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George Sand portraitiste dans "Le Meunier d'Angibault" (1845)

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Academic year: 2021

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George Sand portraitiste dans ”Le Meunier

d’Angibault” (1845)

Fabienne Bercegol

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Sonderdruck aus

Angela Fabris / Willi Jung (Hg.)

Charakterbilder

Zur Poetik des literarischen Porträts

Festschrift für Helmut Meter

V& R unipress

Bonn University Press

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Inhalt

Zum Geleit . . . 13 Schriftenverzeichnis Helmut Meter . . . 17 Angela Fabris / Willi Jung

Einführende Worte zu Geschichte und Poetik des literarischen Porträts . 27

Markante Beispiele mittelalterlicher Porträts

Mario Mancini (Bologna)

Mimesis, V: Auerbach decostruisce la Chanson de Roland . . . 41 Cristina Noacco (Toulouse)

Parure de femme, armure de guerrire, tombeau d’hrone: le portrait de Camille en Amazone dans le Roman d’nas (vers 1160) . . . 55 Giosu Lachin (Padova)

La descriptio personae nei Lais di Marie de France . . . 75 Gianfelice Peron (Padova)

Il ritratto doppio o ›incrociato‹ nel Galeran de Bretagne . . . 97 Furio Brugnolo (Padova)

»Sovra la morta imagine avvenente«. Commento a due sonetti di Dante (Vita nuova, VIII [3]) . . . 117 Roberto Antonelli (Roma)

(5)

Vom 16. zum 18. Jahrhundert: das literaturbezogene Porträt und das Porträt historisch-sozialer Ausrichtung

Cornelia Klettke (Potsdam)

Marguerite de Valois – Freilegung eines durch Mythenbildung

vernebelten und verschütteten Charakterbildes . . . 149 Renzo Cremante (Pavia)

Il primato di Sofonisba nella tragedia del Cinquecento. Appunti per un ritratto . . . 167 Bernhard Huss (Erlangen)

Wenn Dichter Dichter porträtieren. Die literarischen Vergilbilder von

Luigi Groto und Giovan Battista Marino . . . 179 Michael Bernsen (Bonn)

Das Porträt des Königs. Zwei Körper, zwei Diskurse . . . 197 Klaus-Dieter Ertler (Graz)

Das Charakterbild in den Moralischen Wochenschriften – Justus Van

Effens Le Misanthrope . . . 215 Angela Fabris (Klagenfurt)

Il ritratto veneziano del medio Settecento: Gasparo Gozzi . . . 231 Arnaldo Bruni (Firenze)

Da Voltaire a Monti: perdita d’aureola del personaggio nella Pulcella

d’Orlans italiana . . . 247 Franziska Meier (Göttingen)

»Il faut Þtre n physionomiste«. Louis Sbastien Mercier und die Kunst des Porträtierens nach der Französischen Revolution . . . 259

Techniken des Porträtierens im 19. Jahrhundert: die Register von Individualisierung, Typisierung und variabler Selbstdarstellung

Elvio Guagnini (Trieste)

(6)

Marie-Catherine Huet-Brichard (Toulouse)

Chateaubriand et le portrait de Napolon: Peut-on tuer les lgendes? . . 285 Fabienne Bercegol (Toulouse)

George Sand portraitiste dans Le Meunier d’Angibault (1845) . . . 295 Laurence Claude-Phalippou (Toulouse)

D’un portrait l’autre: du personnage au conteur dans »Le Dessous de

cartes d’une partie de whist« de Barbey d’Aurevilly . . . 309 Mario Richter (Padova)

Locuteurs et voyageurs dans Le Voyage de Baudelaire . . . 319 Michela Landi (Firenze)

Sul »portrait fatal«: il Victor Hugo di Baudelaire . . . 333 Yves Reboul (Toulouse)

Portrait et autofiction dans Un cœur sous une soutane de Rimbaud . . . . 353 Marina Paladini Musitelli (Trieste)

Il ritratto femminile nella narrativa verghiana d’ambientazione mondana 365 Rudolf Behrens (Bochum)

Die Szene der Hysterikerin. Medizinisches Porträt und soziale

Wahrnehmung eines Krankheitsbildes im naturalistischen Roman . . . . 383

Um die Wende vom 19. zum 20. Jahrhundert: das Porträt als Mittel der Kritik an Individuum, Gesellschaft und Kultur

Edgar Sallager (Klagenfurt)

Von den Tücken der ›Wahrheit des Augenblicks‹: mile Zola im Journal der Goncourt . . . 401 Roberta Capelli (Trento)

Remy de Gourmont e le ›maschere‹ del Simbolismo . . . 413 Pierre Glaudes (Paris)

La vision »dmonique« des personnages dans Le Journal d’une femme de chambre d’Octave Mirbeau . . . 427

(7)

Bernard Gallina (Udine)

Anatole France. Les variations sur le portrait d’un jeune homme entran dans la Rvolution . . . 441 Francesco Zambon (Trento)

La figura di Circe nell’opera di Giovanni Pascoli . . . 457

Das 20. Jahrhundert: Beispiele für das ambige, das verrätselte und das fragmentierte Porträt

Gino Tellini (Firenze)

Remo nelle Sorelle Materassi: un ritratto ambiguo . . . 481 Patrizia Farinelli (Ljubljana)

›Mettere in musica‹ il personaggio: il ritratto letterario nella narrativa di Savinio . . . 495 Winfried Wehle (Eichstätt)

Identität in absentia.Über die Lyrik Salvatore Quasimodos . . . 511 Marzio Porro (Milano)

Una figura sacrificale tra Ungaretti e Montale . . . 529 Patrick Marot (Toulouse)

Le sexe de l’criture: les portraits fminins de Monsieur Gracq . . . 543 Dagmar Reichardt (Groningen)

Versionen und Visionen. Translatorische und figurenkonzeptuelle Textveränderungsprozesse aufgezeigt an zwei Theaterentwürfen von Paul Willems’ Off et la lune . . . 557 Giampaolo Borghello (Udine)

