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REVUE LITTÉRAIRE ROMANS ET CRITIQUE (1)

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Academic year: 2022

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REVUE LITTÉRAIRE

ROMANS ET CRITIQUE (1)

On connaît le inonde romanesque de Mm e Irène Nêmirovsky : ces personnages en incessant conflit, ces enfants dressés contre leurs parents, ces époux qui pleurent leur liberté perdue ou leur jeunesse morte sont familiers aux lecteurs du Vin de solitude, de Jézabel et, tout d'abord, de David Golder, qui semble en commander la lignée.

Les questions d'argent, mêlées sans cesse à des intrigues où le cœur n'obtient jamais la première place, font que chez de tels héros la vio- lence retenue au bord des lèvres n'éclate que rarement et fait place, le plus souvent, à une rage froide, plus meurtrière encore. Bien que les sentiments excessifs y soient courants, la vraisemblance générale en souffre à peine. Car l'auteur a ce don de l'action constante qui sauve les tentatives les plus hasardeuses. Et, à force de nous montrer comment se fait le mal, elle réussit à en définir certain principe établi dans les âmes. Pour qu'on puisse croire à t a n t de méfaits, il nous faut un malfaiteur qui ne réfléchisse pas trop. Ceux de Mm e Nêmirovsky satisfont à cette définition. L'instinct les emporte.

Il finit même par les dévorer sans qu'ils en aient conscience.

Ainsi apparaît ce Jean-Luc Daguerne, héros de la Proie. Il a vingt- trois ans et veut vivre. Entendez par là qu'il prétend obtenir toutes les satisfactions de l'existence et le plus vite possible. Or, aucune d'entre elles ne semble à sa portée. Son père, atteint d'une maladie incurable, traîne ses derniers jours dans une morne maison de ban- lieue. Après la mort de Laurent Daguerne, la famille, composée de

(1) Irène Nêmirovsky, la Proie, roman, un vol. in.-16; Yves Gandon, le Démon du style, un vol. in-16 ; Arnold Zweig, l'Éducation héroïque devant Verdun, traduit de' l'allemand par Biaise Briod, deux vol. in-16; Pion; Jacques Chenevière, Valet, Dames, Roi, un vol. in-16 ; Catoann-Lévy.

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REVUE LITTÉRAIRE. 221 Mathilde, sa seconde femme, de Jean-Luc et de José, beaux-fils de celle-ci, et de Claudine, fille que Mathilde a eue d'un premier lit, vivra péniblement du produit d'une assurance sur la vie contractée à temps par le moribond. Jean-Luc travaille sans doute, mais les faibles ressources qu'il tire de son emploi ne sauraient lui suffire. Son des- sein, pour s'assurer des chances au départ, est de faire un mariage riche. Il courtise secrètement, à cet effet, une jeune fille, Edith, fille du banquier Sarlat.

Est-il un véritable ambitieux ? Oui, sans doute, mais d'abord par ) nécessité. Un impatient pressé, surtout, de quitter au plus tét cette maison, cette belle-mère ennuyeuse et incapable de faire sa part à la fièvre qui l'anime. Laurent Daguerne est mort après avoir émis quelques prévisions pleines d'effroi sur l'avenir de son fils. Cet éternel malentendu entre les générations successives n'affecte que peu l'intéressé. Son avenir, il le tient déjà dans sa main. Edith est fiancée à un autre : il la lui dérobera, compromettra gravement la jeune fille, l'obtiendra de son père après la scène pénible qu'on imagine. Edith lui appartient déjà quand il l'épouse. Il ne l'aime pas, d'ailleurs, et là naissance prévue d'un enfant ne rapprochera en rien ce couple de rencontre.

