historique, Gilbert Guil- laume, il n'est, en effet, ni évident, nifacile,«de passer de l'éthique au droit )), donc «de transcrire des préceptes moraux en termes juridiques )).

De son côté, fort de son métier de diplomate, François Bujon de l'Estang, après s'être interrogé sur «les prémisses d'un ordre

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humanitaire )), s'emploieà démonter«la dialectique de l'humani- taire et dupolitique)), en révélant, ainsi, ses imperfections, ses effets pervers, ses ambiguïtés.

Enfin, àtravers, cettefois, «une brève histoire du bien et du mal )) etàpartir de son expérience personnelle dans«l'humanitaire )), Jean-Christophe Rufin exprime son scepticisme surce qu'il nomme

«la diplomatie des petits pains )).

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'homme a depuis les origines des temps été victime des violences de la nature et de celles de ses semblables. Si la science a permis de progresser dans la lutte contre les premières, elle a au contraire fourni aux auteurs de violences des armes nouvelles. Mais elle a en même temps permis à l'humanité tout entière d'en devenir témoin à travers la presse et la télévision.

Des hommes de bonne volonté, indignés devant ces horreurs, se sont portés sur le terrain en vue d'assister les victimes. Ces volontaires de la cause humanitaire se sont souvent heurtés à l'incompréhension, voire à l'hostilité des Etats. Les sociétés natio- nales de Croix-Rouge et le Comité international de la Croix-Rouge ont les premiers rencontré ces difficultés et cherché àles vaincre en obtenant des gouvernements des garanties incorporées dans les conventions de Genève de 1949 relatives aux conflits armés internationaux. Puis ils ont tenté d'agir en cas de guerre civile. De nouvelles organisations non gouvernementales ont fait de même, spécialement à la suite des événements du Biafra de 1969.

Médecins«du monde »ou«sans frontières »ont mal compris les réticences, voire les barrières, opposées depuis lorsàleur action par certains gouvernements. Une réflexion s'est par suite engagée, tout particulièrement en France, sur les conditions dans lesquelles pourrait être garanti l'accès aux victimes. Sur l'initiative du docteur Kouchner et du doyen Bettati, «une conférence internationale de droit et de morale humanitaire )) s'est réunie àcet effetàParis en janvier 1987 et a adopté une «résolution sur la reconnaissance du devoir d'assistance humanitaire et du droitàcette assistance(1) )).

A la suite de cette conférence, les autorités françaises ont engagé, en particulier aux Nations unies, une action diplomatique persévé- rante en vue d'une telle reconnaissance.

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Il n'est pas inutile aujourd'hui de revenir en arrière et de se demander quelle a été l'évolution du droit positif en ce domaine et quelle est la situation actuelle.

Passer de l'éthique au droit, c'est en premier lieu passer du domaine du souhaitable à celui du possible. C'est aussi transcrire des préceptes moraux en termes juridiques. L'opération n'est jamais aisée en droit interne; elle est encore plus difficile en droit international. Certes, la finalité poursuivie en l'espèce est claire: elle tend à justifier l'aide aux victimes lorsque celle-ci est rendue nécessaire par une situation d'urgence entraînant un risque humani- taire grave. Mais les concepts et le vocabulaire imaginés dans ce but se sont rapidement brouillés pour devenir incertains. On a parlé tantôt de droit, tantôt de devoir d'ingérence ou d'intervention; on a prôné parfois le droit d'assistance humanitaire de ceux qui se portent au secours des victimes, parfois le droit à l'assistance humanitaire de ces dernières. Or ces diverses notions sont loin d'être équivalentes.

