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Deux questions ponctuelles relatives au droit de l'occupation de guerre. KOLB, Robert

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Deux questions ponctuelles relatives au droit de l'occupation de guerre

KOLB, Robert

KOLB, Robert. Deux questions ponctuelles relatives au droit de l'occupation de guerre. Revue hellénique de droit international , 2008, vol. 61, p. 347-362

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:44903

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AU DROIT DE L'OCCUPATION DE GUERRE

ROBERT KOLB*

Cette contribution vise à jeter un coup de projecteur sur deux questions relatives au droit de l'occupation de guerre demeurées passablement dans l'ombre et néanmoins importantes du point de vue pratique. Il s'agit d'un côté du jus tractatus de la puissance occupante ; et de l'autre du statut actuel de l'article 6 § 3, de la Convention de Genève IV de 1949, qui pré- voit la fin d'application de toute une série de normes du droit de l'occupa- tion une année après la cessation définitive des hostilités, et ce malgré que le territoire en question demeure occupé.

I. LA CAPACITÉ DE LA PUISSANCE OCCUPANTE DE CONCLURE DES TRAITÉS

La Puissance occupante peut-elle conclure des traités relatifs au terri- toire occupé ? Peut-elle en conclure én son propre nom ou aussi au nom de 1 'État occupé ? Une réponse de principe est donnée- mais sans motivation juridique satisfaisante - dans une note de la Direction du droit internatio-

nal public helvétique en date du 15 décembre 20031. Il s'agissait de savoir si l'Autorité provisoire de la coalition en Irak était habilitée à conclure des accords intemationaux au nom de l'Irak Selon la Direction, tel est le cas : « En droit intemational, le principe est qu'un État occupant dispose du pouvoir légal dans le pays qu'il occupe (article 43 de la Convention de La Haye de 1907). Cela signifie en particulier que la puissance occu-

*Professeur de droit international public, Faculté de droit de l'Université de Genève.

1 Voir RSDIE, vol. 14,2004, p. 663-664.

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348 Robert Kolb [RHDI 61:34 7

pante peut promulguer des lois ou conclure des accords internationaux au nom de l'État occupé ». Les pouvoirs patiiculiers conférés à l'Autorité par les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité viennent s'ajouter à cette compétence de principe : « Dans le cas de 1 'Irak, la situation est encore plus claire puisque le Conseil de sécurité de l'ONU a confirmé que l'Autorité provisoire de la coalition disposerait du pouvoir légal en Irak jusqu'à ce que celui-ci soit remis à un gouvernement irakien ». Suivent les citations des passages pertinents dans les résolutions du Conseil. On voit l'importance pratique de la question; on voit aussi qu'elle comporte deux volets, l'un relatif à la compétence de l'occupant selon le droit de l'occupation, l'autre relatif à la compétence de 1' occupant selon des auto- risations dérivées du droit de la Charte des Nations Unies. Avant de ser- rer cette question de plus près, signalons que l'interprétation du droit de l'occupation par la Direction helvétique semble discutable. L'article 43 du Règlement de 19072 exige de l'occupant de respecter, sauf empêchement absolu\ les lois, les institutions et les coutumes en vigueur dans le pays occupé ; il lui octroie aussi un pouvoir législatif et exécutif pour assurer ct rétablir, autant qu'il sera possible, l'ordre et la vie publics. D'abord, il apparaît que ce texte ne donne pas un pouvoir général de conclure des trai- tés à 1' occupant, mais seulement un pouvoir de conclusion relatif à certains objets. Ensuite, l'article 43 ne précise nulle part que de tels accords seront

2 Voici son texte:« L'autorité du pouvoir légal ayant passé de fait entre les mains de l'oc- cupant, celui-ci prendra toutes les mesures qui dépendent de lui en vue de rétablir et d'as- surer, autant qu'il est possible, l'ordre et la vie publics en respectant, sauf empêchement absolu, les lois en vigueur dans le pays ». Sur cette disposition, voir, entre autres, M. Sas- soli, Legislation and maintenance of public order and civillife by occupying powers, EJIL 2005, p. 661 et seq. Voir aussi: A. Migliazza, L 'occupazione bellica (Milan 1949) p. 121 et seq. ; F. Capotorti, L 'occupazione ne! diritto di gu erra (Naples 1949) p. 111 et seq. ; 0 .M.

Uhler, Der volkerrechtliche Schutz der Bevolkerung eines besetzten Gebiets gegen Massna- hmen der Okkupationsmacht (Zurich 1950) p. 193 et seq. ; D.A. Graber, The development of the law of belligerent occupation 1863-1914-A historical survey (New York 1949) p.

Il 0 et seq. ; G. von Glahn, The occupation of enemy territory (Minneapolis 1957) p. 94 et seq.; M. Greenspan, The modern law oflandwmfare (Berkeley-Los Angeles 1959) p. 223 et seq. ; E. Benvenisti, The international law of occupation (Princeton-Oxford 2004) p. 7 et seq. Parmi les articles, voir entre autres E.H. Schwenk, Legislative power of the military occupant under A1iicle 43, Hague Regulations, 54 Yale LJ 1945, p. 393 et seq. ; G. Ténéki- dès, L'occupation pour cause de gnerre et la récente jurispmdence grecque, 81 JDI 1954, p.

636 et seq. ; A. Gerson, War, conquered territory, and military occupation in the contempo- rary legal system, 18 Harv. !nt'! LJ 1977, p. 535 et seq. ; Y. Dinstein, The Israel Supreme Court and the law ofbelligerent occupation: Article 43 of the Hague Regulations, 25 Israel Yearbook on Human Rights 1995, p. 1 et seq.

