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Les technologies : des aides précieuses pour développer la réflexivité des apprenants

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Les technologies : des aides précieuses pour

développer la réflexivité des apprenants

Pierre-François COEN

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Haute école pédagogique de Fribourg et Département des

sciences de l’éducation de l’Université de Fribourg, Suisse

Après avoir clarifié quelques points théoriques liés aux concepts de réflexivi-té, de métacognition et de prise de conscience, cet article essaie de mettre en évidence le fait que les technologies – particulièrement celles qui permettent une réactualisation ou un traçage de l’action – ont un rôle important à jouer dans l’apprentissage. En effet, elles peuvent contribuer à améliorer la prise de conscience qu’un sujet a de son action en lui donnant accès à des données et des faits objectifs et souvent difficilement accessibles. Dans un second temps, l’auteur illustre sa position en rendant compte d’une expérimentation faite au Tessin avec des élèves de 10 ans éprouvant des difficultés en expres-sion écrite. L’utilisation du logiciel AutoéVal (logiciel d’assistance à l’écriture) combinée à des entretiens d’explicitation post-tâche et centrés sur l’analyse des traces délivrées par le logiciel apporte des progrès significatifs chez les sujets tout en leur donnant une meilleure idée des stratégies qu’ils déploient durant l’activité.

Introduction

Les travaux sur la réflexivité supposent des pratiques variées notamment lorsqu’il s’agit de développer cette compétence en formation profession-nelle. On parle souvent et depuis quelques années déjà de vidéoforma-tion, d’écriture clinique, d’histoire de vie, d’analyse de pratique ou d’événements critiques, de jeux de rôle etc. (Perrenoud, 2001b). Or sou-vent, ces dispositifs de formation intègrent diverses technologies : le plus souvent des enregistrements vidéo ou audio, mais également l’analyse de texte sous forme automatisée2, l’analyse de photos prises en situation, etc. Une abondante littérature existe à ce sujet – particulièrement sur la vidéo-formation (Mottet, 1996, 1997; Wagner, 1988) – et témoigne de l’in-térêt marqué de ces technologies dans le cadre de la formation profes-sionnelle. Force est de constater que ces outils présentent des fonctionnalités extraordinaires et donnent accès à une trace – structurée

1. Contact : pierre-francois.coen@edufr.ch

2. Des logiciels comme TROPES sont en effet capables de faire une analyse du discours pré-sentant une certaine pertinence.

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ou non – objective de l’action sur laquelle il est possible de travailler par-ticulièrement lorsque l’on veut développer une conscience de cette action.

Dans cet article, nous allons revenir sur les différents aspects de cette problématique en présentant dans un premier temps quelques repères théoriques sur la question de la réflexivité mais également sur la métaco-gnition. Voulant illustrer notre contribution à l’aide d’exemples pris dans un travail réalisé avec des élèves, nous ferons un bref détour par le concept de métacognition afin de voir en quoi il se rapproche de celui de réflexivité (développé surtout dans le cadre de la formation profession-nelle). Dans un second temps, nous nous pencherons sur le lien qui peut exister entre technologies et réflexivité et nous l’illustrerons par une recherche menée au Tessin par Frigerio3(2003) avec des élèves en

diffi-culté en expression écrite. Cet itinéraire nous permettra de mettre en évidence le chaînage suivant : la réflexivité nécessite une prise de conscience de l’action; cette prise de conscience est facilitée en recou-rant à des traces que peuvent délivrer certaines technologies actuelles qui, de ce fait, contribuent à améliorer la prise de conscience et le degré de réflexivité des sujets.