On jugera le personnage odieux. Il l'est, sans doute, mais le serait bien plus encore si Edith faisait figure d'héroïne sympathique. Or, elle n'a aucun des traits qui la rendraient telle. Les liens qui l'unissent à Jean-Luc sont purement physiques et prêts à céder aux hasards de la vie. Quant à Sarlat, le beau-père, il apparaît comme le trafiquant heureux dont on a vu tant d'exemplaires au cours de ces quinze dernières années. Son gendre forcé est traité par lui avec le mépris que les hommes d'argent ont pour ceux qui en cherchent. Dans la maison Sarlat, on affecte d'ignorer Jean-Luc. Il est à l'écart des conversations, surtout de celles dont il pourrait tirer profit et qui réunissent des gens d'affaires, des hommes politiques comme ce Galixtë Langon dont la fortune ministérielle est assurée et auprès de qui tout jeune débutant brûle de s'attacher. Mm e Sarlat, elle, apparaît comme une femme indolente, pétrie de lectures à moitié faites, et qui traîne partout un Shakespeare précieusement relié qu'elle n'a jamais ouvert.

Comment nous intéresser à des personnages aussi rebutants ? Ne cherchez pas, c'est là le secret de l'auteur. Le mouvement du récit y entre pour une bonne part, nous l'avons dit. L'effet d'une fatalité exigeante s'y ajoute, qui opprime les êtres sous sa loi. Ce

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déterminisme étroit n'a rien d'artificiel. La passion est seule à le commander. Ceux qui le subissent sont humains, dans le sens le moins noble du mot, réels aussi dans chacun de leurs actes. Ils vivent et peinent comme des forçats, marqués d'un fer dont la plaie n'est pas mortelle.

Au moment où Jean-Luc se demande quel parti exact il va tirer de son beau-père, le destin change brutalement les conditions du problème. Sarlat, engagé sur des positions financières qu'il ne peut tenir, est ruiné et se tue. Ce malheur va faire indirectement la for- tune du jeune ménage. En effet, Jean-Luc et Edith possèdent un paquet d'actions de la banque Sarlat, seule dot accordée par le père.

Un intermédiaire, Cottu, vient offrir à Jean-Luc quarante mille francs en échange de ces titres qui ne valent plus rien. Le jeune homme flaire la manœuvre : un groupe a intérêt à mettre la main sur ces actions, car elles lui permettront de se porter plaignant dans la faillite Sarlat et d'inquiéter ainsi le député Calixte Langon qu'on soupçonne de complaisances anciennes envers le banquier. Entreprise politique que Jean-Luc déjoue en allant tout révéler à Langon. Il s'attirera ainsi la reconnaissance du personnage, deviendra son collaborateur, son ami, et atteindra en peu de temps à la situation que son mariage n'avait pu lui assurer.

On voit le développement du roman, l'installation de son intrigué sur le plan social. Il faut regretter que Langon, qui prend ici une importance nouvelle, ne soit pas mieux défini. Il demeure de ces personnages qu'on ne voit qu'en passant, dont on flaire les desseins à la faveur d'une conversation ou d'un fait épisodique. Un chapitre a trait à la séance de la Chambre au cours de laquelle il se justifie et l'emporte sur ses adversaires. Le morceau est de bonne qualité, mais purement visuel. Nous ne serons pas mieux informés sur l'action qu'il mène en commun avec Jean-Luc ni sur les conditions de leurs diverses réussites. On dirait que ces choses n'intéressent pas l'auteur.

Elle les traite par allusions, les marque comme autant de points de repère et parce qu'il faut bien, de temps en temps, situer son récit.

C'est dommage ! D'autant plus qu'il n'y a là, semble-t-il, aucune impuissance de sa part. Indifférence seulement.

C'est peut-être à la faveur d'un si curieux oubli que se définiront le mieux les caractéristiques romanesques de Mm e Némirovsky.

Le bonheur, la chance, le gain d'une partie n'ont rien qui sollicite sa plume. Un personnage ne la retient que dans le moment où il se défait. Ses meilleures pages sont des visions de déroute, des récits

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au bout desquels on n'attend plus que la chute. La véritable gran- deur d'une construction ne s'exprime apparemment pour elle que dans son écroulement.