3 Cela renvoie au principe de nécessité, mais pas particulièrement à la nécessité militaire.

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conclus au nom de l'État occupé. Il y a donc plusieurs sauts logiques dans 1' argumentation de la Direction.

Pour répondre utilement à la question du jus tractatus, il faut distinguer les accords que 1 'occupant conclut en son nom et relatifs à 1' administra- tion du territoire occupé, et les accords que l'occupant entendrait conclure relativement à ces territoires au nom de l'État occupé. Iln 'est pas douteux que le droit international concède à l'État occupé le droit de conclure, en son nom, des accords internationaux relatifs à l'administration du terri- toire occupé, si cela s'avère nécessaire. En tant qu'État souverain, il jouit de son pouvoir de conclure des traités qu'aucune règle du droit interna- tional ne lui a enlevé. Il s'agira d'accords fonctionnels, c'est-à-dire limi- tés quant à leur objet aux pouvoirs que concède le droit de l'occupation, et transitoires, car ils sont appelés à disparaître selon les modalités pré- vues par leurs termes exprès ou implicites, mais probablement au plus tard lorsque 1 'occupation elle-même se termine. Ces traités contiennent donc une clause résolutoire tacite de nature factuelle : ils dureront au maximum aussi longtemps que durera le fait de l'occupation. Ce principe est appli- qué aussi dans des territoires qui ne sont pas formellement sous occupa- tion, comme ce fut le cas du Kosovo après 1999. La Serbie ayant accepté les conditions de la Résolution 1244, 1 'écrasante majorité de la doctrine considère en conséquence que le territoire du Kosovo se trouvait sous une occupation pacifique. Or, la MINUK a conclu, en son nom (et non pas au nom des Nations Unies4, ni, moins encore, au nom du Kosovo) des accords de gestion et de coopération relatives à l'administration de ce ter- ritoire. Une toute autre question est celle de savoir dans quelle mesure un occupant peut conclure un accord au nom de l'État occupé. C'est vers cette deuxième question qu'il convient de se tourner désormais. Procé- dons par une série de remarques, tantôt pratiques tantôt de principe.

En premier lieu, il est significatif de relever que la pratique internationale ne porte pas trace d'accords conclus par la puissance occupante au nom de l'État occupé5. Une telle pratique ne se trouve même pas dans le cas de la quasi-debellatio allemande et japonaise après la Seconde guerre mon- diale. On pounait dès lors être tenté de conclure à une règle coutumière, étant donné que les États occupants n'ont jamais revendiqué ce droit et que ce fait constitue une pratique (repetitio facti) étalée dans le temps.

4 Je dois cette information à Daphna Shraga, du service juridique des Nations Unies, et je l'en remercie.

5 Le Département d'État américain a entrepris une recherche similaire à la mienne et m'a confirmé ne rien avoir trouvé.

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350 Robert Kolb [RHDI 61:347 Si cette abstention s'accompagne d'une opinio juris selon laquelle il faut s'abstenir de conclure de tels traités parce que la compétence de l'État occupant fait défaut, on serait confronté à une norme de droit international coutumier de nature prohibitive. Or, cette opinio juris n'est pas certaine.

Les États occupants ont simplement pu estimer qu'il valait mieux éviter de s'engager dans cette voie à cause des incertitudes entourant cet exercice de compétence. Dans ce cas, il n'y aurait pas une conviction d'illicéité ou d'incompétence, mais seulement une opinion d'incertitude. Cela ne suf- fit pas. Plus probablement encore, une situation nécessitant la conclusion de tels traités ne s'est jamais présentée. Dans ce cas, aucune opinio juris n'aura été manifestée. Bornons-nous donc à relever que la pratique inter- nationale semble plutôt infirmer que confirmer un pouvoir de conclure de tels traités. En même temps, cette pratique n'offre pas de certitudes.

En deuxième lieu, les principes et règles du droit de l'occupation moderne semblent condamner l'idée que l'occupant puisse conclure des accords au nom de l'occupé. Le droit de l'occupation moderne est basé sur l'idée que l'occupation est un pouvoir limité et fonctionnel, issu d'un contrôle territorial de fait qui ne saurait déplacer la souveraineté de l'État occupé6. Le principe de l'autodétermination des peuples est venu après 1945 renforcer l'idée que tous les choix politiques de long terme ayant des incidences sur le territoire occupé doivent être laissés à la libre décision du peuple local. Ce choix ne pourra être opéré en toute liberté qu'après la fin de l'occupation. Si l'occupation impose donc théoriquement la super- position de deux compétences étatiques sur le même territoire, ces deux couches normatives n'ont pas la même ampleur ni la même nature. L'oc- cupé continue à jouir de la souveraineté sur son tenitoire. Il possède donc le droit exclusif de déterminer le sort de ce territoire par des décisions impliquant des choix de structure. C'est aussi la raison pour laquelle le droit de l'occupation- à travers les articles 43 du Règlement de 1907 et l'article 64 de la Convention IV de 1949- exige de l'occupant qu'il res- pecte dans toute la mesure du possible les institutions et les lois locales.

L'occupant, quant à lui, ne possède qu'un pouvoir fonctionnel, conféré par le droit intemational. Il s'agit d'un pouvoir d'attribution qui ne s'étend qu'aux compétences spécifiquement reconnues, de manière expresse ou par implication nécessaire, et indispensables pour mener à bien l'admi-

6 Voir Benvenisti, supra note 2, p. 5 et seq.; Migliazza, supra note 2, p. 17, 86; Graber, supra note 2, p. 3 7 et seq. ; von Glahn, supra note 2, p. 31 et seq. ; Greenspan, supra note 2, p. 217-218; G. Ténékidès, L'occupation pour cause de guerre et la récente jurisprudence grecque, 80 JDI !953, p. 834 et seq.; etc.