Pour le juriste, définir un droit, c'est s'interroger à la fois sur le débiteur et le bénéficiaire d'une obligation, comme sur le contenu de cette dernière. Selon les tenants du droit àl'assistance humani- taire, les bénéficiaires d'un tel droit seraient les personnes ou groupes menacés ou victimes d'atteinte grave à leur vie, voire à leur santé physique ou psychique. Les intéressés auraient en pareil cas le droit de solliciter l'assistance des Etats comme des organisations intergouvernementales ou non gouvernementales. L'Etat territorial serait dans l'obligation de les laisser bénéficier d'une telle assistance.

Cette dernière affirmation soulève immédiatement deux questions fondamentales: existe-t-il réellement une telle obligation?

Que faire si l'Etat territorial refuse de la reconnaître? Comment peuvent alors réagir les autres Etats et les organisations internatio- nales? Peuvent-ils notamment user de la force?

Une action contestée des Etats

Le droit des relations interétatiques a connu à cet égard, dans les derniers siècles, une évolution profonde qui n'a pas toujours été notée.

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Les premiers auteurs du droit des gens, s'inspirant avant tout de préceptes moraux, croyaient en la supériorité de la«Civilisation»,

c'est-à-dire de la civilisation occidentale et du droit naturel qui en était le reflet. Ainsi Vattel estimait que (( toutes les nations sont en droit de réprimer par la force celle qui viole ouvertement les lois que la Société de Nature a établies entre elles )). Il ajoutait toutefois avec prudence qu' (( ouvrir la porte à toutes les fureurs de l'enthousiasme et du fantasme risque de fournir aux ambitieux des prétextes sans nombre(2) )).

Ces premières réflexions trouvèrent leur traduction dans la théorie de l'intervention d'humanité chère au XIXe siècle. Rougier, à la Revue générale de droit international public, en 1910, en résumait les fondements en soulignant qu'(( il est des excès de sauvagerie qui apparaissent intolérables à la conscience des peuples européens, formés dans le culte de la morale et du droit;

ces derniers estimeront toujours qu'ils ont, non seulement le droit, mais encore le devoir d'empêcher de tels écarts et que c'est pour eux la plus noble mission que de porter un germe de civilisation en terre barbare». Il tenait par suite ((pour un droit l'exercice du contrôle international d'un Etat sur les actes de souveraineté intérieure d'un autre Etat contraires aux lois de l'humanité (3) )).

Dans la pratique, cette théorie fournit une justification non seulement à la colonisation au nom de la (( mission sacrée de civilisation )) qui figurait encore dans le pacte de la Société des Nations, mais encore à des interventions ponctuelles d'humanité.

C'est ainsi qu'en 1856 la France et la Grande-Bretagne incitèrent le Congrès de Paris à adresser des remontrances au roi de Deux-Siciles pour le traitement infligé aux détenus sous sa souveraineté et lord Clarendon précisait à cette occasion dans des termes que ne désavoueraient pas certains auteurs contemporains : (( On doit reconnaître qu'aucun gouvernement n'a le droit d'intervenir dans les affaires intérieures des autres Etats, mais il est des cas où l'exception à cette règle devient également un droit et un devoir(4). ))

Ces cas devaient se multiplier de 1827 à 1914 en ce qui concerne l'Empire ottoman, lors des massacres de Chio, de Crète, d'Arménie ou du Liban. Dans ce dernier cas, par exemple, la France, pour assurer la protection des maronites contre les Druzes, envoyait

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six mille soldats sur place en 1856, car, comme l'écrivait M. de Thouvene1, ministre des Affaires étrangères de Napoléon III à son ambassadeur à Constantinople : « L'humanité exige une prompte intervention et des dispositions urgentes(5). »

A ce droit d'intervention des grandes puissances européennes en Afrique et en Asie répondait un droit analogue des Etats-Unis en vertu de la doctrine de Monroe dans les Amériques (les mauvais traitements infligés aux indigènes à Cuba ayant par exemple été invoqués par Washington contre l'Espagne en 1898) [6].