La tana, il libro, gli altri. Alle origini della narrativa di Carlo Sgorlon . . 583 Michael Schwarze (Konstanz)

»Un vero ritratto«? – Italo Calvinos Portrait des literarischen Portraits in Se una notte d’inverno un viaggiatore . . . 597

(8)

Didier Alexandre (Paris)

Des noms, des physionomies singulires, ou une histoire littraire du jazz en portraits par Jacques Rda . . . 619 Jean-Yves Laurichesse (Toulouse)

Portrait en clats. Le gnral L. S. M. dans Les Gorgiques de Claude Simon 635 Sylvie Vignes (Toulouse)

Le portrait dans Vie de Joseph Roulin de Pierre Michon: l’Art et la manire 649 Peter V. Zima (Klagenfurt)

Die Atrophie des Helden zwischen Realismus und Postmoderne . . . 661

Ausblick auf das Porträt im frühen 21. Jahrhundert:

die Koexistenz von traditionellen Mustern, ästhetischem Spiel und Auflösungserscheinungen

Friedrich Wolfzettel (Frankfurt am Main)

»Rien que du blanc  songer«: die Leerstelle als Emblem des Anderen in den Porträts von Maxence Fermine . . . 683 Andrea Grewe (Osnabrück)

Eine moderne Heiligenlegende. Das Porträt der Khady Demba in Marie NDiayes Trois femmes puissantes . . . 697 Andreas Gipper (Mainz)

Die Kunst des Porträts und das Porträt des Künstlers in Michel

Houellebecqs Roman La carte et le territoire . . . 711 Gisela Schlüter (Erlangen)

Literarisches Selbstporträt mit Möbiusschleife: Houellebecq, La carte et le territoire . . . 727 Gerhild Fuchs (Innsbruck)

Gegenläufige Strategien der Figurendarstellung in Gianni Celatis Costumi degli italiani . . . 741 Die Autoren – Les Auteurs – Gli Autori . . . 755 Index nominum . . . 759

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Fabienne Bercegol (Toulouse)

George Sand portraitiste dans Le Meunier d’Angibault (1845)

Alors que l’intrigue est dj bien avance, puisque nous sommes au milieu du roman, George Sand choisit d’ouvrir la »troisime journe« du Meunier d’An-gibault par un chapitre intitul »Portrait«, dans lequel elle interrompt le fil de la narration pour »rparer« un oubli en insrant la description physique et morale, qu’elle dit avoir omise, de son hrone principale, Marcelle de Blanchemont. Utile pour les renseignements qu’il donne sur le personnage, le chapitre retient l’at-tention pour la rflexion qu’y conduit l’auteur, non sans ironie, sur la lgitimit du genre du portrait, remise en question par l’abus qu’en font »les conteurs« de son temps, sur sa technique descriptive et sur sa fonction dans le roman senti-mental, plus exactement sur son rle dans la rception des histoires d’amour. Feignant de douter de la conformit du portrait »aux rgles de l’art«, George Sand justifie prudemment celui qu’elle s’apprÞte  donner en s’appuyant sur l’an-ciennet de la tradition descriptive dans le roman et sur son refus de droger  cette coutume. Le fait qu’elle se sente oblige de s’expliquer, et presque de s’excuser, tmoigne de la vigueur de la polmique suscite par l’essor du genre, sous la forme de longues et minutieuses descriptions des personnages, dans le roman de la premire moiti du XIXesicle, et tout particulirement chez Balzac.1 Est en cause »l’art de dcrire minutieusement les traits et le costume des gens«,2 soit le recours dans le portrait  une criture du dtail accuse d’interrompre inutilement le rcit au profit de notations superflues. Or, sous sa fausse ingnuit et sous sa prtendue modestie, George Sand dfend une pratique descriptive  laquelle elle se reconnat le droit de se livrer en toutes circonstances, ft-ce en diffrant la poursuite de sa narration. Car loin de s’expliquer par sa seule n-gligence, l’insertion du portrait de l’hrone principale au centre du rcit est un moyen de le mettre en valeur, d’afficher sa libert par rapport aux potiques

1 Sur Balzac portraitiste, voir le livre de R. Borderie, Balzac peintre de corps. La Comdie Humaine ou le sens du dtail, Paris, Sedes, 2002.

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normatives du roman qui prtendent y rguler l’usage du portrait et de re-nouveler l’attention du lecteur pour ce personnage qu’il est alors oblig de redcouvrir.

Car c’est en se plaÅant du ct du lecteur et de la relation qu’il noue avec les protagonistes de l’histoire d’amour que George Sand entend prouver la lgitimit du portrait. DplaÅant la discussion  laquelle donne lieu traditionnellement le portrait dans la critique littraire, elle analyse son rle dans l’intrÞt que prend le lecteur pour le personnage fminin. Elle suppose chez lui un dsir de portrait, un besoin imprieux d’avoir des prcisions sur la beaut de l’hrone pour pouvoir se la figurer et rendre compte de l’effet qu’elle a produit sur lui. Le portrait devient ncessaire au plaisir de la lecture pense comme rencontre amoureuse entre le lecteur et une femme qu’il veut »voir«, comme si elle passait dans la rue, et dont il veut prouver le charme sur lui, pour »l’aimer« ou pour »l’absoudre d’avoir attir sur elle l’attention publique«.3Envisag du ct de la rception du roman, il relve d’une stratgie de captation du lecteur fonde sur le brouillage des frontires de l’imaginaire et du rel et sur son adhsion sensible, voire sensuelle,  l’histoire qui lui est raconte. Fidle  la potique du roman sentimental qui cherche  per-suader par l’motion, George Sand reconnat au portrait le pouvoir de susciter cette communion affective entre ses lecteurs et ses personnages dont dpendent le jugement qu’ils porteront sur son livre et, surtout, le retentissement que l’histoire rapporte aura dans leur vie. Car les portraits qu’elle compose ne servent pas seulement  assurer la sduction de l’histoire d’amour : ils illustrent la faÅon dont elle renouvelle le genre du roman sentimental, en l’ouvrant sur la socit de son temps et en lui confrant une dimension idologique, au service d’une pense politique dont elle espre des retombes pratiques.

