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Le politique, opérateur de la construction des savoirs géographiques modernes : l'exemple des voyages d'Alexander von Humboldt.

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Submitted on 24 Oct 2014

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Le politique, opérateur de la construction des savoirs géographiques modernes : l’exemple des voyages

d’Alexander von Humboldt.

Laura Péaud

To cite this version:

Laura Péaud. Le politique, opérateur de la construction des savoirs géographiques modernes : l’exemple des voyages d’Alexander von Humboldt.. HiN: Alexander von Humboldt im Netz / In- ternational Review for Humboldtian Studies, Universitätsverlag Potsdam, 2011, XII (23), pp.26-40.

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1 Laura Péaud - Pour la revue HIN

Le politique, opérateur de la construction des savoirs géographiques modernes : l'exemple des voyages d'Alexander von Humboldt.

Introduction

En 1829, Alexandre de Humboldt réalise un voyage en Russie de huit mois : « C'est l'Orénoque plus les épaulettes », le qualifie-t-il dans une lettre adressée à son frère Guillaume

1

. Cette formule résume les conditions dans lesquelles se déroule l'expédition : Humboldt et ses collègues, les professeurs Rose et Ehrenberg, parcourent l'immensité russe sous le contrôle permanent des autorités impériales. Tout est en effet pris en charge matériellement, financièrement et logistiquement par le pouvoir russe. L'activité scientifique et géographique de Humboldt se réalise alors pleinement en interaction avec les acteurs politiques russes, au premier rang desquels le tsar Nicolas I er et le Ministre Cancrin. L'exemple russe constitue une exception en termes de degrés d'interférence du politique dans les voyages humboldtiens, mais illustre tout de même une réalité croissante de sa carrière scientifique. En choisissant la double entrée humboldtienne du voyage scientifique et de la correspondance, ce sont les liens entre le politique et les savoirs géographiques que l'on cherche à interroger.

A la période charnière entre XVIII ème et XIX ème siècle, les savoirs géographiques engagent un processus d'individualisation et d'institutionnalisation disciplinaire. La pratique cognitive du voyage, ou de ce que les géographes appellent aujourd'hui « terrain », participe fortement à la définition identitaire des savoirs géographiques modernes (Volvey, 2003).

L'approche par ce moment spécifique de la géographie trouve donc sa pleine justification.

Couplé à celui-ci, le politique constitue un autre objet central de la réflexion. Le rôle des acteurs politiques comme opérateur de la fabrique géographique forme un thème encore peu abordé en épistémologie des sciences. Dans quelle mesure l'insertion politique du savant- géographe du moment 1800 influence-t-elle sa pratique du voyage et, partant, sa conception et sa construction des savoirs géographiques modernes ? Telle est l'interrogation générale qui sous-tend cette recherche. L'exemple humboldtien doit permettre, en guise de propédeutique, de soulever les principaux questionnements. Le présent travail ne forme en rien un aboutissement, il se veut au contraire l'ouverture d'une réflexion programmatique sur les liens noués entre savoirs géographiques et politique aux alentours du moment 1800. Le parcours proposé ici insiste sur l'opportunité d'interroger les relations du politique et des savoirs géographiques dans un moment charnière puis suggère quelques éléments de résultats obtenus grâce à l'exemple humboldtien.

A – Les enjeux d'une analyse relationnelle en histoire et en épistémologie de la géographie.

1) Mettre en scène les savoirs géographiques et le politique autour du moment 1800.

Le moment 1800 connaît une transformation à la fois des structures politiques de

l'Europe et des fondations théoriques et méthodologiques de la science. Entre la fin du

XVIII ème siècle et le début du XIX ème siècle, l'environnement européen, tant culturel que

sociétal, s'en trouve profondément modifié, redessinant les liens noués entre science et

politique.

(3)

2 Tout d'abord, d'un point de vue politique, le moment 1800 est profondément marqué par un contexte de conflits entre puissances européennes. Entre 1790 et 1820, la permanence de l'état de guerre engendre un double phénomène : d'une part un recentrement national, entraîné par le conflit lui-même et l'augmentation des difficultés à circuler, et d'autre part, conséquemment, une recherche d'identité nationale à l'intérieur de chaque royaume ou État.

La guerre participe ainsi non seulement à la redéfinition des liens géopolitiques et diplomatiques entre royaumes, mais aussi au questionnement et à l'affirmation progressive des identités nationales. A.-M. Thiesse voit dans le moment 1800 les prémices des constructions nationales au sein de l'Europe, qui ne s'achèvent pleinement que dans la deuxième moitié du XIX ème siècle (Thiesse, 1999). Elle souligne que ce processus est intrinsèquement lié au contexte international. Au cosmopolitisme politique vanté au XVIII ème siècle par les représentants des Lumières se substitue alors une vision fragmentée de l'espace européen. Les Lumières européennes portent en effet un projet basé sur l'entente des États, la libre circulation des individus et le progrès de l'humanité, précisément par le caractère cosmopolitique de l'espace européen et mondial. Le plus emblématique représentant de ce courant philosophique et politique est Immanuel Kant, qui relaye cette vision notamment dans son Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique (ouvrage paru en 1784) . Au contraire, dès la fin du XVIII ème siècle se fait jour un projet d'une autre nature : l'affirmation de chacun des États les uns par rapport aux autres remplace l'ambition cosmopolitique. Conjointement au déchirement politique et guerrier de l'espace européen, la reconnaissance des nations s'opère peu à peu par le travail des élites culturelles.

La science connaît elle aussi une série d'importantes mutations. Suivant le même

processus que l'évolution politique européenne, la science se transforme, passant d'une

logique encyclopédiste et universaliste (Mazauric, 2009) à une logique de spécialisation et de

différenciation disciplinaire : l'ambition d'une science générale de l'homme disparaît

progressivement. En accord avec les évolutions politiques, la science passe d'une perspective

de convergence de l'humanité, portée par les idées kantiennes, à une approche de

naturalisation des différences. Une « nouvelle organisation impériale des savoirs » se met

alors en place (Chappey in Besse, Blais, Surun, 2010, 205). En France, par exemple, la

réforme de l'Institut de 1803 entérine ces changements : les sciences sont désormais classées,

séparées et distinguées les unes des autres. Ces changements n'excluent pas les savoirs

géographiques, eux-mêmes engagés dans un double processus d'individualisation et de

construction. Le moment 1800 marque un tournant important dans l'histoire de la discipline,

puisque celle-ci cherche à se démarquer des autres sciences, tout en construisant sa propre

identité. Les savoirs géographiques se distinguent d'ailleurs à cette période par leur caractère

de profonde hybridité, conséquence de ce double mouvement. L'utilisation du pluriel (les

savoirs géographiques) est, pour cette raison, préférée au singulier (la géographie) : elle révèle

la très grande hétérogénéité des projets scientifiques qui animent ce domaine en

(re)construction. J.-M. Besse rappelle, dans son introduction à l'ouvrage collectif Naissances

de la géographie moderne (1760-1860), Lieux, pratiques et formations des savoirs de

l’espace, que ce qu'on appelle « géographie » constitue à l'époque un champ de savoirs

traversé par de nombreuses « stratégies de différenciation », thématiques, nationales ou

individuelles (Besse, Blais, Surun, 2010, 7). Plusieurs cultures géographiques coexistent et/ou

s'affrontent. Autour de 1800, les savoirs géographiques se caractérisent ainsi par leur caractère

d'inconstruits scientifiques d'une part, dans la mesure où ils ne possèdent pas de noyau

épistémologique établi et ferme et que les autres disciplines leur fournissent un cadre

théorique et méthodologique, et d'impensés d'autre part, puisque la communauté des

géographes n'opère pas ou peu de retour réflexif et critique sur ses propres pratiques.