L'adoption de la Charte des Nations unies et la décolonisation allaient renverser complètement la perspective. La Charte reconnais- sait certes en son préambule «la dignité et la valeur de la personne humaine», mais elle affirmait aussi, en son article 2,§1, «l'égalité souveraine»des Etats. En outre, elle faisait obligationàces derniers de s'abstenir, «dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l'emploi de la force [...] de toute [...] manière incompatible avec les buts des Nations unies (ibid; § 4) ».

Aussi la Cour internationale de justice devait-elle, peu de temps après, juger dans l'affaire du Détroit de Corfou que «leprétendu droit d'intervention ne peut être envisagé [...]que comme la manifestation d'unepolitique deforce, politique qui, dans lepassé, a donné lieu aux abus lesplusgraves et qui ne saurait, quelles que soientlesdéficiences présentes de l'organisation internationale, trouver aucune place dans le droit international(7) ».

Cette condamnation devait être reprise depuis lors dans nombre de textes adoptés dans les cadres les plus divers. Ainsi l'Assemblée générale des Nations unies, dans sa «déclaration sur l'inadmissibilité de l'intervention dans les affaires intérieures des Etats et laprotection de leur indépendance et de leur souveraineté»,

proclamait en 1965 qu'« aucun Etat n'a le droit d'intervenir, directement ou indirectement, pour quelque raison que ce soit, dans les affaires intérieures ou extérieures d'un autre Etat »

(résolution 2131 [XX]). Elle reprenait cette formule mot pour mot en 1970 dans sa déclaration sur les relations amicales (résolution 2625 [XXV]).

Le même principe était incorporé à l'article 18 de la Charte de l'Organisation des Etats américains, àl'article 3 de la Charte de

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l'Organisation de l'unité africaine et dans l'acte final de la conférence d'Helsinki sur la sécurité et la coopération en Europe.

Ce courant de pensée devait même trouver sa traduction dans le droit humanitaire lors de l'adoption, en 1977, du protocole n- II aux conventions de Genève sur les conflits armés non internatio- naux. En effet, l'article 3 de ce protocole précise qu'« aucune disposition du présent protocole ne sera invoquée comme une justification d'une intervention directe ou indirecte pour quelque motifque ce soit dans le conflit armé ou dans les affaires intérieures ou extérieures de la haute partie contractante sur le territoire de laquelle ce conflit se produit »,L'article 18 ajoute que (( lorsque la population civile souffre de privations excessives par manque des approvisionnements nécessaires à sa survie [...] des actions de secours en faveur de la population civile, de caractère exclusive- ment humanitaire et impartial, et conduites sans aucune distinc- tion de caractère défavorable, seront entreprises avec le consente- ment de la haute partie contractante intéressée ».

Bien plus, l'Assemblée générale des Nations unies, en 1981, après avoir rappelé qu'«aucun Etat n'a le droit d'intervenir ou de s'ingérer de quelque manière que ce soit dans lesaffaires intérieures et extérieures d'autres Etats», allajusqu'à affirmerque le principe ainsi proclamé comprend ((le devoir d'un Etat de s'abstenir d'exploiter ou de déformer les questions relatives aux droits de l'homme dans le but de s'ingérer dans lesaffaires intérieures des Etats» (résolution 36/103 adoptée par 120 voix contre 22).

La page semblait ainsi tournée. Aux interventions d'humanité menées par les grandes puissances au nom de la civilisation et du droit naturel succédait l'égalité souveraine des Etats maîtres de mener la politique de leur choix sur leur territoire.

Letableau ainsi dressé ne doit-il pas être nuancé? Une réaction ne s'est-elle pas amorcée depuis lors à l'encontre de (( l'irrésistible ubiquité de l'Etat (8) »? Le principe du non-recours à la force, comme celui de la souveraineté territoriale des Etats ne comportent- ils pas aujourd'hui des exceptions destinées à assurer la protection des droits de l'homme?

Sur le premier point, une remarque s'impose de prime abord.

