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Lumières, miroir nocturne des paysages

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Lumières, miroir nocturne des paysages

Sandra Fiori

To cite this version:

Sandra Fiori.

Lumières, miroir nocturne des paysages.

Les 4èmes Journées Européennes de la

Recherche Architecturale et Urbaine EURAU’08 : Paysage Culturel, 16-19 Janvier 2008, Madrid,

Espagne, Jan 2008, Madrid, Espagne. 11 p. �halshs-00380077�

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Lumières,

miroir nocturne des paysages

Sandra Fiori - 2008

Sandra Fiori est urbaniste, maître-assistante à ENSA de Montpellier et chercheuse au

Laboratoire Cresson, UMR 1563 Ambiances architecturales et urbaines à l’Ecole Nationale

Supérieure d’Architecture de Grenoble.

Pour citer ce document :

FIORI, Sandra. Lumières, miroir nocturne des paysages In : Les 4èmes Journées

Européennes de la Recherche Architecturale et Urbaine EURAU'08 : Paysage Culturel, 16-19 Janvier 2008, Madrid, Espagne

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Lumières,

miroir nocturne des paysages

EURAU’08

ABSTRACT. Artificial Lighting has been for some years into a trend of renewal. The way it participate to build-in the contemporary townscape is yet to be solve : does it match with urban-planning strategy, and how ? Can Lighting design, modifiying visual perception with technic, be a support in shaping nightscape in town and suburbs ? This paper deals with the riverside and shores once dedicated to industry within the city, from now on turned out in public space mainly dedicated to leasure, and try to focus on the impact of lighting design : why it should be use, how it is used in facts, its contradiction with the « dayscape ». These questions will be seen through two french exemples - the requalification of parisian channel, and the new dock of Garonne in Bordeaux - , standing between the will of heritage conservation and the necessity of being contemporary, a balance resuming the situation of many shore-reconversion projects in France and Europe. KEYWORDS. Lighting design - Artificial light - Waterfront landscapes - Urban design - Public spaces - Case studies

Sandra Fiori.*Montpellier school of architecture (ENSAM) and **CRESSON

research center (CNRS UMR 1563 and Grenoble school of architecture). Laboratoire CRESSON, ENSAG, 60 avenue de Constantine, BP 2636, 38036 Grenoble cedex 02 – France. E-mail : sandra.fiori@club-internet.fr

Olivier Namias.*is architect and critic of architecture for various

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1. Le rôle de l’éclairage artificiel dans la construction

des paysages contemporains

1.1 Le renouveau des pratiques de mises en lumière

L’invention du territoire nocturne (Delattre, 2000 et Espinasse et alii, 2005) est une conquête moderne née avec l’éclairage au gaz dans la première moitié du XIXè siècle. Depuis, si la lumière artificielle et ses possibilités techniques ont toujours alimenté la tentation de donner à la nuit les caractères du plein jour (Schivelbusch 1993), ce territoire nocturne est aussi considéré, pour reprendre l’expression du photographe allemand Helmar Lerski, comme la source d’une véritable métamorphose par la lumière. Depuis les années 1980 à l’échelle européenne, s’est développé un mouvement de renouveau des pratiques de mise en lumière (Neumann, 2002), qui cherche à se départir d’une approche réduisant l’éclairage à un équipement technique, à des impératifs fonctionnels et sécuritaires, pour se tourner vers une démarche plus soucieuse des ambiances et de leur diversité, plus préoccupée de perception, d’usages, de spécificité du site ou encore des interactions entre la lumière et les formes architecturales. En France en particulier, la conception lumière s’est d’abord redéployée à partir d’un travail sur la ville, ses architectures et ses espaces publics (Narboni, 1995). Pouvant faire l’objet de réalisations autonomes, elle s’inscrit souvent dans des projets urbains ou paysagers d’ensemble. Autrement dit, elle accompagne le traitement des lieux sur lesquels sont pointés les intérêts et les enjeux actuels, épousant ou se réappropriant les problématiques de l’urbanisme et du paysage (Narboni, 2003).