C'est cette disposition d'âme qui assure le plus fort de son élo- quence à la fin de son roman. Jean-Luc est condamné, nous le pres- sentions dès le début. Mais pour que la sentence produise son plein effet, il faut qu'elle soit prononcée en dépit des apparences les plus favorables au succès. Ces apparences, Jean-Luc les réunit sur sa personne et dans sa vie. Il est intelligent, pourvu des plus sûrs appuis, . de toutes les facilités qu'un garçon de son âge peut trouver dans un tel, milieu. Autant d'atouts qu'il détruira lui-même. Il s'enlisera d'abord dans un amour absurde pour une femme banale, lui qui n'a jamais aimé. Sa propre compagne, Edith, trop longtemps délaissée, lui sera dérobée par Langon. Ainsi perdra-t-il du coup ses meilleures chances d'avenir. Mais cela ne serait rien s'il avait conservé cet appétit de la lutte qui l'animait tant, quelques années plus tôt. Or, pour être parti trop tôt, il s'est arrêté à trente ans, sur une expérience et un dégoût de la vie qu'un homme du double de cet âge n'eût peut-être pas connus tels. Ainsi son ardeur aura été trompée, son âpreté inutile. Au moment où t a n t d'autres commencent, il va finir.

Un coup de revolver, donné par un soir de trop grande lucidité, tran- chera le fil de cette vie sans jeunesse.

Le lecteur, arrivé au terme du récit, se reprendra et saisira sans doute une moralité que l'action lui dérobait. Cette moralité à laquelle les personnages semblaient porter un constant défi, elle est dans les faits et trop haut placée pour qu'ils l'aperçoivent. Sa revanche vient à son heure. Elle s'exprime, comme chez Jean-Luc, par un geste de désespoir contre un sort que l'homme a façonné sans le voir, de s«s propres mains. Jeu d'équilibre qui semble à la merci du hasard, mais dont l'auteur conserve insensiblement le contrôle. Une des clefs de son art est là,

* * *

M. Yves Gandon, qui vient d'obtenir le prix de la Critique pour son livre le Démon du style, se présente avec un bagage littéraire fort varié. Romancier, essayiste, annotateur de textes (on lui doit, entre autres, une excellente édition des Mémoires d'un touriste de*Stendhal), il est entré dans la critique par la voie du pastiche. Ses Mascarades littéraires, ses Imageries critiques, son Usage de faux ont montré ses dons pour un genre qui ne demande pas moins de sens créateur que

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de jugement. A force de se substituer aux auteurs, de démonter leur machinerie, d'emboucher leurs propres instruments, il s'est mis en bonne posture d'analyste de la production contemporaine. Les sen- tences qu'il rend sont d'un homme de métier, à l'aise sur un chantier où il a contracté préalablement une expérience comparable à celle de l'écrivain considéré. De solides lectures, des références étagées sur nombre d'années achèvent ses connaissances et la sûreté de son propos.

On conçoit donc qu'il se soit attaqué auprès de ses confrères à ce don du style, « démon » caché qui demeure chez eux la partie la plus malaisée à définir. Un tel canton de la critique, observe-t-il dans son préambule, connaît, de nos jours, une désaffection presque complète.

On juge les auteurs sur leurs intentions, leur tempérament, voire même leurs anomalies, mais point sur tout leur style. C'est-à-dire sur ce qui passe avec l'évolution des mœurs et non sur ce qui est seul à offrir quelque chance de rester. Cette erreur de base a conduit, comme on le sait, quelques égarés à prononcer qu'en matière de roman, la qualité du style ne peut que nuire au côté « vivant » de l'œuvre. M. Gandon fait justice de ces insanités. Il remet le style à sa vraie place. C'est-à-dire qu'il en restaure l'autel et y convie quelques grands prêtres ou, si l'on préfère, quelques bons auteurs, présentés par lui dans leur exercice d'officiants.

Ils sont seize devant qui s'ouvrent les portes du temple. La plu- part, bien choisis. Prenons au hasard : « Abel Hermant ou le style cruel », « Jules Romains ou le style unanime », « Georges Duhamel ou la matière du style », « Colette ou la sainteté du style », « Abel Bonnard ou le style en fleur »... et ne poursuivons pas, car il faudrait donner une liste amputée de quelques noms (j'en vois trois, pour ma part) dont l'appel ne s'imposait pas et qui ne semblent avoir été mis là que par gentillesse. D'autres, en revanche, font défaut.