Le point sur quelques aspects théoriques

La réflexivité du « praticien réflexif »

La réflexivité n’est assurément pas un concept très stable dans la littéra-ture actuelle. Aussi pour éviter tout malentendu, allons-nous prendre quelques lignes pour définir le sens dans lequel nous l’entendons. Une entrée par le biais des textes relatifs à la formation professionnelle (et plus particulièrement celle des enseignants) nous amène à considérer la réflexivité selon trois niveaux : le premier fait référence à une aptitude à réfléchir dans l’action de manière à la réguler « en vol »; le deuxième à une aptitude à réfléchir sur l’action lorsque celle-ci est terminée et le troisième à développer une réflexion sur les systèmes qui pilotent nos actions (Perrenoud, 2001a). Pour Kelchtermans (2001), « c’est l’aptitude à reconsidérer, repenser, reconstruire mentalement ses expériences et ses actions d’une manière réfléchie et plus ou moins systématique » (p. 45). Cette manière de faire suppose, toujours selon cet auteur, une attitude d’ouverture, d’éveil et même de curiosité pour mettre en question ses propres façons d’agir et ses expériences. Selon Henslet (2001), cette aptitude à « réflexiver » implique que le sujet soit capable d’analyser une expérience passée, présente, future ou conditionnelle. « Elle s’accom-pagne d’une démarche de structuration de ses perceptions et de son savoir » (p. 32) et fait appel à la conscience et à la prise en charge par la personne elle-même de son propre développement. Cet auteur souligne

3. Cette recherche a été menée dans le cadre d’un travail de licence réalisé au Dépar -tement des sciences de l’éducation de l’Université de Fribourg.

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encore que la pratique réflexive nécessite l’application d’une pensée rationnelle notamment en ce qui concerne les instruments susceptibles de la faire apparaître ou de la faciliter. Nous voyons ici toutes les facettes du fameux « praticien réflexif » décrit par Schön (1983). Il s’agit d’ap-prendre à décrire son action aussi précisément que possible pour pou-voir y porter un regard critique et ensuite de s’en distancer afin d’évaluer la qualité de son propre regard. En somme, il s’agit de se pencher sur le miroir (sur sa qualité) qui réfléchit l’objet (qui peut être une action). Ces démarches et les dispositifs qui lui sont associés s’appliquent très bien à la formation des enseignants. Les auteurs cités ont, du reste, pour la plu-part développé leur discours dans ce contexte. Quels liens voir alors avec les apprentissages en général (particulièrement avec ceux des élèves) et plus encore avec les nouvelles technologies, notre idée étant de démontrer ici qu’elles peuvent avantageusement contribuer à soutenir une démarche réflexive même auprès de jeunes écoliers.

De la réflexivité à la métacognition

Actuellement, le concept de réflexivité n’est peu (ou pas) associé au travail de l’élève ce qui ne veut pas dire que l’apprenant ne réfléchisse pas sur ses propres actions. Depuis de très nombreuses années, les chercheurs se sont intéressés à cette réflexion et l’ont conceptualisée sous le terme de métacognition. Dans sa définition de la métacognition, Flavell (1977) fait apparaître deux aspects repris dans les textes sur la réflexivité que nous avons cités. Le premier fait référence aux dimensions régulatrices de la métacognition en ce sens qu’elle permet de piloter une action pendant son développement. C’est ce que Brown (1974) appelle le « contrôle exécutif de la tâche » (p. 78) et qui rappelle l’idée d’agir dans l’action. Le deuxième a trait à la construction d’un savoir sur son propre savoir (l’élaboration de métaconnaissances) et cela n’est pas sans rappeler l’idée de la construc-tion d’un savoir sur l’acconstruc-tion une fois que celle-ci est achevée. En d’autres termes, même si la réflexivité est aujourd’hui intimement attachée au contexte de la formation professionnelle des enseignants, il n’est pas pos-sible de renier l’héritage qu’elle doit au concept de métacognition. De sur-croît lorsque Wolfs (1992) nous rappelle l’adage « Connais-toi toi-même » inscrit sur le fronton du temple de Delphes, il montre bien cette indéniable filiation. Dès lors, pourquoi tout apprenant ne pourrait-il pas en faire preu-ve ? Les élèpreu-ves de nos classes ne sont-ils pas des praticiens réflexifs du métier d’élève qu’ils pratiquent. Ainsi, pour nous, la réflexivité est une forme de métacognition qui prend pour objet le fonctionnement du sujet dans des modes à la fois descriptif et évaluatif à travers des activités méta-cognitives comme l’explicitation, l’analyse ou encore la conceptualisation (Noël et al., 1995). Si du point de vue conceptuel, la distinction n’est dès lors pas aisée, nous dirons – pour aller vite – que la réflexivité est à la for-mation professionnelle ce que la métacognition est à l’apprentissage.