1.2 L’exemple de la reconquête urbaine des rives fluviales

Dans la lignée de nos précédents travaux respectifs (Fiori, 2005 et 2006 ; Namias 2000 et 2003) , cet article est pour nous l’occasion de poser les jalons d’une recherche à mener sur le rôle de l’éclairage artificiel dans la construction des paysages.

Sans revenir sur la notion même de “construction”, nous aborderons ici trois axes d’analyse. Le premier a trait à l’échelle générale des stratégies de projet mises en œuvre : comment l’éclairage s’inscrit-il -ou non- dans des partis-pris de conception spatiale et paysagère d’ensemble ? Le second porte sur une échelle plus micro : comment la lumière, par les formes et les contrastes qu’elle dessine, les perceptions qu’elle crée et les significations qu’elle véhicule, contribue-t-elle à donner à un paysage ses caractéristiques ? Cette approche par les ambiances (Amphoux et alii, 2004) engage un rapport sensible plutôt que strictement esthétique. En ce sens, et ce sera le troisième axe esquissé, le recours aux représentations cinématographiques et photographiques, tout en renvoyant à des codes esthétiques, constitue un moyen de repérer des motifs et effets lumineux révélateurs de la construction d’une perception et d’un imaginaire paysagers, en particulier nocturne et lumineux.

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Nous avons plus précisément choisi de nous intéresser aux paysages de bords de fleuve dont la reconquête, également nocturne, nous semble constituer un point d’articulation à même d’interroger les transformations contemporaines des territoires et du regard porté sur eux. Abordant plus précisément la problématique actuelle de leur conversion en espaces publics urbains à vocation récréative, nous évoquerons ensuite deux exemples français.

2. Problématique de la reconversion d’espaces

productifs en espaces publics urbains

2.1 Stratégies de reconquête urbaine et paysagère

Depuis les années 1980, la crise du secteur métallurgique, la fermeture de lieux de production ou de transformation industrielles et la délocalisation des activités portuaires ont laissé vacantes de vastes emprises dans plusieurs grandes villes d’Europe comme Bilbao, Nantes, Bordeaux, Londres…

Si les activités liées à l’eau ont depuis longtemps fait partie intégrante de l’économie et de la vie urbaine, il est en outre courant d’évoquer le processus par lequel les villes ont progressivement “tourné le dos” à leur fleuve. Outre la présence des édifices et installations industrielles (entrepôts, silos…), l’aménagement des rives ou les travaux de canalisation ont souvent modifié, tout au long du XIXè siècle, le rapport aux sites. De même, sous le coup de l’urbanisme fonctionnel d’après la seconde guerre mondiale, l’automobile a physiquement coupé plusieurs métropoles de leur « waterfront » par la création de voies rapides ou la transformation de berges en vastes zones de stationnement.

La reconquête des ports et sites fluviaux porte dans certains cas sur la création ou la transformation à terme de véritables morceaux de villes1,

engageant des stratégies de territoires, L’ampleur des sites, leur localisation dans l’espace urbain et/ou le rôle économique qu’ils ont eu à jouer par le passé, impliquent une vision métropolitaine au sein de laquelle sont en même temps réaffirmées certaines centralités.

L’implantation de grands équipements publics, l’articulation à d’autres projets urbains (tramway…), la sollicitation d’équipes de notoriété internationale, l’organisation de manifestations éphémères préfiguratrices, et plus largement le recours au marketing urbain2 figurent aussi parmi les

éléments stratégiques mobilisés.3 En particulier en France, la rhétorique des

projets, du moins telle qu’elle est diffusée par les maîtres d’ouvrage auprès du grand public4, met quant à elle régulièrement en avant plusieurs

notions : patrimoine5, besoin de nature, espace public, convivialité…

En ce sens, une des caractéristiques récurrente des projets est de s’appuyer sur le développement d’activités et d’équipements de loisirs, qu’ils soient touristiques, culturels ou simplement urbains.