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nistration du territoire occupé7 . De plus, le droit de l'occupation moderne est basé sur l'idée que l'occupation ne constitue qu'une parenthèse pro- visoire. Elle devrait durer le moins de temps possible. Ici encore, le droit de l'occupation n'entend octroyer à l'occupant aucun pouvoir de décision pour des questions de long terme, puisque sa présence est perçue comme étant limitée dans le temps. Au regard du caractère fonctionnel (besoins de l'occupation), limité (compétences d'attribution) et temporaire (occupa- tion comme brève parenthèse de guerre) informant le droit de 1' occupation moderne, les pouvoirs de l'occupant doivent être interprétées strictement, devant la toile de fond de la souveraineté persistante de l'État occupé.

Tenant compte de tous ces éléments, un jus tractatus de 1' occupant au nom de l'occupé ne saurait être admis. Comme il s'agit d'un pouvoir de l'occupa11t, il faudrait qu'il soit attribué. De plus, comme il s'agit d'un pouvoir ayant une incidence importante sur le territoire occupé à moyen et à long terme, il apparaît naturel d'exiger une nonne d'attribution expresse.

La permanence de la souveraineté sur le territoire en question dans le chef de l'État occupé entraîne comme conséquence juridique qu'il faille à l'État occupant une norme d'habilitation pour conclure des traités au nom de l'État occupé. Ce n'est qu'à travers l'existence d'une telle nom1e que la souveraineté de l'État occupé peut être limitée, écartée ou « bri- sée ». Or, une telle norme fait défaut. Le droit conventionnel n'en porte pas trace. La coutume internationale, comme nous l'avons vu, ne contient pas non plus une norme attributive, la pratique étant silencieuse. C'est dire qu'un traité conclu en son nom par 1 'État occupant reste pour 1 'État occupé une res inter alios acta. L'État occupé est un tiers pm· rapport à ce traité, car aucune norme ne l'oblige internationalement à le reconnaître ou à le reprendre à son compte. Seules les compétences reconnues de l'occu- pant, se manifestant dans des actes licites, aboutissent à « l'attribution » de ces derniers à l'occupé8• Les actes non couverts par une habilitation ne le sont pas.

Il faut ajouter que les principes de nécessité et de proportionnalité font douter d'un pouvoir de l'occupant de conclure de tels traités. Du moment que ses besoins peuvent être parfaitement couverts par la conclusion d'ac- cords en son propre nom, on ne voit pas pourquoi le droit intemational devrait lui concéder le pouvoir de lier l'État occupé en limitant ainsi exces- sivement la souveraineté et le droit à disposer de lui-même de ce demier.

7 Il convient d'ajouter que l'occupant a aussi une série de devoirs, cf. par exemple l'mii- cle 43 du Règlement de 1907 ou les articles 55 et suivants de la Convention IV de Genève de 1949.

8 Voir Migliazza, supra note 2, p. 77.

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352 Robert Kolb [RHDI 61:347

De plus, des problèmes épineux se poseraient si l'État occupant ne contrôle qu'une partie du territoire de l'État occupé. C'est souvent le cas. Admettre qu'il puisse conclure dans ces cas des traités au nom de l'État occupé pour l'ensemble du territoire de ce dernier semble d'em- blée contraire à l'article 42 du Règlement de La Haye de 1907. En effet, cette disposition limite les pouvoirs de l'occupant à la zone qu'il contrôle effectivement. C'est de surcroît difficilement admissible, parce qu'un tel pouvoir empiéterait sur les compétences de la puissance contrôlant de fait la zone non occupée. L'occupant ne saurait avoir de compétences sur des zones qu'il ne contrôle pas.

Si l'État occupé accepte un tel traité, ex ante ou ex post, ou mandate la puissance occupante à le conclure, il en va autrement : le traité lierait l'État occupé. Dans ces cas, il sera problématique de déterminer dans quelle mesure le gouvernement de l'État occupé possède l'indépendance nécessaire pour consentir « librement » à de telles transactions. C'est là une question de fait qu'on ne saurait trancher généralement ici. S'il peut être fort douteux qu'un gouvernement local, dans l'aire occupée, possède une indépendance suffisante, il peut en être autrement dans le cas où il subsiste un gouvernement en exil. Il faut toutefois admettre qu'un tel gou- vernement permettra difficilement à la puissance occupante de conclure des traités en son nom, tant les relations entre les deux États seront ten- dues lors de la guerre ou de 1' occupation. Dans notre monde mo deme, imprégné du principe des nationalités, un tel mandat serait probablement vécu comme acte de trahison.

Si un tel traité était néanmoins conclu, il sera peut-être possible de lui appliquer le principe in dubio pro validitate, c'est-à-dire de considérer qu'il est conclu en réalité au nom de l'Etat occupant et non en celui de l'État occupé. C'est là une question d'espèce et d'interprétation. En tout cas, il faudrait considérer qu'un tel traité se termine par une clause réso- lutoire tacite s'il n'est pas confirmé par le souverain légal dès la fin de l'occupation. Celui-ci aura à ce moment le pouvoir de choisir s'il souhaite reprendre à son compte un tel traité, conclu sans habilitation en son nom, ou s'il souhaite le rejeter. Les États cocontractants doivent donc savoir qu'ils s'exposent à un risque de ce type. Ces accords sont aussi provisoires que 1' occupation elle-même.

Faut-il raisonner autrement si l'occupation se prolonge dans le temps9 ? La question est trop vaste pour être analysée ici. Il ne semble pas, de prime

9 Sur Je concept d'occupation prolongée, voir l'atiicle classique de A. Roberts, Prolonged military occupation: The Israeli occupied terri tories since 1967, 84 AJIL 1990, p. 44 et seq.