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Prendre conscience pour agir… mieux

Construire une posture métacognitive (ou réflexive4) exige donc de

pou-voir prendre conscience des actions et des éléments qui la pilotent, en d’autres termes, il s’agit pour l’individu d’identifier aussi clairement que possible les régulations qu’il exécute souvent de manière machinale ou inconsciente. L’enjeu est de taille. Piaget (1977) parlait de « prise de conscience » en faisant déjà allusion à un mécanisme d'évaluation du résultat (bon ou mauvais) et de correction de l'action dans une dyna-mique régulatoire quasiment automatique. Il précisait encore que cette prise de conscience pouvait avoir des niveaux plus ou moins évolués. Cette idée est développée par Allal & Saada-Robert (1992) qui présen-tent quatre types de régulations métacognitives significatives d’une prise de conscience de plus en plus grande :

– les régulations implicites, intégrées au fonctionnement cognitif que le sujet ne perçoit pas;

– les régulations explicitables, c'est-à-dire, celles que le sujet serait capable d'expliciter à condition qu'on lui pose des questions ou alors si les exigences de la tâche le nécessite;

– les régulations explicitées sont celles dont le sujet parle spontané-ment avec les autres et celles dont il contrôle l'intentionnalité;

– les régulations instrumentées par des supports externes à la pensée et qui peuvent donner aux processus mentaux de régulation une puis-sance accrue (p. 271).

Tout concourt donc ici à démontrer un lien important entre la capacité à repérer et décrire les régulations comme élément essentiel d’une prise de conscience de son activité. Cette prise de conscience repose sur la faculté à identifier des faits aussi objectifs que possible de manière à construire un savoir nouveau sur soi-même et sur son propre fonctionne-ment. Perrenoud (2001a) rappelle en outre que le sujet « n’accède pas directement aux schèmes eux-mêmes, il s’en construit une représenta-tion qui passe par un travail de prise de conscience » (p.139) qui se fait à partir du souvenir ou des traces de l’action. Il pose ici la question de l’ob-jectivité des faits. Ainsi, pour que cette représentation soit la plus proche possible du réel, il convient donc de munir le sujet d’outils susceptibles de l’aider dans cette tâche. Parler de réflexivité n’est donc pas si éloigné des propos tenus par les métacognitivistes il y a quelques années lors-qu’ils invoquent la nécessité de construire un savoir métacognitif à partir du résultat de son action mais plus encore du processus qui a conduit à son élaboration.

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Rôle des technologies : deux apports importants en lien

avec la réflexivité

Nous voyons dès lors deux rôles majeurs que les technologies peuvent jouer en lien avec l’analyse de l’action et des régulations entreprises. Le premier est la capacité de réactualiser l’action par le recours aux traces par exemple lors d’un enregistrement (audio ou vidéo). Cela a pour conséquence de rationaliser le souvenir et de l’objectiver. Certes, ce processus de rationalisation induit une certaine perte. Les technologies, même les plus développées, ne peuvent conserver toute l’action : un enregistrement audio ne « retient » que le verbal en gommant toute image et le cadrage vidéo est sélectif en tronquant une bonne partie de la réalité. Mais en contrepartie, la technologie force à se concentrer sur un aspect particulier et réduit en quelque sorte le nombre d’éléments à traiter. Dans un contexte d’apprentissage, cela peut s’avérer utile parti-culièrement pour éviter une charge cognitive trop importante (Kellogg, 1998). En outre cette désincarnation du souvenir, qui peut apparaître comme contraignante, offre l’immense avantage de rendre accessibles à des tiers des données précieuses sur le déroulement d’une tâche. Une personne extérieure (l’enseignant par exemple) peut ainsi prendre part de façon plus active au processus de formation.