Il est vrai aussi que l’aménagement des espaces publics, comme l’a montré l’expérience barcelonaise des années 80, forme la trame matérielle du projet (Masboungi, 2003, p. 27) et représente un point d’articulation entre ses différents aspects et échelles. Coupures physiques, les cours d’eau se font

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aussi tracés, permettant de (re)structurer une trame viaire cohérente entre rives et quartiers, en même temps que de créer une série d’aménagements séquentiels qui tirent partie de la linéarité du site, de sa topographie, des espaces urbains traversés, notamment sous la forme de cheminements dédiés aux déplacements lents (piétons, cycles, rollers…). La valorisation des rives elles-mêmes, leur aménagement en promenades, constitue alors l’aspect le plus tangible et le plus immédiat des opérations. C’est en effet par ces aménagements que se concrétise le rapport direct avec le site, au plus près de l’eau. (Fig. 1- LYON-DAY.JPG)

2.2 De jour et de nuit : imaginaires et représentations en écho aux projets

Si l’intérêt urbanistique porté aux bords de l’eau trouve tant d’échos auprès des citadins, c’est aussi sans doute en raison des représentations associées à ces lieux, construites culturellement et historiquement.

On peut ainsi citer les travaux de l’historien Alain Corbin (Corbin, 1990 et 2005) qui, portant notamment sur « le désir de rivage », ont mis l’accent sur la naissance et la démocratisation progressive du littoral comme lieu d’expériences sensibles et esthétiques particulières associées à une mer apprivoisée6. La jouissance du « spectacle côtier » (Corbin, 2005, p. 46), la

promenade littorale, ou l’usage de la plage comme lieu de sociabilités7 sont

autant de figures qui, du moins à titre d’hypothèse, se concrétisent aujourd’hui aussi dans le caractère récréatif et domestiqué des bords de fleuve urbains.

Après la peinture, le cinéma et la photographie ont contribué à construire et diffuser d’autres formes de représentations et d’imaginaires contemporains, dont on peut esquisser quelques pistes plus directement liées aux paysages et activités portuaires.

On citera ainsi le film l’Atalante de Jean Vigo (1934), récit conjugal hors des cadres classiques où l’héroïne Juliette, ayant épousé un marinier pour fuir la monotonie de son village, est attirée par la grande ville -Paris- et son animation nocturne. Evoquant d’abord le sentimentalisme suranné d’un nomadisme “au fil de l’eau”, le film met en relief l’opposition entre le centre urbain et ses confins : filmé de nuit, le bassin de la Villette apparaît noirci et brumeux, rempli de squelettes métalliques et de formes étranges, repoussantes mais contenant une part de fascination liée à l’esthétique de la machine dont la « beauté convulsive » prônée par les surréalistes prend le pas sur la beauté classique.

Les ambiances nocturnes de Vigo se retrouvent dans les photographies du Paris la nuit de Brassaï (1932) : dans les mêmes lieux ou dans d’autres plus classiques comme les quais de la Seine, la brume, les ombres, leurs distorsions, produisent ensemble une atmosphère étrange. La lumière artificielle, qui agrandit les ombres des arbres et produit des rais jaillissant du brouillard, y joue un rôle esthétique majeur. Souvent à contre-pied des conceptions classiques du beau8, elle heurta à l’époque les amoureux du

vieux Paris.

Les ports, qui ont toujours évoqué le voyage et le départ vers des univers lointains et exotiques, sont aussi représentés par les figures de la marginalité et de la mauvaise vie nocturne, comme dans le Valparaiso

(7)

photographié par le chilien Sergio Larrain (publiée en 1991, ces images ont été prises dans les années 50 et 60) Une fois touchés par la désindustrialisation et abandonnés, cet imaginaire reste perceptible : dans Bordeaux-La-Lune1, livre de la photographe Anne Garde paru en 1980, les

personnages ont disparu, mais l’atmosphère de quartier mal famé subsiste à travers les lumières sombres, les ciels gris et les murs décrépis. La “décrépitude” se trouve associée chez certains photographes à une volonté d’inventaire et de conservation par l’image des traces industrielles, à l’opposé toutefois de la vision monumentaliste du patrimoine. Dans les photos de nuit du port vénitien de Marghera par Olivo Barbieri2, c’est moins

sous leur aspect historique que par leurs dimensions -inhabituelles- que les installations portuaires deviennent monuments. Michael Kenna, dans the Rouge (1995), photographie les usines Ford de Détroit en mettant l’accent sur la dimension d’une activité économique en perte de vitesse. Loin des images nettes et optimistes que Charles Sheeler y avait prises 60 ans auparavant, les vues, largement prises de nuit ou au petit matin, reconduisent l’imagerie trouble de Brassaï et la mémoire y est convoquée incidemment, par le biais d’éléments qui tracent un vocabulaire des quais (rails, portiques métalliques, cheminées…).