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abord, que l'on puisse du fait même de la durée octroyer unjus tractatus à 1' occupant. Les considérations de principe énoncées ci-dessus s'y oppo- sent. Il faut également éviter d'inciter à l'occupation étalée dans le temps pour pouvoir jouir de droits que le droit de l'occupation ne concède pas à plus court terme. De plus, comme la notion d'occupation prolongée n'est nulle part définie, il se poserait une série de questions de définition et de délimitation, s'ouvrant à des pratiques arbitraires.

On peut se permettre, pour conclure, de rappeler que la solution pré- sentée ci-devant cadre avec la construction de l'occupation telle qu'elle domine le droit positif depuis le début du XXe siècle. Si l'on suit en revanche certaines théories minoritaires, répudiées par le droit positif, d'autres solutions s'imposent. Ainsi, selon un auteur italien écrivant en 191110, l'occupation relève d'un rapport de droit civil appliqué par analo- gie au droit intemational: l'État occupant devient le représentant de l'État occupé en vertu d'une nmme de droit intemational qui le prévoit. Dès lors, l'État occupant se substitue juridiquement à l'État occupé. Il détient ses pouvoirs concrets d'occupant non pas en veliu du droit intemational, par voie d'attribution, mais simplement en vertu du droit interne de l'État occupé qu'il remplace et dont il exerce par substitution la souveraineté.

Le droit international ne connaît ici qu'une norme : celle qui détermine que 1' occupant est un représentant; dès ce moment, il agit comme un sou- verain de substitution, ses pouvoirs découlant du droit inteme de 1 'État occupé. Dans une telle construction, il irait de soi que l'État occupant pourrait conclure des traités au nom de l'État occupé, puisqu'il exercerait, par représentation, le jus tractatus de ce dernier. Point n'est besoin à cette place de poursuivre ces réflexions, puisqu'il est évident que cette théorie ne cadre pas avec le droit de 1 'occupation en vigueur.

Il resterait à cette place à envisager le deuxième cas de figure, à savoir le pouvoir du Conseil de sécurité des Nations Unies à autoriser l'État occu- pant à conclure un traité au nom de l'État occupé. L'analyse de ce volet de la question nous entraînerait toutefois trop loin. Qu'il suffise d'indi- quer qu'il est douteux que le Conseil possède un tel pouvoir dans le cas d'une occupation de guene. Primo, ce pouvoir n'est pas nécessaire pour faire correctement administrer le territoire occupé. En effet, le pouvoir de conclusion de traités au nom de l'occupant et le pouvoir du Conseil d'édicter des résolutions contraignantes suffisent à cet égard. Dès lors, octroyer plus de pouvoirs serait contraire aux principes de nécessité et de proportionnalité. Secundo, le pouvoir d'un État de conclure un traité est un

10 M. Marinoni, Della natura giuridica dell'occupazione bellica (Rome 1911) p. 50 et seq.

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354 Robert Kolb [RHDI 61:347 acte de souveraineté auquel nul ne peut ordinairement se substituer sans son accord. Des cas particuliers pounaient toutefois exiger un assouplis- sement de ces limites, que ce soit en période d'occupation de guene ou en dehors de celle-ci, voire dans des cas limite, situés entre les deux. On évo- quera le plus manifeste d'entre eux dans les lignes qui suivent.

Dans les cas où le droit de l'occupation belligérante ne s'applique pas formellement- étant donné par exemple que l'État« occupé » a consenti à une administration internationale et qu'il s'agit de reconstruire l'État occupé (nation building) -, une solution différente peut s'imposer. Le jus post bellum de reconstruction éclaire d'une lumière nouvelle les cri-

tères de nécessité et de proportionnalité. De plus, ces administrations opè- rent souvent comme substituts du gouvernement souverain, si bien que la conclusion d'un traité au nom du « tenitoire » devient imaginable, un peu comme ce fut le cas dans la construction susmentionnée de Marinoni.

L'habilitation de représenter 1 'État occupé ne vient pas ici du droit inter- national général- où elle n'existe pas -mais d'une résolution du Conseil de sécurité. Cette habilitation peut s'imposer comme une nécessité notam- ment dans le cadre d'États en déliquescence ou de situations de quasi- debellatio, quand le gouvernement local n'existe plus et doit être patiem- ment refonné.

Il. LE SORT DE L'ARTICLE 6 § 3 DE LA CONVENTION DE GENÈVE IV DE 1949

Sur la question de la fin de l'occupation, la IVe Convention de Genève déroge à l'esprit général du droit international humanitaire, en s'écartant du principe de l'effectivité prévu par l'article 42 du Règlement de 190711.

Selon ce principe d'effectivité, l'occupation dure et son droit continue à s'appliquer tant que perdure la présence de forces ennemies sur le tenitoire en question, c'est-à-dire tant que se maintient le fait de l'occupation. Or, la Convention IV prévoit que son application dans les tenitoires concernés

« cessera un an après la fin générale des opérations militaires »12. Au-delà

11 Voici le texte de cette disposition: «Un teiTitoire est considéré comme occupé lorsqu 'il se trouve placé de fait sous l'autorité de l'armée ennemie. L'occupation ne s'étend qu'aux territoires où cette autorité est établie et en mesure de s'exercer».

12 Art. 6 § 3, dont le texte est le suivant: «En territoire occupé, l'application de la pré- sente Convention cessera un an après la fin générale des opérations militaires ; néanmoins, la Puissance occupante sera liée pour la durée de l'occupation- pour autant que cette Puis- sance 'exerce les fonctions de gouvemement dans le tenitoire en question - par les dispo-

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de cette période, la puissance occupante restera liée, «pour autant [qu'elle]

exerce les fonctions de gouvemement dans le territoire en question » par certaines dispositions expressément mentionnées. La limite temporelle de l'applicabilité de la convention ne va donc pas de pair avec la fin objec- tive de l'occupation. Le régime établi en 1949 doit cesser à l'expiration du délai, même si les forces étrangères ne se sont pas retirées et que l'opposi- tion du souverain persiste. Le domaine d'application ratione temporis de ce régime est donc dissocié de la réalité matérielle qu'il est censé couvrir.