On eût aimé voir, par exemple, un « Alexandre Arnoux ou le style en fruit », un « Pierre Mac Orlan ou le style en rêve », un « Henri Béraud ou la santé du style ». Souhaitons que l'auteur nous les donne un jour.

En attendant, certains de ses diagnostics nous enchantent.

« André Gide ou le style sans style » est d'une justesse accomplie et la formule méritait d'en être illustrée. On y voit dénoncée la gêne qu'éprouve l'auteur de Paludes à prendre, non seulement le ton du narrateur dans ses romans, mais parfois celui de l'écrivain, gêne que rendent encore plus saisissante une fausse familiarité, une appa-

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rente aisance jetée comme un voile sur un arrière-fond de tourments qui ne cessent pas. L'opposition entre certaines splendeurs verbales de Claudel et ce ton rocailleux où le poète prétend marquer une simpli- cité populaire qui çerd ici tout son naturel, inspire plus loin à M. Gan- don des pages dont le lecteur fera son profit. On entrevoit là une des missions les plus salutaires de la critique, celle qui consiste à précéder le public sur le terrain où il va s'aventurer, à le garer des pièges que le zèle d'une admiration trop aveugle lui déroberait, à débarrasser une matière, si précieuse soit-elle, des scories que l'auteur n'a pas eu le courage d'écarter.

Une autre tâche trouve plus loin sa raison d'être. Entreprise à la manière d'une prospection dans les premiers textes d'un écrivain, elle montre l'évolution de celui-ci et ménage sur le passé des points de vue propres à faire distinguer l'accessoire d'une pensée des élé- ments fondamentaux que l'âge ne modifie pas. Ainsi quand M. Gan- don évoque les débuts de M. François Mauriac et cite sur son recueil de vers, les Mains jointes, telle phrase d'un article où Barrés saluait

« la poésie de l'enfant des familles heureuses, le poème du petit garçon sage, délicat, bien élevé, dont rien n'a terni la lumière, mais trop sensible », on comprend qu'il est des orages intérieurs et des sursauts de révolte sur lesquels certain trésor de pureté native, demeuré au fond de l'âme, ne cesse de marquer son pouvoir. L'étude sur Jules Romains et l'unanimisme transféré de la poésie au roman n'est pas moins révélatrice des tendances qui se partagent le cœur d'un écrivain à l'heure de la création. Celle qui lui fait suite, consacrée à Georges Duhamel, arrive à propos pour établir un parallèle entre les deux hommes, de formation voisine, nourris à l'origine des mêmes enthousiasmes, des mêmes amitiés, l'un, Jules Romains, « plus impérieux, plus systématique », l'autre « plus enveloppant, plus souple » et dont les routes « devaient rapidement diverger ».

Il y a des passages de pur éloge, dans ce livre, des moments où le critique pose sa balance et laisse tomber sa loupe pour se mieux prosterner (voir notamment le chapitre consacré à Colette, l'un des meilleurs de l'ouvrage). Mais, d'une façon générale, le ton reste, comme il se doit, celui d'un juge qui ne se prononce que sur pièces.

C'est assez méritoire, car on sent à plusieurs reprises que les sympa- thies de l'auteur, demeurées présentes à l'arrière-plan, ne demande- raient qu'à se faire jour. Il les refoule, grammaire et textes classiques en main. Chacune de ses études, ou presque, s'achève sur un para- graphe de pure dissection. Les manies de l'écrivain considéré, ses

TOME XLVI. 1938. 15

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incorrection* dé langage, ses fautes de syntaxe, s'il y a îîêii, Sont mises en évidence et dûment répi'ôUvêèSi On dirait que le critiqué surpris, quelques lignés plus haut, éri flagrant délit dé louange excessive^

a Voulu s'administrer la discipliné èri même tenjps qu'à son êliènt.