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3 Les transformations qui touchent conjointement le politique et les savoirs géographiques se rejoignent dans la conception de l'espace et son aménagement. Les liens entre espace et pouvoir tendent à être réévalués, rétroagissant à leur tour sur la construction des savoirs géographiques. Tout d'abord, ces derniers constituent un outil à l'échelle nationale.

Comme l'illustre l'ouvrage de M.-N. Bourguet, les géographes sont chargés de dresser des portraits statistiques, les plus objectifs et complets possibles, des espaces nationaux (1989).

Pour le dire avec J.-M. Besse, « les savoirs géographiques, loin de servir un idéal cosmopolite, répercutent les divisions du pouvoir d'État, et vont servir d’instrument de contrôle pour l’administration à l’intérieur du territoire » (Besse, in Besse, Blais, Surun 2010, 11.). Cette logique confère au géographe la figure d'un technicien, ou plutôt d'un ingénieur, cartographe ou statisticien, au service du pouvoir politique. Une autre figure très présente, cette fois-ci dans le contexte colonial commençant, est celle du géographe-explorateur. D.

Lejeune souligne même à l'époque la quasi synonymie des deux termes (1993). Les lieux des savoirs géographiques, tels que les sociétés de géographie, relaient fortement la correspondance entre géographie et exploration. La géographie confine dans le contexte colonial à une activité militaire, les états-majors étant d'ailleurs les principaux demandeurs, producteurs et utilisateurs de cartes. Le géographe endosse aussi la fonction de militaire, doublée de celle d’explorateur. Son rôle consiste en la découverte, la reconnaissance et le remplissage des « blancs » de la carte (Laboulais-Lesage, 2004), dans le but de faciliter les entreprises de domination des politiques impérialistes. Si la figure du géographe peut encore être bien autre, en raison de l'hybridité et de la pluralité des savoirs géographiques, elle se marque bien souvent par ses liens de proximité avec le monde politique. Même si les savoirs géographiques portent encore parfois une vocation encyclopédiste, ce qui est le cas pour Humboldt, ils véhiculent aussi de plus en plus les aspirations territoriales du pouvoir politique. Les liens privilégiés entre savoirs géographiques et monde politique européen forment le cœur du présent questionnement.

2) Engager une analyse relationnelle

Si le deuxième terme du binôme conceptuel politics/policy (le politique/la politique) n'est pas complètement évacué, c'est bien avant tout sur le politique que cet article se penche, dans ses liens avec la science de l'espace qu'est la géographie. Par le politique, on entend tout ce qui participe à la cohérence d'une société, dans l'imposition d'un pouvoir spécifique sur un espace particulier, celle-ci étant constituée de normes, d'institutions, d'acteurs et d'organes. Le politique s'envisage à différentes échelles, du local au mondial. Peu d'études croisées ont jusqu’alors été réalisées sur les liens que le politique noue avec le domaine des savoirs géographiques. Les deux domaines ne sont pourtant pas étrangers l’un à l’autre. Géographie et politique sont tout d’abord articulés dans leurs usages. Ceux-ci relèvent de la cartographie, d’une part, et du domaine de l’expertise et de l’intervention, d’autre part (Palsky, 1996).

Ensuite, les champs de la géographie et du politique sont liés, dans le registre des modalités :

les connaissances géographiques sont en effet traditionnellement mobilisées dans les

entreprises de maillage politique des espaces. Enfin, ils s'articulent du point de vue des

périmètres d’objet reconnus par les géographes. Le politique fonctionne comme un objet de la

géographie, dont les modalités analytiques ont largement évolué. Cl. Raffestin (1980)

démonte et démontre bien comment l’on est passé d’une géographie politique centrée sur

l'État

2

à une géographie politique centrée sur l’analyse du pouvoir et de la notion de

dissymétrie. Les travaux d'Y. Lacoste (1976) ont relancé en France l'intérêt porté à la

géopolitique, analysant à toutes les échelles les jeux de pouvoir et leurs conséquences

spatiales. Aujourd’hui, les travaux épistémologiques en viennent à considérer le politique

comme un opérateur de la fabrique géographique. Bien que les champs de la géographie et du

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4 politique aient déjà fait l’objet de regards croisés, peu de travaux ont encore en effet été réalisés de manière systématique sur la place du politique dans le développement et la construction de la discipline. Quelques chercheurs s’intéressent à ce champ de recherche, sans être eux-mêmes, paradoxalement, géographes de formation. Cette question intéresse des philosophes, comme J.-M. Besse (Besse, Blais et Surun, 2010), ou bien des historiens, tels que H. Blais ou I. Laboulais-Lesage (Blais, 2005 ; Laboulais-Lesage, 1999, 2008). Ce travail en appelle d'autres et fait le pari que les géographes eux-mêmes peuvent s’emparer de manière opératoire de cette question. En convoquant les compétences et les approches du géographe, il s'agit de comprendre comment le politique participe à la construction des savoirs géographiques modernes, en en devenant un opérateur clé.

3) Mobiliser une double approche conceptuelle.

La perspective théorique et conceptuelle générale de ce travail s'inscrit dans les grands principes proposés par l'approche externaliste de l'histoire des sciences, d'une part, et dans ceux la sociologie des sciences latourienne, d'autre part. L'approche externaliste réfute, en histoire et en épistémologie des sciences, la vision internaliste longtemps prédominante.

Celle-ci confine à l'établissement de l'histoire des faits et résultats scientifiques ; elle est depuis quelques années critiquée pour sa tendance à isoler toute pratique scientifique de son environnement sociétal (Besse, Blais, Surun, 2010). En contrepoint, l’approche externaliste postule que la production scientifique n’est en aucun cas coupée de son environnement social, culturel et politique (Ibid). Elle soulève, entre autres, la question de l’autonomie et de l’indépendance du scientifique et, à ce titre, interroge les rapports entre science et politique.