Cette dérogation au système général de 1' occupation émergea lors des négociations préludant à l'adoption de la Convention. Tandis que le pro- jet initial s'inscrivait, sur ce point, dans la lignée du Règlement de 1907, plusieurs délégations de la Conférence diplomatique considérèrent que le droit applicable devait être modifié en cas d'occupation prolongée. On considéra qu'au-delà d'une am1ée de présence sur le terrain, des adapta- tions du régime juridique applicable seraient nécessaires. Ces réflexions furent largement inspirées par les exemples de l'Allemagne et du Japon au lendemain de la deuxième guerre mondiale. Les délégations considérè- rent qu'il n'est pas souhaitable de maintenir sur le long tem1e le gel juri- dique et institutionnel qu'exige le droit de l'occupation. Elles estimèrent ainsi que nombre des dispositions concemées se révèleraient inutiles dans ce cas, soit parce que la plupart des fonctions gouvemementales seraient rétrocédées à la puissance occupée, soit parce que les mesures de contrôle de la population civile ne se justifieraient plus en raison de l'apaisement de la situation13.

Au-delà du délai fixé, la puissance occupante ne retrouve cependant pas une marge de manœuvre illimitée. Elle reste liée par certaines dis- positions qu'énumère expressément l'article 6 § 3. Il s'agit pour l'essen- tiel des règles d'application générale figurant au début de la convention (art. 1 à 8) ; de celles qui définissent le traitement des personnes protégées (art. 27, 29 à 34, 47, 49, 51, 52, 53, 59, 61 à 77); et de celles qui visent à en assurer la mise en œuvre (art. 9 à 12, 143). Les dispositions réservées sont les plus importantes du point de vue substantiel et humanitaire. Dès lors, l'exception de l'article 6 § 3, apparaît d'emblée d'une portée pratique limitée. Quant aux dispositions ne s'appliquant plus, ce sont en principe

si ti ons des articles suivants de la présente Convention: 1 à 12, 27, 29 à 34, 47, 49, 51, 52, 53, 59, 61 à 77 et 143 ».

13 Actes de la Conférence diplomatique de Genève de 1949, Tome II A, p. 607-608. Voir J. Pictet, Commentaire IV: La Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre: commentaire (Genève 1956) p. 69-70.

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356 Robert Kolb [RHDI 61:347 celles concemant le déroulement des opérations militaires14 . Dans la réa- lité, la différence entre les deux catégories n'est toutefois pas nette, et il est parfois difficile de comprendre pourquoi certains articles n'ont pas été réservés par le § 3. Par exemple, l'obligation de faciliter le bon fonction- nement des établissements consacrés aux soins et à l'éducation des enfants (art. 50) ne sera plus en vigueur une fois que le délai d'un an sera dépassé, alors que l'interdiction des transferts forcés (art. 49) ou de la destruction des biens mobiliers et immobiliers en dehors des opérations militaires (art.

53) le restera. Si l'on s'en réfère aux motifs de cette distinction, il semble que la première de ces règles est beaucoup moins liée au déroulement des hostilités que les deux suivantes et mériterait donc d'autant plus d'être ajoutée à la liste de l'article 6. Par ailleurs, l'article 6 § 4, prévoit que le smi de certaines catégories d'individus restera réglé par la convention aussi longtemps qu'il ne sera pas résolu, même au-delà du délai d'un an.15

14 Pictet, supra note 13, p. 70. Voir aussi H.P. Gasser, qui considère que ce« noyau dur»

du droit de 1 'occupation « protects the vital rights of the inhabitants of an occupied terri to- ry » : H.P. Gasser, Belligerent occupation, dans D. FI eck (éd.), The Handbook of humanita- rian law in armed confiicts (Oxford 1995) p. 251.

15 Art. 6 § 4. Trois situations sont envisagées à cet égard. Il s'agit d'abord des personnes protégées en attente d'une libération. Dans le cas où 1 'insécurité persiste sur le long terme, il est possible que des mesures d'internement ou de résidence forcée soient maintenues à l'encontre de certains civils. La situation de ces derniers sera dès lors couverte par les rè- gles pertinentes en la matière jusqu ce qu'elle prenne fin. L'article 6 paragraphe 4, insti- tue en quelque sorte une extension compartimentée dn domaine d'application temporelle de la Convention. Lorsqu'une privation de libetié commence avant l'expiration du délai, les règles pertinentes suivront l'évolution de cette situation tant qu'elle perdure, même si la Convention en tant que telle n'est plus fmmellement applicable. Ce cas de figure ne sem- ble toutefois pas avoir de conséquences appréciables. Le délai fixé dans l'atiicle 6 a préci- sément pour but d'éviter une utilisation abusive des mesures de sécurité, notamment lors- que l'administration du territoire concerné est en voie de nonnalisation. Dans l'esprit de l'atiicle 78 de la Convention, la possibilité de restreindre la libetié des personnes protégées ne devrait être justifiée « que par l'existence d'une lutte mmée ». Dès lors, de deux cho- ses 1 'une : soit la situation sur le tenain est suffisamment conflictuelle pour que 1 'on puisse considérer que les opérations militaires sont toujours en cours, et donc que la Convention reste pleinement applicable, y compris les règles protégeant les individus soumis à l'inter- nement ou à la résidence forcée ; soit 1 'on estime que les éventuels affrontements ne relè- vent plus des opérations militaires, et les mesures de sécurité ne se justifient donc pins, à plus forte raison lorsqu'il n'y a pas eu de combats pendant plus d'un an. L'occupant devrait donc avoir mis fin depuis longtemps à ces mesures. En d'autres tennes, l'hypothèse de l'ar- ticle 6 paragraphe 4, ne devrait jamais se réaliser en pratique, car ses deux composantes sont contradictoires, l'une supposant un contexte conflictuel (les tensions justifiant l'adoption de mesures de sécurité), l'autre une situation de calme (une année sans opération militaire).