Elle concerne la possibilité pour un Etat, en certaines circonstances, d'assurer, même par la force, la protection de ses nationaux à

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l'étranger. Ce droit était admis au XIXe siècle et Max Hubert, dans la sentence arbitrale du 23 octobre 1924 concernant les biens britanniques au Maroc espagnol, estimait qu'« il est incontestable qu'à un certain point l'intérêt d'un Etat de pouvoir protéger ses ressortissantset leurs biens doit primer le respectde la souveraineté territoriale, et cela même en l'absence d'obligations convention- nelles. Le droit d'intervention a été revendiqué par tous les Etats, ses limites seules peuvent être discutées».

De nombreuses interventions ont été justifiées par des motifs de ce type depuis la Seconde Guerre mondiale: Etats-Unis au Liban en 1958; Belgique au Congo en 1960; Etats-Unis à Saint-Domingue en 1965 ; Israël en Ouganda en 1976 ; France et Belgique à Kolwezi en 1978; Etats-Unis en Iran en 1980. Face à ces interventions, les réactions de la communauté internationale ont été souvent teintées de prudence. C'est ainsi qu'à la suite du détournement d'un aéronef d'Air France sur Entebbe, en 1976, l'Organisation de l'unité africaine a condamné l'intervention israélienne comme portant atteinte à la souveraineté de l'Ouganda, mais que le Conseil de sécurité, saisi par les Etats africains, ne s'est pas prononcé. De même, la Cour internationale de justice, dans l'affaire des otages américains à Téhéran, s'est abstenue en 1980 de porter un jugement sur la licéité même de l'opération menée par les Américains à Tabas en vue de provoquer la libération des diplomates retenus en Iran.

En tout état de cause, et même si l'on admettait la licéité de telles interventions, celles-ci ne pourraient, en l'état actuel du droit, être opérées qu'en faveur des nationaux de l'Etat intervenant et dans la stricte mesure où elles seraient nécessaires pour assurer leur protection. En effet, et quelle que soit l'appréciation qu'un Etat peut porter sur la situation des droits de l'homme dans un autre Etat,

«l'emploi de la force ne saurait être la méthode appropriée pour vérifier et assurer la protection de ces droits ))(Cour internationale de justice, Nicaragua contre Etats-Unis d'Amérique, 1986).

En revanche, il n'est pas douteux pour la Cour internationale de justice que ((la fourniture d'une aide strictement humanitaire à des personnes ou à des forces se trouvant dans un autre pays, quels que soient leurs affiliations politiques ou leurs objectifs, ne saurait être considérée comme une intervention illicite ou à tout autre point de vue contraire au droit international(9) )).

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Mais ((un élément essentiel de l'aide humanitaire est qu'elle doit être assurée "sans discrimination aucune". Selon la Cour, pour ne pas avoir le caractère d'une intervention condamnable dans les affaires intérieures d'un autre Etat, non seulement "l'assistance humanitaire" doit se limiter aux fins consacrées par la pratique de la Croix-Rouge, à savoir "prévenir et alléger les souffrances des hommes" et "protéger la vie et la santé [et] faire respecter la personne humaine"; elle doit aussi et surtout être prodiguée sans

discrimination (10)ii.

Peut-on aller au-delà de cette appréciation prudente de la Cour (qui, on le notera, ne touche pas au problème de la souveraineté territoriale)? Certains l'ont pensé en invoquant deux résolutions récentes de l'Assemblée générale des Nations unies.

La première, la résolution 43/131, du 18 décembre 1988, a été adoptée au lendemain du tremblement de terre d'Arménie. Elle entend faciliter l'assistance humanitaire aux victimes des catastro- phes naturelles et situations d'urgence du même ordre. Quant à la résolution 45/100, du 14 décembre 1990, elle prévoit la possibilité de créer des corridors humanitaires afin d'acheminer les secours en pareilles circonstances. Tous les auteurs ont reconnu que ces résolutions ne consacraient pas le droit à l'assistance humanitaire.