NôUs l'en admirons sans tfôp l'ènvièr. Né Se contient-il pal trop ? N'estai pas devant ces textes. Comme l'habitué du théâtre, qui a entendu vingt répétitions dé la pieté avant le jour de la première, sait par cœur les variantes imposées à Chaque tôle; lè§ fautes des artistes, n'ignore rien des défaillances de l'éclairage ou dès économies réalisées par le directeur sur chaque décor ! A eô régime, il faut conserver Une belle puigs&neê d'illuëiôn pôUf recevoir encore le choc des répliques. Cette illusion, lé critique ne l'a peut-être plus, mais il garde en échangé le sentiment d'une Vertu Bàuvéi Ses expériences l'ont fortifié contré la facilité des tentations. Il à soufféft deux fois : pour ses péchés d'abord» et pour Ceux du lecteur à qui, désormais, il enseignera la loi, Le malheur est que celui'Ci né lui en sait aucun gré.

Mais si la leçon est bien faite, il la subit coirinie celle de ces prédica- teurs écoutés en rechignant et qu'on appelle léS premiers à l'aide

centre l'Enfer.

* * *

Les Allemands, Si douée poiif fâiPê la guerre, môntfêht moins d'ap- titudes à la raconter. Le contraire sémblër&it préférable, mais c'est ainsi : les bons récits sur la période 19l4'1918 dèirleuf est rares dans là littérature d'ôutrcRhin. Le succès débordant fait, il y a quelque dix ans chez nous, au livre d'Erich-Mâfiâ Remarqué né trouvait son explication que dans un mouvement de curiosité habilement exploité. La vérité est que l'ennui répandu sur ces pages èft surpasse de loin l'horreur. Les ouvrages Consciencieux de Ludwig Rèfitt, de Joseph Roth ne sont point pour modifier notre jugement. Mettons à part Orages d'acier d'Ernest Juugêf, où Se révèle une qualité d'émotion d'un meilleur aloi, la Marche ou Sdcrii/icè, de Fritï Vôh Unruh (Verdun, dans l'adaptation française), et aussi les Lettres d'étudiants allemands tués à la guerre^ recueillies pâf le professeur Witkop. Mais il s'agit, dans ce dernier cas, d'écrits que leur caractère ne saurait apparenter à la littérature proprement dite.

La pénurie de matière sur un si copieux sujet né peut donc que nous rendre attentifs à un roman quelque peu autobiographique de l'écrivain allemand Arnold Zweig, dont M. Biaise Briod à donné récemment une traduction française sous ce titre : l'Ëdueatiôn

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héroïque demht Verdun. Cette enseigne quelque peu flamboyante est fort heureusement trompeuse. Il n'y a nulle prétention à enseigner l'héroïsme chez l'auteur. Le pathétique se développe en ces pages ' par des moyens plus sûrs. Arnold Zweig, d'ailleurs, n'en est pas à son premier livre de guerre. La préface nous apprend qu'il publia en 1927 l'Affaire du sergent Grisha et développa ensuite son sujet dans une tétralogie dont l'Édutation héroïque forme la troi- sième partie,

Un des traits essentiels de oe récit est qu'il n'émane pas d'un combattant, à proprement parler. Le soldat Bertin, personnage principal (portrait de l'auteur et Israélite comme lui), appartient à ces corps d' « Ârmiêrer » de la Landsturm que le commandement allemand utilisait, sur le front) à des corvées de munitions ou des travaux divèrss Auxiliaires sans armes et en perpétuel déplacement, tantôt logés près des états-majors, tantôt appelés en ligné pour y aménager quelque secteur de défense» les « Armierër » étaient parfois mieux placés que leurs camarades de l'avant pour voir la guerre.

On y songe en suivant le sort de Bertin durant lés combats livrés en 1916 autour de Douaumonti II circule en profondeur sur le champ de bataille, participe au ravitaillement des batteries, remplace le télé- phoniste d'un observatoire, se glisse dans les boyaux à quelques dizaines de mètres de l'ennémii Grââë à lui, fiOUs Connaissons l'esprit dé l'armée. GénérauS:, officiers dé troupe, fantassins, tous sont passés

to revue par cet humble observateur.