Quant à la possibilité d'adopter de nouvelles mesures de privation de liberté après l'épuise- ment du délai d'un an, elle est exclue en vertu de l'atiicle 6 paragraphe 3. En effet, ce der-

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Hormis les individus privés de liberté, cette exception au système général de l'article 6 concerne aussi les personnes en attente d'un rapatriement ou d'un établissement. Il s'agit de ressortissants étrangers qui ne peuvent ou ne veulent pas s'installer dans la région occupée. Une solution doit leur être trouvée soit dans leur pays d'origine (rapatriement), soit dans un État tiers (établissement). Dans les deux cas, les démarches entreprises en ce sens peuvent perdurer au-delà du terme de l'applicabilité fonnelle de la Convention et restent couvertes par les règles pertinentes en la matièrei6.

On considéra en 1977 que le système de l'article 6 § 3, était trop impré- gné des contingences historiques ayant inspiré son élaboration pour être véritablement adéquat c01mne règle générale à long terme17. Les cas spé- ciaux de l'Allemagne et du Japon, avec l'administration alliée ou améri- caine, appartinrent au passé. L'on fut confronté à de nouveaux cas d'oc- cupation, posant des problèmes différents. En conséquence, l'orientation changea. La Conférence de 1949 fut sans doute influencée outre mesure par la conception ancienne selon laquelle l'occupation de guerre ne couvrait qu'une brève phase transitoire entre la fin des hostilités et la conclusion du traité de paix. Ce modèle encore toumé vers le XIXe siècle s'est avéré dépassé après 1945. Dès les années 1960, des occupations prolongées ont vu le jour, conune ce fut le cas des territoires occupés par Israël de 1967 à nos jours. Dans certains cas, l'occupation perdura notablement au-delà d'une am1ée après la fin des opérations militaires sans que la situation sur le terrain ne changeât fondamentalement. Il était difficile de comprendre pourquoi deux régimes juridiques différents devaient être appliqués à une situation qui, hom1is le passage du temps, restait identique. Dans bien des cas, la protection de la population locale est tout autant, sinon plus, néces- saire au bout d'une armée que lors des premiers jours de l'occupation18 . nier ne mentionne pas l'article 78 parmi les dispositions qu'il réserve. Seule une remise en marche de l'ensemble de la Convention, justifiée par une détérioration suffisamment forte sur le teiTain, pourrait servir de fondement à de nouvelles décisions d'intemement ou de résidence forcée.

16 Art. 48 et 132.

17 M. Bothe, K.J. Pa1isch & W. Soif, New ru les for victims of armed conflicts (La Haye- Boston 1982) p. 59:« A1iicle 6 § 3 of the Fourth Convention of 1949 was a special ad hoc provision for certain actual cases, namely the occupation of German y and Japan after World War II. There is no reason to continue to keep in force such provisions designed for speci- fie historie cases. In 1972 the majority of Government experts expressed a wish to abolish these time limits ».

18 Voir en ce sens Gasser, qui conclut en recommandant que« [t]he weakening of protec- tion after the first year of occupation should be removed from international law », Gasser, supra note 14, p. 252.

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358 Robert Kolb [RHDI 61:347 Ces critiques expliquent pourquoi le Protocole additionnel I de 1977 se détourne sur ce point de la IVe Convention de Genève19 . Les délégations de la Conférence diplomatique de 1977 reprirent le projet originel que la Conférence de 1949 avait rejeté au profit de la règle de délai d'un an20.

L'article 3, alinéa b, du Protocole I prévoit que l'application des Conven- tions et du Protocole cessera à la fin de l'occupation, quelle qu'en soit 1' origine et quel que soit le laps temporel. Le Protocole revient ainsi à 1' effectivité sans exception. La règle implicite dans le Règlement de 1907 devient explicite dans le Protocole de 1977.

Pour les États patiies au Protocole I, les débats relatifs à la détennina- tion de la fin générale des opérations militaires sont désormais sans objet, puisque l'article 6 § 3, de 1949 a été abrogé dans leurs relations mutuelles.

Il est en revanche plus délicat de dire si cette abrogation est de portée erga omnes, au vu du fait qu'elle serait reprise par le droit coutumier21• Pour certains auteurs, la prudence commande plutôt de s'en tenir aux prévisions de l'article 6 § 3, entre États qui ne sont pas liés également par le Proto- cole J22. D'autres tendent à la solution inverse23. Le point est délicat, mais après réflexion il vaut mieux estimer que l'article 6 § 3, est désonnais désuet. La question peut être posée en ces doubles termes :

Peut-on dire que la solution du Protocole reflète aujourd'hui le droit cou- tumier et que celui-ci l'emporte sur la solution conventionnelle de 1949?

Il est possible de le soutenir.

Primo, la solution du Protocole est certainement celle du droit coutu- mier, car elle s'inscrit en droite ligne au prescrit du Règlement de 1907.

L'article 6 § 3, dérogatoire du droit commun, constituait une parenthèse particulière en s'écartant du principe incontestablement applicable en la matière. Son insertion était due à la prise en compte des particularités des

19 Voir Bothe, Partsch & Soif, supra note 17, p. 56 et seq.

20 Y. Sandoz, C. Swinarski & B. Zimmermann (éds.), Commentaire des Protocoles ad- ditionnels du 8 juin 1977 aux Conventions de Genève du 12 août 1949 (Genève-Dordrecht 1986) par. 155.