Le deuxième apport des technologies est la capacité à favoriser

l’explica-tion de l’acl’explica-tion. Il ne s’agit plus ici de restituer la trace de l’acl’explica-tion (avec

les réductions que nous avons évoquées plus haut), mais plutôt de don-ner au sujet des outils pour lui permettre de mieux la traiter. Ces outils s’appuient sur les capacités de calcul et d’analyse des technologies pour délivrer à l’utilisateur des données susceptibles de l’aider comme des graphiques retraçant des déplacements ou l’évolution d’une tâche ou encore des données statistiques révélant la fréquence de tel ou tel com-portement.

En résumé, nous pouvons dire que les technologies jouent un rôle déter-minant sur le plan de la réflexivité par le recueil instrumenté des traces et le traitement de celles-ci. Poursuivons en donnant quelques exemples simples.

Les traces des navigateurs cartographes

La recherche sur Internet est actuellement l’une des activités les plus fré-quemment effectuées par les élèves (surtout dans les degrés secondaires I et II). Or si beaucoup d’enseignants préparent leurs élèves à cette démarche en présentant des manières de sélectionner des mots-clés, peu d’entre eux reviennent sur les actions effectuées par les élèves. Les navigateurs permettent pourtant d’afficher les historiques de recherche et de passer en revue les différentes pages sélectionnées. Un logiciel comme Nestor (Zeiliger, 1996) est un navigateur cartographe qui permet – entre autres fonctions – de dresser de façon très précises les itinéraires de recherche entrepris par les utilisateurs. Il offre une trace visible (sous

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Figure 1 : la fenêtre «Map» dans Nestor qui permet de visualiser sous forme topographique l'itinéraire effectué pour visiter les pages d'un site WEB

La nature collaborative de Nestor permet de revenir après coup sur les stratégies déployées par différents groupes d’apprenants et sur les choix effectués durant la recherche d’information afin de réfléchir sur les manières de faire des uns et des autres. Ce faisant, les élèves identifient de façon plus pertinente les démarches entreprises et, en fonction des résultats obtenus, peuvent en évaluer l’efficacité.

Les protocoles d’activité dans les logiciels d’entraînement

Un grand nombre de logiciels d’entraînement existent sur le marché. Que ce soit en français ou en mathématique, les enseignants recourent forme d’une carte dynamique) des chemins par lesquels les élèves sont passés pour trouver une information.

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volontiers à des logiciels d’entraînement pour consolider les apprentis-sages. Si la plupart des outils utilisés dressent un bilan de l’activité de l’élève (souvent en termes de pourcentage de réussite), peu donnent accès à un protocole plus exhaustif. Ainsi lorsque l’élève – et l’enseignant – disposent non seulement du nombre de réponses correctes (ou fausses) mais en plus de la donnée présentée ou du temps de réaction pris par l’utilisateur pour répondre à la question, un travail en profon-deur peut être entrepris. L’apprenant est alors en mesure d’identifier les types de questions qui lui demandent beaucoup de temps pour répondre ou la nature (systématique ou pas) de ses erreurs. Il peut expliquer des contre performances dues par exemple à un effet de la lassitude ou à des distractions dont il peut dès lors se souvenir. Ce type d’option est à nos yeux primordial à vérifier avant d’acheter ce type de logiciel.