Certes, les enjeux esthtiques du portrait littraire restent prsents sous sa plume: parce que la description physique reste le plus souvent associe dans son roman  l’intrigue amoureuse, Sand doit affronter la difficult  dcrire la beaut des corps dsirs, avec le souci de la particulariser et d’en rendre le charme. Mais Le Meunier d’Angibault montre galement qu’elle sait exploiter les ressources esthtiques du laid ou du bizarre promues par le romantisme et qu’elle a perÅu les mrites dramatiques des corps mins par la marginalit ou par la folie. Reflets de sa potique romanesque soucieuse d’ancrer l’hritage sentimental dans un contexte social jusque-l nglig et d’en rendre compte le plus fidlement pos-sible, les portraits insrs dans ce rcit rustique tmoignent par ailleurs de sa volont d’largir le spectre social du roman en y intgrant un tableau diversifi du monde paysan. D’o la prsence dans Le Meunier d’Angibault d’une galerie de personnages typiques reprsentant diverses professions ou conditions sociales, qu’il lui faut conjointement diffrencier, pour crer des personnalits tranches. 3 MA, 244.

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Oscillant entre les contraintes contradictoires du type et de la singularit indi-viduelle, ces portraits se retrouvent au cœur du conflit de reprsentations dont hrite George Sand, dans la mesure o il lui faut chapper au double cueil de la tradition idyllique idalisante et de la veine satirique pjorative pour donner une image de la socit rurale la plus authentique possible. Ils illustrent ainsi la rflexion qu’elle mne dans les annes 1840 sur »la mission de l’art«, qui la conduit  refuser »l’tude de la ralit positive«, du moins lorsqu’elle conduit  ne montrer que »la douleur«, que »l’abjection de la misre«, et  prner »la re-cherche de la vrit idale«, afin de »faire aimer les objets de sa sollicitude«, au besoin en les embellissant un peu.4Fortement dramatiss et contextualiss, les portraits du Meunier d’Angibault mettent en corps les violences et les injustices de l’Histoire contemporaine, mais ils incarnent aussi cette quÞte d’une »vrit idale« qui pousse George Sand  rformer le genre de l’idylle champÞtre, en l’annexant  un projet utopique de refondation de la socit. Cela se fait no-tamment par un travail sur les strotypes que la portraitiste se plat  mettre au jour pour mieux les dnoncer.

Contrairement  ce que pourrait faire croire l’insertion, au milieu du roman, du portrait oubli de Marcelle, George Sand ne manque pas de prsenter tous les personnages, principaux et secondaires, du Meunier d’Angibault, en gnral ds leur premire apparition dans l’histoire. Elle a recours pour cela  des portraits synthtiques, longs, fouills, qui campent une silhouette et qui retracent la gense d’une personnalit, ou  des portraits  relief plus brefs qui font ressortir une caractristique physique ou morale,5ou encore  des portraits instantans dont le but n’est plus de cerner des traits intemporels mais de montrer le personnage tel qu’il est dans une situation donne. Le portrait du »patachon« qui conduit Marcelle  Blanchemont illustre d’emble son habilet dans l’art du croquis concis et incisif: quelques notations physiques et morales lui suffisent pour rendre efficacement l’apparence disgracieuse de ce »gars de quinze ans, roux, camard«, caractris par son insolence et par sa grossiret.6Mise ici au service d’une caricature qui renoue avec la tradition de reprsentation satirique du monde rural, cette criture de la brivet expressive lui permet ailleurs de pr-senter en quelques traits des corps travaills par l’motion. C’est le cas notam-ment lors de scnes dialogues, ponctues de dtails sur le comportenotam-ment des personnages, qui font songer par leur formulation prcise et sommaire  des didascalies. Ainsi en va-t-il lors du rendez-vous amoureux de Marcelle et de 4 George Sand s’explique ainsi dans le premier chapitre de La Mare au diable (1846), qui tient

lieu de prface au roman. Voir : J. Noiray, Prfaces des romans franÅais du XIXe

sicle, Paris, Classiques de Poche, 2007, 262.

5 C’est le cas du portrait du notaire, M. Tailland, qui s’organise autour de son got du confort matriel. Voir : MA, 346

6 MA, 60.

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Lmor qui ouvre le roman: rapportant leur maintien, leur gestuelle ou les changements de leur physionomie, Sand traque les moindres manifestations physiques des violentes motions qui les assaillent. Ce faisant, elle reste fidle  la reprsentation pathtique du corps amoureux que privilgie le roman senti-mental, au moins depuis le XVIIIesicle, et que favorise la conception vitaliste du corps domin par la sensibilit. Souvent ddaignes par la critique pour leur caractre encore trs conventionnel, ces manifestations de l’motion n’en con-tribuent pas moins  donner de la visibilit aux corps et  incarner les sentiments dans le cadre d’un genre dont les personnages sont perÅus comme manquant d’paisseur charnelle et o l’amour parat ne concerner que les mes.