La vision essentialiste de la science disparaissant, le monde politique, peu interrogé jusqu’alors dans son rapport à l’histoire des sciences et de leur construction, devient un enjeu croissant de la réflexion épistémologique. L’élucidation des relations entre monde scientifique et monde politique émerge peu à peu en épistémologie de la géographie comme un nouveau champ. Les travaux récents de J.-M. Besse, I. Surun, I. Laboulais-Lesage, H. Blais notamment (Besse, Blais et Surun, 2010, Laboulais-Lesage, 2004, Blais, 2005) illustrent cette nouvelle vision. Les recherches franco-allemandes dans le domaine de l'histoire croisée (Werner, Zimmermann, 2004) supportent largement cette approche et l'alimentent. Une deuxième approche générale, complémentaire de la première et inspirée des travaux en sociologie des sciences de B. Latour, guide cette analyse. L'approche latourienne envisage l'échelle micro, celle des individus. Les scientifiques, en tant qu'individu producteurs de faits scientifiques, constituent ses objets, il les étudie dans des lieux précis, notamment les laboratoires, en les inspectant sous leur forme réticulaire. Il considère les liaisons entre les acteurs, dans leur aspect matériel ou immatériel. Développant l'idée d'interaction des réseaux, il pose l'idée que le fait scientifique est social et construit. Tout en favorisant l'échelle micro de l'individu, il ne néglige pas pour autant les liens que celui-ci entretient avec les échelles supérieures. Avec M.

Callon et M. Akrich, B. Latour défend la théorie de l'acteur-réseau, reprise dans le cadre de cette étude. Cette théorie postule que chaque acteur social individuel fonctionne comme un réseau, puisqu'il tisse une toile de liens distincts et hiérarchisés avec tout un ensemble d'autres acteurs, qu'ils soient de nature politique, économique, culturelle ou autre (Akrich, Callon, Latour, 2006 ; Latour, 2004). L'examen des multiples réseaux construits par chaque acteur est à même de renseigner sur les modalités de la production scientifique. Cette analyse des relations entre savoirs géographiques et politique fonctionne donc en envisageant la dimension réticulaire de ces liens.

B – Les apports de l'exemple humboldtien.

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5 Par son positionnement à la fois dans les sphères scientifique et politique du moment 1800, Alexandre de Humboldt fournit une illustration très riche des liens qui peuvent exister entre ces deux domaines.

1) Un parcours scientifique entre universalisme et spécialisation.

Du côté de la sphère savante, Humboldt se caractérise tout d'abord par son profond et constant engagement pour la science, ainsi que par la très grande continuité de son programme. Il se donne très tôt les objectifs qui seront les siens pendant près de soixante-dix ans. Tous ses travaux, y compris ses voyages, trouvent leur justification dans les orientations conçues dès sa formation de jeunesse. Dès ses premiers écrits (voir Jugendbriefe, Humboldt, 1973), Humboldt fait ainsi part à ses correspondants du désir qui l'anime de se consacrer à la physique du monde, ou à l'histoire naturelle descriptive comme il la nomme également. Toute sa vie, aussi bien personnelle que scientifique, il se consacre à cet objectif initial, qui trouve son aboutissement le plus complet dans Kosmos, l'œuvre reflet de la programmatique humboldtienne. Le but ultime de Humboldt demeure la compréhension de la physique du globe, la construction de la géographie comme science du monde, lieu d'unité des disciplines et des éléments de la nature (Werner, 2004).

Dans ce programme dédié à la compréhension cosmologique du monde, les savoirs géographiques tiennent une place prépondérante. Humboldt y entre par la botanique, au contact notamment du prussien Willdenow. Cette branche de l'histoire naturelle le mène à la géographie des plantes, dont il renouvelle l'approche et les méthodes et qui fonde sa vision géographique du monde. Lors de son voyage américain, Humboldt considère la géographie des plantes comme « la base de nos travaux » (Lettre à Bonpland de date inconnue, in Hossard 2004, 58). A partir d'elle, il pose quelques principes forts, qui soutiennent l'ensemble de son programme scientifique et sa conception des savoirs géographiques. Tout d'abord, la volonté de tenir dans une même unité la diversité du monde guide son approche théorique et méthodologique. Humboldt se distingue en effet par ses « grandes vues », sa capacité de tenir ensemble, dans une même analyse, des phénomènes multiples, de natures et d'échelles différenciées. Sa vision géographique du monde mêle constamment le macro et le micro : pour comprendre celui-là, il faut observer avec précision celui-ci, d'où une profusion de mesures et d'observations. Chaque fait, dans son unicité et sa localité, participe du fonctionnement global du monde, et revêt donc une importance spécifique dans le système analytique humboldtien. A la capacité de jouer sur les échelles d'analyse s'ajoute le principe comparatif. Humboldt tient non seulement compte des différentes expressions scalaires d'un phénomène localisé, il relie aussi deux phénomènes semblables, spatialement ou temporellement éloignés. En 1829, il s'interroge par exemple avec Arago sur les mines de platine de l'Oural et de Sibérie, « infiniment curieuses sous le rapport de leur analogie avec les Andes » (Lettre du 25 février 1829, Humboldt 1905, 54).

L'investissement humboldtien pour les savoirs géographiques surpasse celui engagé dans bien d'autres domaines. Comme l'écrit H. Beck « Infolgedessen hat Alexander von Humboldt auch in keiner anderen Wissenschaft ähnlich stark nachgewirkt wie in der Geographie. »

3

(Beck, in Hein 1985, 238). A ce titre, il apparaît pertinent de questionner la part du politique dans sa façon de faire de la géographie.

2) Une extrême volonté d'indépendance

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6 Avant de mesurer la présence du politique dans le projet géographique humboldtien, il faut rappeler son refus de confondre sa carrière scientifique avec un engagement politique, en dépit d'opinions libérales nettes. Humboldt reste toujours ferme dans sa volonté de s'écarter du monde politique. Son devoir consiste uniquement dans les progrès des sciences et des Lumières. Plus sa célébrité scientifique augmente et plus il affirme ce besoin d'affranchissement vis-à-vis du politique. Cette citation d'une lettre écrite à Arago en 1827 exprime ce besoin :

« Plus je suis rapproché de la Cour et plus il me paraissait utile de prouver que ma première ambition est celle d’un homme de lettres. » (Lettre du 20 août 1820, Humboldt, 1907, 31).

Comme un élan vital, Humboldt répète régulièrement, et avec force, cette nécessité que représente pour lui la stricte séparation d'avec le monde politique. Plusieurs lettres adressées à son frère depuis la Russie, dont la suivante, contiennent la confirmation de cet impérieux besoin. Dans la mesure de ses obligations, Humboldt tient à éviter toute responsabilité le plaçant directement sous une autorité politique :

« Je refuserai non seulement la place de directeur, mais encore toute direction, présidence permanente d'une commission qui dirigerait. Je serai aux ordres du Roi, pour tout ce qui est transitoire comme tu l'es aujourd'hui, je serai même heureux de te débarrasser de ce qui pourrait peser sur toi : mais je pense que les grandes bases une fois arrêtées, ta commission se trouvera l'hiver sans s'assembler plus d'une fois;

pour moi, je prie Dieu, que Br. accepte; ce n'est que par haine contre lui qu'on s'acharne sur moi.

D'ailleurs à mon départ, j'ai exposé clairement et prudemment à Albr. Witzl. et Wittg., comment d'aucune manière, je voulais appartenir à un établissement, auquel je pourrai être utile, comme je l'ai été jusqu'ici, en travaillant dans la Chancellerie du Roi. Je répéterai ces assertions dans les lettres que j'écrirai d'ici et je te conjure, mon cher frère, de faire partout cette déclaration en mon nom. Je sais, que tu l'as déjà fait, et je t'en remercie infiniment. » (Lettre du 2 (14) juillet 1829, Humboldt, 2009, 145).