La réactualisation de l’action

Certains logiciels enregistrent globalement toutes les actions entreprises par l’utilisateur et peuvent dès lors les « rejouer » après coup. En expres-sion écrite, le logiciel Genèse du texte (Saby, 1994) permet d'enregistrer la progression d'un texte et de mesurer, en temps réel (au ralenti ou en accéléré) l’élaboration d'un texte. L'observateur a accès aux mouvements de « la plume » (clics de la souris dans les différents endroits du texte) et visualise le temps que l’auteur du texte prend pour rédiger une phrase ou relire un paragraphe. Le logiciel CabriGéomètre (Laborde, 1980 à 2004), quant à lui, procède de même et restitue chronologiquement les différentes étapes de construction d’une figure géométrique.

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Nul besoin de montrer la pertinence d’une telle fonction lorsqu’un élève doit expliquer précisément comment il s’y est pris pour exécuter une tâche en expression écrite ou en géométrie.

Les données des historiques dans Moodle

Il n’est presque plus nécessaire de présenter la plate-forme Moodle (Dougiamas, 1999-2004) tant son succès est actuellement important. Accessible via Internet, cette plate-forme a été conçue pour mettre en œuvre et gérer des dispositifs de formation. Chaque professeur peut ouvrir un site sur lequel sont inscrits ses étudiants. Ces derniers peuvent alors accéder à différentes ressources (pages web, documents divers, glossaires, liens, etc.) ou réaliser des activités individuellement ou col-lectivement (ateliers, chat, forum, devoirs, sondages, test, Wiki, etc.). Mis à part l’intérêt incontestable de ce type de plate-forme dans les disposi-tifs e-learning, à l’instar d’autres environnements du même genre,

Moodle offre également la possibilité d’accéder aux historiques des

utili-sateurs. Ainsi, chaque étudiant peut connaître le nombre de fois où il s’est connecté, quels sont les messages qu’il a lus ou envoyés sur un forum ou encore les documents qu’il a téléchargés. On ne saurait s’arrê-ter qu’au contenu anecdotique de ces ‘logfiles’ et un traitement plus approfondi de ces informations – notamment en recourant à des gra-phiques ou des tableaux de synthèse – s’avère des plus intéressants. Leur analyse permet d’inciter les étudiants à réfléchir sur leur métier d’élève. Ainsi, ils seront amenés à identifier leurs stratégies d’étude, les éléments qu’ils leur ont été utiles ou au contraire les moments d’errance où ils ont semblé perdre leur temps.

Ces trois exemples ne sont évidemment pas exhaustifs, chaque jour de nouveaux logiciels voient le jour et apportent leur lot de nouvelles fonc-tionnalités. Des laboratoires5 se spécialisent dans l’analyse de trace et

voient bien le rôle important que les technologies peuvent jouer sur ce plan. Pourtant, malgré cela, l’usage de ce type d’outil constitue à bien des égards une révolution des pratiques d’enseignements en les ques-tionnant très sérieusement (Coen, sous presse). Ainsi par exemple, l’usa-ge du « bon vieux » magnétophone n’est aujourd’hui que très peu utilisé pour l’apprentissage de la lecture ou en expression orale; à l’école pri-maire, la vidéo sert avant tout à passer des films documentaires, mais peu d’enseignants s’en servent de façon systématique dans des leçons d’éducation physique pour faciliter l’apprentissage d’une figure ou pour revenir sur des stratégies de jeux. Dans de nombreux cas, les technolo-gies s’avèrent de précieux auxiliaires pour aider l’apprenant à identifier et à prendre conscience de ce qu’il fait. Est-ce cependant utile pour l’ap-prentissage ?

5. Le Syscom de l’Université de Chambéry [http://www.syscom.univ-savoie.fr] et notam-ment le travail de L. Gagnière.

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Les technologies favorisent-elles la réflexivité ?

A titre d’exemple, nous allons rendre compte d’une expérience faite par Frigerio (2003) auprès de cinq élèves. Elle est, selon nous, un excellent moyen de démontrer la pertinence de l’usage des technologies et plus particulièrement des traces laissées par le logiciel lorsque ces dernières sont exploitées comme support pour un entretien d’explicitation centré sur le processus.