21 R. Kolb, Étude sur l'occupation et sur l'article 47 de la IV ème Convention de Genève du 12 août 1949 relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre : le degré d'intangibilité des droits en tenitoire occupé, 10 Annuaire africain de droit international 2002, p. 291.

22 En ce sens D. Alonzo-Maizlich, Wh en does it end? Problems in the law of occupation, dans R. Arnold & P. A. Hildbrand (éds.), International humanitarian law and the 2JS1 cen- twy :S confticts: Changes and challenges (Lausanne e.a. 2005) p. 105.

23 Probablement en ce sens A. Roberts, What is a military occupation?, BYBJL 1984, p.

271 etseq.

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occupations d'après seconde guerre mondiale en Allemagne et au Japon.

Par l'objectif même de cette disposition, celle-ci n'est guère fondamenta- lement normative, c'est-à-dire idoine à se projeter dans un droit coutumier nettement inféodé au principe contraire de l'effectivité. Au contraire, l'ar- ticle 6 § 3, paraît plutôt adventice et erratique.

Secundo, le droit coutumier l'emporte-t-il sur la solution convention- nelle en vertu du principe de la lex posterior (principe d'effectivité cou- tumier réaffirmé dès 1977) ou la solution conventionnelle de 1949 1 'em- porte-t-elle pour toutes les parties aux Conventions de Genève n'étant pas aussi parties au Protocole en vertu du principe de la lex specialis (priorité de la dérogation spéciale) ? Pour les États ayant ratifié ou ayant accédé au Protocole additi01mel Ide 1977, l'ancierme règle coutumière est réinstau- rée. Pour les quelques États non parties au Protocole I, le Règlement de La Haye de 1907 prescrit de tenir compte de 1 'effectivité de 1' occupation (article 42). L'article 6 § 3, n'entend pas déroger généralement au seuil d'applicabilité défini par l'ariicle 42. Selon son texte, illimite la portée de sa dérogation « à la présente Convention », c'est-à-dire à la Convention IV de 1949. Les dispositions humanitaires de la Convention IV restent toutefois applicables après une année d'occupation selon le texte même de l'article 6 § 3. Dès lors, à l'égard de ces dispositions humanitaires les plus importantes (malgré quelques lacunes), aucune différence avec le droit coutumier n'existe. Quant aux garanties de la Convention de Genève IV dont l'article 6 § 3, ne réserve pas expressément l'application après le délai d'une année- ce sont là les seules pour lesquelles la question reste posée -, elles s'appliquent dans la mesure où elles constituent du droit coutumier. C'est le cas de toutes les garanties substantielles. Il serait hardi d'interpréter aujourd'hui la clause adventice du § 3 dans le sens qu'elle libère les États occupants de l'application des règles coutumières de l'oc- cupation. En effet, depuis, 1949, et encore moins depuis 1977, les États occupants ne se sont pas fondés sur ce § 3 pour se libérer de leurs obli- gations générales. Ils ont préféré nier en bloc l'applicabilité de jure du droit de l'occupation ou ont affirmé que l'occupation était terminée avant l'écoulement d'une année, ce qui a empêché toute pratique confirmative de 1 'exception de 1949. Même les gouvemements directement intéressés à l'application du § 3, comme Israël dans le cadre des territoires occupés, n'ont pas soulevé l'exception. De plus, les puissances reconnaissant l'oc- cupation de guerre et les organes intemationaux compétents n'ont pas pro- clamé que la puissance occupante était tenue à un régime différent après un an d'occupation. On peut songer par exemple aux instances faites à Israël par les Nations Unies à propos des territoires occupés depuis 1967.

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360 Robert Kolb [RHDI 61:347 La seule mention, très sommaire d'ailleurs, du § 3 depuis 1949 se trouve dans l'avis consultatif de la Cour internationale de Justice sur les Conséquences juridiques de l'édification d'un mur en territoire palesti- nien occupé (2004). La Cour rappelle l'article 6 § 3, en tant que norme conventionnelle applicable, mais sans s'interroger sur sa validité actuelle, celle-ci n'étant pas en cause dans une procédure consultative24 . Il faudra sans doute attendre que 1 'applicabilité ou 1 'obsolescence de ce § 3 soit plaidé au fond par des États afin que la Cour se sente habilité à en décla- rer la désuétude en toute connaissance de cause. Certes, l'adage iura novit curia permet- et parfois oblige- à la Cour d'examiner d'office le droit applicable. Or, dans un avis où le § 3 n'était nullement en cause et dans lequel nul ne l'avait invoqué, on comprend que la Cour puisse simplement rappeler l'énoncé du texte en tant que black letter law, sans se préoccuper de son applicabilité forn1elle. Tant que la norme écrite subsiste, elle a la présomption de validité en sa faveur ; 1 'infirmer nécessiterait un examen approfondi, celui-là même que la Cour n'avait pas à entreprendre dans une procédure cmmne la présente.

Un bilan tellement marginal sous-tendant l'exception du§ 3 depuis 1949 ne devrait pas lui permettre d'éemier le droit coutumier, manifestement contraignant pour les États. En somme, la limitation de l'article 6 § 3, n'a à notre sens plus aucune portée pratique du point de vue de la fin d'ap- plicabilité du droit d'occupation contemporain. Toutes les dispositions substantielles relatives à l'occupation contenues dans la Convention IV reflètent aujourd'hui le droit coutumier et s'appliquent à ce titre jusqu'à la fin effective de l'occupation. Toutefois, malgré la position qui vient d'être développée, le statut du § 3 demeure controversé. Notre argumentation demeure donc revêtue du manteau de ce que les anglo-saxons appellent

« a tentative response ». Les meilleurs arguments plaident toutefois pour la désuétude ou l'inapplicabilité.