Pourtant, Humboldt est depuis sa jeunesse inséré dans les cercles politiques et mondains, de Prusse et de Berlin tout d'abord, puis de toute l'Europe au fil de ses déplacements. Lui-même a bien conscience de l'impossibilité, pour un savant, de se détacher totalement du monde politique dans lequel il évolue, comme il l'écrit à son ami Willdenow dès 1789 :

« So schwer ist es, wenn das Wollen dem Müssen folgen soll. »

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(Lettre du 5 décembre 1789, Humboldt, 1973, 78).

Malgré la difficulté de se plier à cette réalité, la lucidité humboldtienne sur les conditions requises pour exercer une carrière scientifique l'emporte. Le moment des voyages permettent de saisir comment Humboldt conjugue perpétuellement son exigence d'indépendance et son insertion dans le monde politique.

3) Une entrée par le voyage...

Le moment du voyage porte des enjeux forts, qu'on le considère du point de vue humboldtien ou bien du point de vue historique et épistémologique. Il constitue pour cette raison un angle d'approche opératoire pour la saisie des liens entre politique et savoirs géographiques.

Les voyages possèdent pour Humboldt une double dimension, ils sont à la fois

profondément personnels et scientifiques. S'inscrivant dans la transition romantique du début

du XIX ème (Bourguignat, Venayre, 2007), Humboldt est en effet mû par une tension vers

l'ailleurs, l'inconnu, le lointain. En 1844, il écrit dans le chapitre d'ouverture de son Kosmos

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7 qu'il a eu une « vie très mouvementée » (Humboldt, 1845), au sens premier du terme. Il ne cesse en effet de parcourir le monde, jusqu'à la fin de sa vie. O. Ette parle de lui comme d'« un individu pour qui partir a toujours été plus important qu'arriver » (Ette in Besse, Blais, Surun, 2010, 21). Le mouvement et le voyage sont inscrits en lui, comme une nécessité vitale. A l'occasion de ses voyages, Humboldt déclame volontiers dans sa correspondance sa joie d'évoluer dans un nouvel univers. Une fameuse formule écrite à son ami Willdenow exprime son sentiment de plénitude :

« Die Tropenwelt ist mein Element, und ich bin nie so ununterbrochen gesund gewesen als in den letzten 2 Jahren. »

5

(Lettre du 21 février 1801, Humboldt, 1993, 126).

Son corps et son esprit se ressentent du fait d'être en voyage, tout se passe comme si Humboldt se réalise pleinement à l'occasion de ses voyages scientifiques (Ette, 2009). De plus, il lie intimement le déroulement de sa vie aux expéditions qu'il entreprend. Il découpe en effet sa vie en trois sections, chacune étant bornée par ses deux grands voyages transcontinentaux (Amérique et Asie) : de 1769 à 1799, de 1799 à 1829 et de 1829 à la fin de sa vie. L'expérience des voyages confère une scansion de nature ontologique à la vie de Humboldt. Ils le marquent dans son corps et dans son esprit et représentent ainsi pour lui des moments existentiels forts. De plus, chaque voyage prend également place dans le programme de recherche humboldtien comme un maillon essentiel. Dans la transition disciplinaire à l'œuvre à la charnière du XIX ème siècle, Humboldt contribue à faire du voyage une étape essentielle des études géographiques, en en faisant un moment obligé. En effet, Humboldt érige le voyage en un moment de collecte de faits scientifiques (par la mesure, l'observation et la collecte) et de validation de ses hypothèses, en procédant notamment par comparaison. Au même titre que toute autre entreprise scientifique, le voyage s'inscrit donc dans son parcours scientifique général et tend à mener celui-ci à son terme. De plus, il lui permet de mettre en application ses principes géographiques : comparaison dans le temps et dans l'espace, recueil de données locales pour alimenter une vision globale des phénomènes de la nature. Il explique cette démarche pour son voyage américain dans son Histoire de la géographie du Nouveau Continent :

« Je me flattais de l'espoir qu'un long séjour dans les régions les moins visitées du Nouveau-Monde, la connaissance locale du climat, des sites et des mœurs, l'habitude de déterminer la position astronomique des lieux, de tracer le cours des rivières et des chaînes de montagne; enfin le soin le plus minutieux de recueillir les différentes dénominations que, dans la merveilleuse variété de leurs idiomes, les indigènes donnent aux mêmes points, me feraient connaître dans les récits des premiers voyageurs certaines combinaisons de faits qui devaient avoir échappé à la sagacité des géographes et de historiens modernes de l'Amérique. » (Humboldt, 1836, XI-XII).

Cet extrait montre comment le voyage fonctionne pour Humboldt comme un amont et un aval de sa production scientifique, lui permettant le recueil d'informations neuves et la vérification de faits ou hypothèses anciens.

Les expéditions humboldtiennes s'insèrent, de plus, dans le contexte de refondation

des rapports entre le politique et les savoirs géographiques. Dans l'élaboration des identités

nationales comme dans la conquête coloniale, dans la construction des savoirs géographiques

modernes comme dans le programme scientifique humboldtien, le voyage occupe une place

importance, qui tend à se renforcer, par sa résonance épistémologique et méthodologique. Il

constitue une pratique en renouvellement, tant dans sa conception que dans les modalités de

sa réalisation. Cette importance plurielle justifie le choix des voyages humboldtiens comme

objet et support de l'analyse relationnelle du couple scientifique/politique. Cette étude se

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8 propose donc d'examiner spécifiquement le questionnement suivant : dans quelle mesure la présence et l'influence d'acteurs du monde politique dans le déroulement de ses voyages géographiques participe-t-elle du projet scientifique d'Alexandre de Humboldt ? A cette interrogation principale s'ajoutent les suivantes : dans quelle mesure le contexte politique est- il une contrainte aux déplacements et aux travaux géographiques de Humboldt ? Quelle est la posture du savant prussien face à la sphère politique ? En quoi la dimension politique d’Alexandre de Humboldt le conduit-elle à modifier et à adapter ses pratiques géographiques, en l’occurrence la conduite de ses voyages ? Ces questions définissent les axes de recherche essentiels, à savoir les acteurs, les modalités et l'évolution de la relation entre un scientifique et le politique, ainsi que l'enjeu du positionnement humboldtien face aux représentants du monde politique.

4) … et par un corpus épistolaire

Pour approcher cette relation, l'analyse se concentre sur quatre voyages, ou ensembles de voyages. Ils ne constituent pas la totalité des voyages ou excursions à but scientifique réalisés par Humboldt, mais forment un ensemble représentatif et cohérent. Des critères de disponibilité et de volume épistolaire d'une part, une question de pertinence, d'autre part, ont guidé le choix des voyages et donc des corpus. Quatre ensembles ont été retenus, pour un total de sept voyages. Le premier ensemble regroupe trois voyages de jeunesse, réalisés entre 1789 et 1790. Le voyage américain (1799-1804), pierre angulaire de la carrière scientifique humboldtienne, forme le deuxième voyage. Viennent ensuite les deux voyages italiens de 1805 et 1822, pour le troisième ensemble. Enfin, le quatrième voyage est constitué du voyage asiatique réalisé en 1829. Les voyages se distinguent entre eux aussi bien dans leurs durée, destination, motif scientifique et modalités pratiques. A chaque ensemble de voyages correspond un corpus épistolaire associé : quatre ensembles de lettres principaux forment donc le cœur des sources textuelles sur lesquelles portent l'analyse. S'y ajoutent d'autres textes, de natures hétérogènes (correspondances, discours, ouvrages publiés par Humboldt ou par ses contemporains essentiellement), dont la lecture permet l'éclairage contextualisant de certains événements.