Contexte et méthodologie

Cette recherche se donne comme hypothèse de démontrer que la prise de conscience du processus d’écriture effectuée dans des entretiens d’ex-plicitation à partir des traces délivrées par le logiciel AutoéVal permet à des élèves en difficulté en expression écrite de modifier leurs manières de rédiger et d’améliorer leurs productions. Elle a été menée dans trois établissements du sud du Tessin où cinq élèves âgés de 10 ans, tous suivis par le service de soutien pédagogique, ont été pris en charge durant plus de deux mois. L’expérimentation comprenait la réalisation (durant une trentaine de minutes) de quatre textes à l’aide du logiciel AutoéVal, logi-ciel d’assistance à l’écriture (Coen, 1998, 2000). Trois jours après l’écriture de chaque texte, l’expérimentateur a fait subir un entretien d’ex pli citation (d’une demi-heure environ) à partir des données fournies par le logiciel6.

Cet entretien a été rendu plus facile parce que le logiciel donne accès à des traces objectives et synthétiques comme un graphique de progres-sion du texte. Le jeune scripteur peut dès lors se baser sur ces données pour reconstruire son souvenir, pour « poser » à plat le déroulement de son activité et s’interroger sur ses manières de faire.

Lors de l’entretien d’explicitation, l’expérimentateur a centré ses ques-tions sur divers aspects : les activités de planification du texte (moment où le scripteur n’écrit pas); la période de transcription (notamment sur les dif-ficultés rencontrées lors de cette étape); le temps consacré à la révision du texte et sur les stratégies de relecture déployées; enfin les régulations entreprises par les élèves en repérant la nature des régulations effectuées (lexicales, syntaxiques, sémantiques ou pragmatiques) et en demandant aux sujets de les justifier. L’objectif visé par cet entretien est, selon Frigerio, de faire prendre conscience de son propre fonctionnement au

6. Le logiciel permet de « fabriquer » avant la tâche différents outils utiles à la réalisation du texte (listes de vocabulaire, règles de composition, plans, règles d’orthographe ou de grammaire, consignes, etc.). Durant la réalisation de la tâche, ces outils sont immédiate-ment disponibles pour le scripteur qui peut les saisir très facileimmédiate-ment à tout moimmédiate-ment. En outre, le logiciel enregistre dans un protocole tout ce que fait le scripteur : avancement du texte et sélection des outils de sorte qu’au terme de l’activité, ce dernier peut voir sous forme graphique l’avancement de son texte et la saisie des outils. Ce graphique de pro-gression du texte est le support utilisé pour l’entretien d’explicitation car il permet de reve-nir de façon aisée sur la manière dont l’élève a écrit son texte en faisant référence à des faits objectivement rapportés par le logiciel. D’autres informations sur le logiciel sont dis-ponibles sur le site : www.unifr.ch/ipg/coen.html.

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scripteur et de lui donner l’occasion de réfléchir sur sa manière de faire. Il s’agit donc de coupler à la fois le support technologique (particulière-ment le graphique de progression du texte) avec l’entretien d’explicita-tion pour aider les élèves à porter un regard distant sur leur manière de procéder et de leur permettre de construire des connaissances métaco-gnitives exploitables ultérieurement pour la réalisation des autres textes.

Figure 3 : Graphique de progression du texte généré par le logiciel AutoéVal.