Dans certains projets contemporains, on retrouve mobilisés, notamment de nuit, ces éléments mémoriels, comme le montrent les mises en lumière exploitant la monumentalisation dimensionnelle des installations industrielles de l’Emscher Park ou du port de Saint Nazaire9. Le long des quais de Saône

du quartier Confluence à Lyon, l’illumination et les activités nocturnes (concerts…) des nombreux bâtiments industriels conservés invitent au noctambulisme dans un espace qui échapperait à une lecture et un réaménagement exclusivement tournés vers le patrimonial.

3. Deux exemples français

3.1 Le canal de l’Ourcq à Paris : l’aménagement par morceaux

L’Ourcq forme, avec Saint-Martin et Saint-Denis qu’il alimente, l’un des trois canaux parisiens percés aux débuts du 19e siècle et traversant chacun des

paysages assez différents (Pinon, 2005). Bien qu’en cours de gentrification,

les quartiers limitrophes du canal Saint-Martin ont longtemps été industriels et populaires. Quant au canal de l’Ourcq, il fait partie jusqu'à Aubervilliers ou Sevran d’un des grands secteurs industriels de la région parisienne dont il a gardé de nombreux caractères, symbolisés entre autres par les grands moulins de Pantin.

Après avoir envisagé le remplacement des canaux par une autoroute nord-sud traversant Paris dans les années 1950, les projets de requalification contemporains ont profité de la présence de l’eau. Dans Paris intra muros, ces berges sont devenues une zone de loisirs extrêmement populaire et

1 Anne Garde, Bordeaux-la-Lune, Eddibor, Bordeaux, 1980, 150 p.

2 Olivo Barbieri,in Venezia-Marghera, Fotografia e trasformazioni nela città

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fréquentée, notamment les week-ends et périodes de fête. Ces requalifications s’articulent en outre autour de quelques grands projets liés à la reconversion de friches industrielles. En parallèle, les berges de l’Ourcq ont été converties en promenade : une piste cyclable relie le bassin de la Villette à Meaux, établissant entre Paris et sa banlieue un lien jugé encore trop peu soucieux de l’identité et de la spécificité des communes traversées, alors même que l’ouverture de Paris vers sa périphérie constitue un des enjeux de la municipalité actuelle.

Initiée au début des années 80 par le réaménagement de la place Stalingrad, la requalification des franges du canal s’effectue au coup par coup. L’opération la plus importante reste le parc de la Villette (1982-1994), avec la reconversion des abattoirs en centre culturel et la création du plus grand espace vert parisien (35 ha) sur le site des anciennes friches. Le projet remporté par Tschumi pour la partie parc et Fainsilber pour la réhabilitation du bâtiment fut la première grande intervention sur le canal, par voie incidente. En effet, la voie d’eau, coupant le parc en deux, vient “perturber” le projet de Tschumi, basé sur une trame de 100m de côté qui quadrille l’ensemble du site. L’ambiance générale du parc est résolument contemporaine : outre les édifices des “folies” mécaniques en métal laqué rouge et le jardin des bambous dont le cadre (une fosse) n’est pas sans rappeler les espaces résiduels des dessous d’échangeurs autoroutiers, les matériaux eux-mêmes (bacs aciers nervurés de la longue pergola… ) évoquent le monde industriel. Le parc de la Villette se distingue aussi des autres parcs parisiens par deux aspects : servant d’accès aux salles de concerts, théâtre et cirque disséminées sur le site, il n’est pas clôturé et reste ouvert la nuit.