Mais certains y ont discerné la reconnaissance d'une règle selon laquelle l'accès aux victimes ne saurait être entravé ni par l'Etat touché, ni par les Etats voisins (11). D'autres au contraire ont souligné, à la lumière des débats, que ces résolutions n'entendaient (( nullement porter atteinte au principe de souveraineté ii(12) qu'elles réaffirmaient d'ailleurs explicitement (13).

En réalité, si ces textes marquent un succès de la diplomatie française dans la direction souhaitée par cette dernière, ce succès n'est assurément pas décisif. Le consentement des Etats territoriaux à l'aide humanitaire demeure la règle, comme en porte par exemple témoignage la convention interaméricaine pour faciliter l'assistance en cas de désastres naturels du 12 juin 1991, qui subordonne toute intervention des Etats, organisations intergouvernementales ou organisations non gouvernementales à l'accord de l'Etat assisté.

Cela signifie-t-il que la communauté internationale est large- ment désarmée face à un Etat qui porterait gravement atteinte aux droits de l'homme, soit en faisant obstacle à une indispensable action

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humanitaire, soit en mettant lui-même en danger une partie de sa population?

Une action possible

de la communauté internationale

Cette question appelle, me semble-t-il, une réponse négative, dès lors que l'on s'interroge non plus sur la légalité des interventions unilatérales des Etats, mais sur celle des organisations internationales et plus particulièrement des Nations unies.

Certes, selon l'article 2, § 7 de la Charte, aucune disposition de ladite Charte « n'autorise les Nations unies à intervenir dans les affaires qui relèvent essentiellement de la compétence nationale d'un Etat, ni n'oblige les membres à soumettre des affaires de ce genre à une procédure de règlement aux termes de la présente Charte».Mais le même article ajoute immédiatement que le principe ainsi posé «ne porte en rien atteinte à l'application des mesures de coercition prévues au chapitre VII».En d'autres termes, lorsque le Conseil de sécurité agit conformément àce chapitre, en cas de menace contre la paix, de rupture de la paix ou d'acte d'agression, il est en droit d'intervenir dans les affaires qui relèvent essentielle- ment de la compétence nationale des Etats. Bien plus, lorsqu'il prend àce titre des décisions, les membres de l'Organisation sont tenus de les « accepter et de les appliquer» conformément àI'article 25 de la Charte. De ce fait, le Conseil peut décider d'imposer des opérations d'assistance humanitaireàun Etat réticent danslamesure où il constate par exemple une menace à la paix.

Pendant longtemps le Conseil n'a pas usé de ses pouvoirs en pareil domaine. La crise irakienne, l'affaire somalienne, puis les événements de Yougoslavie lui en ont donné récemment l'occasion.

Au lendemain de la défaite irakienne, lors de la seconde guerre du Golfe, une insurrection éclata contre le gouvernement de Bagdad, en particulier dans les zones de peuplement kurde. Les autorités irakiennes entreprirent de mettre fin à cette révolte par la force. Des centaines de milliers de personnes s'enfuirent dans les montagnes et passèrent en Turquie et en Iran.

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Sur proposition de la France, le Conseil de sécurité adopta alors, le 5 avril 1991, par 10 voix contre 3, avec 2 abstentions, la résolution 688. Celle-ci condamne la répression des populations civiles irakiennes. Elle constate que cette répression a Ilconduit à un afflux massif de réfugiés vers les frontières internationales et à travers celles-ci età des violations de frontières, qui menacent la paix et la sécurité internationales dans la région».Par voie de conséquence, le Conseil se reconnaît compétent pour agir confor- mément à l'article 2, §7.