On remarquera une fois de plus, à ce propos, combien lès espoirs, lés sujets dé récrimination, de lassitude sont lès mêmes parmi deuS troupes en présence, dé quelque côté que ce sdit. Il ne sera pas indif- férent à nos anciens combattants de savoir èïi quelle considération le fantassin d'en face tenait « l'organisation française ». Les batteries de te Franz » tiraient toujours juste, ses liaisons s'opéraient chaque fois à temps, nul convoi èïi rôùtë vers lès ligues n'êèhâppait à ses observateurs! Même lé fameufc « 130 autrichien », si redouté pouf la Vitesse de son projectile et lëà surprises qu'il causait, avait son équi- valent danâ nette camp t il est fait, à maintes reprisés, allusion, dans V ÉdUêdfciofl héroïque, à dért&inè pièce de mariné (le 100, probablement) dont lès & arrivées » déclenchaient régulièrement la panique. Que d'êlbgeB ! ïl faut dire qu'ils s'appliquent à la deuxième phase de là' bataillé dé Verdun, c ' e s t ^ d i r e à une épôqUè bû l'armement français, considérablement développé fen dix'huit mois de guerre, commençait à éiuSéï de Sérieuses inquiétude* à l'adversaire. « Eh bien ! Qxii,

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écrit l'auteur, à ce propos, en février (1916), les Allemands ont inventé la guerre du matériel, mais ils ont omis de la faire breveter, —- les Français l'ont depuis longtemps adoptée et maintenant ils y sont passés maîtres. »

Notons que ce livre a été interdit par le régime nazi, ses exem- plaires brûlés ainsi que ceux de tous les autres ouvrages d'Arnold Zweig. On n'en conçoit qu'à demi les raisons. Sans doute, l'auteur vitupère contre le grand massacre. Mais il ne diminue en rien les vertus guerrières. Les personnages, dans leur diversité, en font la preuve à l'occasion. Bertin, d'abord, pur intellectuel, le plus éloigné qui soit de l'esprit militaire, mais capable d'affronter le péril avec une sereine indifférence, le petit Sussmann, ensuite, sous-officier de dix- neuf ans, mûri au feu comme un fruit hâtif, révolté, hargneux et toujours prêt à courir de l'avant sous les barrages. Par malheur, Sussmann, lui aussi, est juif comme Bertin, et, dans leur voisinage, certains aryens comme le typographe socialiste Pahl, qui se fait enfoncer une aiguille rouillée dans le pied pour obtenir sa réforme", ou le paysan Lebehde, placide et niais, se montrent moins brillants.

Le capitaine Niggl, l'adjudant-chef Grassnick sont également de piètres guerriers. Mais un autre apparaît, dont le seul exemple suffit à effacer ceux-là. On le verra vivre et mourir au cours de l'affaire Kroysing, thème central du roman.

Christoph Kroysing, jeune sous-officier d'humeur généreuse, s'est indigné contre les escroqueries commises par quelques potentats du ravitaillement. Il les a dénoncées dans une lettre adressée à son oncle qui occupe, à Metz, une haute situation dans l'intendance. Le message ayant été intercepté, Kroysing, voué, dès lors, à la vindicte de ses chefs, a été expédié à l'un des points les plus dangereux du secteur. On espère qu'un éclat d'obus bien placé débarrassera l'armée de ce fâcheux et c'est ce qui arrive en effet, mais, quelques jours avant sa mort, Kroysing a fait la connaissance de Bertin à qui il a exposé son cas et remis pour sa mère une lettre où toute l'affaire est contée.

Or ce Kroysing a un frère, lieutenant de pionniers, logé pour le moment, avec ses hommes, dans le fort de Douaumont. C'est à cet Eberhard Kroysing que Bertin se confiera. Du coup, la scène change d'aspect.

Un vengeur y fait son entrée. Eberhard Kroysing est le type même de l'homme de guerre. Un personnage des Niebelungen dans l'orchestration de Verdun. Les comptes que lui doivent les persécu- teurs de son frère ne feront que s'ajouter pour lui à ceux qu'il entre»

prend chaque jour de régler avec les Français. Il fait rapidement

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229 son enquête. Le principal responsable de la mort de Christoph est le capitaine Niggl. Qu'à cela ne tienne ! Eberhard, tout-puissant dans le secteur, fera donner à Niggl l'ordre d'accourir en renfort à Douaumont avec son unité.