Le parc est ainsi une des premières opérations ayant fait l’objet d’une conception lumière spécifique dans les années 80. La volonté de Tschumi de suggérer des ambiances cinématographiques s’y décline notamment par l’éclairage très brillant des folies, par le marquage nocturne de la promenade cinématique entre les jardins, la création de bancs lumineux et l’illumination en couleurs de la pergola se reflétant dans le canal. Par l’usage de la couleur, de l’éclairage indirect et de matériels détournés (balises type aéroport, tubes industriels…), l’éclairage du parc de la Villette préfigure une écriture et un vocabulaire lumineux que l’on retrouve aujourd’hui dans des espaces urbains traditionnels.

Mais le vocabulaire mis en place dans le parc de la Villette ne sera pas prolongé le long de l’axe du canal.10 Les derniers aménagements semblent

privilégier la valorisation des vestiges industriels dans une lecture beaucoup plus patrimoniale, comme en témoignent plusieurs polémiques : autour de la conservation des entrepôts (Villette, Saint-Denis) et des moulins de Pantin, ou à propos de la sauvegarde de l’hôtel du nord, décor du film de Marcel Carné (1938) devenu symbole pittoresque du Paris ouvrier. De plus, la question de l’éclairage et de l’illumination, sans se poser de la même façon tout au long du canal, reste cruciale dans les lieux urbains très fréquentés la nuit, devant concilier atmosphère festive et demande sécuritaire. La place Stalingrad, lieu de trafic de stupéfiants et peu éclairée, ne manque pas de soulever ce lien souvent supposé entre lumière et insécurité.

Contrairement à d’autres projets de berges, il semble aussi que l’aménagement de la voie d’eau, trait d’union entre différents espaces, ne se fera pas de façon unitaire. Dans ce contexte, les aménagement temporaires peuvent jouer un rôle d’essai et d’acclimatation. En 2007, la mairie de Paris

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a étendu la manifestation « Paris plage », cantonnée initialement aux berges de la Seine, au bassin de la Villette. Les installations ludiques utilisées de jour comme de nuit préfigurent peut-être les futurs stratégies d’aménagement de ces 110 km de voie fluviale.

3.2 Les quais rive gauche à Bordeaux : du paysage aux micro-ambiances nocturnes

L’aménagement des quais rive gauche de la Garonne constitue un des grands chantiers du projet urbain de Bordeaux initié au milieu des années 1990. S’étirant en une ample boucle ( le “port de la Lune”) sur près de 5 kilomètres entre le Pont Saint Jean et les bassins à flots, l’opération est pour partie encore en travaux.

Le projet conçu par le paysagiste Michel Corajoud s’articule autour de différentes séquences. Le profil des quais, large d’environ 80m, se décline notamment en plusieurs lanières : large trottoir et voie de desserte plantée le long de la façade urbaine ; plate-forme du tramway ; boulevard urbain ; vaste esplanade polyvalente (marchés, skate park, grands événements) ; promenade du quai, piétonne et cyclable, donnant directement sur le fleuve, presqu’au milieu du paysage et offrant un point de vue toujours panoramique.

Comme de plain-pied par rapport à la ville, les quais rive gauche offrent une perception de l’espace marquée par l’ampleur du site, la profondeur de la perspective et l’absence de relief naturel. L’impression qui domine est celle de l’horizontalité, unifiée par la prégnance du ciel. Qualifiée de « trop crue » par M. Corajoud lui-même11, la lumière naturelle des quais a aussi constitué

un élément à l’origine du parti-pris de “jardiner” un espace existant très minéral, notamment par la plantation d’arbres apportant confort d’été en jouant un rôle de modérateur et de modulateur de la lumière au sol. De même, la vision de la Bourse depuis la rive droite et son reflet dans la Garonne est à l’origine du miroir d’eau réalisé face à la place et encadré des “jardins de lumière” aux plates-bandes fleuries.