Rpondant au souhait de George Sand de confier le rcit  un narrateur omniscient capable de guider le lecteur, ces portraits sont nanmoins toujours motivs par la prsence d’un personnage observateur, qui a intrÞt  scruter le physique de son interlocuteur et qui est dot de comptences hermneutiques lui permettant de le dchiffrer.7 La situation affective est souvent prtexte  des pauses contemplatives dans le roman sentimental: aussi le premier portrait de Marcelle est-il justifi par le bonheur qu’a Lmor de »pouvoir la regarder«8lors de leur rendez-vous nocturne. Ailleurs, c’est la curiosit naturelle de deux per-sonnages se rencontrant pour la premire fois qui impose le portrait: c’est le cas de celui du meunier attentivement observ par Marcelle, lors de leur premire entrevue  l’auberge.9Il en ira de mÞme des autres personnages de ce monde rural que Marcelle examine avec d’autant plus de soin qu’elle est bien dcide  se faire une ide juste de la vie rustique, en se gardant de trop l’embellir comme de trop la noircir. Quant  son portrait plac au centre du roman, loin d’Þtre arbitraire, il est motiv par le regard jaloux de Rose, qui se demande si Marcelle peut Þtre pour elle une rivale lors de la fÞte du village.10Sand se sert galement d’un autre procd, celui des portraits croiss, insrs dans les dialogues, pour prsenter un mÞme personnage sous diffrents points de vue. L’avantage de cette technique est de mieux lier le portrait  la progression de l’action, mais aussi de mnager le suspense autour d’une personnalit diversement apprcie ou de faire ressortir les sentiments, amitis ou haines, qui lient les diffrents protagonistes. Ainsi les avis divergents du patachon et du meunier sur Cadoche contribuent  le rendre tout de suite mystrieux, tandis que la prsentation contradictoire de Grand-Louis par les diffrents membres de la famille Bricolin met au jour leurs senti-ments contrasts  son gard et rvle le drame sentimental qui se joue autour de ses amours avec Rose.11Souvent insrs par paires, ces portraits sont utiliss

7 La »rare perspicacit« dont est d’emble crdit le farinier en est un exemple. Voir : MA, 56. 8 MA, 32.

9 MA, 54. 10 MA, 244.

11 MA, 66, 74 et 108 – 110.

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pour construire les personnages  partir de relations d’affinits ou d’oppositions: conformment au code du roman sentimental, le double portrait initial de Marcelle et de Lmor fixe l’image du couple complmentaire, vou  devenir insparable, tandis que le portrait contrast de Marcelle et de Rose diversifie le personnel fminin du roman en jouant sur les diffrences dues  leur ge et  leur condition.12Avec beaucoup d’habilet, Sand se sert de la galerie de portraits des dames Bricolin pour brosser un tableau gnrationnel qui mesure les progrs de l’alphabtisation dans les campagnes et qui donne de ce fait valeur documentaire  la fiction,13 tandis qu’elle a soin d’tablir un rapport d’antithse entre les portraits de Grand-Louis et du pre Bricolin, qui incarnent deux visages diff-rents de la population rurale.

Tributaires de la potique romanesque de Sand, tous ces portraits assums par un narrateur omniscient ont pour mission d’informer clairement le lecteur sur la situation et sur la personnalit des diffrents personnages. On sait combien Sand, plus tard, reprochera  Flaubert d’avoir eu l’imprudence de »cacher sa propre opinion sur les personnages« qu’il met en scne et d’avoir pris ainsi le risque de rester incompris.14Dsireuse au contraire de dvoiler pleinement le caractre de ses hros et de les juger, elle opte pour des portraits qui parient sur la lisibilit des corps, fonde sur la dpendance du physique et du moral. l’exception de Lapierre, le domestique de Marcelle qui,  l’en croire, est »bon« sans Þtre »beau«,15tous les personnages du roman sont gratifis d’une apparence qui ne ment pas et qui peut donc se prÞter  un dchiffrement fiable: c’est ce que prouvent le recours incessant  des verbes tels que »annoncer«, »rvler«, »prouver«, ainsi que la prsentation rcurrente des dtails du visage comme autant d’»indices« trahissant l’intriorit. Du reste, la plupart des portraits sont suivis d’un rcit biographique qui vient valider aprs coup ce qu’avait laiss deviner la description sur la vie et sur le temprament du personnage. George Sand n’exploite donc pas la msalliance du physique et du moral, parce que cela lui permet de mettre en scne des personnages transparents que ses lecteurs pourront aisment cerner. Mais ce choix ne s’explique pas seulement par un souci d’efficacit didactique. S’il est incontestablement la consquence de sa volont imprieuse d’Þtre facilement comprise de tous et de dlivrer un rcit exemplaire, sans ambigut, il renvoie aussi  une conception confiante de la nature humaine qui, dans le sillage du platonisme et du christianisme, parie sur l’unit du bien, du beau et du vrai.

La description physique doit son importance dans ce roman  cette

com-12 MA, 32 – 33, 243 – 247. 13 MA, 105 – 106.

14 Voir sa lettre  Flaubert du 12 janvier 1876. 15 MA, 155.

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prhension unifie de la nature humaine qui voit le corps, et surtout le visage, comme le miroir de l’me. Jamais omise, elle continue de s’inscrire dans la tradition rhtorique de l’pidictique, dans la mesure o le contexte sentimental conduit  faire l’loge de beauts dont il s’agit d’exprimer l’attrait. Certes, George Sand ne nglige pas de donner des dtails sur le physique agrable de ses h-rones: elle le fait par exemple pour Marcelle, dont elle tche de rendre avec le plus de prcision possible la nuance de blond.16Mais elle n’vite pas les clichs que la critique a tant reprochs aux romancires sentimentales, lorsqu’elle loue »la dlicatesse de ses mains d’albtre et de son pied chauss de satin«.17Il est clair qu’elle se heurte alors  la difficult de mettre en mots la beaut qui a conduit depuis l’Antiquit les rhtoriciens  conseiller de s’occuper plutt d’exprimer l’effet qu’elle produit.18 Se rangeant  cet avis, Sand choisit de dire celle de Marcelle par le type d’admiration qu’elle produit. Au portrait en pied qui aurait pass en revue les parties de son corps, elle substitue une description suggestive qui fait l’historique, depuis son enfance, de la sduction qu’elle a exerce sur tous ceux qui l’ont approche et qui se sont souvent pris d’elle. Ce faisant, elle utilise galement avec adresse les attentes du roman sentimental, centr sur la gense de l’amour, donc sur les conditions de la sduction, pour sortir de l’impasse de-scriptive en dtaillant, pour le coup  la nuance prs, le charme irrsistible de Marcelle qui la fait aimer, sans mÞme qu’elle le veuille:

Elle plaisait au premier coup d’œil sans blouir, elle blouissait ensuite de plus en plus sans cesser de plaire, et tel qui ne l’avait pas crue jolie au premier abord, n’en pouvait bientt dtacher ses yeux ni sa pense.