Mais, ayant ainsi affirmé sa compétence, il ne va pas jusqu'à prendre des décisions s'imposant à Bagdad.Il se borne en effet à

« insister pour que l'Irak permette un accès immédiat des organisations humanitaires internationales à tous ceux qui ont besoin d'assistance dans toutes les parties de l'Irak et qu'il mette à leur disposition tous les moyens nécessaires à leur action )). Il prie en outre le secrétaire général de poursuivre ses efforts humanitaires pour faire face d'urgence aux besoins fondamentaux des réfugiés et des populations irakiennes déplacées. Il exige de l'Irak qu'il coopère à cet effet avec le secrétaire général.Illance enfin un appel à tous les Etatsmembres pour qu'ils participent à ces efforts.

Au lendemain de l'adoption de cette résolution, les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni lancent l'opération «ProvideComfort»

pour apporter une aide humanitaire aux réfugiés kurdes. Plus de vingt mille hommes sont envoyés sur place afin d'établir une zone de protection devant permettre le ravitaillement et la réinstallation des réfugiés. La création de cette zone en territoire irakien est cependant critiquée par Bagdad qui y voit«une ingérenceflagrante qui n'a rien à voir avec l'assistance humanitaire »,

Le secrétaire général, quant à lui, négocie avec les autorités irakiennes un accord qui sera conclu le 18 avril 1991 en vue de permettre aux Nations unies d'établir sur place des bureaux et centres humanitaires « en accord et avec la coopération du gouvernement irakien )) et « sans préjudice de la souve- raineté [...] et la non-ingérence dans les affaires intérieures de l'Irak(14) »,

Au total, le Conseil de sécurité dans cette affaire s'est reconnu compétence pour agir en vertu du chapitre VII en vue d'organiser une assistance humanitaire sous l'égide des Nations unies. Mais il

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n'a pas pris de véritable décision, au sens de l'article 25, s'imposant aux Etats membres et en particulier à l'Irak.

Une étape supplémentaire va être franchie du fait de l'adoption par le Conseil, le 3 décembre 1992,de la résolution 794«autorisant un encadrement armé pour permettre l'acheminement de l'aide humanitaire»en Somalie. Dans cette affaire, il était en effet difficile pour le Conseil de sécurité d'intervenir en invoquant les risques que des mouvements massifs de population à travers les frontières pouvaient faire courir à la paix et à la sécurité internationales. Il lui fallait dès lors, s'il voulait agir, donner à ces derniers termes une acception plus large. Telle fut la solution retenue puisque le Conseil a estimé que«l'ampleur de la tragédie humaine causéepar le conflit en Somalie, qui est encore exacerbé par les obstacles opposésà l'acheminement de l'aide humanitaire, constitue une menaceà la paix età la sécurité internationales». Ajoutant par prudence qu'il s'agissait là«d'un cas unique»appelant«une réaction immédiate et exceptionnelle»,le Conseil prend une double série de mesures.

D'une part, « agissant en vertu du chapitre VII de la Charte», il autorise le secrétaire général et les Etats membres qui le souhaitent

«à employer tous les moyens nécessaires pour instaurer aussitôt que possible des conditions de sécurité pour les opérations de secours humanitaire en Somalie».D'autre part, il prévoit, dans une deuxième étape, le déploiement de plusieurs milliers d'hommes dans le cadre de l'Opération des Nations unies en Somalie (Onusom).

En procédant de la sorte, le Conseil de sécurité innove à plusieurs égards : il estime d'une part que la situation sur le plan humanitaire à l'intérieur de la Somalie constitue en elle-même une menace à la paix et à la sécurité internationales. Il autorise en deuxième lieu plusieurs Etats à intervenir pour rétablir la sécurité nécessaire dans ce pays; ce sera l'opération «Restore Hope ». Il décide enfin de mettre sur pied une force militaire des Nations unies destinée à assurer le relais des forces nationales en cause. Ce faisant, il use incontestablement des pouvoirs qu'il tient du chapitre VIIpour intervenir dans les affaires intérieures de la Somalie en vue d'assurer l'organisation de l'aide humanitaire.