L'immensité de la correspondance humboldtienne fait du matériau épistolaire une source riche, et jusqu'alors assez peu utilisée en histoire et en épistémologie des sciences. Le texte épistolaire porte ici les caractéristiques du texte scientifique : il exprime une intention de connaissances, il est reconnu par une communauté savante et s’inscrit dans un espace de publication spécifique (Berthelot, 2003). Dans le contexte de la construction des savoirs géographiques, le matériau textuel « lettre » offre à l'analyse les instantanés de la conception scientifique humboldtienne, dans sa continuité aussi bien que dans ses évolutions. La correspondance confère donc de précieuses informations sur le fonctionnement concret de la science humboldtienne, et porte en même temps la représentation que le savant-géographe s'en fait. La lettre crée également un espace spécifique, entre son auteur et son destinataire, ces deux catégories pouvant concerner des entités aussi bien individuelles que collectives.

« Partout, la correspondance organise et délimite un espace, à géographie variable, d’échanges

et de transactions symboliques » écrit P.-Y. Beaurepaire (2002, 26). La correspondance va en

effet de pair avec un enjeu identitaire : l’échange de lettres permet à un, deux ou plusieurs

individus d’affirmer et de revendiquer une position et des attentes particulières. Envisager les

savoirs géographiques relatifs au voyage sous l’angle de la correspondance dépasse

l'appréhension de leurs seules conditions théoriques et pratiques, cela invite à questionner les

liens entre Humboldt, en tant que représentant individualisé d'une communauté scientifique et

géographique, et le monde politique. La correspondance fonctionne alors comme une

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9 interface entre les deux pôles de l'analyse relationnelle. Grâce à son écriture régulière (fréquence quotidienne), la correspondance humboldtienne offre un aperçu direct et cursif des modalités matérielles, logistiques, théoriques de sa pratique scientifique, de même que du contexte relationnel (avec la communauté savante, avec les autres sphères de la société) dans lequel elle s'effectue. Elle constitue donc également dans sa matérialité même, d'un point de vue historiographique et épistémologique, une interface entre le chercheur et son objet.

C – Le politique, opérateur des voyages humboldtiens.

Les premiers résultats de l'analyse relationnelle menée à partir du corpus humboldtien font, dans un premier temps, apparaître que le politique participe presque toujours aux expériences de terrain de Humboldt, et ce en augmentant dans le temps. Il y a « incrustation » des deux sphères l'une dans l'autre (Castoriadis, 1975).

1) La très forte incrustation du politique

L'incrustation du contexte politique se manifeste de deux façons. Tout d'abord, Humboldt subit les aléas de la situation géopolitique européenne parfois chaotique. Nombre de ses voyages connaissent des perturbations du fait d'affrontements ou de difficultés de circulation. L'état et l'évolution des relations diplomatiques entraînent régulièrement des modifications de ses voyages, en termes de calendrier, d'itinéraires ou encore d'organisation logistique. Le départ du voyage américain est ainsi retardé à plusieurs reprises, comme Humboldt l'évoque au début de sa Relation Historique (1814, 40) :

« Peu de particuliers ont eu à combattre des difficultés plus nombreuses que celles qui se sont présentées à moi avant mon départ pour l’Amérique espagnole ; j’aurais préféré n’en point faire le récit, et commencer cette relation par le voyage à la cime du Pic de Ténériffe, si mes premiers projets manqués n’avaient influé sensiblement sur la direction que j’ai donnée à mes courses depuis mon retour de l’Orénoque. J’exposerai donc avec rapidité ces événemens qui n’offrent aucun intérêt pour les sciences, mais que je désire présenter dans leur vrai jour. (sic) » (Livre I, Chapitre I).

Le moment 1800, caractérisé par une grande instabilité militaire, diplomatique et géopolitique que Humboldt résume en « Epoche der Unschlüssigkeit »

6

, introduit des éléments de discontinuité dans la continuité du programme scientifique humboldtien.

Plus encore que le jeu des relations interétatiques, c'est la mainmise progressive des acteurs politiques fréquentés qui interfèrent dans le déroulement des voyages humboldtiens.

En effet, un jeu de don et de contre don (Mauss, 1923-1924) conduit progressivement à la

mise en place d'une rétroaction positive, le voyage humboldtien se réalisant de plus en plus en

interaction avec les sphères du pouvoir politique européen (dans les espaces prussien, français

et espagnol pour les plus importants). En contradiction avec son désir le plus profond et

intime, au fil des voyages, Humboldt incarne de plus en plus la figure du Hofmann, de

l'homme de cour, dont les activités scientifiques interagissent avec les acteurs politiques. A

mesure que la reconnaissance scientifique humboldtienne grandit, les acteurs politiques la

récupèrent à leur compte. Celle-ci devient alors un outil politique de construction d'une

identité territoriale. Le degré maximal de cette récupération politique est atteint en Prusse, où

Frédéric-Guillaume III use pleinement de la renommée humboldtienne dans son projet

d'affirmation nationale et métropolitaine. En saluant les apports des travaux humboldtiens et

en lui assurant tout au long de sa vie les moyens de les poursuivre, il s'assure le contrôle et

l'usage de cette figure scientifique majeure. La lettre suivante, écrite par le roi à Humboldt

illustre ce processus :

(11)

10

« Cher et particulièrement affectionné féal,

J'ai vu avec le plus vif intérêt, par votre lettre du 3 de ce mois, que vous êtes revenu sain et sauf de votre voyage, qui est si important pour l'histoire naturelle et pour l'ethnographie, et que vous pensez à présent de rentrer dans votre patrie, après avoir fini vos affaires littéraires à Paris et visité votre frère à Rome, pour vivre à Berlin pour la science et pour vous occuper de la publication de vos manuscrits sud- américains et de vos dessins. Je vous accorde sans hésitation la permission de rester jusqu'à l'été prochain en France et en Italie, car il faut que je rende justice aux motifs qui vous y décident, malgré le vif désir de faire la connaissance d'un homme qui, par amour pour la science, s'est exposé, avec une persistance jusqu'alors inconnue, pendant des années aux plus grandes peines et aux plus grands dangers, et qui a par là enrichi son pays d'une nouvelle gloire. J'ajoute à cette permission l'assurance, que vous recevrez après votre retour, non seulement la distinction due à votre glorieux mérite, mais encore un traitement annuel, qui vous permettra de vivre pour vous et pour les sciences. Le cadeau que vous voulez faire de vos collections à mon cabinet minéralogique mérite mes cordiaux remerciements, non seulement à cause de sa valeur exceptionnelle, mais encore parce qu'il prouve votre indiscutable amour pour votre patrie. Je les attends avec impatience, ainsi que le rare morceau de platine dont vous voulez enrichir mon cabinet; et je ne suis pas moins reconnaissant que vous ayez pensé à enrichir mon jardin botanique de semences rares.