Partie intégrante de l’opération, la mise en lumière des quais s’inscrit elle-même dans le projet urbain par l’intermédiaire du plan lumière.12 Celui-ci,

dans sa partie études (SDAL)13, conjugue une lecture de la structure urbaine

qu’il s’agit de rendre perceptible la nuit à la définition d’ambiances nocturnes jouant sur les variations d’intensités, de teintes de lumière, de modes et de directions d’éclairage ou de mobilier en fonction des typologies d’espaces. Face à la large bande sombre que forme de nuit le lit de la Garonne, l’objectif était tout autant d’éviter de mettre en lumière la totalité des architectures que de “noyer” la façade urbaine derrière le bain lumineux de l’éclairage fonctionnel. En ce sens, si les illuminations patrimoniales proprement dites ont été réalisées avant, l’éclairage des quais conçu par L. Fachard suit les préconisations du SDAL et les séquences définies par M. Corajoud. Cet éclairage s’articule en quatre « franges lumineuses » parallèles aux quais14, dont la composition générale, perceptible in-situ, est

celle d’un decrescendo d’intensité depuis les façades jusqu’à la Garonne. Alors que l’éclairage côté ville est proprement urbain (au sens de l’éclairage public), côté fleuve, le “plateau” des grandes esplanades trouve de nuit sa concrétisation par un éclairage dynamique et coloré qui donne aux lieux un caractère à la fois monumental et contemporain, comme en contre-point

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vis-à-vis de l’architecture classique auxquels ils font face. A hauteur de la Bourse, cette scénographie laisse place au spectacle de la place et du palais illuminés se réfléchissant sur l’immense surface du miroir d’eau.

Enfin, pour la promenade des quais, un luminaire décoratif piétonnier a été spécialement créé, dont la lanterne, avec son masque ajouré à motifs, peut tout autant évoquer le lampion et la fête que le fanal et la navigation ou l’abat-jour et l’univers domestique. A l’échelle du regard lointain, les lanternes, très prégnantes sur fond de ciel sombre lorsqu’on regarde du côté de la Garonne et de la rive droite (Fig. 2 miroireau4), se fondent davantage dans l’ensemble urbain côté façades, parmi les autres sources de lumière (Fig. 3). En ce sens, outre leur propres variations de couleur (blanc froid, rose, vert…), elles donnent tour à tour lieu à des effets de scintillement et de contre-jour. A l’échelle proche, les mêmes lanternes créent des effets locaux de surexposition qui mettent en scène les passants ; associées aux séries de bancs, elles confortent l’ambiance de salon urbain dans les “jardins de lumière” tandis que cadrant le regard et la posture, elles invitent le long du fleuve à s’en approcher. Qu’on en apprécie ou non l’esthétique, ces luminaires présentent donc l’intérêt, à partir d’un dispositif unique, d’offrir selon leur localisation une variété d’effets et donc de rapports à l’espace et au paysage nocturne.

D’autres exemples de réalisations très récentes, telles que le réaménagement des berges du Rhône à Lyon15, affineraient encore la

description ici évoquée à grands traits de quelques caractéristiques de la conception lumière contemporaine associée au projet de paysage (fig. 4 LYON-NIGHT.JPG).

Puisque cette communication n’est que l’esquisse d’un travail de recherche à mener, c’est sous forme de questions que nous ressaisirons ici notre réflexion :

- Comment l’usage de plus en plus courant de la lumière colorée, ou plus largement le vocabulaire technique lui-même (le mobilier, les luminaires), importent-ils une écriture issue de l’espace public urbain ou de l’illumination architecturale ?

- Sous quelles formes la lumière contribue-t-elle à l’hybridation entre naturel et artificiel ? A l’heure où la thématique du durable tend à légitimer la part de l’ombre et son travail, quelles configurations s’inventent-t-elles au-delà de l’association attendue entre lumière - bâti d’un côté, et éléments naturels - obscurité de l’autre ?

- De même, plus que dans les espaces proprement urbains, le caractère ouvert des paysages du bord de l’eau pose les questions du rapport au grand paysage, de la relation entre proche et du lointain, entre ambiances en situation d’immersion et effets lumineux destinés aux cadrages panoramiques.

- Autrement dit, plus largement, de quelles façons la mise en lumière répond-elle alors aux principales tensions auxquelles sont soumis ces paysages ?

Bien que limitées géographiquement, les exemples choisis pour cette présentation susciteront, nous l’espérons, l’ouverture vers une comparaison internationale et culturelle.