L'affaire yougoslave fournit un dernier exemple de la manière nouvelle dont le Conseil de sécurité entend aujourd'hui agir en ce

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domaine. Dans cette affaire, la compétence du Conseil ne faisait en elle-même aucun doute et ce dernier a pu affirmer à de multiples reprises que la poursuite des combats menaçait la paix et la sécurité internationales. Sur ce terrain, il a pu confier à la force des Nations unies qu'il a créée, la Forpronu, de multiples missions, y compris celle de faciliter l'acheminement de l'aide humanitaire aux victimes des combats. Maisil a été au-delà dans la résolutionSOSdu 22 février 1993, dans laquelle il a constaté que la violation généralisée du droit humanitaire international sur le territoire de l'ex-Yougoslavie constituait en elle-même une menace à la paix et à la sécurité, et a décidé en conséquence ((la création d'un tribunal international pour juger les personnes présumées responsables de violations graves» de ce droit.

Au terme de cette réflexion, il apparaît que le droit internatio- nal positif qui, au XIXe siècle, avait été favorable aux interventions d'humanité des Etats, est aujourd'hui réticent face à de telles actions.

En revanche, l'article 2, §7 de la Charte offre en ce domaine au Conseil de sécurité des possibilités d'action dont l'affaire de Somalie fournit un bon exemple (15).

Ce transfert des responsabilités des Etats vers l'Organisation des Nations unies ne va pas sans avantage, dans la mesure où il permet d'espérer que la communauté internationale agissant à travers le Conseil aura une attitude plus désintéressée que les Etats pris individuellement. Il ne va pas non plus sans risque pour l'organisation qui, en l'état, demeure dépendante diplomatiquement, .militairement et financièrement de ses membres (16). L'avenir dira

si ce nouveau défi sera l'occasion d'un nouveau progrès.

Gilbert Guillaume

1. Mario Bettati, Bernard Kouchner, le Devoir d'ingérence. Peut-on les laisser mourir?, Denoël, 1987.

2. Vattel,Droit des gens.

3. Revue générale de droit international public, 1910.

4. Cité par Rougier,Revue générale de droit international public, 1910.

5.A.Kiss,Répertoire de la pratique française de droit internationalpublic, tome II.

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6. Voir Jean-Marc Sorel, «le Devoir d'ingérence. Longue histoire et ambiguïté constante»,Relations internationales et stratégiques, no3, 1991.

7. Cour internationale de justice, Recueil1949-

8. Mario Bettati, «Un droit d'ingérence? »,Revue générale de droit international public, 1991.

9. Cour internationale de justice, Recueil 1986.

10. Ibid.

11.Mario Bettati, op.cit.

12. Pierre Michel Eisemann, « Devoir d'ingérence et non-intervention : de la nécessité de remettre quelques pendules à l'heure»,Relations internationales et stratégiques,3, 1991.

13. Marie-José Domestici-Met, « Aspects récents de l'assistance humanitaire »,

Annuaire français de droit international, 1989.

14. Voir Ralph Zacklin, «les Nations unies et la crise du Golfe» dans les Aspects juridiques de la crise et de la guerre du Golfe, Cedin, Montchrestien, 1991.Voir aussi Nasser Eddine Ghozali, « Heurts et malheurs du devoir d'ingérence humanitaire »,Relations internationales et stratégiques,1991, n- 3.

15. Pour une analyse plus fouillée du droit positif, voir Olivier Corten et Pierre Klein, Revue belge de droit international, 1990/I1et 1991/I.

16.Pour une appréciation de ces risques, voirle Monde des débats, janvier 1993, Pierre-Marie Dupuy,«Un droit nouveau - Urgence pour l'urgent».jean-Cbnstopbe Rufin,«Un droit ambigu - Guerre ici, famine là ».

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