Je reste, avec une estime toute spéciale,

Votre gracieux roi. » (Lettre du 25 septembre 1804, Humboldt, 1905, 235-236).

Le voyage américain constitue la pierre d'angle de cette rétroaction : à partir de 1804, date du retour de Humboldt sur le continent qui inaugure la diffusion de son travail, se mettent en place les modalités durables de sa relation avec le politique. Ce voyage confère certes au savant une reconnaissance aussi bien scientifique que politique mais surtout, du fait de son étroitesse financière à son retour, Humboldt se voit contraint d'accepter les offres qui lui sont faites. L'engrenage s'installe alors pour longtemps, puisque chaque voyage suivant comporte l'empreinte, plus ou moins marquée, d'acteurs politiques. Celle-ci peut être de nature logistique, économique, administrative ou encore morale. L'expédition asiatique constitue l'acmé de ce processus d'incrustation du politique, puisque le pouvoir russe non seulement confère à Humboldt la possibilité de réaliser ce voyage, mais encore pourvoit à tous ses besoins. Sans l'intervention des plus hautes autorités russes, le projet du voyage asiatique serait resté lettre morte (Ette, 2007). Comme Humboldt l'exprime à son frère, l'expédition russe c'est « L'Orénoque plus les épaulettes », symbolisant par là la perpétuelle intrication du scientifique et du politique. Cette logique préside au déroulement des voyages humboldtiens : ceux-ci ne se démarquent pas d'une certaine dépendance à la sphère politique, dont seul, selon les voyages, diffère le degré.

2) Entre résilience et perturbation du projet épistémologique humboldtien.

Les conséquences de l'incrustation du politique dans les voyages s'expriment diversement. Dans la plupart des cas, Humboldt ne subit que des interférences mineures, qu'il convertit bien souvent en opportunités. Parfois, son programme général connaît de plus profondes mutations.

Humboldt démontre au fil de ses voyages une remarquable capacité d'adaptation aux

circonstances extérieures ; il parvient ainsi généralement à limiter à un ordre pratique les

conséquences de l'incrustation du politique. Le voyage américain constitue le parangon de la

résilience du projet humboldtien. Les événements des années précédant son départ perturbent

grandement ses plans : il rêve notamment d'expéditions en Égypte et en Algérie, toutes

rendues impossibles par la guerre qui sévit en Europe. Malgré l'enchaînement des revers, il ne

manque jamais de rebondir sur les nouvelles opportunités offertes et d'élaborer des directions

(12)

11

« conforme[s] à ce nouveau projet ». Dans l'extrait suivant de la Relation Historique (1814, 42), Humboldt relate comment, d'une part il saisit toute occasion, et, d'autre part, comment le projet avorté de voyage le long du Nil avec Lord Bristol porte tout de même ses fruits :

« Quoique mes vues n’eussent pas été fixées jusque là sur une région située hors des Tropiques, je ne pouvais résister à la tentation de visiter des contrées si célèbres dans les fastes de la civilisation humaine.

J’acceptai les propositions qui m’étaient faites, mais sous la condition expresse que, de retour à Alexandrie, je resterais libre de continuer seul mon voyage par la Syrie et la Palestine. Je donnai dès lors à mes études une direction qui était conforme à ce nouveau projet, et dont j’ai profité dans la suite, en examinant les rapports qu’offrent les monumens barbares des Mexicains avec ceux des peuples de l’ancien monde. Je me croyais très près du moment où je m’embarquerai pour l'Égypte, quand les événemens politiques me firent abandonner un plan qui me promettait tant de jouissances. La situation de l’Orient était telle, qu’un simple particulier ne pouvait espérer de suivre des travaux qui, même dans des temps plus paisibles, exposent souvent le voyageur à la méfiance des gouvernemens. (sic) » (Livre I, Chapitre I).

La résilience humboldtienne s'exprime également par sa capacité d'enthousiasme. Chaque choix, tout comme chaque revers ou impossibilité, est vécu avec la même volonté : dès lors que l'expédition envisagée offre une quelconque utilité scientifique et lui permet de progresser dans ses objectifs, Humboldt déploie ses capitaux, matériels, scientifiques et moraux, pour la réaliser. En 1829, il exprime ce sentiment à son frère depuis Jecatherinbourg :

« Eine Sibirische Reise ist nicht entzückend wie eine Südamerikanischereise, aber man hat das Gefühl etwas Nützliches unternommen und eine grosse Länderstrecke durchreist zu haben. »

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(Lettre du 9 (21) juin 1829, Humboldt, 2009, 138)

Par son caractère et sa capacité à mobiliser des énergies, les interférences des acteurs politiques ne touchent réellement que les aspects pratiques (itinéraire, calendrier) des voyages.

Les conditions changent dans le cadre du voyage russe de 1829. Lorsqu'il se le voit offrir par le gouvernement russe, Humboldt sait qu'il ne peut refuser. D'un point de vue scientifique, car cela représente une occasion unique et longtemps attendue

8

. D'un point de vue politique, car les relations russo-prussiennes pourraient en pâtir. Il a conscience de devenir ainsi l'obligé de la Russie, sous le coup des exigences du tsar et de son ministre.

Ceux-ci lui demandent explicitement de ne pas s'intéresser dans ses travaux au volet humain et social de l'Empire russe, spécialement au servage et aux conditions des classes inférieures.

Humboldt y consent, le rappelant sans détour dans une lettre à Cancrin :

« Es versteht sich von selbst daß wir uns beide nur auf die todte Natur beschränken und alles vermeiden was sich auf Menschen Einrichtungen, Verhältnisse der untern Volks-Classen bezieht : was Fremde, der Sprache ankundige, darüber in die Welt bringen, ist immer gewagt, unrichtig und bei einer so complicirten Maschine, als die Verhältnisse und einmal erworbenen Rechte der höhern Stände und die Pflichten der untern darbieten, aufreizend ohne auf irgend eine Weise zu nüzen. »

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(Lettre du 5 (17) juillet 1829, Humboldt, 2009, 148)

Cette exigence le soumet à une très forte obligation de réserve, qu'il intègre parfaitement comme une condition sine qua non, s'il veut réaliser jusqu'au bout son voyage. O. Ette analyse les conditions du voyage russe comme une sérieuse entrave à la science humboldtienne :

«Sûrement la science humboldtienne à orientation transdisciplinaire connaissait ainsi dès le

départ de sévères bornes et limites. Humboldt a dû se taire. » (Ette, in Besse, Blais, Surun,

2010, 26). Par le renoncement, cette fois thématique, de la dimension humaine et sociale de

son étude, son expédition marque un « effacement général de la dimension cosmopolitique,

interculturelle et surtout démocratisante de compréhension de la science » (Ibid). Humboldt se

(13)

12 trouve en effet pris dans un nœud gordien. Ses échecs successifs et la volonté de parvenir à ses fins scientifiques l'enjoignent d'accepter cette opportunité unique, alors que le fait même d'accepter le place dans l'obligation de censurer son travail et de le soumettre à l'aval d'acteurs politiques, chose à laquelle il tente pourtant d'échapper par tous les moyens au cours de sa vie.