Ce retour à l'ancien système ne va toutefois pas sans poser certains problèmes. Comme le souligne A. Roberts, cette possibilité d'appliquer le droit de l'occupation sans qu'aucun tenne temporel ne soit fixé risque d'avoir des conséquences néfastes pour la population concernée. Lorsque la prolongation de la situation d'occupation sert leurs intérêts, certains

24 Affaire du Mur, CIJ, Recueil 2004, p. 185, § 125 : «Les opérations militaires qui conduisirent en 1967 à l'occupation de la Cisjordanie ayant pris fin depuis longtemps, seuls les articles de la quatrième convention de Genève visés au troisième alinéa de l'article 6 demeurent applicables dans ce territoire occupé». C'est d'ailleurs une position que même Israël n'avait pas soutenue.

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belligérants peuvent être tentés de ne pas conclure un traité de paix. Il peut arriver, par exemple, que la puissance occupante souhaite maintenir la population locale sous sa domination sans pour autant lui conférer un sta- tut identique à celui de sa propre population.25 En l'absence d'une solution consensuelle, la patiie vaincue risque de réagir par les armes. La prolonga- tion de l'occupation pourrait donc faire peser une menace permanente sur la stabilité de la région.

Il serait dès lors souhaitable d'envisager, comme le fait E. Benvenisti, une évolution du droit de l'occupation sur ces points. Il s'agirait en pre- mier lieu de faire en sorte que l'occupant soit poussé à mettre fin à sa domination lorsque son attitude contribue à prolonger cette situation de mauvaise foi.26 Lorsqu'elle perdure sur plusieurs années, l'occupation risque de se rapprocher d'une véritable annexion. Il s'agirait de détermi- ner les conditions à partir desquelles la prolongation de la présence des troupes étrangères serait contraire au droit intemational et de consacrer dans ces circonstances une obligation de mettre fin à l'occupation. Divers éléments devraient être pris en compte dans cette appréciation. Si la domi- nation est le fait d'un État agresseur, une obligation de retrait immédiat devrait être présumée. Une exception à cette présomption pourrait être avancée si d'autres facteurs pertinents le justifient, notamment l'intérêt ou la protection de la population locale. Si donc les causes d'un conflit armé n'ont pas d'influence sur le régime de l'occupation, le jus ad bellum répondant à une autre logique que le jus in bello, elles pourraient en avoir sur la durée de l'occupation. Le Conseil de sécurité des Nations Unies pourrait et devrait arbitrer ces situations. Il aurait pour tâche de constater, dans le cadre du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, que l'occu- pation est indûment prolongée et assimiler ce comp01iement à une menace contre la paix. Il pourrait ensuite décider des mesures appropriées pour contraindre l'État récalcitrant à revenir à la légalité.

De plus, l'occupation prolongée pose de manière plus aiguë le problème des transformations structurelles du territoire en cause, transformations qu'interdit en principe le droit de l'occupation. Là encore l'intervention du Conseil de sécurité ou de l'Assemblée générale des Nations Unies pourraient donner aux transformations nécessaires le contrôle et l'appui indispensables d'un tiers plus ou moins impartial, représentatif de la com-

25 Et 1 'auteur de conclure que « the law on occupation could potentially pave the way for a kind of apartheid», Roberts, supra note 23, p. 273.

26 E. Bcnvenisti, The international law of occupation (Princeton-Oxford 2004) p. 145 et seq., 215-216. Voir aussi sur ce point Alonzo-Maizlich, supra note 22, p. 114 et seq.

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362 Robert Kolb [RHDI 61:347 munauté des États. Il faudra dans ces cas surtout veiller à auditionner les représentants légitimes du souverain déchu, afin de garantir que les prin- cipes d'autodétermination des peuples et de libre choix des systèmes poli- tiques, économiques et sociaux soient réalisés autant que les circonstances le pennettront.

CONCLUSION

Le droit de l'occupation tient de nos jours à nouveau le devant de la scène. Il reflète par cela les tumultes belliqueux de notre époque. Il est souvent discuté, analysé, aussi critiqué. Les aspects faisant généralement l'objet de sollicitudes doctrinales sont les grandes interrogations rela- tives notamment au gel du statu quo des institutions et lois locales dans son opposition étemelle à la capacité de l'occupant de transfonner les stmctures locales dans le sens d'un nation (re)building. Or, à côté de ces questions, somme toute classiques et éminentes, il y a une farandole de questions plus cachées, plus intimes, et non moins faciles, qu'on gagera à considérer de plus près. L'objectif de cette brève contribution était de faire visiter au lecteur quelques-unes de ces halles plus méconnues du droit de l'occupation. Les années que j'ai passées en sa compagnie -quelques- unes désormais- m'ont montré qu'il s'agit d'une matière magnifiquement riche et plastique, conceptuellement et théoriquement repue d'ornières, ourlée d'anfractuosités multiples et parfois chatoyantes, doublée enfin d'une pratique dense et difficile à classer à cause d'une propension tou- jours renouvelée de faire face à des situations particulières par des solu- tions taillées sur mesure. Dans le droit intemational humanitaire, il s'agit de l'une des branches les plus attachantes et ardues. Si l'on se rappelle les épouvantables souffrances des populations des territoires occupés lors de la Seconde guerre mondiale27, on comprend l'urgence humanitaire qui informe le droit de l'occupation et appelle avec plus de force encore à lui octroyer l'attention studieuse qu'il mérite.

27 Voir F. Bugnion, Le Comité international de la Croix-Rouge et la protection des victi- mes de la guerre (Genève 1994) p. 224 et seq.

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