L’analyse minutieuse sert dans ce cas  singulariser moins un physique que son attrait, d en grande partie  l’expressivit du visage. Car le portrait de Marcelle confirme que l’essentiel est dans la beaut intrieure dont ce dernier se fait le miroir. De fait, Sand se soucie surtout de reprer dans les traits du visage les traces de l’»me ardente« qui vit »par le cœur plus que par l’esprit, et par l’esprit plus que par le sens«: les qualits morales l’emportent dans le travail de d-cryptage qui s’intresse aux particularits physiques, comme le teint ou le regard, pour autant qu’elles se laissent apprhender comme »les indices certains d’une volont nergique, d’un caractre dvou, dsintress, courageux«. Pour rendre compte de la suprmatie de l’intriorit dans le charme fminin, George Sand se sert du point de vue inexpriment de Rose sur Marcelle. De fait, Rose s’tonne du succs dont jouit Marcelle en dpit de la sobrit de sa toilette, et mÞme des 16 MA, 244.

17 MA, 33.

18 Homre est souvent lou pour ne pas avoir cherch  dcrire la beaut d’Hlne, mais pour avoir prfr la suggrer en mentionnant l’admiration qu’elle suscite chez ceux qui la con-templent.

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imperfections de son physique de femme d’ge mr : elle »ne comprenait pas bien comment, avec une mise si simple et des manires si naturelles, cette blonde fatigue pouvait s’Þtre fait une telle rputation«. Et la narratrice d’expliquer :

Rose ne savait pas que, dans les socits trs civilises, et par consquent trs blases, l’animation intrieure rpand un prestige sur l’extrieur de la femme, qui efface tou-jours la majest classique de la froide beaut.19

L’ignorance de Rose permet  Sand d’enrichir le portrait d’une rflexion es-thtique qui reprend l’opposition topique de la beaut gracieuse, qui sduit malgr ses dfauts par la puissance mystrieuse de son attrait, et de la beaut rgulire, que sa perfection mÞme fait admirer sans pouvoir la faire aimer. Elle lui sert enfin  illustrer le pouvoir de l’amour, car le portrait de Marcelle retrouve galement le topos de la jeune fille mtamorphose, au physique comme au moral, par l’veil en elle du sentiment amoureux. Non sans adresse, Sand passe par le portrait pour raconter l’histoire du cœur de Marcelle, inscrite dans son apparence et dans son maintien. Elle rejoint ainsi pleinement les conventions du roman sentimental, qui construit le personnage fminin en vue de la destine amoureuse qu’il doit accomplir et qui lui assure pour cela le don de la sduction. Cette prfrence accorde  un physique charmant, mais imparfait, jointe au souci de distinguer la beaut fminine selon l’ge et selon l’origine sociale, attestent les efforts consentis par George Sand pour diversifier les types de beauts dans son roman. Sand sait qu’il lui faut rompre avec la logique unifor-misante  laquelle conduit la tradition rhtorique de l’loge fminin: les quelques dfauts prÞts  Marcelle sont un moyen de singulariser sa figure en introduisant de la varit, de la surprise, dans un physique dont le charme devient ainsi unique. Reprenant  son compte une stratgie descriptive bien tablie, elle re-connat au dtail, surtout lorsqu’il signale une irrgularit, le pouvoir d’indi-vidualiser un visage et de le rendre plus vraisemblable. Les portraits des per-sonnages masculins contribuent  leur tour  cette diversification de la beaut, en jouant sur les diffrences physiques produites par le milieu social et gogra-phique. C’est le cas des portraits de Lmor et de Grand-Louis qui ractualisent la bipartition habituelle de l’espace idyllique, en opposant  l’influence dbilitante de la grande ville, qui produit des corps affaiblis, l’effet revigorant de la cam-pagne qui assure sant et vigueur physique. Ainsi Lmor doit  l’antithse entre la force de sa volont et la dlicatesse de son organisation d’Þtre prsent comme »un enfant de Paris«,20tandis que Grand-Louis, qui joint »une structure athl-tique«  une »figure dcide«, est perÅu comme l’incarnation de la jeunesse rurale, saine d’esprit et de corps: il est du reste introduit par la priphrase 19 MA, 245 – 246.

20 MA, 33.

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»l’chantillon du terroir«, qui donne valeur typique  son physique imposant, tout comme ensuite aux vÞtements qu’il porte et au »lourd bton de cormier« qu’il manie. Cette note de couleur locale illustre le projet de George Sand de marier fiction et document ethnographique, en insrant dans le roman rustique des descriptions fidles du physique et des mœurs du peuple paysan. Elle vaut aussi comme une profession de foi esthtique, en affirmant la pluralit de la beaut, selon ses dclinaisons locales, sociales et temporelles, si l’on n’oublie pas le facteur de l’ge. On remarque que bien des portraits sont construits sur le principe de la convenance de la partie et du tout, qui permet d’illustrer le rela-tivisme du beau et de briser l’uniformit de l’loge. La description physique de Grand-Louis joue de cette cohrence interne qui trouve la beaut plus dans l’harmonie de l’ensemble que dans la perfection des dtails:

Ses traits taient rguliers, largement taills comme ses membres, ses yeux noirs et bien fendus, ses dents blouissantes, et ses longs cheveux chtains onduls et crpus comme ceux d’un homme trs fort, encadraient carrment un front large et bien rempli, qui annonÅait plus de finesse et de bon sens que d’idal potique.21