Le voyage russe constitue donc un cas vraiment à part dans les expéditions de Humboldt, dans la mesure où il sert la cohérence de son projet autant qu'il la brime, en bornant très strictement ses domaines d'étude.

D - Le géographe du moment 1800 forcément Mittler ?

L'influence quasiment constante du politique dans les activités de voyage de Humboldt interroge également les postures de celui-ci et, plus généralement, de tout savant. Comment le scientifique se positionne-t-il face au politique ? Et quelles en sont les conséquences sur ses activités ?

1) Alexandre de Humboldt face au politique : entre incrustation et distanciation.

Le positionnement humboldtien se caractérise par sa pluralité et son ambivalence. Il oscille en effet entre une certaine acceptation résignée et une distanciation fantasmée de la présence d'acteurs politiques dans ses activités scientifiques. A partir de ses voyages, quatre principales postures humboldtiennes se distinguent.

Humboldt incarne tout d'abord un voyageur contrarié. Comme explicité plus haut, les acteurs politiques européens interviennent de plus en plus, en termes pratiques et parfois épistémologiques, sur le déroulement de ses expéditions. Le tourbillon politique, confinant souvent à la satisfaction de mondanités, l'assaille. Cela donne régulièrement lieu dans sa correspondance sinon à des plaintes directes, du moins à la dénonciation de cette perte de temps. Il écrit par exemple d'Italie à son frère en 1822 dans les termes suivants :

« Quelle agitation morale que celle des 3 derniers mois. Les mosquitos de Cassiquiare m'ont laissé plus de calme... » (Lettre du 10 décembre 1822, Humboldt, 1880, 109).

Plus que contrarié, Humboldt se retrouve bien souvent l'obligé des acteurs politiques qui soutiennent et encadrent ses pratiques de voyages. En dépit de l'affirmation, qui reste dans le domaine du rêve, de son indépendance scientifique, Humboldt n'a souvent d'autre choix pour mener à bien ses projets que de se placer sous la coupe et l'autorité des puissants.

L'extrait suivant d'une lettre au Ministre Altenstein illustre la façon dont Humboldt est pris dans l'engrenage politique :

« Ew. Excellenz geruhen nun, gewogentlichst zu entscheiden, ob ich dir noch unangewandten 5707 francs sogleich zurückzahlen soll, oder ob ich dieselben, der in dem Schreiben des Herrn Grafen von Bülow festgesetzten Bestimmung gemäß, zu den 5ten Band der Nova Genera, dessen Druck ich so eben beginnen wollte, anwenden darf ? »

10

(Lettre du 1er juin 1820, Humboldt, 1985, 43).

Le financement de ses activités constitue, entre autres et au même titre que la protection

physique et intellectuelle de sa personne dont il jouit, un moyen pour le politique de contrôler

le travail du savant. La lecture des dédicaces des œuvres publiées par Humboldt est souvent

riche d'informations et conforte l'idée qu'une certaine schizophrénie humboldtienne se

développe.

(14)

13

« C'est pour moi un devoir sacré et doux à remplir que de déposer ici le tribut de ma vive et respectueuse reconnaissance. L'expédition, dont Votre Majesté Impériale a daigné me confier la direction, a offert un caractère particulier, celui qui distingue au plus haut degré notre époque, le libre développement des facultés intellectuelles. Votre Majesté Impériale n'a voulu rien prescrire sur les régions que j'aurais à visiter. » (Humboldt, 1843).

Ainsi commence l'ouverture de son Asie Centrale (1843), alors que les ordres du Ministre Cancrin prescrivaient explicitement une réduction des thématiques de recherche humboldtienne et alors qu'à Schumacher il dépeint tout autrement l'écriture de sa dédicace au tsar Nicolas I er :

« Es hat mir viel gekostet, die 3 Bände meiner « Asie Centrale » dem Russischen Kaiser zu dediciren. Es musste geschehen, da die Expedition auf seine Kosten geschehen war. Mein Verhältnis zu dem Monarchen ist mannichfaltig seit 1829 zerrütet wegen meiner politischen Sendungen nach Paris. Die Dedication, mit Arago selbst verabredet und durchgesprochen, ist meiner würdig und geschickt. Der Kaiser hat mir sein Portrait geschickt : es würde mich gereizt haben, wäre gar keine oder eine kältliche Antwort (avec économie de chaleur, à température philosophique) erfolgt. »

11

(Lettre à Christian Heinrich Schumacher, du 22 mai 1843, Humboldt, 1979, 112).

Humboldt fait usage ici d'un double mode d'écriture, on/off, ajusté selon le destinataire de ses lignes. L'attitude envers Nicolas I er est paradigmatique de celle qu’il adopte généralement envers les hommes politiques : officiellement, il salue leurs actions, obligé qu'il est de reconnaître qu'il a besoin d'eux ; officieusement, dans la sphère privée et à discrétion de ses proches, il ne ménage pas ses critiques. C'est précisément sa posture d'obligé du monde politique qui l'enjoint à ce double registre d'énonciation.

En tant qu'obligé des acteurs politiques, Humboldt tend parfois à se faire expert scientifique. Sa dette, il la rembourse en effet à plusieurs reprises en réalisant des diagnostics territoriaux sur des espaces spécifiques. Deux situations relationnelles peuvent exister : soit Humboldt est explicitement mandaté par le politique, avec un but précis ; soit il offre lui- même spontanément ses services. Le voyage asiatique illustre le premier cas, puisque le Ministre Cancrin et la famille impériale russe lui demande de découvrir des diamants, ce qu'il contribuera à faire lors de son passage dans l'Oural en 1829

12

. En 1804, alors qu'il se trouve avec Bonpland dans la Nouvelle-Espagne, Humboldt envoie spontanément au vice-roi Iturrigaray le rapport de ses activités ; il lui dresse un tableau du royaume publié sous le titre Statistiques de la Nouvelle-Espagne. Dans cette lettre du 3 janvier 1804, Humboldt expose au vice-roi sa démarche :

« He reunido en el papel adjunto todo quanto he calculado sobre la superficie o área, la población, la agricultura, las minas, el comercio... de estos vastos dominios. Me lisongeo que este penoso trabajo que me atrevo dedicar a V.E. Como une debil prueva de mi eterna Gratitud, no disagradara a un Virey que desde los primeros dias de su feliz Gobierno ha dado tan bellas y repetidas pruevas de su amor por la humanidad. »

13

(Humboldt, 1993, 264)

Dans les deux cas, Humboldt interagit par le biais de ses travaux géographiques sur la construction de l'espace par le politique. L'Oural devient après son passage l'Eldorado russe, reconnu comme tel par les plus hautes autorités. Humboldt lui-même est décoré par le tsar. Le Mexique réinvestit également les travaux humboldtiens, en saluant leurs apports :

« Au Mexique le gouvernement fédératif républicain va à merveille. Mon ami intime M. Aleman est à la

tête du Ministère. Le Pouvoir exécutif m'a fait écrire au nom de la nation une belle lettre de remerciment

(sic) pour les services que j'ai rendus en faisant connaître au monde les sources de leur grande prospérité

intérieure. Il n'y a pas de doute que sans mon courage il n'aurait pas trouvé en Angleterre pour les mines

(15)

14

seules trois millions de livres St. (sic) » (Lettre de Alexandre à Guillaume de Humboldt du 15 octobre 1824, Humboldt 1880, 135).