Situation tragique et burlesque, à la fois. Niggl, placide terri- torial, commande une compagnie d' « Armierer ». Il s'indigne contre un tel caprice du commandement. La place d'un officier de son âge et de son emploi ne saurait être en ce trou vers lequel convergent les feux de toutes les batteries françaises. Mais, bientôt, il a compris.

Kroysing ne le laissera partir que le jour où il tiendra entre ses mains un aveu écrit de toutes les manœuvres entreprises contre son frère. E t pendant des jours, le duel muet se poursuit. En attendant l'attaque française, les rafales d'obus ébranlent les coupoles du fort. Kroysing se promène là, impassible, comme un fauve en son gîte. Niggl, blotti au plus profond des abris, sent une sueur d'angoisse le glacer sans trêve.

L'histoire serait trop belle, trop simple surtout, si le méchant s'y voyait puni. Niggl échappe à son sort. Kroysing, lui, est blessé le jour où les Français reprennent Douaumont. Il sera plus tard tué par une bombe d'avion dans une ambulance du front. Mais entre ces deux épisodes, que de vues en tous sens sur le paysage de guerre !

Du front, nous passons à l'arrière où, en l'absence du lieutenant Kroysing, porté disparu depuis la dernière offensive française, discutent les conseillers et les avocats militaires chargés d'examiner sa plainte contre Niggl. Dans la petite maison de Montmédy où se réunissent ces messieurs, c'est une vision de la vie de province à peine modifiée par l'occupation allemande, qui frappe nos yeux.

En un autre passage, le Kronprinz, dans sa voiture, poursuit un soliloque silencieux sur ses déceptions guerrières. Ailleurs, des offi- ciers bavardent ; une infirmière, quelque peu complaisante pour ses blessés, passe entre les lits d'un hôpital. Tout cela du ton le plus juste, de l'éloquence la plus brève.

Kroysing mort, Sùssman mort lui aussi, Bertin reste le seul debout parmi ceux qui n'ont rien fait pour échapper à leur sort. On le verra, aux dernières pages, rentrer, la paix conclue, dans une Allemagne déchirée par la révolution. Sa présence impassible au sein du désordre présent, comme elle le fut devant les carnages passés, marque une vivante protestation contre la folie de notre temps. Mais elle s'exprime sans verbiage et sans excès. L'ouvrage qui l'illustre accuse la bassesse des hommes. Il n'avance rien contre la sérénité des héros.

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* * *

M. Jacques Chenevière traite les thèmes sentimentaux en conteur, à la fois, ironique et sincère. Ses récits sont d'un observateur qui plaisante discrètement son sujet avant de l'aborder. La réserve apparente qu'on sent chez lui, la ferveur dont cet abord n'est que le' masque le destinaient à faire parler la jeunesse. Après l'Ile déserte, où son côté sarcastique prédominait, des romans comme Jouvenceou la Chimère, la Jeune Fille de neige, les Aveux complets montrent sa connaissance des premiers émois de la vie. Il y apparaît aussi jovial dans ses expansions, aussi retenu sur les chapitres du cœur que les débutants dont il chante les aventures. C'est de la littérature de confident. L'auteur, rejoignant ses héros par la fidélité du souvenir, compose une atmosphère où se mêlent les plus sûrs prestiges des temps évoqués.

Valet, Dames, Roi, sa dernière œuvre, est un assemblage de trois nouvelles qu'anime un même personnage saisi à trois moments différents de sa jeunesse. Quelques années à peine séparent ces épisodes. Le narrateur (le récit est fait à la première personne) y traverse successivement "ce que l'on peut appeler l'âge des jeunes filles, celui des petites femmes et ce stade, enfin, où se révèle le premier amour. En dépit de quelques longueurs de début, c'est la troisième nouvelle que nous préférons.