Tout ce qui pourrait paratre ailleurs trop appuy est ici rachet par l’unit d’un corps bien bti, dont la beaut est fonction de la puissance. Comme Baudelaire au mÞme moment dans ses Salons, Sand dcouvre que »telle main veut tel pied«22et que la beaut est d’abord affaire de concordance interne. Son observation de la spcificit du physique paysan la conduit par ce biais  l’affirmation toute mo-derne de la relativit du beau, comme le prouve encore sa remarque sur leur »teint basan«, qui »a sa beaut«.23

S’ils font une large place  la peinture de la beaut, les portraits du Meunier d’Angibault montrent aussi que George Sand n’est pas reste insensible  la revalorisation du bizarre et du laid initie par les romantiques, tout particu-lirement par Victor Hugo. Les deux portraits de Cadoche24tmoignent de la curiosit suscite par l’»original«25 qui intrigue par la disparate de sa mise. Certes, le caractre malicieux de son accoutrement insolite est tout de suite rvl, mais le mystre demeure sur l’identit vritable de cet homme et sur les causes de sa misre. Sans aller jusqu’ enfreindre la rgle de la lisibilit des corps et jusqu’ risquer de drouter son lecteur, George Sand mnage du suspense autour de ce mendiant dont les traits se distinguent mal et qui peut encore paratre menaÅant. Dans ce cas, le portrait, qui garde ses lacunes et son ambi-valence, a moins pour fonction d’informer que de faire comprendre que l’homme 21 MA, 54 – 55.

22 Ch. Baudelaire, Salon de 1846, Curiosits esthtiques, Paris, Garnier, 1962, 148. 23 MA, 115.

24 MA, 65, 292 – 293.

25 C’est ainsi que le prsente Grand-Louis. Voir : MA, 74.

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a un secret, dont la divulgation importera dans le dnouement de l’intrigue. Les portraits rpts de Cadoche n’ont toutefois pas la force vocatrice des portraits de la folle, dont la cration est incontestablement l’une des grandes russites de ce roman. Dans la »notice« qui prcde le rcit, George Sand elle-mÞme attire l’attention sur l’importance de ce personnage dans la gense de son roman, puisqu’elle rappelle sa rencontre avec »une folle par amour« et souligne la »pnible impression« que cette malheureuse fit sur elle et sur ses compagnons de promenade.26Les portraits de la Bricoline restituent cet effroi ressenti face au spectacle de la dmence et introduisent dans le roman rustique une nouvelle esthtique du choc et de la violence, emprunte pour l’essentiel au mlodrame et au roman noir,27qui associe au sublime lumineux des scnes idylliques le sublime tnbreux des mises en scne de la folie. Ils trahissent la fascination de George Sand et de ses contemporains pour de tels tats de dlire qui rendent le corps spectaculaire par ses dviances et par ce qu’elles expriment des forces obscures qui le travaillent. De fait, c’est un corps libr de la tutelle de la raison et de toutes les rgles de la biensance, livr  l’instinct, aux pulsions animales, que dessinent ces portraits o se lisent la stupeur et l’effroi de l’observateur face  un tel retour  la nature sauvage. Sand y exploite les motifs du meurtre et de la dvoration, par lesquels les romantiques ont l’habitude d’illustrer les dsordres d’une nature humaine rendue  sa violence primitive:28ainsi prcise-t-elle que la Bricoline a pour habitude de tuer, de »dchire[r] avec ses doigts« une volaille et de »la dvore[r] toute sanglante«,29et, quoique juge longtemps inoffensive, on la voit finalement agresser sa mre et retourner contre elle cette violence larve. Lon-guement dcrite, son apparence pitoyable  la fois par son dsordre, par sa salet et par les dformations de sa silhouette est charge d’inscrire dans son corps les ravages d’une folie qui la marginalise en lui tant toute trace d’humanit et qui la dtruit implacablement. George Sand mobilise les ressources esthtiques du grotesque de l’informe pour voquer cette »femme«, ou plutt cet »Þtre sans nom«  qui la maladie mentale a retir son identit en la privant de la raison, et elle emprunte largement au registre du fantastique macabre pour peindre un corps spectral, dont tous les traits, la maigreur excessive, la »bouche livide  demi entrouverte« ou la fixit du regard, annoncent la mort prochaine.30

26 MA, 26 – 27.

27 Deux genres dans lesquels le personnage de la folle par amour est trs prsent. Voir : S. Bernard-Griffiths – J. Sgard(d.), Mlodrames et romans noirs 1750 – 1890, Toulouse, PUM, 2000.

28 Sur la fascination romantique pour le corps sauvage et pour le corps en dlire, voir: F. Kerlouegan, Ce fatal excs du dsir. Potique du corps romantique, Paris, Champion, 2006, 183 – 221.

29 MA, 160. 30 MA, 156 – 157.

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Tributaire du savoir mdical de son poque, c’est sous la forme d’un trouble nerveux conduisant tantt  la prostration, au silence, tantt  l’excitation, voire  la convulsion qu’elle rend l’volution de la folie. Mais loin d’en rester  la di-mension sensationnelle de la crise, Sand l’utilise pour faire affleurer la vrit du personnage. Elle a trs bien compris que le corps en dlire interpelle parce que, dlivr de tout impratif de dcence, il met au jour les pulsions, les frustrations, les fantasmes qu’ont produits les souffrances qu’il a subies et que la socit bien-pensante prfrerait ne pas voir. Avec le personnage de la Bricoline apparat dans le roman une illustration tragique de l’unit de la personne humaine base sur l’interaction du physique et de l’intriorit, puisque le portrait a pour mission de mettre en corps la folie, d’en dcrire les signes cliniques, tandis que la biographie donne de la folle nous renseigne sur le traumatisme affectif qui est  l’origine de cet tat de dmence. L’intrÞt de ce portrait est donc d’inscrire dans le corps l’histoire du cœur et d’utiliser la description pour rpercuter les violences fa-miliales qui ont ravag la sant mentale de la Bricoline. Revenant  son combat contre la pratique des mariages arrangs ou refuss pour des questions d’argent, Sand utilise ce portrait fortement dramatis  des fins polmiques. travers le spectacle choquant de ce corps alin, rendu  sa fureur primitive,  ses dsirs non assouvis, elle oblige son lecteur  contempler la brutalit d’un ordre social qui fait fi de la libert des femmes, de leur droit au bonheur, et elle ne manque pas de poser la question du sort rserv aux fous, notamment celle de la pertinence de leur internement.