Principaux résultats

Quels résultats Frigerio a-t-il obtenu ? Ce chercheur a constaté chez les cinq élèves concernés des modifications considérables concernant « autant la qualité des textes que la manière de les élaborer » qu’il notait comme étant « de plus en plus stratégique et adaptée à la complexité de la tâche d’écriture » (p. 130). Le nombre d’erreurs a, pour tous les élèves, considérablement diminué et les stratégies de vérification se sont amélio-rées. L’auteur de cette recherche note encore une amélioration sensible de la structuration des textes produits. Il relève en outre que ces amélio-rations ont eu lieu principalement après le troisième texte. Frigerio invoque ici deux explications : d’abord le fait que la compréhension des processus engagés par les scripteurs s’est non seulement affinée mais s’est constituée en véritable métaconnaissances susceptibles d’être mobi-lisées dans des activités ultérieures; ensuite, un effet inévitable lié à la répétition des tâches qui étaient relativement proches d’un texte à l’autre. Relevons ici encore l’intérêt de la technologie utilisée particulièrement dans l’amélioration de la gestion de la charge cognitive. L’usage du logi-ciel a en effet permis une meilleure répartition de cette charge notam-ment par les commodités qu’il offre lors de la rédaction (accès rapide aux différents outils). Le dernier élément que Frigerio souligne est que le dis-positif mis en place (usage du logiciel et entretiens d’explicitations) déve-loppe « une meilleure souplesse (plasticité) du positionnement stratégique dans le schéma de Noël, Romainville et Wolfs (1995) » (p.138). Sans entrer dans le détail du modèle présenté par ces trois auteurs, disons simplement que l’on constate que les scripteurs peuvent discourir

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avec une plus grande facilité sur leur propre fonctionnement et sur les variables qui l’influencent, qu’ils peuvent adopter plus facilement une posture descriptive et évaluative de ce fonctionnement et qu’ils mettent plus facilement des mots (des concepts) sur ce qu’ils font.

Conclusion

En conclusion, nous constatons que les exemples ne manquent pas pour démontrer l’intérêt des technologies dans une perspective réflexive et/ou métacognitive. Si ces dispositifs semblent bien inscrits dans les programmes de formation professionnelle (des enseignants par exemple), nous constatons qu’ils sont moins fréquents à l’école et dans les apprentissages de base. Est-ce parce que l’on ne parle pas de « réflexivité » à l’école obligatoire, est-ce parce que les pratiques méta-cognitives sont moins implantées ou jugées moins nécessaires ? Les logi-ciels et les exemples ne manquent pas et démontrent pourtant la pertinence de développer ce que Martin (1991) appelle une « pédagogie métacognitive » stimulant la réflexion des apprenants sur la manière de faire et dans laquelle les technologies prendraient non seulement une place importante pour les raisons que nous avons énoncées plus haut mais témoigneraient d’une spécificité qui les rendraient quasi indispen-sables.

Reste à savoir si l’apprentissage se fait mieux lorsqu’on a conscience des régulations entreprises. En effet, « une élaboration réflexive et métaco-gnitive n’a de sens que si elle donne à l’acteur une certaine maîtrise de son inconscient pratique. A quoi bon savoir comment on fonctionne si l’on ne parvient pas à changer » (Perrenoud, 2001a, p. 140). Il semble que les technologies soient de précieux auxiliaires dans ce projet car elles pro-longent nos perceptions nous donnant à voir ce qui nous échappe; elles jouent avec le temps nous permettant ainsi de revenir sur un passé éphé-mère et fugace autant de fois qu’on le désire, de manière ralentie ou accélérée. Dans ce sens, elles contribuent avantageusement à donner plus de pouvoir à l’acteur en réduisant son « inconscient pratique ». Encore faut-il savoir – ou peut-être prouver comme le rappelle Romainville (2000) – si la conscience d’une action améliore la qualité de celle-ci !

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Figure

Figure 1 : la fenêtre «Map» dans Nestor qui permet de visualiser sous forme topographique l'itinéraire effectué pour visiter les pages d'un site WEB  La nature collaborative de Nestor permet de revenir après coup sur les stratégies déployées par différents
Figure 2 : Figure géométrique construite par CabriGéomètre
Figure  3  :  Graphique  de  progression  du  texte  généré  par  le  logiciel AutoéVal

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