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Legends

Fig. 1 : Les bas ports du Rhône tout récemment réaménagés à Lyon. © Sandra Fiori LYON-DAY.JPG

Fig. 2 : Bordeaux quais rive gauche : la rive droite vue depuis la promenade des quais. © Les Eclairagistes Associés MIROIREAU(4).JPG

Fig. 3 : La lanterne spécialement créée sur fond de l’illumination de la Bourse. © Les Eclairagistes Associés BOREAL(4).JPG

Fig. 4 : Les bas ports du Rhône à Lyon la nuit. © Sandra Fiori LYON-NIGHT.JPG

Bibliography

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Biography

Sandra Fiori. Graduating in urban planning (Institut Français d’urbanisme), Phd, she has a Phd in architecture (Ecole Polytechnique de l’Université de nantes). She’s at present an assistant professor in Montpellier school of architecture (ENSA Montpellier) and a researcher in CRESSON research center (ENSA Grenoble and CNRS UMR 1563). Her research works are focused on urban spaces and practices transformations linked to lighting design.

Olivier Namias. Architecte DPLG, titulaire du DEA « le projet architectural et urbain, théories et dispositifs », mène des recherches sur le thème de l’énergie électrique et de l’architecture, en parallèle à une activité de journaliste et critique d’architecture pour plusieurs revues (Archiscopie, d’A, Faces)

1 Cf. par exemple : « HafenCity » à Hambourg à l’embouchure de l’Elbe

(100ha) ; Marseille Euroméditerranéee (310 ha), Ile de Nantes (337 ha).

2 Muriel Rosemberg-Lasorne, « Marketing urbain et projet de ville : parole

et représentations géographiques des acteurs », Cybergeo, Aménagement, Urbanisme, article 32, mis en ligne le 23 octobre 1997, modifié le 15 mai 2007. URL : http://www.cybergeo.eu/index1977.html. Consulté le 06 septembre 2007.

(13)

3 Pour l’analyse comparée de ces stratégies, on peut se reporter à la

collection d’ouvrage « projets urbains » dirigée par Ariella Masboungi aux éditions de la Villette (Paris).

4

http://www.grandlyon.com/Publications-sur-les-berges-du-Rhone.1279.0.html, consulté le 06.09.07.

5 Il est intéressant de souligner l’importance particulière que semble revêtir

le patrimoine fluvial en France, qui compte parmi sa trentaine de biens inscrits au patrimoine de l’Unesco 4 sites fluviaux : Paris rives de la Seine (1991), Canal du Midi (1996), Val de Loire (2000), port de la Lune de Bordeaux (2007).

6 « […] une mer éprouvée de la terre, c’est-à-dire d’un point fixe ; une mer

qui est d’abord expérience sensible, une mer dont les prestiges ne se déploient que parce qu’on la perçoit, non dans son infinité, mais à l’endroit où elle vient se briser. La station sur le rivage –plage, récif, falaise-, au contact des vacuités de l’air ou de l’eau, […] engendre un faisceau d’émotions, de lectures du paysage, de schèmes rhétoriques et de pratiques sociales dont l’ensemble constitue ce qu’on appelle communément « la mer ». » Corbin, 2005, p. 49.

7 Voir aussi Urbain, J-D., Sur la plage. Moeurs et coutumes balnéaires, Paris,

Payot,1994.

8 Pour reprendre l’opposition de Francastel entre « beau eternel » et « beau

utile ».

9 Mise en lumière conçue par Yann Kersalé au début des années 1990. 10 Soulignons cependant la mise en place d’un vocabulaire contemporain sur

le tronçon enterré du canal, entre république et le bassin de l’arsenal (Seura arch.).

11 In Groueff, Sylvie,., Fleuves et territoires en quête de liaisons, Urbanisme,

n°334, février 2004, p. 26.

12 Voir :

http://3430.free.fr/textes/plan_lumiere_de_la_ville_de_bordeaux.htm#_Toc 526172472, consulté le 23.08.07.

13 Schéma Directeur d’Aménagement Lumière, Roger Narboni – Concepto,

1996.

14 Les Eclairagistes Associés, Bordeaux, environnements lumineux urbains

des quais rive gauche – dossier communication éclairage public, 2006.

15 Equipe In Situ (paysagistes) – Jourda (architectes) – Coup d’éclat

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