Quoique moins dvelopp, le portrait du grand-pre Bricolin,31rendu idiot par l’agression dont il a t victime lors de l’pisode des »chauffeurs«, reprend le procd de la transcription dans le corps des violences subies, en accentuant la porte historique, et donc politique, du drame familial, qui ractive en l’oc-currence la mmoire des horreurs de la Rvolution. Variant ses effets, George Sand continue, dans le cas du pre Bricolin, de dcrire un corps qui raconte une histoire, non plus passe, mais en devenir, puisqu’il s’agit de rendre par l’vo-lution de son physique le processus de dcomposition morale et sociale auquel conduit le triomphe de l’argent. Particulirement fouill, ce portrait en pied emprunte  la tradition de reprsentation satirique du paysan pour peindre un homme laid, rude, cupide, sans scrupules et sans culture.32Recourant cette fois-ci au grotesque du difforme, George Sand livre une caricature qui suscite le rire, notamment par le biais de comparaisons dgradantes, comme celle qui assimile M. Bricolin  »une barrique cercle«,33mais le ridicule se rvle vite plus

in-31 MA, 150. 32 MA, 114 – 117.

33 MA, 117. Sa femme n’est pas mieux traite, puisqu’une comparaison zoologique la prsente »comme une chvre qui se met sur la dfensive  la vue d’un chien tranger au troupeau« (MA, 107).

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quitant que comique, car il est le produit d’une dchance prsente comme fatale, qui s’tend  toute une catgorie d’hommes menacs par le mal de l’en-richissement. De fait, comme l’indiquent d’emble le titre, »le paysan parvenu«, puis le recours  des sujets collectifs et au prsent  valeur gnrale, George Sand donne  travers l’exemple de M. Bricolin le portrait d’un type, dont la littrature, en l’occurrence le roman de Marivaux, lui fournit le modle et qu’elle retrouve dans les mutations de la socit paysanne. Car ce qu’elle dcrit est moins une essence intemporelle qu’une mtamorphose fatale du physique sous l’effet du changement de condition sociale, et donc de mode de vie. La russite de ce long portrait tient en effet au dynamisme temporel que George Sand donne  la description en montrant le passage du corps sain du paysan au corps dfait par l’excs de bonne chre et par l’alcool du »bourgeois de campagne«. Or, si l’effroi finit par l’emporter sur l’amusement suscit par la vision de ces corps en ex-pansion au fur et  mesure que croissent les richesses, c’est que ce portrait en devenir relve d’un impitoyable dterminisme social qui ne laisse  ceux qui sont engags dans ce processus aucune chance d’chapper  leur perte. George Sand dcrit une altration physique et mentale qui s’apparente  la folie, dans la mesure o elle nous montre des hommes devenus monomaniaques, victimes d’une ide fixe, la passion de l’argent, qui finit par les dtruire: un trait d’une ironie froce les montre contraints de »s’engraiss[er] pour arriver  l’apoplexie ou  l’imbcillit«. Le portrait du pre Bricolin a pour fonction de valider la dmonstration, puisque George Sand s’y emploie  faire apparatre sur son visage et sur sa silhouette les indices de sa prochaine dchance. L’exercice de dchiffrement du corps aboutit  la programmation d’un destin pitoyable, qui met  nu les petitesses de la nature humaine et le pouvoir corrupteur de l’argent. Un tel portrait a valeur d’aver-tissement: il sert le projet autant thique que politique de dnonciation de l’volution du monde paysan, de sa rapacit, de son ingalit, et donc de sa misre renforce par l’accaparement des biens par un petit nombre. Sa force tient dans l’illustration clinique qu’il propose de ce mal social: George Sand y russit fort bien  frapper l’imagination, en reprsentant un corps malade, dans lequel l’argent, qui »passe dans le sang«, agit comme un poison. Saisissant, ce portrait charge fournit un bel exemple de traitement politique d’un corps devenu figure des drglements qui minent la socit.

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utopique les moyens de prparer l’avnement d’une nouvelle socit.34 Le Meunier d’Angibault illustre cette volution, dans la mesure o il montre comment George Sand roriente l’hritage idyllique en faisant en sorte qu’il ne s’apparente plus  la rÞverie nostalgique sur un bonheur donn comme rvolu, mais qu’il fournisse les structures narratives et conceptuelles pour laborer un modle idal de socit, que l’on puisse transposer dans le prsent. Les portraits montrent cette inflexion utopique de l’idylle, que George Sand n’invente pas, mais qu’elle accentue,35 en plaidant la cause de l’amour et de sa capacit  rsoudre la question sociale. Ils tmoignent en cela de son projet d’insrer »le roman social dans le roman d’amour«,36puisque c’est en pariant sur le pouvoir qu’a ce sentiment de lever toutes les barrires sociales et de rapprocher les classes que George Sand, dont les ides sont relayes par Marcelle, entend instaurer un monde meilleur. C’est pourquoi, ds l’incipit du roman, elle joue du pouvoir cataphorique du double portrait de Marcelle et de Lmor pour tablir le couple, prouver qu’ils sont faits l’un pour l’autre, en dpit de leur diffrence de fortune et des prjugs qu’elle alimente. En effet, ces deux portraits ont pour fonction de rvler leur rang  partir de leur physique et de leur toilette, donc de faire surgir tout de suite l’obstacle qui peut les sparer, mais en fait pour mieux le prvenir et pour inscrire dans le prsent l’avenir souhait de leur relation. Le portrait de Marcelle se construit immdiatement en antithse avec ses ancÞtres, les »mar-quise[s] du temps pass«, dont elle rejette les mœurs voluptueuses: l’accent est mis sur ce qui diffrencie cette »veuve pudique« d’une classe avec laquelle elle veut rompre.37Le portrait, ainsi historicis, suggre les mutations sociales en cours et ouvre de possibles narratifs que le roman ralise par l’exil de Marcelle loin des siens et par son union avec Lmor.