Henri Marlier, le héros, apparaît tout d'abord dans les Premières Armes, à la fin de ses années scolaires, instant délicat qui suit le bachot et. précède encore, de loin, l'expérience. Son plus cher ami de lycée, Philippe Desgenins, est victime d'une maladie osseuse qui le cloue sur une chaise-longue durant toutes les vacances. Henri va le rejoindre dans la propriété de Mm e Desgenins. Là une jeune fille de seize ans, Muriel, amie d'enfance de Philippe, circule entre les deux jeunes gens. On devine la rivalité qui s'ensuit. Rivalité que le sort rçnd inégale, car Philippe, pauvre malade, n'a que sa clairvoyance et son charme pour atouts, tandis qu'Henri, revenu depuis peu d'Angleterre où il a mené une vie dont la liberté l'a grisé, s'avance paré d'une autorité irrésistible. Muriel, attirée d'abord par Philippe, inclinera bientôt vers Henri. Aucune de ses attitudes successives ne tire, bien entendu, à conséquence, mais l'art de l'auteur excelle à nous montrer, en de tels jeux, la malice en germe, l'instinct qui tâtonne, la perfidie naissante sous de naïves coquetteries. Les avances mala- droites d'Henri, les élans contradictoires de Muriel, les reproches

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REVUE UTTÉÏIAHIB. 231 qu'ils s'adressent l'un à l'autre illustreraient, à peu de chose près,

des disputes d'enfants autour de leurs chevaux mécaniques ou de leurs pelles à sable. E t pourtant les sources des vrais tourments du cœur apparaissent sous ces poussées de dépit. Seul Philippe, la vic- time, lit, sans illusion, dans le jeu des autres. Mais il ne vivra pas.

Le mal l'emporteca sur cette vision trop précoce.

Voici, un peu plus tard, Henri en posture de viveur» Une jeune femme, Huguette, fait, tour à tour, son bonheur et son inquiétude. "

Les accessoires propres à restituer la vie de Paris vers les premières années du vingtième siècle, som. jetés à propos dans le récit. On pense bien que l'auteur ne néglige aucun effet rétrospectif et que des mots tels que cache-corset, taximètre» Palais de Glace trouvent leur emploi à l'occasion." Les sentiments, h> frénésie bon-enfant, les passions légères de l'époque s'y joignent avec beaucoup de bonheur. Cela fait penser, en même temps; aux Mémoires d'un jeune homme rangé, de M. Tristan Bernard, et à l'Éducation de Prince, de M. Maurice Donnay. Ajoutons, h ce propos, que chez M. Chenevière, un souverain étranger, en visite à Paris, joue un rôle invisible dans l'histoire. Ce puissant personnage, dont l'influence et la générosité se devinent grâce aux cadeaux qu'il fait en grand mystère à la jeune Huguette, finit par enlever sa conquête au malchanceux Henri. L'aventure, vue de l'extérieur et contée par allusions, achève de la façon la plus

•réjouissante ce tableau d'un passé bon enfant.

Une Peine perdue, qui lui succède, rend un autre son. Les approches d'Henri auprès d'une femme plus âgée que lui, mais fort jeune

» encore et délaissée par son mari, sont retracées là en des pages où l'émotion contenue ne se dévoile que d'un trait fort subtil. Le séduc- teur arrive à ses fins, mais c'est pour découvrir à son triomphe une couleur d'amertume que la vie lui dissimulait encore. Cette nouvelle Éducation sentimentale, plus modeste, en son dessein, que l'autre, moins éloquente, mais d'un retentissement intérieur que l'on n'oublie pas, recèle de vraie» beautés. Les émois, la tendresse indécise, la pitié d'une femme pour son jeune compagnon y apparaissent sous une lumière d'un instant. Le vainqueur, si faible et déjà honteux de sa victoire, ouvre là-dessus des yeux étonnés. Il s'aperçoit, alors seulement, qu'il est devenu un homme. Sa vraie carrière commence.

, Dans peu de temps, ce sera son tour de souffrir.

ROBERT BOURÇET-PAILLERON*

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