O. Ette analyse la posture de l'expert comme la continuité de l'incrustation du politique dans sa pratique scientifique : « His cosmopolitics were not limited to a mere politics of science often signifying material and intellectual sponsorship ; it included also a continuous activity as counsellor regarding the exploitation of mineral resources in Mexico or the realization of one of his favorite projects, the intercontinental channel in Central America. »

14

(Ette, 2001).

Mais, comme il le souligne également, son activité d'expertise lui offre des opportunités scientifiques. Les réflexions sur l'isthme de Panama, dont il est ici question, trouvent leur origine dans les sollicitations du Président Jefferson, mais n'en constituent pas moins un des centres d'intérêt majeurs de Humboldt (Päßler, 2010). Comme les autres, la posture de l'expert fait apparaître la duplicité humboldtienne, prise entre ses convictions intimes et ses actions concrètes.

La posture cosmopolitique tend au contraire à distancer le politique, Humboldt cherchant à se dépolitiser en incarnant la figure du Weltbürger. Sa conception cosmopolitique du monde ne possède pas seulement un versant scientifique, comme le titre de son œuvre majeure, Kosmos, le rappelle (Werner, 2004). Elle imbrique aussi une dimension sociétale : Humboldt fait du monde sa patrie, considérant, selon ses convictions les plus intimes, la science comme apolitique et, partant, sans appartenance nationale ou étatique. Cette posture s'inspire directement des écrits kantiens (Kant, 1784). Elle résonne pour l'humanité entière, Humboldt défendant la vision d'une marche constante vers le plein accomplissement de l'Homme, mais aussi pour lui-même. Humboldt envisage en effet dans les années 1820 de fonder un centre scientifique au Mexique, qui reflèterait ses convictions les plus profondes : engagement entier pour la science assorti d'un détachement des contraintes politiques. Il expose son idée de la sorte à Jean-Baptiste Boussingault :

« Quoique l’avenir soit couvert d’un nuage, je crois pourtant avoir la certitude de vous revoir dans cet autre Monde, je dis plus, de vous posséder dans ma maison et de partager vos travaux. Un établissement dans une des grandes villes des Cordillères, une belle collection d’instruments, des appareils météorologiques, magnétiques, distribués à de grandes distances, une centralisation des observations, une correspondance active établie depuis la Plata jusqu’à Santa Fé de Bogota, une réunion de jeunes gens instruits, courageux, actifs, propres à être employés par les différents gouvernements, et à agir d’après les mêmes vues, beaucoup d’indépendance, des facilités de la part des hommes puissants, quelque bienveillance en Europe pour se procurer tout ce qu’il y a de mieux, -cela ne peut rester en rêve. Il n’y a pas de position qui puisse être plus importante pour les progrès des Sciences. Pourquoi ne passeriez-vous pas dans une maison où vous trouveriez tous les soirs de l’amitié, l’estime due à votre rare mérite et cette indépendance morale sans laquelle il n’y a pas de bonheur. » (Lettre du 5 août 1822, Humboldt 1905, 287).

2) Exemplarité ou exceptionnalité de l'exemple humboldtien ?

L'échec du projet mexicain, Humboldt ne pouvant financièrement se passer des dons du roi de Prusse, questionne la réalité même d'une séparation du politique et du scientifique.

La pratique de ses activités scientifiques et géographiques, voire même la conduite de ses

aspirations personnelles, ne semblent pas pouvoir s'envisager entièrement détachées du

politique. Surtout, lorsque l'on considère les différentes postures humboldtiennes, aucune

n'apparaît ni pleinement dans le domaine politique ni strictement dans le domaine

scientifique. Toutes se caractérisent par leur plus ou moins forte tension entre les deux. Même

si celle-ci varie dans son degré et sa nature, elle n'en constitue pas moins un mode de

fonctionnement permanent de la science humboldtienne, rejaillissant sur sa conception des

(16)

15 savoirs géographiques. Humboldt incarne donc essentiellement la figure du Mittler, au sens élargi. Plus qu'un passeur entre science et politique, Humboldt ménage et négocie sans cesse les modalités de leur relation. Il est Mittler, dans le sens où, quoiqu'il désire, il est de fait engagé dans les deux sphères à la fois. Il est Mittler, aussi, parce qu'il cherche dans chaque situation une position moyenne. La « schizophrénie » humboldtienne, expression d'O. Ette (2001), consiste moins, de fait, en un intenable équilibre qu'en une tension négociable et négociée. Tout comme les acteurs politiques, Humboldt défend ses enjeux et ses attentes.

Pour jouer sur le double sens du mot allemand, Humboldt cherche et réévalue perpétuellement son Mittel

15

, c'est-à-dire la configuration relationnelle lui permettant de tenir son positionnement. Sa posture essentielle de Mittler influence bien évidemment sa science : le voyage géographique se réalise dans une constante interaction et l'espace devient un objet d'étude construit à l'intersection du politique et du scientifique. Sa pratique de la science et la construction des savoirs géographiques modernes sont aussi traversées par ce processus de perpétuelle médiation.

Humboldt représente-t-il pour autant le symbole de la « schizophrénie » du scientifique du moment 1800, pris en tenaille entre deux pôles ? Ses aspirations universalistes, héritées du siècle des Lumières, ont nourri ses principes scientifiques, tandis que les transformations des conditions de production de la science l'enjoignent à réévaluer et renégocier constamment sa position et ses attentes. Humboldt n’ignore pas la duplicité de son projet scientifique. Sa grande connaissance du monde politique et sa conscience du jeu des acteurs politiques en font un acteur averti. Son seul exemple n'autorise pas de conclusion immédiate quant aux questionnements soulevés. La limite de cette étude consiste en effet à n'examiner que le cas humboldtien et le moment strict des voyages. Une étude comparative, considérant d'autres savants et d'autres domaines scientifiques de cette période, est à mener sur la duplicité, voire la multiplicité, des discours et positions scientifiques. L'analyse d'autres pratiques géographiques (cartographie et productions graphiques par exemple), prises en compte chez d'autres individus dans des espaces variés semble nécessaire à la poursuite de cette recherche.

Conclusion.

L'exemple des voyages humboldtiens fait apparaître les acteurs politiques comme des opérateurs de la fabrique scientifique. Chaque expérience de voyage humboldtien est marquée, temporellement, spatialement, matériellement ou financièrement par le jeu politique.

Les acteurs politiques encadrent fortement une pratique cognitive, constitutive des savoirs géographiques de Humboldt. Si leur incrustation n'interfère généralement que dans l'ordre pratique, elle peut aller jusqu'à modifier massivement son projet épistémologique. Cette analyse doit prendre part à une plus vaste enquête sur les liens entre savoirs géographiques et politique, à cette époque épistémologiquement charnière pour la discipline que constitue le moment 1800.

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