George Sand cherche surtout  dnoncer les ides reÅues qui pourraient conduire  l’chec de leur histoire d’amour : elle le fait trs habilement en faisant intervenir,  la fin de ces deux portraits, un observateur, anonyme ou identifi, qui se fait le porte-parole de l’opinion qui pourrait mal juger les amants ou conclure  leur invitable sparation. Dans le premier cas, elle concde que l’»on et pu d’ailleurs la [Marcelle] prendre pour la compagne naturelle de l’homme qui tait  genoux auprs d’elle, pour une grisette de Paris«, mais c’est pour

34 Voir sur cette volution le chapitre VII du livre de I. Hoog Naginski, George Sand, l’criture ou la vie, Paris, Champion, 1999.

35 Voir sur ce point les analyses de J.-L. Haquette dans son livre: chos d’Arcadie. Les transformations de la tradition littraire pastorale des Lumires au romantisme, Paris, Classiques Garnier, 2009.

36 C. Mariette-Clot, »L’histoire du cœur« dans les romans des annes 1840: ralisme ou utopie?, in George Sand. Pratiques et imaginaires de l’criture, Caen, Presses Universitaires de Caen, 2006, 282.

37 MA, 33.

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ajouter aussitt ce commentaire: »car il est des grisettes qui ont au front une dignit de reine et une candeur de sainte«.38L’observateur anonyme lui sert  proposer un jugement erron, puisque Marcelle n’est pas une grisette, mais la vraisemblance de l’hypothse lui permet de dnoncer un prjug en affirmant la dignit de ce type de femmes. Comme le fera ensuite Marcelle en rhabilitant le personnage de la prostitue et en attaquant l’institution du mariage,39la nar-ratrice s’en prend aux faux-semblants d’une socit dont les personnages ver-tueux ne sont pas toujours ceux que l’on croit. Reprenant le thme romantique de la valorisation morale du peuple, elle profite du portrait pour raliser par le style, en l’occurrence par l’alliance des figures de la grisette, de la reine et de la sainte, le brassage des conditions par l’amour dont elle rÞve. elle seule, cette remarque finale qui vaut comme une digression idologique affiche l’humanitarisme de George Sand, bien dcide  illustrer l’gale dignit des personnes et des classes. Le mÞme procd revient  la fin du portrait de Lmor. Cette fois-ci, George Sand imagine le jugement que porteraient les domestiques de Marcelle, s’ils avaient  commenter la mise de Lmor :

Ses gants bruns suffisaient  prouver que ce n’tait pas l, comme se seraient exprims les laquais de l’htel de Blanchemont, un homme fait pour Þtre le mari ou l’amant de madame.40

Le dtour par ces observateurs hypothtiques lui permet d’noncer le prjug de la fatalit de la msalliance et de le combattre immdiatement, en suggrant par les deux portraits combien ces deux-l se ressemblent et partagent les mÞmes valeurs, en dpit de leur diffrence de statut social. Par ce biais, le portrait devient un moyen de cibler les strotypes qui bloquent l’volution de la socit et de leur opposer un autre ordre social, que l’intrigue va dvelopper. Ancrs dans la ralit de l’antagonisme des classes, ils font advenir une autre ralit dans laquelle les msalliances n’ont plus cours et traduisent ainsi le vœu de George Sand de »mÞler le rel et le potique« dans sa fiction, d’y peindre galement l’homme »tel [qu’elle] souhaite qu’il soit, tel qu’[elle] croit qu’il doit Þtre«.41

Le portrait du meunier rpond encore  ce projet en brossant le type idal de l’homme du peuple grandi par l’ducation qu’il a reÅue. Alliant la bont native de sa condition aux mrites d’un savoir assimil sans prtention, Grand-Louis permet  George Sand de militer en faveur de la diffusion de l’instruction et de concilier dans son roman la peinture fidle de la ralit paysanne et la projection d’une humanit nouvelle, reflet de ses plus chres esprances. Certes, l’idal ainsi 38 Ibidem.

39 MA, 48 – 49. 40 MA, 33.

41 Cit par C. Mariette-Clot, »L’histoire du cœur« dans les romans des annes 1840 (note 35), 282, 283.

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formul a pu paratre chimrique aux critiques de George Sand toujours prompts  l’accuser de navet et de lgret, d’autant que le roman se clt avec l’entre en utopie et se contente donc de jeter les fondements d’une communaut idyllique que l’on ne verra jamais  l’œuvre. Mais l’intrÞt du Meunier d’Angibault est aussi de faire place  une pense critique de l’utopie que la narration, loin de toute adhsion crdule, questionne au moins autant qu’elle l’expose. Il revient au portrait de la folle, dont on mesure de nouveau l’importance, d’instruire ce procs en jetant le soupÅon sur la fiabilit des propos tenus par ceux qui se font les porte-parole du rÞve. Ainsi Rose se demande-t-elle si Marcelle n’a pas la tÞte aussi »drange« que sa sœur,42lorsqu’elle lui expose les ides gnreuses d’galit et de justice qu’elle voudrait voir triompher dans la socit. Quant  la Bricoline, elle finit par Þtre compare  »un vieux alchimiste perdu dans la recherche de l’absolu«,43ce qui l’rige en symbole de tous ceux qui partent en quÞte d’un idal et qui sont donc menacs de perdre comme elle la raison, s’ils s’abreuvent d’illusions. Utilis pour rpercuter dans le roman d’amour les drames familiaux, son portrait sert  George Sand  interroger les ides utopiques dont se nourrit le roman,  mi-chemin entre la folie dont elles restent proches pour beaucoup, et l’esprance dont elle s’efforce cote que cote de les investir.

42 MA, 167. 43 MA, 196.

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